Section II : LE CADRE D'EMERGENCE DE L'INDIVIDU EN
DROIT
INTERNATIONAL
La période du classicisme cloisonnait la vie
internationale aux seuls Etats maitres de la souveraineté. De nos jours,
cette vision semble n'être pas le cas, certains domaines de la vie ont
ouvert la voie au sujet émergent, l'individu, de se prévaloir de
cette qualité.
Le domaine de droits de l'homme (§1) reste en grande
partie le chemin par excellence de l'accession de l'individu en droit
international et d'autres domaines (§2) ne font que requinquer cette
position de l'individu sur la scène internationale.
§1 : Le domaine de protection des droits de
l'homme
Scelle a qualifié la période qui
s'étendait des conférences de la Haye de 1899 et de 1907 à
la fin de la première guerre mondiale de période proprement
« révolutionnaire ». C'est qui s'accomplissait à ce
moment là, constituait le premier essai de constitutionnalisation de la
société internationale.
A cette époque, les gouvernants prennent acte de
l'échec de la politique de l'équilibre. Il semble impossible de
fonder une paix durable sur des structures et des rapports de puissances en
pleine mutation. Les conférences de la Haye sont, d'une certaine
manière, le constat d'un échec, car elles traduisent l'existence
d'une véritable paix armée qui finira par aboutir au conflit
généralisé.
L'horreur de celui-ci, l'idéalisme des dirigeants, en
tête desquels Woodrow WILSON71, aboutit à l'essai de la
société des Nations. On voit à quel point la figure du
contrat social est encore présente chez ces dirigeants encore tous
empreints de la philosophie du XVIIème siècle : pour eux, en
effet, l'état de nature dans lequel se trouvent les Etats est la
véritable cause de la guerre.
71 CAVARE(L), Le droit international positif,
t.I, Pedone, Paris 1967, p.684
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Il parait dès lors évident que la paix et la
sécurité ; c'est-à-dire une paix stable, permanente et
perpétuelle72passe par une constitutionnalisation de la
société internationale, avec la création d'un pouvoir
centralisé de contrainte.
A partir de la SDN, les gouvernants fixent un objectif
à atteindre par la société internationale73.Ils
utilisent la doctrine du contrat social dans son sens dynamique : non pour
justifier un droit existant, mais pour fonder l'obligation de dépasser
cet ordre, d'y mettre définitivement fin.
Ce concept substantiel de paix se traduit dans les chartes
constitutives par la multiplication des buts de l'organisation des N.U : pour
atteindre l'état de paix, il est entendu que celle-ci devra promouvoir
la justice sociale, les droits de l'homme ou le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes74.
Formulés de cette manière, ces buts apparaissent
comme autant de « buts subordonnés » au but suprême
qu'est la paix. Les droits de l'homme, le droit des peuples à disposer
eux-mêmes, la justice sociale, seraient autant des moyens pour parvenir
à une fin placée en tête de l'énumération.
Il convient, par ailleurs, de prévenir le conflit
interne en s'attaquant à leurs causes. Or, ces causes ne concernent pas
les Etats, mais bien les individus et les peuples. En adoptant cette vision
moniste, les rédacteurs de la charte de San Francisco adoptent le «
réalisme » prôné par Scelle : ils acceptent de
dépasser la figure importante et aveuglante de l'Etat pour remonter aux
causes réelles des conflits.
Ce faisant, ils placent l'individu et la réunion des
individus en collectivité : le peuple, au centre de la construction
mondiale. La paix visée par la charte n'est pas une paix
interétatique dans l'intérêt des souverains. C'est une paix
qui vise à épargner à « l'humanité
d'indicibles souffrances ». Réflexivement, le droit qui doit
imposer cette paix n'est pas pensée comme un droit interétatique,
mais comme le droit de la société humaine universelle.
72 VON VERDROSS(A), Idées directrices de
l'organisation de Nations unies, in« R.C.A.D.I », 1953, p.11
73 ABI-SAAB(G), Cours général de
droit international public, in « R.C.A.D.I », 1987, t.207, p.446
et SS.
74 MIRKINE GUETZEVICH(B), Quelques problèmes
de la mise en oeuvre de la Déclaration universelle des droits de
l'homme, in« R.C.A.D.I », 1953, t.83, p.293
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Force est de noter que l'introduction du concept des droits de
l'homme est, à cet égard, fondamentale, car elle n'est pas «
seulement » l'impression de l'idée selon laquelle les violations
des droits de l'homme sont « causalement » à l'origine des
guerres internationales, ce qui est le sens le plus souvent retenu par les
auteurs75. Elle signifie également, d'un point de vue
juridique, que le droit international n'est véritablement
légitime que s'il est fondé sur le respect des droits de
l'homme76.
Autrement dit, affirmer les droits de l'homme sur le plan
international ne revient pas « seulement »à poser une
obligation pour les Etats de les respecter : il s'agit, plus
profondément, de l'importation d'une théorie de la
légitimité du pouvoir et du droit interne dans l'ordre
international. Alors que la doctrine classique procédait à une
analogie, en transposant la doctrine du contrat social de la sphère
interne à la sphère internationale, les Etats étant
assimilés à des individus plongés dans un état de
nature, la proclamation des droits de l'homme fait de la doctrine du contrat
social telle qu'elle existe sur le plan interne, une doctrine de la
légitimité du droit international.
Pour rendre plus pragmatique cette vision, les Etats, sous
l'égide des N.U. vont concevoir la charte des droits de l'homme
comprenant : la déclaration universelle des droits de l'homme, le pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels , le
pacte international relatif aux droits civils et politiques , les deux
protocoles77, qui du reste, ne feront qu'admettre l'accès de
l'individu sur la scène internationale en qualité de sujet dudit
droit.
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