3.2- Question de recherche
Les actions à travers lesquelles intervient l'ANCAR au
niveau des organisations de producteurs relèvent-elles d'une logique
d'appui ou d'une logique d'encadrement ou bien encore d'une logique hybride?
3.3- Objectifs de recherche
L'objectif principal de cette étude est avant tout de
déterminer puis d'analyser les différentes actions de l'ANCAR
afin de cerner ou plus exactement de préciser quelle est
réellement la nature de la logique d'intervention de cette structure
à l'égard des organisations de producteurs. En d'autres termes,
il s'agit d'analyser la nature et le rôle de l'intervention de l'ANCAR
dans le développement agricole des OP de Gandon.
Cet objet sera analysé à partir d'une
étude de terrain portant non seulement sur l'ANCAR mais aussi sur une
Organisation de producteurs qui se déploie dans la communauté
rurale de Gandon. La première, c'est-à-dire l'ANCAR est
réputée pour être un des leviers en matière
d'accompagnement des producteurs au Sénégal du fait notamment de
la rupture qu'elle a pu opérer avec l'ancien système
d'encadrement du monde rural dans lequel, les institutions et services publics
appliquaient des politiques productivistes à travers une approche
descendante dans le but d'atteindre les objectifs de production
décidés par l'Etat.
En effet, pour mieux appréhender les dimensions de notre
question de recherche, trois objectifs spécifiques de recherche ont
été définis :
1. Apporter notre contribution à une meilleure
connaissance de la nature de l'intervention des organismes de
développement notamment l'ANCAR en identifiant les différentes
actions de celle-ci en direction des OP.
2. Comprendre non seulement le degré d'implication ou
de participation des producteurs en amont et en aval des diverses actions
menées par l'ANCAR mais aussi le degré d'appropriation par les
producteurs de ces multiples actions.
3.4- Conceptualisation
3.4-1- définition des concepts
Cette étude s'articule autour des concepts suivants :
organisation de producteurs, logique d'encadrement et logique d'appui.
Le concept d' « organisations de producteurs
»
Le concept d'Organisation Paysanne a fait l'objet d'une
littérature assez abondante dans le milieu scientifique. Pour rendre
intelligible ce concept, nous nous référons à quelques
auteurs comme Marie-Rose Mercoiret et Pierre-Marie Bosc, Rahmato et le
Réseau GAO qui ont beaucoup écrit sur cette notion.
Mercoiret et Bosc définissent d'abord les OP comme suit
: « Les OP sont des systèmes d'action collective qui ont des
règles de fonctionnement internes formalisées et relativement
stables et qui sont bties autour d'objectifs partagés Ces objectifs
communs n'excluent pas l'existence d'objectifs et d'intérêts
particuliers chez les différents membres, objectifs qui peuvent
être diversement convergents ou compatibles » (1994, p8).
Dans cette définition on notera que la
réalisation d' « objectifs partagés » est, à
l'instar de toute organisation la finalité des OP. Seulement ici,
Mercoiret et Bosc ont poussé leur analyse plus loin, car selon eux, les
« objectifs » et « intérêts » des membres
d'une OP ne sont pas toujours communs ; ils peuvent aussi être
personnels. Ce qui laisse entrevoir de probables luttes de pouvoirs et de
positionnement entre les différents membres de l'OP.
Selon Marie-Rose Mercoiret, la genèse des OP selon elle,
permet de distinguer deux grandes catégories : les OP suscitées
de l'extérieur et les OP d'initiatives locales.
La distinction entre les OP suscitées de
l'extérieur et celles d'initiatives locales et autonomes est utile pour
comprendre l'actuelle dynamique d'organisation dans les zones rurales.
1- D'abord les OP suscitées de l'extérieur,
résultant soit de l'intervention directe d'appareils administratifs
étatiques, soit des interventions de type « grands projets »,
soit enfin de l'action d'ONG. Elles sont nées de la
nécessité, ressentie en premier lieu, par les intervenants
extérieurs, d'«organiser les producteurs » pour qu'ils
puissent adopter une technique nouvelle ou exercer une fonction.
2- Ensuite les OP qui résultent d'une initiative
locale regroupées dans le mouvement associatif et autonomes par rapport
à l'État, même si elles peuvent entretenir de nombreuses
relations avec les services étatiques ou para-étatiques mais
aussi avec les ONG. Ces OP démarrent souvent après une longue
phase de réflexion sur des objectifs globaux (amélioration des
conditions d'existence, autosuffisance alimentaire, etc.) qu'elles tentent
ensuite de traduire dans les « plans locaux », dans les programmes
plus ou moins sectoriels ou dans les réalisations parfois très
spécifiques.
Rahmato quant à lui définit l'OP comme
étant : « Une structure formelle ou informelle à la
quelle prennent part les paysans et les paysannes et dont l'objectif majeur est
la poursuite d'avantages communs qu'ils obtiennent contre des obligations
communes » (1991, p44).Dans ce cas, les OP consistent donc en une
participation physique et financière.
Le réseau GAO cité par Dominique Sène
(2003) a également fait une analyse pertinente des OP en les assimilant
à des entreprises. En effet, du fait qu'elles sont de plus en plus
obsédées par l'argent. Avec l'omniprésence de la question
financière, on assiste au sein des OP, à de nouveaux modes
d'échange, de nouvelles manières d'établir des rapports
individuels : « Au fil des financements, les OP ne deviennent-elles
pas de plus en plus des entreprises et /ou seulement des entreprises? Au moment
de la création des OP, les considérations sociales, l'élan
de solidarité l'emportent, mais au fur et à mesure que l'OP
capitalise, le financier et l'économique s'installent et finissent par
contaminer les autres dimensions (k)Pendant le carrefour, les producteurs ne
sont pas beaucoup exprimés en termes de «
solidarité », de « foi »,
d' « autonomie »...demain parleront-ils en
termes de « ratio », d' «
efficacité », bref de tout ce qui fait le langage des
entreprises »(2003- 2004,p48).
Au vu de ce qui vient d'être énumérer, on
peut dire que les OP et les entreprises sont, par bien des aspects, analogues.
Cependant, dans le présent travail, nous définissons l'OP comme
étant une association autonome de paysans ou de paysannes bien
structurée, régie par
un statut juridique et dont les membres sont unis autour
d'objectifs apparemment communs mais stratégiquement individuels ;
objectifs dont la réalisation nécessite l'appui des intervenants
extérieurs. En plus, leur base sociale et leur efficacité
technique et économique leur permettent en effet de se positionner comme
des interlocuteurs à part entière, prêts à
négocier des collaborations des contrats, à condition que soient
pris en compte leurs objectifs et leurs priorités, que leur soit reconnu
le droit de participer à la prise de décision dans des domaines
où le transfert de responsabilité n'était pas initialement
prévu.
Le concept de « logique d'appui »
L' « appui », est un concept dérivé du
verbe « appuyer »qui signifie soutenir,
protéger, aider ou fournir un moyen d'action
à quelqu'un. Donc un appui est un soutien matériel ou
immatériel une assistance ou une protection. Appuyer quelqu'un, c'est
l'aider, le soutenir dans ce qu'il fait. Dans ce cas la logique d'appui est une
démarche adoptée par les agents des sociétés
d'intervention et s'adressant aux OP ou aux communautés rurales prises
dans leur ensemble avec l'espace qu'elles occupent. Il s'agit de les
accompagner dans leurs décisions en leur fournissant une assistance
matérielle ou immatérielle et un cadre institutionnel
nécessaire pour qu'elles puisent effectivement analyser leurs prises de
décisions innovatrices.
La logique d'appui pose le postulat selon lequel, les
intervenants doivent accompagner les initiatives, les décisions locales
émanant des producteurs eux-mêmes. Donc, l'initiative émane
des acteurs qui mobilisent des partenaires en vue de les appuyer à
réaliser leurs projets : l'identification de l'idée de projet, la
conduite, l'évaluation et les ajustements sont co-construits par les
acteurs locaux en rapport avec leurs différents partenaires. Autrement
dit, les acteurs locaux sont les co-porteurs ou les porteurs du projet, c'est
dire que leur participation couvre tout le processus d'intervention à la
fois en amont et en avale du processus de mise en oeuvre du projet. Les paysans
sont donc partie intégrante dans le processus du développement,
depuis l'identification de l'idée jusqu'à l'évaluation
finale.
En outre, le milieu ne doit pas être
considéré comme étant un simple point d'application et
d'orientation des initiatives de développement décidées
par des partenaires extérieurs à partir d'analyse externes,
d'objectifs uniquement macro-économiques définis aux
échelons nationaux et régionaux. Le milieu local doit être
reconnu à la société et aux acteurs qui le composent pour
définir les orientations et les modalités de leur propre
développement socio-économique et culturel en relation
négociée avec les acteurs extérieurs. Aussi, dans une
logique d'appui, l'intervention est participative et les critères
d'évaluation ne restent pas
soumis aux seuls indicateurs administratifs, technicistes et
marchands, mais ils intègrent l'action ou le projet comme fait social
total. Cette logique s'oppose à une simple diffusion d'innovations et un
simple transfert technologique : elle valorise un ancrage socio-territorial du
processus d'innovations. Autrement dit, elle insiste sur la nécessaire
appropriation locale, sur le construit social parce que soumise à un
processus d'apprentissage qui opère à travers une dynamique
d'essai-erreur et ne conçoit pas comme un processus linéaire et
parfait. Cette logique privilégie l'approche programme en lieu et place
de l'approche projet (S. Ndiaye, 2008).
En somme, la logique d'appui place les organismes de
développement au second plan. Et selon M.R. Mercoiret l'appui aux OP
peut se concevoir en sept étapes : 1) l'identification de fonctions qui
justifient une OP ;2) l'analyse des structures existantes, de leurs forces, de
leurs faiblesses ; 3) l'information sur les innovations économiques et
sociales disponibles ; 4) la discussion des formes d'organisation par les
producteurs et leur adaptation ;5) l'élaboration de contrats avec les
autres partenaires ; 6) l'appui au fonctionnement ; 7) la formation des
responsables et des gestionnaires, (Mercoiret, 1990 :52-53).
Le concept de « logique d'encadrement
»
L' « encadrement » est le substantif issu du verbe
« encadrer » qui signifie entourer quelque chose d'un cadre. Ce qui
fait que le terme encadrement désigne l'action d'entourer à la
manière d'un cadre qui orne ou limite. La logique d'encadrement, si l'on
peut ainsi dire, se pose en s'opposant à la logique d'appui. Elle
commence depuis la constitution de l'OP, c'està-dire qu'il y'a des OP
qui sont constituées non pas par l'initiative locale des paysans mais
plutôt par celle des organismes extérieur. Il s'agit des OP que
Mercoiret nomme les OP suscitées par les grands appareils de
développement (Etat, ONG, etc.) Les principales caractéristiques
de ces OP, selon elle sont le fait que : « Les modalités
d'organisation ont été définies par les intervenants
extérieurs et ont rarement été négociables ; les
paysans ont été obligés d'adhérer à ces
organisations pour avoir accès aux intrants, au matériel agricole
et au crédit, mais aussi pour écouler leurs productions car elles
ont eu à ici et là le monopole de la commercialisation, les
sociétés de développement ont exercées une tutelle
sur les OP, une dépendance est parfois des conflits en ont
résulté », (Mercoiret, 1994 :206).
Dans cette logique, le processus et la dynamique de l'action
sont dominés par l'État et les partenaires extérieurs, et
ce sont également ces derniers qui définissent les initiatives
aux OP. Aussi, la conduite et l'évaluation ou encore les ajustements
liés au projet ou à la
dynamique sont presque du ressort exclusif de l'État ou
des partenaires intervenants. Alors, les paysans producteurs sont exclus de la
participation et ne jouent plus que le rôle de
bénéficiaires et d'exécuteurs, ils ne participent que
faiblement, sinon méme pas à l'identification de l'idée de
projet, à la construction des modalités de gestion, aux instances
de validation ou d'évaluation du processus. A la différence de la
logique d'appui, celle-ci a une courbe descendante (logique top down),
c'est-à-dire que ce sont les experts du sommet qui analysent et
choisissent les décisions à la place des producteurs de la base
qui ne sont là que pour exécuter. Nous sommes ici dans le cadre
de l'État central, dirigiste, techniciste, interventionniste et «
développeur " qui opère selon la logique du transfert
technologique pour plus de productivité. Et l'approche d'intervention
privilégiée par cette logique est l'approche projet. Ainsi le
terrain ou le territoire se présente comme un simple milieu
d'application et d'expérimentation des initiatives politiques, des
décisions et des techniques qui ont été
transférées du sommet vers le bas. Tout ce qui est savoir et
savoir-faire ou mode d'organisation locale, c'est-à-dire les techniques
traditionnelles construites de l'intérieur des communautés de
base sont considérées comme des contraintes, des freins à
l'avancement ou à l'épanouissement et sont incapables de soutenir
le progrès, (S. Ndiaye, 2008). Les agents experts sont ici comme une
sorte de « repoussoir " car disant aux paysans « votre pratique
est mauvaise », ce qui fait qu'elle a été peu prise en
compte et encore plus rarement valorisée. Il s'agit en somme d'un
schéma du type « ceux qui savent " viennent apprendre ou
montrer à « ceux qui ne savent pas » et ce
schéma, méme s'il est caricatural a existé et existe
toujours avec ses multiples variantes.
|