Paragraphe 1er : Inadéquation quant au fait
générateur de la fiscalité de porte
Le fait générateur est l'évènement
qui crée la créance fiscale. En matière de
fiscalité douanière, celui-ci est constitué de
l'importation ou de l'exportation des marchandises aux frontières d'un
Etat29. Or, ces notions ne cadrent pas toujours avec la
réalité dématérialisée du e-commerce de
sorte qu'on note une imprécision sur l'effectivité de
l'importation et sur la nature des transmissions numérisées (A),
et des difficultés d'appréhension de des notions de territoire et
de frontière (B).
A-) Imprécisions sur l'effectivité de
l'importation et sur la nature des transmissions
La notion d'importation telle que définie par le Code
des Douanes de la CEMAC renvoie à une opération matérielle
de franchissement des frontières de cet espace économique par des
marchandises étrangères.
Au plan international, le G.A.T.T30 adopte une
vision à peu près similaire à celle du Code
précité. L'universalité de l'appréhension de la
notion d'importation basée sur le passage physique de marchandises au
cordon douanier est ainsi consacrée.
29 Article 3 : Code des Douanes de la CEMAC :
Alinéa 1 : « Les marchandises qui entrent sur le
territoire douanier sont passibles des droits d'importation inscrit au tarif
des douanes ;
Alinéa 2 : Les marchandises qui sortent du territoire
douanier sont passibles des droits des douanes ».
30 G.A.T.T. : General Agreement on Tariffs and
Trade, en français, Accord Général sur les Tarifs et le
Commerce, fut signé en 1947 pour harmoniser les politiques
douanières des partis signataires.
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Or, comme nous le relevions tantôt, l'importation est le
fait générateur de la fiscalité de porte. Ce qui nous
amène à nous pose la question de savoir avec l'avènement
du commerce électronique, s'il est possible de prélever un
impôt douanier sans verser dans l'illégalité la plus
absolue. En effet, avec le commerce on-line, l'espace d'échanges
économiques devient transnational, dématérialisé et
atemporel. De fait, le cyberespace est un « lieu sans lieu
». Les repères classiques d'espace et de temps sont
modifiés par la technique. Il devient donc quasiment impossible de
déterminer avec précision le moment de franchissement du
territoire douanier si tant est que, quelque chose traverse effectivement le
cordon douanier.
En effet, les biens ne sont soumis aux droits et taxes
exigibles en cas d'importation ou d'exportation qu'à partir de leur
introduction ou de leur sortie du territoire si tant est qu'ils sont
déterminés avec exactitude. Il subsiste ainsi un grand flou avec
le commerce électronique, lié à la faillite des
repères classiques qui rejaillit sur la légalité
même d'une éventuelle fiscalité de porte à percevoir
dans ce cas d'espèce31.
Cependant, ce degré d'opacité varie en fonction
du type de commerce électronique en cause. Ainsi, il est plus
marqué dans le cas du commerce électronique direct que dans celui
indirect. En effet, dans le premier cas, comme nous l'avons souligné
plus haut, tout se passe dans le circuit fermé du cyberespace, de la
commande jusqu'à la livraison32. Ce commerce porte en
général sur des biens incorporels comme les logiciels et les
enregistrements musicaux. En l'espèce, dans le processus de
réalisation du commerce électronique direct, l'exécution
des obligations interdépendantes et réciproques du cyber-acheteur
et du cyber-vendeur est réalisée à travers le
réseau. C'est justement ici que la question antérieurement
soulevée garde toute sa pertinence. En l'occurrence, est-il possible de
déterminer avec exactitude quand le transfert immatériel de la
chose a été opéré du cyber-vendeur au
cyber-acheteur ?
En revanche, cette incertitude, même si elle est
également présente dans le commerce électronique indirect,
ne revêt ni la même dimension, ni la même portée. En
effet, dans ce cas l'incertitude est plutôt confinée à la
phase interne au cyberespace, c'est-à-dire à la commande. Elle
est exclue dans l'étape complémentaire de la livraison. Celle-ci
est souvent effectuée par le biais d'envois postaux qui sont
parfaitement contrôlables par le Service des Douanes.
31 FAGOT, Pierre Yves : Commerce électronique
et droit douanier, P.493.
32 Allain, Louis : Du virtuel au concret, tout est
dans la livraison, Le Monde Informatique, n°902, 29 juin 2001, P.16.
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Ainsi, au Cameroun, en cas de commerce électronique
indirect, par exemple l'achat de logiciels, les droits sont perçus sur
la valeur des supports sur lesquels sont transportés ces logiciels (CD
ou disquettes).
En marge des difficultés sur l'appréhension de
la notion d'importation, on note aussi une confusion sur la nature des
transmissions électroniques. C'est une question qui présente des
intérêts multiples : la question centrale est celle de savoir si
les transmissions électroniques peuvent être
considérées comme des marchandises ou des services ? Au plan
économique, la réponse à cette question est d'autant plus
importante que le choix d'une option donnée peut engendrer des pertes
fiscales énormes pour un pays donné.
En outre, du point de vue juridique, la détermination
de la nature véritable des transmissions électroniques est
essentielle pour la loi applicable. En effet, s'il est avéré que
ces transmissions sont des services, ce sont les dispositions de l'Accord
Général sur les Services « A.G.C.S »33 qui
vont s'appliquer. En revanche, si les transmissions sont
considérées comme des marchandises, alors les dispositions de
l'OMC34 dans le domaine des marchandises, notamment le GATT de 1994
et les accords multilatéraux visés à l'annexe 1A de
l'accord sur l'OMC restent applicables.
Quel serait donc les critères pour distinguer les
transmissions numérisées en marchandises ou en services ?
Serait-ce la matérialité ?
La réponse à ces interrogations n'est pas
évidente tant il existe des éléments qui plaident pour les
deux conceptions :
De prime abord, la tentation est forte de considérer
les transmissions numérisées tout simplement comme des services
compte tenu de leur caractère immatériel. Ainsi, selon cette
vision, les transmissions numérisées obéissent au
régime des services étant donné la nature
dématérialisée des décharges on-line qui en aucun
moment du processus ne présentent une quelconque forme physique. Il
s'agirait donc effectivement, d'un service de livraison qui est
précisément visé par l'A.G.C.S.
Mais, adopter une telle position serait occulter la
réalité selon laquelle, les transmissions
numérisées ne se présentent pas sous une forme unique.
Ainsi, dans certaines
33 Le G.A.T.S : a été conclu en 1994.
Il invite les pays signataires à ouvrir leur marché de services
et à annuler progressivement leurs barrières tarifaires
éventuelles.
34 Organisation Mondiale du Commerce.
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situations, les contenus numérisés livrés
par des moyens électroniques pourraient être définis comme
des marchandises. En effet, le contenu de certaines transmissions
électroniques ressemblait effectivement à des marchandises ou en
était un proche substitut. C'est le cas de la musique
téléchargée via Internet sous forme de données
numérisées, par opposition aux CD matériels achetés
dans un magasin.
On le voit, l'imprécision sur la nature
véritable des transmissions électroniques et difficile à
surmonter. E n effet, ces produits sont dotés d'un caractère
permanent mais pas de forme matérielle fixe. Ce qui traduit, en
vérité, toute la difficulté pour le droit douanier de
« saisir » le commerce virtuel via l'Internet.
Au demeurant, cette situation révèle une
inadaptation si marquée qu'il est possible de se demander s'il n'est pas
indiqué de s'orienter vers d'autres directions. En l'occurrence, tout
simplement les catégories juridiques classiques obsolètes en la
matière au profit de nouveaux concepts plus dynamiques et aptes à
régir le E-business.
On remarque par ailleurs que les mêmes
difficultés existent pour appréhender à travers
l'Internet, les notions de territoire et de frontière.
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