Paragraphe
II : Revue de littérature
Il existe une flopée de travaux sur le lien entre le
développement financier et la croissance économique. Dans cette
revue de littérature, une distinction se fera entre les analyses
théoriques et les travaux empiriques.
A- Travaux théoriques et empiriques sur le lien
entre développement financier et croissance
économique
1- Travaux
théoriques sur la liaison entre développement financier et
croissance économique
Sur le plan théorique, plusieurs études
justifient un lien positif du développement financier sur la croissance
économique. La plupart de ces travaux tentent dans un premier temps de
justifier le bien fondé de l'intermédiation financière en
s'appuyant sur les asymétries d'information puis débouchent sur
une conséquence positive de la sphère financière sur la
sphère réelle. Ainsi Levine (1996) recense cinq arguments qui
peuvent fonder théoriquement l'existence d'une liaison positive entre
développement financier et croissance. Ces arguments, pour la plupart
justifiés par la théorie de l'information, sont les
suivants :
· Le système financier faciliterait la
protection contre le risque et le partage de celui-ci;
· Il permettrait une allocation optimale des
ressources ;
· Il permettrait un meilleur contrôle des
dirigeants et de l'entreprise par les actionnaires ;
· Il faciliterait la mobilisation de l'épargne
domestique ;
· Enfin, la présence d'un système
financier suffisamment développé faciliterait l'échange de
biens et services
Tout investisseur est principalement confronté à
deux types de risques : un risque de liquidité et un risque individuel.
Le premier est lié à l'incertitude concernant la conversion d'un
actif financier en moyen d'échange. Cette transformation est plus
difficile lorsqu'il existe des asymétries d'information ou des
coûts de transaction. L'existence d'un secteur financier peut
réduire l'importance de ces imperfections de marché,
réduire le risque de liquidité et favoriser ainsi le
développement de la sphère réelle. En effet, les projets
dont les rendements sont les plus élevés nécessitent
souvent une immobilisation longue du capital. Or, ceci n'est pas
forcément compatible avec les intérêts de
l'épargnant. En l'absence de système financier, le risque de
liquidité peut inciter les agents à financer des projets moins
rentables mais qui requièrent une immobilisation plus courte des fonds
(Diamond & Dybvig 1983). En revanche, la présence d'une banque qui
transforme des ressources courtes (dépôts) en emplois longs
(crédits) ou des instruments financiers liquides en investissements
longs et illiquides favoriserait la réduction du risque de
liquidité. En fournissant un service de dépôts à
l'épargnant et en réalisant un mixage judicieux entre actifs
liquides et illiquides, la banque améliore le bien-être des
déposants en leur garantissant un rendement indépendant de
l'état du monde connu par l'emprunteur (Bencivenga & Smith 1991). De
plus, les institutions financières permettent d'éviter les
liquidations prématurées de capital. Cela réduit le risque
de liquidité, favorise le financement d'investissements de long terme et
élève ainsi le taux de croissance de l'économie. Le
même raisonnement s'applique au risque individuel. En effet, un
investisseur individuel peut préférer financer des projets
à faible risque et donc à faible rendement. La présence du
système financier favorise la diversification du portefeuille de
l'investisseur (Gurley & Shaw 1960, Goldsmith 1969) et l'incite à
financer des projets plus risqués (parce que plus longs) mais
également plus rémunérateurs (Saint-Paul 1992, Pagano
1993). De plus, la présence d'asymétries d'information ou de
coûts de transaction rend difficile l'allocation optimale des ressources.
La présence d'un coût individuel élevé d'acquisition
de l'information sur les projets d'investissement peut inciter les agents
à se regrouper pour socialiser la dépense ou à
déléguer à une institution (une banque, par exemple), le
soin d'obtenir ces informations (Diamond 1984 ou Boyd & Prescott 1986).
L'économie ainsi réalisée peut conduire à une
meilleure allocation des ressources et favoriser le développement de la
sphère réelle (Greenwood & Jovanovic 1990). Schumpeter (1935)
avait déjà insisté sur le rôle essentiel joué
par le banquier dans l'allocation des ressources, qui permet à
l'entrepreneur d'innover en « détournant » des moyens de
production. Les travaux de King & Levine (1993) ou les études
empiriques de Gerschenkron (1962) et Cameron (1972) sur le développement
industriel au XIXe siècle s'appuient en partie sur l'analyse
schumpetérienne. L'impact positif du développement financier sur
la croissance passe aussi par la mise en place d'un contrôle accru des
actionnaires sur les dirigeants et sur l'entreprise. L'idée est que le
développement financier peut favoriser la croissance par la
réduction du coût d'acquisition de l'information à la fois
ex ante et ex post. Ex ante, l'existence d'un marché d'actifs peut
permettre à l'investisseur d'acquérir des informations sur la
valeur de l'entreprise et de sa direction avant l'achat de titres. Ex post, il
peut être onéreux pour un investisseur externe de vérifier
les rendements d'un investissement entrepris par le dirigeant de l'entreprise.
Ce dernier peut avoir intérêt à dissimuler les
résultats (asymétrie d'information). Si la vérification du
rendement ex post est coûteuse, alors le contrat optimal est un contrat
de dette dans lequel sont spécifiés les cas où le
prêteur va vérifier le rendement de l'investissement (Townsend
1979, Gale & Hellwig 1985). Plus la vérification est coûteuse
et moins l'investisseur externe est incité à vérifier.
Cela peut conduire, en liaison avec le point précédent, à
une mauvaise allocation des ressources. La présence d'un système
financier où existe une multitude de contrats financiers et où
une institution spécialisée se charge des vérifications ou
met en place un système de caution (Williamson 1987, Bernanke &
Gertler 1989, 1990) peut donc favoriser la croissance, sous réserve de
savoir quel type de contrôle s'exerce sur l'institution
vérificatrice. L'idée selon laquelle le développement
financier a un impact sur la croissance du fait d'une meilleure mobilisation de
l'épargne à la fois domestique et externe se retrouve souvent
dans la littérature. En l'absence de système financier, les
agents en seraient réduits à autofinancer leurs projets
d'investissement. C'est le paradigme du «petit paysan pauvre »
présenté par McKinnon (1973) qui, en l'absence de système
financier, est incapable de financer la mise en place de techniques de
production plus efficaces parce que cela représente un sacrifice trop
important en termes de consommation. Ainsi, comme l'épargne constitue un
préalable à tout investissement et que l'accumulation du capital
est à l'origine de la croissance, il est nécessaire que se
développent les structures financières destinées à
faciliter la constitution de l'épargne financière. Pour McKinnon
(1973), comme pour Shaw (1973) le développement de la sphère
financière constitue donc une condition nécessaire au
développement économique. On peut compléter cette
première explication en ajoutant que la collecte de l'épargne sur
une grande échelle induit des coûts de transaction difficilement
supportables par un seul individu. Dans ces conditions, la mobilisation de
l'épargne est facilitée par la mise en place du système
financier. Enfin, une mobilisation accrue de l'épargne et une meilleure
allocation des ressources dans l'économie doivent permettre une
extension des possibilités de production et l'adoption de techniques
plus efficaces. Cela peut conduire les entrepreneurs à se
spécialiser. Cependant, une plus grande spécialisation requiert
davantage de transactions qu'une situation où chaque agent produirait
l'ensemble des biens dont il a besoin. En réduisant les coûts de
transaction, le développement financier faciliterait la
spécialisation et donc la croissance de la sphère réelle
(Greenwood & Smith 1995).
L'ensemble de ces arguments plaide en faveur d'un sens de
causalité univoque entre développement financier et croissance de
la sphère réelle. C'est l'approfondissement financier qui
faciliterait l'accumulation du capital et donc le développement
économique. Pourtant, et à la suite des travaux de Patrick
(1966), il convient de s'interroger sur l'existence d'un lien de
causalité inverse : en quoi le développement économique
peut-il induire le développement financier ? Patrick (1966) distingue
deux étapes dans le développement économique d'un pays.
Dans la première, c'est le développement financier qui induit le
développement économique. C'est la phase de « supply leading
» où l'approfondissement financier permet, comme chez Schumpeter
(1911), le transfert des ressources d'un secteur traditionnel peu productif
vers un secteur moderne plus efficace. Transfert nécessairement
progressif, eu égard aux risques de faillite des institutions
financières qu'il peut provoquer (Patrick imagine même un soutien
provisoire de l'Etat à ces dernières). Une fois cette
première étape franchie, le sens de causalité
s'inverserait. C'est la phase de « demand following » où le
système financier répond de manière passive à la
demande de services qui s'adresse à lui.
Pagano (1993), par un modèle basé sur la
théorie de la croissance endogène montre comment le secteur
financier pourrait impacter le secteur réel. Il part du modèle
développé par Rebelo (1991) dans lequel la production
agrégée est une fonction du stock de capital :
(1)
Il y introduit une équation relative à
l'investissement brut It
It=Kt+1-(1-ä)Kt
(2)
Où le coefficient ä représente le taux de
dépréciation du capital sur une période.
Il suppose qu'une fraction (1- )
de l'épargne est perdue dans le processus d'intermédiation
financière (il s'agit du coût de l'intermédiation et des
règles prudentielles telles que les réserves
obligatoires) :
It= St
(3)
Le taux de croissance de l'année t+1 s'écrit en
tenant compte de (1) :
(4a)
Les équations (2) et (3) permettent de déduire
le taux de croissance stationnaire g :
(4b)
Où
représente le taux d'épargne brut
L'équation (4b) indique les trois canaux par lesquels
le système financier peut affecter la croissance. (i) D'abord en
augmentant la proportion
de l'épargne nationale allouée aux investissements productifs.
Selon Pagano (1993) l'augmentation de
peut être du à la baisse de l'inefficacité de la
sphère financière. Lors de la libéralisation du secteur
bancaire, l'on peut penser aussi à la baisse des réserves
obligatoires ou des taxes associées aux transactions. (ii) Ensuite en
augmentant la productivité marginale A, grâce à la collecte
d'informations et à l'incitation des investisseurs à replacer
leurs argents dans des projets plus risqués à cause d'un partage
du risque plus significatif de la part des intermédiaires. (iii) Enfin
le secteur financier influence la croissance par l'intermédiaire du taux
d'épargne s de l'économie.
Même si la plupart des travaux théoriques tentent
de légitimer l'existence d'un lien causal et univoque entre
approfondissement financier et croissance de la sphère réelle, un
sens inverse de causalité peut également être
envisagé. Ainsi Pagano (1993) montre également que le
développement financier, quoique généralement favorable
à la croissance, peut également lui être
défavorable, en raison du risque de réduction de la collecte de
l'épargne. Ceci peut se produire si la meilleure protection contre le
risque que fournissent les intermédiaires et les marchés
financiers conduit à une réduction de l'épargne (en cas
d'aversion au risque supérieure à un). De plus, la fourniture de
crédit aux ménages peut accroître leur consommation et
réduire leur taux d'épargne. Compte tenu du faible niveau de
revenu par habitant dans les pays d'Afrique sub-saharienne, nous devions
cependant nous attendre à trouver un sens de causalité allant du
financier au réel plutôt que l'inverse.
D'autres économistes ne croient pas qu'il y ait une
relation importante entre système financier et la croissance
économique. Ainsi, Robert Lucas (1988) pense que le rôle des
facteurs financiers dans la croissance économique est
exagéré par les économistes qui le défendent. Mayer
(1988) affirme qu'un marché boursier développé n'est pas
important pour le financement de l'entreprise. Robinson (1952) qui croit que le
développement financier est seulement un côté du
développement économique vient soutenir l'idée d'un sens
de causalité inverse qui mérite d'être mise en
lumière. Stiglitz (1991) affirmait déjà que la
liquidité des marchés financiers n'a pas d'impact sur le
comportement des gestionnaires de compagnies et donc n'exerce pas un certain
contrôle corporatif.
2-Travaux empiriques sur
le développement financier et croissance
économique
Plusieurs études ont tenté de valider
empiriquement le lien entre la sphère financière et la
sphère économique. Goldsmith (1969) est l'un des pionniers dans
l'étude des liens entre croissance et développement financier.
Son étude portée sur un échantillon de 35 pays sur la
période 1860- 1963 a abouti au fait qu'il existe une liaison entre le
secteur financier et le secteur réel. Son étude cependant
présente des limites : d'abord il ne tient pas compte des variables de
contrôle pouvant influencer la croissance économique et ensuite il
n'identifie pas le sens de causalité. D'autres travaux également
étudient directement la corrélation entre approfondissement
financier et croissance. Si l'on s'en tient à un exercice du genre, on
obtient un lien très fort entre les finances et la croissance. Ainsi,
Saint Marc (1972) avait montré que les pays les plus riches de l'UEMOA
se caractérisaient aussi par des ratios d'approfondissement financier
plus élevés. Spears (1992) obtient une corrélation proche
de 1 entre approfondissement financier et croissance dans 9 des 10 pays
africains qui composent son échantillon. Mais, évidemment,
l'absence de prise en compte d'autres variables susceptibles d'influencer la
croissance économique peut laisser supposer un problème
d'identification, et donc une surévaluation de l'impact du
développement financier sur la croissance de la sphère
réelle. C'est pourquoi la plupart des études postérieures
intègrent d'autres variables inspirées des modèles
traditionnels de croissance ou des théories de la croissance
endogène, de manière à contrôler la relation entre
approfondissement financier et croissance, et utilisent des panels (plusieurs
pays sur plusieurs périodes). Les résultats sont alors beaucoup
plus mitigés.
King et Levine (1993), ont porté leur analyse sur un
échantillon de 80 pays développés sur une période
allant de 1960 à 1989 en examinant l'ensemble des facteurs financiers
susceptibles d'influencer la croissance à long terme. Dans leur
conclusion, ils notent une contribution positive et statistiquement
significative des variables financières sur le secteur réel. A
cet effet, ils ont considéré comme variables financières
trois indicateurs qui sont : les engagements liquides du secteur financier
rapportés au PIB et représentés par le ratio (M2/PIB) ;
les dépôts auprès des banques commerciales rapportés
à ces même dépôts majorés des
dépôts des banques commerciales auprès de la banque
centrale et enfin le montant des crédits accordés aux entreprises
privées toujours rapportés au PIB.
De Gregorio et Guidotti (1995) obtiennent un effet positif du
ratio « crédit au secteur privé/PIB » sur la
croissance. Cet effet est même plus fort pour les pays à faible
revenu, conformément à la thèse de Patrick (mais l'effet
est négatif pour 12 pays latino-américains).
Savvides (1995) traite un échantillon de 28 pays
africains (dont les trois pays du Maghreb). Le ratio « quasi-monnaie / PIB
» apparaît exercer un impact positif sur la croissance, mais
significatif au seuil de 10 %, et uniquement si la variable «
libertés politiques » n'est pas prise en compte.
Odedokun (1996) étudie un panel de 71 pays, dont 21
d'Afrique sub-saharienne. Les deux indicateurs d'approfondissement financier
utilisés (ratio « stock moyen des actifs liquides / PIB » et
taux de croissance de l'intermédiation financière) exercent un
effet positif et significatif au seuil de 10 %, mais ceci n'est
vérifié que pour un tiers environ des pays d'Afrique
sub-saharienne de l'échantillon.
Collier et Gunning (1997) reprennent l'échantillon de
King et Levine, et montrent que l'effet de l'approfondissement financier sur la
croissance est positif en Afrique, mais plus réduit que dans les autres
pays en développement
Levine et Zervos (1998) ont essayé dans leur
étude d'évaluer l'incidence de la bourse et le
développement du secteur bancaire sur la croissance économique.
Ils ont utilisé à cet effet un échantillon de 49 pays sur
la période 1976-1993 et ont considéré comme variables
financières : le ratio de rotation des actifs, le ratio de
capitalisation boursière, la volatilité du marché et les
indicateurs du développement bancaire. Ils considèrent comme
variables endogènes: le taux de croissance du PIB réel, du
capital, de la productivité et de l'épargne comme l'ont
considéré King et Levine (1993). Leur résultat met en
lumière l'impact des variables financières sur la croissance
économique. Selon la conclusion de ces deux auteurs, il existe deux
mécanismes à travers lesquels l'impact du développement
financier se manifeste: Le premier concerne l'augmentation de
l'efficacité du capital, grâce à la meilleure allocation
des ressources ; le second concerne la mobilisation de l'épargne qui
accroît le volume d'investissement. Ils concluent enfin dans leur
étude que les économies ayant un niveau élevé de
développement financier présentaient des taux de croissance assez
importants.
Ces différents résultats peu satisfaisants
peuvent se justifier par les interactions à double sens susceptibles
d'exister entre la croissance économique et le secteur financier. En
effet Berthélemy et Varoudakis (1998) développent une approche
qui montre la possibilité d'équilibres multiples.
Berthélemy et Varoudakis (1998) ont
porté leur analyse sur la contribution du développement financier
à la croissance économique sur 82 pays pendant six
périodes quinquennales dès le début des années
soixante jusqu'aux années quatre vingt dix. Toutefois ils traitent
différemment la variable M2 / PIB considérée comme un
indicateur de développement financier d'un pays. En effet, le traitement
de cette variable est modifié par rapport aux travaux antérieurs
dans la mesure où ils introduisent le rôle de la répression
financière. Ils ont choisi de synthétiser son incidence par une
variable indicatrice binaire qui vaut 1 pour les périodes
précédentes à la réforme financière et 0
pour les périodes suivantes y compris la période de sa mise en
place. Ces auteurs ont ajouté donc cette variable pour
différencier l'impact du développement financier selon les
périodes de répression financière et de
libéralisation financière. Ils ont obtenu une influence minimale
de la croissance du système financier en période de
répression financière. Le coefficient associé à
cette variable indicatrice multiplié par le ratio (M2 / PIB) est
négatif et significatif. De là, les deux auteurs ont conclut q'un
système financier réprimé, semble avoir une influence
nuisible sur la croissance. Ce résultat confirme la position des
défenseurs de la libéralisation. Par ailleurs, les deux auteurs
ont constaté que le développement du système financier n'a
pas un effet significatif sur la croissance. Le seul effet mis en
évidence est un effet négatif lorsqu'il est associé
à un régime de répression financière. L'explication
proposée pour interpréter cette situation concerne la
possibilité d'existence d'équilibres multiples de croissance en
liaison avec le niveau du développement financier :
Un « équilibre haut » avec forte
croissance et développement normal du système financier et un
« équilibre bas » avec faible croissance, où
l'économie ne réussit pas à développer son secteur
financier. Entre les deux, il y a un équilibre instable qui
définit un effet de seuil du développement du système
financier sur la croissance. Au-delà de ce seuil, l'économie
converge vers l'équilibre avec forte croissance, alors que, en
déça de celui-ci, elle reste bloquée dans une situation de
piège de pauvreté. Par le biais de cette analyse, ils ont
validé l'idée suivant laquelle l'impact de l'approfondissement
financier sur la croissance ne se manifeste qu'à partir d'un certain
seuil (M2/PIB) au moins égal à 36,5%. Cela signifie que dans les
pays ayant un faible ratio (M2/PIB) l'impact du développement financier
sur la croissance ne sera pas significatif.
Mais la recherche empirique a mis en oeuvre
parallèlement une démarche très différente,
fondée sur l'analyse statistique de causalité (le test le plus
fréquemment utilisé dans ce cas étant le test de
Granger).Ce test peut mettre en évidence plusieurs cas de figure : une
causalité de l'une des variables vers l'autre, sans que la
réciproque ne soit vraie (causalité unidirectionnelle), une
causalité dans les deux sens (bidirectionnelle), ou pas de
causalité du tout.
Un des premiers travaux utilisant l'analyse de
causalité est l'article de Jung (1986), effectué sur 56 pays,
industrialisés ou en développement. En ce qui concerne les pays
en développement, l'analyse de la causalité unidirectionnelle
montre que 24 pays présentent une causalité allant du financier
vers le réel, contre 14 en sens inverse. L'analyse de Patrick semble
donc globalement validée, mais de façon non systématique.
De plus, Jung n'intègre que deux pays d'Afrique sub-saharienne dans son
échantillon (Nigeria et Kenya).
L'étude de Spears (1992) présente une analyse
en termes de causalité consacrée spécifiquement à
des pays d'Afrique sub-saharienne. Spears montre ainsi que
l'intermédiation financière (mesurée par M2/PIB) est une
cause, au sens de Granger, de la croissance du PIB par tête au Cameroun,
en Côte d'Ivoire, au Kenya et au Malawi. Le Burkina Faso présente
la particularité d'avoir une causalité bidirectionnelle. En
revanche, les tests rejettent l'hypothèse suivant laquelle
l'approfondissement financier mesuré par le rapport de la quasi-monnaie
à M2 puisse être la cause de la croissance réelle.
Toutefois (comme dans l'article de Jung), la stationnarité de
séries n'a pas été testée, ce qui laisse planer un
doute sur la qualité des résultats.
Anne Joseph, Marc Raffinot et Baptiste Venet (1998) dans une
étude intitulée «l'approfondissement financier et croissance
: analyses empiriques en Afrique subsaharienne », pour la période
1970-1995 ont conclu que l'approfondissement financier joue un rôle dans
la croissance réelle d'une grande majorité des pays de
l'U.E.M.O.A, ainsi que dans le cas du Cameroun entre 1963 et 1995. Ils ont
utilisé dans leur étude d'une part la croissance
économique mesurée par le PIB réel par tête comme
régresseur et d'autre part les variables financières telles que :
le ratio M2/PIB étant donné le faible nombre d'institutions
financières non bancaires dans les pays d'Afrique sub-saharienne ; le
ratio quasi-monnaie/M2, variable destinée à rendre compte des
progrès de l'intermédiation financière dans la mesure
où c'est au travers de la croissance des dépôts à
terme et d'épargne que les intermédiaires financiers sont
supposés pouvoir pleinement jouer leur rôle de promoteur de
l'accumulation de l'épargne domestique et d'orientation des ressources
vers l'allocation optimale des ressources ; l'encours nominal de crédits
au secteur privé et l'encours réel de crédit par habitant.
La relation entre croissance et approfondissement financier dans le cas de
l'U.E.M.O.A. a été étudiée de deux manières
: par l'économétrie de panel, d'une part, et par l'analyse de
causalité d'autre part. Ils concluent à partir de leurs
résultats qu'il existe dans six cas sur sept (non compris la
Guinée Bissau dû à son intégration récente
à l'union), un lien de causalité au sens de Granger entre
approfondissement financier (mesuré par M2/PIB) et croissance de la
sphère réelle. Seul le Niger n'exhibait aucun lien de
causalité significatif (ce résultat n'implique pas
forcément l'absence de lien économique entre les deux secteurs
dans ce pays). Par ailleurs ils observent que dans la moitié des cas,
c'est la croissance du secteur réel qui impliquerait l'approfondissement
financier et non l'inverse (contrairement au sens de causalité
postulé par Patrick 1966). Le Burkina Faso, le Sénégal et
le Togo connaîtraient des phénomènes de « demand
following » tandis que le Bénin, la Côte d'Ivoire et le Mali
seraient dans une configuration dite de « supply-leading » où
la croissance serait positivement influencée par le développement
de la sphère financière. Pour ce qui concerne le Bénin
dans cette étude, les deux auteurs ont conclu donc qu'il existait un
lien unidirectionnel allant du secteur financier au secteur réel.
Condé Laciné (1999) dans une étude sur
l'intermédiation financière et croissance économique dans
l'UEMOA conclut qu'il existe une liaison causale significative entre les
sphères réelles et financières des pays de son
échantillon. L'auteur affirme qu'en Côte d'Ivoire et au
Sénégal, le sens de causalité va des finances au
réel mais par contre au Togo, on observe une liaison dans le sens
inverse.
En dépit de cette floraison d'études
basées sur l'approche de panel, il existe néanmoins quelques
études qui se sont intéressées au cas isolé d'une
telle économie ou d'une autre.
Mally Komla (1998) dans une étude sur l'épargne,
l'investissement et croissance économique au Togo, révèle
qu'à long terme la ressource extérieure a un impact positif et
significatif sur l'investissement alors que la ressource domestique a une
influence positive mais non significative sur l'investissement ; de plus son
étude a révélé l'existence d'une relation
négativement significative entre la production réelle et
l'investissement public, alors que l'investissement privé influence
négativement et presque significativement la production réelle
à long terme.
Mba Nguéma B. (2000) a pour sa part
réalisé une étude sur l'intermédiation
financière et la croissance au Gabon. Il conclut que malgré les
périodes régulières de surliquidité du
système bancaire gabonais, les banques ne finançaient pas la
croissance. Le modèle de Levine qu'il a utilisé et qui met en
relation le taux d'investissement et les indicateurs du système
financier montre que les indicateurs du système financier gabonais
n'influencent pas la croissance de ce pays. Il aboutit au fait que la
contribution du secteur financier à la croissance ne s'est pas
accrue.
Boujelbène Younes et Chtioui Slim (2006) ont
réalisé une étude sur la libéralisation et l'impact
du développement financier sur la croissance économique en
Tunisie. S'inspirant des travaux de Levine et Renelt (1992), King et Levine
(1993), et Levine (1997), les deux auteurs ont confirmé l'étroite
liaison positive entre les variables financières et réelles.
Leurs résultats vérifient la relation positive et statistiquement
significative entre les indicateurs de développement financier
utilisés. Ils déduisent à cet effet que le système
financier peut donc contribuer à la performance de l'économie en
Tunisie à partir des équations à correction d'erreurs
analysées.
Ayira Blaise KOREM 2004, dans un mémoire
intitulé « Développement financier et croissance
économique au Togo » étudie le lien entre le secteur
financier et le secteur réel au Togo entre 1965 et 2002.Il a,
contrairement aux travaux cités ci-dessus, pris en compte la
contribution de la microfinance au secteur financier. Les résultats de
ses travaux ont montré qu'au Togo, le développement financier a
un impact positif sur la croissance économique mais n'ont pas permis de
trancher sur le sens de causalité entre les différentes variables
financières et la mesure de la croissance économique.
Les différentes analyses empiriques qui ont fait
l'objet de cette revue de littérature présentent les limites
suivantes :
La plupart des études empiriques concernent plusieurs
pays à la fois avec l'utilisation des données de panel. Cette
technique ne permet pas de rendre compte de la spécificité de
chaque pays.
Très rares sont les études qui se sont d'abord
intéressées à l'analyse préalable de la
stationnarité des variables avant les estimations. Une telle estimation
peut sans nul doute produire des résultats fallacieux.
Nombre de ces travaux empiriques se sont contentés de
vérifier la nature du lien qu'il existe entre les variables
financières et la croissance économique et sont restés
muets sur le sens de causalité de ce lien.
Enfin, aucune des études empiriques citées
dans cette revue sauf celle de Ayira Blaise KOREM 2004, n'a mis l'accent sur
la microfinance en tant qu'un autre sous-secteur de la sphère
financière. En effet, le secteur informel joue un rôle important
dans la mobilisation de l'épargne, dans l'allocation des
microcrédits et donc dans l'investissement national en ce sens que dans
les pays en développement, une marge importante des populations exercent
dans l'informel et donc ne peut accéder aux services financiers des
banques classiques. Il convient alors de souligner la contribution du
sous-secteur de la microfinance à la croissance économique.
B- Microfinance et croissance
économique
La microfinance désigne l'activité de collecte
d'épargne et de refinancement des petits producteurs ruraux et urbains.
Elle peut être aussi définie comme un système d'offre de
services financiers (épargne, microcrédit,etc.) de
proximité aux pauvres économiquement actifs (tirée du
documents de la cellule de microfinance intitulé « Bilan
et perspectives à court et moyen termes de la microfinance au
Bénin »).La microfinance se démarque du système
financier classique par deux critères à savoir :la
population bénéficiaire, relativement pauvre ou tout au moins
exclue du système bancaire classique puis les opérations
d'épargne et de crédits de faibles montants.
Ce secteur est actuellement régi par la loi PARMEC
(Projet d'Appui à la Réglementation sur les Mutuelles d'Epargne
et de Crédit) au niveau de l'UEMOA. Cette loi constitue au niveau
communautaire le cadre légal de reconnaissance, de gestion et de
viabilité des Systèmes Financiers Décentralisés
(SFD).
La microfinance a un double objectif : d'abord favoriser
l'accès des petits producteurs exclus du circuit bancaire à des
services financiers de proximité et adaptés à la taille de
leurs activités (microentreprises/microcrédits) et ensuite,
réaliser une meilleure collecte de l'épargne des ménages
et des petits entrepreneurs pour la réinjecter dans le circuit
économique. Cette activité de microfinance est exercée par
des sociétés de droit privé ayant titre d'Institutions
Financières Décentralisées (IFD) qui se divisent en trois
catégories : les Institutions Financières Mutualistes (IFM), les
Institutions Financières Non Mutualistes (IFNM) et les autres Structures
de la Microfinance.
1-Microfinance :
sous secteur de moindre importance
Selon Kamalan (2006), les IMF
représentent une quantité négligeable lorsqu'on compare
les données de crédits et d'épargne avec les banques
commerciales. Les données actuelles sur les institutions de microfinance
dans les différents pays de l'UEMOA ne poussent guère à
l'optimisme en ce qui concerne l'idée d'une relation et d'une incidence
de ces institutions sur le développement des institutions
financières dans l'union. L'auteur conclut également que les IMF
qui ont émergé dans ces pays et se sont consolidées au
milieu des années 1995 ne contribuent pas au développement des
institutions financières en terme d'accroissement des capacités
de création monétaire et de mobilisation de l'épargne.
Selon cet auteur si l'on s'en tient à cette perception
du développement économique sacralisée autour de la
variable PIB, on peut alors valider l'idée que les IMF sont proprement
inefficaces en tant que programmes de développement d'un pays vu leur
contribution négligeable dans la variable déclencheur de
croissance qu'est le développement financier. Pour apprécier la
contribution des IMF en tant que programme de développement dans les
pays francophones d'Afrique de l'Ouest, on a besoin de développer une
microfinance pérenne.
Dossou (2003), dans son étude portant sur 5
pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali et
Sénégal) a utilisé le ratio encours de crédit des
IMF rapportés au crédit accordé au secteur privé
par les banques. Il a abouti à un faible impact macroéconomique
des IMF car tous les taux sont en dessous de 12% et surtout que dans certains
pays ce taux se situait à moins de 2%. La figure ci-dessous est celle
qu'il a utilisée pour traduire les mécanismes relationnels entre
la microfinance et la croissance
Economie réelle
Flux financiers
Economie Financière
Epargne
Services d'épargne
Intérêt
Ménages
Individus
Groupe d'individus pauvres
Institution de microfinance
Remboursement
Microentreprises
Service de crédits
Microcrédits
Figure 1 : Lien entre microfinance et
économie réelle.
Néanmoins, Dossou (2003) estime que du point de vue
qualitatif, la microfinance a bel et bien un impact spécifique sur des
populations bien spécifiques. En effet, selon cet auteur, la
microfinance est pour les pauvres entrepreneuriaux, un outil bien adapté
pour réduire la pauvreté en débloquant la contrainte du
capital, permettant l'investissement, le lissage de la consommation dans le
temps et de répondre aux besoins urgents de liquidités.
2- Microfinance :
puissant outil de lute contre la pauvreté
Kacou (2006) affirme qu'en dépit de ce
consensus sur le rôle de la microfinance, dans de nombreux pays en
développement et en Afrique plus particulièrement, une partie
importante de la population n'a pas accès aux services financiers de
base et s'enfonce dans la paupérisation. Cette exclusion
financière des populations constitue un frein important au
développement économique des pays dans la mesure où il est
désormais unanimement reconnu que l'accès au crédit,
à l'épargne, à un emploi décent, à des
moyens de paiement sécurisés, aux services d'assurance favorisent
le développement économique, social et humain des populations.
L'auteur pour évaluer l'impact de la part des crédits de la
microfinance dans le crédit à l'économie utilise le ratio
du crédit accordé par les institutions de microfinance
rapporté au crédit bancaire. La conclusion de cet auteur soutient
le fait que la microfinance est un facteur de développement
économique.
Pour Lustin (2005), la microfinance est un puissant
outil de développement avec le potentiel d'atteindre les populations
pauvres, d'élever leur niveau de vie, de créer des emplois, de
créer la demande pour de nouveaux biens et services, et de contribuer
à la croissance économique. La microfinance joue un rôle
d'instrument de réduction de la vulnérabilité des pauvres
aux chocs économiques.
Toutes ces analyses qui ont été menées
sur la relation entre la finance et la croissance ont été
menées dans des contextes différents.
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