B/ L'immigration comme bouc émissaire
Les représentations propres à chaque individu se
font dans leur espace de vie. "L'espace public est le champ de la formation
symbolique d'une opinion publique à travers toutes les formes de
communication existantes dans la société, (...) il n'est pas un
lieu abstrait de consensus démocratique idéal, c'est un espace
conflictuel exprimant des rapports sociaux d'inégalité et de
domination" (FLORIS, 2003). Ce qui nous intéresse ici est de savoir,
s'il y a des rapports de domination et d'inégalité entre
immigrants et autochtones qui se révèlent parmi les conflits et
stéréotypes rencontrés dans El Cerezo.
1/ Un espace conflictuel
La population autochtone est démographiquement
vieillissante dans le district de la Macarena, cela concerne également
El Cerezo. "Une grande partie des problèmes de cohabitation ne sont pas
dus à l'apparition de nouvelles cultures mais parce que les immigrants
sont plus jeunes et ont un usage de l'espace public dynamique et donc plus
bruyant, tout comme les jeunes autochtones, ce qui génère des
problèmes avec la population locale âgée" (SALINAS, 2008,
p.7). Ceci est une des causes de conflits entre Espagnols autochtones et
immigrés. De surcroît, suite au questionnaire effectué
durant le mois de mars 2011 et aux différentes rencontres faites durant
cette période dite de terrain, d'autres types de
contestations se sont révélées. Durant
cette étape, il fut impossible de faire remplir le questionnaire
à trois personnes d'origine africaine qui ont rétorqué ne
pas parler castillan et ont suggéré de "demander aux
Espagnols de répondre à ce questionnaire". Ce propos peut
révéler un mécontentement de la part de ces personnes, qui
peut s'interpréter de diverses manières, par exemple, cela peut
être dû au fait qu'ils se sentent mis à part dans ce
quartier ou bien du fait que cela ne leur apporte rien de manière
instantanée. A cela s'ajoute parfois la difficulté pour certains
étrangers à vivre en Espagne du fait de la complexité
à obtenir des papiers relatifs à leur présence dans ce
pays. Cela peut générer peur et méfiance vis à vis
d'un questionnaire inconnu.
a/ Litiges liés à la consommation de
l'eau courante
La source récente de conflits dans le quartier est due
à la consommation d'eau. En effet, les habitants utiliseraient beaucoup
plus d'eau que ce qui est prévu pour le nombre de personnes vivant dans
chaque immeuble. En Espagne, très souvent, les immeubles ont un compteur
collectif donc le coût de la consommation d'eau pour chaque logement est
estimé en statistiques par rapport au nombre de personnes et
d'appartements de chaque bâtiment. "Les compteurs d'eau collectifs
ont été créés sous Franco" (Andres,
président de l'association des voisins d'El Cerezo). La compagnie qui
s'occupe de la distribution d'eau courante dans ce quartier est l'EMASESA
(entreprise de traitement et d'assainissement des eaux
métropolitaines).
Suite à des augmentations de factures d'eau, des
habitants se sont plaints auprès de l'association des voisins, ce qui a
engendré des conflits entre habitants. En effet, il était dit que
les personnes immigrées étaient plus nombreuses dans les
logements que ce qu'elles déclaraient et qu'elles laissaient de
nombreuses personnes venir se doucher dans leur logement. Par la suite, il a
été proposé de poser des compteurs individuels pour
régler la situation. Ceci a été refusé car non
seulement cela implique de nouvelles dépenses pour l'installation de
matériel mais également parce que, dans certains cas, les
coûts de consommation d'eau courante seraient plus élevés.
En effet, les factures sont calculées sur une moyenne
évaluée en fonction de la taille du logement et du nombre
d'habitants. Ceci donne le montant qui est censé correspondre à
la consommation de chaque foyer. Dans le cas de compteur individuel, le
coût minimum pour ce service peut se révéler souvent
supérieur au prix mensuel que paye chaque foyer calculé avec le
système des compteurs collectifs. C'est d'autant plus vrai pour les
petits consommateurs d'eau courante comme le sont bien souvent
les couples à la retraite. De tels changements
"pourraient impliquer le déménagement de nombreuses personnes
âgées qui n'ont ni l'envie ni les moyens de payer davantage les
factures de consommation d'eau courante" (Tania, péruvienne,
volontaire ACOGE). Par la suite, les volontaires de l'association ACOGE sont
intervenus pour mettre à jour ce conflit et voir quelle était la
situation réelle. Pour cela, différents membres du groupe local
de l'association se sont rendus dans plusieurs immeubles pour rencontrer les
présidents de chaque bâtiment36 ainsi que les habitants
(locataires et propriétaires) et leur demander s'ils avaient des
problèmes liés à leur consommation d'eau. Il est ressorti
de leur investigation qu'effectivement plus de personnes que celles
recensées à la mairie vivaient dans ces logements mais que cela
concernait en majorité les étudiants espagnols. En effet, dans le
but d'obtenir davantage de bourses d'aide sociale, les étudiants se
déclarent comme vivant toujours dans le logement familial et ne
déclarent pas leur habitation dans la ville de Séville
(augmentation de la bourse par rapport à la distance lieu de
vie/université) : beaucoup d'immigrés ne sont pas
recensés et nous estimons qu'il y a plus de personnes dans les
appartements que seulement celles déclarées. Il faut prendre en
compte que beaucoup d'étudiants universitaires qui louent des
appartements ici ne sont pas recensés, ce qui génère des
problèmes avec les factures Emasesa (Andres, espagnol). D'autant
que, pour les 60 immeubles, il y en aurait moins de cinq où ce
problème apparaît comme étant réel ce qui montre une
exagération dans les conversations et articles de journaux sur ce sujet.
"Le problème dans ce type de quartier, c'est que très vite
les habitants généralisent un problème dès qu'un
cas est démontré" (Ousseynou, sénégalais,
coordinateur Acoge).
A cela s'ajoute le fait que des logements restés
vacants dans certains immeubles sont saisis par des banques quand les
propriétaires ne peuvent plus payer et restent vides en attendant de
futurs propriétaires. Il paraît donc difficile de mettre en place
des compteurs individuels pour ces appartements vides.
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