Chapitre I : Évolution de l'immigration et
insertion
urbaine des étrangers à Séville
Notre recherche s'inscrit dans un tournant de l'immigration en
Espagne, pays qui a connu de nombreux changements urbains suite à
l'arrivée massive d'immigrés essentiellement durant les dix
dernières années. En effet, en 2010 pour 47 021 031 espagnols on
dénombrait 5 747 734 citoyens étrangers (INE) soit 12,2% de la
population. Ces arrivées ont entraîné une augmentation de
la population dans la majorité des villes espagnoles ce qui a
donné lieu à diverses mesures politiques comme celles concernant
des régularisations massives2.
Afin d'étudier ce phénomène, nous allons
nous intéresser plus particulièrement aux évolutions, aux
conséquences et aux transformations liées à l'immigration
dans la ville de Séville. Pour illustrer nos propos, nous parlerons
principalement du district de la Macarena ainsi que du quartier El Cerezo qui
sont des espaces pluriethniques où l'immigration joue un rôle
important. Nous tâcherons de savoir si les politiques publiques
facilitent ou non l'intégration des immigrés.
A/ Séville: une ville « récente
» d'arrivée de migrants
D'après une étude de l'Organisation de
Coopération et de Développement Économiques (OCDE) de
2009, la crise économique a provoqué une baisse des migrations de
travail vers les pays membres de cette organisation. Ce phénomène
s'observe plus particulièrement en Espagne, en Irlande et au
Royaume-Uni. Par ailleurs, il est à mettre en relation avec le
durcissement des politiques migratoires de ces différents pays. Le
secteur du bâtiment qui emploie un grand nombre de travailleurs
immigrés, a été particulièrement touché par
cette crise. Ainsi, en Espagne, la part de chômage concernant les
immigrés a pratiquement doublé. A ce titre, il y avait 492 491
chômeurs immigrés en 2009. (MIRET b/ 2009). En outre, pour tenter
de répondre à ce problème, le pays a mis en place des
politiques qui encouragent la migration de retour pour les immigrés sans
emploi, notamment en leur proposant une somme d'argent.
Cependant, depuis vingt ans, différentes lois et
réformes montrent le besoin et l'importance des étrangers en
Espagne3. Les migrations sont de plus en plus encadrées en
2 Cf: tableau des principales mesures politiques
concernant l'immigration en annexe, p.118
3 Cf: Ibid p.118
accord avec les politiques de l'Union Européenne.
Malgré cela, l'Espagne garde une liberté dans l'application et la
mise en place de ses mesures politiques. En effet, en 2005, 700 000
étrangers inscrits au "padron" (registre d'inscription municipale) ont
été régularisés de manière
exceptionnelle.
L'arrivée de nombreux migrants est une "composante
majeure du paysage espagnol contemporain" (MIRET, b/ 2009 p.129), nous
tâcherons de connaître le nombre d'arrivées, les
évolutions et la répartition de la population immigrée
à Séville.
1/ Évolution de la population immigrée dans la
ville
Pour parler d'immigration et de multiculturalité
à Séville, il est primordial de connaître la population
immigrée présente dans cette ville ainsi que sa
répartition et sa localisation. Dans ce cadre, nous utiliserons
essentiellement les chiffres de l'Institut National de Statistiques Espagnol
(INE). Bien que ces données comptabilisent seulement les
étrangers inscrits à la municipalité (« padron
») car cela reste la source la plus fiable pour connaître les
évolutions de l'immigration. Par ailleurs, les associations ajoutent
"20% au nombre total d'immigrés" (Mercedes, coordinatrice ACCEM) car
c'est pour eux, tout du moins pour l'Association Commission Catholique
Espagnole de Migration (ACCEM), la proportion d'individus qui ne sont pas
inscrits à la mairie.
a/ Comparaison avec Madrid, Barcelone et Valence
Capitale régionale, Séville est la
quatrième ville d'Espagne en termes d'habitants, derrière Madrid,
Barcelone et Valence (journal ABC, du 21/09/10). Aussi, le taux de population
immigrée pour Séville est plutôt faible en comparaison avec
ces trois autres agglomérations.
Ainsi, la municipalité de la ville comptait en 2010,
5,3% d'étrangers selon l'inscription municipale (le « padron
», INE) pour 12,2% d'étrangers sur le territoire espagnol. La
même année, la population des étrangers à
Séville a augmenté. Le nombre de résidents
étrangers est ainsi passé de 29954 en 2008 à 37352 en 2010
(chiffre du recensement municipal à destination de l'INE). De plus, en
2000, le nombre de personnes immigrées n'était que de 5026, ce
qui montre une forte augmentation. Par ailleurs, durant cette même
décennie de nombreux sévillans ont déménagé
vers d'autres communes de l'aire périurbaine à la recherche de
logements moins chers et d'une meilleure qualité de vie. Cela justifie
la faible augmentation de la population totale de la ville entre 2000 et 2010,
passant de 700716 habitants à 704138.
Graphique 1: Evolution du nombre d'immigrés en
pourcentage à l'échelle nationale et locale entre 1996 et 2006
Source, INE et HUETE, Diagnóstico de la
población inmigrante en la ciudad de Sevilla, 2011, p.15
Bien qu'allant seulement jusqu'à l'année 2006,
le graphique 1 nous montre que malgré une évolution importante de
l'immigration à Séville, essentiellement durant les années
2000, la proportion d'immigrés reste faible en comparaison avec la
moyenne nationale ainsi qu'avec les villes de Valence, Barcelone et Madrid
(graphique 2) qui ont connu une forte croissance durant la même
période.
Les quatre villes présentes sur le graphique ont vu le
nombre d'immigrés augmenter fortement les dix dernières
années bien qu'il y ait une différence entre Séville et
les trois autres villes.
Graphique 2: Evolution du nombre d'immigrés en
pourcentage dans les quatre plus grandes villes d'Espagne de 1996 à 2006
Source : INE et HUETE, Diagnóstico de la
población inmigrante en la ciudad de Sevilla, 2011, p.16
En 1996, Séville et Valence avaient le même
pourcentage de population étrangère mais cette similitude n'a pas
duré. En effet, le nombre d'étrangers à Valence a
augmenté beaucoup plus vite qu'à Séville. Pour les villes
de "Madrid et Barcelone, la population étrangère semble augmenter
à un rythme similaire à l'exception de l'année 2006
où Barcelone a connu une plus forte augmentation" (HUETE, 2011,
p.17).
Cela montre l'attraction des deux grandes villes espagnoles.
Séville a été un espace de passage où les
immigrés qui se déplaçaient pour travailler partaient pour
d'autres villes (Huelva, Almería, Jaén y Málaga) où
ils trouvaient des emplois dans les secteurs de l'agriculture, de l'industrie
mais également dans la construction. Depuis plus de dix ans avec le
développement économique, de nouveaux secteurs de production ont
émergé, principalement ceux des services (domestiques,
hôtellerie, aide à la personne, etc.) qui ont permis l'embauche de
nombreux immigrants. Séville s'est alors transformée en ville
réceptrice où l'immigration commence à se stabiliser.
Cependant avec l'actuelle crise économique, il y a eu «
détérioration de l'accès à l'emploi pour les
immigrés » (UNIA). Cela pousse certains immigrés à
repartir dans leurs pays d'origine ou à aller dans d'autres pays de
l'Union Européenne tels que la France. C'est pourquoi, si la crise
continue ainsi, il devrait être possible d'observer prochainement une
baisse de l'immigration en Espagne.
Graphique 3: Répartition en pourcentage de la
population immigrée par continents dans les quatre plus grandes villes
d'Espagne en 2006
Source : INE et HUETE, Diagnóstico de la
población inmigrante en la ciudad de Sevilla, 2011, p.19
Pour finir, le graphique 3 nous montre le pourcentage
d'étrangers par continents dans les quatre villes
énoncées. Il est important de souligner qu'il y a dix ans, la
majorité des immigrés à Séville étaient
européens. Aujourd'hui, grand nombre d'entre eux sont d'origine
sud-américaine et africaine.
Concernant le nombre d'arrivées de personnes
d'Amérique du Sud en Espagne, il a augmenté de manière
significative depuis dix ans par rapport aux autres nationalités (SIMO,
2006). En 2006 comme l'indique ces diagrammes, la majorité des
immigrés étaient originaires d'Amérique et plus
particulièrement de la partie Sud de ce continent. En 2000, il y avait
en Espagne, 647.364 immigrés d'Amérique du Sud et en 2010, ils
étaient 1.591.302 selon l'INE. Ce constat se retrouve pour la ville de
Séville. En 2000, d'après l'inscription municipale (INE), il y
avait 1.540 personnes d'origine d'Amérique du Sud pour 17.183 en 2010.
Cette augmentation montre le poids important de ces migrants dans la
société espagnole. D'ailleurs, selon l'ouvrage du chercheur et
professeur Francisco Torres (2011), en 2008, "45% des immigrés à
Séville sont originaires d'Amérique latine" (p.54).
Par ailleurs, ce graphique nous permet d'observer à
nouveau, l'importante différence entre Séville et les trois
autres villes. D'autre part, le poids de l'immigration à Séville
reste également faible en comparaison à d'autres villes
d'Andalousie. En 2010, il y avait 5,3% d'étrangers à
Séville, 10,5% à Almeria et 6,2% à Grenade (INE). Bien
qu'en valeur absolue Séville soit plus peuplée que ces deux
autres villes, cela nous amène à penser que l'immigration est un
sujet d'intérêt dans de nombreuses agglomérations
espagnoles.
Malgré que le poids de l'immigration à
Séville ne soit pas aussi considérable que pour d'autres
agglomérations, il est suffisamment important pour avoir des
répercussions aussi bien sur les politiques publiques et les habitants
que sur les acteurs associatifs. Nous allons à présent, nous
attacher à l'évolution et aux conséquences de
l'immigration à Séville.
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