Section 2ème :
Le droit à la protection d'un environnement sain
§1. Extrait de l'arrêt
La Cour constitutionnelle, composée des
présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges L. Lavrysen, A. Alen,
E. Derycke, J. Spreutels et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y.
Dutilleux, présidée par le président R.Henneuse.
Après en avoir délibéré, rend
l'arrêt suivant :
Ø Objet du recours et
procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre
recommandée à la poste le 21 février 2011 et parvenue au
greffe le 23 février 2011, un recours en annulation des articles 92, 93,
95 et 96 du décret-programme de la Région wallonne du 22 juillet
2010 « portant des mesures diverses en matière de bonne
gouvernance, de simplification administrative, d'énergie, de logement,
de fiscalité, d'emploi, de politique aéroportuaire,
d'économie, d'environnement, d'aménagement du territoire, de
pouvoirs locaux, d'agriculture et de travaux publics » (publié au
Moniteur belge du 20 août 2010, troisième édition) a
été introduit par Jean-Claude Dierckx, demeurant à 4600
Visé, Allée Verte 77, et Henri Gérard, demeurant à
4684 Haccourt, rue des 7 Bonniers 80.
Le Gouvernement wallon a introduit un mémoire, les
parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et
le Gouvernement wallon a également introduit un mémoire en
réplique.
A l'audience publique du 20 mars 2012 : ont
comparu :
Me J. Merodio loco Me L. Misson et Me A. Kettels, avocats au
barreau de Liège, pour les parties requérantes; Me G. Vanhamme,
avocat au barreau de Bruxelles, loco Me E. Orban de Xivry, avocat au barreau de
Marche-en-Famenne, pour le Gouvernement wallon;
-lesjuges-rapporteurs J.Spreutels et L.Lavryse n'ont fait
rapport;-les avocats précités ont été entendus;
L'affaire a été mise en
délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989
sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et
à l'emploi des langues ont été appliquées.
Ø En droit
A.1.1. Jean-Claude Dierckx et Henri Gérard
justifient leur intérêt à demander l'annulation des
articles 92 et 95 du décret-programme de la Région wallonne du 22
juillet 2010 « portant des mesures diverses en matière de bonne
gouvernance, de simplification administrative, d'énergie, de logement,
de fiscalité, d'emploi, de politique aéroportuaire,
d'économie, d'environnement, d'aménagement du territoire, de
pouvoirs locaux, d'agriculture et de travaux publics » par leur
qualité de riverain d'un site de la région liégeoise qui
serait pollué depuis plus de quatre ans et sur lequel la Région
wallonne souhaiterait installer une « plateforme multimodale »
dénommée « Trilogiport ».
Ils prétendent que les terrains concernés
ont fait l'objet d'une étude d'orientation au sens de l'article 37 du
décret du 5 décembre 2008 relatif à la gestion des sols,
mais que l'administration n'a pas été en mesure de statuer sur
cette étude, parce que le « Code wallon de Bonnes Pratiques »
visé à l'article 1er, 4°, de l'arrêté du
Gouvernement wallon du 27 mai 2009 relatif à la gestion des sols
n'était pas encore adopté et qu'il n'existait pas de laboratoire
agréé en exécution de ce décret et de cet
arrêté. Ils allèguent aussi que cette étude
d'orientation n'a pas été suivie d'une étude de
caractérisation et que le projet d'assainissement introduit dans ce
dossier n'est donc fondé sur aucune étude d'orientation.
A.1.2. Le Gouvernement wallon indique, à ce sujet,
qu'aucun projet d'assainissement lié à l'installation de la
« plateforme multimodale » précitée n'a
été introduit avant le 31 décembre 2010.
Quant au moyen unique, pris de la violation des articles 10,
11 et 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, lus isolément ou
en combinaison avec les articles 5 et 6 de la directive 2004/35/CE du Parlement
européen et du Conseil du 21 avril 2004 « sur la
responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention
et la réparation des dommages environnementaux », avec l'article 8
de la Convention européenne des droits de
l'homme et avec le « principe de sécurité juridique
».
A.2.1. En premier lieu, Jean-Claude Dierckx et Henri
Gérard exposent que les dispositions attaquées violent l'article
23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, en ce qu'elles
réduiraient sensiblement le niveau de protection de l'environnement
existant avant l'adoption de ces dispositions.
Les requérants estiment que ces dispositions
retirent aux riverains d'un site pollué la garantie que l'assainissement
de ce site sera envisagé. Ils soutiennent aussi qu'elles ont pour effet
que, même lorsqu'un projet d'assainissement est établi, il ne
repose que sur des investigations réalisées volontairement,
elles-mêmes fondées sur des analyses qui sont seulement «
réputées conformes » au décret précité
et réalisées par des laboratoires non spécifiquement
agréés. Ils remarquent, enfin, que, invitée à
approuver le projet d'assainissement, l'administration ne pourra statuer en
connaissance de cause, faute de disposer de données
récoltées lors de la réalisation d'une étude
d'orientation ou d'une étude de caractérisation.
Les requérants observent que les dispositions
attaquées ont été adoptées afin de permettre
l'application du décret du 5 décembre 2008 en dépit du
retard pris par l'administration en ce qui concerne l'agrément des
laboratoires prévu par ce décret et en ce qui concerne
l'élaboration du « Code wallon de Bonnes Pratiques »
prévu par l'arrêté du Gouvernement wallon du 27 mai 2009.
Ils estiment que, sauf à heurter la sécurité juridique, la
carence de l'administration ne peut constituer un motif d'intérêt
général justifiant la réduction sensible du niveau de
protection de l'environnement découlant des dispositions
attaquées.
Les requérants considèrent, en outre, que
les dispositions attaquées sont disproportionnées par rapport
à l'objectif du décret du 5 décembre 2008 qu'exprime
l'article 1er de celui-ci. Ils ajoutent que l'absence d'un « Code wallon
de Bonnes Pratiques » ne justifie pas qu'il soit dérogé
à l'ensemble des règles relatives à l'étude
d'orientation et à l'étude de caractérisation, puisque ces
études pourraient être réalisées à l'aide
d'autres méthodologies existantes. Ils constatent que ces
dérogations ne s'accompagnent d'aucune compensation et écartent
l'application de certaines garanties, telles que celle que prévoit
l'article 44, § 4, de ce décret. Ils remarquent, enfin, que
l'administration justifie les dispositions attaquées par son retard,
mais qu'elle a pourtant trouvé le temps de proposer l'adoption des
dispositions attaquées au Parlement wallon.
A.2.2. Le Gouvernement wallon répond qu'aucune des
dispositions attaquées ne réduit sensiblement le niveau de
protection de l'environnement.
Il observe que, faute de publication par l'administration du
« Code wallon de Bonnes Pratiques », les règles inscrites
à l'article 92bis du décret du 5 décembre 2008,
inséré par l'article 92 du décret-programme du 22 juillet
2010, ont cessé de produire leurs effets le 31 décembre 2010. Il
souligne que cette disposition ne concerne que l'hypothèse d'une
personne qui se soumet volontairement à l'obligation d'assainir un
terrain affecté d'une pollution historique.
Il remarque aussi que, dans l'attente de la publication du
Code précité, cette personne n'est pas en mesure de
procéder aux investigations décrites aux articles 37 à 46
et 53 du décret du 5 décembre 2008, puisque, comme cela ressort
des articles 16, 17 et 20 de l'arrêté du Gouvernement wallon du 27
mai 2009, les experts, laboratoires et personnes prélevant les
échantillons, appelés à contribuer à la
réalisation d'une étude d'orientation ou d'une étude de
caractérisation, ne peuvent agir que dans le respect de ce Code.
Il relève que les requérants ne
précisent pas quelles sont les autres méthodologies existantes
qu'ils évoquent et sur la base desquelles ces études auraient,
selon eux, pu être réalisées dans l'attente d'un «
Code wallon de Bonnes Pratiques ». Le Gouvernement déduit de ce qui
précède que, loin d'empêcher une application correcte du
décret du 5 décembre 2008, l'article 92 du
décret-programme du 22 juillet 2010 permet au contraire une application,
certes limitée, du premier décret, ce qui contribue à une
amélioration de la protection de l'environnement.
Même s'il estime que cela n'est pas
nécessaire en l'espèce, le Gouvernement wallon conteste la
pertinence des allégations de requérantes relatives à la
diminution du niveau de protection de l'environnement. Il déduit,
d'abord, de l'article 92bis, § 2, 2°, a) à f), et de l'article
92bis, § 2, 4°, I, du décret du 5 décembre 2008, que
l'administration dispose d'études et d'éléments
très précis lui permettant de statuer sur le projet
d'assainissement concerné, tout en relevant que la réalisation
d'une étude d'orientation ou d'une étude de
caractérisation ne serait pas automatiquement suivie d'actes et de
travaux d'assainissement.
Il ajoute que la dispense de constitution d'une
sûreté prévue par l'article 92bis, § 1er, du
décret du 5 décembre 2008 était déjà
prévue par l'article 19, alinéa 4, du même décret.
Le Gouvernement wallon remarque aussi que l'allongement des
délais d'instruction du projet d'assainissement prévu par
l'article 92bis, § 3, du décret du 5 décembre 2008 est de
nature à augmenter l'efficacité du travail de l'administration et
d'élever le niveau de protection de l'environnement.
Le Gouvernement estime, en outre, que, saisie d'un projet
d'assainissement visé par l'article 92bis du décret du 5
décembre 2008, l'administration consultera systématiquement la
Société Publique d'Aide à la Qualité de
l'Environnement (SPAQuE) et l'Institut scientifique de service public (ISSeP)
en application de l'article 56, 2°, du même décret.
Le Gouvernement relève, enfin, que la personne qui
introduit un projet d'assainissement en application de l'article 92bis du
décret du 5 décembre 2008 ne peut plus le retirer et
empêcher la réalisation des actes et travaux d'assainissement
qu'elle propose.
Le Gouvernement wallon observe, à propos des
articles 93, 95 et 96 du décret du 22 juillet 2010, que les
requérants n'exposent pas en quoi ces dispositions contribuent à
diminuer sensiblement le niveau de protection de l'environnement.
Il fait, pour le reste, référence à la
réponse qu'il donne à propos de la prétendue violation de
l'article 23 de la Constitution.
B.1. Il ressort des développements de la requête
que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité des
articles 92 et 95 du décret-programme de la Région wallonne du 22
juillet 2010 « portant des mesures diverses en matière de bonne
gouvernance, de simplification administrative, d'énergie, de logement,
de fiscalité, d'emploi, de politique aéroportuaire,
d'économie, d'environnement, d'aménagement du territoire, de
pouvoirs locaux, d'agriculture et de travaux publics » avec les articles
10, 11 et 23, alinéa
1er, alinéa 2 et alinéa 3, 4°, de la
Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 5,
paragraphes 2 et 4, avec l'article 6, paragraphe 3, et avec l'article 14,
paragraphe 1, de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du
Conseil du 21 avril 2004 « sur la responsabilité environnementale
en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages
environnementaux », et avec l'article 8 de la Convention européenne
des droits de l'homme.
B.2.1. Le moyen unique invite, d'abord, la Cour à
vérifier la compatibilité des dispositions attaquées avec
l'article 23, alinéa 1er, alinéa 2 et alinéa 3, 4°,
de la Constitution.
B.2.2. L'article 23, alinéa 1er, alinéa 2 et
alinéa 3, 4°, de la Constitution dispose : «Chacun a le
droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette
fin, la loi, le décret ou la règle visée à
l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes,
les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les
conditions de leur exercice.
Sans qu'il soit nécessaire de vérifier si,
avant l'adoption des dispositions attaquées, le décret du 5
décembre 2008 offrait aux riverains d'un site pollué la garantie
que l'assainissement de celui-ci serait envisagé, il y a lieu d'observer
que les dispositions attaquées ne suppriment pas les obligations
précitées et ne modifient nullement les règles.
B.2.6. Il résulte de ce qui précède
que les articles 92 et 95 du décret-programme du 22 juillet 2010 ne
réduisent pas sensiblement le niveau de protection de l'environnement
offert par la législation applicable, de sorte qu'ils ne sont pas
incompatibles avec l'article 23, alinéa 1er, alinéa 2 et
alinéa 3, 4°, de la Constitution.
B.5.3. Les développements du moyen unique relatifs
à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en
combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme, se confondent avec ceux qui concernent la prétendue violation
de l'article 23 de la Constitution.
B.5.4. Il résulte de ce qui précède
que l'article 92bis du décret du 5 décembre 2008 n'est pas
incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison
avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.6. Le moyen n'est pas fondé.
Par ces motifs
La Cour rejette le recours.
Ainsi prononcé en langue française, en
langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à
l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
constitutionnelle, à l'audience publique du 3 mai 2012. Le greffier, Le
président,
P.-Y. Dutilleux R. Henneuse.
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