Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031 |
§3. Le contrôle par voie d'actionSans qu'il soit besoin ici de longs développements sur la notion d'action que le contentieux constitutionnel emprunte comme celle d'exception, vue ci haut, au droit judiciaire, il importe de dire simplement que l'action sous le rapport qui nous intéresse est « le pouvoir reconnu aux sujets de droit de s'adresser à la justice pour obtenir le respect de leurs droits ou de leurs intérêts légitimes »334(*) Il s'agit ici de l'action qu'un plaideur serait amené à introduire en justice en matière constitutionnelle et plus précisément en matière de constitutionnalité des lois qui est, on l'a vu, la donne fondamentale du contentieux constitutionnel. Le modèle européen dans l'ensemble se fonde entre autres sur la protection des droits fondamentaux des citoyens. Dès lors, il paraît logique que dans un tel système il soit admis qu'un plaideur ait la possibilité de saisir le juge et de contester par voie juridictionnelle une loi qui heurte des libertés garanties au citoyen plaideur par la Constitution. Dans la diversification de ce prototype juridictionnel, l'on peut relever cependant qu'il est des constitutions qui n'ont ouvert la saisine qu'à certaines personnes publiques sans cependant altérer ce trait saillant du type européen. Le système est logique dans la mesure où il ne peut à la fois permettre la censure des lois par voie d'action et refuser la censure de mêmes actes dans l'abstrait c'est-à-dire préalablement à tout litige. En effet, le contrôle abstrait que nous verrons dans le paragraphe suivant n'est rien d'autre qu'une modalité de contrôle a priori dans la mesure où il s'exerce avant tout le litige concret mais surtout il est postérieur à l'existence des normes dans l'ordonnancement juridique. §4. Le contrôle abstraitAinsi que nous l'avons vu plus loin, le contrôle abstrait peut être antérieur ou postérieur aux normes. Lorsqu'il est antérieur aux normes, il peut se résoudre en une étape dans l'élaboration technique de la loi, en revanche, il constituera un véritable contrôle des lois lorsqu'il s'effectuera après que la loi a été promulguée. Michel Fromont nous prévient déjà que le contrôle abstrait et donc objectif « reste très fortement marqué par ses origines, à savoir la volonté de trouver un arbitre entre les organes ou les collectivités d'un même Etat ».335(*) Voilà pourquoi, renchérit-il, le contrôle abstrait et objectif le plus vieux est-il celui du contentieux entre pouvoirs ou collectivités publics. A ce jour, s'ajoute le contentieux des normes. Dans ce cadre, il n'est pas inutile de remarquer que le contrôle abstrait adopté dans le modèle kelsenien est voué, au départ, à régler les conflits entre les organes constitutionnels ou même parfois à les prévenir notamment lorsque le juge constitutionnel est appelé à émettre des avis qui politiquement vident un germe de conflictualité. Il est même possible que le juge constitutionnel reçoive des attributions en matière administrative mais orientées toutes à prévenir des conflits entre les organes constitutionnels. Ainsi le contentieux électoral est-il rangé au sein du contrôle abstrait car en effet lorsque le juge constitutionnel a reçu de la Constitution l'attribution de vérifier la régularité de l'élection de certains titulaires des mandats électifs, en réalité il doit exercer son contrôle de conformité à la Constitution, à la loi organisant les élections ainsi que parfois aux règlements d'application. Le caractère abstrait se voit uniquement lorsque l'on observe qu'il s'agit d'un débat sur un statut prévu par la Loi fondamentale.336(*) Il en est de même du contentieux de la régularité de la détention des mandats publics surtout électifs. Le contentieux de la régularité des activités des organes constitutionnels constitue, aux yeux de la doctrine, le second type du contentieux entre pouvoirs publics. Il peut s'agir d'un conflit de compétences entre organes constitutionnels. C'est le cas par exemple, en France, du conflit possible entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire337(*). Il peut également s'agir d'un conflit de compétences entre organes techniquement égaux comme c'est le cas en Allemagne ou même en République sud-africaine.338(*) Il convient de noter avec Michel Fromont que « malgré le fait que le conflit oppose deux organes placés souvent sur un pied d'égalité, il ne déclenche nullement un contentieux subjectif : chacun des organes fait valoir son statut constitutionnel et non pas sa situation personnelle ».339(*) Il faut ajouter ici que le contentieux référendaire en ce qu'il concerne la validité de la votation populaire ou même parfois de l'initiative populaire relève, sans aucun doute, du contentieux abstrait ou objectif. Il est pertinent de faire observer qu'à côté de ce contentieux abstrait entre pouvoirs publics, il existe aussi un contentieux qui tend à vider les conflits entre collectivités publiques. C'est le cas, à n'en point douter, du conflit susceptible de naître à l'occasion du pacte fédéral ou même de la régionalisation politique. En effet, si dans un Etat unitaire décentralisé, la tutelle exercée tant sur les organes que sur les actes des entités décentralisées vient à bout de toutes velléités contestataires de ces dernières, pareille tutelle est exclue dans le cadre d'un Etat fédéral ou dans celui plus récent d'un Etat régional340(*). Dès lors, le recours au juge constitutionnel se présente comme la seule issue responsable pour vider de façon juridique le conflit ainsi né. Dans cette occurrence, le contentieux est manifestement objectif dans la mesure où il ne concerne que des collectivités composantes de l'Etat. Enfin, la doctrine enseigne qu'il existe également un contentieux objectif ou abstrait pouvant naître uniquement entre les normes juridiques. C'est à propos qu'il est affirmé qu'aujourd'hui l'Etat est perçu comme un système hiérarchisé des règles de droit plutôt que comme simple ensemble d'autorités publiques.341(*) Le contentieux entre normes juridiques constitutionnelles et infraconstitutionnelles est dit abstrait car il est déclenché par les autorités publiques qui se prévalent tout au moins de défendre l'intérêt général plutôt que les intérêts privés. En outre, un tel conflit est vidé sans considération de la situation particulière d'un justiciable. Il est entendu toutefois du point de vue de la science politique que chaque autorité publique qui agit ne le fait qu'en raison de ses propres intérêts politiques. Il est exclu par exemple qu'une autorité publique agisse contrairement aux aspirations qui sont les siennes ou même tout bassement en dysharmonie avec les intérêts de la majorité qui la soutient au pouvoir. Mais malgré cela, le litige ainsi déféré devant le juge constitutionnel n'en demeurera pas moins abstrait tant il ne vise pas un droit subjectif identifié.342(*) Notons, comme nous l'avons fait plus haut, que le contentieux abstrait peut s'exercer avant ou après l'entrée en vigueur de la loi. Dans le premier cas, il s'analyse en une étape dans le processus d'édiction de la norme juridique tandis que dans le second cas il doit être entendu comme un mécanisme de protection des valeurs proclamées par la Constitution et par ricochet, celui de la protection des droits et libertés fondamentaux du citoyen. Ce trait saillant de la justice constitutionnelle kelsenienne nous permet dans le point suivant de tenter de répondre à la question de la nature de l'autorité de décisions du juge constitutionnel. * 334 GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.) (sous la direction de), Lexique des termes juridiques, 6ème édition, Paris, Dalloz, 1985, p. 14, verbo : action en justice. * 335 FROMONT (M.), La justice constitutionnelle dans le monde, op.cit, p.66. * 336 Idem, p.67. S'agissant d'un statut conférant des droits subjectifs à un individu autorisé dès lors à poser des actes juridiques prévus par ledit statut, il y a lieu de critiquer le caractère abstrait du contentieux électoral. Même s'il est objectif en ce qui concerne le contentieux de maintien des mandats, il ne nous paraît guère objectif dès lors qu'il concerne des candidats à une élection ou des titulaires des votes non encore proclamés. Là, il s'agit, à notre avis, de réclamations des droits subjectifs en l'occurrence des droits politiques à l'éligibilité ou à accéder à tel poste politique constitutionnellement prédéfini. * 337 RENOUX (T.S.) et de VILLIERS (M.), Code constitutionnel, Paris, Litec, 1994, pp.323-364 réservent de belles pages à l'analyse notamment de la jurisprudence du Conseil constitutionnel français relativement au partage des compétences entre le domaine de la loi et le domaine réglementaire. Intéressante gymnastique dont l'exercice sera abordé à l'occasion de l'étude des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle en République démocratique du Congo. * 338 FROMONT (M.), La justice constitutionnelle dans le monde, op.cit, p.68. * 339 Ibidem. C'est nous qui soulignons. * 340 Lire GRUBER (A.), La décentralisation et les institutions administratives, Paris, Armand Colin, 1986, pp.263-294. * 341 FROMONT (M.), op.cit, p.69. * 342 Au demeurant, du point de vue strictement juridique, la loi étant considérée comme l'expression de l'Etat dans sa configuration politiquement majoritaire, n'est-il pas, au plan de la recevabilité, sans intérêt de l'attaquer devant le juge lorsque l'on en est l'auteur et que donc l'on dispose toujours de la faculté juridique de la modifier sans s'attirer ni les foudres de l'opposition ni la curiosité parfois malsaine de l'opinion publique nourrie par des médias souvent peu tendres à l'égard de ceux qui dirigent ? et, last but not least, une action en justice même devant les juges acquis aux opinions de la majorité n'est-elle pas toujours un risque qu'il faut bien calculer avant de le prendre ? |
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