UNIVERSITÉ LAVAL
LE 15 DÉCEMBRE 2013
L'ENTENTE DE RECONNAISSANCE MUTUELLE DES
QUALIFICATIONS PROFESSIONNELLES ENTRE LA FRANCE ET LE QUÉBEC À
TRAVERS LE PRISME DES BARRIÈRES INSTITUTIONNELLES ET DE LA
THÉORIE DE L'OFFRE INDIVIDUELLE DE TRAVAIL L'exemple des
avocats et des infirmières
PAR
PAUL LEVESQUE
À mes Parents
et à Marie
Introduction 1
1. Cible : Les immigrants qualifiés et
surqualifiés 2
2. L'Entente France-Québec en chiffre 4
3. Problématique et hypothèse 6
I. Comprendre l'Entente France-Québec sur la
reconnaissance mutuelle des
qualifications professionnelles 9
i. ARM : faire sauter les verrous de l'immigration et les
barrières à l'entrée 9
ii. Échelle de reconnaissance mutuelle 12
iii. Des avocats si différents ? 15 1. Arrangement en
vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications
professionnelles des avocats 16
iv. Infirmière : une réalité si
semblable ? 19 1. Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des
qualifications
professionnelles des infirmières 21
v. Validation de H1 23
II. Les facteurs socio-économiques 25
1. Non-causalité entre la démographie et la
direction des flux migratoires 25
2. L'importance des conditions socio-économiques lors de
la migration 26
3. Théorie de l'offre individuelle de travail 27
4. Les difficultés méthodologiques 28
i. Infirmière : des revenus très différents
30
ii. Avocat : Une moyenne en trompe l'oeil 32
iii. Validation partielle de H2 36
III. Les dangers de notre recherche exploratoire : Influence
communicationnelle et
limite méthodologique 38
i. Beaucoup de bruit pour rien ? 38
ii. Les limites méthodologiques 43
Conclusion 45
Bibliographie 50
Annexe 1 58
Annexe II 60
1
Introduction
Première mondiale entre deux États n'ayant pas
d'accord économique, l'Entente de reconnaissance mutuelle des
qualifications professionnelles s'inscrit dans la continuité de la
relation particulière qui unit la France et le Québec.
L'arrivée de la Capricieuse en 1855 dans le Saint-Laurent,
quatre-vingt-seize ans après la défaite française en
Nouvelle-France, rétablit officiellement les relations entre le
Canada-Français et la France. Pour certains, la France garda
jusqu'à l'exorcisme du « vive le Québec libre ! » du
général de Gaulle une « honte enfouie dans la
mémoire, qu'il ne fallait surtout pas ranimer [É] [d']une guerre
malheureuse et mal conduite » (Portes, 2008 : 27). Si les relations
France-Québec existent antérieurement, c'est surtout
l'après 1965 qui a été une source inépuisable pour
la littérature (Fontaine, 1977 ; Latouche, 1985 ; Bernier, 1996 ;
Bastien, 1999 - 2002 - 2006 ; Niquette, 2002 ; Legaré, 2003 ; Joyal et
Linteau, 2008 ; Zoogones, 2008 ; Francelet, 2009 ; Dorval, Durand, Harvey,
Juneau et Trudel, 2013).
Suite à la prise de pouvoir de Jean Lesage en 1960,
Paul Gérin-Lajoie, alors ministre de l'Éducation, affirme
l'entière souveraineté du Québec sur ses champs de
compétence en signant, le 27 février 1965, la «
première entente franco-québécoise sur un programme
d'échanges et de coopération dans le monde de l'éducation
» (Brunet, 2007 : 4). Lors de son retour au Québec il affirma, dans
un discours resté célèbre que « l'État du
Québec est libre de consentir à être lié par tout
traité, convention ou entente internationale qui touche à sa
compétence constitutionnelle » (Paquin, 2006 : 52). La doctrine qui
guide depuis la politique internationale du Québec venait de
naître, avec le soutien et l'appui du général de Gaulle
« sans lequel l'action internationale du Québec [É] serait
restée marginale » (ibid, 106). Depuis, la France et le
Québec ont signé un grand nombre d'ententes, notamment en
matière de droit de scolarité (1978) et de sécurité
sociale (1979). La prise de position face à une possible
indépendance québécoise à travers la formule «
Non-ingérence, non-indifférence » énoncée par
le Président Valery Giscard d'Estaing en 1977, puis « Quel que soit
le choix qu'il fera démocratiquement, la France sera au
côté du Québec » de Jacques Chirac en 1995 vient
renforcer l'impression d'une relation
2
exceptionnelle entre un État souverain et la province
d'un pays. Toutefois, « depuis la défaite souverainiste de 1995, la
France mise plus sur le Canada que sur le Québec » (ibid,
145).
Par ailleurs, la relation France-Québec est
confrontée à une double asymétrie. Sur la scène
internationale le Québec a absolument besoin de la France pour exister
(Légaré, 2003 : 188 et 190). Par conséquent, les demandes
d'accord proviennent presque toujours du gouvernement du Québec. Alors
que, sur le plan démographique c'est majoritairement des Français
qui viennent s'installer au Québec. On estime à plus de 110 000
le nombre de Français installés sur le territoire du
Québec, auxquelles s'ajoutent près de 30 000 nouveaux arrivants
par année (6000 installations régulières, 10 000
étudiants et 15 000 permis vacance travail). Le comparatif n'est
malheureusement pas possible, les chiffres de Canadiens/Québécois
installés en France ne sont pas disponibles.
1. Cible : Les immigrants qualifiés et
surqualifiés
L'Entente vise un type d'immigrant bien spécifique qui
est un mixte entre la migration circulaire, « déplacement
facilité de personnes entre différents pays [É] dans
lesquels toutes les parties concernées trouvent leur
intérêt », et la migration économique, «
personnes quittant leur pays d'origine à la recherche d'un emploi »
(Organisation internationale pour les migrations, 2008 : 531). Les personnes
admissibles sont définies, par l'Organisation Internationale pour les
Migrations (OIM), comme des migrants hautement qualifiés, terme qui
« désigne une personne ayant atteint [É] le niveau de
qualification normalement requis pour l'exercice d'une profession » et des
migrants qualifiés « qui en raison de ses compétences ou de
son expérience professionnelle, se voit habituellement accorder un
traitement préférentiel » (ibid, 531). Cette
immigration entre pays développés s'effectue principalement pour
des raisons professionnelles puisque « le manque de personnel hautement
qualifié intensifie la recherche de talents à l'échelle
mondiale » (ibid, 2008 : 41). Cette circulation spécifique
de la main d'oeuvre trouve une caisse de résonnance dans l'idée
de fuite des cerveaux. La mondialisation a ainsi fait
3
émerger « un marché du travail mondial pour
les personnes hautement qualifiées » et les secteurs qui
connaissent une pénurie de main-d'oeuvre. (Durand et Lemaître,
2006 : 115)
On constate en France qu'il y a « très peu de
migration permanente à des fins d'emploi » qui provient de pays
développés (Durand et Lemaître, 2006 : 120). En 2006, 40,3
% des nouveaux immigrants proviennent d'Europe, mais majoritairement de pays de
l'ex-URSS, alors que les pays du Maghreb représentent 22,8 % des
nouveaux arrivants (Connin, 2006). Pour le Québec, la situation est
comparable puisque neuf des dix premiers pays d'origine des migrants sont des
pays en voie de développement, hormis la France. Si la France, mais
aussi le Québec, ne ferme pas totalement leur porte à une
immigration non économique (regroupement familial...),
l'évolution de leur marché du travail les oblige à faire
appel à des immigrants « qui pourront répondre aux besoins
[spécifiques de leur] marché du travail »
(Côté, 2008 : 349). Au Québec plus des deux tiers des 50
000 immigrants admis au Québec rentrent dans la catégorie
immigration économique et quatre-vingt-dix pour cent de ceux-ci
s'inscrivent plus spécifiquement dans la catégorie de
travailleurs qualifiés1 (Gouvernement du Québec,
2011)
Ainsi pour le Québec, la venue de Français
permet de choisir une main-oeuvre qualifiée, sans débourser les
coûts de formations tout en « contribuant à renforcer la
pérennité de la langue française, caractéristique
au coeur de la spécificité québécoise »
(Côté, 2008, 350). La volonté de faire venir une
immigration professionnelle est confirmée par les chiffres du
Portrait statistique des immigrants permanents et temporaires dont le pays
de dernière résidence est la France 2008-2012. Le rapport
établit que « la catégorie de l'immigration
économique représente 91,8 % des admissions en provenance de la
France, dont 90,2 % proviennent de la composante des travailleurs
qualifiés » (Benzakour, 2013 : 5). De plus, les trois quarts des
Français qui immigrent au Québec ont moins de 35 ans, la
1 Travailleur qualifié : Immigrant de la
catégorie de l'immigration économique. Les travailleurs
qualifiés sont sélectionnés par le Québec et y
viennent avec l'intention d'occuper un emploi. Les facteurs de sélection
des travailleurs qualifiés sont notamment : la formation,
l'expérience professionnelle, l'âge, la connaissance du
français et de l'anglais, les séjours au Québec et les
liens familiaux avec des résidants du Québec, les
caractéristiques du conjoint qui accompagne, les enfants à
charge, la capacité d'autonomie financière et
l'adaptabilité. (Benzakour, 2013 : 18)
4
moitié d'entre eux ont plus de 17 années de
scolarité et vingt-cinq pour cent « ont exprimé l'intention
d'occuper un emploi au Québec dans une profession régie par un
ordre professionnel ou une autre profession ou métier
réglementé » (ibid, 9). Si l'on ne dispose pas des
chiffres du côté français, cet accord tombait à
point nommé pour le gouvernement, puisqu'il s'inscrit dans la
continuité de la loi sur l'immigration professionnelle2
adoptée en 2006 par Nicolas Sarkozy. L'entente entre la France et le
Québec en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications
professionnelles a de ce fait été signée le 17 octobre
2008. La négociation a été rapide puisqu'entre les
premiers contacts et la signature il s'est écoulé deux ans. Nous
y reviendrons plus en détail dans la suite du texte.
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