Paragraphe 2 : Difficultés liées à
la taxation des revenus
Les principes généraux dégagés en
matière de taxation des revenus des activités transnationales
semblent être inadaptés au commerce électronique. Tel est
le cas en matière d'établissement stable (A). Quels concepts
semblent dans ce cas appropriés (B) ?
A) Réinterprétation du concept
d'établissement stable.
Comme les autres principes, le concept d'établissement
stable renvoie à des indicateurs de nature tangible que l'espace «
virtuel » rend obsolètes.
Ce concept qui a été défini avant
l'apparition du commerce électronique (les principes datent de 1963)
doit être reprécisé dans le contexte de circuits
commerciaux faisant intervenir des serveurs informatiques, des sites web ou
d'autres systèmes éventuellement
télécommandés.
Se pose notamment la question de savoir si un site web ou un
serveur peuvent constituer un établissement stable. Cette question est
fondamentale : si un site web ou un serveur constituent un établissement
stable, les entreprises camerounaises, par exemple, auraient tout
intérêt à localiser leur système informatique
d'E-Commerce dans un Etat à fiscalité avantageuse, ce qui est
techniquement très facile et nettement moins couteux qu'une
délocalisation d'activité traditionnelle. S'ils ne constituent
pas un établissement stable, une
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entreprise d'E-Commerce établie dans un paradis fiscal
peut, par exemple, effectuer des opérations commerciales à
destination des consommateurs Camerounais et même installer son
système informatique d'E-Commerce au Cameroun sans que les
bénéfices qui en découlent n'y soient
imposables16.
Le comité des affaires fiscales de l'OCDE a, en
Décembre 2000, précisé l'interprétation à
donner à la définition de l'établissement stable dans le
contexte du E-Commerce en définissant les principes suivants :
- Un site web (Software et Data), du fait de son
caractère intangible, ne peut pas en lui-même constituer un
établissement stable ;
- Une entreprise de service Internet (Access Provider,
hébergeur, etc.) ne peut généralement pas constituer un
agent dépendant d'une autre entreprise et ne peut donc pas être
considérée comme un établissement stable de cette
dernière ;
- Un serveur (Hardware) qui héberge un site web de
commerce électronique ne peut, à ce seul tire, être
considéré comme un établissement stable de l'entreprise
qui exerce des activités par l'intermédiaire de ce site web car
le fait de stocker le logiciel et les données requises pour le site web
n'ont généralement pas pour effet de mettre le serveur et son
emplacement à la disposition de l'entreprise ;
- Aucun établissement stable ne peut être
réputé exister lorsqu'il concerne des activités
considérées comme auxiliaires ou préparatoires telles que
: assurer un lien de communication entre fournisseurs et clients, faire de la
publicité, relayer des informations à l'aide d'un serveur miroir,
collecter des données sur le marché, fournir des informations,
sauf si ces activités constituent une partie essentielle de
l'activité commerciale de l'entreprise ;
- Cependant, un serveur sera considéré comme un
établissement stable d'une entreprise n'est nécessaire à
cet endroit pour l'exploitation de l'équipement, s'il est
exploité et détenu par le « cybercommerçant »
lui-même et s'il revêt un caractère fixe. Le comité
des affaires fiscales précise à ce propos que ce qui importe
n'est pas la possibilité de déplacer le serveur, mais le fait de
savoir s'il est effectivement déplacé.
16 SAINTRAIN, M : op.cit.P18
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Cette analyse de l'OCDE est critiquable, et ce au moins pour
deux motifs. En premier lieu, sur le plan des principes, elle s'inscrit
à contre-courant de la directive Européenne sur le commerce
électronique, qui prévoit que ne peuvent constituer un «
établissement » au sens des articles 52 et suivants du
traité de ROME, « la présence et l'utilisation des moyens
techniques et des technologies requis pour fournir le service », à
savoir par exemple l'hébergement des sites web. Ensuite, l'approche
« matérielle » de l'OCDE nous semble dépassé ;
car comme s'interroge Mr SAINTRAIN17, « est-il possible
économiquement ou juridiquement, de déterminer la part de valeur
ajoutée attribuable à un serveur informatique ? Ou alors, peut-on
objectiver le lien entre cette formation de valeur ajoutée et le lien
où se situe le serveur ? Il poursuit en arguant que, «dans le monde
nébuleux, du « cyber-espace », l'activité
économique a lieu à un endroit indéterminé,
à la fois nulle part et partout »18.
Pour pallier ces difficultés, nous pouvons dire avec Mr
Verbiest19 que dans un univers aussi
dématérialisé qu'Internet, il conviendrait de consacrer un
« équivalent numérique » de l'établissement
stable.
En effet, l'Internet est une technique de communication
à distance, ce que sont également le téléphone ou
le fax, mais avec une caractéristique unique : sa faculté de
« vitaliser » tous les types de relations (casinos virtuels,
catalogues en ligne, cyber-banques etc.)
Aussi, nous semble t-il conforme au fondement même de la
notion d'affirmer que, sur l'Internet, les vrais établissements stables
sont les sites de vente en ligne qui sont habilités par des
sociétés établies dans un pays donné mais qui
« ciblent » des résidents d'un ou plusieurs territoires.
En filigrane, il apparait que l'on devrait faire application
du critère de « destination » à «
l'établissement stable électronique », critère au
demeurant préconisé par certaines organisations internationales
notamment en matière de services financiers en ligne ou de marques sur
l'Internet. Aussi, lorsqu'un site web cible on dirige ses activités vers
un territoire donné, il pourrait être considéré que
la société qui l'exploite y a établi un
établissement stable... Les conditions d'application du critère
devraient bien entendu être précisées,
17 SAINTRAIN, M : ibidem.
18 SAINTRAIN, M : ibidem.
19 Verbiest Thibault, op.cit.
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notamment lorsque le site en question cible une large zone
(toute l'Afrique Centrale par exemple).
Il apparait donc clairement que le concept
d'établissement stable est difficilement applicable sur Internet, quid
de celui de résidence ?
B) Le Principe de taxation à la
résidence
La réinterprétation de l'établissement
stable ne suffisant pas à définir les principes fiscaux
applicables aux revenus des transactions électroniques, il semble, comme
l'estime Mr SAINTRAIN, que la réalité du commerce
électronique pourrait, par contre, pousser les dispositifs
législatifs à généraliser le principe de taxation
à la résidence.
En effet, les contribuables, qu'il s'agisse de
sociétés ou, in fine, des personnes physiques qui en sont
propriétaires, sont nécessairement résidents d'une
juridiction fiscale qui peut, normalement, être clairement
définie.
Le Département du Trésor Américain, dans
son livre blanc de 1996 consacré aux implications fiscales du commerce
électronique suggérait une évolution des principes de
taxation en ce sens : « The growth of new communication technologies and
electronic commerce will likely require that principles of residence-bases
taxation assume even greater importance. In the world of cyberspace, it is
often difficult, if not possible, to apply traditional source concepts to link
an item of income with a specific geographical location. Therefore, source
based taxation could lose its rational and be reordered absolute by electronic
commerce. By contrast, almost all tax payers are resident somewhere. United
States tax policy has already recognized that as traditional principle, lose
their significance, residence-based taxation can step in and take their place.
This trend will be accelerated by developments in electronic commerce where
principles of residence-based taxation will also play a major role».
Le principe de la taxation à résidence semble
ainsi être la voie la plus pragmatique pour assurer l'imposition des
revenus du commerce électronique, tant en terme d'administration fiscale
que de prévention des doubles impositions. Cependant, sa
généralisation de heurte à des fortes réticences
motivées par des questions d'équité internationale.
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Cette forme de taxation pourrait en effet favoriser les pays
comme les Etats Unis, leader mondial de la production des biens
numériques. Les autres pays, davantage consommateurs que producteurs
dans le contexte de l'E-Commerce en seront réticents, inspirés
par la crainte légitime d'un détournement de leurs assiettes
imposables.
Au demeurant, l'Espagne et le Portugal par exemple se sont
effrayés du fait que le commerce électronique permette la
réalisation d'activités par des entreprises non-résidentes
sans création d'un établissement stable et ont émis des
réserves quant à la réinterprétation du concept
d'établissement stable proposé par le comité des affaires
fiscales de L'OCDE. Il en découlerait de son implémentation dans
les législations que, par exemple, les revenus d'une
société Néerlandaise opérant un site web
hébergé en Turquie, lequel fournit un service de casino on-line
à destination des consommateur Espagnols, seraient taxés, soit
aux Pays-Bas (résidence), soit en Turquie (source éventuelle),
mais pas en Espagne où pourtant le chiffre d'affaires est
réalisé.
Ces craintes sont transposables aux pays Africains ou en
développement en général qui accusent un retard
technologique et qui sont plus consommateurs que producteurs dans le contexte
de l'E-Commerce.
Outre ces problèmes d'équité fiscale
internationale, la taxation à résidence pose également des
problèmes de cohérence et de neutralité des
systèmes fiscaux.
En effet, une généralisation de la taxation
à la résidence des seuls revenus du E-Commerce se heurterait aux
principes généraux selon lesquels l'Etat de la source a le droit
de taxer les revenus produits dans sa juridiction.
Par ailleurs, une taxation uniquement à la
résidence des revenus du commerce électronique pourrait entrainer
des situations non conformes au principe de neutralité de l'impôt,
en ce sens que des activités économiques à finalité
identique pourraient être imposées différemment selon
qu'elles sont menées par voie électronique ou
non20.
L'imposition des revenus en vu de ce qui est
précédé, se trouve profondément perturbée
par le E-Commerce, qu'en est-il de celle de la consommation ?
20 SAINTRAIN, M : op.cit. P. 21
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CHAPITRE 2 : LA FISCALITE INDIRECTE DU COMMERCE
ELECTRONIQUE : L'IMPOSITION DE LA CONSOMMATION
Nous allons adopter la même démarche qu'au
chapitre précédent en analysant d'une part, les principes de TVA
sur les opérations transfrontalières (Section 1) et d'autre part,
leur applicabilité au E-Commerce (Section 2).
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