Chapitre I : L'ACTIVISME DE L'INDIVIDU EN DROIT
INTERNATIONAL
Le refus de l'individu sur la scène internationale
ressort de la pensée classique qui, elle, ne considère que la
notion d'Etat souverain au détriment de la communauté humaine
.L'Etat souverain est miné de toutes parts comme tant d'auteurs l'ont
désormais fort bien montré. Il est travaillé de
l'intérieur par des forces locales et transnationales qui se jouent de
ses règles et de ses frontières et peuvent même provoquer
sa délinquances complet. Il est également diminué de
l'extérieur par la montée des régionalismes, des
phénomènes transnationaux et des droits mondialisés.
De façon générale, la notion de la
communauté humaine est considérée comme un ensemble de
personnes qui unissent des valeurs ou des objectifs communs88 .
En tout état de cause, les Etats sont les composants
principaux de la communauté interétatiques tandis que ce sont les
hommes (individus) qui composent de façon immédiate la
communauté interindividuelle. C'est sous cette notion que l'individu se
montre et agit en participant implicitement à la régulation de la
vie internationale à laquelle il intervient.
L'analyse de ce chapitre s'emploiera d'une part, à
examiner la vision démocratique du droit international (Section I) et,
d'autre part, à la mutation du droit international (Section II).
Section I : LA VISION DEMOCRATIQUE DU DROIT
INTERNATIONAL
La protection internationale des droits de l'homme constitue
une véritable mutation et non pas une simple étape dans
l'évolution du droit international. La différence fondamentale
qui est introduite vient de ce que la protection internationale des droits de
l'homme implique la négation de la théorie des deux
sphères sur laquelle s'était édifié le droit
international classique.
L'introduction de la protection des droits de l'homme dans
l'ordre juridique international n'entraine pas simplement une modification du
contenu du droit international, c'est la définition même de ce
droit qui est remise en cause. Le
88 SALMON (J), op.cit, p.203. V. également
ARNAUD(AJ), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de
sociologie du droit, 2ème éd., LGDJ, Paris, 1993, p.72
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droit international ne peut plus être défini
comme le droit des relations internationales ou de la société des
Etats. Il se présente désormais comme le droit de la
société humaine universelle ou globale, comprenant deux parties
essentielles : d'une part, le statut fondamental de l'homme à
l'intérieur des différentes unités politiques qu'il a
constitué historiquement et qui se gouvernent de façon
indépendantes, et, d'autre part, le droit des relations entre ces
différentes unités politiques.
Une telle définition conduit pour la première
fois, sur le plan de la théorie ,à un monisme véritable
puisque se trouve enfin remplie la condition nécessaire à
l'apparition du monisme juridique bien vue par Scelle : que l'homme soit sujet
aussi bien du droit international que du droit interne. Dupuy de son
coté voit dans l'introduction des droits de l'homme dans la charte
onusienne le point de départ d'une « sorte de recentrage humaniste
» du droit international par lesquels sont affirmés un certain
nombre d'obligations dont les fins sont à nouveaux
déclarées humaines89.
Il conviendra dans cette section d'éclaircir
l'idée d'une conception démocratique du droit (§1) à
partir de la pensée juridique de Kant telle que révisée
par Habermas d'abord et ensuite d'identifier la conception démocratique
du droit international en tant que telle (§1).
§1 : La conception démocratique du
droit
Si Kant énonce une conception du droit que l'on peut
qualifier de « démocratie », c'est parce que celle-ci est une
conception qui est toute entière construite autour du concept de
liberté de l'individu. Selon Kant, le droit est une technique
spécifique de régulation des comportements qui poursuit un
objectif politique : celui de la préservation des libertés de
tous, et cela en assurant la coexistence de la liberté de
chacun90.
Kant partage la même vision que Hobbes de l'état
de nature : il s'agit d'un état dans lequel « le mien et le tien
» sont sans cesse mis en danger. Il n'existe, dans cet Etat, qu'un droit
provisoire, sous la forme de contrats qui constituent ce que
89 DUPUY(RJ) ; op.cit, p.225
90 KANT(E), Doctrine du droit. Métaphysique
des moeurs, trad. MASSON(O), in E. Kant, OEuvres philosophiques,
t.III, Gallimard, Paris, « Bibliothèque de la Pléiade
», 1986, p.478
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Kant appelle « le droit privé » ; Et partant
les individus sont donc d'une certaine manière contraint de passer
là l'état civil, lequel état se définit de deux
manières différentes :
v' Il constitue l'ensemble conceptuel des conditions sous
lesquelles l'arbitre de l'un peut être concilié avec l'arbitre de
l'autre selon une loi universelle de la liberté ;
v' Il peut également être
représenté comme la possibilité d'une contrainte
générale réciproque s'accordant avec la liberté de
chacun selon des lois universelles.
Cela constitue le vieux problème du contrat social
exposé très clairement par Rousseau, à la recherche du
régime politique idéal : « trouver une forme
d'association qui défende et protège de toute la
force commune la personne et les biens de chaque associé, et par
laquelle chacun s'unissant à tous n'obéissent pour tant
qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant ».
Rousseau et Kant proposent une réponse au départ
identique à ce problème, qui réside dans le principe
d'auto-régulation, à savoir que les destinataires des normes (les
citoyens) en sont en même temps les auteurs : ainsi les hommes ne
perdent pas leur liberté dans le contrat social puisque,
ce faisant, ils ne font qu'instituer une dépendance envers des lois
qui procèdent de leur propre volonté
législative.
La définition Kantienne du droit opère donc un
lien entre contrainte, droit et liberté parfaitement
résumé par Habermas pour qui : « le droit moderne consiste
en un système de normes positives contraignantes qui ont à tout
le moins la prétention de garantir la liberté. Les
caractéristiques formelles de la contrainte et de la positivité
s'associent ainsi à une prétention à la
légitimité »91.
Le processus d'auto-législation signifie que les
destinataires du droit en sont en même temps les acteurs, ce qui implique
les citoyens (destinataires du droit) fassent usage de leur autonomie de la
volonté pour consentir à chaque fois aux limites
qui sont apportées à leur liberté propre
et à celle des autres. Ce n'est qu'à ce prix que la contrainte
légitime qui sera par la suite exercée sur ces mêmes
citoyens pourra
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apparaitre comme légitime. Cela signifie que la
liberté naturelle de l'individu, qui se traduit par l'autonomie de la
volonté, se trouve au fondement même du droit.
L'apport décisif d'Habermas sur la conciliation de la
contrainte et liberté par le médium du droit consiste à
reprendre le principe d'auto-législation énoncé par Kant ;
selon Habermas, l'ordre juridique dont les destinataires peuvent se comprendre
comme en étant en même temps les auteurs, ce qui ne veut pas dire
nécessairement qu'ils y consentent directement.
Une norme légitime est donc, selon Habermas, une norme
qui est adoptée après avoir été discutée,
contredite, attaquée, amendé lors de discussions multiples se
tenant dans l'espace public. Au sens large, l'espace public est la
démocratie moderne ne se réduit pas aux instances
institutionnelles représentatives : la démocratie réside,
pour Habermas « dans les cycles communicationnels pour ainsi dire sans
sujets, des débats publics et des organismes »92 .
Ce qui fait que, selon Habermas, dans un Etat de droit
moderne, il n'y a pas de souverain, ceci dans la mesure où la
souveraineté du peuple ne se concentre plus dans une collectivité
au sens de la présence physiquement perceptible des citoyens
réunis ou de leurs représentants rassemblés, mais
s'affirme à travers une circulation de consultations et de
décisions rationnellement structurées93.
On voit ici qu'Habermas substitue la discussion à la
raison pratique dans l'oeuvre de fondation de la « loi universelle »
de conciliation des libertés. C'est -à-dire que le fondement du
droit ne se trouve plus dans la liberté naturelle de l'homme, mais, dans
le droit lui-même, et plus précisément, dans le mode
d'exercice de l'autonomie politique, c'est-à-dire encore dans la
procédure démocratique, par sa nature, permet en effet la
libération de l'activité communicationnelle, conduisant ainsi
à l'élaboration d'un droit rationnellement fondé et par
conséquent légitime.
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