INTRODUCTION GENERALE
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I- LE CONTEXTE DE L'ETUDE
La prise en compte des droits de la personne humaine dans les
opérations de maintien de la paix (OMP) est certainement l'une des
caractéristiques les plus marquantes du système de
sécurité collective issu de l'après-guerre froide. La
guerre froide terminée, la société internationale est
passée d'un monde initial de paix et de guerre entre les nations
à un monde de paix et de guerre à l'intérieur des
nations1. Les conflits, pour la plupart, se déroulent
désormais à l'intérieur des États entrainant ainsi
des violations massives des droits de l'homme. C'est pour cette raison que les
opérations de maintien de la paix se sont métamorphosées,
pour intégrer parmi leurs objectifs, la question des droits de l'homme.
Les notions de paix et de droits de l'homme sont, en effet, intimement
liées et tout processus qui vise à maintenir la paix doit tenir
compte de la situation des droits de l'homme2. Au moment de leur
création, les opérations de maintien de la paix avaient pour
mission d'observer un cessez-le-feu préalablement signé entre les
belligérants3. Fragilisée par les blocages au sein du
Conseil de sécurité, il s'agissait pour l'organisation des
Nations unies, de s'adapter aux circonstances qu'elle n'avait pas
prévues au moment de sa création4.Ce nouveau
mécanisme des Nations Unies est, de ce fait, né d'une
interprétation dynamique de la charte en vue de résoudre les
problèmes de la société internationale.
C'est dans cette logique qu'est née la première
opération de maintien de la paix. En effet, lors de la crise de suez, le
Conseil de sécurité de l'Onu avait été
empêché d'agir à cause des vétos français et
britannique, en raison de leur implication dans le conflit. C'est alors que
l'Assemblée Générale, par le biais de la procédure
« ACHESON »5, créa la FUNU I 6 (force
d'urgence des Nations Unies I) dans le but « d'assurer et de surveiller la
cessation des hostilités »7. Du fait de leur
succès réel ou supposé sur le terrain des
1Kouna Metala (L.M), Les opérations de
maintien de la paix et la condition du militaire, thèse pour le
doctorat de droit public, université de la Réunion - école
doctorale interdisciplinaire, 2003, p. 32
2 Boutros Ghali, « Introduction »,
Les Nation unies et les droits de l'homme (1945-1995), new York,
Département de l'information publique, collection « les livres
bleus », p.119
3Létourneau(C), « maintien de la paix
», Réseau francophone de recherche sur les opérations de
maintien de la paix, octobre 2010, p.
4Flory (M), « L'organisation des Nations Unies
et les opérations de maintien de la paix », /AFDI/ 1965
p.449
5Procédure permettant de saisir
l'Assemblée Générale des Nations Unies en cas de paralysie
du Conseil de Sécurité
6 Forces d'urgence des Nations unies I
7Résolution 998 du 4 novembre 1956
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conflits8, les opérations de maintien de la
paix se sont multipliées et diversifiées jusqu'à se hisser
aujourd'hui comme le mécanisme par excellence de l'ONU en matière
de règlement de conflits. Ce qui leur a valu, en 1988, le prix Nobel de
la paix.
Bien que des instruments normatifs de grande envergure
établissent des liens entre le maintien de la paix et les droits de
l'homme9, il faut dire que la question des droits de l'homme a
été absente lors de la création des opérations de
maintien de la paix. En effet, le Conseil de Sécurité de l'ONU
(organe principal chargé du maintien de la paix) n'a reçu aucun
mandat dans le domaine des droits de l'homme. La raison est que pendant
longtemps, les droits de l'homme ont été considérés
comme faisant partie du domaine réservé des États.
À titre illustratif, le refus de la proposition française
à la conférence de San Francisco est significatif. En effet la
France avait voulu que soit modérée l'interdiction d'intervenir
dans les affaires internes des États qui figure à l'article 2
paragraphe 7 de la Charte de l'ONU par l'apposition de la formule suivante :
« à moins que la violation manifeste des libertés
essentielles et des droits de l'homme ne constitue elle-même une menace
susceptible de compromettre la paix ». Malgré ces
réticences des États, les droits de l'homme ont fini par sortir
du domaine réservé des États10 pour
intégrer le champ des compétences du Conseil de
sécurité. Cette innovation dans le champ de compétence du
Conseil de Sécurité a été le fait de deux facteurs
sur lesquels il convient de s'appesantir. Il s'agit de la fin de la guerre
froide et de l'intégration des droits de l'homme dans tous les secteurs
d'activité de l'ONU.
Après la guerre froide, le Conseil de
Sécurité est passé d'une interprétation statique et
timide à une interprétation dynamique et audacieuse de la Charte.
L'on a assisté de ce fait à une sorte de surchauffe de la
sécurité collective11. C'est dans cette logique
dynamique que la notion de menace contre la paix s'est élargie
intégrant désormais les violations massives des droits de
l'homme. La consécration des violations des droits de l'homme comme
situation menaçant la paix et la sécurité s'est
cristallisée avec les crises somalienne et haïtienne. Dans la crise
somalienne, le Conseil de sécurité
8Booh (J. R), « Les opérations de
maintien de la paix en Afrique : vision d'un acteur de terrain » in
L'ONU vue d'Afrique, Jean Emmanuel Pondy (sous la direction de),
Maisonneuve et Larosse/Afredit, 2005, p.90
9 La charte des nations unies (art 1 p3, art 55) et
la Déclaration universelle des droits de l'homme (cf. préambule)
présentent le respect des droits de l'homme comme le fondement de la
paix dans le monde
10 Forteau(M), Daillier(P), Pellet(A), Droit
international Public, Paris, L.G.D.J, 8e édition, 2009,
p.488
11 Dupuy(P.M), « Sécurité
collective et organisation de la paix », RGDIP, A. Pedone, Tome
97/1993/3, p.617
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constate dans la résolution 746 (1992) que «
l'ampleur des souffrances infligées aux populations...constitue une
menace à la paix et à la sécurité internationales
». C'est la résolution 940 (1994) qui marque un tournant
décisif dans l'évolution du droit international. Dans cette
résolution, le Conseil de sécurité se dit «
gravement préoccupé par la détérioration de la
situation humanitaire qui empire à Haïti, en particulier par les
violations systématiques des libertés civiles commises par le
régime de facto illégal » et agit en vertu du chapitre
7 de la Charte pour maintenir un climat stable dans le pays.
Désormais, la notion de menace contre la paix ne
renvoie plus uniquement au risque de survenance d'un conflit armé
international, mais également aux violations massives des droits de
l'homme, à la détérioration de la situation humanitaire et
au flux des réfugiés. Comme l'a déclaré le
Président du Conseil de sécurité dans une
déclaration au nom des membres dudit conseil, « la paix et la
sécurité internationales ne découlent pas seulement de
l'absence de guerres ou de conflits armés. D'autres menaces de nature
non militaire à la paix et à la sécurité trouvent
leur source dans l'instabilité qui existe dans les domaines
économique, social, humanitaire et écologique. Tous les
États membres des Nations Unies doivent attacher la plus haute
priorité à la solution de ces problèmes
»12.
L'autre facteur ayant entrainé l'entrée des
droits de l'homme dans la sphère des compétences du Conseil de
sécurité est l'intégration des droits de l'homme dans tous
les programmes des Nations Unies. Dans son rapport sur la réforme de
l'Onu, l'ancien Secrétaire Général Koffi Annan
recommandait l'intégration des droits de l'homme dans les quatre
activités principales de l'Onu que sont la paix et la
sécurité internationales, le développement
économique et social, la coopération au développement et
l'action humanitaire13. Avec l'entrée des droits de l'homme
dans les compétences du Conseil de sécurité, les
opérations de maintien de la paix de l'après-guerre froide ont
connu un profond changement. Ces opérations ont quitté leur
aspect purement militaire pour embrasser des domaines tels que les processus
électoraux, les droits de l'homme et l'aide humanitaire14.
L'Onu s'engage désormais dans des opérations de « service
public »15,
12 Texte in RGDIP 1992 1) p.256 et s
13 Koffi Annan, Rénover l'Organisation des
Nations Unies. Un programme de réformes, A/15/90, 14 juillet 1997,
p.78
14 Rapport annuel du Secrétaire
Général des Nations Unies 1992
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faisant migrer la paix de la dimension militaire à la
dimension civile. Ainsi sont nées les opérations de maintien de
la paix de deuxième génération. Les
caractéristiques de ce type d'opération sont les suivantes :
elles se déroulent à l'intérieur des États, les
forces onusiennes peuvent user de la force pour mettre en oeuvre leur mandat,
elles sont généralement établies sur la base du chapitre 7
de la Charte portant sur les actions en cas de menace contre la paix, rupture
de la paix et acte d'agression. C'est avec les opérations de maintien de
la paix de deuxième génération que l'on va assister
à une véritable humanisation des actions du Conseil de
sécurité des Nations Unies. En effet, ces opérations font
des droits de l'homme et de la situation humanitaire une préoccupation.
Ce nouveau décor a pour point de départ l'ONUSAL16
(mission des Nations Unies en El Salvador en 1991). Cette mission avait
expressément un mandat dans le domaine des droits de l'homme. Ensuite ce
fût l'APRONUC (mission des Nations Unies au Cambodge de 1992), qui elle,
était dotée d'un organe spécialement chargé des
questions de droits de l'homme. Ces précédents ont conduit
à l'institutionnalisation de l'intégration des droits de l'homme
dans les opérations de maintien de la paix. D'où le choix de la
présente étude dont il convient dès lors de
préciser le cadre.
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