CHAPITRE 2
L'ESPACE AGRAIRE DANS LE TERROIR DE KOUTOUGOU
Chez les Temberma de KOUTOUGOU comme partout ailleurs, la vie
et son organisation sont régies par un certain nombre de liens lointains
pour la plupart qui les unissent à la terre. Ces liens
déterminent également les différentes options en terme de
gestion des terres, leur mise en valeur de même que la finalité
des produits qu'elle offre. Tout cet ensemble de choix volontaires ou «
imposés » par des faits naturels ou humains constitue sans aucun
doute l'élément de base dans la connaissance d'un peuple. Ce sont
toutes ces réalités historiques et contemporaines que nous
appelons les structures agraires et que nous comptons présenter et
analyser dans les lignes qui vont suivre. Il s'agira de présenter tour
à tour le régime foncier, la dynamique agricole puis tous les
autres éléments qui entrent dans l'analyse du tout agraire
notamment le parcellaire, les usages que les Temberma de KOUTOUGOU font de la
terre et les itinéraires techniques. Par ailleurs, il sera question
d'énumérer les activités qui, en plus de l'agriculture
proprement dite meublent le quotidien de ce peuple.
2.1- UN REGIME FONCIER PATRILINEAIRE
Il se fonde sur la combinaison des règles qui
gouvernent la question de la terre dans un milieu et qui en déterminent
les niveaux de propriété de même que les différents
moyens en vigueur pour individualiser celle-ci. Des modes d'accès
à ceux d'appropriation de la terre en passant par la délimitation
des propriétés, nous essayerons de montrer la survivance de
structures anciennes et propres au peuple Temberma.
2.1.1- Les modes d'accès à la terre
Ce sont les moyens par lesquels un individu issu de la
collectivité ou non peut entrer en possession d'une parcelle de terre.
Ils sont en quelque sorte le soubassement du contrat qui lie celui qui dispose
de la terre et son bénéficiaire. Ce constat détermine en
outre les usages que le bénéficiaire est autorisé à
en faire.
Notre zone d'étude s'étale sur un territoire
conquis par simple occupation. En effet, le premier habitant de ce coin
reculé du pays Temberma d'après les témoignages de 99,1%
de nos enquêtés, n'a pas fait autre chose que de s'y installer vu
que personne n'y exerçait des droits de propriété sur le
territoire.
C'est sans doute pourquoi les formes dominantes d'accès
à la terre sur ce site sont l'héritage et le don.
L'héritage est le fait d'entrer en
possession des biens qui ont appartenu à un parent défunt. C'est
le mode d'accès le plus répandu à KOUTOUGOU puisque 71% de
nos enquêtés déclarent que leurs propriétés
proviennent de l'héritage. Cependant, dans son usage, il prend
dans l'univers d'étude une connotation
particulière étant entendu que seuls les enfants mâles
peuvent hériter de la terre. Dans cet ordre d'idées, les
mentalités ne sont pas en phase de changer surtout que 99,1% de nos
enquêtés affirment ne pouvoir léguer leurs terres
qu'à leurs descendants mâles. Ceux-ci héritent des terres
à la mort de leur père et deviennent responsables du domaine
foncier familial dans le cadre d'une responsabilité collective du moment
où aucun partage de la terre n'est effectué. Chacun dispose de la
superficie qu'il peut exploiter. C'est du moins l'avis de 97,3% de ceux que
nous avons interrogé sur la façon dont les héritiers
gèrent les terres familiales.
Il s'agit en conclusion d'un droit successoral
patrilinéaire ne reconnaissant qu'un droit de culture
concédé par l'époux à son épouse. Il
n'existe donc pas de legs féminins faits du vivant du père comme
chez les Adja Éwé (ABOTCHI T. ,1997). Qu'en est-il alors du don
de la terre ?
Le don est le fait de recevoir une parcelle
de terre d'un propriétaire qui peut s'il le désire la retirer ou
vous en restreindre les usages. 29% de chefs de ménages que nous avons
rencontré ont avoué que leurs terres provenaient du don. Cette
proportion qui nous semble un peu trop élevée est sans aucun
doute le résultat du fait que ceux dont les parents sont encore en vie
considèrent plutôt que leurs terres d'exploitation appartiennent
encore à leur père. Toutefois, les droits qu'ils exercent sur ces
parcelles ressemblent fort bien à ceux des propriétaires
puisqu'ils peuvent en céder à leurs épouses ou à
des étrangers. Mais la version originale soutient que cette pratique est
plutôt en vigueur au sein même des couples puisque c'est le mari
qui offre dans 93,1% des cas évoqués une parcelle d'exploitation
à son épouse. Autant dire que c'est le seul moyen par lequel une
femme peut entrer en possession d'une parcelle. Cette réalité est
due au fait que dans cette société, on considère que la
femme ne doit rien tenir de ses parents puisqu'elle est vouée au mariage
et ne doit rien emporter le moment venu.
C'est aussi le mode par lequel les étrangers
accèdent à des parcelles d'exploitation. En fait, quand un
étranger arrive, il fait la demande à son hôte qui la
transmet au chef du village à titre d'information. Puis, l'autochtone
indique la partie des champs à offrir au bénéficiaire qui
peut tout y cultiver. La seule prescription qui lui est faite est qu'il ne doit
pas en céder une partie à une tierce personne. Certes, certains y
ajoutent une nécessité de respect à l'égard du
propriétaire, mais beaucoup pensent qu'aucune condition ne régit
la donation d'une parcelle de terre sur le terroir de KOUTOUGOU.
Somme toute, les modes d'accès à la terre en
vigueur dans l'environnement étudié sont encore traditionnels. Il
n'y a donc pas d'évolution du système foncier. C'est une
situation
qui diffère de celle de bien d'autres terroirs
où la monétarisation de l'économie et l'adoption de la
religion chrétienne ont été source de mutations
créant du coup plusieurs autres modes d'accès à la terre
comme la vente, le gage et la location. Par exemple, dans les
préfectures de Haho et de Moyen-Mono, les peuples Adja
Éwé, pour faire face à des besoins monétaires de
plus en plus cruciaux, ont depuis quelques années, commencé par
faire fi de la tradition qui le leur interdisait en disposant de la terre par
voie de gage, de location et de vente (ABOTCHI T. et KLASSOU K., 2002, page
38).
Dans tous les cas, nous sommes amené à penser
que en plus de l'enclavement, c'est la faible pression démographique qui
constitue le ferment de la conservation de ces modes d'accès à la
terre. Soulignons également que l'enclavement constitue aussi un
élément important dans la délimitation du domaine foncier
villageois.
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