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De la reconnaissance de l'individu en tant que sujet de droit international: controverse doctrinale et perspectives d'avenir

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par Edison MUTELA MBAU
Université de Kinshasa - Licence en droit 0000
  

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Section I : L'ORDRE JURIDIQUE PENSE COMME SYSTEME JURIDIQUE DE

LA COMMUNAUTE DES ETATS

Il conviendra dans cette section de cerner la consistance exacte de ce modèle interétatique classique en y intégrant le principe d'une construction progressive de la communauté internationale au sens large, à la fois interétatique et humaine (§1), pour rechercher, ensuite, le moment où la doctrine se radicalise pour l'éliminer (§2).

§1 : Construction progressive de la notion de communauté internationale au

sens large

On s'arrêtera, tout d'abord, aux théologiens de la seconde scolastique espagnole, qui ont préparé l'avènement du droit international classique interétatique, car c'est à eux que l'on attribue ordinairement la paternité de la notion de communauté juridique mondiale. En réalité, c'est surtout l'historiographe contemporaine qui a contribué à réhabiliter par ce biais ses auteurs, mais tout en forçant parfois leur pensée dans un sens trop moderne.111

111 MESNARD(P), L'essor de la philosophie politique au XVIème siècle, Vrin, Paris, 1977, p.470

La vision juridique achevée d'une communauté mondiale du genre humain était présente dans les écrits de certains auteurs dès le début du XVIème siècle, notamment chez les plus connus d'entre eux : Francisco de Vitoria et Francisco Suarez. En réalité, ces deux auteurs vont surtout préparer le terrain à une conception interétatique du monde en dénonçant toute forme d'impérialisme mondial ou de théocratie112.

A l'époque de la Renaissance, où l'on retrouvait à la fois le sens de l'universel de la philosophie grecque et le modèle de l'empire romain, l'idée d'une communauté humaine rassemblée et unifiée politiquement avait été développée pour justifier les prétentions hégémoniques du pape et de l'empereur. Or ce sont précisément ces prétentions que ces deux auteurs cherchent pareillement à combattre bien que pour des raisons différentes.113

Il est donc assez plaisant de voir combien Vitoria a pu être invoqué par certains auteurs du XXème siècle pour conforter le cosmopolitisme alors que son apport, comme celui de Suarez, consiste en priorité à théoriser les pouvoirs souverains du prince et la vision d'une communauté internationale divisée en entités politiques indépendantes. Il est vrai que Vitoria, plus encore que Suarez, a également exposé dans un passage célèbre, et maintes fois cité du De Potestate Civili (1528), que la communauté des puissances souveraines forme un tout organique et vivant, une sorte de res publica universelle fondée sur la solidarité humaine érigée en principe suprême.114

Dans le De Indis (1539), il développe aussi de façon exemplaire le principe déjà connu d'un jus communicationis qui est, selon lui, un droit naturel et rationnel de communication incluant la libre circulation, l'hospitalité et le commerce. Ce droit est issu de la commune parenté entre les hommes et de la commune destination des biens terrestres.115 Toutefois, on se méprendrait à identifier la fameuse res publica universelle à une institution réellement juridique car Vitoria en combat

112MESNARD(P), op.cit, p.471

113 Idem, p.473

114 BARCIA-TRELLES(C), « Francisco de Vitoria et l'Ecole moderne du droit international », RCADI, 1927, p.109 et ss et

« Francisco Suarez (1548-1617). Les théologies espagnols du XVIème siècle et l'école moderne du droit international », RCADI, 1933, p.385 et ss.

115 DELOS(J), La société internationale et ses principes, Vrin, Paris, 1929, cité par MESNARD(P), op.cit, p.138

justement le principe au nom de l'indépendance des sociétés politiques. Dans la vision d'une communauté unifiée du genre humain que donne Vitoria, on perçoit dès lors surtout, comme le soulignait si justement P. Mesnard, l'héritage de l'humanisme chrétiend'Erasme.116

Cette idée de communauté universelle sera reprise par Suarez dans son De legibus ad Deo Legislatore (1612), quoique de façon plus atténuée car Suarez ne croit plus en l'existence d'un organisme moral. Francisco Suarez fonde également les relations humaines sur le principe de solidarité et considère que ce dernier relie les hommes entre eux en dépit de leur regroupement au sein des sociétés politiques. Chaque homme est à la fois membre de sa communauté parfaite et de la grande communauté du genre humain.117 Mais en fait Suarez va surtout renforcer la vision internationaliste de Vitoria en concevant un ius inter gentes applicable aux entités politiques indépendantes et souveraines qui forment la communauté internationale.118 Bien qu'il ne s'agisse pas encore du futur droit international public, il est certain que les prémisses du système juridique international classique sont ainsi posées par lui.

Bien entendu, ce n'est qu'une tendance qui pourrait être remise en cause ici ou là, mais elle nous semble quand même se dessiner de façon assez nette, notamment à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Puisque l'on ne se livre pas à une histoire minutieuse de la pensée, on peut prendre le manuel de H. Bonfils et P. Fauchille dans sa 3ème édition de 1901 comme typique du courant sans doute majoritaire de l'époque. Lorsqu'on consulte cet ouvrage, on voit que la juridicisation totalement acquise d'une communauté d'Etats comme communauté interétatique se complète et se prolonge par l'idée d'une communauté du genre Droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains.

Qui plus est, il convient d'indiquer qu'au centre d'une telle vision, l'individu réapparaît comme sujet de droit international. L'Etat souverain est considéré comme sujet et seul membre de la communauté juridique interétatique,

116 MESNARD(P), op.cit, p.472

117 RENOUX-ZAGAME(MF), « La disparition du droit des gens classique », in Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, p.39 et ss.

118 Idem, p.53

mais l'homme n'en est pas moins désigné comme titulaire direct de « droits fondamentaux », « sans égard à la nationalité des individus », tels ceux d'inviolabilité de la personne ou de respect de la propriété privée.119 Le droit international lui-même doit arriver à équilibrer les deux grands principes d'autonomie des Etats et de « société cosmopolitique ».120

On retrouve exactement la même idée dans le Traité élémentaire de droit international public d'A. Bonde en 1926 qui défend le principe « d'un droit international de l'humanité toute entière dominant le droit international positif »121, et si cet auteur note que l'homme n'est pas un sujet immédiat du droit international, il n'en demeure pas moins « toujours et exclusivement sujet du droit international » bien que médiat. Théoricien renommé des droits et devoirs fondamentaux des Etats, A. Pillet, de son côté, reconnaît lui aussi l'existence « d'un droit commun de l'humanité »,122 tout comme Bluntschli en 1895123, tandis que P. Fiore demande que l'on parle d'un « droit du genre humain » plutôt que du droit international car c'est « le terme collectif embrassant cette grande république formée par tous les êtres existant individuellement ou existant sous la forme d'individualités collectives »124.

Dès lors, force est de constater l'extraordinaire persistance de la notion de communauté humaine qui se maintient ainsi à travers les ouvrages des grands théoriciens du droit international classique d'une double façon : en tant que forme d'organisation du système juridique des Etats qui sont toujours et avant tout considérés comme des « agrégations d'hommes » organisés en une même communauté humaine juridique ; en tant que vision plus générale d'une communauté du genre humain ou de l'humanité qui surplombe ou sous-tend ces constructions doctrinales de telle sorte que l'homme soit considéré lui-même parfois comme sujet de droit international. La dimension universaliste de la notion de communauté humaine survit à travers le phénomène majeur de la pluralité organisée des Etats et

119 BONFILS(H) et FAUCHILLE(P), op.cit, p.19

120 Idem, p.10

121 BONDE(A), Traité de droit international public, Dalloz, Paris, 1926, p.10

122 Cité par BONFILS(H) et FAUCHILLE(P), op.cit, p.18

123 Idem, p.21

124 Cité par NYS(E), Le droit international, Moens, Bruxelles, 1912, p.64

implique déjà l'idée, non retenue par Wolff et Vattel en leur temps, qu'en dépit de la souveraineté de l'Etat, l'homme est titulaire de droits fondamentaux « partout ».125

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore