- INTRODUCTION -
1. Remarques préalables
Rarement débats furent aussi passionnés que ceux
tenus entre les (fervents) défenseurs et les (farouches) opposants
à ce que l'on a communément appelé la << licence
globale » ; non pas que l'actualité juridique souffrait d'un manque
cruel de sujets capables de mobiliser les foules en ce début de
XXIe siècle, bien au contraire, mais tout un chacun a bien
senti qu'il se tramait dans cet affrontement le choc de deux conceptions
totalement antagonistes - et en théorie irréconciliables depuis
l'explosion du téléchargement sur Internet et les copies
illégales d'oeuvres de l'esprit - entre, d'un côté, les
auteurs, artistes, producteurs et éditeurs de contenus culturels, et, de
l'autre, les << internautes-consommateurs ».
Il ne faut pas chercher bien loin pour trouver l'explication
d'un tel déchirement idéologique et de toute cette encre
versée depuis 2005 : elle tient tout simplement à la
matière juridique qui supporte un tel débat, celle qui l'encadre
tout en étant sa principale victime, le droit d'auteur <<
romantique »1 à la française.
Il est vrai qu'érigé par les premières
législations d'envergure du droit intermédiaire en droit naturel
puisque considéré comme un droit de
propriété2, en vertu de l'article 2 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, sa toute puissance
n'est plus à démontrer. Le droit d'auteur possède cette
singularité en France qui avantage incroyablement les auteurs au point
de les sacraliser, de sorte qu'Alfred de Vigny a pu si magnifiquement les
qualifier de << Nation de l'Esprit » dont leurs oeuvres en seraient
le << Patrimoine ».
Pour autant, toute puissance ne signifie pas automatiquement
incontestabilité et ce droit d'auteur français, si
éminent soit-il, en fait assez souvent l'amère expérience
depuis la fin du XVIIIe siècle, houspillé notamment
par le copyright, son homologue anglo-saxon.
1 Cyril Rojinsky, << Le projet Jean Zay de 1936,
une page oubliée de l'histoire française du droit d'auteur
», Propriétés Intellectuelles, n°27, avril
2008, p. 160
2 Isaac Le Chapelier, auteur de la
célèbre loi éponyme de 1791, qualifia le droit d'auteur de
<< propriété d'un genre tout à fait
différent des autres » dans son Rapport à
l'Assemblée constituante du 13 janvier 1791, tandis que Joseph
Lakanal, le théoricien du droit d'auteur sous la Révolution
Française, préféra parler de <<
propriété de la production de génie » dans
un autre Rapport présenté à la Convention
Nationale en 1793.
Globalement, ce système privilégie plus ici le
public, et donc dans la société actuelle les consommateurs, qu'il
rend prioritaire dans une logique du marché que les
intérêts d'un seul auteur, désormais éternel second,
ne peuvent entraver.
Sans rentrer dans des considérations extrêmement
poussées sur les différences existant entre les droits d'auteurs
en France et dans les pays de Common Law, les plus notoires comme les
aspects économiques ayant d'ailleurs déjà fait l'objet de
nombreuses études à ce jour3, il convient de souligner
l'absence de droit moral pour le copyright là où notre
droit positif le sanctuarise inaliénable, perpétuel et
imprescriptible, et ce dans ses quatre piliers4 (les droits de
divulgation, de paternité, du respect de l'intégrité de
l'oeuvre, et de retrait), le copyright restant donc plus un droit
d'exploitation qu'un droit d'auteur à proprement parler5.
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