CHAPITRE IV : LES
EFFETS DES DECISIONS DU JUGE CONSTITUTIONNEL
Parmi les modalités pratiques de l'exécution des
décisions juridictionnelles, il y a lieu d'étudier en
détail et avec minutie, les effets desdites décisions sur les
pouvoirs publics quelles que soient leur nature et la transformation de l'ordre
politique qu'elles impliquent.
En effet, la transformation de l'ordre politique vient du fait
que si le juge constitutionnel par ses décisions les plus courageuses
influe certainement sur l'ordonnancement juridique, cette influence aboutit
presqu'inéluctablement à une transformation de l'ordre politique
qui est ainsi « saisi par le droit ».1066(*)
Il s'agit, à vrai dire, d'une socialisation des
pratiques et des conceptions politiques. L'Etat de droit, vu sous cet angle,
est une question de civilisation finalement. Par ailleurs, le primat de la
Constitution garanti par le juge est l'affirmation d'un principe de
civilisation qui veut simplement dire que ce qui est décidé par
le plus grand nombre doit être respecté par la minorité,
fût-elle celle qui dirige. C'est un renversement des principes
millénaires qui postulent la domination de la minorité sur la
majorité. C'est une restitution du pouvoir au peuple.
Il est utile, à ce niveau, d'analyser en deux moments
les implications théoriques du contrôle de
constitutionnalité lorsqu'il s'exerce avant ou après la
promulgation de la loi. Ce démarquage temporel est une sorte de
summa divisio en matière de contrôle de
constitutionnalité. Qu'il soit exercé avant ou après la
promulgation de la loi, le contrôle a pour but institutionnel de purifier
l'ordonnancement juridique.
Cette vertu purgatoire présente l'avantage certain de
fixer une sorte de ligne rouge aux gouvernants qui sont ainsi tenus de
respecter la Constitution telle qu'exprimée par la bouche du juge
constitutionnel. La Constitution est, de ce point de vue, ce que dit le juge
constitutionnel. Ceci transfigure le visage du juge constitutionnel qui devient
non pas un simple rouage institutionnel, mais surtout un maillon essentiel de
la mécanique de l'Etat de droit. La controverse sur sa
légitimité cesse dès lors qu'elle procède de la
fonction que lui confère le constituant lui-même.
Dans le détail, essayons de voir quelles sont les
implications pratiques des décisions que le juge constitutionnel peut
être amené à prendre.
Section 1 : LE
CONTROLE A PRIORI OU LA CENSURE DES ACTES JURIDIQUES EN CHANTIER
Contrairement au droit français qui n'établit
pas le contenu du rapport de conformité devant s'installer entre la
norme constitutionnelle et la norme contrôlée, le droit congolais
dresse ce rapport tant dans la Constitution que dans le projet de la future loi
organique relative à la Cour constitutionnelle.1067(*)
En effet, la Constitution congolaise a établi la
pyramide normative en son article 153 de sorte que les questions qui se sont
posées en France à l'occasion du bloc de
constitutionnalité ne se dressent pas devant le juge
congolais.1068(*)
Si en France, la notion de Constitution s'est fait enrichir
par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, au Congo la notion a un
contenu plénier qui implique à la fois la déclaration des
droits et libertés et l'organisation du pouvoir politique dans l'Etat.
De la sorte, il demeure essentiel de voir que le juge constitutionnel agit ici
comme l'un des mécanismes constitutionnels de l'élaboration de la
loi. Procédons succinctement à l'étude de chacune des
normes infraconstitutionnelles dont le contrôle s'impose.
§1. Les lois
Il s'agit de se rapporter ici à la définition
formelle et organique que nous avons donnée plus loin. Les lois, en
effet, recouvrent plusieurs formes selon aussi le contenu de la matière
qu'elles régissent.
Le caractère obligatoire du contrôle de ces
normes à ce niveau implique la pratique d'un contrôle à
double détente : une décision de non-conformité
interdit la mise en application de la disposition censurée.
C'est ce que le doyen Vedel exprime en s'interrogeant si le
Conseil constitutionnel est un gardien du droit positif ou le défenseur
de la transcendance des droits de l'homme. Commençons par les lois
constitutionnelles.
A. Les lois
constitutionnelles
La Constitution étant comprise comme la norme
fondamentale à laquelle il ne peut être porté atteinte
impunément, il faut donc considérer qu'il n'est pas logiquement
admissible qu'il y ait des normes supraconstitutionnelles. On chercherait par
ailleurs en vain qui serait l'auteur de pareilles normes. Le rapprochement que
l'on est tenté d'établir entre les principes d'organisation
démocratique communs à plusieurs Etats ou la constatation qu'il y
a des traditions constitutionnelles communes à certains Etats sont des
observations de grand intérêt sur le plan de la science politique
mais n'ont pas de portée normative.1069(*)
En droit positif congolais cependant, l'on peut affirmer que
le contrôle de constitutionnalité reste ouvert lorsqu'une
révision constitutionnelle est susceptible de dépasser les
limites matérielles et temporelles imposées par le constituant du
18 février 2006. En effet, les dispositions des articles 219 et 220 de
la Constitution induisent, à n'en point douter, une double limitation au
pouvoir constituant dérivé. Mais comme l'on sait, le pouvoir
constituant est toujours souverain de sorte que le non respect des formes qu'il
s'est imposées est aussi l'exercice de sa souveraineté.
Il faut donc conclure que le juge constitutionnel peut
être a priori saisi en inconstitutionnalité d'une loi
constitutionnelle en chantier sans que cette possibilité soit
écartée même lorsque la loi ainsi adoptée aura
été promulguée. L'effet de l'arrêt de
non-conformité s'agissant d'une loi constitutionnelle sera sa
non-promulgation.
Mais politiquement, il est utile de remarquer que si le
contrôle d'une loi constitutionnelle d'origine parlementaire reste
possible, celle d'origine référendaire demeure et politiquement
et juridiquement inattaquable s'agissant, on l'a vu, d'une expression directe
de la souveraineté.
B. Les lois organiques
L'obligation qui est faite aux autorités publiques de
saisir le juge constitutionnel avant la promulgation des lois organiques a pour
effet de purifier lesdites lois avant leur insertion dans l'ordonnancement
juridique.
Prenant appui à la Constitution du 18 février
20061070(*) et
à celle de la transition1071(*), le Président de la République a, le
23 août 2006, saisi la Cour suprême de justice pour solliciter
l'examen de la conformité à la Constitution de la
République Démocratique du Congo et à celle de la
transition de la loi organique portant statut des magistrats. Examinant ledit
recours, la Cour a rendu le 08 septembre 2006 l'arrêt
R.Const.36/TSR1072(*)
dans laquelle elle a déclaré ladite loi conforme à la
Constitution.
La non promulgation en cas de contrôle juridictionnel
ayant abouti à la non-conformité est la sanction qui frappe ce
type de lois ; cependant, si malgré cet arrêt de
non-conformité, le Chef de l'Etat promulgue quand même la susdite
loi organique, pour des raisons qui lui seraient propres, il convient
d'observer qu'il commettrait ainsi une violation intentionnelle de la
Constitution1073(*)
qui relève désormais du droit constitutionnel pénal que
l'on a vu plus haut.
C. Les lois ordinaires
Les lois ordinaires, quelle que soit la catégorie
à laquelle elles appartiendraient, restent soumises au contrôle
préalable de constitutionnalité au voeu du constituant. Lorsque
le juge aboutit sur pied de l'article 160, alinéa 3 de la Constitution
à une déclaration de non-conformité, la sanction demeure
la non promulgation. Une seconde lecture au niveau parlementaire peut
également s'ensuivre.
D. Les actes ayant force de
loi
Les actes ayant force de loi, étant par
définition des actes du pouvoir exécutif intervenus dans le champ
législatif, n'échappent pas au contrôle lorsque le
constituant ouvre expressément ce contrôle. En effet, autrement,
il est théoriquement difficile aux autorités habilités
à déclencher le contrôle à priori de savoir qu'un
acte ayant force de loi est en chantier auprès du Chef de l'Etat.
Par ailleurs, si malgré tout, un tel acte était
soumis au contrôle du juge, ce dernier devrait le censurer car, à
notre avis, l'équipollence des actes ayant force de loi avec les lois
formelles commande une telle solution. La solution est différente
lorsqu'il s'agit des actes expressément cités par le
constituant.
* 1066 Lire FAVOREU (L.),
La politique saisie par le droit, Alternance, Cohabitations et conseil
constitutionnel, Paris, Economica, 1998.
* 1067 Voir article 153,
alinéa 4 de la Constitution du 18 février 2006.
* 1068 Cette disposition
qui, du point de vue de l'argument a rubrica, relève des
juridictions de l'ordre judiciaire doit être tenue pour
générale car l'on ne conçoit guère qu'elle ne
s'applique pas aux juridictions administratives ou même à la Cour
constitutionnelle. Sa portée est donc plus étendue, du point de
vue téléologique.
* 1069 BOULOUIS (J.) et
CHEVALLIER (R.-M.), Grands arrêts de la CJCE,
5ème édition, Paris, Dalloz, 1991, p.91.
* 1070 Article 222 de la
Constitution du 18 février 2006.
* 1071 Article 121 de la
Constitution de la transition du 4 avril 2003.
* 1072 Nous disposons de
la copie de cet arrêt.
* 1073 Voir article 165,
alinéa 1er de la Constitution du 18 février 2006.
|