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Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à  l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle

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par Dieudonné KALUBA DIBWA
Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031
  

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§5. Les conflits d'attributions entre pouvoirs exécutif et législatif et entre l'Etat et les provinces

Dans un Etat de droit, il arrive que le constituant fasse appel au juge constitutionnel pour trancher un conflit des compétences entre les institutions politiques. L'étude de l'évolution politique et constitutionnelle du Congo permet d'affirmer que la question a toujours préoccupé le constituant.

Première Constitution à avoir pris en charge la question, la Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo a confié la compétence de trancher sur les conflits d'attribution à la chambre des conflits de la Cour constitutionnelle906(*). La Constitution du 1er août 1964 ne s'est intéressée que des conflits d'attribution pouvant naître au sein du gouvernement. En effet, en cas de conflit entre le premier ministre et les ministres, seul le président de la République pouvait trancher907(*). Comme on peut bien s'en apercevoir, cette Constitution a confié à une institution politique la compétence de trancher les conflits d'attribution.

La Constitution du 24 juin 1967, ses différentes modifications ainsi que les Constitutions de la transition sont restées muettes sur la question. La Constitution du 18 février 2006 indique que la Cour constitutionnelle connaît des conflits de compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ainsi qu'entre l'Etat et les provinces908(*).

En matière de conflit d'attribution, les manifestations du juge constitutionnel peuvent être multiples. Nadine La Grance en voit trois. Pour elle, le juge constitutionnel peut jouer le rôle soit de contrepoids, soit d'autolimitation juridique du pouvoir exécutif, soit d'autolimitation du pôle législatif909(*).

Comme « contre pouvoir », le juge constitutionnel est tenu de faire respecter l'équilibre constitutionnel des pouvoirs (exécutif et législatif) mais également d'arbitrer les conflits ou les relations entre la majorité (le gouvernement et la majorité parlementaire) et la minorité (l'opposition).

Dans la pratique, ce juge est souvent saisi à l'initiative de l'opposition parlementaire contre le développement d'une législation dont la responsabilité politique incombe au gouvernement. Cette saisine apparaît comme une arme à la disposition de l'opposition, ce qui pourra induire de la part de ce juge une attitude d'autolimitation.

La deuxième manifestation du juge constitutionnel apparaît au moment où son intervention est considérée comme « un contrepoids institutionnel » face à l'affaiblissement politique du parlement devant la puissance exécutive. Cette puissance s'accommode facilement avec la quasi-totale irresponsabilité politique et pénale dont peut bénéficier le président de la République.

Le juge constitutionnel peut être amené à faire figure de censeur des actes des autorités politiques. Un tel contrôle qui se situe entre le droit et la politique peut comporter le risque de le voir se livrer à un contrôle politique ou d'opportunité. Il est susceptible de susciter un débat sur la politisation de l'intervention du juge dans le domaine qui lui serait interdit. Cette intervention est potentiellement redoutable d'autant que le contenu des règles à respecter n'est pas toujours pré déterminé, ce qui peut conduire à l'arbitraire910(*).

Il s'ensuit que bien qu'indispensable pour assurer l'équilibre institutionnel, l'intervention du juge constitutionnel dans le domaine politique est diversement appréhendée. Pendant que certains y voient une garantie dans le règlement des conflits d'attributions, d'autres considèrent que cette intervention ne doit pas avoir comme finalité de mettre en péril l'existence des autres institutions911(*).

Elle ne doit pas constituer un danger pour l'exercice par les autres pouvoirs de leurs prérogatives constitutionnelles. Le domaine politique étant celui dans lequel la neutralité est souvent rare, le juge constitutionnel doit éviter de se livrer à une juridicisation excessive du jeu politique.

Tout de même, voyons à présent quels sont les types de conflits qui sont susceptibles de survenir dans l'exercice du pouvoir dans l'Etat et comment les solutions juridiques peuvent y être apportées. Commençons par les conflits qui touchent les deux fonctions majeures de l'Etat.

A. Conflits entre Exécutif et Législatif dans l'Etat

Les conflits entre ces deux fonctions de l'Etat sont le plus nuisibles à ce dernier car ils transforment la nature du régime politique et, avec lui, l'état des libertés publiques dans la nation.

En effet, le conflit pouvant se résorber au profit de l'un ou l'autre pouvoir, le régime, quel que soit le prototype institutionnel institué dans la loi fondamentale, finit par se transformer en régime d'assemblée ou en une monocratie présidentielle, tous deux dangereux en fin de comptes pour les libertés fondamentales et pour la démocratie. Sans être grand psychologue, l'on sait que les conflits commencent toujours dans les coeurs des hommes et finissent par être exprimés soit par la parole soit par l'écrit soit par le geste de sorte que ce que l'on appelle généralement conflit politique est l'expression d'un état d'âme non maîtrisé.

Les querelles qui opposent généralement l'exécutif au législatif peuvent être d'ordre politique avant de revêtir un costume juridique. Pour revenir au cas pathologique congolais, il n'est pas vain de retracer la controverse doctrinale liée à la nature du régime politique qui engendre ou encadre le conflit politique. Ainsi, à propos du régime parlementaire, André Hauriou pense notamment qu'il est convenable en occident, où l'unité nationale est achevée, un accord sur les bases générales de la politique extérieure et intérieure réalisé, un rythme de croisière trouvé pour la croissance économique912(*).

Malgré ces obstacles que nous avons, nous-mêmes, relevés ailleurs, il convient de nuancer ces affirmations. En effet, le régime parlementaire est convenable ailleurs qu'en occident (ex. Israël) et ces conditions ne sont pas cumulatives ; elles peuvent être alternatives, les unes entraînant les autres. En Afrique noire précoloniale, les royaumes et empires ont quelques fois adopté un régime parlementaire, en ce que les ministres du Roi ou de l'Empereur répondaient de leurs actes devant le conseil des sages qui était, à tout considérer, une assemblée parlementaire913(*).

Il est donc excessif de penser que le régime parlementaire est inconcevable, tout au moins, est-il difficile à appliquer en Afrique en général et au Congo en particulier pour les raisons que nous connaissons, tous : exacerbation des luttes tribales et claniques, et par conséquent, absence de consensus large sur la société (légitimité) et enfin, l'inefficacité économique qui en résulte et qui exacerbe, rétroactivement, les luttes tribales pour la survie.

Par ailleurs, il convient de noter que ces obstacles sont de taille d'autant plus que beaucoup d'Etats africains étaient parlementaires en 1960 ; dix ans après, ils sont devenus presque tous des Etats à gouvernement présidentiel.

La raison de ce revirement nous semble être celle avancée par Hauriou lorsqu'il écrit que « le régime parlementaire apparaît souvent compliqué et fragile : les Africains ne comprennent pas que celui qui détient la réalité du pouvoir exécutif ne soit pas le premier personnage de l'Etat»914(*).

Cette assertion est en partie fondée ; cependant, nous nous devons de dire que même en Grande-Bretagne où ce régime est né, selon la théorie constitutionnelle classique occidentale, le peuple anglais a dû mettre des siècles pour comprendre que le pouvoir exécutif appartenait dorénavant au Premier ministre venu des Whigs ou des Tories.

La difficulté de compréhension, toutefois, demeure du fait qu'elle est exacerbée, chez-nous, par l'absence de la nation, cette force réelle qui eût pu aider nos populations à comprendre les mécanismes alternatifs du pouvoir. La nuance s'impose au niveau de micro-nations (tribus et clans) précoloniales ayant atteint un niveau de développement politique avancé (royaume ou empire).

Devant cette difficulté extrême : diriger un Etat sans nation, les dirigeants africains de premières heures (1960) ont préféré à ce régime, le système présidentiel. En l'absence de la nation, l'anarchie frappait à la porte de l'Etat. Le régime de type présidentiel permet surtout un encadrement plus autoritaire du pays915(*).

Il nous semble opportun de relever que ce régime a dû gérer des Etats vastes comme les Etats-Unis d'Amérique sans pour autant que la gestion soit autoritaire.

Le régime présidentiel est finalement la réponse sociologique (pas très adéquate !) aux problèmes posés par le parlementarisme irrationnel des années 1960.

En effet, le régime présidentiel est permissif, en cas d'absence de nation, d'une dictature civile ou militaire. Ce régime offre toute sa valeur dans un tout autre cadre. Chez-nous, le quart de siècle passé nous révèle que le régime présidentiel n'était qu'une fausse fenêtre en l'absence de nation, une réponse temporaire et inadéquate surtout dans un cadre unitaire et monopartite.

Le chef de l'Etat est encore perçu ici comme le fils de telle tribu ou tel autre clan. Une telle mentalité ne confère ni légitimité nécessaire ni efficacité indispensable au système ainsi mis en place. Voilà pourquoi, la tentation avait été de verser dans une tendance effrénée au présidentialisme et au monisme politique intégral. Nous n'osons pas ainsi justifier les écarts rencontrés dans la pratique de ces gouvernements.

Le Congo, en effet, a déjà essayé ces deux types de régimes parlementaire et présidentiel. Il reste le régime semi-présidentiel que le constituant de 2006 semble avoir adopté.

En effet, outre les obstacles inhérents à l'anatomie du corps social congolais, il faut ajouter le coût prohibitif du mimétisme institutionnel tel quel. Mais nos préférences vont tout droit au régime semi-présidentiel qui a l'avantage double d'être un moyen terme entre les deux extrêmes et d'instituer le double contrôle politique du gouvernement.

Le chef de l'Etat étant élu au suffrage universel direct comme les membres de l'Assemblée Nationale, il partagera ainsi l'exercice de la souveraineté nationale avec eux. Ceci entraîne la conséquence suivante : un double contrôle politique s'exerce sur le gouvernement d'une part, par le chef de l'Etat et d'autre part, par l'Assemblée Nationale.

Ce système nous évite les déviations néfastes de deux premiers qui sont le présidentialisme (césarisme) et le régime d'assemblée et qui constituent, au fait, l'un et l'autre, des négations de la démocratie. Cependant, les trois dernières années ont offert un cas de conflit politique spécifique entre le Chef de l'Etat et le Président de l'Assemblée nationale, tous issus d'une même formation politique. Au-delà des définitions que ce mot peut recouvrer en doctrine, l'on peut noter déjà que la vie politique est parsemée des querelles de toute sorte, dont certaines sont politiques.

1. Les questions politiques

D'emblée, il sied d'affirmer que tout conflit politique est avant tout un conflit pour la possession du pouvoir c'est-à-dire le contrôle des moyens du pouvoir. Ceux-ci sont d'ordre politique, financier, matériel et humain. C'est ainsi que le transfuge d'un parti rival qui va dans le camp adverse peut être l'objet d'un conflit politique916(*). La répartition des crédits d'un budget national comme c'est le cas de nos jours peut de même constituer une pomme de discorde.917(*)

C'est autant dire que le conflit politique est une sorte d'hydre à plusieurs têtes dont on ne peut pas scruter prima facie les ressorts réels. La seule certitude du conflit politique est qu'il a sa cause dans l'envie de contrôler le pouvoir politique mais il emprunte les formes les plus diverses allant des diatribes les plus violentes aux assassinats en passant par des bouderies et moues de toute sorte.

Il est donc difficile dans une étude consacrée au contentieux constitutionnel de prévoir tous les conflits politiques qui prennent entre autres la forme d'un conflit d'attribution du point de vue juridique.

2. Les conflits juridiques

L'on peut d'emblée dire que lorsque le conflit politique a longtemps couvé, il éclate souvent sous la forme d'un contentieux juridique. Par ailleurs, un conflit de compétence est toujours et déjà un conflit politique cependant tout conflit politique n'emprunte pas les allées du droit. La spécificité du droit constitutionnel moderne toutefois, c'est entre autres de cristalliser toutes les contestations politiques sous la forme du droit.

Certains ont conseillé la prudence au juge constitutionnel mais ils n'ont guère indiqué la mesure de cette prudence qui est susceptible d'inhiber fort longtemps la justice constitutionnelle congolaise. Ainsi, l'on ne peut s'empêcher de constater que le conflit d'attribution cache déjà une discorde politique qui n'a pas trouvé une issue politique discrète.

Lorsqu'il prend en effet les formes juridiques, le conflit politique emprunte naturellement les solutions de droit qu'il sied d'analyser ici très rapidement. Il s'agit de la protection du domaine du règlement par rapport à la loi, de la dissolution de l'assemblée nationale ainsi que de la motion de censure.

En effet, il est vrai que la protection du domaine du règlement par rapport au domaine de la loi traduit la mutation qui s'est opérée de l'Etat légal à l'Etat de droit de même que l'amincissement du domaine de la loi indique l'affaiblissement progressif du parlement au profit de l'exécutif. Le centre de la normativité se trouve au sein de l'exécutif et dès lors, le règlement est protégé contre les assauts éventuels d'une législation qui interviendrait ainsi d'une manière sauvage.

A propos, Félix Vunduawe opine que pour protéger le domaine réservé au pouvoir réglementaire, la Constitution de la transition du 4 avril 2003, en son article 127, donnait le droit au gouvernement de soulever l'exception d'irrecevabilité au cours de la procédure législative.918(*) Sous l'empire de la Constitution en vigueur, possibilité est donnée au Président de la République et plus particulièrement au Premier ministre de saisir la Cour constitutionnelle d'un recours visant à faire déclarer une loi déjà adoptée mais non encore promulguée, non conforme à la Constitution.919(*)

Ce conflit juridique traduit, l'on s'en doute, un émiettement de la majorité parlementaire dans l'hypothèse du régime politique congolais ou un déplacement de cette majorité lorsque elle ne coïncide pas avec la majorité présidentielle. En cas donc de cohabitation des majorités, l'on peut se rendre compte que l'exception d'irrecevabilité ou le recours auquel elle peut donner lieu deviennent des armes d'empêchement entre les mains de l'exécutif.

Il suit de là que tous les actes législatifs intervenus antérieurement dans le domaine protégé du règlement peuvent être modifiés par décret du premier ministre.920(*) L'autre conséquence non moins importante est que le pouvoir réglementaire autonome s'exerce indépendamment du pouvoir législatif et ne peut être limité que par la Constitution et les principes généraux du droit.921(*)

Dans la mesure où les principes généraux du droit sont susceptibles d'être modifiés par la loi, il nous semble plus logique de dire que les règlements autonomes ne se soumettent qu'à l'autorité de la Constitution.

L'on peut noter aussi que le Président de la République peut entrer en conflit avec son premier ministre ; ce conflit se résorbe politiquement par la révocation de ce dernier dans les formes constitutionnellement fixées.

D'un mot, la règle de solution est différente lorsqu'il s'agit des matières partiellement réservées au pouvoir réglementaire, le constituant ayant installé un domaine de collaboration entre les deux pouvoirs de normativité.

Dans le cas prévu par l'article 123 de la Constitution, le législateur interviendra dans ces matières mais en fixant les principes fondamentaux ou en posant des normes de principe. Le pouvoir réglementaire en revanche édictera des normes dans le cadre tracé par les principes législatifs et pour en procurer une exécution aisée.922(*)

La solution juridique ainsi trouvée est susceptible d'aboutir sur une grave crise institutionnelle car son application stricte est un indicateur sûr que la majorité parlementaire ne soutient plus tout à fait son émanation gouvernementale. L'autre solution juridique est et demeure la dissolution de l'assemblée nationale en cas de crise persistante entre le gouvernement et l'assemblée nationale.

Aux termes de l'article 148 de la Constitution, le Président de la République, après consultation du Premier ministre et des Présidents de deux chambres parlementaires, peut prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. Il suit de cette disposition constitutionnelle que le droit de dissoudre appartient exclusivement au Président de la République qui en dispose donc de façon régalienne. Il lui appartient cependant de prendre la mesure de l'acte de dissolution qui demeure néanmoins un acte de haute portée politique. La consultation de Présidents des chambres parlementaires aboutit à un avis facultatif ; par contre, la non consultation de ces deux autorités publiques rend la dissolution inconstitutionnelle.

Ainsi donc, la Cour constitutionnelle demeure compétente de statuer sur la dissolution en ce qui concerne sa validité formelle, le fond c'est-à-dire l'opportunité étant une question politique laissée à la discrétion du Président de la République. Cependant, il est interdit de dissoudre pendant l'année qui suit les élections, pendant l'état d'urgence ou de siège ou de guerre, ni pendant l'intérim présidentiel exercé par le Président du Sénat.923(*)

Il en est de même de la motion de censure qu'exercerait l'Assemblée nationale à charge du Gouvernement en cas de désaccord avec ce dernier. En effet, ce mécanisme politique de contrôle s'exprime par voie d'une résolution qui n'est pas à confondre avec un acte législatif comme le fait malheureusement la Cour suprême de justice.924(*)

Au-delà de ce commentaire, il sied de noter que la motion de censure demeure une arme dissuasive que détient la majorité parlementaire à l'endroit du gouvernement. La menace de son utilisation assagit souvent le Gouvernement qui rentre ainsi dans les rangs de la majorité parlementaire. Cependant, en République démocratique du Congo, toutes motions de censure déposées contre le gouvernement ayant jusque là échoué, l'on peut aisément constater que la discipline partisane entraine une sorte de caporalisation de la vie politique.

Mais l'explication ultime pourrait être trouvée dans la conception traditionnelle du chef qu'a la classe politique congolaise qui le prend en effet pour un pourvoyeur des vivres. La politique s'analyse alors en une sorte de mangeoire nationale où viendraient s'abreuver les animaux politiques de tout bord.

Dans une telle conception de la politique saisie comme un prolongement du tube digestif, il y a fort peu de place pour un nombrilisme qui conduirait à l'indépendance de l'élu.

Ainsi, la formule constitutionnelle selon laquelle « le mandat impératif est nul »925(*) rentre dans le cadre des objets politiquement non identifiés dans la praxis politique congolaise.

Le dernier événement où les états-majors des partis politiques, pour faire tomber le Président de l'Assemblée nationale, ont fait signer avec grand bruit et à coup d'abattement médiatique officiel, hors parlement, une motion de destitution à l'encontre de ce dernier, est de nature à souligner ce caractère alimentaire de la vie politique congolaise.

Ces trois cas de figure ne retracent pas la totalité des conflits juridiques qui sont multiples et variés.

C'est le cas de ceux qui peuvent survenir entre l'Etat et ses entités régionalisées.

B. Conflits entre provinces et l'Etat

Les contestations faisant partie, on l'a vu, de la vie politique des nations, il n'est pas exclu que les provinces suscitent des difficultés avec l'Etat dans le cadre soit politique soit juridique. Voyons à présent ce qu'il en est des contestations politiques.

1. Les contestations politiques

A ce jour, la jurisprudence n'indique pas encore une contestation politique ouverte entre les provinces et l'Etat. Cependant, il existe une contestation politique larvée entre ces entités, du moins certaines d'entre elles, avec l'Etat. En effet, certaines provinces dites privilégiées926(*) réclament l'application directe et immédiate de l'article 175 alinéa 2 de la constitution qui dispose que la part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source. 927(*)

En effet, ce débat traduit clairement la présence des luttes anciennes entre les fédéralistes et les unitaristes. Cette lutte se traduit dans la Constitution actuelle par un savant dosage qui donne néanmoins gain de cause aux fédéralistes même s'ils ont eux aussi perdu la bataille de la dénomination constitutionnelle.928(*)

Ainsi, il y a une forte résistance due aussi à l'absence des moyens financiers énormes à l'égard de cette régionalisation politique pourtant constitutionnellement consacrée. Les querelles politiques étant nombreuses du fait même, comme on l'a montré plus haut, qu'elles expriment des états d'âmes qui sont nécessairement multiples, il convient de voir comment certaines d'entre elles peuvent être transformées en questions juridiques et ainsi trouver solution.

2. Les querelles juridiques

Les questions juridiques entre les provinces et l'Etat sont essentiellement celles relatives à la répartition des compétences entre ces deux étages de l'Etat congolais. D'emblée, l'institution de la Conférence des Gouverneurs de province par la Constitution est de nature à permettre l'aplanissement de tout différend politique car elle assure des contacts permanents et organiques entre l'exécutif national avec les exécutifs provinciaux.929(*)

De par sa composition et des objectifs qui lui sont assignés, la Conférence des Gouverneurs est un mécanisme politique et juridique de résolution des querelles politiques susceptibles de survenir.

Cependant, en raison du régionalisme politique adopté par le constituant congolais actuel, les difficultés sont susceptibles de surgir du fait de la répartition des compétences. Ainsi, le législateur national n'a qu'à intervenir dans les matières exclusives et concurrentes.

Si par hasard, il intervient dans une matière exclusive à la province, il appartiendra à la Cour constitutionnelle de trancher le conflit après saisine de la province lésée ; tandis que les juridictions administratives resteront compétentes pour régler les conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir exécutif provincial, par le biais notamment du recours pour excès de pouvoir.930(*)

Il importe de noter qu'à l'intérieur des matières, le domaine réglementaire et le domaine de la loi reste séparés comme au niveau national.931(*)

S'agissant des matières concurrentes, la règle de solution juridique du différend gît dans l'article 34 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces qui dispose clairement que « tout édit provincial incompatible avec les lois et règlements d'exécution nationaux est nul et abrogé de plein droit ». 932(*)

Il s'agit au fait de la reproduction de la norme contenue dans l'article 205, alinéa 4, de la Constitution. La formulation du dernier alinéa de l'article 205 susmentionné en posant que « la législation nationale prime sur l'édit provincial » semble trancher définitivement toute querelle entre les deux normes de même nature mais de niveaux différents.933(*)

Il reste qu'en cas de doute, le juge constitutionnel demeure le seul organe habilité à trancher définitivement. Si des règles constitutionnelles et légales existent pour régler les querelles dans le cadre du régionalisme constitutionnel adopté par la République démocratique du Congo, il semble que tel n'est pas le cas lorsque le différend oppose les provinces entre elles.

C. Le cas spécifique des conflits entre provinces

L'hypothèse ne semble pas avoir été envisagée par le constituant, cependant, elle est susceptible de survenir. Il suffit de remarquer enfin que deux ou plusieurs entités régionalisées peuvent poser des actes juridiques qui recèlent une contradiction juridique. L'hypothèse est jusque-là théorique mais elle ne manque pas de prévisibilité matérielle. Il faut voir d'abord le problème que pareils actes pourraient poser avant d'étudier la règle de solution possible.

1. Position du problème

La loi n°08/012 du 31 juillet 2008 déjà mentionnée indique par ailleurs que deux ou plusieurs provinces peuvent contracter des accords de coopération interprovinciale.934(*) Cette formulation pose-t-elle la question juridique suivant laquelle il n'y aurait que des accords de coopération entre provinces et non un quelconque acte juridique de nature provinciale susceptible d'engendrer un conflit entre elles. En cette occurrence, quel serait le juge compétent ?

2. Règle de solution

Telle que posée, la question mérite deux niveaux de réponse.

Au premier niveau, il convient de constater qu'entre les provinces les accords de coopération interprovinciale sont possibles. C'est d'ailleurs ce que préconise le constituant actuel lorsqu'il édicte que deux ou plusieurs provinces peuvent, d'un commun accord, créer un cadre d'harmonisation et de coordination de leurs politiques respectives et gérer en commun certains services dont les attributions portent sur les matières relevant de leurs compétences.935(*)

Dès lors, il importe d'affirmer que la forme de cet accord entre provinces n'étant pas précisée, il peut bien intervenir sous la forme d'un arrêté interprovincial promulgué par les deux gouverneurs soit, s'il s'agit d'une norme législative, sous la forme d'un édit interprovincial. Il n'est pas exclu de même que cet accord se forme sous une forme tout à fait libre et différente de deux premières mentionnées.

Au second niveau, dans les deux premiers cas, il convient de constater qu'à la fois le juge administratif et le juge constitutionnel restent compétents pour en connaître.

En effet, s'agissant d'un arrêté interprovincial, l'article 74 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 rend chaque cour administrative d'appel compétente pour connaitre des recours en annulation pour violation de la loi, des édits et des règlements nationaux formés contre les actes ou décisions des autorités provinciales ou locales et les organismes placés sous la tutelle de ces autorités.

Par contre, s'il s'agit d'un édit interprovincial, l'article 73 de la même loi rend la Cour constitutionnelle seule compétente pour ce faire.

En revanche, si l'accord n'a pas emprunté les formes susmentionnées, il faut décider que le juge ordinaire demeure compétent pour traiter des difficultés d'interprétation et/ou d'exécution qu'il pourrait entrainer. 936(*)

En effet, il faut, dans l'état actuel de la législation, songer à rendre le juge administratif compétent si l'accord est un contrat administratif et confier la connaissance du litige au juge de droit commun s'il s'agit d'un accord régi par les règles du droit commun.937(*)

Si les choses semblent faciles pour ce règlement, le cas de traités internationaux connaît un régime spécial qu'il sied d'examiner en abordant tant la controverse doctrinale qui a toujours caractérisé la matière que la règle de solution adoptée en droit positif congolais.

* 906 L'article 232 alinéas 1er et 3 de la Loi fondamentale charge cette chambre de trancher les conflits de compétence qui peuvent survenir entre le pouvoir central et le pouvoir provincial d'une part et ceux résultant des actes du pouvoir exécutif d'autre part.

* 907 Article 62, alinéa 4 de la Constitution du 1er août 1964.

* 908 Article 161, alinéa 3 de la Constitution du 18 février 2006.

* 909 La GRANCE (N.), Le phénomène majoritaire, op. cit, pp. 24-25.

* 910 La GRANCE (N.), Le phénomène majoritaire, op. cit,. pp. 24-25. .

* 911 Idem, p. 27.

* 912 HAURIOU (A.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 1968, p. 570

* 913 CHIZUNGU C.S., La réhabilitation des traditions politiques précoloniales dans le droit constitutionnel postcolonial, Mémoire de licence, Faculté de Droit, Université de Kinshasa, 1981, pp. 10-29

* 914 HAURIOU (A.) op.cit., p. 571

* 915 Idem, op.cit., p. 571.

* 916 Olivier KAMITATU a été l'objet d'un conflit politique qui a pris la forme d'un recours en interprétation pour sa résolution entre le MLC et le parti du président Joseph KABILA.

* 917 Il ya une requête en inconstitutionnalité déposée à la Cour suprême de justice depuis 2008 par des citoyens congolais pour la plupart originaires du Bas -Congo tendant à faire déclarer inconstitutionnelle la loi de finances de 2008. Le premier Président de cette haute Cour n'ayant pas fixé cette affaire en plénière, elle n'a pas connu de suite perdant ainsi tout intérêt à ce jour. Et pourtant, l'arrêt aurait permis du point de vue scientifique de fixer les esprits sur l'applicabilité directe d'une norme constitutionnelle en dehors d'une loi d'application. C'est donc dommage !

* 918 VUNDUAWE te PEMAKO (F.), Traité de droit administratif, op.cit, p.311.

* 919 Voir article 139 de la Constitution du 18 février 2006.

* 920 Voir article 92, alinéa 1er, de la Constitution.

* 921 Lire VUNDUAWE te PEMAKO (F.), op.cit, p.313.

* 922 Voir article 123 de la Constitution.

* 923 Lire article 148, alinéas 1er et 2ème de la Constitution du 18 février 2006.

* 924 CSJ, Arrêt Kapuku Ngoy Trésor, RConst 051/TSR du 31 juillet 2007, inédit. Lire aussi, WETSH'OKONDA KOSO SENGA (M.), « La définition des actes législatifs dans l'arrêt de la Cour suprême de justice n° R. CONST.51/TSR du 31 juillet 2007 à l'épreuve de la Constitution du 18 février 2006 » Horizons, Revue de Droit et de Science politique du Graben, n°5, juin 2008, pp.12-36.

* 925 Lire article 101, alinéa 5 de la Constitution du 18 février 2006.

* 926 L'on cite le Bas-Congo, le Katanga et la Ville de Kinshasa.

* 927 Lire article 175, alinéa 2, de la Constitution du 18 février 2006.

* 928 BON (P.), « L'attribution des compétences aux collectivités régionales et locales et le rôle du juge constitutionnel», rapport introductif au colloque Autonomie régionale et locale et Constitutions, Aix-en-Provence, 8 et 9 septembre 2006, Annuaire international de justice constitutionnelle 2006, Economica et PUAM, 2007, pp. 70-89.

* 929 Voir article 200 de la Constitution du 18 février 2006.

* 930 VUNDUAWE te PEMAKO (F.), op.cit, p.502.

* 931 Lire article 37 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces, JORDC, Kinshasa, 31 juillet 2008, colonne 10.

* 932 Lire article 34, JORDC, Kinshasa, 31 juillet 2008, colonne 9.

* 933 Dans ce sens, lire DEAL (E.), « Langue du droit et doctrine : la linguistique juridique, soutien des influences étrangères doctrinales sur les constitutions nationales », participation au VIème Congrès mondial de droit constitutionnel, « Le constitutionnalisme. Les anciens concepts à l'épreuve de mondes nouveaux », organisé par l'AIDC (Association Internationale de Droit Constitutionnel), du 12 au 16 janvier 2004 à Santiago du Chili, 20 pp.

* 934 Lire article 40, alinéa 3, point 2, JORDC, Kinshasa, 31 juillet 2008, colonne 11.

* 935 Lire article 199 de la Constitution du 18 février 2006.

* 936 Il semble même que ce soit cela l'option levée par le projet de loi sur les juridictions administratives qui est en processus législatif à l'Assemblée nationale.

* 937 Code civil, livre III, tiré du Décret du 10 juillet 1888, Bulletin officiel, 1888, pp. 109 et s.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe