Pollution physico-chimique et bactériologique du lac Nokoué: causes et conséquences( Télécharger le fichier original )par Flavien DOVONOU Université d'Abomey-Calavi - Doctorat en hydrologie et gestion intégrée des ressources en eau 2012 |
INTRODUCTIONL'eau est indispensable à toute forme de vie ; elle est nécessaire à la santé, l'agriculture, l'industrie, le tourisme, les loisirs, la navigation, etc. L'eau du lac Nokoué a des rôles alimentaires et socioéconomiques très importants : elle sert de lieu d'habitation pour les populations lacustres ; elle renferme des poissons et des crustacés qui sont des sources de protéines animales pour les populations de la région de Cotonou ; elle sert de voie de transport des personnes et des biens. Ce rôle considérable que joue le lac Nokoué explique la forte concentration des populations autour et dans ce plan d'eau. (c) 2011 International Formulae Group. All rights reserved. DOI : http://dx.doi.org/10.4314/ijbcs.v5i4.23 En effet, selon l'Institut National de la Statistique et de l'Analyse Economique (2003), la population des villages riverains du lac est d'environ 76315 habitants. Aujourd'hui, avec l'augmentation de cette population lacustre, qui rejette quotidiennement des déchets solides et liquides dans le lac, il se pose des problèmes environnementaux dont la pollution est l'un des plus importants (Agonkpahoun, 2006). Le lac et sa berge sont devenus en effet un réceptacle de déchets solides et liquides. Ces déchets et produits sont rejetés quotidiennement dans le lac ou sur la berge. De plus, dans le cadre des activités halieutiques, d'importantes quantités de branchages servant à la construction de piège à poissons y sont quotidiennement déversées par les pêcheurs. Le trafic frauduleux des hydrocarbures (pétrole, essence, gasoil, huile à moteur) sur le lac Nokoué et la lagune de Porto-Novo constitue aussi une source potentielle de pollution chimique du lac. Dans ces conditions d'absence totale de mesure d'hygiène et d'assainissement autour du lac, les risques écotoxicologiques sont très élevés. La présente étude vise à déterminer la qualité physico-chimique et bactériologique de l'eau du lac Nokoué, expliquer les fortes teneurs des paramètres mesurés et les conséquences de cette pollution sur la santé publique des populations vivants des produits halieutiques en provenance de ce lac. MATERIEL ET METHODES Le lac Nokoué, le plus grand lac du Bénin, couvre une superficie de 150 km2 à l'étiage. Situé au sud-est du pays, il est compris entre les parallèles 6°20' et 6°30' Nord et les méridiens 2°20' et 2°35' Est. S'étendant sur les départements de l'Ouémé, de l'Atlantique et du Littoral, il est limité à l'ouest par le plateau d'Abomey-Calavi, à l'est par la lagune de Porto-Novo, au nord par la plaine d'inondation du fleuve Ouémé et de la rivière Sô puis au sud par la ville de Cotonou, conformément à la Figure 1. Le chenal de Cotonou et le canal de Totchè relient respectivement le lac à l'océan Atlantique et à la lagune de Porto-Novo. Le lac Nokoué a une longueur moyenne de 20 km dans sa direction est-ouest et une largeur de 11 km dans sa direction nord-sud. Matériel Plusieurs matériels ont été utilisés parmi lesquels on compte les matériels de terrain : un GPS (pour prendre les coordonnées géographiques des points de prélèvement) ; des glacières (pour la conservation des échantillons des flacons ; une mallette d'analyse d'eau comprenant un thermomètre. Un conductimètre de type WTW LF 315, un pH mètre de type WTW LF 310 de résolution 0,01 et de précision plus ou moins 0,01, un oxymètre de type YSI Modèle 55, un appareil photo numérique de marque Canon, de résolution 14 méga pixels et quelques réactifs chimiques. Outre ces matériels de terrain, nous avons utilisé au laboratoire : un spectrophotomètre DR 4000, un agitateur magnétique à 6 postes, des réactifs pour les différents dosages, une plaque chauffante, des erlenmeyers, des béchers, des fioles et des pipettes pour les analyses physico-chimiques, un milieu éosine bleu de méthylène, un milieu Slanetz, de la Tripcase Sulfite Néomycine ( TSN) , de la gélose d'Endo pour les analyses bactériologiques. Méthodes Pour atteindre les objectifs de cette étude, les prélèvements d'eau ont été effectués à différents endroits caractérisés par de fortes activités humaines. Deux campagnes de prélèvement ont été effectuées. Une première campagne pendant la saison pluvieuse en juin 2007 et une seconde pendant la saison sèche en septembre 2007. La méthodologie utilisée est basée sur la documentation, les travaux de terrain, les travaux de laboratoire et les traitements des données. La collecte des données a eu lieu au Ministère de la Santé Publique, à la Direction de l'Hygiène et de l'Assainissement de Base, à l'Institut National de la Statistique et de l'Analyse Economique et à la Direction de la Pêche. Sur la base des fiches confectionnées pour les enquêtes auprès des ménages. Le pH a été déterminé au laboratoire à l'aide d'un pH-mètre TACUSSEL, la précision sur mesure donnée par le constructeur est de 0,1 unité de pH. La conductivité a été mesurée à l'aide d'un conductimètre LF 538 WTW. Sur le terrain, ils ont été mesurés avec un pH mètre portable à microprocesseur de type HI 991001 d'exactitude 0,02 pH avec une gamme de températures allant de 0,5 à 60 °C et un conductimètre de type HI 99301 de résolution 0,01 mS/cm (0,01 ppt TDS). Les analyses de DCO, DBO5, nitrate et nitrite ont été réalisées selon les normes AFNOR en vigueur (NFT 90-101, NFT 90-103, NFT 90- 105, NFT 90-036). L'échantillonnage a porté sur six localités situées à des points stratégiques du lac (Abomey-Calavi, Ganvié, Rivière Sô, Aguégué, Kétonou, et Ahouansori) pour les analyses physico-chimiques et cinq puits situés à Ahouansori Towéta I à des distances variables de la berge pour certaines analyses bactériologiques. Les échantillons d'eau pour l'analyse physico-chimique ont été mis dans des flacons en plastique de 1,5 litres. Les prélèvements sont faits pendant un temps ensoleillé entre 07h00 mn et 08h00 mn. Pour les analyses bactériologiques, les échantillons d'eaux ont été pris dans des bouteilles en verre de 250 ml. Le mode opératoire consiste à filtrer 10 à 100 ml de l'échantillon d'eau préalablement dilué à travers une membrane cellulosique filtrante. Toutes les bactéries présentes dans l'échantillon sont retenues à la surface de la membrane ; celle-ci est ensuite mise sur des milieux de cultures gélosés favorables à la nutrition des bactéries. Les lectures sont faites 48 heures après une incubation à 37 °C. Les milieux solides utilisés pour cette analyse bactériologique sont : - Eosine Bleu de Méthylène pour la détermination de Escherichia coli dont les colonies sur ce milieu ont un diamètre de 2 à 3 mm et sont de couleur violette très foncée avec un reflet métallique lorsqu'on les examine à la lumière réfléchie. - Trypcase-Sulfit-Neomycin qui permet de déterminer les Clostridium perfringens qui y prennent une coloration noire. - la gélose de Slanetz qui permet d'isoler les streptocoques qui y apparaissent entourés d'une auréole jaune. Plusieurs laboratoires ont été mis à contribution pour les différentes analyses : Le Laboratoire de la Direction de l'Hygiène et de l'Assainissement de Base et le Laboratoire d'Hydrologie Appliquée. Les données ont été regroupées en tableaux puis traitées avec Excel. La grille définie par les concentrations maximales admises (CMA) de l'Organisation Mondiale de la Santé est utilisée pour l'interprétation des résultats des analyses de l'eau du lac et des puits. La méthode d'analyse PEIR (Pression, Etat, Impact, Réponse) a permis de déterminer les différentes causes de la pollution chimique et bactériologique de l'eau du lac, les risques écotoxicologiques liés à cette pollution et les mesures à prendre pour atténuer la dégradation de cet écosystème aquatique. L'application du modèle PEIR a été rendu possible à partir des données issues des enquêtes de terrain. RESULTATS ET DISCUSSION Les résultats des analyses physicochimiques et bactériologiques, les différentes investigations sur le terrain (observations directes et enquêtes auprès des ménages) ont été obtenus et sont présentés suivant les différents objectifs de l'étude. Les résultats des mesures et analyses sont consignés dans les Tableaux 2 et 3 et sur les Figures 2 à 10. A travers ces deux tableaux, on constate que sur l'ensemble des sites, les températures varient en juin de 25,4 °C à 34 °C et en septembre de 27 °C à 30 °C. Pour ce qui concerne la salinité, elle varie considérablement d'une saison à une autre et d'un lieu à un autre. Elle présente des teneurs très basses en septembre alors qu'en juin ces valeurs sont élevées. La diminution totale du taux de salinité enregistrée en septembre s'explique par les apports en eau douce de la rivière Sô et du fleuve Ouémé qui diluent l'eau du lac. La baisse de la salinité favorise la prolifération des espèces aquatiques plus précisément les jacinthes d'eau qui en se développant empêchent la pénétration des rayons solaires dans l'eau et contribuent à la raréfaction de l'aération de l'eau ce qui est une menace pour les poissons (Laleye, 2010). La conductivité de l'eau est une mesure de sa capacité à conduire le courant électrique. La mesure de la conductivité permet d'apprécier rapidement mais très approximativement la minéralisation de l'eau et de suivre son évolution. Les valeurs enregistrées sont inférieures à 100 us/Cm et démontrent une très faible minéralisation de l'eau du lac. L'eau naturelle pure est neutre c'est à dire pH égal à 7. Le pH d'une eau représente son acidité ou son alcalinité. Le pH des eaux naturelles est lié à la nature des terrains traversés. La Figure 2 représente la variation du pH des eaux du lac Nokoué en juin et en septembre. Les valeurs de pH obtenues en juin sont comprises entre 6,05 et 7,80. En septembre elles varient de 6,25 à 7,80. Pour l'ensemble des sites, les valeurs moyennes du pH sont de 6,92 et 7,0 en juin et septembre. La valeur la plus élevée a été obtenue en septembre à Kétonou et en juin à Aguégué. Le Système d'évaluation de la qualité de l'eau au Bénin permet d'évaluer la qualité de l'eau et son aptitude à assurer certaines fonctionnalités : maintien des équilibres biologiques, production d'eau potable, etc. Les valeurs du pH de ce lac étant comprises dans la limite des normes qui est de 6,5 à 8,5, le lac Nokoué est classé eutrophe. Les graphiques des Figures 3 et 4 illustrent respectivement les variations de teneurs des matières solides en suspension et celles de l'oxygène dissous dans l'eau du lac Nokoué. L'analyse des matières solides en suspension permet de connaître la quantité de matières non dissoutes présente dans un échantillon. Les MES biodégradables contribuent de façon significative à la demande en oxygène et occasionnent la diminution de la concentration en oxygène dissous dans le milieu aquatique (Roche international, 2000). La teneur en oxygène dissous renseigne sur les activités métaboliques du milieu. Cette teneur est plus élevée en juin qu'en septembre et varie d'une localité à l'autre. Sa valeur étant inférieure à 3 mg/L en septembre dénote de la mauvaise qualité de l'eau. La plus grande valeur est de 7 mg/L et a été obtenue dans la rivière Sô en juin 2007. Les Figures 5 et 6 renseignent sur les variations de la DBO5 et celles de la DCO en fonction des points de prélèvement. L'oxydation des composés organiques biodégradables par les microorganismes entraîne une consommation de dioxygène (O2). La mesure de cette demande en oxygène permet d'évaluer le contenu d'une eau en matières organiques biodégradables, donc son degré de pollution ou sa qualité. La DBO5 de l'eau du lac Nokoué est comprise entre 10 mg/L et 29 mg/L et ces teneurs varient en fonction des saisons. Pour ce qui est de la valeur de la DCO, elle est largement supérieure à 80 mg/L. Cela montre une pénurie d'oxygène dans ces milieux. Lorsque nous savons que l'oxygène est indispensable à la vie, on doit se poser beaucoup de questions sur le devenir de ce plan d'eau. Cette valeur élevée de la DCO correspond à une forte teneur de matière organique présente dans le lac liée aux dépôts de branchages d'acadja. Dans un milieu nettement pollué, de faibles valeurs de DBO5 peuvent être liées à la présence d'éléments toxiques inhibiteurs. Les Figures 7 et 8 représentent respectivement les variations de l'ammonium et du phosphate suivant les stations sélectionnées. Une comparaison des différentes concentrations de l'ammonium avec les normes de qualité permet de constater que les valeurs obtenues sont largement supérieures à 8 mg/L sur tous les sites sauf à Ahouansori oüune teneur de 7,9 mg/L est enregistrée en septembre. Les concentrations de phosphates obtenues sont supérieures à la limite admissible de 0,5 mg/L. Ceci explique les problèmes d'eutrophisation sur le lac. En effet, les algues diffèrent de la vie animale microscopique de nos plans d'eau à cause de leur mode de respiration : elles libèrent plus d'oxygène durant la journée qu'elles en utilisent, et absorbent plus de dioxyde de carbone qu'elles n'en relâchent, alors que les animaux et les organismes photosynthétiques libèrent le dioxyde de carbone et absorbent l'oxygène de leur environnement. Les algues réagissent habituellement d'une façon opposée pendant la nuit, lorsqu'elles agissent comme des matières organiques mortes augmentant ainsi la DBO. Il est important de réfléchir soigneusement sur les actions d'élimination des algues des plans d'eau : l'oxygène fourni par les algues lors de leur photosynthèse est bénéfique à la plupart des formes de vie. Ainsi, leur élimination se fera souvent plus au détriment de ces formes de vie qu'à leur bénéfice. A travers la Figure 9, on constate que les teneurs en nitrate varient de 3 mg/L à 15 mg/L. Les concentrations les plus élevées sont enregistrées à Abomey-Calavi et à Ganvié. Un autre paramètre dont la teneur dans l'eau du lac est inquiétante est le nitrite. Il provient de la réduction du nitrate sous l'influence des bactéries. Au mois de juin, à l'exception des sites de Kétonou et du bras Ouest de la rivière Sô, toutes les autres stations présentent une concentration de nitrite supérieure à la limite admissible de 0,06 mg/L correspondant au seuil inférieur de la gamme de toxicité aiguë (Djibril, 2001). En septembre, les concentrations de nitrites obtenues sur tous les autres sites sont supérieures à 0,06 mg/L. La contamination des puits par le nitrate constitue un grand problème de santé publique car dans certains quartiers périphériques de Cotonou, l'eau de puits continue d'être consommée sans traitement préalable. L'effet le plus grave et le plus anciennement connu des nitrates est la méthémoglobinémie. Les résultats des analyses bactériologiques de l'eau du lac sont représentés sur les Figures 11, 12 et 13. Ces figures montrent que les valeurs les plus élevées des germes bactériologiques ont été enregistrées à Ahouansori, une localité dépourvue de toute disposition d'assainissement et fortement peuplée. Ainsi, la concentration des coliformes totaux avoisine 12000 /100 mL, celle des coliformes fécaux est de 40000 /100 mL et enfin celle des streptocoques fécaux 40000 /100 mL. Pour évaluer l'influence de la forte pollution fécale du lac à cet endroit, il a été procédé à des analyses bactériologiques de l'eau des puits situés dans cette localité. Ces résultats sont portés dans le Tableau 3. Les résultats des analyses bactériologiques montrent la présence de streptocoques fécaux et de Clostridium dans les eaux de puits de certaines localités proches de la berge. La présence de microbes pathogènes comme les staphylocoques, Salmonella et Shigelle confirme la prévalence élevée de maladies diarrhéiques et de dermatoses signalée par les agents de santé des localités lacustres. Les principales sources de pollution organique du lac sont d'une part le dépôt des branchages dans le lac (Photo 1) et d'autre part les dépotoirs sauvages d'ordure implantés le long de la berge du lac Nokoué à Cotonou (Photo 2). 1595 F. DOVONOU et al. / Int. J. Biol. Chem. Sci. 5(4): 1590-1602, 2011 Figure 1 : Localisation de la zone d'étude. Figure 3 : Matières solides en suspension des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 4 : Teneurs en oxygène dissous des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 5 : Demande biochimique en oxygène des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 6 : Demande chimique en oxygène des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 7 : Teneur en ammonium des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées. . Figure 8 : Teneur en phosphate des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 9 : Teneur en nitrate des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 10 : Teneur en nitrites des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 11 : Teneur en coliformes fécaux des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 12 : Teneur en coliformes totaux des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Figure 13 : Teneur en streptocoques fécaux des eaux du lac Nokoué selon les stations sélectionnées (2007). Tableau 3 : Résultats des analyses bactériologiques de l'eau de certains puits de Ahouansori Towéta 1.
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