CHAPITRE II : EXPERIENCE DES ACCORDS PREFERENTIELS
UNILATERAUX ET ANALYSE THEORIQUE DE LA DYNAMIQUE DES ECHANGES
Un accord commercial préférentiel
unilatéral est une convention entre un pays donateur et un pays
bénéficiaire permettant à celui-ci de profiter de certains
avantages commerciaux notamment l'accès de ses produits au marché
du donateur. Le bénéficiaire n'est pas contraint de faire en
retour des concessions. L'Afrique sub-saharienne a fait l'expérience de
tels accords dans le cadre de ses relations avec plusieurs pays de la
Quadrilatérale. Même si le pessimisme de certains auteurs entache
les résultats de ses préférences commerciales, il reste
que les théoriciens des échanges internationaux encouragent les
pays à y participer. L'analyse théorique de ces échanges
continue d'être rythmée par les défenseurs et les critiques
du modèle libre-échangiste.
2.1. Expérience des accords
préférentiels unilatéraux
Le succès de l'AGOA dans la promotion de la croissance
des exportations en ASS dépend des gains attendus par les pays et de la
capacité des structures économiques nationales à
transmettre ces gains aux producteurs. Dans la littérature, plusieurs
études économétriques et analytiques l'apprécie non
seulement par la grandeur des marges préférentielles, la part du
commerce engendré par le programme, le nombre de pays éligibles
mais aussi par la sensibilité des consommateurs américains et de
producteurs d'ASS (CNUCED, 2003 ; Shapouri et al, 2003).
De façon générale, plusieurs auteurs ont
étudié l'impact des accords préférentiels (SGP,
Accord de Lomé/Cotonou, Initiative `'Tout Sauf les
Armes», CBI28, ATPA29
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) sur les
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exportations des pays éligibles. Les premières
études sur l'analyse des effets de l'AGOA sur les exportations ont
été peu concluantes à cause de l'insuffisance des
données et l'utilisation
28Les USA créèrent en 1983 en plus du
SGP, la Caribbean Basin Economic Recovery Act (CBERA) plus connue sous le nom
de Caribbean Basin Initiative (CBI) afin de promouvoir le développement
économique de l'Amérique Centrale et des pays des Caraïbes.
En 1990, la CBERA initialement prévue pour 12 ans a été
rendue permanente par la promulgation de la CBI II.
29 La Andean Trade Preference Act (ATPA) promulguée en
1991 puis renouvelée en 2002 par les USA a pour objectif premier de
contrer l'expansion du trafic de drogue en fournissant de nouvelles
opportunités à près de 5600 produits originaires des pays
tels que : la Bolivie, la Colombie, l'Equateur et le Pérou.
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de modèles peu complets. La littérature sur
l'impact des préférences commerciales unilatérales en
général et de l'AGOA en particulier laisse entrevoir des
pôles de débat.
2.1.1. Débat autour de l'atteinte des objectifs de
l'AGOA
Les accords commerciaux unilatéraux ont fait l'objet de
débat autour de l'atteinte de leurs objectifs. Quelques années
après sa mise en oeuvre en 2000, l'AGOA a suscité un
intérêt particulier dans les études d'impact (Nouve, 2003).
Dans la littérature, plusieurs auteurs soutiennent la mise en place
d'accords préférentiels (2.1.1.1) tandis que d'autres estiment
que les gains attendus de l'AGOA sont illusoires (2.1.1.2).
2.1.1.1. Littérature soutenant l'apport des
préférences commerciales unilatérales
Les années 2002 et 2003 ont connu une floraison
d'études présentant une vision positive des
préférences commerciales. En effet, Nielson (2002) évalue
l'impact du SGP européen sur les exportations des PED en utilisant un
modèle gravitaire pour la période 1973-1992. Les résultats
montrent que les variables fictives pour le SGP et l'Accord de Lomé sont
toutes deux significatives. Ainsi des estimations de Nielson (2002), il ressort
que sur la même période, le SGP a permis aux PED d'augmenter leurs
exportations vers les pays de l'OCDE de 34 à 59% contre 45 à 69%
pour l'Accord de Lomé.
Suivant les brisées de Nielson (2002), Rose (2002)
estime l'effet d'accords commerciaux multilatéraux sur le commerce
international pour 178 pays sur une période plus large (1948- 1999).
Après l'usage de variables instrumentales et la résolution des
problèmes de manque de
certaines données30
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, l'auteur détecte des effets significatifs et
substantiels des SGP, des
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variables traditionnelles de gravité sur les volumes
des échanges qui doublent pratiquement mais des effets non significatifs
pour le GATT/OMC. En plus de la robustesse des résultats, Rose (2002)
conclut que même si les systèmes multilatéraux
n'entraînent pas forcément une augmentation des échanges,
les accords préférentiels tels les SGP les stimulent. De plus,
cette étude sur les exportations totales montre que les pays membres
d'un même espace commercial régional, ceux qui ont en commun une
langue, une frontière, une histoire coloniale commercent plus. Mais
l'étude par industrie (agriculture, textile) s'avère plus
intéressante. C'est ce que feront Nouve et Staatz en 2003.
30 L'économétrie a
développé plusieurs techniques pour parer les problèmes de
manque de données (Gourieroux et Monfont, 1981 ; Griliches, 1986 ; Peu,
1992). Cela améliore typiquement l'efficacité de
paramètres d'intérêt mais introduit quelques fois des
biais.
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Avant eux, Haveman & Shatz (2003) indiquaient que le
volume des exportations des PMA pour l'année 2000 augmenterait de 7,6
millions de dollars si l'UE, le Japon et les USA leur ouvraient
simultanément leurs marchés en exonération de droits.
Environ 90% de cette augmentation serait absorbée par le marché
américain. Ces auteurs réalisent ces prévisions à
partir de leur étude sur les importations annuelles des USA, de l'UE et
du Japon en provenance des PMA pour la période 1993-2000. L'estimation
du modèle de gravité utilisé leur a permis de conclure
également qu'une préférence tarifaire de 1%
entraînerait une augmentation moyenne des exportations des PMA vers les
USA, l'UE et le Japon de 19,4%, 8,5% et 13,1% respectivement. Mold (2005)
soutient ces résultats dans la mesure où il montre que le taux
d'utilisation31 du SGP accordé aux 49 PMA par les pays de la
Quadrilatérale32 a augmenté de 20 points de
pourcentage entre 1994 et 2001 essentiellement dû à une
augmentation des importations américaines de pétrole. Par
ailleurs, il note que le SGP américain a un taux d'utilisation
très élevé et un taux d'utilité faible
c'est-à-dire que sa liste sur les produits éligibles est
restreinte.
Nouve et Staatz (2003), 4 ans après la promulgation de
la loi américaine se posent la question de savoir comment les
exportations agricoles d'ASS ont évolué avec les avantages
commerciaux offerts par l'AGOA depuis 2000. En effet, les quelques vraies
études qui avaient jusque là évalué l'initiative
AGOA comme Mattoo et al. (2002) n'avaient pas traité cette question
spécifique. Ainsi ces auteurs comblèrent-ils ce manque en
utilisant les techniques de régression sur données de panel pour
isoler ceteris paribus les effets de l'AGOA sur les exportations agricoles
d'ASS vers les USA. Ils font appel à un modèle de gravité
où les variables exogènes sont les variables traditionnelles de
gravité (revenu, population, distance) et deux variables dummy
(éligibilité, Système de Visa). L'estimation porte d'abord
sur les 46 pays d'ASS ensuite sur les 27 plus grands exportateurs agricoles et
enfin sur les 8 meilleurs. Le trend croissant des exportations agricoles sur
les 4 ans est compatible avec les résultats qui témoignent d'une
réponse positive mais la relation entre la variable «AGOA» et
la variable endogène « les exportations agricoles» reste
marginale. Cependant les profits tirés de l'AGOA à travers les
exportations agricoles sont perçus comme statistiquement non
différents de zéro. Nouve et Staatz (2003) constatent aussi
qu'une grande part des variations des exportations agricoles d'ASS vers les USA
reste inexpliquée par ce
31 Le taux d'utilisation est le rapport entre la
valeur des importations bénéficiant de préférences
et celle des importations susceptibles de bénéficier des
préférences. S'il est très élevé, on dit que
les préférences proposées sont assez bien adaptées
à la structure des exportations des pays bénéficiaires.
32 Il s'agit des USA, l'UE, le Canada et le Japon
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modèle. La faible qualité des estimations est
imputable à l'insuffisance des données. Cela peut être
aussi dû à l'omission des particularités des
différents pays et à d'autres facteurs. Les études
économétriques qui ont suivi, ont paré ses limites.
Mais ces mêmes problèmes ont été
rencontrés par Shapouri et Trueblood (2003). Les auteurs qui, comme eux,
ont essayé d'estimer les impacts possibles des concessions
unilatérales de tarif à travers un modèle
d'équilibre partiel (Kirmani et al., 1984 ; Bond, 1987 ; Pelzman et
Schoepfle, 1988) montrent aussi des impacts positifs de telles politiques.
Shapouri et Trueblood (2003) estiment l'impact de l'AGOA sur la performance des
exportations d'ASS vers les USA en traitant trois questions spécifiques.
D'abord, ils montrent que les produits susceptibles d'être admis à
l'AGOA n'intégraient pas véritablement la structure des
exportations africaines et cela est probablement selon eux une raison
justifiant la faible participation des pays d'ASS en 2002. Néanmoins,
l'intérêt porté à l'AGOA s'est accru (pays
éligibles : 16 en 2001 et 22 en 2002) et l'AGOA a modifié la
structure d'exportation de quelques pays et certains ont même
triplé leurs exportations en un an. Enfin, les résultats
indiquent qu'en moyenne, les réponses aux incitations de l'AGOA
étaient positives et de façon inattendue importantes même
si les bénéfices se sont limités à quelques pays
surtout les exportateurs de produits pétroliers et vestimentaires ; ce
qui conforte les résultats de Mattoo et al. (2002). Shapouri et
Trueblood (2003) suggèrent par ailleurs que les pays se
spécialisent dans l'exportation de produits transformés, à
valeur ajoutée plus élevée.
A ce propos, Nouve (2005) analyse les effets de l'AGOA sur les
exportations des 46 pays d'ASS vers les USA en utilisant cette fois-ci un
modèle de gravité du commerce augmenté, inspiré de
Anderson & Van Wincoop (2001/2003). Portant sur la période
1996-2004, cette étude aborde les problèmes de données de
panel et de regresseurs endogènes et emploie la méthode des
variables instrumentales pour étreindre
l'endogénéité provoquée par trois variables
à savoir les exportations totales, les exportations AGOA et les
exportations de textile. Il régresse la première variables sur
les deux autres, les variables traditionnelles du modèle, le taux de
change, la langue, l'enclavement et des variables institutionnelles. La
robustesse du modèle couplée à la significativité
de la plupart des coefficients a permis à Nouve (2005) de conclure que
l'AGOA a un effet fortement positif sur les exportations d'ASS vers les USA
depuis sa mise en oeuvre. Cependant, l'élasticité de substitution
constante doit être inferieure à l'unité
c'est-à-dire que les produits exportés doivent être peu
substituables sur le marché américain. Lorsque cette
élasticité est supérieure à 1, le modèle
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prédit que l'AGOA a un effet négatif sur les
exportations. Ainsi, Nouve (2005) note que les efforts de diversification des
exportations en ASS seront donc salutaires. Par ailleurs, les exportations de
textile dans le cadre de l'AGOA ont un effet négatif sur les
exportations d'ASS. L'auteur conclut alors que l'AGOA a dynamisé le
secteur des textiles et vêtements qui est d'ailleurs porteur pour les
pays d'ASS presque tous producteurs de coton. Enfin, les résultats
montrent que ces exportations sont intensives en capital. Cela contredit ses
résultats obtenus avec Staatz en 2003.
Fouda (2007) utilise un modèle CMS (Constant Market
Share) pour évaluer la contribution de l'AGOA à l'augmentation
des exportations des pays éligibles. Il égalise la variation
des exportations de ces pays entre 2001 et 2004 à la variation de la
demande américaine
d'importation, de la composition des biens exportés et
de l'effet de la compétitivité33
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(effet de
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l'AGOA). Cette étude montre que l'AGOA est responsable
de seulement 16,07% de l'augmentation des exportations (66,9%) entre 2001 et
2004. Mais pendant qu'elle était de 59,1% pour l'Afrique de l'Est, la
part de l'AGOA dans l'accroissement des exportations n'était que de
19,88% en Afrique de l'Ouest.
Au niveau sectoriel, la mise en place de l'AGOA en Afrique de
l'Ouest a généré 62,48% de l'augmentation des exportations
des produits agricoles, 82,99% de celle des boissons et du tabac, 55,01% de
celle des produits chimiques et huiles essentielles mais aussi 63,22% de
l'augmentation des exportations des produits manufacturés divers.
Cependant, l'effet de l'AGOA sur le secteur des carburants et lubrifiants est
limité en Afrique de l'Ouest (21,19%) alors que cette région
s'affiche comme la grande exportatrice d'ASS vers les USA à cause du
Nigeria qui est le 1er producteur africain de pétrole (le
secteur pétrolier occupe plus de 90% des exportations de cette
région). Si en Afrique de l'Ouest, les avantages issus de l'AGOA ont
surtout été captés par les secteurs primaires (les
secteurs agricoles), la mise en place de l'AGOA a toutefois permis le
développement d'une industrie manufacturière
spécialisée dans le secteur des biens manufacturés
divers mais celle-ci reste embryonnaire (Fouda, 2008).
Cette vision positive n'est cependant pas l'apanage des
auteurs qui sont sceptiques sur les capacités des
préférences commerciales non réciproques en
général et de l'AGOA en particulier à créer des
conditions favorables et durables de croissance et de développement
économique dans les pays bénéficiaires.
33 La variable `'effet de la
compétitivité» indique surtout les changements des
conditions de marché attribués à l'AGOA.
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