UNIVERSITE PARIS VIII
MEMOIRE DE MASTER II DROIT COMPARE SYSTEMES DE DROIT
CONTEMPORAINS ET DIVERSITE CULTURELLE
1
LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE ET
LES DROITS DES ETRANGERS
KONGA FRANCOIS
SOUS LA DIRECTION DU PROFESSEUR LAURENCE
DUBIN
2012-2013
Remerciements
2
Je tiens à remercier mes parents et toute ma famille pour
leur soutien indéfectible pendant toutes ces années
d'étude.
J'adresse également ma gratitude à mon
épouse OMOYI KONGA véronique pour son aide matérielle et
surtout sa patience et sa disponibilité.
Enfin, je souhaite exprimer toute ma gratitude envers mon
directeur de mémoire, Madame Laurence DUBIN pour m'avoir proposé
ce sujet de mémoire en accord avec mes aspirations, et pour ses conseils
avisés qui m'ont permis de mener à bien ce travail.
3
LEXIQUE
AFP: Agence France-Presse
CMU: Couverture maladie
universelle
CNDA: Cour nationale du droit
d'asile
CEDH: Cour européenne des droits
de l'homme
CJUE: Cour de justice de l'union
européen
CESEDA: Code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile
CPP: Code de procédure
pénale
DC: Décision
constitutionnelle
Déc.: Décision
DDHC: Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen
GAV: Garde à vue
HALDE: Haute autorité de lutte
contre les discriminations et les exclusions
JORF: Journal officiel de la
république française
OFPRA: Office français de
protection des réfugiés et apatrides
PACS: Pacte civil de
solidarité
PUF Presse universitaire
française
QPC: Question prioritaire de
constitutionnalité
RSA: Revenu de solidarité
active
RFDA: Revue française de droit
administratif
TMC: Tribunaux maritimes
commerciaux
4
INTRODUCTION
L'article 1 de la DDHC de 1789 dispose que «tous les
hommes naissent libres et égaux en droit» 1 .Cet article
consacre le principe d'égalité comme un des principes
fondamentaux établissant en France un État de droit.
L'égalité est affirmée en tant que principe
régissant les droits des citoyens et peut bénéficier
à l'étranger. Il reste que la notion de citoyen est une notion
exclusive qui permet de réserver certains droits aux nationaux .La
proclamation d'égalité formulée en1789 a eu du mal
à bénéficier aux étrangers. Le principe
d'égalité entre nationaux et étrangers peut être
tempéré par la possibilité reconnue par le Conseil
constitutionnel de contrôler l'entrée et la sortie des
étrangers. Ce tempérament apparaît dans la décision
du Conseil constitutionnel du 22janvier 1990 où le Conseil affirme que
«l'exclusion des étrangers résidant
régulièrement en France du bénéfice de l'allocation
vieillesse méconnaît le principe constitutionnel
d'égalité»2. Cette décision
était essentielle en ce qu'elle suspendait l'existence d'un principe
d'égalité entre nationaux à la régularité de
la situation de l'étranger.
La différence fondamentale, catégorielle, entre
l'étranger et le national, s'exprime tout particulièrement dans
sa décision de 1997 où le Conseil affirma qu'aucun principe non
plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux
étrangers des droits de caractère général et absolu
d'accès et de séjour sur le territoire national(Cons.const.,
déc.n°97-389 DC,22 avr.1997, préc.).Par suite, on voit
au titre de cette absence de droit au séjour des étrangers,
s'affirmer l'idée qu'il convient de distinguer entre le statut de
l'étranger qui a droit à rester sur le territoire(le
régulier) et celui à qui ce droit a été
dénié(l'irrégulier).La fonction exclusive de la
citoyenneté ne saurait néanmoins méconnaître les
droits fondamentaux qui sont reconnus aux étrangers soit par des normes
internationales soit par des normes constitutionnelles. Si le
législateur peut librement catégoriser des étrangers en
adoptant à l'égard de ceux qui sont présents sur le
territoire national des dispositions spécifiques, il doit justifier les
entorses au principe d'égalité; comme l'a rappelé le
Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 novembre 2007,
«le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le
législateur règle de manière différente des
situations différentes, ni à ce qu'il déroge à
l'égalité pour des raisons d'intérêt
général»3.
1F.MELIN-SOUCRAMANIEN «le principe
d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
,quelles perspectives pour la question prioritaire de
constitutionnalité», cahier du Conseil constitutionnel,
octobre 2010 n°29, p1.
2Décision n 89-269 DC du 22 janvier 1990.
3Décision n°2007-557 DC du 15novembre
2007, cons.8.
5
De 2003 à 2006 avec le CESEDA jusqu'à nos jours,
le train des réformes législatives en matière de droits
des étrangers fonctionne à plein régime. Ces
réformes marquent un tournant dans la politique migratoire
déjà contraignante aux populations étrangères.
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a constitué
une avancée considérable dans la conception de l'État de
droit. En instaurant la question prioritaire de constitutionnalité,
cette loi a introduit un nouvel article 61-1 dans la constitution permettant
à tout justiciable de contester la conformité d'une disposition
législative aux droits et libertés garantis par la constitution
à l'occasion d'un procès. Cette grande réforme instaure un
nouveau contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois et
offre une nouvelle voie de recours aux étrangers.
Il semble donc utile de s'interroger aujourd'hui à la
question de savoir si la QPC va marquer un réel tournant juridique dans
la reconnaissance des droits des étrangers?
Sans doute, la possibilité d'invoquer une QPC pour un
justiciable étranger lors d'un procès est-elle une avancée
certaine dans la reconnaissance de ses droits .Il reste que cette
avancée continue d'être tributaire d'une jurisprudence constante
selon laquelle il est toujours loisir au législateur d'apporter des
restrictions au principe d'égalité dès lors qu'elles sont
justifiées par la sauvegarde de l'intérêt
général ou de catégoriser les étrangers et d'user
ainsi de son pouvoir d'appréciation.
I. GRILLE CONCEPTUELLE
Plusieurs concepts seront mobilisés tout au long de ce
travail. Il conviendra de les définir pour éviter toute confusion
et d'indiquer dans quelles perspectives théoriques ils seront
utilisés dans le cadre de notre recherche.
A. DROIT DES ETRANGERS:
La discipline que l'on baptise droits des étrangers
résulte d'une division pratique dans l'enseignement juridique et dans la
pratique contentieuse. Elle recouvre l'ensemble des règles en vigueur
réunies destinées à appréhender le statut juridique
des personnes n'ayant pas la nationalité française. Le
contentieux des étrangers est le deuxième de la justice
administrative. Tout comme les règles relatives aux étrangers, le
contentieux des étrangers apparaît extrêmement
fragmenté. Pour une seule question, peuvent intervenir pas moins de
quatre juridictions4.La complexité des textes,
l'opacité des procédures, les
4.C.SAAS,«L'étranger et ses
juges»,Plein droit, 2012/3n°94, p.3-5.
6
différents moments de l'intervention juridictionnelle
contribuent à rendre difficile le dialogue entre les juges5.Le droit des
étrangers reste cependant principalement dominé par le droit
administratif qui assujettit la puissance publique à un ensemble des
règles placées sous le regard du Conseil d'État.
B. LA QPC:
L'existence d'un juge constitutionnel renvoie à une
conception structurelle de l'ordre juridique. Elle consacre la constitution
comme norme suprême. La loi n'est pas seulement valide parce qu'elle a
été adoptée par le parlement et selon la procédure
prévue par la constitution mais parce qu'elle peut être, dans
certaines conditions, invalidée si ses dispositions sont contraires
à la constitution. Le lien entre le droit des étrangers et le
juge constitutionnel dépend de l'existence ou non dans un ordre
donné, d'un contrôle de la constitutionnalité des lois et
bien sûr des normes de référence de nature
constitutionnelle.
En France, c'est la constitution de 1958 qui a investi le
Conseil constitutionnel du pouvoir de contrôler les lois avant leur
promulgation (contrôle a priori).La saisine du Conseil constitutionnel
relève de l'initiative de certaines autorités politiques,
élargie depuis 1974 à soixante députés ou soixante
sénateurs. Mais depuis 2008, sous la forme de QPC soulevée au
cours d'un procès par l'une des parties, une loi dont la
compatibilité avec les droits et libertés consacrés par la
constitution est contestée peut faire l'objet d'un contrôle du
Conseil constitutionnel. Ce nouveau droit reconnu aux justiciables par la
révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (article 61-1) est
entré en vigueur le 1er mars 2010.Il permet à tout justiciable de
contester devant le juge de son litige, la constitutionnalité d'une
disposition législative applicable à son affaire à
condition qu'elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la
constitution. Rien n'oblige le justiciable à poser la question mais une
fois la question posée, le juge doit répondre de manière
prioritaire. Il s'agit d'un moyen à l'appui d'une prétention qui
n'est pas d'ordre public et qui fait l'objet d'un contrôle
centralisé. Cette réforme modifie deux aspects importants dans le
contrôle de la constitutionnalité des lois, la saisine du Conseil
n'est plus réservée qu'aux autorités politiques, le
contrôle ne s'effectue plus seulement à priori mais
également a posteriori sur des textes législatifs
déjà entrés en vigueur.
Il reste que l'étranger est le grand absent du texte
constitutionnel français. Aucune disposition législative relative
à son statut juridique n'y figure. Les seules qui s'y
réfèrent sont un alinéa du préambule de 1946 et
l'article 53-1 du texte de 1958 relatif au droit
5Cahier de jurisprudence, Plein droit, n°92,
mars 2012, GISTI,«immigration, un régime pénal
d'exception», coll. Penser l'immigration autrement, 2012.
7
d'asile. Il semble dans ce cas difficile de concevoir une base
constitutionnelle du droit des étrangers en dehors du droit d'asile.
Cette absence de texte propre aux étrangers fait que les droits et
libertés des étrangers s'effacent derrière les principes
de sauvegarde de l'intérêt général.
Le statut des étrangers résulte cependant
également de textes internationaux à partir desquels la
conventionalité des lois peut être appréhendée. Il
reste que le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas les normes
internationales comme des normes de référence nécessaire
à l'exercice de son contrôle de constitutionnalité.
Cependant, les deux contrôles répondent à la même
logique: si le Conseil constitutionnel a le monopole de l'appréciation
de la constitutionnalité de la loi, la CJUE a celui d'apprécier
la validité du droit de l'union européenne. La QPC comme le
renvoi préjudiciel s'exerce lors d'un litige et supposent tous les deux
que la saisine du juge se fonde sur une question. La différence tient au
fait que c'est le juge qui actionne le renvoi préjudiciel alors qu'il ne
fait qu'examiner la recevabilité de la QPC et ne peut la soulever
l'office, seul le justiciable peut le faire. Dans le cadre de la question
préjudicielle, c'est le juge qui soulève l'incompatibilité
de la loi avec le droit de l'union et qui décidera ensuite de
l'écarter.
Dans les deux cas, ce sont les juges qui vont décider
de saisir la juridiction qui se prononcera, Conseil constitutionnel pour la QPC
et CJUE pour la question préjudicielle. Elles devront laisser
inappliquées les dispositions législatives inconstitutionnelles
et non conventionnelles. Toutefois, la dissemblance de ces deux contrôles
portent sur la nature de la question: la QPC et la question
préjudicielle n'ont pas le même objet. La première est
prioritaire, ce qui signifie qu'elle doit être traitée avant
toutes les autres. La décision de rendre la QPC prioritaire par rapport
à la question préjudicielle ou par rapport au contrôle de
conventionalité a été prise pour que le mécanisme
de la QPC ne souffre de la concurrence du contrôle de
conventionalité plus connu et appliqué plus
fréquemment.
La portée de la décision QPC a un effet
erga omnes c'est-à-dire que la
déclaration d'inconstitutionnalité vaudra pour tous puisque la
loi sera abrogée. Dans le cadre de recours préjudiciel, le juge
interne n'écarte le droit interne contraire au droit communautaire que
dans le cadre du litige dont il est saisi. Ainsi, la décision ne vaut
que pour les parties au litige, elle a un effet relatif, inter
partes. Cette même portée vaut aussi dans le cadre
du contrôle de conventionalité devant la CEDH dont la
décision vaut pour les parties qui l'ont saisie. L'émergence de
la QPC ne remet pas en cause la séparation de ces deux contrôles:
le contrôle de constitutionnalité des lois incombe au Conseil
constitutionnel et le contrôle de leur compatibilité avec les
engagements internationaux ou
8
européens de la France incombe aux juridictions
administratives et judiciaires.
Le mécanisme de la QPC ne fait pas obstacle à ce
que le juge saisi d'un litige dans lequel est invoqué
l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'union européenne
fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher
que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la
pleine efficacité des normes de l'union soient appliquées dans ce
litige. La transmission d'une QPC n'empêche pas les juridictions
administratives et judiciaires de saisir la CJUE d'une question
préjudicielle. Elle n'interdit pas non plus au justiciable de saisir les
juridictions européennes pour valoir ses droits.
L'absence des dispositions constitutionnelles précises
consacrant des droits et libertés au profit des étrangers
à l'aune desquelles, on pourrait confronter la loi contestée
pourrait expliquer le faible nombre des QPC traitées par le Conseil
constitutionnel. Depuis Mars 2010 jusqu'à mai 2013, on a recensé
29 décisions de non-renvoi des QPC relatives au droit des
étrangers, 22 décisions renvoyées au Conseil
constitutionnel dont 11 déclarées conformes, 7 non conformes et 4
conformité avec réserve6.On constatera que les seules
décisions d'inconstitutionnalité prononcées par le Conseil
constitutionnel ont porté sur des aspects de la condition des
étrangers totalement indépendantes des questions d'entré
et de séjour et cela dans des domaines spécifiques comme:
l'égalité successorale entre cohéritiers français
et étrangers, égalité entre titulaires français et
étrangers d'une pension civile ou militaire de retraite, la garde
à vue, l'allocation de reconnaissance, la carte du combattant, syndicat
sud AFP et la détention provisoire.
Les effets de ces décisions sont modulés
à une date fixée par le Conseil constitutionnel. On ne saurait
par ailleurs ignorer les difficultés pratiques à mobiliser la
procédure de la QPC dans un contentieux d'étrangers marqué
par des procédures d'urgence notamment en matière
d'éloignement. On ne saurait davantage encore ignorer le fait que nombre
des lois composant les droits des étrangers ont fait l'objet de
contrôle a priori. Cette hypothèse laisse peu de marge pour
l'étranger sauf dans l'hypothèse où un changement de
circonstance de droit ou de fait justifie le réexamen dans le cadre de
la QPC de la position adoptée par le Conseil constitutionnel lors de son
contrôle a priori.
Le juge constitutionnel, en interprétant le texte
constitutionnel dégage des principes généraux qui
restreignent assez peu l'appréciation du législateur. Il a
toujours estimé qu'il revenait au parlement de définir par la loi
les règles concernant la nationalité ou l'état des
personnes par exemple. La compétence pour mettre en oeuvre les
règles posées par le
6.www. conseil
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/français/les-décisions
QPC, 2013,p 1-13
9
parlement appartient par ailleurs au pouvoir réglementaire
qui échappe à son contrôle.
On constatera le peu d'affirmations de droits des
étrangers alors que le pouvoir législatif est enclin
régulièrement à définir des restrictions et des
obligations à leur égard. La vulnérabilité des
droits des étrangers pourra s'expliquer par la position
générale exprimée concernant l'entrée et le
séjour des étrangers. En effet, «Aucune
règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des
droits de caractère général et absolu d'accès et de
séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée
et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de
police administrative conférant à l'autorité publique des
pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques.
L'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de
la sauvegarde de l'ordre public qui est une exigence de valeur
constitutionnelle»7.Au regard des
décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel relatives aux
droits des étrangers, on a l'impression que le Conseil accompagne le
durcissement des positions législatives, ne censurant que très
peu d'entre elles et dont on peut se demander s'il ne sert pas qu'à
valider l'option envisagée d'avance par législateur.
C.L'ETRANGER:
Le juge constitutionnel saisit l'étranger dans
différents domaines. Les plus importants et fréquents concernent:
son entrée et son séjour, son éloignement, les actes
terroristes dont on le suspecte, sa vie familiale en lien avec ses conjoints et
descendants qui sont français ou étrangers8.
Les caractéristiques propres à l'étranger
(à l'exclusion de l'étranger communautaire) pour qui, les bases
de la construction européenne tendent à restreindre ou à
gommer la différence. La criminalisation et la stigmatisation que
l'étranger fait l'objet tant dans les discours politiques que les
médias audiovisuels ne participent pas à sa protection.
L'étranger désigné par «l'autre» fait peur, il
est dangereux, il est différent, il veut nous imposer ses modes de vie,
la polygamie, il est fraudeur, profiteur des avantages que procure la
solidarité nationale9.Même lorsque les droits sont
reconnus aux étrangers, le plus souvent le législateur est
habilité par le Conseil constitutionnel à les restreindre au nom
de la sauvegarde de l'ordre public.
A partir de là, il doit être surveillé,
«autorisé à».L'étranger est
soupçonné en permanence
7DC n°2011-631 du 9juin 2011.
8.M. ERIC,«la constitution ignore les
étrangers», plein droit, 2012/3 n°94, p. 14-17.
9.Ibid, « la constitution ignore les étrangers
»,Plein droit, 2012/3 n°94,p.14-17.
10
d'être soit un danger potentiel, soit un tricheur. La
pénalisation même de l'entrée et du séjour
irrégulier participe de cela. Même si des droits lui sont reconnus
à l'égal du national, la suspicion ne disparaît pas au nom
de la sauvegarde de l'ordre public et de la protection de la santé
publique. De même, le mariage avec un national est toujours
suspecté d'être une fraude à l'acquisition de la
nationalité ou au droit au séjour. La perception négative
de l'étranger est indifférente de sa catégorie
constitutionnelle. Objet de la police lorsqu'il est irrégulier,
l'étranger renvoie à des catégories juridiques
malléables. Il est diversement perçu tantôt comme
indésirable, un non citoyen ou un besoin selon le moment. On peut de
lors se demander si la vocation de l'étranger pour demeurer sur le
territoire national et bénéficier des droits effectifs et
constitutionnellement garantis ne serait pas de devenir français.
II. HYPOTHESES ET PROBLEMATIQUE:
L'étude des précédents concepts nous a
permis de saisir les enjeux de cette nouvelle procédure mise en place au
profit des justiciables depuis mars 2010. Les développements
récents ont montré qu'un mécanisme de droit est en marche.
La QPC va contribuer à renforcer l'État de droit et la protection
des droits et libertés des citoyens. L'avènement de la QPC dans
le domaine de droit des étrangers permettra de faire disparaître
de l'ordre juridique interne des dispositions manifestement discriminatoires
à leur égard. Il s'agira donc, dans notre étude de
s'interroger sur la question de savoir si l'avènement de la QPC renforce
réellement la protection des droits des étrangers. En quoi elle
représente une avancée pour les étrangers en
matière de leur droit, est-ce une révolution ou simple
évolution dans le paysage juridique français?
III. DEMARCHE METHODOLOGIQUE:
Au service de cette problématique, la démarche
de ce présent mémoire s'est fondée sur les méthodes
des sciences sociales. Dans un premier temps, le travail s'est limité
à l'exploitation des ressources documentaires afin de cadrer
l'étude, d'engager la réflexion sur le sujet. Les documents
exploités relèvent de la littérature juridique classique
relative aux droits des étrangers: ouvrages, revues, thèse,
textes réglementaires, discours officiels, articles des droits portant
sur la QPC et droits des étrangers.
L'exploitation des ressources documentaires a permis
d'identifier avec précision les enjeux soulevés par la nouvelle
procédure. Les prérogatives nouvelles qu'elle reconnaît
à
11
l'étranger, sa compatibilité avec le droit
européen et ses implications quant à son articulation avec le
temps propre à la défense des droits de
l'étranger(l'absence d'effet suspensif et rétroactif de la QPC et
la garantie des droits acquis en cas d'abrogation de la disposition
litigieuse).Cette étape a constitué un préalable
nécessaire au travail qui s'en est suivi. Dans un second temps, une
démarche complémentaire a été adoptée par le
biais d'un entretien sociologique avec les acteurs clés de la
procédure(essentiellement des avocats spécialisés dans la
défense des droits des étrangers).Cet entretien m'a permis aussi
de saisir les impressions, les sentiments, les expériences des
spécialistes des droits des étrangers et parfois leur
réserve quant à l'efficacité de la procédure au
profit des étrangers.
La subjectivité et l'intuition nourrissent le travail
du chercheur. Elles apportent certes, une vision partiale et partielle mais
croisée à d'autres regards subjectifs, elles permettent de mieux
saisir les réalités qui traversent l'objet d'étude. Les
entretiens ont été menés à partir d'un
questionnaire, sous forme semi-directive. Basés sur un nombre restreint
des questions ouvertes, regroupées en deux ou trois thèmes
centraux, ils ont laissé une part de liberté aux interlocuteurs
dans la description de leur récit. Il convenait d'éviter qu'ils
ne s'égarent dans le récit de leurs expériences, sous
peine de récolter des informations peu pertinentes pour notre sujet.
Il convient de préciser que ce travail ne saurait
prétendre à l'exemplarité. Des contraintes ont
inévitablement influencé ma réflexion tout au long de
l'étude. Elles ont été de deux ordres. Tout d'abord, d'un
point de vue méthodologique, pour le regard novice de l'observateur, la
démarche scientifique reste en effet une technique nouvelle à
acquérir au gré des expériences. Le jeune chercheur doit
faire face aux difficultés d'une démarche qu'il doit apprivoiser.
Les expériences de terrain, bien qu'envisagées sous un oeil
critique et objectif auront donc forcément comporté des parts
d'ombre. La période de retranscription des entretiens a
été une occasion pour saisir la maladresse de certains
commentaires, questions ou réactions de mes interlocuteurs. Cette
recherche est une expérience enrichissante pour comprendre les
écueils de la démarche sociologique et constitue une base solide
pour la réalisation d'études futures dans le cadre universitaire
ou professionnel.
Du point de vu pratique, compte tenu du temps imparti pour le
travail, peu d'avocats ont été disponibles pour répondre
à notre questionnaire. Un choix a été fait de se contenter
des réponses obtenues auprès de ceux qui ont accepté de
nous accorder un peu de leur temps. Le fait que je devais travailler pour
subvenir aux besoins de ma famille n'a pas
12
facilité les choses dans le sens souhaité.
Afin d'étudier la QPC et les droits des
étrangers, notre recherche comportera deux parties. Il conviendra de
s'intéresser dans un premier temps aux stratégies
utilisées par les juridictions suprêmes quant à
l'appréciation des conditions de recevabilité de la QPC et son
renvoi au Conseil constitutionnel. Et d'envisager dans un second temps la
complémentarité de la QPC au contrôle a priori des lois
dans la protection des droits des étrangers.
PARTIE I: la stratégie juridictionnelle du
Conseil d'État et de la Cour de cassation dans l'appréciation des
conditions posées a
Le contrôle de la constitutionnalité10
des lois reste le monopole du Conseil constitutionnel. L'avènement de la
QPC depuis la révision constitutionnelle de 2008 et sa mise en
application le 01 mars 2010 ont associé la Cour de Cassation et le
Conseil d'État à ce contrôle.
Ces derniers participent à l'identification des droits
et libertés invocables à l'appui de la QPC. Ils apprécient
si la disposition législative contestée peut faire l'objet d'une
QPC en tenant compte de son applicabilité au litige que de sa
déclaration préalable de conformité à la
constitution. En réalisant ce pré contrôle, ils sont
devenus des juges constitutionnels bien que limités par leurs fonctions
de filtre. Aux termes de l'article 23-2 de la loi organique
«la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie des moyens
contestant la conformité d'une disposition législative d'une
part, aux droits et libertés garantis par la constitution et, d'autre
part, aux engagements internationaux de la France se prononcer par
priorité sur la transmission de la QPC au Conseil d'État ou
à la Cour de cassation»11.
Cette obligation de priorité ne vaut que lorsque le
justiciable soulève devant le juge deux moyens: celui de la
non-conformité à la constitution d'une disposition
législative et celui de non-conformité à un traité
international. Il appartient au juge de vérifier la cohérence de
la disposition législative du droit interne contestée au regard
de la norme de référence interne qui lui est supérieure,
la constitution. Le souci du constituant dans les débats parlementaires
était d'assurer le plein effet à la primauté de la
constitution dans l'ordre
10 D. ROUSSEAU, le contentieux constitutionnel , 9e
éd, Montchrestien Lextenso , 2010 , p.255.
11La loi organique n°2009-1523 du10
décembre 2009 relative à l'application de l'article61-1de la
constitution.
13
interne en faisant de la question de constitutionnalité
de la loi une question prioritaire par opposition à la question
préjudicielle. Le mécanisme instauré par la loi organique
relative à la saisine du Conseil constitutionnel sur le fondement de
l'article 61-1 de la constitution fait participer les deux juridictions
suprêmes au procès constitutionnel en leur assignant une mission
bien définie. Ce mécanisme original de contrôle
répressif des lois et respectueux de l'organisation juridictionnelle
repose sur un double filtrage juridictionnel et sur une limitation de l'objet
de la question prioritaire de constitutionnalité.
S'agissant de la question de l'étranger, sujet de notre
recherche, le constituant organique l'a ignoré complètement, les
débats parlementaires n'évoquant jamais, l'étranger. Il
est apparu dans le débat au détour d'une déduction sur le
«tout justiciable».
La question de l'étranger a toujours été
associée à des considérations d'ordre public. Il est le
grand absent du texte constitutionnel. On peut penser que cette
procédure de la QPC n'avait pas vocation à protéger les
droits des étrangers à l'origine, catégorie des
justiciables qui représente pourtant la majorité des contentieux
administratifs derrière le contentieux fiscal. Quant au pouvoir
d'appréciation des conditions de recevabilité que leur
reconnaît la loi organique, on peut dire comme l'a écrit le
Professeur Bertrand Mathieu, que dans son office «le Conseil
d'État tend à devenir le juge de droit commun de la
constitutionnalité de la loi»12 dans la mesure où
l'appréciation du caractère sérieux de la question qu'il
réalise suppose un véritable contrôle de
constitutionnalité.
La motivation de la décision est plus
étoffée lorsque le juge du filtre décide de ne pas
transmettre la question au Conseil constitutionnel, l'arrêt
DIAKITE13 du 16 juin 2010 dans lequel le Conseil d'État
refuse de renvoyer une QPC au motif que la loi porte sur une disposition
déjà contrôlée par le Conseil constitutionnel est
une illustration.
Il arrive que le Conseil d'État s'approprie même
les motivations et les raisonnements du Conseil constitutionnel se comportant
ainsi comme juge constitutionnel.
Ce filtrage permet d'éviter l'encombrement de la
juridiction constitutionnelle et des conséquences inévitables tel
que:«l'allongement des instances juridictionnelles, ainsi la saisine
du Conseil constitutionnel par les juges du filtre(Conseil d'État et
Cour de cassation) plutôt que par les juridictions du droit commun
conduit à la centralisation des demandes, à l'unification plus
rapide de l'interprétation de la règle de droit au sein de
l'ordre juridictionnel et ainsi épargner le Conseil constitutionnel
d'être assailli de recours
12B.MATHIEU, « neuf mois de jurisprudence
relative à la QPC. Un bilan»,pouvoir, n°137, 2011,p58 13C
E 16juin 2010 Mme Diakité , n°340250 , publié au Recueil
Lebon.
14
dommageables à l'accomplissement de ses autres
missions pour lesquelles un délai de jugement s'impose à
lui»14.
De l'appréciation des conditions de renvoi de la
question par les juridictions suprêmes au Conseil constitutionnel
découle deux solutions. Si la question remplit les trois conditions
cumulatives (être applicable au litige, pas avoir été
déclarée conforme à la constitution dans les motifs et
dispositifs sauf changement de circonstance de droit ou de fait, et
revêtir un caractère sérieux ou nouveaux), elle est
renvoyée au Conseil. A l'inverse, si l'une de ces conditions n'est pas
remplie, la question n'est pas renvoyée.
Par changement des circonstances de droit, on entend tout
changement dans la configuration juridique constituée au moment de la
décision du Conseil rendue au titre d'une révision
constitutionnelle ou du contrôle a priori des lois.
Une jurisprudence constitutionnelle ayant dégagé
de nouveaux principes constitutionnels postérieurs à la
décision du Conseil constitue un changement de circonstance de droit.
Comme le principe constitutionnel de la dignité de la personne humaine
depuis 1994, la liberté contractuelle en 1998 peut conduire à
réexaminer toute disposition législative contrôlée
avant la constitutionnalisation de ces principes.
La disposition législative elle-même dès
lors qu'elle a été modifiée depuis son contrôle a
priori constitue un changement de circonstance de droit justifiant
réexamen. La Cour de cassation dans son arrêt du 16 avril
201015 a retenu une conception plus large de changement de
circonstance de droit en admettant que l'adoption du traité de Lisbonne
en 2007 s'inscrit dans la logique développée ci-haut. Le
requérant soutenait que l'article 78-4 CPP autorisant le contrôle
d'identité à l'intérieur d'une portion de territoire
national comprise entre la frontière terrestre et une ligne
tracée à 20km en deçà était contraire au
principe communautaire de libre circulation constitutionnalisé par le
biais de l'article 88-1 de la constitution. Le Conseil constitutionnel a
déclaré l'article 78-4 conforme à la constitution dans sa
décision du 5 août 1993, on attendait une déclaration
d'irrecevabilité de la Cour pour ce motif mais elle a
considéré que l'introduction du traité de Lisbonne a
constitué un changement de circonstance de droit depuis la
décision du Conseil de 1993.
Le changement de circonstance de fait renvoie, pour sa part,
à des modifications importantes des données de fait
indépendantes de la volonté du législateur. Elles
peuvent
14P.JAN, le procès constitutionnel, LGDJ,
lextenso, éd. 2010, p.98.
15Cass, QPC, 16 avril , Melki et Abdeli ,
n°10-40.001;GAUTIER ( M), « la question de
constitutionnalité peut-elle rester prioritaire?», RFDA 2010 ,p449
et « QPC et droit communautaire.une tragédie en cinq actes
»,Dr.adm 2010, chron. N°19 .
15
être économiques, sociologiques, technologiques
et ne pouvaient avoir été anticipées par le
législateur. Cette possibilité de réexamen de la
constitutionnalité de la loi accorde aux juges (ordinaires et
constitutionnels) le pouvoir d'apprécier l'adéquation d'une loi
à son époque et de la déclarer contraire à la
constitution.
Il semble que la logique de changement de circonstance peut
être considérée comme attentatoire au principe de
sécurité juridique comme l'a affirmé le Professeur
Dominique Rousseau. Elle permet, en effet, un réexamen permanent de la
constitutionnalité des lois et reconnaît aux juges le pouvoir de
décider de l'adéquation d'une loi à son époque.
Dans sa décision 2010- 14/22 QPC du 30 juillet
201016, le Conseil juge que dans sa décision du 11 Août
1993, il avait déclaré conforme à la constitution les
dispositions relatives au droit commun de la garde à vue.
«Depuis 1993, certaines modifications des
règles de la procédure pénale ainsi que des changements
dans les conditions de sa mise en oeuvre ont conduit au recours de plus en plus
fréquent à la garde à vue et modifié
l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de
procédure pénale. Il conclut que ces évolutions ont
contribué à banaliser le recours à la garde à vue,
y compris pour les infractions mineures. Qu'elles ont renforcé
l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution
des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause
est jugée. Ces modifications des circonstances de droit et de fait ont
justifié un réexamen de la
constitutionnalité»17 du régime commun de la
garde à vue. Et ce réexamen a abouti à la censure de ce
régime.
S'agissant du caractère sérieux ou nouveau de la
question, l'objectif poursuivi par les juridictions est d'écarter les
demandes fantaisistes, infondées et présentant un
caractère dilatoire. Si les conditions sont remplies, la question est
transmise au Conseil constitutionnel pour constater sa
constitutionnalité ou non, soit qu'elle ne les remplit pas et dans ce
cas précis une décision de refus de transmission de la question
est prise mais motivée.
Le justiciable ne peut faire recours immédiatement, il
doit attendre le jugement au fond de l'affaire et faire appel du jugement tout
en annexant à cet appel au fond l'appel contre le refus de transmission
de la QPC.
Dans cette hypothèse, il doit présenter dans un
écrit distinct les conclusions au fond et
16Déc.n°2010.-14/22QPC du 30
juillet2010 M. Daniel W.et autres ( Garde -à vue), Recueil, p179 J O du
31 juillet 2010 p.14198.
17DC n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010.
16
celles portant sur la QPC. En cas de rejet de la QPC, le
procès continue mais en cas de transmission de la question au Conseil
d'État ou à la Cour de cassation, la juridiction sursoit à
statuer jusqu'à réception de la décision de la juridiction
suprême saisie. Si le Conseil constitutionnel est saisi, le procès
au fond est suspendu jusqu'à la fin du procès constitutionnel
dont l'issue commande la reprise ou non du procès au fond.
La transmission de la QPC au Conseil constitutionnel et la
reconnaissance effective des droits des étrangers dépendent de
l'appréciation des conditions par les juridictions
suprêmes.(chapitre I) et de la jurisprudence du Conseil au regard de ses
deux contrôles(chapitre II).
CHAPITRE I: L'appréciation des conditions de
transmission de la question au Conseil constitutionnel et sa portée
pour les étrangers.
Les juridictions suprêmes ont pour fonction de filtre.
Elles vérifient que la QPC transmise par les juridictions
inférieures remplit les conditions cumulatives fixées par la loi
organique du 10 décembre 2009.Selon l'amplitude du filtre, la question
peut bénéficier soit d'un renvoi devant le Conseil, soit d'un
refus de transmission.
La question peut -être soulevée par toute partie
au cours de toute instance et devant toute juridiction qu'elle relève du
Conseil d'État ou de la Cour de Cassation. Toute question posée
en dehors d'une instance ou portant sur une autre disposition que
législative sera déclarée irrecevable.
Les juridictions suprêmes vont se limiter uniquement
à vérifier que les dispositions litigieuses concernent les droits
et libertés protégés par la constitution. Sont donc
exclues en principe les questions de procédure et de compétence,
les dispositions réglementaires ou conventionnelles. Il convient donc de
signaler que rien n'oblige les juges de filtre à transmettre la QPC au
Conseil constitutionnel. La transmission de la question dépend de
l'interprétation et de l'appréciation qu'ils se font des
conditions cumulatives. Dans ce cas, les juridictions suprêmes risquent
de constituer un obstacle pour les justiciables car le renvoi de la question au
Conseil dépend de leur bon vouloir. On pourrait se poser la question si
le mécanisme de filtrage des QPC ne va pas constituer un frein à
l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en
matière des droits fondamentaux?
Devant les juridictions suprêmes, le moyen tiré
de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés garantis est, à peine d'irrecevabilité,
présenté dans un écrit distinct et motivé. Le juge
du filtre doit vérifier l'argumentation spécifique de la QPC,
ses
17
motivations pour éviter des questions dilatoires.
La question de l'étranger et sa place dans ce nouveau
dispositif juridictionnel semblent n' avoir pas intéressé le
législateur organique. On aurait pensé que la QPC n'a pas pour
vocation à protéger les droits de l'étranger qui, au
demeurant sont ignorés par le texte constitutionnel sauf lorsqu'ils sont
demandeurs d'asile. Ils sont inclus en tant que justiciables
conformément à l'article 61-1 de la constitution. Ainsi, tout
justiciable peut, à l'occasion d'une instance en cours soulever qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que
la constitution garantit.
La formulation par «tout justiciable»
18 , inclut tant les nationaux que les étrangers.
L'étranger se voit reconnaître un statut de justiciable, ce qui
constitue une avancée remarquable dans le procès constitutionnel.
La constitution est aux mains de tous, elle est devenue une chose commune. Mais
au delà des effets attendus par les justiciables, signalons comme l'a
affirmé JAN(P):«que cette procédure juridictionnelle
crée des liens directs entre les individus et la constitution, purge
l'ordre constitutionnel des dispositions inconstitutionnelles et assure la
prééminence de la constitution dans l'ordre juridique
interne»19.Cette procédure de QPC permet aux
citoyens de faire valoir les droits et libertés qu'ils tirent de la
constitution.
La constitution par le biais de la QPC est devenue une
nouvelle voie de recours pour l'étranger, il est reconnu sujet de droit
(section1) dont les juridictions suprêmes participent à sa
protection (section 2).
Section1 La reconnaissance de l'étranger en tant
que sujet de droit.
Pour qu'un justiciable soutienne qu'une disposition
législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la
constitution, non seulement cette question ne doit être soulevée
qu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction mais que
la question posée devint remplir les conditions de recevabilité
fixées par le constituant. Il doit aussi respecter les normes
constitutionnelles invocables (droits et libertés constitutionnellement
garantis).
Même si le texte ne le dit pas expressément,
l'étranger est concerné par ce nouveau dispositif instauré
depuis 2008 par le seul fait qu'il est justiciable comme les autres et doit de
ce fait, bénéficier cette protection constitutionnelle.
L'étranger peut comme tous les justiciables soutenir à l'occasion
d'une instance qu'une disposition législative viole les
18CC, 3décembre 2009,loi organique relative
à l'application de l'article61-1 de la constitution, n°2009-595.
19.P.JAN, op,cit. 2010, p 98.
18
droits et libertés que la constitution garantit et
demander son abrogation. De ce fait, non seulement il est
justiciable(A) mais qu'il est détenteur d'un patrimoine
des droits fondamentaux (B).
A. Étranger comme justiciable.
L'article 61-1 de la constitution donne au justiciable le
droit de soulever une question de constitutionnalité devant le juge
ordinaire à l'occasion d'un procès. Il n'accorde pas ce pouvoir
aux citoyens de saisir directement le Conseil constitutionnel autrement dit la
constitutionnalité d'une loi ne peut-être contestée que
lors de son application contentieuse à un cas particulier. Seul le
justiciable dispose de ce pouvoir, or la catégorie de justiciable est
plus large que celle de citoyen parce qu'il comprend toute partie en instance,
non seulement les personnes physiques de nationalité française
mais également les étrangers réguliers et
irréguliers, les personnes morales de droit privé ou public, les
associations, les syndicats, les tiers intervenant au litige opposant deux
parties. Il exclu le juge qui ne peut pas soulever cette question d'office.
L'étranger peut utiliser ce pouvoir devant n'importe quelle juridiction
et à n'importe quel moment de la procédure juridictionnelle en
cours. La loi organique prévoit, la QPC peut être soulevée
devant toute juridiction relevant du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation couvrant ainsi toute juridiction de droit commun ou
spécialisée.
Sont exclus du champ de la QPC: les instances arbitrales, le
tribunal de conflit, les autorités administratives indépendantes,
les cours d'assises.
L'étranger peut soulever la QPC à l'encontre de
toute disposition législative sans restriction temporelle,
matérielle ou formelle et quelque soit sa date d'adoption, son contenu.
Toute disposition législative peut faire l'objet d'une QPC par tout
justiciable étranger régulier ou non, il s'agit de l'inclusion de
l'étranger dans la procédure de la QPC.
B. Étranger, comme détenteur d'un patrimoine
des droits et libertés fondamentaux.
Dans la perspective de la reconnaissance des droits aux
étrangers, la décision du Conseil constitutionnel du 13
août 1993( censurant la loi Pasqua ) énonce les principes
essentiels d'un statut constitutionnel des étrangers: «le
législateur doit respecter les libertés et les droits
fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui
résident sur le territoire de la
République»20.On peut déduire qu'en
reconnaissant aux étrangers des droits et libertés
élevés au rang constitutionnel, ce mouvement de
constitutionnalisation a
20.DC n°93-1027 du 24 août 1993 JO
n°200 du 29août 1993.
19
transformé leur nature pour les rendre moins
étrangers et plus français.
La reconnaissance des droits fondamentaux aux étrangers
permet d'observer la relation entre l'État et cette catégorie.
Elle se situe à la rencontre de deux logiques qui imprègnent le
statut des étrangers :l a logique de la souveraineté et celle des
droits fondamentaux. Ces droits relèvent de la sphère
individuelle en opposition au pouvoir des autorités publiques. Il peut
s'agir des droits-libertés (§1)ou des
droits-créances(§2) que nous analyserons plus
précisément encore dans la deuxième partie de notre
travail relative à la question de la protection sociale des
étrangers.
Il convient de signaler que certains droits fondamentaux que
le législateur est tenu de respecter lorsqu'il institue une
procédure d'éloignement des étrangers irréguliers
peuvent conduire l'autorité à annuler la mesure administrative.
Ils constituent de véritables obstacles à l'éloignement de
ces derniers. Comme l'a affirmé Olivier LECUCQ: il n'est plus question
de limiter le pouvoir de procéder à leur éloignement mais
l'interdire. Ces droits fondamentaux dont il s'agit concernent une
catégorie limitée des étrangers: les étrangers en
situation irrégulière, les combattants de la liberté, les
membres de famille et les individus en situation précaire en raison de
leur état de santé. Il faudra donc conjuguer cette
catégorie avec non seulement le droit de mener une vie
familiale normale mais aussi le droit d'asile et les droits de la
défense.
§ 1. LES DROITS-LIBERTES.
Contrairement aux droits-créances ou «droits
à» qui nécessitent l'intervention de l'État sous
forme d'action ou de prestations sociales, les droits-libertés ou
«droits de» impliquent son abstention.
1.Le droit d'asile.
Le droit d'asile a été proclamé par
l'alinéa 4 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946.Ce
préambule fait parti de bloc de constitutionnalité. A partir de
là, sa valeur constitutionnelle ne fait aucun doute et la qualité
d'étranger irrégulier ne constitue pas non plus un obstacle au
bénéfice de ce droit.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12-13
août 1993 a affirmé que les étrangers pouvaient se
prévaloir du droit reconnu par l'alinéa 4 qui est propre à
certains d'entre eux aussi, dès lors que l'irrégulier est un
combattant de la liberté, il a droit à l'asile en France. C'est
ainsi que l'étranger est devenu un protégé
constitutionnel.
20
Il s'agit ici d'un asile Constitutionnel par opposition
à l'asile conventionnel réservé aux étrangers
appelés demandeurs d'asile sollicitant le statut de
réfugié sur le fondement de la convention de Genève de
1951.
La révision constitutionnelle du 25 novembre 1993 a
restreint l'exercice de l'asile constitutionnel. Elle rappelle que la
convention de Dublin permet de refuser d'examiner la demande d'un
étranger fondée sur la Convention de Genève. Elle permet
de le renvoyer vers le pays qui a laissé entrer volontairement ou non
celui-ci dans son territoire. Ce pays devient responsable du traitement de sa
demande d'asile.
Dans sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997: la
constitution et les fichiers, le Conseil constitutionnel a confirmé que
le droit d'asile prévu au 4ealinéa du préambule
de la constitution de 1946 était une «exigence
constitutionnelle» 21 dont les étrangers ne doivent pas
être légalement privés. Or une disposition relative
à la consultation des fichiers des empreintes digitales des demandeurs
d'asile devint permettre aux policiers d'accéder à ces fichiers.
Le Conseil a estimé que le caractère confidentiel de ces fichiers
gardés par l'OFPRA est une garantie essentielle du droit d'asile. Un
principe de valeur constitutionnelle qui suppose que les étrangers
bénéficient d'une protection particulière empêchant
aux policiers de consulter ces fichiers.
Comme l'a affirmé AUBIN (E), «le droit des
étrangers est un droit inconstant prisonnier de ses obsessions
sécuritaires»22.Un étranger pourrait se voir refuser le
renouvellement de plein droit de sa carte de séjour pour menace à
l'ordre public ou être exclut du bénéfice de la protection
subsidiaire s'il a commis des crimes graves de droit commun ou lorsqu'il se
livre aux activités menaçant l'ordre public.
Dans sa décision QPC n° 2010-79 du 17
Décembre 2010, Kamel D.(transposition d'une directive), dans cette
affaire, la CNDA refusant d'accorder la protection subsidiaire en application
de la clause d'exclusion. Le requérant soutenait que les dispositions de
l'article L.712-2 du CESEDA méconnaissait le principe de la
dignité humaine et l'article 66-1 de la constitution aux termes duquel:
«nul ne peut être condamné à la peine de
mort».
Le Conseil constitutionnel réaffirme sa jurisprudence
IVG de 1975 selon laquelle il ne lui appartient pas de contrôler la
constitutionnalité de la loi aux stipulations d'un traité ou
accords internationaux. Le Conseil a décliné l'examen de la
question au motif que les dispositions contestées se bornent à
tirer les conséquences nécessaires des dispositions
21Décision n 97-389 DC du 22 avril 1997.
22.E.AUBIN, Droit des étrangers, 2è
éd. Gualino Lextens nov.2011, p.124.
21
inconditionnelles et précises de la directive du 29
avril 2004 qui ne mettent en cause aucune règle, ni aucun principe
inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Le
Conseil va prononcer un non-lieu à statuer sur la QPC.
En tant que principe de valeur constitutionnelle, le respect
de droit d'asile implique que l'étranger qui se réclame de ce
droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire
jusqu'à ce que sa demande ait été
statuée23.
Il bénéficie de ce fait du principe coutumier de
non refoulement sous réserve de la conciliation de cette exigence avec
la sauvegarde de l'ordre public. Le Conseil juge «s'agissant d'un
droit fondamental dont la reconnaissance détermine l'exercice par les
personnes des droits et libertés reconnus de façon
générale aux étrangers résidant dans le territoire
par la constitution, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en
vu de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou
principe de valeur constitutionnelle»24.
La décision 2011-120 QPC M. Ismaël
A25.(recours devant la Cour nationale du droit d'asile) illustre
parfaitement l'interprétation restrictive de changement de circonstance
par le Conseil constitutionnel. Dans cette décision, le Conseil
écarte une QPC transmise par la Cour de cassation relative à
l'absence de caractère suspensif du recours devant la CNDA pour les
demandeurs placés en procédure prioritaire. Dans sa
décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel avait admis
que le législateur pouvait ne pas reconnaître au requérant
le droit au maintien sur le territoire français pendant l'examen de son
recours, dès lors que cet examen était garanti. Mais la CNDA
avait, en avril 2009, opéré un revirement de jurisprudence en
admettant l'interruption de l'instruction du recours en cas de renvoi du
demandeur. Le changement de circonstance n'étant pas constitué a
répondu le Conseil constitutionnel, dès lors que la jurisprudence
dégagée par la CNDA n'a pas été soumise au Conseil
d'État à qui, il revient de s'assurer qu'elle garantit ou non le
droit au recours.
L'admission au séjour accordée à
l'étranger demandeur d'asile doit lui permettre d'exercer les droits de
la défense qui constitue pour toute personne quelque soit sa
nationalité: Française, étrangère ou apatride un
droit fondamental.
Notons que la notion d'appartenance au groupe social comme
motif de persécution est au
23.A.TOPPINO, Les droits des étrangers,2e
éd. ESF éditeur, 2009, p.35. 24Ibid relatif à
la décision du Conseil constitutionnel du 12-13août 1993.
25.Décision n° 2011 -120 QPC 8 avril 2011 .
22
coeur des progrès réalisés en faveur des
étrangers. En ce sens que cette notion a permis la protection des
étrangers en raison de leur refus de se soumettre à une certaine
norme sociale(cas des homosexuels).Aussi, la qualité de
réfugié peut être reconnue aux femmes
persécutées en raison de leur refus de se soumettre à des
violences spécifiques (cas des mutilations génitales ou mariage
forcé)26.Ce droit est mixte appartenant à la fois
à la catégorie des droits-libertés et des
droits-créances.
2.Les droits de la défense.
Érigés en principe fondamental reconnu par les
lois de la république par le juge constitutionnel dans sa
décision du 2 décembre 1976, les droits de la défense sont
déterminants à la garantie d'une bonne administration de la
justice. Personne ne doit être condamnée sans avoir
été interpellée et mis en demeure de se défendre
avait affirmé la Cour de cassation dès 1828.
En droit administratif, depuis l'arrêt du Conseil
d'État Aramu de 1945, les droits de la défense ont
été consacrés en tant que principe général
de droit liant l'administration sous le regard du juge administratif. On peut
penser que le juge constitutionnel fait référence à ce
principe général de droit lorsqu'il affirme que le principe
constitutionnel du droit de la défense s'impose à
l'autorité administrative sans qu'il soit besoin pour le
législateur d'en rappeler l'existence.
Ce principe de droit à la défense est
inspiré de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne
pour la sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales
relatif aux droits à un procès équitable. Les
étrangers irréguliers qui constituent la catégorie
destinataire de ces droits ne cessent de l'invoquer. Le juge constitutionnel,
dans certaines décisions antérieures reste vigilant à
l'égard du respect des droits de la défense et cela
indépendamment de la nationalité de la personne
concernée.
Ce droit permet aux étrangers et personnes
concernées par des mesures administratives (de rétention
administrative, reconduite à la frontière, garde à vue) de
demander un interprète, un avocat dès le début du
maintien. Tout cela participe selon le juge constitutionnel de la lutte contre
l'arbitraire d'un internement parce qu'il permet à l'étranger
maintenu de présenter ses moyens de défense.
26.V.FRAISSINIER-AMIOT,« les homosexuels
étrangers et droit d'asile en France » n°2 du 9 septembre
2011, RFDA , p 291.
23
C'est au regard des droits de la défense que le
régime de la garde à vue a été censuré par
le Conseil constitutionnel. Dans sa décision 2010-14/22 QPC, Le
requérant soutenait que le régime portait atteinte à
l'article 6 § 1 de la CEDH et au principe constitutionnel de la
dignité humaine. La CJUE a sanctionné plusieurs fois la France
dans ses arrêts Medvedieuv C/ France du 29 mars 2010 et BRUSCO C/France
du 14 octobre 2010 pour absence d'avocat. Ainsi, le Conseil constitutionnel
dans sa décision du 28 juillet 1989 a précisé:«
le principe du respect des droits de la défense constitue un des
principes fondamentaux reconnus par les lois de la république
réaffirmés par le préambule de la constitution de 1946
auquel se réfère le préambule de la constitution de
1958» et «implique notamment en matière pénale
l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant
l'équilibre des droits des parties»27.
Le respect des droits de la défense s'impose dans la
phase contentieuse. Elle suppose que la personne soit
régulièrement et complètement informée des faits
qui lui sont reprochés dans une langue qu'elle comprend. Elle doit avoir
la possibilité d'accéder au dossier, d'être entendue
verbalement ou par écrit avant toute mesure la concernant. Elle doit
disposer du temps suffisant pour préparer sa défense, d'avoir la
liberté de choisir et de consulter un avocat, de connaître les
motifs de la décision prise et de disposer des voies de recours
juridictionnelles assorties du droit de demander et d'obtenir le cas
échéant un sursis à exécution de la décision
en cause. Son statut d'étranger ne doit pas le discriminer des autres
justiciables, ni constituer un handicap à la protection des droits et
libertés constitutionnels.
Pour les étrangers en situation
irrégulière frappés d'une mesure de reconduite à la
frontière ou de mesure de rétention. On peut imaginer la
difficulté de la mise en oeuvre effective d'une voie de recours ou
même des droits de la défense à l'appui d'une QPC. Cette
difficulté tient aux délais contentieux dont on pourra regretter
que le juge constitutionnel ne se soit appuyé sur des
considérations plus concrètes. Le juge considère que la
procédure de reconduite à la frontière s'inscrit dans le
cadre de la sauvegarde de l'ordre public à laquelle répond la
lutte contre l'immigration illégale.
Dans une décision récente 2011-153 QPC du 23
juillet 2011,M.Samir A.(appel des ordonnances du juge d'instruction et du juge
des libertés et de la détention), le requérant contestait
dans cette affaire, l'article 186 du CPP parce qu'il n'incluait pas l'article
146 du CPP dans la liste des articles prévoyant des ordonnances du juge
d'instruction et juge des libertés et de la détention dont le mis
en examen peut faire appel. Il invoque une violation
27.Décision n°89-261 DC du 28juillet
1989.
24
des articles 6 et 16 de la DDHC de 1789.Le Conseil a
estimé que le droit de la défense n'est pas méconnu.
Les droits de la défense reconnus aux étrangers
supposent qu'ils puissent agir en justice. Le recours juridictionnel pour
l'étranger doit constituer un moyen de réalisation
concrète des droits fondamentaux. Les étrangers auront
l'assurance de faire valoir les autres droits dans les bonnes conditions. Toute
fois, l'existence de ces droits implique que l'État exerce son devoir de
protection juridictionnelle envers les étrangers. Ce qui fait de ce
droit un droit mixte. Pour l'étranger rentré
irrégulièrement sur le territoire, l'aide juridictionnelle
permettant l'accès des citoyens à la justice lui est
refusé alors même qu'il est justiciable.
Dans sa décision du 12-13 août 1993, le juge
constitutionnel énonce «que parmi les droits reconnus à
tous ceux qui résident sur le territoire de la République,
figurent la liberté individuelle et la sûreté, notamment la
liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de
mener une vie familiale normale»28.Par cette décision, le
Conseil a élargi la notion de liberté individuelle en ce sens que
les étrangers vont bénéficier ce droit parce qu'ils
habitent sur le territoire de la république.
3. La liberté de mariage.
Concernant cette liberté, la question qui se pose est
de savoir si la condition de régularité du séjour est
opposable à l'étranger désirant se marier avec un autre
étranger ou avec un national. Autrement dit, un étranger en
situation irrégulière peut-il se marier sans éprouver des
difficultés liées à son statut29.Certes, le Conseil
constitutionnel a affirmé que le droit au mariage constituait l'une des
libertés fondamentales de l'homme mais il n'en demeure pas moins que le
dispositif actuel accorde une grande marge de manoeuvre à
l'administration quant aux règles de célébration du
mariage que de ses effets30.
Le Conseil constitutionnel lors de l'examen de la loi de 1993
relative à la maîtrise de l'immigration, loi par laquelle le
gouvernement organisait les pouvoirs des maires et du parquet en matière
de mariage présumé frauduleux a reconnu la valeur
constitutionnelle à la liberté de mariage. Pour la
première fois, il en a fait une portée générale
sans distinction des bénéficiaires. Il faut reconnaître que
les irréguliers ne sont pas empêchés de se marier
cependant, la jouissance de ce droit reste difficile du fait de leur situation
administrative qui constitue par elle-même un obstacle.
28L.FAVOREU/L.PHILIP, les grandes décisions du
Conseil constitutionnel, 13è éd. Dalloz 2005, p 742.
29C.DAADOUCH,le droit des étrangers, éd. MB FORMATION,
2004, Paris, p 75. 30.X.VANDENDRIESSCHE, le droit des
étrangers, 5e éd. Dalloz, 2012, p.139.
25
La loi Pasqua de 1993 exprimait la volonté du
gouvernement de l'époque de restreindre les conditions de
délivrance des titres de séjour de plein droit résultant
d'une union matrimoniale. Le but était de lutter contre les
détournements des procédures et de s'opposer à
l'acquisition du titre de séjour pour de motif d'ordre public. Se
trouvant visé dans cette optique, le détournement de la
procédure de l'union matrimoniale qui permettait à la suite d'un
mariage de complaisance au conjoint étranger d'obtenir un titre de
séjour ou carte de résidant de plein droit31 .
Pour ce faire, le législateur va poser une double
condition pour la délivrance de titre de séjour: une année
de mariage et d'une communauté de vie effective.
Lorsqu'il existe des indices sérieux laissant penser
que le mariage est envisagé dans un autre but que l'union matrimoniale,
la loi autorise l'officier de l'état civil de saisir le procureur de la
république qui pourra s'opposer à sa célébration ou
pourra la surseoir pendant une période de trois mois32.Notons qu'une
circulaire du 2 mai 2005 considère que le mariage est simulé du
moment où il ne repose pas sur une volonté libre et
éclairée de vouloir se prendre pour mari et femme et qu'il ait
été conclu exclusivement à des fins migratoires. Cette
circulaire considère que la situation irrégulière du
candidat au mariage constitue un indice faisant suspecter un défaut de
sincérité de l'intention matrimoniale.
Ainsi, dans sa décision 2012-264 QPC M. Saïd K.
(condition de contestation par le procureur de la République de
l'acquisition de la nationalité par le mariage), le requérant
soutenait que l'article 21-2 du code civil résultant de la loi du 16
mars 1998 qui pose le principe de la présomption de fraude en cas de
rupture de la vie commune dans les douze mois suivant l'enregistrement de la
déclaration dont les deux années suivant le mariage portait
atteinte au droit à la vie privée (article 2 de la DDHC de 1789).
Le juge répond que la présomption de la fraude est
destinée à faire obstacle à l'acquisition de la
nationalité par des moyens frauduleux et que la conciliation n'est pas
déséquilibrée entre les exigences de l'ordre public et le
droit au respect de la vie privée. Le mariage n'exerce aucun effet sur
la nationalité c'est-à-dire qu'il existe des présomptions
de détournement des fins de l'union matrimoniale par l'acquisition de la
nationalité justifiée par les exigences de la sauvegarde de
l'ordre public. On pourrait constater que désormais, tout mariage entre
étranger et un ressortissant français ou mariage avec une
personne en situation irrégulière est suspect aux yeux de
l'administration, ce qui traduit une certaine incompatibilité avec la
volonté d'intégration que le mariage tend à manifester.
31.Décision n°2006-542 DC du 9 novembre
2006 : loi relative au contrôle de la validité des mariages.
32V.TCHEN, Droit des étrangers, Ellipses, 2è
éd. 2011, p.84.
26
Dans sa décision n°2011-186 QPC du 21octobre 2011
Mlle Fazia C.et autres (Effets sur la nationalité de la réforme
de la filiation), le Conseil a opté pour une solution qui a pour effet
de refuser de faciliter l'attribution de la nationalité
française, cette fois à la naissance, aux enfants nés hors
mariage avant l'entrée en vigueur de la réforme. Le dispositif de
la réforme aboutissait à créer une différence de
traitement entre les enfants du même âge selon qu'ils
étaient nés dans le mariage ou hors mariage, d'une part, entre
les enfants nés hors mariage selon leur date de naissance, d'autre part,
et elle empêchait les enfants nés hors mariage et ayant atteint
l'âge de la majorité avant le 2 juillet 2006 de se voir
reconnaître la nationalité française du seul fait de la
désignation de leur mère, de nationalité française,
dans leur acte de naissance puisque cette désignation ne suffisait pas
avant la réforme à établir juridiquement le lien de
filiation. Le Conseil estime que la différence de traitement ainsi
créée présente un caractère résiduel et
qu'elle est en lien direct avec l'objectif d'intérêt
général de stabilité des situations juridiques.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision
n°2012-259 QPC M.Mouloud A. (Statut civil de droit local des musulmans
d'Algérie et citoyenneté française) a confirmé
l'interprétation donnée par la Cour de cassation de la
disposition de l'ordonnance du 7 mars 1944 qui avait conféré des
droits politiques à certains musulmans d'Algérie. Dans cette
affaire, le requérant contestait la conformité de l'article 3 de
l'ordonnance précitée qui limitait les effets de la
citoyenneté française accordée aux musulmans
d'Algérie aux seuls droits politiques les privant de revendiquer la
nationalité française en 1962 alors que les musulmans ayant
obtenu la citoyenneté française en vertu du senatus-consulte de
1865 ou de la loi de 1919 ont pu conserver la nationalité
française. Par ce biais, l'article 3 a crée une discrimination
injustifiée au sein des musulmans d'Algérie ayant obtenu la
citoyenneté française avant l'indépendance. Et que le
législateur ne pouvait séparer l'octroi des droits politiques et
civils sans porter atteinte au principe d'égalité devant la loi.
Le requérant ne demande pas la censure de la disposition
contestée mais une déclaration de conformité sous
réserve permettant de reconnaître l'octroi dans le même
temps des droits politiques et du statut civil de droit commun. Pour le
Conseil, le fait d'avoir conservé leur statut personnel avait
privé les intéressés de l'accès à la
nationalité française au moment de l'indépendance. En
déclarant ainsi, le Conseil constitutionnel évite d'ouvrir
à des Algériens une voie d'accès à la
nationalité française.
4. La liberté d'aller et venir.
Le statut de l'étranger quant à la jouissance de
la liberté de circulation est spécifique. L'inexistence d'un
droit à l'entrée et au séjour est un élément
de distinction entre nationaux
27
et étrangers. Il explique le caractère
précaire de la situation de l'étranger de même la garantie
d'un droit à l'immigration ne lui est pas reconnu.
Cette liberté est consacrée à l'article 2
du protocole n°4 de 1963 additionnel à la CEDH qui reconnaît
à quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un
État le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa
résidence, de quitter n'importe quel pays. Cette liberté ne
bénéficie aux étrangers que sous un seul de ses aspects:
la liberté de quitter le territoire de résidence qui ne peut pas
être subordonnée à un préalable. Un étranger
peut librement quitter le territoire pour éviter l'exécution d'un
arrêté de reconduite à la frontière. Cette
liberté est encadrée en France indifféremment des
étrangers. Elle se traduit par de contrôle d'identité dont
le principe est posé à l'article 78-1 du CPP qui astreint toute
personne se trouvant sur le territoire national à accepter de se
prêter à un contrôle d'identité.
Seuls les étrangers communautaires peuvent sous
certaines conditions revendiquer un droit au séjour. L'étranger
n'a pas l'assurance de rester en France. Parmi les étrangers, les
irréguliers violent la réglementation de l'État sur son
droit à admettre sur son sol les étrangers qu'il désire et
de ce fait, se placent dans les conditions d'illégalité
justifiant de mesure d'éloignement.
La reconduite à la frontière, la
rétention administrative, l'autorisation de quitter le territoire
national sont des procédés privatifs de liberté visant
principalement les étrangers en situation irrégulière et
participent à la lutte contre l'immigration illégale ou
irrégulière. Toutefois, le principe de la détention
administrative est admise en droit Français, elle est encadrée
des garanties suffisantes pour écarter tout risque d'arbitraire.
La protection de l'étranger relative à la
rétention administrative comprend trois éléments qui lient
le législateur: la nécessité de la rétention de
l'étranger, le rôle du juge judiciaire quant à sa
prolongation et qu'elle ne doit être décidée que dans des
délais stricts.
Les exigences d'ordre public en matière des droits des
étrangers renforcent tout l'arsenal de lutte contre l'immigration
illégale, ce qui fait que l'irrégularité du séjour
d'un étranger sur le territoire français devient
pénalement réprimée33.
Ainsi donc, dans sa décision 2011-217 QPC du 03
février 201234 M.Mohamed Alki B (délit d'entrée
ou de séjour irrégulier en France), le requérant et les
parties intervenantes
33.Décision n°2003-484 DC du 20
novembre 2003 : loi relative à la maîtrise de l'immigration, au
séjour des étrangers en France et à la
nationalité.
34.Décision 2011-217 QPC du 3 février
2012, M.MOHAMED Alki B.
28
soutenaient que les dispositions de l'article L .621-1 du
CESEDA méconnaissent l'article 8 de la déclaration de droits de
l'homme et du citoyen de 1789 dans la mesure où elles prévoient
une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende de 3750 euros pour un
étranger non communautaire au seul motif qu'il demeure sur le territoire
sans raison justifiée. Alors même que l'article 8 dispose que la
loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires.
Le Conseil constitutionnel déclare que la peine
d'emprisonnement d'un an n'est pas disproportionnée, l'article
précité ne méconnaît pas l'article 8 de la
déclaration de droits de l'homme et du citoyen de 1789.Il s'agit pour le
Conseil de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre la peine et
l'infraction et au législateur le pouvoir d'appréciation de la
nécessité de la peine. Ici, le Conseil a refusé de prendre
en considération le droit de l'union pour apprécier le
caractère éventuellement disproportionné de la peine
d'emprisonnement infligée à l'étranger séjournant
irrégulièrement en France. Cependant, la jurisprudence de la CJUE
en interdisait le prononcé mais le Conseil a répliqué que
le grief tiré du défaut de compatibilité d'une disposition
législative avec les engagements internationaux et européens de
la France ne saurait être regardé comme un grief
d'inconstitutionnalité.
De même, le Conseil constitutionnel, dans sa
décision n°2010-13 QPC du 09 juillet 2010 M.Orient O.et autres(
Gens du voyage) a refusé de considérer comme contraire au
principe d'égalité des dispositions applicables aux gens du
voyage notamment le régime de stationnement sur les aires d'accueil au
motif qu'elles seraient fondées sur une différence de situation
entre les personnes dont l'habitat est constitué des résidences
mobiles et qui ont choisi un mode de vie itinérant et celles qui vivent
de manière sédentaire. Ainsi, sur base des critères
objectifs et rationnels exclusifs de toute discrimination fondée sur une
origine ethnique. S'agissant, des restrictions à la liberté
d'aller et venir résultant de l'évacuation forcée des
résidences mobiles, il les a jugées proportionnées aux
nécessités de l'ordre public. Position du Conseil contraire aux
avis de la HALDE et du comité européen des droits sociaux sur le
caractère discriminatoire du statut des gens du voyage. Signalons que
sont visés derrière tout ceci, sont les Roms.
5.Le droit de mener une vie familiale normale
.
La protection constitutionnelle de ce droit pour les
étrangers est restée terne. Depuis longtemps, le Conseil
d'État a tiré de l'alinéa 10 du préambule de
constitution 1946 un principe général de droit visant à
protéger le droit de mener une vie familiale normale.
29
Le Conseil constitutionnel l'a reconnu parmi les droits
fondamentaux de tous ceux qui habitent sur le territoire national dans sa
décision relative à la maîtrise de l'immigration. Cette
reconnaissance a ouvert la perspective d'un droit d'entrée et de
séjour dans le cadre de regroupement familial pour les étrangers
disposant d'une carte de résident. Elle bénéficie aux
étrangers réguliers. Le juge constitutionnel a
précisé: les étrangers dont la résidence est stable
et régulière ont comme des nationaux le droit de mener une vie
familiale normale. Et qu'ils ont droit sous réserve de faire venir
auprès d'eux leur conjoint et leurs enfants mineurs. Le Conseil par
cette décision fait du regroupement familial un droit spécifique
reconnu aux étrangers.
La question qui se pose est de savoir si les étrangers
irréguliers peuvent bénéficier ce droit. Le juge
constitutionnel affirme que le droit de mener une vie familiale normale figure
parmi les droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident
sur le territoire. Cette affirmation inclut les irréguliers parmi les
étrangers et donc protégés comme les autres dans la mesure
où la disposition n'a pas catégorisé les
étrangers.
Le Conseil constitutionnel précise que les
étrangers en situation stable et régulière
bénéficient comme les nationaux de ce droit. Ce qui exclut les
irréguliers du champ d'application de cette disposition. La Convention
européenne des droits de l'homme proclame dans son article 8:le droit au
respect à la vie privée et familiale. Cela implique la protection
de l'individu contre toutes les ingérences injustifiées dans sa
vie privée et familiale. Le droit de mener une vie familiale normale
bénéficie à tous les étrangers en tant que
composante de la liberté individuelle mais en revanche, l'accès
à la jouissance de ce droit est difficile pour les étrangers en
situation irrégulière.
Dans sa décision du 12-13 août 1993
35l'article 7 de la loi incriminée soumettait la
délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire aux
étrangers mineurs ou qui, dans l'année qui suit leur
huitième anniversaire à la réunion de deux conditions:
d'une part, la présence de l'étranger ne doit pas
représenter une menace à l'ordre public et d'autre part,
l'étranger doit justifier d'une résidence habituelle en France
depuis l'âge de six ans.
Dans ce cadre, l'étranger irrégulier pourrait
bénéficier de ce droit s'il justifie d'une attache familiale
susceptible d'éviter l'expulsion ou l'éloignement sous
réserve des exigences liées à l'ordre public. Le juge
constitutionnel invite le législateur à apprécier les
conditions dans lesquelles les droits de la famille peuvent être
conciliés avec les impératifs d'intérêt public. Ce
qui permettra d'attribuer un titre de séjour temporaire à
certaines catégories
35.DC n°93- 1027 du 24 août 1993 JO
n°200 du 29 août 1993.
30
d'étrangers en situation irrégulière sous
réserve de menace à l'ordre public. L'étranger ne doit pas
vivre en polygamie, devra être mère ou père d'un enfant
français de moins de seize ans résidant en France à la
condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins.
Dans sa décision n°2013 - 312 QPC du 22 Mai 2013,
M.JORY ORLANDO T. (condition d'attribution d'une carte de séjour mention
«vie privée et familiale» au conjoint étranger d'un
ressortissant français), le requérant de nationalité
bolivienne ayant conclu un PACS avec un ressortissant français sollicite
la délivrance d'un titre de séjour en qualité de compagnon
d'un ressortissant français au même titre que le compagnon
marié. Il soutenait qu'en accordant pas à un étranger
lié avec un ressortissant français par un PACS les mêmes
droits à une carte de séjour temporaire que ceux accordés
à un étranger marié avec un ressortissant français,
le 4e alinéa de l'article 313-11 du CESEDA porte atteinte au droit de
mener une vie familiale normale et au principe d'égalité.
Le Conseil a estimé que les dispositions
contestées sont conformes à la constitution et qu'elles portent
sur le mariage et que le PACS ne peut pas être assimilé au
mariage. Compte tenu des objectifs d'intérêt public, le
législateur n'a pas méconnu la liberté de mariage, ni
porter une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale.
Le droit de mener une vie familiale normale implique une
protection minime pour les irréguliers. Il a un caractère
prestataire. L'alinéa 10 du préambule de la constitution de 1946
énonce: la nation assure à l'individu et à la famille les
conditions nécessaires à leur développement. Il
résulte de cette affirmation que l'État doit mettre en place les
conditions nécessaires au développement de la famille. Ce qui
suppose les moyens matériels et des prestations propres à
garantir ce développement. Pour les étrangers réguliers ou
nationaux, ce droit a un caractère défensif et son exigence
résulte de l'abstention de la part de l'État. Il ne peut se
permettre de s'ingérer dans les relations familiales de
l'étranger en instituant une procédure d'éloignement que
dans une certaine limite. Ce droit ainsi reconnu est réputé mixte
en ce sens qu'il a à la fois un caractère prestataire lorsqu'il
exige une action de la part de l'État et défensif quant il fixe
une limite à l'intervention des autorités publiques. La
jouissance des droits fondamentaux n'est pas absolue, elle est
conditionnée aux exigences d'ordre public. Il convient d'observer que
les droits fondamentaux reconnus aux étrangers se bornent par leur
caractère défensif à constituer une limite à
l'intervention des autorités publiques. Cette limitation est de
surcroît marquée par la prépondérance d'un
intérêt public justifiant l'ingérence de l'État.
31
Section2 : Interprétation des conditions et du
filtre réalisé par les juridictions suprêmes.
Depuis l'avènement de la QPC et sa mise en oeuvre le 01
mars 2010, les juridictions suprêmes participent avec succès au
jeu de la QPC. Le filtre leur permet d'apprécier les conditions de
recevabilité de la QPC et son renvoi au Conseil constitutionnel.
Selon l'amplitude du filtre, le justiciable peut être
privé de la possibilité de voir prospérer la question
devant le Conseil constitutionnel ou non. L'interprétation des
conditions conduit le juge du filtre soit à accepter, soit à
refuser de transmettre la question. Cette démarche l'inscrit dans une
logique de collaboration. Le filtrage effectué par les juridictions
suprêmes ne doit devenir ni un goulot d'étranglement, ni une
passoire. Les stratégies utilisées par les juges diffèrent
selon qu'il s'agisse du Conseil d'État (A) ou de la Cour de cassation (
B).
A. LA STRATEGIE DU CONSEIL D'ETAT.
Le succès de la nouvelle procédure
résulte de la relation cordiale qui existe entre la juridiction
constitutionnelle et administrative. Contrairement à la Cour de
cassation qui a choisi la confrontation, le Conseil d'État a opté
pour la collaboration. S'inspirant dans son interprétation de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel et des raisonnements qui sont les
siens. En renvoyant les QPC qui posent des questions des principes relatives
à l'application de cette nouvelle procédure contentieuse, le
Conseil d'État devient interprète de la loi. Quant aux
arrêts de non renvoi, ils sont significatifs de la façon dont le
Conseil d'État appréhende son office. Ils sont non seulement
détaillés mais aussi motivés que ceux de renvoi, ainsi
doit-il expliciter les raisons pour lesquelles il refuse de transmettre la
question au Conseil constitutionnel.
Notons que ce refus n'est susceptible d'aucun recours, les
motifs de refus sont divers, il peut s'agir d'une irrecevabilité
formelle ou procédurale que du caractère infondé du moyen
d'inconstitutionnalité invoqué. Le renvoi d'une QPC au Conseil
constitutionnel est subordonné au respect des conditions formelles et
procédurales: l'applicabilité au litige de la disposition
législative contestée, la non-déclaration préalable
de sa conformité à la constitution sauf changement de
circonstance et le caractère nouveau ou sérieux du moyen
invoqué. Ces conditions sont certes cumulatives mais non exhaustives.
C'est ainsi que le Conseil d'État va dégager d'autres
critères qui sont liés aux caractéristiques même de
la QPC. Elle est un moyen soulevé à l'occasion d'une instance en
cours devant une juridiction et qu'il ne doit porter que sur la
méconnaissance par une disposition législative
32
des droits et libertés garantis par la constitution.
Dans son appréciation, le Conseil d'État à travers sa
fonction de filtrage que l'article 61-1 de la constitution le reconnaît,
va se comporter en juge constitutionnel. Parce que pour renvoyer une QPC, comme
l'a affirmé Agnès ROBLOT-TROIZIER «le Conseil
d'État met en relation la disposition législative
contestée et les droits et libertés constitutionnels
invoqués. Dans ce cas, il fait une double opération
d'interprétation: celle des dispositions constitutionnelles
invoquées et celles des dispositions législatives
critiquées»36.
L'office du juge du filtre se voit transformer en juge
constitutionnel. Cependant, son pouvoir est limité dans l'exercice de
son contrôle de la constitutionnalité de la loi par les conditions
de renvoi des QPC et par le pouvoir exclusif du Conseil constitutionnel qui,
seul établira le constat de l'inconstitutionnalité de la
disposition législative litigieuse et par conséquent son
abrogation. La loi organique du 10 décembre 2009 relative à
l'application de l'article 61-1 de la constitution envisage un seul cas
d'irrecevabilité du moyen tiré de l'inconstitutionnalité
d'une disposition législative: celui de l'absence de mémoire
distinct, écrit et motivé. A cela s'ajoute la jurisprudence du
Conseil d'État qui définit les conditions de recevabilité
dont certaines sont propres aux QPC et d'autres résultant des
règles traditionnelles de recevabilité des recours devant la
juridiction administrative.
Le Conseil d'État, dans certains cas refuse de
transmettre des QPC pour motivation insuffisante. Ainsi, la motivation devient
la condition de fond permettant au juge d'apprécier le
bien-fondé. Celle -ci doit être suffisante dès la
présentation de la QPC car tout moyen nouveau invoqué devant lui
qui n'aurait pas été invoqué devant la juridiction qui a
transmis la QPC sera jugé irrecevable. Comme démontre cette
affirmation selon laquelle le requérant ne peut présenter pour la
première fois au Conseil d'État des griefs
d'inconstitutionnalité à l'encontre de la disposition de loi
litigieuse autres que ceux soumis au tribunal administratif.
La QPC est un moyen soulevé à l'occasion d'une
instance en cours. L'examen de ce moyen par le juge va dépendre du
régime procédural applicable. Ainsi, le Conseil d'État
profitant du caractère imprécis de ce moyen dans la mesure
où il est admis que toute juridiction saisie d'une QPC doit statuer dans
un délai déterminé. Il déduit qu'une QPC
peut-être soulevée devant le juge de référé.
Le temps de sa transmission au juge du filtre et du renvoi au Conseil
constitutionnel, le juge de l'urgence devra prendre des mesures conservatoires
en attente de la décision du Conseil constitutionnel. La violation d'un
droit
36A.ROBLOT-TROIZIER, «le non-renvoi des
questions prioritaires de constitutionnalité par le Conseil
d'État. Vers la mutation du Conseil d'État en un juge
constitutionnel de la loi»RFDA 2011p.691.
33
ou liberté constitutionnellement garantis correspond
à l'atteinte d'une liberté fondamentale pouvant justifier la
prise des mesures nécessaires par le juge pour faire cesser cette
atteinte. L'examen de la QPC peut dépendre aussi de l'existence d'une
situation d'urgence justifiant la procédure du
référé. Toute fois, pour les étrangers notamment
irréguliers, il y a inadéquation entre le temps de la QPC et
celui de l'étranger frappé de mesure d'expulsion en raison de
l'absence d'effet suspensif.
Dans son ordonnance du 16 juin 2010, Mme DIAKITE relative au
référé-liberté prévue par l'article L.521-2
de code de justice administrative, le Conseil d'État affirme qu'une QPC
peut être soulevée devant le juge administratif des
référés, en toute hypothèse, y compris lorsqu'une
question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant
lui. Il peut rejeter la requête pour défaut d'urgence mais dans
l'affaire DIAKITE, le Conseil d'État rejette la requête parce que
les conditions d'une QPC ne sont pas réunies.
S'agissant du référé-suspension
prévue par l'article L.521-1 du code de justice administrative, le juge
du palais royal rappelle que le juge de l'urgence peut rejeter en toute
hypothèse pour irrecevabilité ou défaut d'urgence les
conclusions à fin de suspension d'une QPC soulevée devant lui.
Cette situation s'explique par le fait que la QPC n'est qu'un
moyen soulevé à l'appui des conclusions tendant soit à
obtenir une sauvegarde d'une liberté fondamentale ou soit la suspension
d'un acte administratif. Autrement dit comme l'affirme Agnès ROBLOT -
TROIZIER «dans le référé suspension, la QPC est
un moyen qui tend à faire naître le doute sérieux qui
conditionne l'octroi par le juge de la suspension, il est donc logique que le
juge puisse examiner en amont la condition de l'urgence. Quant au
référé -liberté, la QPC est un moyen qui tend
à démontrer qu'il y a effectivement atteinte à une
liberté fondamentale laquelle serait garantie par la constitution. On
peut admettre que le juge se prononce par priorité sur la condition
d'urgence à laquelle est subordonnée l'adoption des mesures
nécessaires à la sauvegarde de cette
liberté»37.
Dans l'intérêt d'une bonne justice, le Conseil
d'État est amené à recevoir des QPC soulevées
à la fin d'instruction et les soumettre au débat contradictoire
alors qu'en principe ces dernières seraient déclarées
irrecevables. L'arrêt Jean -Paul Huchon illustre cette possibilité
comme le précise l'article 7 du décret du 16 février 2010
réglant le problème des instances en cours à la date de
l'entrée en vigueur de la procédure de QPC38.
37Ibid, RFDA 2011, p.691.
38.Ibidem. «le non-renvoi de la question
prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d'État . Vers la
mutation du Conseil d'État en est juge constitutionnel de la loi
», RFDA 2011, p.691.
34
Aux termes de cet article, «dans les instances en
cours», si une QPC est présentée «sous la forme d'un
mémoire distinct et motivé produit postérieurement
à cette date», la juridiction« ordonne la réouverture
de l'instruction pour les seuls besoins de l'examen de la question prioritaire
de constitutionnalité, si elle l'estime nécessaire».
B. L 'APPRECIATION DE LA COUR DE CASSATION.
Après quelques réticences du début,
l'analyse des décisions rendues par la Cour de cassation présente
un intérêt pratique. Une meilleure connaissance du rôle du
filtre sur la QPC permettra sans nul doute une meilleure utilisation de cette
nouvelle voie de protection des droits fondamentaux.
L'appréciation et l'analyse de la Cour permettent de
mettre en évidence son rôle utilisant non seulement les conditions
posées par la loi organique mais également les critères
prévus par l'article 61-1 de la constitution.
La stratégie de la Cour de cassation repose sur
l'appréciation restrictive des conditions de recevabilité et de
renvoi de la question prioritaire au Conseil constitutionnel. La Cour a
renvoyé bon nombre des questions se rapportant à des domaines
divers: la garde à vue, adoption, mariage, motivation des arrêts
d'assise39.
Le respect par la Cour des trois conditions prévues par
les articles 23-4 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel lui permet de se prononcer sur les
règles relatives à la QPC et celles relatives à la
procédure applicable devant elle.
La loi organique n'a prévu qu'une seule
hypothèse d'irrecevabilité: l'absence de mémoire distinct
et motivé. La Cour de cassation a constaté que les conditions
posées par l'ordonnance précitée sont insuffisantes pour
épuiser toutes les hypothèses relatives à la QPC. Afin de
rendre son filtre utile, elle va dégager un certain nombre des
critères lui permettant une meilleure appréciation des conditions
de recevabilité. Ainsi, la Cour refusera de transmettre au Conseil les
questions ne portant pas sur des dispositions législatives ou qui n'ont
pas été soulevées à l'occasion d'une instance en
cours.
Trois conditions applicables à la QPC vont
déterminer l'appréciation de la Cour. Il s'agit du critère
lié à l'objet de la question, au cadre à l'occasion duquel
la question est posée et le caractère sérieux de la
question. Ces critères vont déterminer son analyse et guider
39JB. PERRIER:« le non renvoi des
questions prioritaires de constitutionnalité par la Cour de
cassation» , RFDA 2011 p.711.
35
l'appréciation de la question en vu d'un renvoi ou non au
Conseil constitutionnel.
Le principe de l'article 61-1 dispose «lors
qu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est
soutenu qu'une disposition législative porte atteinte au droit et
liberté que la constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut-
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la
Cour de cassation qui se prononce dans un délai
déterminé»40.Il découle de cet article les
règles élémentaires applicables à la QPC et les
conditions relatives à son objet. La contestation ne doit porter que sur
une disposition législative excluant toute autre disposition qu'elle
soit réglementaire, constitutionnelle ou conventionnelle. L'analyse de
la Cour portera uniquement sur la conformité de la disposition
législative nationale aux droits et libertés garantis par la
constitution et à l'exigence de la contestation de droit et
liberté constitutionnellement protégés. Toute question
portant sur une autre disposition que législative (que ce soit une norme
de l'union européenne41, une disposition conventionnelle, une
disposition infra législative ou supra législative sera
irrecevable.
L'observation par la Cour des dispositions de l'article 61-1
de la constitution l'a amenée à refuser de transmettre au Conseil
une question au motif qu'elle porte non pas sur la constitutionnalité de
la disposition mais sur l'interprétation faite par la jurisprudence
(Décision du 19 mai 2010) 42 . Pour la Cour de cassation, renvoyer la
question sur l'interprétation jurisprudentielle d'une disposition
revenait à soumettre au Conseil l'examen de la constitutionnalité
de sa jurisprudence. Cette position est contestable car comme le remarque le
Professeur Bertrand MATHIEU «on ne peut pas distinguer
l'interprétation de la loi du texte lui-même et d'autre part,
l'interprétation de la loi par le Conseil constitutionnel est
nécessaire pour qu'il puisse remplir son office, ce qui conduit le
Conseil à formuler souvent des réserves
d'interprétations»43.S'agissant du caractère
sérieux, une question qui se borne à contester la
constitutionnalité d'une disposition législative sans
préciser la source de son inconstitutionnalité c'est à
dire droits et libertés sera déclarée irrecevable car son
imprécision est un obstacle à son appréciation.
Jean Baptiste PERRIER a démontré que la loi
organique n'a pas précisé le principe posé par l'article
61-1 de la constitution en ce sens que toutes les conditions au renvoi et
à la recevabilité de la QPC ne s'y trouvent pas. Notamment le
principe selon lequel: la QPC est un mécanisme de contrôle a
posteriori de loi, elle doit répondre à cette logique propre
au
40.La loi organique n°2008-724 du 23 juillet
2008, art.29. 41.C E, QPC 14 juin 2010 n°312 305 RUJOVIC
Recueil Lebon. 42.Cour de cassation QPC, 19 mai 2010 . n°
09-82. 582 43.B.MATHIEU, JCP 2010, n°44,p2038.
36
contrôle de constitutionnalité lequel ne doit
porter que sur la conformité d'une disposition législative au
droit et liberté que la constitution garantit. La QPC est
également une question préjudicielle en ce sens qu'elle
s'insère dans un contexte procédural qui ne lui est pas propre.
L'étude du cadre de la question permet de mettre en évidence une
deuxième série de conditions spécifiques à la
question elle - même et d'autres liées à l'instance
à l'occasion de laquelle la QPC est posée. S'agissant du cadre de
la question, la QPC suppose l'existence d'un cadre procédural, elle ne
doit se poser que lors d'une instance en cours, ce cadre conditionne son
renvoi. Elle doit respecter les conditions procédurales applicables aux
juridictions devant lesquelles elle est soulevée et les conditions
relatives à son support (mémoire distinct et motivé).
La Cour va se placer sur le terrain de la recevabilité.
A défaut d'instance en cours, la question devient sans objet. La Cour
précisera les critères posés par l'ordonnance du 7
novembre 1958: applicabilité au litige de la disposition c'est à
dire que l'inconstitutionnalité alléguée doit avoir une
incidence sur le litige sinon la question est irrecevable. Le moment de son
introduction aussi. Autrement dit, la Cour fait de l'incidence et du moment de
dépôt du mémoire des conditions de recevabilité de
la question44.L'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre
dispose:« la disposition contestée doit être applicable
au litige ou à la procédure ou constituer les fondements des
poursuites»45.
Quant au fondement des poursuites, la Cour a été
amenée à préciser sa position. Selon elle, la disposition
critiquée doit être le support de l'incrimination. La Cour
procède dans son appréciation des conditions de
recevabilité à une analyse stricte de la lettre de son article
23-2.Les formalités du dépôt de mémoire: la QPC
connaît les conditions de renvoi et de recevabilité qui lui sont
propres car sa recevabilité dépend aussi de la
recevabilité du support de la question à savoir mémoire
distinct et motivé. Pour que la question soit recevable, il est
nécessaire que le mémoire soit lui même recevable.
Devant la Cour, cette recevabilité s'entend d'un
mémoire déposé par un avocat au Conseil d'État ou
à la Cour de cassation autrement dit sera irrecevable tout
mémoire déposé par un tiers autre qu'un avocat.
Quant au moment du dépôt du mémoire, ce
sont les règles classiques de procédure devant la Cour qui
s'appliquent. Celles-ci prévoient un délai pendant lequel le
demandeur doit faire connaître les moyens de droit soutenant le pourvoi:
en matière civile, ce délai est
44.JB.PERRIER, op.cit., RFDA 2011. p.711.
45Loi organique , n °2008-724, 2008.
37
de 4 mois pour le dépôt de mémoire
(article 978 du code de procédure civile)46et en
matière pénale, il est de 10 jours pour le dépôt de
mémoire personnel(article 584 du code de procédure
pénale)47.
Une fois ce délai dépassé, le
mémoire déposé doit être rejeté et la
question déclarée irrecevable. La connaissance de la QPC par le
Conseil constitutionnel obéit non seulement aux conditions
prévues par l'article 23-2 mais également par les critères
dégagés par la Cour de cassation.
Ainsi, les juridictions suprêmes dégagent des
critères nouveaux que le législateur organique n'auraient pas
prévus, ceci pour rendre leur filtre utile et remplir pleinement leur
office en préservant le Conseil de tout engorgement par des questions
infondées.
CHAPITRE II: La jurisprudence du Conseil
constitutionnel au regard du contrôle a priori et de la QPC relative
aux droits des étrangers.
Le contrôle a priori ne s'oppose pas au contrôle a
posteriori. Les deux contrôles sont complémentaires en ce sens que
le contrôle a posteriori permet au Conseil de rattraper les
inconstitutionnalités qui lui ont échappées lors du
contrôle a priori.
L'avènement de la QPC va permettre de purger l'ordre
constitutionnel français des dispositions discriminatoires soumettant
les étrangers à des conditions restrictives d'accès aux
droits. Le contrôle a posteriori va exercer une influence sur le
contrôle a priori.48Si le contrôle a priori a rendu
possible l'extension des droits sociaux aux étrangers, le contrôle
a posteriori va participer à renforcer et à consolider cette
protection. Comme le fait remarquer Ottavio Quirico: «par la
procédure de la QPC, le Conseil acquiert le pouvoir d'abroger une loi et
devient législateur négatif capable de contrebalancer la
législation positive du parlement»49. Le contrôle
préventif demeure une caractéristique du modèle
français parce qu'il assure la vérification
générale de la validité des normes et permet
d'épargner les moyens procéduraux dans une optique
d'économie juridique. Si la reforme de 2008 a écarté
l'option d'un contrôle diffus de constitutionnalité des lois en
confiant au seul Conseil constitutionnel le pouvoir d'abroger les lois
inconstitutionnelles, elle a fait du Conseil d'État et de la Cour de
cassation des juges constitutionnels de droit commun.
46.I.DESPRÉS/L.DARGET, Code de procédure
civile, 104e éd. Dalloz, Paris 2013, p.824.
47.JF.RENUCCI/JP.CÉRÉ/ C.GAYET, Code de
procédure pénale, 54e éd. Dalloz, Paris2013,
p.939. 48.B.GENEVOIS, « un exemple de l'influence du
contrôle a posteriori sur le contrôle a priori: une application de
la jurisprudence état d'urgence en nouvelle Calédonie »,
RFDA 2013, p 1.
49O.QUIRICO, «le contrôle de
constitutionnalité français dans le contexte européen et
international: une question de priorités», 2010.
38
Section 1: Une jurisprudence du Conseil tributaire de
la jurisprudence en matière de contrôle a
priori.
Le Conseil constitutionnel n'est pas seulement juge du litige
mais de la conformité de la disposition législative à la
constitution. Il examine la constitutionnalité de la loi dans
l'interprétation50 que lui donnent le Conseil d'État
et la Cour de cassation. Sa jurisprudence et ses réserves
d'interprétation doivent faire l'objet d'une application pragmatique
pour préserver les droits du justiciable. La jurisprudence du Conseil a
permis grâce à ses décisions les plus significatives de
garantir l'effectivité des droits constitutionnels reconnus aux
étrangers51.
S'agissant des réserves d'interprétations, les
juridictions sont tenues de les respecter. Le Conseil ne dispose pas de pouvoir
de vérifier leur application dans le cadre de contrôle a priori.
Ses décisions sont dépendantes de l'attitude des autorités
d'applications.52
Le contrôle a posteriori lui permettra de rappeler aux
juges du filtre ses réserves. Ces réserves permettent de sauver
une loi ou partie d'une loi en émettant une interprétation
conditionnant sa constitutionnalité. Elles permettent non seulement de
sauver la loi mais aussi d'éviter les conséquences qui seraient
nées d'une annulation d'une loi ayant produit des effets juridiques dans
le cadre de la QPC. En sauvant la loi, le Conseil constitutionnel participe
à la procédure législative et devient de ce fait,
co-législateur.
Le contrôle a posteriori consacre une protection
supplémentaire aux étrangers(A) mais suscite des
réticences dans le chef de ses juridictions suprêmes(B).
A. QPC, une protection supplémentaire pour les
étrangers.
Il convient de rappeler que l'étranger dans le cadre du
contrôle préventif des lois ne pouvait valoir ses droits que par
l'intermédiaire de certaines autorités politiques. Aujourd'hui,
son statut de justiciable va lui permettre comme tous les autres de
réclamer qu'on lui applique la disposition législative
protectrice de ses droits et/ou qu'on abroge en sa faveur celles violant les
droits et libertés garantis par la constitution. Il s'agit d'une
avancée considérable dans la mesure où l'étranger
peut choisir librement son juge53.La QPC sert à
protéger un droit subjectif avéré par un
intérêt personnel froissé. Cette
50.B.MATHIEU, «la question de
l'interprétation de la loi au coeur de la QPC», semaine
juridique- éd. Générale 2010, n° 44, p 2038.
51E.AUBIN, op.cit., éd. 2011, p.88-94.
52M.BOULET , «QPC et réserves
d'interprétation», RFDA 2011, p753.
53D. de BECHILLON, «un pas de plus dans la
liberté de choisir son juge (QPC)», Recueil Dalloz , 21
février 2013 n ° 7, p.444.
procédure donne à l'étranger le droit de
censurer par le Conseil, les inconstitutionnalités préjudiciables
à ses intérêts. Elle n'est jamais plus utile à la
défense des droits et libertés des justiciables que lorsqu'elle
est utilisée intelligemment.
Le constituant et le législateur organique ont entendu
lui laisser une grande liberté. Ce qui constitue un progrès dans
le renforcement d'un État de droit que d'offrir à tous les moyens
pour défendre leurs droits. La QPC a permis de faire disparaître
de notre législation plusieurs dispositions manifestement
discriminatoires: pour l'essentiel, celles qui imposaient des conditions
injustement restrictives l'accès à une série des droits
sociaux(cristallisation des pensions, aides accordées aux harkis
rapatriés, participation aux élections au Conseil
d'administration de l'AFP).Ses décisions s'inscrivent dans le
prolongement de la décision du 22 janvier 1990 dans laquelle le Conseil
a jugé que l'exclusion des étrangers résidant
régulièrement en France du bénéfice des prestations
non contributives méconnaissait le principe constitutionnel
d'égalité.
Ce mécanisme de la QPC obéit aux conditions de
publicité et de célérité. La publicité de la
procédure juridictionnelle protège les justiciables
étrangers contre toute justice secrète et contribue à
préserver la confiance dans la justice. Le principe de publicité
présente deux aspects: la publicité des débats et la
publicité du prononcé du jugement. Pour l'étranger, la
célérité de la procédure suppose que l'on soit
jugé dans un délai raisonnable. Cette durée
raisonnable de la procédure préserve la crédibilité
de la justice et son efficacité, ce qui constitue une avancée non
négligeable dans la vie de l'étranger. Ainsi, le contentieux
constitutionnel dont l'exercice n'est plus l'apanage d'un cercle restreint
d'autorités politiques et d'initiés est devenu depuis la
révision constitutionnelle de 2008 une source riche et ouverte au plus
grand nombre et en tout premier lieu aux justiciables.
B. Les réticences des juridictions suprêmes
à transmettre une QPC
L'introduction d'une nouvelle procédure n'est jamais
chose aisée. Elle bouleverse les habitudes des juridictions. Il ne
semble pas que le législateur organique ait imaginé toutes les
difficultés qui résulteraient de la mise en oeuvre de cette
réforme, ni avoir envisagé toutes les hypothèses
aujourd'hui dégagées par les juridictions de renvoi.
Les premières réticences sont venues de la Cour
de cassation dans sa décision du 16 avril 2010 dans laquelle, elle a
saisi la CJUE d'une question préjudicielle sur la compatibilité
avec le droit communautaire du caractère prioritaire de la QPC.
39
Cette période fut vite oubliée et est liée
probablement à la phase d'adaptation à la
40
procédure. Le nombre toujours croissant de renvoi des
questions par les deux juridictions suprêmes traduit leur volonté
de participer à la procédure de la QPC. Dans le cadre des droits
des étrangers, les juridictions suprêmes sont enclines à
reconnaître en grande majorité la constitutionnalité des
dispositions restrictives des droits et libertés des étrangers
sur lesquels on fait prévaloir l'objectif de la «maîtrise de
flux migratoire».Comme l'a fait remarquer le Professeur Danièle
LOCHAK, la majorité des lois modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945
puis le CESEDA ont fait l'objet de saisine du Conseil constitutionnel dans le
cadre du contrôle a priori. Ce qui laisse peu de marge pour une QPC sauf
à invoquer un changement de circonstance.
L'appropriation des raisonnements et des jurisprudences du
Conseil par les juges de filtre qui se comportent en juge constitutionnel
d'opportunité vont justifier la plupart des décisions de
non-renvois des questions. L'appréciation restrictive de la condition de
l'applicabilité au litige de la disposition législative
contestée et le caractère sérieux de la question peuvent
constituer des obstacles pour les justiciables. Le Conseil d'État arrive
parfois à cultiver la théorie de l'acte claire et n'ose plus
renvoyer des questions. La pratique des réserves
d'interprétations consistant à sauver une loi afin
d'éviter le vide juridique porte aussi le risque d'une rupture avec le
juge administratif et judiciaire parce qu'elle réduit le pouvoir
d'appréciation des juridictions suprêmes. Elle porte atteinte aux
pouvoirs souverains du Conseil d'État et de la Cour de cassation.
Ces derniers pourront rompre ce lien fonctionnel que constitue
la QPC54.En refusant de la renvoyer ou en ne suivant pas
l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel, les juges
du filtre porteraient atteinte à l'autorité de la chose
jugée des décisions du Conseil-constitutionnel: surtout qu'aucune
sanction n'est prévue en cas de non respect de ces réserves
d'interprétations.
Section 2: Le caractère modulable de la QPC
«Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 de la constitution est
abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil ou d'une date ultérieure fixée par cette décision.
Le Conseil détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en
cause»55.
En cas des décisions de non conformité à
la constitution, le Conseil constitutionnel
54.JP. THIELLAY «les suites tirées
par le Conseil d'État des décisions du Conseil
constitutionnel», RFDA 2011,p. 772. 55Loi organique op.
Cit 2008.
41
précise les effets abrogatifs dans le temps. Il va
reporter sur le fondement de l'article 62 de la constitution les effets de
l'inconstitutionnalité constatée pour permettre au
législateur de modifier le cadre législatif. Au regard de la
sécurité juridique, le Conseil est investi du pouvoir de
déterminer des règles transitoires dans l'attente de l'adoption
par le parlement de la disposition pouvant remédier à
l'inconstitutionnalité. Il évite ainsi le vide juridique. Ces
effets varient selon qu'il s'agisse du temps des étrangers(A) que des
conséquences jurisprudentielles(B).
A. Inadaptation du temps de la QPC avec les droits des
étrangers.
L'avènement de la QPC est salué comme une
avancée incontestable. Ce mécanisme va permettre de rectifier les
fautes du législateur et au justiciable de se réapproprier la
constitution. Pour l'étranger frappé d'une mesure
d'éloignement, l'avènement de cette juridiction pragmatique
aurait dû être une opportunité. Il apparaît que le
temps de la QPC n'est pas celui de l'étranger. Non seulement la
durée de la procédure est longue mais également la QPC est
dépourvue d'effet suspensif. Autrement dit, la QPC ne sursoit pas
l'exécution de la mesure administrative qui frappe l'étranger, ce
qui est préjudiciable pour l'étranger qui risque se retrouver
dans son pays d'origine avant même que la juridiction saisie de la QPC ne
se soit prononcée sur l'affaire.
En outre, on aurait pensé que les étrangers en
situation irrégulière seraient préoccupés par cette
procédure. Force est de constater que leur situation administrative ne
leur permet pas de s'afficher de crainte d'être repris par la police.
L'illégalité de leur séjour les persuade de rester dans la
clandestinité et d'envisager la situation de leur droit dans le cadre de
la conventionalité où existe une jurisprudence abondante
plutôt que dans celui de la constitutionnalité. S'agissant
d'effets de la QPC, en cas d'abrogation de la disposition législative,
les droits acquis perdurent et ne peuvent être annulés
c'est-à-dire que la QPC n'a pas d'effets rétroactifs. C'est le
cas de l'hypothèse dans laquelle un acte administratif a
été pris sur base d'une loi qui vient d'être
abrogée. Il en va de la sécurité juridique. On pourrait
envisager dans ce cas, une certaine indemnisation au profit de
l'étranger requérant. On peut également s'interroger sur
le fait de savoir si, pour avoir laissé perdurer des dispositions
inconstitutionnelles dans l'ordre interne, la responsabilité de
l'État ne pourrait pas être engagée.
Dans sa décision n° 2010-10 QPC du 02 juillet 2010
Consorts C.et autres( Tribunaux maritimes commerciaux), le Conseil a
rappelé le caractère rétroactif de sa décision au
bénéfice des consorts C.: la disparition de la composition
inconstitutionnelle des tribunaux
42
maritimes commerciaux (TMC)«est applicable à
toutes les infractions non jugées définitivement au jour de la
publication de la décision»56autrement dit,
à cette date toutes les personnes non jugées par les TMC et
toutes celles dont la condamnation n'a pas encore le caractère
définitif soit parce qu'elles sont dans le délai pour former un
pourvoi en cassation se sont vues reconnaître par le Conseil
constitutionnel le droit d'être jugées ou rejugées par les
TMC siégeant dans une composition des juridictions pénales de
droit commun parce que le droit au procès équitable n'a pu
être respecté.
B. Les conséquences jurisprudentielles de la QPC et
ses effets pour les
étrangers.
L'effet abrogatif de la déclaration
d'inconstitutionnalité s'oppose à ce que les juridictions
appliquent la loi en cause non seulement dans l'instance ayant donné
lieu à la question prioritaire de constitutionnalité mais
également dans toutes les instances en cours à la date de cette
décision.
Cette règle est d'ordre public pour le juge
administratif et judiciaire. Ils ne peuvent déroger sauf mention
expresse du Conseil pour faire application de la disposition
déclarée non conforme à la constitution. La
décision rendue par le Conseil a un effet erga omnes
et bénéficie non seulement au requérant de
la QPC mais également à tous ceux ayant un contentieux en cours.
Lorsque le Conseil déclare la disposition législative conforme
à la constitution, celle-ci conserve sa place dans l'ordre juridique
interne. La juridiction doit l'appliquer en prenant en compte les
éventuelles réserves d'interprétation formulées par
le Conseil constitutionnel. Lorsqu'une décision de non conformité
est arrêtée par le Conseil constitutionnel, la disposition
législative litigieuse disparaît de l'ordre juridique parce
qu'elle est abrogée. Cependant, le Conseil ne peut se substituer au
parlement pour décider des modalités à adopter afin de
remédier à l'inconstitutionnalité prononcée. Le
Conseil n'écrit pas la loi, il n'en a pas la légitimité et
comme a dit Jean-Louis Debré, le Conseil possède une gomme et non
le crayon.
Dans sa décision n°2010-1 QPC sur la
décristallisation des pensions et la décision n°2010-14/22
QPC sur la garde à vue qui ont nécessité l'intervention du
législateur, le Conseil avait modulé les effets de ses
décisions dans le temps pour permettre à l'organe de la loi
d'adopter une nouvelle disposition conforme. Ainsi, on pourrait se poser la
question de savoir si le report dans le temps des effets de
l'inconstitutionnalité prive ou non le requérant du
bénéfice de son action en QPC. En principe, ce délai
accordé au
56 CC, 2 juillet 2010, Consorts C.et autres,
n°2010-10 QPC.
43
législateur comme l'a affirmé Mathieu DISANT ne
saurait altérer en lui-même les efforts consentis pour faire jouer
dans la mise en oeuvre de ce pouvoir, le principe selon lequel la
déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier
à l'auteur de la QPC. Une sorte de prime au requérant, et il
affirme que l'absence de précision sur le report des effets abrogatifs
est interprétée comme le souhait du Conseil constitutionnel
d'écarter ce principe et de consacrer celui selon lequel les effets
abrogatifs doivent bénéficier au requérant et à
toutes les instances en cours.
Toutefois, certaines décisions rendues par le Conseil
peuvent se suffire à elles-mêmes sans l'intervention du
législateur. L'exemple de la décision n°2010-6/7 QPC
du11juin 2010 M. Stéphane A.et autres (Article L.7 du code
électoral) qui fait disparaître l'article L.7 du code
électoral.
La fixation dans le futur de la date de prise d'effet de la
déclaration d'inconstitutionnalité doit résulter d'une
mention expresse dans la décision du Conseil constitutionnel. Un tel
report s'oppose à la prise en compte de l'inconstitutionnalité
dans les instances en cours et son absence pourrait être
interprétée comme limitant les effets aux seuls litiges en
cours.
En effet, le mécanisme de la QPC comme le fait
remarquer Fanny Jacquelot, est le reflet de bouleversement de la
répartition des rôles dans la protection des droits fondamentaux
en droit interne français voulu par la révision constitutionnelle
de 2008.Si elle s'insère dans les conduits procéduraux des
juridictions des droits communs, elle en redessine dans le même temps les
contours et les perspectives dans le seul intérêt supérieur
de garantir la suprématie de la constitution et de son garant.
Pour l'étranger, le fait que la procédure de la
QPC dure 6 mois et qu'elle est dépourvue d'effet suspensif constituent
un obstacle à faire valoir ses droits dans le cadre de ce nouveau
mécanisme. Tout ceci relativise la portée de cette
procédure au profit des étrangers notamment, ceux en situation
irrégulière qui font l'objet de mesure d'éloignement du
territoire français.
PARTIE II: La complémentarité de la QPC au
contrôle a priori pour la protection des droits des
étrangers
On aurait pensé que le contrôle a priori
était destiné à rester dans l'ombre de la QPC et qu'une
fossé infranchissable devait séparer les modalités et les
résultats de ces deux
44
contrôles. Le Conseil constitutionnel a contribué
à rapprocher les deux. Certes, les deux contrôles se distinguent
par des règles qui les encadrent. Le contrôle a priori est
fermé, politisé et monopolistique en revanche, le contrôle
a posteriori se présente sous les signes de l'ouverture, de la
dépolitisation voire de la concurrence. En dépit de ces ruptures
engendrées par l'entrée en scène de la QPC, les deux
contrôles s'influencent réciproquement et s'articulent de
manière complémentaire. La QPC crée une rupture en terme
d'ouverture et de transparence du jugement constitutionnel de la loi.
CHAPITRE I. L'affirmation du principe de
différenciation constitutionnelle des
étrangers.
Dans sa décision du 12-13 août 1993, le Conseil
constitutionnel a affirmé: les étrangers jouissent des droits
à la protection sociale, dès lors qu'ils résident de
manière stable et régulière sur le territoire de la
république. Deux arguments découlent de cette analyse d'une part,
il y a égalité de traitement entre français et
étrangers en matière de protection sociale et d'autres part,
seuls les étrangers en situation régulière peuvent en
principe prétendre jouir de ces droits. Les irréguliers sont
exclus du champ d'application de la protection sociale .Ils apparaissent
à travers l'existence d'un seuil minimal de protection au profit de tout
individu indifféremment de sa qualité ou de sa situation.
En étendant aux étrangers le
bénéfice des droits et libertés fondamentaux au même
titre que les nationaux, on a tendance à penser que la jurisprudence du
Conseil constitutionnel tend à faire disparaître la notion
d'étranger.
Section 1 La question des droits des étrangers
aux prestations sociales
L'étranger est un individu qui peut invoquer
un certain nombre des droits. Comme le signale Danièle Lochak
«l'idée que l'étranger est un être humain qui
mérite un traitement équitable au même titre que les
citoyens nationaux ne s'est imposée que très
progressivement»57. L'accès aux droits sociaux depuis la
décision du 22 février 1990 rendue par le Conseil constitutionnel
est devenu «un droit de l'homme et non un droit du
citoyen»58.
La protection sociale permet aux étrangers d'être
couverts contre divers risques de la vie. Ceux-ci peuvent être physiques
comme la maladie ou sociaux comme le chômage, la
57D.LOCHAK, l'étranger et le droit de
l'homme, in mélanges Charlier, éd. Emile Paul, 1981,p .617.
58Ibid, 1981, p.617.
45
précarité 59 .Elle appartient à la
catégorie des droits-créances c'est-à-dire ceux qui
nécessitent l'intervention de l'État.
Appelés aussi droits-prestations ou droits à, la
question qui se pose est de savoir si tous les étrangers peuvent en
bénéficier sans exclusion. Force est de constater que les droits
aux prestations sociales pour les étrangers sont comme le
démontre la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la
matière conditionnés à un double critère dont
l'irrégularité devient un critère d'exclusion. Le principe
d'égalité devant le droit à la protection sociale comme
l'a affirmé Michelet KARINE «a eu raison de la
condition de nationalité comme critère discriminant mais une
autre condition d'accès s'est généralisée, celle de
la régularité du
séjour»60.
On est passé de la garantie des individus contre les
risques sociaux à un outil de régulation de la politique
d'immigration. Ainsi, dans sa décision du 23 janvier 1987, le Conseil
admet le critère de durée minimale de résidence pour
bénéficier des certaines prestations sociales. Dans sa
décision du 22 janvier 1990, il reconnaît implicitement le
critère de la régularité du séjour et la
décision du 12-13 août 1993 constituant une sorte de
synthèse de deux premières en ce sens qu'elle consacre les
conditions de stabilité et de régularité du séjour
pour la jouissance des droits.
Le onzième alinéa du préambule de la
constitution de 1946 garantissant à tous la protection de la
santé, la sécurité matérielle et les moyens
convenables d'existence.
L'accès aux droits sociaux impose la reconnaissance du
critère de régularité et de résidence pour les
étrangers(A) et leur condition de stabilité (B).
A. La reconnaissance du critère de
régularité et de résidence pour les étrangers.
La relation entre protection sociale et étrangers
traduit la territorialité de système de la protection sociale qui
ne joue qu'en considérant les facteurs temporels et territoriaux. La
durée minimale de résidence a été avalisée
par la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 par
laquelle il juge «la fixation de la condition de résidence pour
l'octroi des prestations sociales n'emporte pas par elle-même une
discrimination de nature de celles qui sont prohibées par l'article 2 de
la constitution et qu'elle n'est pas davantage contraire au principe
d'égalité des citoyens».
Il précise en outre, qu'il incombe tant au
législateur qu'au gouvernement, conformément à
59.GISTI,« le guide de la protection
sociale des étrangers en France»,
éd. la Découverte, Paris, 1997,
p.28-30. 60.M.KARINE,« le droit des étrangers
à la protection sociale»,informations sociales, juin 2007
n°142,p 80-91.
46
leurs compétences respectives de déterminer dans
le respect des principes proclamés par le onzième alinéa
du préambule de 1946 les modalités de leur mise en oeuvre.
Qu'«il appartient au pouvoir réglementaire de fixer la
durée de la condition de résidence de façon à ne
pas aboutir à mettre en cause les dispositions précitées
du préambule et en tenant compte à cet effet des diverses
dispositions d'assistance dont sont susceptibles de bénéficier
les intéressés»61.
La décision du 22 janvier 199062 va
introduire le critère de régularité du séjour comme
condition du bénéfice de certaines prestations sociales. La loi
incriminée excluait de l'attribution de l'allocation
supplémentaire du fonds national de solidarité vieillesse( le
minimum vieillesse) des étrangers qui ne pouvaient se prévaloir
des règlements communautaires ou de conventions internationales de
réciprocité. Cette disposition a été
invalidée par le Conseil pour méconnaissance par le
législateur du principe d'égalité.
Il affirme:« le législateur peut prendre
à l'égard des étrangers des dispositions
spécifiques à la condition de respecter les engagements
internationaux souscrits par la France et les libertés et droits
fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui
résident sur le territoire»63. Ici le Conseil
censure la condition de nationalité pour accéder aux prestations
sociales. Le principe d'égalité comme l'a affirmé O.LECUCQ
s'annonce de par sa vocation médiate et immédiate comme la pierre
angulaire sur laquelle viennent se greffer les droits fondamentaux
énoncés.
Comme l'a écrit le Doyen Favoreu,
dorénavant, l'égalité est de droit et c'est
l'inégalité qu'il faut justifier. Il convient d'admettre
l'existence d'un droit à l'égalité sociale entre
Français et étrangers. C'est un droit conditionnel dont la
jouissance est soumise à la réunion des conditions de
régularité du séjour et résidence. La durée
minimale de résidence, la régularité de la situation
administrative de l'étranger peuvent constituer une limite à
l'application de ce droit. C'est ce double conditionnement qui va être
consacré dans la décision« Maîtrise de
l'immigration»64.
61DCC du 23 janvier 1987, cons 17.
62Cons. Const . déc n°89-269 DC du 22
janvier 1990.
63Ibid, DCC du 22 janvier 1990.
64Cons. Const. , déc n 93-325 DC,
Maîtrise des flux migratoires
47
B .Les conditions de stabilité et de
régularité du séjour pour accéder à un
droit.
La consécration des conditions de stabilité et
de régularité au bénéfice de la protection sociale
des étrangers par le Conseil constitutionnel confirme l'encrage
territorial de ces droits. Il s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence
de 22 janvier 1990. En effet, dans la décision«
Égalité entre français et
étrangers»65, la limitation du
bénéfice de l'allocation du fond de solidarité a
été censurée car elle rompait l'égalité au
détriment des étrangers. Quant à la condition de
stabilité, notion difficile à appréhender, elle se
retrouve renforcée par rapport à la solution retenue en 1990
où seule la régularité du séjour était
exigée, désormais elle s'étend à la
stabilité.
Dans la décision de 1990, le Conseil n'a pas
précisé la durée permettant de satisfaire à cette
condition, ni préciser à partir de quand une résidence
devient stable. Cependant, le Conseil a laissé entendre qu'il existe un
seuil temporel au delà duquel les droits des intéressés
seraient mis à mal. Toujours est-il que pour accéder à la
protection sociale, l'étranger doit remplir la condition de
résidence à la fois stable et
régulière66.
L'accès aux prestations sociales va dépendre
aussi de la détention par l'étranger de l'un des
différents titres de séjour. Ils ne sont pas les mêmes
selon qu'il s'agit d'accéder au revenu de solidarité active, au
droit au logement opposable, à l'aide personnalisée au logement,
à la couverture maladie universelle ou prestations de la
sécurité sociale. Les titres de séjour diffèrent
selon qu'il s'agit d'accéder aux prestations d'assurance
maladie-maternité ou prestations non contributives de
sécurité sociale. Pour certains étrangers, une condition
supplémentaire peut être exigée en plus du titre de
séjour. Il peut s'agir de la détention d'un document
spécifique par les enfants au nom desquels les prestations familiales
sont demandées, d'une durée minimale de résidence de cinq
ans pour le RSA ou de trois mois pour la CMU67.Il convient
nécessaire de rappeler que c'est la qualité du titre de
séjour qui détermine l'obtention d'un droit.
Dans sa décision 2011-137 QPC M. Zeljko S.( Attribution
du revenu de solidarité active aux étrangers)68, le
requérant soutenait que les dispositions de l'article L.262-4 du code de
l'action sociale et des familles qui imposent aux étrangers d'être
titulaires depuis au moins cinq ans d'un titre de séjour les autorisant
à travailler pour bénéficier le RSA est contraire au
principe d'égalité qu'au onzième alinéa du
préambule de la constitution de
65Décision n°93-325 DC du 12au13août
1993.
66O.LECUCQ, «statut constitutionnel des
étrangers en situation irrégulière»,
thèse de doctorat, faculté de droit de l'université
d'Aix-Marseille, soutenue le 30 janvier 1999, P 664.
67.M.KARINE,« le droit des étrangers
à la protection sociale»,informations sociales , juin 2007
n°142, p80-91. 68D.SEGUIN, Guide du contentieux du droit des
étrangers, éd. LexisNexis 2013, p. 168.
48
1946.Le Conseil a estimé que la condition de
stabilité est essentielle à l'insertion professionnelle et n'est
pas manifestement inappropriée au but correspondant à l'objet de
la loi. La loi déférée au Conseil visait à
restreindre l'accès des étrangers au système de protection
sociale et rendre l'immigration clandestine moins attractive tout en
ménageant les comptes sociaux. Cette décision pourrait constituer
un recul important des droits des pauvres, puisque la finalité du RSA
est réduite à titre principal à l'incitation à
l'exercice ou à la reprise d'une activité professionnelle alors
qu'il s'agit d'un minimum d'existence.
Dans sa décision du 15 décembre
2005(régularité du séjour et
bénéfice des prestations familiales dans le cadre de regroupement
familial)69, saisi par l'opposition qui lui demandait de juger
contraire à la constitution l'article 89 de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2006, le Conseil a affirmé que
«le législateur pouvait sans méconnaître le
principe d'égalité conditionner le versement des prestations
sociales aux enfants étrangers à la régularité de
leur séjour dans le cadre de regroupement familial sur
place».Il ajouta cependant une réserve d'interprétation
selon laquelle l'enfant aura droit aux prestations familiales s'il est
procédé à la régularisation de l'enfant
déjà entré en France. En affirmant cela , le Conseil
reconnaît l'existence du regroupement familial sur place. Quant à
l'aide sociale, même si le critère de régularité est
toujours affirmé, elle demeure tempérée pour des
considérations humanitaires ou de santé publique70.Ainsi, un
étranger en situation irrégulière pourra
bénéficier des soins médicaux en cas de pathologie
où une prise en charge efficace n'est pas possible dans le pays
d'origine.
L'état de santé de l'étranger peut
justifier l'annulation de la mesure d'éloignement sauf qu'il doit
répondre à une double condition d'une part, l'étranger
doit justifier d'un état pathologique grave représentant un
danger réel en cas d'éloignement et d'autre part, il ne doit pas
disposer du niveau sanitaire équivalent dans son pays d'origine. Cette
double condition lui garanti une aide médicale d'État. Hormis les
éventuelles exigences d'actions positives à la charge de
l'État découlant du droit constitutionnel d'asile. Il n'y a pas
des droits fondamentaux bénéficiant aux étrangers qui sont
susceptibles de se traduire par un devoir de prestations incombant à
l'État. La seule perspective sur ce plan est offerte par le minimum de
protection sociale décelé à travers la jurisprudence du
Conseil constitutionnel. En référence au droit à la
protection de la santé et au principe de sécurité
matérielle, il paraît exister une obligation minimale d'assistance
aux étrangers s'agissant de l'accès aux soins et de leur prise en
charge dans les hypothèses d'urgence ou de nécessité.
69Cons. Const . ,déc. n°2005-528 DC,15
décembre 2005.
70F.JULIEN-LAFERRIERE, Droit des étrangers,
1ere éd. PUF 2000, p.255.
49
Cette assistance peut être étendue aux structures
sociales d'hébergement. Toute fois, le législateur n'a pas
fixé la condition de régularité de séjour pour une
série des prestations d'aides sociales répondant à des
situations d'urgence ou de détresse. Signalons que cette assistance ne
peut être assimilée aux droits- créances stricto sensu qui,
pour se réaliser exige de l'État une obligation positive de faire
ou de prévoir des prestations. Ces prestations sociales se rattachent
à l'idée des droits - créances dérivés,
concept rencontré dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
fédérale allemande qui signifie que la charge incombant à
l'État procède moins du devoir d'assurer des prestations sociales
que de l'obligation.
Section 2: Des garanties constitutionnelles des
étrangers bien encadrées.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a progressivement
renforcé la protection des droits des étrangers en leur
appliquant le principe d'égalité. En se montrant soucieux de
garantir l'effectivité des droits constitutionnels, elle a rendu
possible l'extension des droits sociaux aux étrangers. Et assurer la
garantie des droits fondamentaux reconnus à ces derniers en abrogeant
des dispositions législatives déjà promulguées dont
la lettre viole des droits et garanties d'ordre constitutionnel. Si ce principe
constitutionnel est affirmé comme garantie pour les étrangers
(A), il demeure soumis aux exigences de l'intérêt
général(B).
A. L'application du principe constitutionnel
d'égalité aux étrangers.
Le principe d'égalité constitue une sorte de
bouclier autour duquel gravite d'autres principes constitutionnels. Sa
consécration pour les étrangers a été tardive. La
formule du professeur JESTAZ selon laquelle« en France,
l'étranger jouit de tous les droits qui ne lui sont pas
spécialement refusés» 71 illustre cette conception. La
décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1990 par laquelle le
juge déclare: «l'exclusion des étrangers résidant
régulièrement en France du bénéfice de l'allocation
vieillesse méconnaît le principe constitutionnel
d'égalité» 72 demeure fondatrice en matière des
droits des étrangers. Elle ouvre accès des étrangers aux
prestations d'aide sociale.
Depuis cette décision, l'assistance sociale est devenue
«un droit de l'homme» comme l'a écrit Mme Schnapper
73.Elle fait de l'égalité un principe et de
l'inégalité une dérogation que le législateur devra
justifier sous peine d'une annulation contentieuse. Dans les
71PH. JESTAZ,«Le principe
d'égalité des personnes en droit privé»,in«
La personne humaine, sujet de droits», 4e journées
Savatier, PUF, coll.«Faculté de droit et des sciences sociales
de Poitiers »,1994, p.168. 72Cons .const.n °89-269 DC
du 22 janvier 1990.
73D.SCHNAPPER,«L'assistance est un droit de
l'homme», pouvoirs locaux, numéro14,1992, p.18.
50
domaines des droits des étrangers, le Conseil
constitutionnel a rendu plusieurs décisions favorables aux
étrangers. Il a pu au nom de ce principe censurer certaines dispositions
législatives jugées discriminatoires. La jurisprudence du Conseil
constitutionnel sur le principe d'égalité reste constante, le
Conseil juge que «le principe d'égalité ne
s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon
différente des situations différentes, ni à ce qu'il
déroge à l'égalité pour des raisons
d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre
cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport
direct avec l'objet de la loi qui
l'établit»74.Il apparaît que la
vérification que le Conseil constitutionnel va opérer suivant
deux étapes: il y a d'abord le constat d'une différence de
situation ou d'intérêt général puis le
contrôle de l'adéquation entre la différence de traitement
établie et la finalité poursuivie par le législateur,
à savoir l'objet de la loi.
Cette interprétation est conforme aux exigences de
l'article 14 de la CEDH qui impose que la jouissance des droits et
libertés protégés soit assurée sans distinction
aucune. Sur ce fondement, les étrangers peuvent
contester la méconnaissance du principe d'égalité et
de non discrimination même dans l'hypothèse où le droit en
cause ne les mentionne comme destinataires d'un droit. S'agissant de cette
jurisprudence, plusieurs dispositions discriminatoires entre nationaux et
étrangers ont été abrogées par le Conseil dans le
cadre de la QPC.
Dans sa première décision 2010-1 du 28 mai 2010
QPC- consorts L.(cristallisation des pensions), le Conseil a abrogé
trois dispositions législatives relatives à la
décristallisation applicables aux ressortissants des anciennes colonies
devenus des étrangers en raison de l'accession de celles-ci à
l'indépendance et que les lois fixant les modalités permettant
à corriger les conséquences inégalitaires de la
cristallisation des anciens combattants n'étaient pas conformes au
principe d'égalité. Le Conseil a estimé que l'objet de la
loi examinée est de garantir à toutes les personnes qui ont servi
la France« des conditions de vie en rapport avec la dignité des
fonctions exercées au service de
l'État».75Une différence de traitement selon
la nationalité ne pouvait se justifier.
Dans sa décision n° 2010-93 QPC du 04
février 2011 (comité HARKIS et vérité) relative
à l'allocation de reconnaissance. En l'espèce, les
requérants soutenaient que les dispositions des lois qui imposaient des
conditions de résidence et de nationalité pour l'octroi des
allocations et rentes portent atteinte au principe constitutionnel
d'égalité. Le Conseil juge que le critère de
résidence est justifié mais pas celui de nationalité et
déclare
74.Décision n°97- 388 DC du 20 mars 1997,
loi créant les plans d'épargne retraite, cons.27.
75.Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, consorts
L.(cristallisation des pensions), cons.9.
51
contraire à la constitution celles des dispositions
déferrées qui imposaient ce critère de
nationalité76.
Le Conseil a censuré dans sa décision
n°2010-18 QPC du 23 juillet 2010, M. Lahcène A.(carte du
combattant), l'exigence de la nationalité et de domiciliation
posée par le troisième alinéa de l'article 253 bis du code
des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre pour
l'octroi de la carte de combattant. La différence de traitement qui en
résulte entre nationaux et étrangers était
injustifiée au regard de l'objet de la loi qui consiste à la
reconnaissance de la Nation77.
Le Conseil a jugé récemment dans sa
décision n° 2011-128 QPC du 6 mai 2011 Syndicat SUD AFP(Conseil
d'administration de l'agence France-Presse), le requérant soutenait que
le fait de réserver aux journalistes et aux agents des autres
catégories du personnel de nationalité Française le droit
d'élire leurs représentants au Conseil d'administration de la
l'agence France-Presse en excluant d'autres nationalités
méconnaît le principe d'égalité et la participation
à la détermination collective des conditions de travail ainsi
qu'à la gestion des entreprises garantie par le huitième
alinéa du préambule de 1946.Le Conseil a estimé que
puisque les élections prévues pour la désignation des
représentants du personnel au Conseil d'administration de l'agence
France-Presse ont pour objet de mettre en oeuvre le principe de participation,
«le législateur ne pouvait, sans méconnaître le
principe d'égalité, instituer une différence de traitement
entre les personnels de l'agence selon qu'ils sont ou non de nationalité
française» 78.Ici sont déclarés contraire
à la constitution, le mot« nationalité
française» figurant dans le sixième et septième
alinéas de l'article 7 de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de
l'AFP.
Dans sa décision n°2011- 159 QPC du 15 août
2011 Mme Elke B. et autres.(Droit de prélèvement dans la
succession d'un héritier français), la QPC posée est
relative à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 qui vise à
protéger les héritiers français des effets
discriminatoires à leur égard d'une loi successorale
étrangère. Il institue un droit de prélèvement
permettant à tout français de réclamer sur les biens
situés en France la part que lui octroierait la loi française et
dont il a été privé par application de la loi
étrangère. Les requérantes soutenaient que cette
disposition méconnaissait le principe d'égalité. Le
Conseil constitutionnel juge qu'en réservant le droit de
prélèvement sur la succession au seul héritier
français, la disposition établit une différence de
traitement entre les héritiers venant également à la
succession d'après la loi française et qui ne sont pas
privilégiés par
76.Décision n°2010-93 QPC du 04
février 2011 comité HARKIS et vérité .( allocation
de reconnaissance)
77.Décision n°2010-18 QPC du 23 juillet
2010, M. Lahcène A.( carte du combattant).
78Décision n 2011-128 du 6 mai 2011, syndicat
SUD AFP( Conseil d'administration de l'Agence France-Presse, cons.5)
52
la loi étrangère. Cette différence de
traitement n'est pas en rapport direct avec l'objet de la loi qui tend,
notamment à protéger la réserve
héréditaire.79
Dans sa décision 2011-123 QPC du 29 avril 2011,
M.MOHAMED T(Allocation adulte handicapé), le requérant soutenait
que la condition d'inactivité posée au 2e de l'article L. 821-2
du code de sécurité sociale privait les personnes
handicapées en cause les moyens convenables d'existence en
méconnaissant le onzième alinéa du préambule de la
constitution de 1946 qui pose le principe de la solidarité nationale et
le principe constitutionnel d'égalité. En sanctionnant les
personnes handicapées qui ont occupé un emploi à celles
qui n'en ont pas occupé sans que la différence de traitement qui
en résulte n'apparaisse en rapport direct avec l'objet de la loi qui
l'établit. Mais, le juge de la loi a estimé que la
différence de traitement qui résulte des situations
différentes était en rapport direct avec l'objet de la loi qui
est de réserver l'allocation aux personnes qui ne sont pas en
capacité de subvenir à leurs besoins essentiels par la perception
des revenus tirés de l'exercice d'une activité
professionnelle.
Les droits reconnus aux étrangers peuvent être
dans leur exercice limités par les exigences d'ordre public. La
prépondérance de l'intérêt général
rend les droits des étrangers vulnérables en ce sens qu'ils
restreignent l'exercice effectif de ces droits. Pour éviter tout
arbitraire, les mesures restrictives de ces droits sont sous le contrôle
du juge administratif. Ces droits étant relatifs et conditionnels.
B. La rupture d'égalité justifiée par
les exigences d'intérêt général ou de sauvegarde
de
l'ordre public.
La jouissance des droits constitutionnels reconnus aux
étrangers n'est pas absolue. L'exercice de ces droits fondamentaux
suppose une conciliation avec les exigences d'ordre public. Les données
de problème ressortent de certains principes devenus classiques en
matière des étrangers, «si le législateur
peut s'agissant de l'entrée et du séjour des étrangers,
prendre des dispositions spécifiques destinées notamment à
assurer la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur
constitutionnelle, il lui appartient de concilier cet objectif avec le respect
des libertés et des droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui
résident sur le territoire de la
république»80.
79.Décision n° 2011-159 QPC du 5
août 2011, Mme Elke B. et autres( Droit de prélèvement dans
la succession d'un héritier français).
80.Décision n°93-325 DC des
12-13août 1993, préc. Cons.3.
53
Il semble que la conciliation que le législateur devra
opérer ressort de l'opposition entre les droits fondamentaux des
étrangers et la sauvegarde de l'ordre public. Le caractère
défensif de ces droits fondamentaux s'exprime par la protection de
l'individu contre les ingérences de l'État. Mais dès lors
qu'un intérêt public le justifie, les autorités publiques
peuvent s'immiscer dans cette sphère de liberté. Dans ce cas, il
n'est plus question d'abstention de l'État mais de limitation de son
intervention. Ainsi, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
du 9 avril 1996, il apparaît que l'égalité n'est pas un
droit fondamental absolu et inconditionnel, mais au contraire une norme
relative et contingente.
L'objectif de sauvegarde de l'ordre public qui justifie
l'intervention du législateur fait échos au principe selon
lequel« les conditions d'entrée et de séjour pouvant
être restreintes par des dispositions spécifiques»
81 . L'objectif de lutte contre l'immigration clandestine
correspond à un objectif d'intérêt général
justifiant la mise en oeuvre d'une réglementation spécifique. Il
convient de noter que l'intérêt général peut
justifier une discrimination entre les étrangers. Ce qui amène
les autorités publiques à instituer des réglementations
qui mettent en cause les droits fondamentaux des étrangers
irréguliers. Dans cette hypothèse, l'intérêt public
se caractérise par sa prépondérance. Les étrangers
peuvent voir l'exercice de leur droit restreint en cas de menace à
l'ordre public ou lorsque la nécessite de l'intérêt
général le justifie. Il peut se traduire soit par le refus
d'accorder une protection subsidiaire à un étranger ou de prendre
des mesures administratives privatives de libertés telles que la
rétention administrative ou simplement une mesure d'éloignement
ou d'expulsion, voire même de délivrer une autorisation de quitter
le territoire à l'égard des étrangers en situation
irrégulière. Le refus de renouveler le titre de séjour de
l'étranger pour atteinte à l'ordre public participe à la
sauvegarde de l'intérêt général.
CHAPITRE II: l'influence des engagements internationaux
et européens dans la protection
des droits des étrangers.
La QPC a transporté le Conseil constitutionnel dans
l'espace de l'application de la loi et dans le temps du procès
82 .Dans ce champ, la pression des droits fondamentaux
européens issus de la CEDH et du droit de l'union européenne est
plus forte que dans l'exercice du contrôle a priori de
constitutionnalité de la loi. La QPC est marquée par une
ambivalence: d'abord par son caractère prioritaire par rapport au
contrôle de conventionalité par lequel le législateur
organique rappelle la place de la constitution au
81Ibid, 12-13 août 1993.
82.A.JAUREGUIBERY,«influence des droits
fondamentaux européens sur le contrôle a posteriori
»,RFDA 2013, p10.
54
sommet de l'ordre juridique interne, puis le caractère
a posteriori du contrôle qui conduit à l'intensification les
interactions entre les droits fondamentaux constitutionnels et
européens. L'influence du droit européen et international est
déterminant dans la protection des droits des étrangers, la
convergence de ces droits s'impose en vu d'une protection efficace des droits
des étrangers(section 1) et dont est tributaire la
protection constitutionnelle(section2).
Section 1: La convergence entre les droits
constitutionnels et les droits d'origine européenne
et internationale.
La contrainte qui pèse sur le Conseil constitutionnel
tient à la cohérence des droits fondamentaux. Depuis longtemps,
le Conseil était la seule juridiction en Europe à exercer le
contrôle a priori de surcroît sur saisine d'autorités
politiques. Il était de ce fait un gardien des droits fondamentaux mais
non le gardien. L'avènement de la QPC marque une étape importante
parce qu'elle a contraint la France à repenser ses liens avec les droits
européens qu'il s'agisse du droit de l'union et surtout celui de la
CEDH83.
La QPC a renforcé la mission du Conseil de gardien des
droits fondamentaux(B) mais lui confère dans le
contexte européen la responsabilité de la cohérence des
droits fondamentaux dans l'ordre juridique français, ce qui passe par
l'intégration des arrêts de la CEDH dans ses
décisions(A).
A. L'intégration des arrêts de la CEDH dans
les décisions de la QPC.
A l'heure actuelle, aucune décision rendue par le
Conseil constitutionnel dans le cadre de la QPC n'a fait
référence de manière expresse à la CEDH, pas
même à titre confortatif. Depuis l'entrée en vigueur de la
QPC, le Conseil constitutionnel est devenu une juridiction constitutionnelle au
même titre que les autres Cours constitutionnelles européennes.
Elles sont soumises aux règles procédurales de la CEDH. Il en
résulte donc une standardisation du procès constitutionnel.
La règle de l'épuisement des voies de recours
internes n'a pas encore concerné le procès constitutionnel. En
l'état actuel de la jurisprudence européenne, le requérant
français n'est pas tenu de poser la QPC avant de saisir la Cour de
Strasbourg. S'agissant de la soumission de la QPC aux exigences du
procès équitable, il est acquis que l'ensemble des juridictions
françaises concernées par la procédure de la QPC sont
tenues de
83.A.LEVADE,«le Conseil constitutionnel aux
prises avec le droit communautaire», RDP 2004, p.909.
55
respecter l'article 6paragraphe1de la CEDH84. Ce
qui constitue en soi une conséquence procédurale de la QPC
découlant des obligations conventionnelles de la France.
Cet article a pour but de protéger les droits des
individus. A ce jour, la QPC s'inscrit dans le cadre de la jurisprudence
Ruiz-Mateos85. Les règles de procès équitable
s'appliquent sans hésitation devant non seulement le Conseil
constitutionnel mais aussi devant le juge se prononçant sur le
bien-fondé de la question. L'inclusion du procès constitutionnel
dans le champ de l'article 6§1 de la CEDH participe d'avantage de la
légitimation de la justice que de sa banalisation. L'alignement du
procès constitutionnel français sur les standards
procéduraux de la CEDH apparaît une évidence mais
l'intégration des arrêts de la CEDH ne sera systématique
qu'en cas de condamnation de la France. Depuis l'avènement de la QPC,
une nouvelle incidence s'impose à la juridiction constitutionnelle,
celle de l'harmonisation de plus en plus forte de la jurisprudence
constitutionnelle et conventionnelle en matière des libertés.
Elle est marquée sur le plan institutionnel par la création de la
QPC et sur le plan matériel par son ouverture progressive sur le droit
européen.
Le Conseil constitutionnel se retrouve à l'intersection
de deux ordres juridiques: français et européen. D'une part, il
se devait d'assurer l'ouverture du droit national sur le droit international
afin de permettre l'adaptation du texte constitutionnel aux exigences
liées à l'appartenance de la France à un ordre
supranational. Et d'autre part, il doit veiller à
l'intégrité de la norme fondamentale dont il est le garant. Le
Conseil a su se familiariser avec le droit européen soit au titre du
contrôle de la conformité constitutionnelle des traités ou
du contrôle de la constitutionnalité des lois de transpositions
des directives86.
En revanche, l'ouverture du Conseil au droit de la CEDH
apparaît embryonnaire. Il demeure à ce jour l'une des rares Cours
en Europe à ne jamais se référer expressément
à la CEDH dans les motifs de ses décisions. Cela n'exclue pas des
similitudes entre les deux jurisprudences tant dans les techniques
d'interprétation que de contrôle, que dans l'attachement à
des valeurs communes. On peut difficilement contester la paternité
européenne du droit à la dignité humaine
dégagée dans sa décision du 27 juillet 199487.
La place résiduelle laissée à la CEDH semble s'expliquer
selon Professeur (D)
84.O. DUTHEILLET de LAMOTHE,«Conseil
constitutionnel et la convention européenne pour la sauvegarde des
droits de l'homme et libertés fondamentales: un dialogue sans
parole», mélanges en l'honneur du Président Bruno
Genevois, Paris, Dalloz, 2008 p. 403.
85.CEDH, arrêt du 23 JUIN 1993, Ruiz Mateos c.
Espagne( série A-262°)
86D.SZYMCZAK,« Convention européenne
des droits de l'homme et juge constitutionnel national», Bruxelles,
Bruyant 2007,p.432.
87.Conseil cons., décision n°94-343 DC du
27juillet 1994:« la loi sur la bioéthique »(Rec.100).
56
SZYMCZAK, «par la volonté du Conseil
de préserver la «pureté» de ses normes de
référence et de se préserver de la concurrence
exercée par la Cour de Strasbourg en matière de protection des
droits de l'homme»88.
L'intégration des exigences des droits européens
dans le cadre spécifique du droit français fait
transparaître cette volonté du Conseil. Il est victime de la
cohérence réalisée par la réception
constitutionnelle du droit fondamental européen considéré
comme équivalent et complémentaire.89
L'exemple de la GAV montre que la jurisprudence de la CEDH
constitue un cadre dans lequel le droit constitutionnel va évoluer. Dans
sa décision GAV I, le Conseil a reconnu au gardé à vue le
droit de garder le silence et d'être assisté d'un avocat
dès le début des interrogatoires. Or la Cour de Strasbourg avait
jugé que ces deux droits découlaient de l'exigence d'un droit au
procès équitable. Dans le prolongement de cette décision
sur la GAV, le Conseil a considéré que le procureur de la
république auquel la personne est déférée à
l'issue de sa GAV sans la présence d'un avocat ne saurait être
autorisé à consigner les déclarations de celui-ci sur
les faits qui font l'objet de poursuite. Le Conseil peut
faire montre de divergence par rapport au droit européen relatif aux
droits des étrangers.
C'est en référence aux visas de la directive
«retour» et des arrêts EL DRIDI et ACHUGHBABIAN de la CJUE que
la chambre criminelle de la Cour de cassation a émis un avis
d'illégalité de la GAV. On peut souhaiter que l'introduction et
le succès de la QPC permettent d'harmoniser la jurisprudence
constitutionnelle et celle de la Cour de Strasbourg. Comme le souligne Olivier
DUTHEILLET de LAMOTHE «le Conseil constitutionnel, s'il veut
garantir l'unité de l'ordre juridique français et la
sécurité juridique qui en découle pour les justiciables,
est tenu de s'inspirer étroitement de la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg comme celle de la Cour de justice de l'union
européenne»90. Depuis la loi
n°2011-392 du 14 avril 2011, la GAV n'est encourue que pour un crime ou un
délit puni d'emprisonnement. Ainsi, la GAV utilisée pour
contrôler la situation migratoire d'une personne interpellée est
devenue illégale.
Le Conseil est soucieux d'être perçu avant tout
comme protecteur des droits fondamentaux des requérants. Si la CEDH est
sensible à l'effectivité du recours, selon
88D.SZYMCZAK, op.cit.,p .432.
89.R.TINIERE,« la question prioritaire de
constitutionnalité et le droit européen des droits de l'homme
,entre équivalence et complémentarité», RFDA,
2012,p. 621.
90.O.DUTHEILLET DE LAMOTHE,« Conseil
constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme: un dialogue
sans parole ,mélanges en l'honneur du Président Bruno
GENEVOIS»,Panis, Dalloz, 2008,p.403.
57
Philippe BLACHER «le Conseil constitutionnel
est sensible à l'effet utile de la QPC pour le justiciable qui l'a
posée»91.
B. Le renforcement de la mission du Conseil constitutionnel
de gardien des droits fondamentaux.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel dans le cadre de
la QPC laisse transparaître un standard de protection équivalent
au droit européen. Certes, l'alignement n'est pas systématique
avec les systèmes européens de protection des droits
fondamentaux. La mutation juridictionnelle du Conseil renforce le pouvoir du
justiciable de saisir le Conseil bien qu'indirectement et de
bénéficier de toutes les garanties qu'offre toute juridiction.
L'avènement de la QPC a entraîné le développement
des droits fondamentaux comme sources normatives et renforcer du coup le
rôle du juge comme interprète et garant de ces droits.
Attaché à sa mission, le Conseil n'a cessé
d'étendre son contenu de bloc de constitutionnalité sur la base
des différents principes auxquels renvoie le préambule de la
constitution en faisant preuve de temps à autre d'une certaine
créativité.
Signalons qu'il n'existe pas de hiérarchie formelle
entre les droits et libertés des citoyens. Toutefois, le Conseil dispose
d'une marge d'appréciation pour concilier les droits et libertés
dont il entend garantir le respect. Dans le texte initial, le Conseil
était chargé de faire respecter la répartition des
compétences entre le législatif et l'exécutif inscrits aux
articles 34 et 37 de la constitution.
L'article 61 de la constitution prévoyait la saisine du
Conseil par certaines autorités politiques avant la promulgation de la
loi pour examiner sa conformité à la constitution. Le juge du
respect du formalisme constitutionnel s'est transformé en juge
garantissant les droits fondamentaux.
Depuis longtemps, le contrôle a posteriori de la loi
était impossible en France. La révision constitutionnelle du 23
juillet 2008 institue cette possibilité sous forme de QPC. Ayant pour
but de permettre à tout justiciable de contester une disposition
législative qui porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution protège. Ce mécanisme vise à purger l'ordre
juridique des dispositions inconstitutionnelles et permettre aux citoyens de
s'approprier la Constitution. Le contrôle exercé par le Conseil
dans le cadre de la QPC est un contrôle concret parce que portant sur une
disposition litigieuse. Avec ces deux contrôles exercés par le
Conseil dont il a le monopole va transparaître la cohérence de la
protection des droits des étrangers en tant que justiciable à
l'aune du droit européen et conventionnel.
91.P. BLACHER,« censure vaut
abrogation», les petites affiches, 2011, n°spécial un an
de QPC.
58
Section 2: La protection constitutionnelle des droits
des étrangers tributaires des conventions internationales et
européennes.
L'effectivité de la protection des droits des
étrangers suppose une harmonisation de jurisprudence et des
interprétations qu'elles comportent. Les droits reconnus aux
étrangers par les conventions internationales permettent de renforcer
cette protection. La mutation de la question de constitutionnalité
opérée par le législateur doit écarter
l'hypothèse de concurrence en dissociant le type de contrôle.
Cette transformation du paysage constitutionnel français doit permettre
un effort sérieux d'assimilation de ses décisions à la
lumière de celles du droit européen ou du droit conventionnel.
Dans l'intérêt du justiciable et la cohérence de la
protection des droits fondamentaux des étrangers, la convergence des
décisions QPC et celles de la CEDH est nécessaire
(A) et le refus de transmission de la QPC pourra donner lieu
à un contentieux sur le plan européen(B).
A. La convergence des décisions QPC et celles de la
CEDH.
Le mécanisme de la QPC doit obéir à une
exigence de variété permettant à une technique juridique
de s'adapter à son objectif. La prise en compte par le Conseil
constitutionnel du droit de la convention et la jurisprudence de la CEDH dans
le cadre de ses décisions demeurait très timide et pour
l'essentiel implicite. La procédure de la QPC a provoqué une
standardisation du procès constitutionnel. Elle devra permettre une
harmonisation des jurisprudences relatives à la protection des droits
fondamentaux et mettre fin au «dialogue sans parole»
92qui a longtemps prévalu entre le Conseil
constitutionnel et la CEDH. En examinant les QPC auxquelles le Conseil a eu
à répondre, on peut être frappé par la similitude
des questions abordées et celles rencontrées dans la
jurisprudence européenne. Espérons que la QPC va accroître
les points de contact et les Zones de friction entre les deux juridictions.
Dans sa décision n°2011-155 QPC du 29 juillet 2011
Mme Laurence L.( Pension de réversion et couples non mariés), le
Conseil constitutionnel a refusé d'étendre aux couples non
mariés le bénéfice d'une pension de réversion. Il a
rejeté le grief d'atteinte au principe d'égalité
invoqué par la requérante à propos de l'article L.39 du
code des pensions civiles et militaires de retraite. L'analyse des juges avait
porté sur la comparaison des obligations réciproques des
époux, partenaires liés par un PACS et concubins. Cette
décision rappelle la jurisprudence administrative93 et celle
de la CJUE.94 Bien que, le Conseil ne mentionne
92O.DUTHEILLET DE LAMOTHE, op.cit.,2008, p. 403.
93.C E, 6 décembre 2006, n°262096 : «
si le législateur a subordonné le droit à pension de
réversion, en
59
pas toujours expressément le droit au procès
équitable, il a rendu quelques décisions s' y rapportant
notamment la décision 2010-10 QPC sur la composition des tribunaux
maritimes commerciaux pour atteinte au principe d'indépendance et
d'impartialité du juge, sur la décision 2010-14/22 QPC sur la
garde à vue, le Conseil est venu abroger les dispositions
législatives pour atteinte aux droits de la défense et 2010-
15/23 QPC sur l'article 575 du code de procédure pénale pour
atteinte aux droits de la défense.
En outre, trois décisions ont fait mention expresse du
droit au procès équitable depuis 1er mars 2010 bien qu'aucune ne
prononce sur cette base une annulation des dispositions en cause. Il s'agit de
décision n° 2010-10 QPC, 2010-38 QPC, 2010-119QPC.
Au titre des décisions concordantes, on doit mentionner
la décision Labane du 28 mai 2010 relative à la
décristallisation des pensions des «anciens combattants».Dans
cette affaire, la CEDH a été mobilisée depuis 2001,
l'arrêt DIOP ayant permis de censurer sur le fondement combiné des
articles 14 CEDH et 1er du protocole n°1, une discrimination quant au
montant des pensions versées aux anciens combattants selon leur
nationalité. Le critère de résidence et de pouvoir d'achat
peuvent être pris en compte pour le calcul de pension mais à la
condition qu'il soit appliqué pour tous y compris aux français
vivant à l'étranger. De ce point de vue, la décision
Labane apparaît compatible à la jurisprudence
européenne.
Il convient de constater que certaines décisions du
Conseil divergent de celles de la CJUE. Dans sa décision du 17 juin 2011
relative au RSA, le Conseil a adopté une position contradictoire avec la
charte sociale européenne. Elle prévoit à son article
13§1 que les parties doivent «veiller à ce que
toute personne qui ne dispose pas des ressources suffisantes et qui n'est pas
en mesure de se procurer celles-ci par ses propres moyens ou de les recevoir
d'une autre source, notamment par des prestations résultant d'un
régime de sécurité sociale, puisse obtenir une assistance
appropriée».Les conditions
d'antériorité du séjour pour l'assistance sociale et
médicale sont condamnées et le comité européen des
droits sociaux rappelle souvent la France. La HALDE a estimé que ces
exigences violent le principe de non-discrimination protégé
par
l'absence d'enfants, à une stabilité du mariage
de quatre années, une telle condition destinée à faire
dépendre de la dette de l'État de la stabilité du mariage
en limitant les risques de fraude, est fondée sur un critère
objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi» et ne
méconnaît pas les exigences européennes( notamment, le
principe de non discrimination posée par la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
94.CJUE, 1er avril 2008, Maruko aff C-276/06 ; CJUE,
10 MAI 2011, aff C-147/08, RÖmer «l'appréciation de la
comparabilité(des modes de conjugalité) doit être
focalisée sur les droits et obligations respectifs des époux et
des personnes engagées dans un partenariat de vie, tels qu'ils sont
régis dans le cadre des institutions correspondantes, qui sont
pertinentes compte tenu de l'objet et des conditions d'octroi de la prestation
en question »
60
de nombreux textes internationaux.
Plus récemment, dans sa décision 2011-217 QPC
relative au délit d'entrée ou de séjour irrégulier
en France, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L.621-1
du CESEDA conforme à la constitution alors que la CJUE réunie en
grande chambre avait déclaré contraire à la directive
retour ce même article dans l'arrêt ACHUGHBABIAN.95
Le mécanisme de la QPC n'interdit pas au justiciable de
saisir les juridictions européennes en vue de faire valoir les droits
qu'il tire de ces conventions et engagements internationaux pour lesquels la
France est partie ou ayant ratifié. Ainsi, le refus de transmettre une
QPC pourra générer un contentieux sur le plan européen
avec risque de condamnation de la France pour non respect de ses obligations
internationales.
B. Le refus de transmettre la QPC peut
générer un contentieux sur le plan
européen
Aucune décision QPC ne fait obstacle au
requérant à recourir aux juridictions européennes pour
défendre ses droits. A ce jour, aucun refus de transmission de QPC n'a
fait l'objet d'un recours soit devant la CJUE, soit devant la CEDH. Cependant,
les juridictions françaises ont saisi la CJUE à titre
préjudiciel notamment le Conseil constitutionnel sur
l'interprétation des articles 27 et 28 de la décision cadre
relative au mandat d'arrêt européen (Conseil constitutionnel,
décision n° 2013-314 QPC du 4 avril 2013, M. Jérémy
F).Cette décision du Conseil constitue un pas décisif non
seulement dans le dialogue entre les juges nationaux et européens mais
aussi dans la volonté du Conseil de participer à ce dialogue.
Dans sa décision QPC du 16 avril 2010, Melki et Abdeli,
la Cour de cassation avait saisi la CJUE à titre préjudiciel sur
la question de la conformité de l'article 23-2 de la loi organique au
traité sur le fonctionnement de l'union européenne. Bref la
question a porté sur l'euro-compatibilité du caractère
prioritaire de la QPC. La CJUE souligne «qu' afin d'assurer la
primauté et l'efficacité du droit de l'union, le juge national
doit être libre de saisir, à tout moment de la procédure
qu'il juge approprié tant avant qu'à l'issue d'une
procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la
CJUE d'une question préjudicielle» 96 . Rappelons
que la Cour de cassation avait estimé inutile de transmettre au Conseil
constitutionnel cette question au motif que la CJUE saisie d'une question
préjudicielle
95.D.SIMON, «Directive retour «et
sanctions pénales du séjour irrégulier », le
Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 février 2012 refuse
de censurer la loi française, Europe 2012/3, repère 3.
96CJUE, 22 juin 2010,Melki et Abdeli,C-188/10 et
C-189/10.
avait répondu que ce contrôle était
contraire aux dispositions du traité sur fonctionnement de l'union
européenne car susceptible de revêtir un effet équivalent
à celui des vérifications aux frontières.
Cette analyse de la CJUE apparaît proche de la
méthode adoptée par le Conseil d'État dans la
jurisprudence «Arcelor»97. Face à
la délicate question de contrôle des lois de transposition, le
Conseil d'État avait estimé qu'en cas d'équivalence de
protection au plan constitutionnel que communautaire, le juge national doit
privilégier le contrôle de conformité de la directive au
droit primaire et en cas de difficulté sérieuse, il pourra saisir
la CJUE d'une question préjudicielle.
Dans sa décision QPC 2010-79 M. KAMEL. D (transposition
de la directive), le Conseil s'est déclaré incompétent en
ce sens que le respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des
directives ne relève pas des droits et libertés que la
constitution garantit, et ne saurait, par la suite, être invoqué
dans le cadre d'une QPC. Ce dernier avait saisi la CEDH (Daoudi C/.France,
CEDH, 5e sec t. 3 décembre 2009, n°19576/08).
Le requérant est français d'origine
Algérienne, déchu de sa nationalité française avec
interdiction définitive du territoire français pour association
de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste. Il fit l'objet d'une
procédure d'expulsion vers l'Algérie où il risque
d'être soumis au traitement inhumain, ce qui emporterait une violation de
l'article 3 de la CEDH par la France. La CEDH a demandé à la
France de surseoir à l'expulsion vers l'Algérie le temps
d'examiner sa requête. Il est actuellement assigné en
résidence en Auvergne.
Pour la CEDH, les agissements de la personne sont sans
pertinence sous l'angle de la protection de l'article 3 de la CEDH. Ici, la
Cour refuse d'évaluer le risque de mauvais traitement que le
requérant allègue avec sa dangerosité pour la
collectivité.
Ainsi, chaque fois qu'une difficulté sérieuse se
présente, rien ne pourra empêcher le juge national de saisir la
CJUE d'une question préjudicielle en vue d'une interprétation
d'une disposition communautaire ou dans le cas échéant de la
validité d'un acte. Le juge national dispose donc de la faculté
de poser une question préjudicielle à tout moment qu'il juge
approprier sans être empêché. C'est à cette condition
que la QPC devient euro-compatible.
61
97CE, ASS 8 février 2007 n°287110
62
CONCLUSION
La protection des droits des étrangers par le biais de
la QPC devient une réalité. La spécificité et les
enjeux présentés par le droit des étrangers conduisent le
juge constitutionnel à vouloir pérenniser les choix du
législateur lorsqu'il est saisi de QPC relative aux droits des
étrangers. Ceci pourra s'expliquer par le fait, que le juge
constitutionnel cherche à faire prévaloir l'intérêt
général sur les intérêts en cause dans le litige.
Cette tendance permet de s'interroger sur l'efficacité du contrôle
a posteriori pour les parties en instance et notamment les étrangers
dans la mesure où leur requête a peu de chances d'aboutir.
En matière de protection sociale par exemple, les choix
du législateur visent à adapter le système de protection
aux conditions économiques tout en répondant aux besoins sociaux
croissants. La prévalence de l'intérêt
général sur l'intérêt des parties en instance
conduit le législateur à prendre des mesures pour encadrer les
conditions d'accès aux prestations sociales. Ceci se traduit par la mise
en place de plafonds des revenus et par le durcissement des conditions
d'ouverture des droits à prestations pour les étrangers
(durée du séjour de 5 ans par exemple, la
régularité et la stabilité du séjour etc.).
En effet, l'appréciation des décisions QPC
rendues par le Conseil constitutionnel en matière de protection sociale
permet de constater que les sages semblent réticents à
reconnaître l'inconstitutionnalité des dispositions
législatives mises en cause par les requérants
(étrangers).Comment expliquer ce ressenti? Existerait-il des
caractéristiques intrinsèques à la protection sociale qui
justifieraient cette tendance? Quel est l'impact pour les requérants?
La mise en oeuvre des mesures d'encadrement a conduit les
justiciables à s'interroger et à contester leur conformité
au principe constitutionnel d'égalité. Ainsi, les
décisions de non conformité à la constitution dans le
cadre de notre travail n'ont été déclarées sur le
fondement du principe d'égalité. Il s'agit
décristallisation des pensions, allocation de reconnaissance, carte du
combattant, droit de prélèvement dans la succession d'un
héritier français, élection au Conseil d'administration de
l'AFP, GAV, et sur la détention provisoire(voir tableau en annexe).Cette
liste très limitative des QPC favorables aux étrangers a pu
bénéficier des décisions de non conformité à
la constitution par rapport aux
63
multiples décisions de non renvoi et de
conformité prononcées par le Conseil et les juridictions
suprêmes. Les juges de la rue Montpensier utilisent souvent
l'intérêt général comme condition de
constitutionnalité permettant les restrictions législatives
à l'égalité de traitement. Ceci entraîne le
renforcement des objectifs du législateur et la diminution de la
protection des principes constitutionnels. Cependant, le Conseil
constitutionnel apprécie les objectifs en cause à travers aussi
le principe de proportionnalité. La retenue du Conseil constitutionnel
pourrait s'expliquer aussi par la nature de ses pouvoirs qui ne sont pas
identiques à ceux du parlement. Ceci ne le permettant pas de substituer
son appréciation à celle du législateur. A titre
d'illustration, dans sa décision du 17 juin 2011 n° 2011-137 QPC,
le Conseil constitutionnel a validé les conditions de
l'antériorité de la résidence pour l'attribution du RSA au
regard du principe d'égalité. Il a estimé que la
différence de traitement établie est en lien avec la
finalité de la loi qui est l'insertion professionnelle. Et a
affirmé que la stabilité du séjour est une condition
nécessaire à cette finalité, et qu'il n'est pas
disproportionné. Dans l'analyse du Conseil constitutionnel,
l'objectivité de la loi et l'intérêt général
priment sur la subjectivité des situations individuelles. Le bilan du
contrôle de constitutionnalité des lois en matière de QPC
sur des questions de protection sociale relatives aux étrangers est donc
à nuancer pour les parties en instance et pour tous les justiciables.
Il convient de signaler que les dispositions censurées
par le Conseil sont dépourvues de tout lien avec les questions
d'entrée et de séjour car chaque fois qu'un lien même
indirect avec la maîtrise des flux migratoires, le Conseil
constitutionnel écarte le grief d'inconstitutionnalité notamment
les décisions relatives à l'acquisition de la nationalité
française: acquisition de la nationalité par le mariage avec
présomption de fraude, les effets indirects sur la nationalité de
la réforme de la filiation et sur le délit de séjour
irrégulier etc.
Le Conseil constitutionnel n'a pas les moyens
d'apprécier a priori les effets de la législation en
matière de protection sociale. Le législateur dispose d'une
grande liberté pour choisir les moyens les plus adaptés pour
atteindre l'objectif fixé. Or le manque d'effectivité de la
législation portant atteinte aux droits des justiciables apparaît
au moment de son application. Le contrôle a posteriori offrirait donc une
opportunité de corriger ces atteintes en prononçant dans certains
cas l'abrogation des textes inconstitutionnels. S'agissant des droits
-libertés, l'obsession sécuritaire dont est victime les droits
des étrangers détermine les conditions restrictives
imposées aux étrangers dans l'exercice de ces derniers.
64
La prépondérance de l'ordre public contribue
à limiter la jouissance effective de ces droits bien que
constitutionnellement garantis. Ces conditions restrictives bien que soumises
au contrôle du juge administratif qui en apprécient la
légalité traduit la vulnérabilité des droits des
étrangers. Ces droits sont reconnus sous condition, ils n'ont pas de
caractère absolu. Cette réalité va se traduire par de
refus de délivrance de titre de séjour, de refus de visa , des
mesures d'expulsion, de refus de protection subsidiaire, de retrait de titre de
séjour ou de refus de renouvellement de celui-ci. Le statut
précaire des étrangers découle aussi de la
réduction toujours renouvelée par des dispositifs
législatifs contraignant sa sphère de liberté.
L'étranger est devenu une personne harcelée. La
suspicion permanente de l'étranger fraudeur, la pénalisation de
l'irrégularité du séjour traduit la complexité de
la situation de l'étranger pour qui, divers visages lui sont
attribués: étranger indésirable, un besoin, un être
différent de nous, un profiteur. Nouvelle cible de politique
d'immigration, la maltraitance que l'étranger subit s'effectue par le
biais de contrôle des conditions de résidence et
régularité de séjour pour l'accès aux droits
sociaux. Cependant, la protection des droits fondamentaux des étrangers
ne relève pas de la compétence exclusive du Conseil, celui-ci est
influencé par le droit européen même s'il ne se
réfère pas de manière expresse dans ses
décisions.
Certaines décisions rendues par le Conseil convergent
avec la jurisprudence de la CEDH notamment celle sur la GAV (droits au
procès équitable) et celle sur la décristallisation des
pensions des anciens combattants (l'utilisation combinée de l'article 14
et 8 de la CEDH).
En revanche, certaines décisions divergent notamment,
il en va ainsi des décisions relatives à la pénalisation
de l'irrégularité du séjour par le juge interne alors que
la CJUE estime que ce délit d'irrégularité est contraire
à la directive retour (Décision de la CJUE du 6
décembre2011,affaire C-329/11, M. Alexandre ACHUGHBABIAN).Le
Conseil avait validé la constitutionnalité des articles 9 et 9-1
de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens
des voyages en ce sens que la différence de traitement est objective de
la situation tenant à leur« mode de vie
itinérant».Il semble que la CEDH qui a consacré sur le
fondement de l'article 8«le droit au respect du mode de vie
traditionnel des tziganes» ne partage pas pleinement cette analyse
avec le Conseil.
Dans le cadre de notre recherche, il a été
constaté que la QPC s'inscrit dans la logique de la CEDH en ce qui
concerne la conformité à l'article 6§1 (droits au
procès équitable) dont le Conseil s'inspire sans l'affirmer
expressément. Le risque de condamnation de la France
65
pour violation de ses obligations en matière des droits
fondamentaux est permanent. Toutes les juridictions françaises sont
sensibilisées et s'y conforment déjà. Dans le cadre de
contrôle a priori, le Conseil s'est inspiré de la CEDH pour faire
émerger des droits constitutionnels comme le respect à la vie
privée, la liberté du mariage, le principe de la dignité
de la personne humaine au profit des étrangers. Qu'il s'agisse des
décisions relatives à la garde à vue, à la
motivation des cours d'assises, on voit que l'influence de la jurisprudence de
la CEDH a été déterminante. Ceci permet d'assurer une
proximité des droits et libertés constitutionnels et
conventionnels et par conséquent rapprocher leur jurisprudence pour le
bien de tous les justiciables.
Cependant, il n'existe pas à ce jour d'obligation qui
incomberait à l'État français à l'égard de
l'étranger pour avoir laissé perdurer une disposition
inconstitutionnelle dans l'ordre juridique interne. L'efficacité de la
procédure de la QPC pour la protection des droits des étrangers
reste à relativiser au regard de la prépondérance de
l'intérêt général tel que le Conseil constitutionnel
ne cesse de ménager dans ses décisions.
La QPC n'a pas apporté ni plus, ni moins des droits aux
étrangers que le reste des justiciables. Elle a certes, renforcé
certains droits sans créer des nouveaux au profit des étrangers.
Elle n'a toute fois pas entraîné de bouleversements, mais a permis
un renforcement de l'État de droit, de la sécurité
juridique et enrichi notre démocratie, au plus grand
bénéfice des justiciables.
Si la QPC constitue sans conteste, une avancée pour un
État de droit, elle demeure une procédure perfectible dans le
sens où certaines décisions demeurent discutables surtout lorsque
les Cours suprêmes évoquent l'absence de caractère
sérieux de la question. Elles interprètent de manière
restrictive les conditions prévues par la loi organique. Le Conseil
constitutionnel devenant une juridiction, on pourrait aussi se poser la
question de la composition de ses membres qui sont à ce jour que
politiques en y intégrant une partie de la doctrine et des juges. Le
refus de transmission d'une QPC n'est pas incompatible avec le droit au
procès équitable sauf à priver le justiciable de toute
voie de recours possible.
Rappelons que les avocats interrogés sur la QPC dans le
cadre de notre recherche,(voir questionnaire en annexe) ont
déclaré que ce mécanisme constitue un succès
indéniable pour tout justiciable, mais ont émis de réserve
quant à son efficacité car la procédure est encore jeune
pour tirer des conclusions.
En revanche, ils admettent tous (5 avocats ayant
répondu à notre questionnaire) les difficultés qu'ils
éprouvent pour prospérer la QPC relative aux étrangers en
situation
66
irrégulière frappés des mesures d'expulsion
du fait de l'absence d'effets suspensifs.
Eu égard aux intérêts en présence
et aux résultats des différentes décisions QPC rendues en
la matière, le dispositif ne montre que peu d'efficacité pour les
requérants étrangers. Par conséquent, la QPC qui
était attendue comme une nouvelle stratégie judiciaire, semble
trop peu opportune pour les parties à l'instance et de ce fait, ne
constitue pas en soi une révolution dans le paysage juridictionnel
français. Les années à venir nous convaincront de
l'efficacité réelle de ce nouveau mécanisme car trois ans
demeurent peu pour juger et tirer des conclusions définitives. Une chose
demeure vraie, une nouvelle procédure est née, il nous appartient
de nous en servir pour le bien de nous tous: défendre nos droits et
libertés garantis par la constitution. On peut saluer la création
de ce nouvel outil de protection dans lequel les avocats ont un rôle
prépondérant à jouer. Ils ont à assumer pleinement
un rôle d'instigateur du droit, de protection des droits et
libertés. Ce sont eux qui sont à l'origine des QPC, de
l'avancée et de l'évolution des droits et des garanties
conférées aux justiciables. Sans pouvoir se tromper, la QPC va
pouvoir aussi apporter un certain renouveau au métier d'avocat.
67
BIBLIOGRAPHIE
I.OUVRAGES GENERAUX:
1.AUBIN (E), Droit des étrangers, 2e éd.
Gualino , nov 2011, p.477.
2.DAADOUCH (C), Le droit des étrangers, éd. MB
Formation,2004, p.94.
3.DESPRÉS (I)/DARGENT(L), code de procédure civile,
104e éd. Dalloz, Paris 2013, p3118.
4.FAVOREU(L)/PHILIPPE(L), les grandes décisions du Conseil
constitutionnel, 13e éd. Dalloz 2005, p.1065.
5.JULIEN-LAFERRIERE (F), Droit des étrangers, PUF, 1ere
éd. Janv 2000, p.549. 6.JAN(P), le procès constitutionnel ,LGDJ,
2e éd. 2010, p.233.
7.LOSCHAK (D), l'étranger et le droit de l'homme, in
mélanges charnier 1981. 8.ROUSSEAU(D),contentieux
constitutionnel,9eéd.MontchrestienLextenso,2010,p586.
9.RENUCCI (JF)/CÉRÉ (JP)/GAYET(C), code de
procédure pénale, 54e éd. Dalloz,Paris
2013,p.2825.
10.SEGUIN (D), Guide du contentieux du droit des
étrangers, lexisNexis, éd. 2013,p.274. 11.TCHEN (V), Droit des
étrangers, 2e éd. Ellipses 2011, p.186. 12.TOPPINO
(A), le droit des étrangers,2e éd. ESF 2009, p.125
13.VANDENDRIESSCHE (X), le droit des étrangers, éd. Dalloz 2012,
p.213.
68
II. REVUES ET ARTICLES:
1.BOULET (M), «QPC et réserves
d'interprétations»,RFDA 2011, p.753.
2.DE BECHILLON(D), «un pas de plus dans la
liberté de choisir son juge( QPC) »,Recueil Dalloz 21
Févr 2013, n°7, p.444.
3.DUTHEILLET de LAMOTHE (O),«Conseil constitutionnel
et la convention européenne pour la sauvegarde des droits de l'homme et
libertés fondamentales: un dialogue sans parole», in
mélanges en l'honneur du Président BRUNO GENEVOIS, Paris, Dalloz,
2008, p.403.
4.FRAISSINER-AMIOT ( V), «les homosexuels
étrangers et droit d'asile en France» ,n° 2, 9 Sept 2011,
RFDA, p.291.
5.GENEVOIS( B),«un exemple de l'influence du
contrôle a posteriori sur le contrôle a priori: une application de
la jurisprudence état d'urgence en nouvelle Calédonie»,
RFDA 2013, p.1.
6.Ibid.,« un statut constitutionnel pour les
étrangers en France» RFDA 1993, p.849.
7.GISTI« le Guide de la protection sociale des
étrangers en France», éd., la découverte, Paris
1997.
8.JAUREGUIBERY( A), «l'influence des droits
fondamentaux européens sur le contrôle a posteriori»,
RFDA 2013, p.10.
9.KARINE ( M),«le droit des étrangers à
la protection sociale», information sociale, 6/2007, n° 142, P.
80-91.
10.LECUCQ (O), le statut constitutionnel des étrangers
en situation irrégulière, thèse de doctorat,
faculté de droit de l'université d'Aix-Marseille, 1999.
11.MATHIEU (B), «la question de
l'interprétation de la loi au coeur de la QPC», semaine
juridique, éd. Générale 2010, n°44, p.2038.
69
12.Ibid ,«9 mois de jurisprudence relative à
la QPC, un bilan», pouvoirs, n°137, 2011, p.58.
13.MILLARD (E), «la constitution ignore les
étrangers», plein droit, 2013/3 n°94, p.14-17.
14.MOLFESSIS (N), «la résistance
immédiate de la Cour de cassation à la QPC», pouvoirs
2011/2, n° 137, p.83-99.
15.MELIN-SAUCRAMANIEN (F), «le principe
d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
quelles perspectives pour la question prioritaire de
constitutionnalité», cahier du Conseil constitutionnel,
octobre 2010, n°29, p.1-7.
16.PERRIER (JB),«le non renvoi des QPC par la Cour de
cassation», RFDA 2011, p.711.
17.ROBLOT-TROIZIER (A), «le non renvoi des QPC par le
Conseil d'État, vers la mutation du Conseil en un juge constitutionnel
de la loi» RFDA 2011, p.691.
18.SAAS ( C), «l'étranger et ses
juges», plein droit, 2012/3, n°94,p.3-5.
19.SZYMCZAK (D),«Convention européenne de
droit de l'homme et juge constitutionnel national», Bruxelles,
bruyant 2007, p.432.
20.SIMON (D), «Directive retour» et
sanctions pénales du séjour irrégulier. Le
Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 février 2012
refuse de censurer la loi française, Europe 2012/3, repère 3.
21.THIELLAY (JP),«les suites tirées par le
Conseil d'État des décisions du Conseil
constitutionnel» RFDA 2011, p.772.
22.TINIERE (R), «QPC et droit européen des
droits de l'homme, entre équivalence et
complémentarité» RFDA 2012, p.621.
III.SITOGRAPHIE:
70
-www.
Conseil-constitutionnel.fr
-www. legifrance.gouv.fr
-www. Conseil d'État.fr
-www. Cour de
cassation.fr
-
www.gisti.org
-www.cairn.info
71
Table des matières
INTRODUCTION 4 PARTIE I: la stratégie juridictionnelle
du Conseil d'État et de la Cour de cassation dans
l'appréciation des conditions posées au renvoi
d'une QPC 12 CHAPITRE I: L'appréciation des conditions de
transmission de la question au Conseil
constitutionnel et sa portée pour les étrangers.
16
Section1 La reconnaissance de l'étranger en tant que sujet
de droit. 17
A. Étranger comme justiciable. 17
B. Étranger, comme détenteur d'un patrimoine des
droits et libertés fondamentaux.18 Section2 : Interprétation des
conditions et du filtre réalisé par les juridictions
suprêmes. 30
A. LA STRATEGIE DU CONSEIL D'ETAT. 31
B. L 'APPRECIATION DE LA COUR DE CASSATION . 33 CHAPITRE
II: La jurisprudence du Conseil constitutionnel au regard du contrôle a
priori
et de la QPC relative aux droits des étrangers.
36 Section 1: Une jurisprudence du Conseil tributaire de la jurisprudence en
matière de
contrôle a priori . 37
QPC, une protection supplémentaire pour les
étrangers. 38
Les réticences des juridictions suprêmes à
transmettre une QPC 39
Section 2: Le caractère modulable de la QPC 40
Inadaptation du temps de la QPC avec les droits des
étrangers. 40
Les conséquences jurisprudentielles de la QPC et ses
effets pour les étrangers 41
PARTIE II: La complémentarité de la QPC au
contrôle a priori pour la protection des droits
des étrangers 43
CHAPITRE I. L'affirmation du principe de différenciation
constitutionnelle des 43
Section 1 La question des droits des étrangers aux
prestations sociales 44
A. La reconnaissance du critère de
régularité et de résidence pour les étrangers.45
B .Les conditions de stabilité et de
régularité du séjour pour accéder à un droit
46
Section 2: Des garanties constitutionnelles des étrangers
bien encadrées. 48
A. L'application du principe constitutionnel
d'égalité aux étrangers. 48
B. La rupture d'égalité justifiée par les
exigences d'intérêt général ou de
sauvegarde de l'ordre public. 51 CHAPITRE II: l'influence des
engagements internationaux et européens dans la
protection des droits des étrangers. 52 Section 1:
La convergence entre les droits constitutionnels et les droits d'origine
européenne et internationale. 53
A.
72
L'intégration des arrêts de la CEDH dans les
décisions de la QPC. 53
B. Le renforcement de la mission du Conseil constitutionnel de
gardien des droits
fondamentaux. 56
Section 2: La protection constitutionnelle des droits
des étrangers tributaires des
conventions internationales et européennes. 57
A. La convergence des décisions QPC et celles de la CEDH.
57
B. Le refus de transmettre la QPC peut générer un
contentieux sur le plan 59
CONCLUSION 61
BIBLIOGRAPHIE 66
ANNEXES 70
ANNEXES
73
ANNEXE N°1 QUESTIONNAIRE:
1. La protection des droits des étrangers par le biais de
la QPC semble-t-elle efficace et effective?
2. La procédure de la QPC est-elle conforme aux exigences
de l'article 6 paragraphe 1 de la CEDH ?
3. La QPC a-t-elle contribué à renforcer
l'État de droit, les droits et libertés des étrangers?
4. Existe-il une obligation de l'État en faveur d'un
étranger frappé d'une mesure d'expulsion prise sur le fondement
d'une disposition législative déclarée contraire à
la constitution ?
5. Le mécanisme de la QPC constitue-t-il une
révolution dans le paysage constitutionnel français en
matière des droits des étrangers ?
6. Le juge qui refuse de transmettre une QPC au Conseil
constitutionnel enfreindrait-il le droit au procès équitable?
74
ANNEXE N° 2:
TABLEAUX DES QUELQUES QPC.
Les décisions QPC rendues par le Conseil
constitutionnel relatives aux droits des
étrangers.
Décisions conformes
|
Décisions non conformes
|
Décisions conformes avec
réserve.
|
Décision n°2011-137QPC,
M.ZELJKO S. (attribution de RSA aux étrangers).
|
Décision2010-1QPC du 28
mai 2010.Consorts
L.(cristallisation des
pensions).
|
Décision n°2011-153
QPC,M. Samir A.(appel des
ordonnances du juge d'instruction et du juge des
libertés et de la détention)
|
Décision n°2011-217QPC
M.Mohamed Alki B.(délit
d'entrée ou de séjour irrégulier en
France)
|
Décision n°2010-14/22 du 30
juillet 2010.M.Daniel W. et autres (Garde à vue I).
|
Décision n°2012-264
QPC,M. Saïd
K.( contestation par le
procureur de la république
de l'acquisition de la nationalité par le mariage)
|
Décision n°2011-120QPC.
M. Ismaël A.(recours devant
la cour nationale du droit d'asile).
|
Décision n°2010-18 QPC DU
23 juillet 2010M.Lahcène A.( carte du combattant).
|
Décision n°2012-227QPC,
M.Omar S(conditions de contestation par le procureur
de la république de l'acquisition de la
nationalité par le mariage).
|
Décision n°2010-79QPC
M.Kamel.D. (transposition
d'une directive)
|
Décision n°2010-93 QPC DU
04 février 2011. Comité Harkis et
vérité ( Allocation de reconnaissance).
|
Décision n°2011-191QPC du 18novembre2011 Mme Elise
A.et autres(Garde à vue II)
|
Décision n°2013-312
QPC.M.JORY ORLANDO
|
Décision n°2011-128 QPC
du 06 mai 2011. Syndicat
|
|
75
T.(condition d'attribution
d'une carte de séjour
mention « vie privée et
familiale » au conjoint
étranger d'un ressortissant français).
|
SUDAFP( conseil
d'administration de l'agence France-Presse).
|
|
Décision n°2012-259QPC du
29 juin2012.M. Mouloud
A.(statut civil de droit local des musulmans d'Algérie
et citoyenneté française)
|
Décision n°2011-159QPC du 05 août 2011,Mme
Elke B.et autres(droit de prélèvement
dans la succession d'un héritier français).
|
|
Décision n°2011-168QPC du
30 septembre2011,M.Samir A.(Maintien en détention
lors de la correctionnalisation en cours d'instruction).
|
Décision n°2010-81QPC du 17décembre2010.M.
Boubakar B.(détention
provisoire :réserve de
compétence de la chambre de l'instruction).
|
|
Décision n°2011-
123QPCdu29avril2011M.Mo hamedT.conditiond'octroidel' allocation
adulte handicapé).
Décision n°2010-13 QPC
du09juillet 2010 M.Orient.et autre (Gens du voyage).
|
|
|
Décision n°2011-186 QPC
du
21octobre2011 Mlle Fazia C.et autres
(Effets sur la nationalité de la réforme
|
|
|
de la filiation).
76
|