II/ Les atteintes de la licence globale aux droits
patrimoniaux
La propriété intellectuelle de l'auteur
s'effectuera, pour certains, surtout vis-à-vis des << attributs
d'ordre patrimonial >> tels que définis dans le second chapitre du
Code de la Propriété Intellectuelle et autrement appelé le
<< droit d'exploitation >>.
Selon la définition du professeur Tafforeau, il s'agit
de << l'ensemble des prérogatives qui permettent à
l'auteur de subordonner l'utilisation de ses oeuvres au paiement d'une
rémunération, [celui-ci] ne délivrera son
autorisation qu'à condition d'obtenir l'engagement par son cocontractant
de lui verser une certaine somme d'argent. C'est pourquoi l'on parle parfois de
droit d'autoriser.32 >>.
Le Code nous précise à ce titre que cette
exploitation de sa création peut se faire << sous quelque
forme que ce soit33 >> et l'article L. 122-1
énonce que << le droit d'exploitation appartenant à
l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de
reproduction >>.
Toute violation d'un de ces droits exclusifs
conférés à l'auteur énumérés
ci-dessus est constitutive d'un acte de contrefaçon sanctionné
à l'article L. 335-2 du Code. Tout comme pour les droits moraux, ils ont
aussi été sévèrement secoués avec
l'explosion du téléchargement illégal sur Internet. Par
réfléchissement dans le miroir du premier paragraphe confrontant
les droits moraux des auteurs aux pratiques permises par la licence globale, il
convient à présent de mettre en parallèle les droits
patrimoniaux avec lesdites pratiques.
31 André Lucas, Droit d'auteur et
numérique, Litec, 1998, p.236 §469
32 Patrick Tafforeau, Droit de la
Propriété Intellectuelle, Manuels, Gualino Editeur, 2007, p.
129
33 Art. L. 123-1 du Code de la Propriété
Intellectuelle
Le droit de reproduction : l'alinéa 1 de
l'article L. 122-3 alinéa 1 du Code de la Propriété
Intellectuelle présente la reproduction comme << la fixation
matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent de
la communiquer au public d'une manière indirecte [...]
notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout
procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement
mécanique, cinématographique ou magnétique ».
L'article L.122-4 du Code énonce à son tour
qu'aucune reproduction ou représentation intégrale ou partielle
par un tiers d'une oeuvre protégée en vue de sa communication au
public ne peut se faire sans le consentement préalable de l'auteur ou
ses ayants droit.
Les tribunaux sont de longue date très fermes sur la
question : ainsi un des tous premiers arrêts du Tribunal de Grande
Instance en la matière rendu en 1996 a rappelé que <<
toute reproduction par numérisation d'oeuvres musicales
protégées par le droit d'auteur susceptibles d'être mise
à la disposition de personnes connectées au réseau
Internet doit être autorisée expressément par les
titulaires ou cessionnaires de droit34 ». La jurisprudence
est même allée plus loin en caractérisant pénalement
l'élément moral du délit de contrefaçon : la Cour
d'Appel de Paris a estimé que les utilisateurs de réseaux P2P ne
pouvaient pas faire autrement que de << s'interroger sur la
licéité d'un système qui permet d'accéder
gratuitement à des oeuvres commercialisées sur différents
supports par les éditeurs de musique35 ».
La licence globale est donc une atteinte très forte
à ce droit de reproduction si la diffusion et la prolifération
sur les réseaux peer-to-peer ne sont pas permises par les
auteurs et l'ensemble des ayants droit. Néanmoins, avec accord des
artistes, ce droit ne serait pas entaché d'illicéité.
Le droit de représentation : c'est cette fois
le premier alinéa de l'article L. 122-2 du Code de la
Propriété Intellectuelle qui définit la
représentation comme << la communication de l'oeuvre au public
par un procédé quelconque » ; sont concernées
notamment << la récitation publique, l'exécution
lyrique, la représentation dramatique, la présentation publique,
la projection publique ou la transmission dans un lieu public de l'oeuvre
télédiffusée », mais aussi la <<
télédiffusion36 » énoncée
par l'alinéa 2 du présent article.
34 TGI Paris, référé, 14
août 1996, Brel et Sardou
35 CA Paris, 13e ch. B, 27 avril et 15 mai
2007
36 << La télédiffusion s'entend de la
diffusion par tout procédé de télécommunication de
sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature
» (Art. 122-2 al. 2 du Code de la Propriété
Intellectuelle).
Quand les tribunaux français ne se placent pas sur le
fondement du non-respect du droit de reproduction pour qualifier juridiquement
la contrefaçon, ils retiennent en général la violation du
droit de représentation. De ce fait, les juges suprêmes de la Cour
de cassation ont rappelé qu'à l'instar de la diffusion de
phonogrammes dans une discothèque sans autorisation de la SACEM, la
diffusion d'oeuvres musicales sur Internet constitue une
contrefaçon37.
Précision de taille : le droit de reproduction tout
comme le droit de représentation, protégeant les auteurs, sont
soumis par le législateur à certaines exceptions visées
à l'article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle
en faveur des revues de presse, des copies ou reproductions strictement
réservées à l'usage privé du copiste, des
représentations privées et gratuites effectuées
exclusivement dans un cercle de famille, ainsi que des courtes citations. Selon
les dispositions de cet article, ces exceptions « ne peuvent porter
atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un
préjudice injustifié aux intérêts légitimes
de l'auteur ». Il convient de rappeler que les parlementaires avaient
voté un amendement rajoutant la pratique du téléchargement
d'oeuvres piratées sur Internet à ces fameuses <<
exceptions de copie privée », permettant ainsi de faire renter la
licence globale dans le cadre légal et la considérer comme une
exception aux droits de reproduction et de représentation. On sait que
cet amendement fut supprimé autant pour les considérations
précédentes et à venir que parce que certains observateurs
ont estimé que la rémunération forfaitaire, qu'elle soit
de 5 euros ou plus, ne serait pas suffisante et porterait ainsi <<
atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre [et causerait]
un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes [des auteurs] ».
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