III. LA PEN SEE DE L'AUTRE DU DEVELOPPEMENT : UN
PRETEXTE POUR REINVENTER UNE IDENTITE EN DEHOR S DU « DEVELOPPEMENT
».
L'erreur déjà commise et ayant consistée
a prendre pour acquis tout ce que l'idéologie du
développement nous a proposé, mais aussi et surtout, a
la considérer comme une nouvelle divinité n'est pas
uniquement imputable a l'Occident dans la mesure ou le consentement des pays du
Sud n'est pas a négliger. En d'autres termes, si les peuples du Sud
n'étaient pas intimidés par le contenu extraverti de cette
idéologie, elle aurait certes prévalue au Nord, mais n'aurait
jamais atteint le statut d'un « dogme sacro-saint ». C'est
la raison pour laquelle, pour ce qui est de la crise africaine, Yao ASSOGBA
situe les responsabilités en utilisant une théorie
interactionniste. Selon l'auteur : « une théorie
interactionniste explique alors un phénomène social donné
comme étant le résultat de l'agrégation de l'ensemble des
actions d'acteurs sociaux situés dans un s~stème social
donné. Ainsi, la « crise » africaine serait, toutes choses
étant égales par ailleurs, le résultat de l'ensemble des
actions des différents acteurs sociaux du s~stème monde
»12.
Dans cette perspective, les peuples du système monde en
général, et ceux du Sud en particulier doivent faire «
peau neuve » et tenir pour priorité l'indéfectible
défi de la remise en question
10 LATOUCHE, Serge, « En finir, unefois pour
toute, avec le développement » in Le Monde diplomatique
n°556, p. 6-7.
11 ELA, Op.cit.
des fondements défaillants de l'idéologie du
développement. Face a cette pénible tache de la
reconstruction du puzzle, la pensée de l'autre du
développement doit suivre la logique de la philosophie chez HEGEL
qui ne commence qu'avec le « néant absolu ». Une
esquisse de solution nous a été proposée par Jean-Marc ELA
selon qui : « Si l'on ne veut pas continuer a reproduire le discours
qui considere l'Afrique comme une sorte de musée des antiquités
européennes, ilfaut s'interroger sur le type d'approche adapté a
la situation actuelle de nos sociétés »13.
Fort de ce constat, c'est seulement une nette prise de conscience de la part
des peuples du Sud qui pourrait les amener a apprécier l'ampleur de
l'impasse que traverse l'Humanité toute entière ; mieux meme, ces
peuples sont les seuls capables de sauver l'Occident de la prison dans
laquelle l'idéologie du développement l'a
enfermé.
D.3. L'AB SENCE DU DEVELOPPEMENT « PRET-A-PORTER
» : PLUS DE PEUR QUE DE MAL.
Tout développement est de soi a soi-meme,
affirmait l'esprit socratique qui insistait pour faire découvrir a
chacun sa puissance, sa richesse avant que ce dernier n'aille le chercher chez
autrui. Cependant, notre époque se veut de poser une
problématique toute autre, gage d'une audace non négligeable et
laquelle postule que l'absence du développement est de soi a
soi-meme.
C'est dans cette logique que, se dressant contre
l'idéologie dominante, Joseph KIZERBO14 aurait
intériorisé tot la maxime par laquelle Emmanuel KANT
définissait les Lumières : « Sapere aude ! Aie le
courage de te servir de ton propre entendement ! » (@u'est-ce que les
Lumieres ? GF, 1991, p. 43. AKVIII, 35). Ainsi donc, la maxime de toujours
penser par soi-meme, c'est-à-dire de conjuguer l'irresponsabilité
de la raison servile au profit de la responsabilité de la raison
autonome, s'impose comme la volonté constante de rechercher en soi-meme
et par soi-meme la pierre de touche de la vérité et les
mécanismes de sa libération (p. 2).
D'ailleurs, l'auteur poursuivra pour dire que selon le
contexte politico-historico-culturel et l'e xigence de « lutte de
libération » permanente, il s'agit d'affirmer et surtout de faire
reconnaitre # l'individu, en l'occurrence l'Africain, qu'il est lui-meme
capable de penser et que « la pensée ne se développe pas
d'elle-meme ». Il appartiendra donc aux nouvelles
générations d'être averties du fait que quoiqu'il en soit,
il faut nécessairement qu'une pensée soit
développée et qu'ils aient le devoir moral de veiller a ce que ce
ne soit pas celle du développement qui a endormi nos
sociétés pendant si longtemps.
Une chose est sure, les générations qui
parviendront a libérer le système monde des « griffes »
du développement rendront un grand service a tous les peuples
dont l'e xistence fut, soit
13 ELA, Op.cit. , p.8.
14 KI-ZERBO J., 1999, article tiré de
Perspectives : revue trimestrielle d'éducation comparée
(Paris, UNESCO : Bureau International d'éducation), vol XXIX, n. 4, pp.
699 -- 711.
inscrite dans la logique d'une pensée unique, soit
empoisonnée par une idéologie dont les soubassements
socioculturels sont incompatibles avec les réalités ambiantes du
milieu. C'est ainsi qu'il n'est en rien utopique que d'envisager cette
réalisable entreprise du retrait des pays du Sud de la « sphere
mentale » des pays du Nord.
D'une manière plus concrète, il est devenu
actuellement, pour ne pas dire qu'il a toujours été une urgence,
de mettre en place une nouvelle idéologie plus adéquate
et plus cohérente, laquelle s'avèrerait capable de porter les
« projets de société » des pays du Sud. Au fait,
dès l'instant que l'idéologie est le système le plus
important de la superstructure sociale, il devient de plus en plus aisé
de comprendre qu'il n'y a qu'une idéologie qui peut vaincre une autre
idéologie. La pertinente mesure de mettre en place une autre
idéologie trouve ses fondements dans une volonté de faire
comprendre aux peuples du Sud qu'il est incontournable d'avoir une vision
collective de la situation qu'ils traversent.
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