II. PRESENTATION DU SYSTEME DE PROTECTION SOCIALE EN
TUNISIE
Le système de protection sociale tunisien englobe à
l'heure actuelle trois grandes catégories d'interventions pour lutter
contre la pauvreté, l'exclusion et les inégalités qui
apparaissent dans la société et remédier aux distorsions
engendrées par les aléas du marché.
En effet depuis 1986, la Tunisie à l'instar de presque la
quasi totalité des pays en voie de développement et qui suivaient
auparavant une économie planifiée où l'Etat intervient
dans tous les domaines, épousait alors une économie du
marché.
Cette nouvelle démarche économique basée la
concurrence, la libéralisation progressive des prix, l'ouverture sur
les marchés extérieurs et l'encouragement de l'initiative
privée ce qui a induit des effets négatifs sur l'emploi, le
pouvoir d'achat et les conditions de vie des catégories
vulnérables de la population.
Depuis l'indépendance en 1956, les pouvoirs publics ont
consacré une part non négligeable du revenu national au
développement économique et social et surtout à
l'amélioration des conditions de vie de la population par le biais d'une
scolarisation sans précédent, d'une politique active
d'émancipation de la femme avec un programme ambitieux et
révolutionnaire dans le monde arabe de planning familial lancé
déjà en 1966 pour limiter les naissances et l'instauration d'un
instrument de compensation et du contrôle des prix pour aider les pauvres
et les familles de faibles revenus.
Cette politique de solidarité nationale s'intensifie
davantage auprès de la population pauvre surtout à partir des
années quatre vingt au moment de l'avènement du programme
d'ajustement structurel (PAS) qui vient dans la vague des changements
structurels de l'économie mondiale en entrant dans une nouvelle
ère de la mondialisation.
On note en premier lieu l'assurance sociale qui gère les
risques de la vie qui peuvent arriver aux salariés actifs ainsi qu'aux
pensionnés retraités et leurs ayant droits, conjoints, enfants
à charge et ascendants et ce pour remédier à l'arrêt
de l'activité, la maladie, l'invalidité, le décès
et le chômage.
C'est pour deux raisons essentielles que l'assurance sociale
existait, d'abord pour des raisons économiques afin de maintenir le
salarié en bonne état se santé et productif et ensuite
pour des raisons sociales et ce pour remplacer même en partie le salaire
manqué en cas de départ en retraite.
Le salarié au cours de son activité ne
prévoit pas les risques de l'avenir et vit généralement au
quotidien et au moment de l'avènement de l'irréparable se trouve
sans ressources et tombe dans la nécessité et la
pauvreté.
Et c'est pour cette raison que certains auteurs qualifient
à juste titre la sécurité sociale comme un instrument de
prévention pour ne pas tomber dans le spectre de la pauvreté et
c'est en effet le cas des millions de personnes si le système de
sécurité sociale n'existait pas.
Drèze, J. et Sen, A.(1989) distinguent clairement dans le
cadre de la sécurité sociale entre un objectif de protection et
un objectif de promotion en ce sens que le premier consiste à
protéger les personnes non pauvres contre le risque de tomber dans la
pauvreté et que le deuxième revient à accroitre le niveau
de vie et de le maintenir à long terme tout en éliminant la
pauvreté.
L'octroi des prestations par les instances sociales gérant
ces risques dits assurables nécessite une cotisation des salariés
en plus d'une contribution des employeurs.
En Tunisie, il y a actuellement trois caisses sociales
spécialistes en la matière à savoir :
-Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale
(CNRPS) qui gère les régimes de retraite, invalidité
et capital décès au profit des salariés du secteur
public;
-Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS)
qui gère les régimes de retraite, d'assistance sociale, de
capital décès et d'invalidité du secteur privé;
-Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) gère les
régimes d'assurance maladie et des accidents du travail et les maladies
professionnelles au profit de l'ensemble de la population active.
L'adhésion aux différents régimes est
désormais obligatoire et le régime de retraite qui accapare la
grande part des dépenses est géré selon le système
de répartition dont les cotisations des actifs financent les
retraités inactifs.
C'est un système basé sur la solidarité
intergénérationnelle et l'entraide en comparaison des
régimes de capitalisation géré selon le principe de
l'épargne individuelle moyennant les rendements des fonds placés
dans les actifs financiers.
Le système de retraite en place et qui arrive à sa
maturité connait des déficits inquiétants pour les
pouvoirs publics qui projettent pour une réforme devenu
nécessaire puisque les ajustements par l'élévation des
taux de cotisations sont devenus d'un niveau élevé portant
l'équilibre ne tient que pour une courte durée.
En second lieu, on trouve l'assistance sociale qui constitue la
partie du système de protection sociale la plus diversifiée en ce
sens qu'il y a plusieurs intervenants et nombreuses structures qui offrent ces
prestations soit directement aux bénéficiaires en nature ou en
espèce comme le cas de l'Union Tunisienne de Solidarité Sociale
(UTSS) du Programme National d'Aide aux familles Nécessiteuses (PNAFN)
soit indirectement sous forme de programmes de soutien à l'emploi
(Système d'Initiation à la vie professionnelle SIVP 1et 2) et la
création de sources de revenu (les micro crédits de la Banque de
Solidarité Nationale BTS) ou encore des programmes d'amélioration
des conditions et du cadre de vie (Programme National de Résorption des
Logements rudimentaires (PNRLR).
La troisième composante qui ne concerne pas uniquement les
personnes vulnérables, englobe les transferts provenant du budget de
l'Etat dont les ressources proviennent essentiellement des
prélèvements fiscaux et qui vont aux secteurs sociaux comme la
santé, l'éducation, la formation et l'environnement.
L'Etat tunisien n'aménage aucun effort pour soutenir une
croissance honorable même dans les circonstances difficiles comme le cas
des crises des années quatre vingt, la guerre du golfe de 1990 et la
toute dernière crise financière mondiale que les
séquelles sont encore présents grâce à une bonne
gouvernance des ressources disponibles déjà limitées et
insuffisantes.
Malgré cette croissance soutenue au fil des années,
les mécanismes d'une politique de plus en plus orienté vers la
concurrence, le désengagement de l'Etat des domaines économiques
et de l'emploi, le libéralisme, l'encouragement de l'initiative
privée et l'ouverture et le partenariat international ne peut que dans
des conjonctures de crises induire à des distorsions au niveau de la
répartition de richesse entre les couches sociales.
Le problème majeur actuellement pour l'économie
tunisienne est qu'elle ne génère pas assez de postes d'emploi
pour résorber un nombre de demandeurs qui ne cesse de s'accroitre au fil
du temps surtout après l'apparition de ce qu'on appelle `' le
chômage de luxe'' des diplômés de l'enseignement
supérieurs il y a déjà quelques années
auparavant.
Le taux de chômage reste assez élevé autour
de 14% pour une économie qui dégage une croissance respectable
compte tenu évidemment des circonstances de la conjoncture que le monde
des affaires traverse en ce moment.
Il va sans dire que le travail constitue le seul moyen efficace
pour sortir de la misère, de la pauvreté et de l'exclusion
sociale de bon nombre d'individus restés marginalisés et de
pouvoir participer à la réalisation des objectifs du pays et de
concrétiser ses rêves dans les faits.
Les aides sociales peuvent sans aucun doute atténuer les
méfaits de la pauvreté qui guettent surtout les personnes
âgées, les handicapés et les invalides puisqu'ils ne
peuvent pas travailler mais ne sont pas à nos yeux très efficaces
pour le cas des jeunes adultes qui cherchent un emploi décent.
1. L'assurance sociale
Nous présentons dans ce qui suit et sommairement les trois
caisses de sécurité sociale en définissant leur champ de
couverture, les prestations fournies, l'historique de chacune, leur mode de
financement et leur situation financière.
Nous montrons aussi en quoi le système de
sécurité sociale participe à la réalisation des
différents objectifs du millénaire de développement et
surtout en matière de prévention contre la pauvreté.
En effet, la sécurité sociale constitue un moyen de
grande importance pour protéger les salariés contre les risques
de chômage (en Tunisie il n'y a pas une assurance chômage), de
maladie et de vieillissement ce qui contribue d'une part à sauvegarder
les ressources humaines, facteur important en terme de production et de
productivité nécessaire à toute croissance
économique et de protéger surtout les partants à la
retraite et qui n'ont pas fait des économies et de l'épargne
volontaire lors des périodes d'activité d'autre part.
Le système d'assurance sociale s'avère alors
efficace pour que les non prévoyants ne se trouvent pas dans des
circonstances difficiles et de pauvreté absolues au moment où ils
ne peuvent pas travailler pour gagner leur vie.
De même, les travailleurs licenciés pour causes
économiques bénéficient automatiquement d'une retraite
anticipée (avant l'âge légal de mise à la retraite
fixé à 60 ans sauf pour quelques catégories où la
mise à la retraite se fait à 65 ans pour les enseignants
universitaires et entre 50 et 60 ans pour les travaux pénibles et
insalubres par exemple) ce qui alourdit les charges des régimes de
retraites. En outre, ils ont droit à une aide sociale payée au
SMIG pendant une période ne dépassant pas deux mois et une
formation leur permettant une nouvelle intégration au marché du
travail.
Sans l'existence de ce système, nous verrons des millions
de personnes sans revenus et cela pose d'énormes problèmes aux
gouvernements et à la société en général
puisqu'il est du devoir de l'Etat de trouver les ressources nécessaires
pour financer les aides sociaux alors qu'avec le système obligatoire de
sécurité sociale et malgré les lacunes qui l'entachent ce
problème ne se pose pas.
Ainsi, les retraités peuvent à partir des
prestations reçues grâce au système de
sécurité sociale vivre tranquillement et participent dans la vie
active et l'Etat consacre l'aide sociale à une population moins
nombreuse et ciblée.
Depuis plusieurs années déjà, les deux
caisses de sécurité sociale à savoir la CNRPS et la CNSS
(la CNAM ne voit le jour réellement qu'en août 2007) connaissent
des difficultés au niveau du financement de ces régimes compte
tenu d'une diminution du rythme des recrus surtout dans le secteur public et
d'un sous affiliation dans les régimes agricoles accompagnés
d'un nombre élevé de départs à la retraite et
d'une longue jouissance des pensions vu l'amélioration de
l'espérance de vie à la naissance.
Le déficit des deux caisses est alarmant atteignant 37,9
MD pour la CNRPS et 70,9 MD pour la CNSS en 2007 et ce malgré
l'élévation des taux de cotisation des dernières
années.
Cette situation difficile est le résultat de plusieurs
facteurs économique, démographique et institutionnel dont
notamment le niveau assez élevé du taux de chômage, la sous
affiliation et déclaration dans le secteur privé, la diminution
des cotisants dans le secteur public à cause des orientations
économiques vers le libéralisme et l'ajustement structurel, la
générosité relative des prestations fournies aux
adhérents, l'arrivée d'un grand nombre d'actifs à
l'âge de mise à la retraite, l'allongement de la durée de
jouissance des pensionnés, etc.
D'un autre coté, les taux de cotisations sociales (du
salarié et de son employeur) utilisées jusqu'à maintenant
comme moyen d'ajustement pour rétablir l'équilibre atteignent
actuellement des niveaux élevés (19,7 %) pour le régime de
retraite de la CNRPS et (25,75%) pour le régime des salariés non
agricoles qui représente environ 70% de l'ensemble des assurés
sociaux de la CNSS.
La couverture sociale a touché progressivement toutes les
catégories professionnelles et tous les salariés des secteurs
public et privé, les indépendants, les exploitants et
employés du secteur agricole, les gens de maisons, les travailleurs
saisonniers et occasionnels, les artistes et les intellectuels, etc.
Cette couverture qui essaie de tenir compte des
caractéristiques de chaque catégorie au niveau du mode de
rémunération et du niveau du revenu atteint environ 95% de la
population active occupée.
Le nombre des personnes couvertes par la sécurité
sociale (actifs et pensionnés) s'élève actuellement
à plus de trois millions d'assurés sociaux sans compter les
ayants droit (conjoint ne travaillant pas et enfants à charge).
Tableau 3: Nombre d'assurés sociaux couvets par les
caisses de sécurité sociale
|
2005
|
2006
|
2007
|
CNRPS
|
798 655
|
812 664
|
831 780
|
CNSS
|
2 141 330
|
2 296 028
|
2 391 572
|
TOTAL
|
2 939 985
|
3 108 692
|
3 223 352
|
Etudiants (CNSS)
|
321 838
|
326 185
|
332 500
|
Source : Ministère des affaires sociales, de
solidarité et des travailleurs étrangers.
Le nombre total des actifs cotisants s'élève
à 2 537 606 (78,7%) alors que les pensionnés sont de l'ordre
de 685 746 soit 21,3% du total ce qui enregistre un rapport de
dépendance de 3,7.
1.1. La Caisse Nationale de Retraite et de
Prévoyance Sociale (CNRPS)
La première tentative de couverture sociale remontait
à l'année 1898 où un système de retraite et
d'invalidité pour les fonctionnaires de l'Etat voit le jour suivi par
l'instauration d'un système de prévoyance sociale (assurance
maladie) en 1951.
En 1959, il y a eu la création d'une caisse de retraite et
c'est en 1976 que l'actuel CNRPS vient au monde suite à la promulgation
pour remplacer l'ancien système composé de deux unités
séparées.
En mai 1998, la Caisse de Retraite et de prévoyance du
personnel des services publics de l'Electricité, du Gaz et des
Transports (CREGT) qui gère les pensions et les prestations de
l'assurance maladie au profit du personnel de la Société
Tunisienne de l'Electricité et du Gaz (STEG), de la
Société Nationale des Chemins de Fer Tunisien, de la
Société du Métro Léger et de la
Société Nationale de Transport, intégrait la CNRPS.
Et en août 2007, la CNRPS se décharge de la gestion
du département de la prévoyance sociale (assurance maladie) au
profit de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) nouvellement
créée et s'occupait désormais uniquement des retraites et
ses accessoires (les veuves, les orphelins, les invalides et le capital
décès). Elle gère aussi des régimes spéciaux
au profit des membres de gouvernement, les membres de la chambre des
députés, les membres de la chambre des conseilles et les
gouverneurs.
La CNRPS gère alors les prestations de retraite et offre
aussi des crédits avec des taux d'intérêt inférieurs
à ceux pratiqués au marché financier pour la consommation
(crédit personnel d'un salaire mensuel et demi), des crédits pour
l'achat d'une voiture, des crédits pour l'acquisition ou la construction
d'un logement et des prêts universitaires pour les étudiants dont
le revenu du tuteur entre dans une fourchette établie.
En contrepartie des prestations fournies par le régime des
retraite, les affiliés à la dite caisse cotisent actuellement en
plus de la contribution de leurs employeurs à concurrence de 8.2% pour
les premiers et 11,5% pour les deuxièmes des salaires bruts. Ces taux
n'étaient en 1985 que de 5% et 7% uniquement. La cotisation au capital
décès incombe seulement à l'affilié et
s'élève à 1% du salaire de base ou du salaire global brut
selon le choix du salarié.
La CNRPS gère ces prestations en faveur des agents
permanents, temporaires, saisonniers et occasionnels du secteur public
de :
-L'Etat et des collectivités publiques locales et des
établissements publics à caractère administratif.
-Les établissements publics à caractère
industriel et commercial et les sociétés nationales dont la liste
est fixée par décret.
Dans le cadre de l'intervention de la caisse dans le domaine
économique et social, la CNRPS participe au financement de certains
transferts sociaux en faveur des catégories pauvres telles que les
handicapés (1,693 MD en 2006), les familles nécessiteuses (0,625
MD) et les aides sociales à l'occasion de la rentrée scolaire et
de l'avenue du mois de ramadan (0,172 MD).
Le régime de retraite connait depuis plusieurs
années une situation déficitaire eu égard au
déséquilibre entre les dépenses et les recettes compte
tenu principalement d'un faible accroissement du nombre de cotisants et d'une
augmentation très importante du nombre des départs à la
retraite en plus d'une jouissance plus longue des pensionnés.
Le déficit de ce régime s'élève
à 43,6 MD en 2007 et ce malgré les augmentations successives des
taux de cotisation.
Tableau 4 : Evolution de la situation financière de
la CNRPS :
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
Recettes en MD
|
578,953
|
651,606
|
747,298
|
843,631
|
907,865
|
987,959
|
1119,778
|
Dépenses en MD
|
591,757
|
666,627
|
737,136
|
825,766
|
920,776
|
1033,177
|
1163,383
|
Recettes- Dépenses
|
-12,804
|
-15,021
|
10,162
|
17,865
|
-12,911
|
-45,218
|
-43,605
|
Source : rapport d'activité de la CNRPS, 2008.
Cette situation qui s'avère d'origine structurelle dont
les cotisations ne peuvent seules trouver une solution à long terme
puisqu'il est impensable d'arriver à des taux de l'ordre de 30% ou plus
pour atteindre l'équilibre sans compromettre le niveau de la
consommation des salariés et pénaliser davantage l'emploi
problème majeur de l'économie tunisienne.
Le grand risque est de diminuer le niveau des prestations
offertes aux assurés sociaux en durcissant les conditions d'octroi,
faute de trouver de nouveaux moyens de financement puisque l'Etat tunisien ne
pense pas y intervenir directement pour prendre en charge le déficit des
caisses de sécurité sociale ce qui aggrave en même temps le
déficit budgétaire et augmenterait en conséquence la
pression fiscale.
|