Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031 |
§2. La sacralité du droit ou la théologie du droit constitutionnelParler de la sacralité du droit, c'est d'emblée dire avec Maurice Kamto que le droit procède du pouvoir qui est toujours et déjà sacré444(*). C'est dire que s'agissant de la norme fondamentale transcendante dans les sociétés traditionnelles africaines, il est établi que la sacralité de cette règle est induite de la qualité de l'auteur de cette norme qui est l'ancêtre fondateur du clan ou de la tribu. Dès lors que l'on peut comparer la genèse de deux normes fondatrices dans les deux types de sociétés, l'on peut noter qu'en occident il a été longtemps admis que le pouvoir émanait de Dieu qui le confiait à un homme, par application de la loi salique, avant que Dieu soit détrôné au profit de la Nation ou du peuple. C'est ainsi que les Loys fondamentales du Royaume, en France médiévale, étaient supérieures aux lois édictées par le Roi non seulement parce qu'elles émanaient des ancêtres fondateurs du royaume mais aussi et surtout elles étaient le fondement métaphysique du droit du royaume.445(*) Pour ce qui est du droit coutumier africain, il est de même admis que le fondement de la norme se trouve dans la croyance qu'elle est l'émanation des ancêtres fondateurs du clan ou de la tribu.446(*) La théologie étant saisie comme science de la fondation, nous avons établi un parallélisme avec le droit constitutionnel qui est aussi une science de la création de l'entité étatique. Les deux s'occupent du sacré, c'est-à-dire de ce qui est hors de la portée de l'entendement de l'homme ordinaire. Tous les deux exigent une initiation qui fait dire à Jean Gicquel qu'outre Rhin, les docteurs en droit public sont sollicités 447(*)comme de nouveaux prêtres d'un nouveau culte qui est voué à un nouveau dieu rationnel : le droit constitutionnel. Les juristes de tout bord invoquent à longueur des discussions l'autorité de normes constitutionnelles ou même celle d'un maître en cette discipline pour calmer les ardeurs d'interprétation d'un adversaire ou d'un camp politiques. La laïcité du droit n'a opéré, on le voit, qu'un déplacement de lieux de culte et non le culte de la transcendance. Ainsi, il n'est pas étonnant que le nouveau culte soit consacré aux droits et libertés du citoyen sans négliger le rituel républicain qui n'est pas loin des fastes d'une grand-messe. Pour preuve, la lecture du préambule de la Constitution du 18 février 2006 donne à voir que les constituants congolais sont « conscients de leurs responsabilités devant Dieu, la Nation, l'Afrique et le Monde ».448(*) De même, la lecture attentive des dispositions de l'article 1er, de la Constitution congolaise susmentionnée449(*), donne également à voir que l'Etat moderne est resté marqué, malgré le rationalisme hérité des Lumières, par un culte dédié au dieu-Nation qui possède son emblème, ses armoiries et son propre hymne à exécuter dans les grands rassemblements d'Etat. La justice constitutionnelle dans cette configuration mystique apparaît comme l'activité exercée par le grand sacrificateur de cette nouvelle religion du droit. Par ailleurs, le juge constitutionnel est saisi comme celui qui dit la vérité suprême dans l'Etat, celui qui sait ouvrir les entrailles de la Constitution et y scruter les augures de la volonté suprême du constituant. Dès lors s'installe une nouvelle sacralité attachée aux décisions du juge constitutionnel perçu comme la bouche de la Constitution. Cette réminiscence mystique ou plutôt religieuse de l'origine du pouvoir et du droit constitutionnel appelle comme conséquence fondatrice que le droit est toujours, malgré la laïcité proclamée, de l'ordre du sacré. C'est dans ce sens qu'Olivier Camy tente d'élaborer sa théorie de la transcendance du droit constitutionnel sous la modalité du souverain généralement conçu comme un sujet absolu, censé détenir un pouvoir constituant « originaire » et donc, capable de produire du droit ex nihilo. Il renchérit que dans les démocraties européennes, ce souverain est assimilé, en droit interne, au peuple s'exprimant par le suffrage universel et en droit international, à l'Etat s'exprimant à travers un gouvernement.450(*) La science juridique qui tente d'identifier le souverain, véritable sujet juridique auto-fondé, créateur ultime des normes juridiques ne peut qu'échouer tant la nature théologique de la souveraineté exclut la présentation du souverain comme être de chair et de sang. Nous ne pouvons, dit-il enfin, connaître que des corps politiques institués parlant toujours au nom d'un souverain absent mais agissant, le demos.451(*) Pendant longtemps, le souverain qui est créateur ultime des normes fondatrices, donc Dieu en quelque sorte, s'est exprimé par les représentants avant de s'exprimer de nos jours par l'oracle des temps modernes qu'est le juge constitutionnel. Cette influence est tellement visible que les décisions de ce dernier ne peuvent être renversées que par le constituant c'est-à-dire par celui-là même par qui tout a été créé dans l'Etat. Sans philosopher longuement, l'on peut même affirmer que la décision constitutionnelle juridictionnelle participe, à vrai parler, de la même nature que le constituant qui est toujours et déjà sacré par essence. Voilà pourquoi il n'est pas excessif de voir dans le droit constitutionnel moderne une sacralité laïque qui confine à une théologie juridique dont les horizons restent cependant à scruter.452(*) Par ailleurs, la sacralité du droit peut être également saisie à l'occasion des rapports sociaux qui eux-mêmes sont aujourd'hui saisis par le droit. Aussi, avec Jacques Chevallier, nous pouvons noter que l'émergence du juge pose la problématique de la nature de la démocratie elle-même. En effet, dit-il, « l'Etat de droit implique que la liberté de décision des organes de l'Etat est, à tous les niveaux, limitée par l'existence de normes juridiques supérieures, dont le respect est garanti par l'intervention d'un juge. Le juge est donc la clef de voûte et la condition de réalisation de l'Etat de droit : la hiérarchie des normes ne devient effective que si elle est juridictionnellement sanctionnée ; et les droits fondamentaux ne sont réellement assurés que si un juge est là pour en assurer la protection ». 453(*) S'agit-il d'un gadget idéologique de temps modernes dont le sort serait lié à la fortune prochaine du concept lui-même ? En d'autres termes, l'Etat de droit serait-il le dernier horizon possible et indépassable du développement du droit constitutionnel contemporain ? Ce questionnement aussi utile qu'intéressant marque une fois de plus la problématique de la nature de l'Etat moderne qui est saisie de nos jours comme un ordonnancement juridique au dessus duquel trône la Constitution. Ceci est tellement vrai de nos jours que le champ politique est saisi en grande partie du moins par le droit même aux Etats-Unis d'Amérique, pays reconnu pour sa rationalité pragmatique, au point qu'à la fin de l'année 2003, la Cour suprême américaine a rendu une décision très attendue sur le Bipartisan Campaign Reform Act c'est-à-dire sur la réforme du financement des campagnes électorales. Cette décision est la plus longue jamais rendue par cette Haute Juridiction (près de 300 pages). 454(*) Tout se limiterait-il à cette image du juge qui transfigure l'ordre juridique et politique de l'Etat sans que quelque transgression vienne à perturber le culte du droit ? * 444 Voir KAMTO (M.), Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, pp.428-446. * 445 Voir TIMBAL (P.-C.) et CASTADO (A.), Histoire des institutions publiques et des faits sociaux, 9ème édition, Paris, Dalloz, 1993, p.465, n°1038. * 446 Voir MATADI NENGA GAMANDA, La question du pouvoir judiciaire en République démocratique du Congo. Contribution à une théorie de réforme, Kinshasa, DIN., 2001, p.50. * 447 GICQUEL (J.), op.cit, p.315, note (49). * 448 Voir, JORDC, 47ème année, numéro spécial, p.9, dernière ligne. L'on peut raisonnablement se poser la question de la hiérarchie cosmogonique du constituant congolais qui semble placer Dieu avant la Nation, l'Afrique et le Monde. Une telle conception du cosmos est conforme à la cosmogonie bantu qui semble postuler l'Etre suprême avant les Ancêtres qui sont du moins potentiellement compris dans la Nation au sens d'Ernest RENAN. Comme communauté de destin, du passé comme du futur, la Nation ne peut être saisie que comme un être inférieur à la divinité. * 449 Lire avec intérêt, NICOLSON (H.), La monarchie. Du droit divin aux constitutions modernes, Paris, Hachette, 1962, pp.305-327. Cet auteur montre de manière magistrale que finalement il existe un cordon ombilical non coupé jusqu'à ce jour entre le sacre de la Reine d'Angleterre, par exemple, et le symbolisme mystique de la pierre du sacre royal encastrée sous le trône. Tous les rois anglais se sont assis sur cette pierre lors de leur sacre. C'est un élément magique qui ne peut être évacué du droit constitutionnel occidental qui prétend pourtant à un rationalisme kantien. * 450 CAMY (O.), Droit constitutionnel critique, op.cit, p.57. * 451 Ibidem * 452 de VILLIERS (M.), Dictionnaire du droit constitutionnel, op.cit, p.131. Cet auteur opine que la laïcité dont, paradoxalement, une des plus anciennes affirmations se trouve dans l'Evangile (« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » Luc 20 verset 25), est un élément constitutif de la conception occidentale de l'Etat. * 453 CHEVALLIER (J.), L'Etat de droit, 2ème édition, Paris, Montchrestien, 1994, p.147. * 454 Cette décision a fait l'objet d'un commentaire à la Revue française de droit constitutionnel par Marthe FATIN-ROUGE STEFANINI et Wanda MASTOR,"La Cour suprême américaine et la réforme du financement des campagnes électorales aux Etats-Unis : La décision McConnell v. FEC du 10 décembre 2003", Revue française de droit constitutionnel, 2004, n° 59, pp. 473-502. |
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