Introduction
Les espaces forestiers nationaux du Bénin, à
l'instar de la plupart des sous-régions africaines, au coeur de la
dynamique urbaine, se retrouvent dans une situation antinomique où leur
conservation se heurte aux intérêts socio-économiques
variés des acteurs (partenaire et gestionnaire). De la gestion
forestière traditionnelle par les chefs traditionnels africains à
l'évolution historique de la période coloniale de
réglementation stricte de la protection entre 1940-1950, s'opposent deux
sortes de gestion : celle de l'élection de l'espace forestier à
une dimension sacrée et celle d'une gestion restrictive orientée
vers l'acclimatation des plantes pour leurs intérêts
économiques. Ce revirement de la gestion a quelque peu changé les
donnes au lendemain des indépendances où les normes de gestion
stricte se sont émoussées face aux moyens humains et
matériels des administrations publiques devenues indépendantes.
L'action anthropique néfaste avec la levée des contraintes du
sacré, a contribué à une régression du couvert
végétal et à une dégradation de la
biodiversité. L'exemple du Bénin est palpable1 :
« [...], environ 2.158.028 ha de forêts représentant 20% de
la superficie du pays ont été classés. Aujourd'hui ce taux
a considérablement diminué, suite aux effets conjugués des
défrichements et des feux de brousse, il se situe à environ 10%
». Ce constat fait aujourd'hui, montre bien que ces forêts sont dans
un état de dégradation avancée, mettant en péril la
stabilité des écosystèmes nationaux, ce qui justifie
l'élaboration de politiques et stratégies fondées sur des
bases juridiques de gestion solide et de conservation durable. Au regard des
dynamiques actuelles axées sur les changements climatiques et la perte
de la biodiversité, on peut affirmer que cette question mérite
bien une attention particulière. En effet, la dernière
conférence de Cancun sur le climat, tenue le 11 décembre 2010
affiche une volonté internationale claire prévoyant la
création d'un fonds vert pour les pays en développement afin de
pérenniser le patrimoine écologique naturel. Des années
plus tôt, en 2003, la convention africaine de Maputo, pour la
conservation de la nature et des ressources naturelles, avait
élaboré un cadre de protection et d'utilisation rationnelle des
ressources naturelles selon les critères du développement
durable. Ce cadre juridique inter-gouvernemental pour l'Afrique est par
ailleurs renforcé par la convention internationale de conservation de la
biodiversité, qui définit des objectifs stratégiques
à même de comparer les efforts de conservation.
Ainsi donc, c'est à juste titre qu'il faut s'interroger
dans ces cadres d'actions sur, le rôle des institutions muséales
dans l'éducation et l'art muséographique de la nature et de sa
biodiversité.
La biodiversité joue un rôle essentiel dans le
bien-être humain et dans le maintien du système de la vie sur
terre. C'est la raison pour laquelle, l'UNESCO, face à la perception de
l'importance de celle-ci pour l'homme et la science, avait
déclaré l'année 2010 comme celle dédiée
à la biodiversité. Ceci conforte et renforce notre
intérêt pour notre sujet de mémoire professionnel. Ce
dernier qui s'intitule :
1 Citation du professeur Nestor SOKPON, de la Faculté
des Sciences agronomiques de l'Université Nationale du Bénin, au
cours d'un entretien (mars 1995) en prélude international du Programme
de Recherche et de Liaison Universitaires pour le Développement.
« Problématiques de conservation des collections
naturelles, des parcs et jardins historiques en milieux urbanisés
africains: processus d'un projet de plan de gestion durable du jardin des
plantes et de la nature (JPN) de Porto-Novo », est une appréhension
du culturel pour une gestion patrimoniale de la nature.
Comme la plupart des espaces naturels urbains en
régression, le Jardin des Plantes et de la Nature de Porto-Novo au
Bénin est enclin à des difficultés de gestion qui
proviennent de la base statutaire fragile et précaire2, de la
dégradation de la biodiversité urbaine sous l'effet de la
pression anthropique d'une médiation humaine sans limite, des impacts de
pollution et de la prolifération de bactéries, champignons et
insectes xylophages de toute sorte.
Ainsi donc, au regard des problématiques de
conservation-gestion des collections naturelles du JPN par une entité
culturelle, en milieu urbain, il importe de se poser les questions suivantes :
Quels cadres de gestion ? Pour quelles stratégies de conservation des
collections naturelles vivantes dynamiques ? Pour quelles muséographies
de la biodiversité urbaine ?
Afin de répondre à ces questions, nous
élaborons un cadre de réflexion préparatoire sous la forme
d'un processus de plan de gestion-jardin, qui définit et évalue
le cadre de sa mise en oeuvre. Pour ce faire, notre objectif-projet est de
développer sous forme d'un avant-projet sommaire, le cadre technique,
les charges et missions préparatoires nécessaires à la
définition des bases stratégiques pour l'aboutissement d'un plan
de gestion-jardin. Ce dernier étant le résultat d'un dialogue
interne et interinstitutionnel créant un document stratégique, un
tableau de bord de gestion durable d'un jardin, d'un parc ou d'une
forêt.
Ainsi ce travail s'articule autour de trois parties :
L'identification des enjeux de gestion du patrimoine naturel
par une institution culturelle à travers la présentation d'un
état des lieux de gestion du jardin des plantes et de la nature du
Bénin, au regard des constats, des cadres juridiques nationaux et
internationaux sur l'exploitation forestière, la gestion de la
biodiversité et du patrimoine naturel.
Le développement d'une approche théorique qui
définit et constitue un état empirique de la question de gestion
des différentes problématiques constatées dans
l'état des lieux. Cette partie se base aussi sur une approche de
modélisation économique de la gestion des ressources naturelles
dans une perspective patrimoniale. Ce développement passe par une
méthodologie de recherche qui présente le cadre global de
recherche, sa délimitation temporelle, thématique et spatiale.
Elle s'appuie également sur un certain nombre d'acquis professionnels
relatifs à nos stages professionnels en France, aux jardins Albert-Kahn
en 2010 et au département botanique et zoologique du Muséum
National d'Histoire Naturelle en 2011.
La troisième et dernière partie, qui est celle de
la conception du processus de plan de gestion-jardin du Jardin des Plantes
et de la Nature, élabore les différentes phases d'action et les
différentes missions
2 Cf. protocole d'accord de gestion du JPN en annexe.
d'expertise nécessaires au fondement du cadre de gestion.
Un travail théorique qui est adaptable à un environnement de
gestion de même nature.
1. Problématique et diagnostic du Jardin des
plantes et de la Nature
L'environnement et la nature sont ici l'objet de nos
recherches, à cet effet, il convient dans cette partie du diagnostic
général de présenter dans un premier temps, le cadre
juridique de conservation des collections naturelles patrimoniales avant de se
pencher sur le cas spécifique du Bénin, à travers le
JPN.
1.1. Présentation du cadre juridique de protection
des collections naturelles et patrimoniales dans le monde, en Afrique et au
Bénin
L'homme a toujours été dans une relation
d'interdépendance avec la nature, poumon de l'humanité.
Insatiable, il est sans cesse à la recherche des moyens efficaces de
satisfaction de ses besoins fondamentaux sous la contrainte
démographique et la rareté des ressources. Mais dans cette
quête effrénée, il oublie de plus en plus cette relation
d'interdépendance pour s'inscrire dans un diktat de domination et
d'exploitation anarchique des ressources naturelles bien souvent
limitées. Ainsi, la problématique de l'équilibre
écologique mondial (dans son intensité et sa densité) se
retrouve de nos jours au coeur des ceintures de productions économiques
et des blocs architecturaux urbains poussées par la domination d'un
système fortement capitaliste. Une dynamique urbaine au regard de la
poussée démographique qui embrigade et limite de façon
considérable le couvert végétal des villes, pourtant
indispensable à toute vie sur terre et surtout au bien-être de
l'homme. Ce dernier serait-il devenu le réducteur ou le prédateur
avéré de son propre bien être?
Il est clair que les évolutions climatiques
récentes montrent bien que les menaces montent par rapport à la
conservation de la biodiversité dont dépend l'humanité.
Mais fort heureusement des voix s'élèvent de plus en plus, ce qui
implique l'enjeu contemporain poussé d'un nouveau concept de
développement : le développement durable, au coeur du
débat et des controverses économiques "capitalistiques" nous
interpelle. En effet, le rapport Meadows « Halte à la croissance
» du club de Rome, lance en 1972 le premier cri d'alarme et invite les
États à intégrer désormais la problématique
de l'environnement dans leur politique économique. Durant cette
même décennie, le rapport Brundtland en 1987, reprendra ces
travaux en construisant le concept de développement durable qui nous
fait prendre davantage conscience de la prise en compte de la dimension
patrimoniale de la nature et de l'environnement dans tous nos systèmes
de production. Ainsi donc le souci de léguer aux
générations futures un patrimoine sain et durable favorable au
maintien global du bien-être devient quotidien. Dans ce même
élan, l'Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la
Science et la Culture - UNESCO - à la 17ème session de sa
conférence générale à Paris le 16 novembre 1972
fonde à travers une convention, le cadre légitime et légal
de protection du patrimoine mondial culturel et naturel. Ainsi le
thème patrimoine, qui étymologiquement signifie
héritage, notion polysémique, va recouvrir à
l'échelle de l'humanité un domaine de légitimation et
d'application. En vertu de cette convention de 1972 sur le patrimoine culturel
et naturel, sont éligibles dans le domaine du patrimoine
naturel3 les monuments naturels, les formations géologiques
et physiographiques et enfin les sites naturels ou les zones naturelles. Afin
de rendre les moyens de protection plus efficaces, le travail de reconnaissance
passe pratiquement par un inventaire qui s'accompagne des mesures nationales et
internationales. Ainsi les États, parties prenantes de cette convention
ou ceux qui y adhèrent, s'engagent à créer un cadre
législatif de protection qui définit une politique globale
d'action, à institutionnaliser des services de sauvegarde, de
protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel et
naturel. Aussi doivent-ils mener et accroître les recherches
scientifiques et techniques sur la connaissance efficace de l'environnement et
des moyens de sa diffusion.
Aussi, prennent-ils des mesures juridico - administratives,
scientifiques, techniques et financières pour accompagner les mesures de
conservation et de mise en valeur du patrimoine naturel.
Partant de ces fondements et acquis internationaux (en
adéquation avec les cadres et conventions évoquées
ci-dessus), le conseil international des monuments et des sites - ICOMOS-
faisant suite à la charte de Venise de 19644 définit
en 1981 à travers la charte de Florence5, le cadre
spécifique de sauvegarde des jardins historiques (un champ de protection
un peu plus restreint). En effet en ses articles 1 à 9, l'ICOMOS
définit clairement et amplement le domaine d'attribution des jardins
historiques. Plus loin de son 10ème au 22ème article, il
détermine les conditions cadre de son entretien, de sa conservation, de
sa restauration et de sa restitution. Cette charte détermine
également les conditions de protection légale et
administrative.
Au-delà de ce contexte réglementaire mondial,
les états africains s'appropriant les normes internationales et
complétant certains points non débattus, élaborent
à Maputo le 11 juillet 2003, la convention africaine sur la conservation
de la nature et de ses ressources naturelles. Cette dernière en ses
articles6 1, 2 et 3, précise le champ d'application, les
objectifs et les principes d'application du régime de protection du
patrimoine naturel en Afrique. Mais au regard des difficultés
d'application de cette dernière convention, n'est-on pas en droit, dans
le contexte spécifique africain de prolifération de
végétation spontanée et de paysage naturel "sauvage", de
se demander si les différents cadres institutionnels internationaux,
quoique bien élaborés, suffisent à eux tous seuls pour
permettre un maintien durable des espaces, forêts, jardins et sites
naturels dans leurs fonctions? Les résurgences de conflits fonciers,
sous la contrainte démographique et des juridictions nationales parfois
inadéquates, ne sont-elles pas des menaces à la conservation du
patrimoine naturel ?
3 cf. article 2 de la convention internationale de l'UNESCO de
1972 sur la protection des biens culturels et naturels.
4 cf. charte de Venise 1964 (cf. lien web dans la sitographie)
5 cf. charte de Florence (cf. lien web dans la sitographie)
6 cf. lien web sitographie de recherche : convention 2003 de
Maputo sur la protection du patrimoine naturel.
En effet les différents conflits fonciers de l'Afrique
portent une entorse non moins négligeable au cadre de conservation et de
gestion efficiente du patrimoine paysager en perpétuel devenir, du fait
de la dynamique de la vie qu'elle porte. Jadis l'arbre l'un des
éléments fondamentaux du patrimoine naturel était le
déterminant essentiel du régime foncier en Afrique. Il tient donc
un rôle et un statut primordial dans la société, si bien
qu'en matière foncière pré-coloniale africaine, on estime
qu'un étranger (celui qui a migré) n'a pas le droit de planter un
arbre. Autrement dit, le migrant a des droits faibles sur l'autochtone en
matière foncière. Les formules de cohabitation trouvées,
l'union familiale ou la servitude permettaient de gérer
différents conflits fonciers qui aujourd'hui ont pris de l'ampleur du
fait de la capitalisation du monde devenu village planétaire. Ces
tentions foncières se justifient en effet par l'abolition des normes
implicites de souveraineté ethnique des sociétés
africaines établies avant la colonisation, règles qui
plaçaient dans l'inconscient collectif l'arbre au coeur de la
propriété foncière. Ce principe obligeait l'occupant
à payer des redevances d'exploitation aux autochtones. Mais si les
principes de droit basés sur l'arbre, socle matériel de la
végétation en Afrique, ont été l'un des facteurs
essentiels de l'évolution des régimes fonciers, il n'en demeure
pas moins aujourd'hui qu'il est source importante de conflit et sujet à
diverses formes d'analyses et commentaires. OUSSOUBI Touré7
dans ce cadre dira que : « [...] les conflits fonciers sont devenus une
donnée constante dans de nombreux pays d'Afrique subsaharienne
confrontés au processus de paupérisation accrue qui rendent
encore plus complexe la gestion équitable des ressources
naturelles»8.
Cette montée croissante des populations africaines face
à la nécessité de satisfaction de leurs besoins de
logement et d'habitation, l'appétit foncier doublé de la grande
spéculation, font que d'importantes zones en centre-ville couvertes de
végétation sont rasées pour laisser place à des
habitations. Ainsi les plans urbains en Afrique peinent à
intégrer de larges bandes de couvert végétal, tellement la
demande est forte et oppressante et les politiques d'aménagement du
genre, s'évanouissent parfois sous des galets de corruption. Les seuls
rares espaces qui résistent encore dans nos centres urbains sont les
anciennes forêts sacrées qui, sous l'effet de la pression urbaine
s'amenuisent de plus en plus voire disparaissent intégralement. Dans les
régions reculées des centres villes où l'effet de dominos
se fait sentir également, les politiques nationales multiplient les
initiatives et les lois pour résister. Ainsi le Bénin comme bien
d'autres pays, a organisé le cadre réglementaire de gestion des
massifs forestiers et de l'environnement. La loi-cadre sur l'environnement, la
loi 93-009 du 02 juillet 19939 portant régime des
forêts et son décret d'application n°96-271 du 2 juillet
1996, définissent les différents droits d'usage, des
procédés de classement et de déclassement, les principes
d'aménagement et d'exploitation du domaine forestier au Bénin.
Avec une évolution des réalités de croissance en Afrique,
'' plus de 50%
7 Oussoubi Touré : sociologue et spécialiste des
questions pastorales au cours de l'atelier régional à
l'initiative de
''Lead-Afrique'' ; du Fonds des Nations Unies pour
l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Groupe de recherche et
d'échanges technologiques (Gret) sur le thème : « Conflits
pour l'accès aux ressources en terre et en eau dans les pays arides
d'Afrique subsaharienne : facteurs sous-jacents et réponses politiques.
»
8 September 2006, GRET-FAO LEAD Final Report.
9 cf. lien web en sitographie : loi 93-009 du 02 juillet 1993
portant régime des forêts au Bénin et son décret
d'application n°96-271 du 02 juillet 1996.
des Africains au sud du Sahara sont aujourd'hui urbains et en
l'an 2020, plus de 2/3 de la population seront urbanisées". Ainsi, notre
mission tient désormais dans la responsabilisation des
dégradations de notre capital naturel. Ce qui, à terme va
permettre l'amélioration de notre bien-être. Dans ce cadre et dans
ce creuset d'évolution permanente des rapports de l'homme à son
patrimoine naturel et culturel, il convient d'analyser le cadre juridique de
conservation du patrimoine naturel au Bénin, lieu spécifique de
notre étude.
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