25/11/2011
M2TI
FINANCEMENT DE NAVIRES VERTS : UNE RENTABILITE INCERTAINE ?
GUILLEM SALLES
MEMOIRE DE FIN D'ETUDES SOUS LA DIRECTION DE MME
FRANÇOISE ODIER
MAITRE D'APPRENTISSAGE : MME FRANÇOISE ODIER
Université Paris-I Panthéon Sorbonne
REMERCIEMENTS
Je tiens a remercier Françoise Odier, maître
d'apprentissage et directeur de mémoire compréhensive,
réactive et toujours de bon conseil.
Je remercie également Christine Blanc-Léonard,
Responsable du Middle Office Shipping et Aviation de BNP Paribas pour son
soutien, sa disponibilité et ses conseils prodigués tout au long
de ces deux ans d'apprentissage passés a Paris et Athènes.
Merci à M. Jean-Marc Morant pour ses conseils
éclairés et éclairants en matière d'analyse
crédit et de financements maritimes.
Je souhaiterais exprimer ma gratitude envers M. Philippe
Rondeau, Responsable Qualité, Sécurité,
Sûreté et Environnement au sein d'Armateurs de France pour
l'entretien qu'il m'a accordé en vue de la réalisation de ce
mémoire.
Enfin, je remercie toute l'équipe pédagogique du
Master 2 Transports Internationaux de l'Université Paris I
Panthéon-Sorbonne pour sa compréhension quant à la remise
légèrement différée de ce travail.
Table des matières
Introduction 5
I) Une rentabilité de principe
préservée malgré des surcoûts 10
A) Shipping vert shipping cher : des surcoûts
intrinsèques et opérationnels... 10
1) Des surcoûts liés aux caractéristiques
physiques des navires verts 10
a) Design, performance énergétique et
surcoûts 14
b) Carburants alternatifs et surcoûts 17
c) Energies renouvelables et surcoûts 18
2) Des surcoûts liés à l'exploitation de ces
navires 20
B) ...Compensés par une diminution des coûts
d'exploitation 27
1) Une baisse massive des coûts de soute 27
2) Incitations et effet d'engrenage écologique 34
a) Des incitations mises en place par les autorités
publiques 34
b) Un effet d'engrenage qui aurait tendance a gagner le secteur
privé 37
II) Une rentabilité menacée par de lourdes
incertitudes 42
A) Des incertitudes liées a l'impact des mesures
environnementales sur l'économie du navire... .. 42
1) Des arbitrages préjudiciables à la
rentabilité du navire 42
a) Des arbitrages aux effets pervers : le risque d'un
shipping a deux vitesses 43
b) Des arbitrages qui risquent de grever la
compétitivité du transport maritime 45
2) Des inconnues susceptibles de peser lourd sur la
viabilité des financements 49
a) Des inconnues concernant les navires et les armateurs 49
b) Des inconnues concernant l'industrie maritime 52
B) Navires verts : la finance jouera-t-elle le jeu ?~ 42
1) Un manque de recul et d'expérience synonyme de
frilosité de la part des banquiers 42
a) Un recul et une connaissance insuffisante vis-à-vis de
ce type de projet 57
b) Une frilosité potentielle a l'égard de ce type
de projet 59
2) Multiplication des sources de financement et image verte : des
garanties solides 64
a) La multiplication des sources de financement, garantie de
l'accès au crédit 64
b) L'image verte, une figure imposée pour les banques
commerciales 65
Conclusion 67
Bibliographie 68
Annexes 71
TABLE DES FIGURES
Figure 1 : Rapport vitesse/puissance en eaux calmes pour
un porte-conteneur de 130 Mètres 11
Figure 2 : Répartition de la dépense
d'énergie d'un navire « standard ~ dans des conditions
d'exploitation normales 12
Figure 3 : Proue standard et proue « hache »
mise au point par NKK pour améliorer la performance
énergétique des navires 15
Figure 4 : Contre-hélice (Kanome®) et
tuyère (Mewis®) 16
Figure 5 : navire Nippon Yusen Kaisha (NYK)
équipé de panneaux photovoltaïques 19
Figure 6 : Propulsion additionnelle par cerf-volant
19
Figure 7 : Evolution des prix du IFO 380 et du MGO
à Rotterdam et prix du brut (en USD) 25
Figure 8 : Consommation d'énergie estimée -
avancées technologiques 30
Figure 9 : Evolution des prix de l'IFO 380 en 2011
33
Figure 10 La relation taux de profit / economies
d'énergie 43
Figure 11 Breakeven, revenus du navire et
viabilité du financement 48
Figure 12 : Montage classique d'un financement maritime
49
Figure 13 : Evolution des prix des navires-citerne
(2010-2012) 53
Figure 14 : Evolution des prix des vraquiers (2010-2012)
53
Figure 15 : Exercice de value to loan navire
standard/navire vert (Fictif) 60
TABLE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Estimation du risque technologique et du
coût d'information 21
Tableau 2 : Caractéristiques des différents
types de carburants 23
Tableau 3 : Gains de soutes permis par les nouvelles
technologies 28
Tableau 4 : Part des coûts de soutes dans les
coûts totaux d'un porte-conteneurs en fonction des prix du fioul, de la
taille du navire et de la vitesse d'exploitation 31
Tableau 5 : Evolution des prix de l'IFO 380 dans certains
ports 32
Tableau 6 : Principales caractéristiques des
services de ligne régulière conteneurisées,
Janvier 2010 39
Tableau 7: Impact du slow steaming sur les
émissions de Co2 par ligne (période 2008-2010) 40
INTRODUCTION
« Tout armateur qui s'accroche encore a l'idée
que le débat sur le changement climatique n'affectera pas les grandes
décisions à prendre dans les cinq ans à venir et les
modèles économiques en vigueur actuellement dans l'industrie
maritime est terriblement mal renseigné ».
C'est en ces termes que Forum for the future, un
think tank soutenu par des grands noms de l'industrie du transport
maritime -Maersk, Tsakos, Lloyd's Register, etc.- lançait en mai dernier
dans Lloyd's List1 sa Sustainable Shipping Initiative, une
réflexion commune pour un transport maritime plus respectueux de
l'environnement.
Cette initiative vers un shipping durable faisait entre autres
la part belle aux « navires verts », destinés a
améliorer l'empreinte écologique du transport maritime dans les
décennies à venir.
Le navire vert peut se définir comme tout navire de
commerce -assurant aussi bien au transport de marchandises que de passagers-
qui utiliserait une technologie destinée à réduire son
empreinte écologique, ou dont l'exploitation se ferait en
intégrant des considérations environnementales.
Nous désignerons par financement les prêts que
les banques commerciales peuvent concéder aux armateurs. Pour plus de
lisibilité, ces prêts commerciaux seront envisagés tout au
long du devoir dans leur configuration la plus classique, a savoir une somme
d'argent prêtée a un armateur par le biais d'une structure
juridique ad hoc -et remboursée à dates fixes selon un
échéancier défini- avec en contrepartie une garantie
hypothécaire2 sur le navire financé.
Le transport maritime est responsable d'un certain nombre
d'émissions de gaz dans l'atmosphère. En brûlant du fioul
lourd pour se déplacer, les navires rejettent principalement des gaz
à effet de serre (CO2, CH4, N2O, HFCs, PFCs, SF6), directement
visés par le Protocole de Kyoto, ainsi que d'autres substances (NOx,
NMVOC, CO, PM, SOx)3.
Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal gaz rejeté
par les navires. L'Organisation Maritime Internationale (OMI) a calculé
qu'en 2007 le transport maritime4 a émis 1046 millions de
tonnes de Co2, ce qui correspond à 3,3% du total des émissions
globales à travers le monde5. Parmi les autres modes de
transport, l'aviation représentait 1,9% des émissions, le rail
0,5% et la route 21,3% (Voir
1 Lloyd's List, Sustainable shipping gets more
industry clout, 23 mai 2011.
2 Ainsi que d'autres garanties telles qu'une
délégation des assurances, des revenus du navire, une garantie
d'une société ou une garantie personnelle, un nantissement
d'actions.
3 Second IMO Greenhouse gases Study, 2009.
4 Egalement appelé shipping en
anglais, terme que nous nous permettrons d'utiliser dans ce devoir au vu de son
omniprésence dans le jargon de l'industrie maritime, fut-elle
française.
5 Ibid.
Annexe 1). Le transport maritime est par ailleurs le mode de
transport le moins polluant à la tonnekilomètre6 (Voir
Annexe 2).
Outre le CO2, les shipping rejette également
des oxydes d'azote (NOx) et des oxydes de soufre (SOx). Le rejet de ces trois
gaz (CO2, NOx et SOx) dans l'atmosphère constitue la principale source
d'inquiétude pour l'OMI et ses Etats membres, compte tenu de leur niveau
d'émission et de leur importante contribution au réchauffement
climatique (CO2) ainsi qu'à la pollution de l'air et a la
dégradation des écosystèmes terrestres et marins (NOx et
SOx)7.
C'est pourquoi nous nous focaliserons principalement sur les
rejets de ces trois gaz au cours de la présente réflexion.
L'OMI prévoit dans des scenarios « fil de l'eau
» que si rien n'est fait d'ici a 2050, le niveau d'émission de CO2
du transport maritime pourrait connaître une augmentation de 150%
à 250% par rapport à 2007, et représenter de ce fait 12% a
18% des émissions totales de Co2 a l'échelle
mondiale8.
Face a ces chiffres alarmistes, l'OMI a décidé
de réagir en révisant l'Annexe VI de la Convention Marpol 73/78,
Annexe entré en vigueur en 2005 et qui concerne la «
Prévention de la pollution de l'air par les navires ». Cet annexe
limitait entre autres les émissions de gaz toxiques dans les
fumées des navires.
Sa révision en octobre 2008 a eu pour
conséquence de réduire les niveaux d'émission de NOx et de
SOx et de créer des zones de contrôle des
émissions9 (dites zones SECA pour Sulphur Emission
Control Areas et plus communément appelées ECA) de ces
polluants.
Le nouvel Annexe abaisse ainsi la limite des émissions
de SOx à 3,5% au 1er janvier 2012 (contre
4,5% actuellement) et à 0,5% au 1er janvier 2020 sur
toutes les mers du globe. Au sein des zones ECA, le
6 Ibid.
7 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008 et International Transport Workers' Federation, Shipping
emissions, 2009.
8 Second IMO Greenhouse gases Study, 2009.
9 Sont définies comme zones ECA
définies par l'Annexe VI de la Convention Marpol : La Mer Baltique et la
Mer du Nord (SOx), ainsi que les côtes de l'Amérique du Nord (SOx,
NOx et rejet de particules) depuis le 11 août 2011. A noter que les
côtes des Etats-Unis et la Mer des Caraïbes (SOx, NOx et rejet de
particules) deviendront zone ECA au 1er janvier 2013.
D'autres zones (Les côtes de l'Union Européenne,
celles du Japon, de Singapour) pourraient le devenir dans le futur. Cf.
www.imo.org.
niveau d'émission de SOx a été ramené
a 1% au 1er juillet 2010 (contre 1,5% auparavant), et il sera
abaissé à 0,1% au 1er janvier 201510.
Pour ce qui est des NOx, l'OMI a décidé de
limiter progressivement leur niveau de rejet par les moteurs diesel
installés à bord des navires en instaurant différents
paliers d'émissions.
Ainsi le (( Niveau 2 »11 est venu limiter le
niveau d'émission de NOx des moteurs construits a partir du 1er janvier
2011 (réduction de 20% des émissions de NOx par rapport au Niveau
I), et le (( Niveau III » viendra quant à lui limiter le niveau
d'émission de NOx des moteurs construits a partir du 1er
janvier 2016 (réduction de 80% des émissions de NOx par rapport
au Niveau I).
D'autre part, afin de réduire le niveau
d'émissions de CO2, l'OMI a de nouveau amendé l'Annexe VI de la
Convention Marpol le 15 juillet 2011, en y intégrant des dispositions
relatives à la performance environnementale des navires.
Le nouveau texte prévoit qu'à partir de 2013,
tous les nouveaux navires de plus de 400 tonnes12 devront se
conformer aux valeurs de référence de l'Energy Efficiency Design
Index (EEDI)13, et ainsi améliorer de 10% leur
efficacité énergétique. Ce pourcentage sera porté
à 20% en 2020 et 30% en 2024. L'objectif est de réduire les
émissions de CO2 de 180 a 240 millions de tonnes d'ici a 20230
Le principe est simple : l'OMI considère que ces 10%
d'économies d'énergies entrainent mathématiquement une
réduction de 10% des besoins en carburants du navire, et partant une
réduction de 10% des émissions de CO2.
10
www.imo.org.
11 Appelé (( Tier II » en anglais. Le
niveau II est appelé (( Tier II » et (( Tier III ». A noter
que le niveau Tier II sera applicaple a l'ensemble des moteurs diesel de
navires exploités sur toutes les mers du globe, alors que le niveau Tier
III ne concernera que les moteurs des navires exploités dans les zones
ECA.
Il existe également un Tier I qui correspond à
tous les moteurs fabriqués entre 1990 et 2000 et qui impose une certaine
réduction du niveau de NOx (( sous réserve de
disponibilité de kits certifiés de réduction des
émissions de NOx ».Cf Ibid.
12 A l'exception des rouliers, des navires à
passagers et des navires équipés de systèmes de propulsion
dits (( non standards », à savoir autres que ceux fonctionnant
uniquement au fioul. Cf. Ibid.
13 L'EEDI est le fruit du calcul suivant :
Emissions de Co2 / transport effectué où les (( émissions
» représentent la quantité de CO2 émise par un navire
suite au processus de combustion du fioul en tenant compte de la teneur en
carbone du fioul utilisé et le (( transport effectué »
représente la capacité du navire (en tonnes de port en lourd)
multipliée par la vitesse du navire en charge maximale autorisée
à 75% de la puissance des
moteurs.
Cf.www.imo.org.
En parallèle, la révision du texte
prévoit également un Ship Energy Management Plan (SEEMP) qui
comprend une série de mécanismes destinés a
améliorer l'efficacité énergétique14 des
navires en cours d'exploitation. Le SEEMP sera rattaché au Safety
Management Plan.
Une nouvelle génération de navires « verts
» est donc appelée à coexister avec les navires actuels,
jusqu'à progressivement les remplacer complètement dans une
vingtaine ou une trentaine d'années en fonction des cycles de vie des
navires observés dans l'industrie15.
Les banques commerciales, en tant qu'acteur incontournable du
financement de l'industrie maritime, seront appelées à financer
ses navires.
L'intérêt des financiers pour le shipping
en Europe n'est pas nouveau.
Il remonte en effet au XVIème siècle, quand de
riches particuliers ont commencé à financer des navires sous des
structures juridiques relativement rudimentaires et à
responsabilité limitée16 L'engouement pour le
transport maritime a dès lors connu des hauts et des bas, et n'a pas
évolué de manière notable jusque dans la seconde
moitié du XIXème siècle avec les premiers balbutiements
des crédits hypothécaires dans le maritime. Il faut dire
qu'à cette époque-là les montants prêtés
étaient faibles tant en valeur absolue qu'au regard de la valeur des
navires ; l'autofinancement était la norme, et l'emprunt peu ou prou
l'exception17.
Cette réalité perdura jusqu'à la fin de
la Seconde Guerre Mondiale et ce n'est que dans les années 1950, sous
l'effet du développement économique des Etats-Unis, du Japon et
de l'Europe que la demande de navires neufs décolla
véritablement, et avec elles les besoins de financement. La flotte
mondiale crût à un rythme soutenu, et le crédit se
structura peu à peu, dominé jusque dans les années 1970
par des financements dont le remboursement était calculé en
fonction des sommes payées par les affréteurs aux emprunteurs,
des contrats d'affrètement a temps qui liant les deux parties.
Depuis les années 1970, les banques commerciales sont
restées les acteurs principaux du financement de la flotte mondiale.
Toutefois, les dernières 25-30 années ont vu émerger de
nouveaux acteurs -Fonds d'investissement KG en Allemagne, KS en Norvège
etc.- et de nouveaux produits financiers à destination des armateurs.
14 On compte a ce titre des innovations sur la coque,
le système de propulsion, l'entretien du navire, etc. Voir infra I) A)
1) Des surcoûts liés aux caractéristiques physiques des
navires verts.
15 Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney
Books, 2006.
16 Ibid.
17 Ibid.
Les banques commerciales restent toutefois maîtresses du
marché, puisqu'elles fournissaient encore 70% des besoins de l'industrie
en 200618.
La pérennité des financements de navires repose
sur deux facteurs : la capacité du banquier à estimer le risque
et sa capacité a sécuriser les prêts, c'est-à-dire
pouvoir récupérer la somme prêtée même en cas
de défaut du client19. Cette constante vaut pour tous les
financements, même si les types d'actifs financés (vraquiers,
navires citernes, porte-conteneurs, offshore etc.) vont présenter des
risques spécifiques qui appelleront des solutions de financement
adaptées.
La sécurisation des prêts passe par deux
variables : la valeur du navire, qui doit être de nature à couvrir
la créance à tout moment du prêt, et les revenus du navire,
qui doivent théoriquement permettre à eux seuls le remboursement
des mensualités du crédit.
Les mesures environnementales décrites plus haut et
adoptées par l'OMI risquent d'avoir un impact sur l'économie des
navires. En effet, les conséquences financières de ces
dernières, de par les surcoûts qu'elles engendrent pour les
armateurs, pourraient modifier les équilibres actuels et peser tant sur
leur capacité à se voir octroyer des crédits que sur celle
à les rembourser.
Il s'agira pour nous moins de chiffrer les surcoûts
engendrés par ces mesures environnementales que d'examiner leur effet
sur l'économie des navires et in fine sur la pérennisation des
financements maritimes dans leur configuration actuelle.
Dès lors, le financement des navires verts sera-t-il
rentable pour les banques commerciales ?
L'examen de cette question montre bien qu'en dépit de
certains surcoûts liés a l'application des nouvelles mesures
environnementales décidées par l'IMO, la rentabilité de
principe des financements est préservée (I). Toutefois, les
lourdes incertitudes qui pèsent encore sur l'impact financier de ces
mesures -eu égard à leur caractère récent- pourrait
potentiellement hypothéquer cette rentabilité (II).
18 Ibid.
19 Ibid.
I) Une rentabilité de principe
préservée malgré des surcoûts
Le shipping vert suppose certains surcoûts
intrinsèques et opérationnels (A) qui devraient être
néanmoins compensés par une diminution des coûts
d'exploitation (B).
A) Shipping vert shipping cher : des surcoûts
intrinsèques et opérationnels...
Les surcoûts intrinsèques correspondent aux
caractéristiques physiques des navires verts (1), alors que les
surcoûts opérationnels se rapportent quant a eux a l'exploitation
de ces navires (2).
1) Des surcoûts liés aux
caractéristiques physiques des navires verts
L'émergence d'une réflexion globale sur la
nécessaire réduction des émissions de Co2, de NOx et de
SOx dans le transport maritime a amené l'industrie à se pencher
sur ces problématiques. Les armateurs ont ainsi travaillé a
l'adoption de solutions techniques visant a atteindre cet objectif de
réduction des émissions et d'amélioration de l'empreinte
écologique du shipping. Ce travail de fond sur les
caractéristiques physiques des navires entraine des surcoûts
à la construction.
Toutefois, avant d'examiner les solutions mises en oeuvre pour
réduire les émissions provenant des navires, il convient de
rappeler quelques fondamentaux en matière de propulsion des navires et
d'utilisation d'énergie en matière de navigation.
Dans un rapport20 de 2008 sur les tendances,
projections et possibilités de réduction des gaz à effets
de serre provenant du transport maritime, l'AEA rappelait en effet que la
navigation en mer implique que « le navire est confronté à
diverses formes de résistance, qui peuvent être surmontées
grâce à l'énergie de propulsion ». Ces
résistances sont au nombre de cinq :
- Résistance frictionnelle de la coque dans l'eau
- Résistance due à la formation de vagues autour du
navire
- Résistance du « tourbillon ~, qui correspond a
l'énergie perdue consécutivement a la formation d'un tourbillon a
l'arrière du navire
- Résistance a l'air, variable en fonction de la force et
la direction du vent
20 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
- Résistance induite, générée par les
appendices du navire.
C'est l'énergie de propulsion qui va permettre au
navire de vaincre ces résistances et de se mouvoir sur l'eau. Le
déplacement du navire est le fruit d'une relation cubique entre la
puissance nécessaire à l'obtention de la vitesse21. On
considère dès lors que Puissance =
Vitesse3 (Voir Figure 1 ci-dessous).
Figure 1 : Rapport vitesse/puissance en eaux calmes
pour un porte-conteneur de 130 mètres de long
Source : AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
Les armateurs sont donc confrontés à un
défi simple en matière de navires verts : améliorer la
performance énergétique et écologique de ces derniers.
Cela implique de diminuer la consommation de fioul -et partant les
émissions de Co2- tout en conservant un niveau de puissance de
propulsion égal.
21 Ibid.
Avant d'examiner les solutions techniques qui s'offrent aux
armateurs pour améliorer l'efficacité énergétique
de leurs navires, il convient d'examiner comment est répartie la
consommation d'énergie dans un navire commercial (Voir figure 2
Ci-dessous).
Cette analyse va déterminer les domaines techniques dans
lesquels des solutions doivent être apportées pour
améliorer l'efficacité énergétique des navires.
Figure 2 : Répartition de la dépense
d'énergie d'un navire « standard » dans des conditions
d'exploitation normales
Source : AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
La Figure 2 détaille les postes de répartition de
la dépense énergétique d'un navire. Nous pouvons en
conclure, en arrondissant les chiffres, que :
- La production de chaleur -Chaleur destinée a produire
de l'électricité, a chauffer le fuel et le navire
(heat), a laquelle vient s'ajouter la chaleur d'échappement
(exhaust)- représente en moyenne 45% de la dépense
énergétique d'un navire.
- L'énergie destinée a la propulsion du navire
-qu'il s'agisse des hélices (Axial propeller, rotational propeller,
propeller) ou de l'arbre d'hélice (transmission)-
représente en moyenne 20% de la dépense énergétique
d'un navire.
- L'énergie destinée a vaincre les
résistances -résistances de l'eau (wave, hull, residual
hull) et de l'air (air)- représente en moyenne 30% de la
dépense énergétique d'un navire.
- L'énergie destinée a l'alimentation auxiliaire
(auxiliary) représente en moyenne 5% de la dépense
énergétique d'un navire.
Afin de réduire ces postes de dépense,
architectes navals, armateurs et chantiers ont évalué l'impact
d'une modification des caractéristiques physiques des navires (coque,
superstructure, hélices, machines, moyen de propulsion etc.) sur leur
niveau d'émission de Co2.
L'idée à partir de laquelle ont travaillé
armateurs et techniciens est de cibler dans un premier temps un poste de
dépense énergétique (Cf Figure 2) avant de travailler
à sa réduction tout en conservant un niveau de propulsion
constant.
L'industrie du shipping tend à privilégier trois
pistes de réflexion22 pour améliorer l'empreinte
écologique des navires a partir d'une transformation physique de ceux-ci
: les améliorations au niveau du design du navire,
l'utilisation de carburants alternatifs, voire même
d'énergies renouvelables.
22 L'ensemble de nos recherches nous a permis de
dresser un inventaire relativement exhaustif des transformations physiques et
des évolutions technologiques utilisées par les armateurs pour
améliorer la performance énergétique de leurs navires.
Certaines sont déjà a pied d'oeuvre, d'autres sont encore a
l'étude, d'autres encore relèvent davantage du fantasme que d'une
hypothétique réalité compte tenu des avancées
technologiques du moment.
L'ensemble des transformations évoquées dans ce
travail a été puisé dans des sources telles que AEA Energy
and Environment, Greenhouse gas emissions from shipping: trends,
projections and abatements, September 2008, Dragos Rauta (Intertanko)
Shipping : advancing from green to greener, July 2010, ainsi que toute une
série de documents mis a disposition par l' Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) en
marge de son atelier de réflexion intitulé « Workshop on
Green Growth in Shipbuilding »..
a) Design, performance énergétique et
surcoûts
Le design du navire peut aboutir à des
réductions significatives en termes de consommation de fioul et
d'émissions de Co2. Toutefois, ce travail supplémentaire suppose
un surcoût a l'achat pour l'armateur, surcoût dont l'importance
augmentera proportionnellement a la spécificité du navire.
Les modifications du design du navire supposent deux
surcoûts pour l'armateur : les seuls calculs destinés a
l'optimisation du design constituent un premier surcoût ; surcoût
en termes de rémunération des designers et architectes navals
associés tout au long du processus de conception du navire.
Par ailleurs, le chantier naval sera également a
même d'exiger le paiement de frais supplémentaires destinés
a financer la construction d'un navire spécifique dans la mesure oi
celui-ci s'éloigne de facilités permises par la production en
série.
Ainsi, plus les plans du navire vert s'éloigneront des
plans « standards » du chantier, plus le prix du navire aura tendance
à augmenter.
En matière de design, des économies
d'énergie substantielles peuvent être réalisées sur
la base d'un travail d'optimisation de l'hydrodynamisme23 de la
coque du navire. La forme de cette dernière a un effet non
négligeable sur le besoin de propulsion du navire.
Ainsi, plus la coque est hydrodynamique, moins le navire a besoin
de puissance pour se mouvoir.
Différentes innovations ont été mises en
oeuvre récemment. Ainsi, au début des années 2000, le
chantier japonais Nippon Kokan (NKK) a réétudié le design
de la proue de ses vraquiers Capesize (Voir Figure 3 ci-dessous) pour augmenter
leur capacité à fendre les vagues et ainsi réduire leur
besoin d'énergie de propulsion pour un résultat
équivalent24.
23 A noter également que certains designers
travaillent également sur l'aérodynamisme de la superstructure du
navire. La prise au vent du « château » peut en effet se
révéler handicapante pour la progression du navire, notamment
pour ceux qui opèrent à des vitesses élevées.
In AEA Energy and Environment, Greenhouse gas emissions from
shipping: trends, projections and abatements, September 2008.
24 Voir
http://www.marinetalk.com/articles-marine-companies/art/Ax-Bow-Reduces-Ships-Sea-Margin-
NKK00214940TU.html
Figure 3 : Proue standard et proue « hache »
mise au point par NKK pour améliorer la performance
énergétique des navires
Source :
www.marinetalk.com
De nombreuses compagnies maritimes ont déjà
introduit ces évolutions sur leurs navires.
Le géant danois Maersk, pionnier en la matière,
a commandé en février 2011 au chantier naval coréen Daewoo
Shipbuilding & Marine Engineering Co., Ltd. une série de 10
porte-conteneurs de 18.000 Equivalent vingt pieds (EVP) dont la coque
répond aux exigences de l'EEDI25.
Maersk a annoncé un surcoût de l'ordre de 15% par
navire26, soit 30 Millions de Dollars sur un total de 190 Millions.
La livraison du premier navire est prévue pour 2013.
Dans le même temps, la compagnie norvégienne de
rouliers Wilh Wilhelmsen a annoncé la construction de deux navires
Roll-on Roll-off (Ro-Ro) dont le design de la coque a été
optimisé27. Le premier a été livré en
mai 2011, le second est prévu pour 2012.
En parallèle, des travaux ont été
menés pour améliorer l'efficacité des hélices des
navires, l'idée générale étant d'augmenter le
diamètre de l'hélice tout en réduisant sa vitesse de
rotation pour améliorer l'efficacité de la propulsion.
25 Voir Giants spark «green» doubts, in
Tradewinds 24 Février 2011.
26 Ibid.
27 Voir Steve Matthews, Wilhelmsen on course with
green innovation, in Lloyd's List 20 Mai 2011.
Toutefois, ces évolutions impliquent bien souvent des
surcoûts tels que l'ajout d'un boîtier réducteur afin
d'adapter la vitesse de rotation du moteur -trop importante- au fonctionnement
optimal du propulseur28.
La performance énergétique du navire peut
être également améliorée par le biais d'une
récupération d'énergie grâce à des
mécanismes tels que les tuyères ou les contre-hélices
(Voir Figure 4 ci-après). Louis Dreyfus Armateurs (LDA) a ainsi
commandé en avril dernier 8 nouveaux vraquiers (4 Capesize et 4
Handysize) équipés d'une tuyère Mewis (Mewis Duct ®)
qui « installée devant l'hélice (...) permet de
réguler l'écoulement de `eau et contribue a économiser
entre 5 et 7% du combustible »29. L'installation d'un tel
dispositif a sans aucun doute occasionné un surcoût, tant dans la
phase de conception que de réalisation30.
Figure 4 : Contre-hélice (Kanome®) et
tuyère (Mewis®)
Source : Yonghwan Kim, Green Ship Design & Technology,
The LRET Research Collegium Southampton, 11 July - 2 September 2011
Dernière évolution pouvant être
rattachée au design du navire, la présence de
récupérateurs de chaleur émise par les moteurs. Cette
chaleur peut être réinjectée dans le moteur, ou être
reliée à une turbine et ainsi fournir de
l'électricité au navire. Cette avancée a été
introduite dans la dernière génération de porte-conteneurs
de Maersk évoquée plus haut.
Les navires de Maersk et de Wilh Wilhelmsen
précédemment évoqués sont équipés de
tels dispositifs, qui ont là encore occasionné un surcoût
à la construction.
28 In
Wikipedia.org, Propulsion
Maritime.
29 In Louis Dreyfus Armateurs, Le Mag, Octobre
2011.
30 A noter que ce surcoût n'a pas
été mentionné dans « Le Mag de LDA », qui se
contente de livrer le coût global de construction des 8 vraquiers,
à savoir 330 Millions de Dollars.
b) Carburants alternatifs et surcoûts
Face a la hausse des prix du pétrole, les armateurs ont
également considéré l'utilisation de carburants
alternatifs.
Le gaz naturel liquéfié (GNL) s'est
progressivement imposé comme une alternative crédible au tout
pétrole, et est considéré par les observateurs du secteur
comme une solution d'avenir.
Son potentiel énergétique est
considérable et il n'émet quasiment pas de NOX, SOX ni de PM. En
outre, sa combustion rejette en moyenne 15% de Co2 en moins que le fioul
conventionnel31. Dernier avantage, son prix est moins
élevé que le fioul.
Toutefois, les navires a GNL restent aujourd'hui marginaux (10
navires en opération et 19 en commande en 200732) et leur
rayon d'action est limité par l'inexistence d'un véritable
réseau d'approvisionnement en GNL, condamnant ces navires à du
cabotage, en mer du Nord et en mer Baltique principalement33.
Ainsi, même si quelques projets ont vu le jour en
Norvège ou au Danemark, la technologie de propulsion au GNL est encore
chère, et il n'est pas un de ces projets qui n'ait fait l'objet de
subventions ou d'aides publiques34.
En parallèle, la possibilité d'utilisation d'un
carburant nucléaire a tenté certains armateurs, et s'est
progressivement affirmée comme une option plausible dans un contexte de
réduction des émissions de Co2. Une étude menée par
le Lloyd's Register35 concluait a la crédibilité d'une
telle option a l'avenir, malgré des surcoûts non
négligeables, notamment en matière de sécurité.
La catastrophe de Fukushima et les doutes qu'elle a
contribué a jeter sur l'énergie nucléaire semble cependant
avoir balayé une telle option.
31 Vilmar AEsoy, Per Magne Einang et Al., LNG-Fuelled
Engines and Fuel Systems for Medium-Speed Engines in Maritime Applications, SAE
Publications 2011.
32 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
33 Patrick Rondeau, Responsable Qualité,
Sécurité, Sûreté et Environnement au sein
d'Armateurs de France.
34 In Crunch looming on low sulphur fuel, Lloyd's List
28 janvier 2011.
35 Citée dans le Financial Times du 06
décembre 2010, Fuel restrictions steer shipping groups towards nuclear
options.
Enfin, l'utilisation de biocarburants revient souvent dans le
débat. Techniquement, leur utilisation est envisageable, seuls ou en
mélangés au fioul traditionnel36. Cela implique des
coûts de maintenance accrus destinés à éviter
l'encrassement des moteurs.
En outre, problème récurrent en matière
de biocarburants, leur utilisation massive réduit d'autant la production
de céréales destinées a l'alimentation, contribuant a
augmenter les prix de la nourriture37 : pour parodier la
célèbre formule, on peut dire à juste titre que
désormais, manger ou naviguer, il faudra choisir.
c) Energies renouvelables et surcoûts
Les énergies renouvelables sont pour leur part
considérées sous l'angle de carburant de complément
vis-à-vis du fioul traditionnel, ce qui diminue considérablement
leur attractivité, d'autant qu'elles nécessitent de lourds
investissements38, et que leur installation contrevient parfois a
l'opérabilité du navire39.
On parle ainsi d'utiliser l'énergie solaire par
l'installation de panneaux solaires ou de « voiles solaires » sur les
navires qui le permettent (voir figure 5 ci-après).
36 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 On imagine mal pouvoir installer des panneaux
photovoltaïques sur un porte-conteneur, dont les surfaces planes
exploitables pour l'installation de panneaux sont les conteneurs
alignés, qui font par ailleurs l'objet d'incessants chargements et
déchargements.
Figure 5 : navire Nippon Yusen Kaisha (NYK)
équipé de panneaux photovoltaïques
Source : Yonghwan Kim, Green Ship Design & Technology,
The LRET Research Collegium Southampton, 11 July - 2 September 2011
L'énergie éolienne est également
examinée comme énergie de complément pour la propulsion
des navires, sous forme de voiles traditionnelles, de « cerfs-volants
» (voir illustration ci-dessous), ou de « rotor Flettner ».
Figure 6 : Propulsion additionnelle par
cerf-volant
Source :
http://www.terre-finance.fr
2) Des surcoûts liés a l'exploitation de ces
navires
L'exploitation des navires verts décrits ci-avant suppose
également des surcoûts.
Ainsi, les navires utilisant du GNL ne peuvent se ravitailler
que dans les ports disposant des équipements et infrastructures
permettant cette opération. Cette contrainte a un effet négatif
sur l'économie du navire puisqu'elle influence ses itinéraires,
diminuant d'autant sa capacité de rayonnement commercial.
En outre, certaines technologies décrites plus haut
comportent des coûts cachés, notamment en termes de maintenance.
En effet, il y a fort a parier qu'une avarie sur un moteur fonctionnant au GNL
ou sur un panneau solaire ne pourra être réparée dans tous
les ports.
De même, les contrôles périodiques de ces
nouvelles technologies devront être réalisés dans certains
ports, contraignant de fait les les itinéraires des navires, à la
manière de ce que nous avons pu décrire plus haut en
matière de ravitaillement en GNL.
Parmi ces coûts cachés se trouvent les «
first of a kind costs »40 -coûts inhérents
à une première utilisation d'un outil ou a la première
application d'un processus- qui sont par ailleurs particulièrement
présents lorsqu'il s'agit d'utiliser des technologies nouvelles.
Les coûts de formation du personnel, le temps
nécessaire à la maîtrise de la nouvelle technologie sont de
bons exemples de ces « first of a kind costs ». Sans compter les
risques exogènes (accident, mauvaise utilisation etc.) que les
différents acteurs du transport maritime (Agents maritimes, pilotes,
manutentionnaires etc.) peuvent faire peser sur l'armateur par un défaut
d'information ou de maîtrise de ces nouvelles technologies.
Dans son rapport de 2008 sur les tendances, projections et
possibilités de réduction des gaz à effets de serre
provenant du transport maritime, l'AEA a évalué le risque d'une
première utilisation de certaines technologies par les armateurs (Voir
tableau ci-après).
Il en ressort un risque élevé en matière de
propulsion nucléaire ou a l'hydrogène41, et un risque
moyen pour le GNL, la voile, le cerf-volant et les biocarburants.
40 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
41 Nous avons fait le choix
délibéré de ne pas aborder la propulsion des navires a
l'hydrogène dans ce mémoire tant elle en est encore aujourd'hui a
ses balbutiements et n'est pas envisagée a ce stade comme une
perspective tangible par les armateurs et les acteurs du transport maritime.
Tableau 1 : Estimation du risque technologique et du
coût d'information
Source : AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
D'autre part, la peinture de la coque du navire peut se
révéler d'une grande importance en matière
d'économies d'énergie et donc de réduction des
émissions de Co2. Cette dépense d'opération du navire ne
doit en aucun cas être négligée.
En effet, la navigation contribue à fixer des «
salissures biologiques »42 et de « points de corrosion
»43 sur la coque. Comme le suggèrent Cl. Alzieu, M. Heral et J-P
Dreno dans la Revue Equinoxe44, ces phénomènes peuvent
avoir un impact important sur l'économie du navire :
- Perte de vitesse des navires, estimée dans certains cas
entre 0,5 et 1 noeud.
- Surconsommation de carburant due à l'augmentation de
la force de frottement de la coque sur l'eau ; elle peut atteindre 50% pour un
navire dont la coque est souillée sur le tiers de sa superficie, et
augmente a mesure que la vitesse d'opération du navire diminue.
42 « Les salissures biologiques sont le résultat de
la fixation d'organismes marins sur un support solide immergé. On
dénombre actuellement plus de 4 000 espèces responsables des
salissures sur les coques des navires, parmi lesquelles figurent les
microorganismes, des végétaux et une multitude d'animaux divers
» In Claude Alzieu M. Heral, J-P Dreno, Les peintures marines
antisalissures et leur impact sur l'ostréiculture, Equinoxe
n°24.
43 Ibid.
44 Ibid.
Ces effets sont autant de surcoûts pour un armateur ou un
exploitant qui se montrerait négligent dans la maintenance et
l'entretien du navire.
A noter également qu'il existe différentes
peintures antisalissures, et que ces dernières ont des coûts plus
ou moins importants en fonction de leur niveau de respect de l'environnement
marin45.
Les moins chères sont a base de cuivre, d'autres a base
de produits organiques se situent dans une gamme de prix intermédiaire,
alors que les plus chères constituent un revêtement
métallisé dont la durée d'efficacité est la plus
étendue46.
Mais c'est bien la législation sur les émissions de
soufre qui va représenter le plus grand des surcoûts
d'exploitation pour les armateurs.
Avant de détailler les effets de cette
législation, qui limitera les émissions de soufre à 0,1%
dans les ECA a l'horizon 2015 et à 0,5% dans le monde entier en 2020, il
convient de détailler brièvement les carburants utilisés
par les navires47. Sur une échelle croissante de prix, le
marché compte les carburants suivants (voir également tableau
ci-après):
- Le residual oil est le ou fioul lourd issu de la
distillation du pétrole brut. Son degré de viscosité est
élevé, et il n'est utilisé que par les grands navires et
nécessite un réchauffage avant son injection dans les moteurs. Sa
teneur en soufre et autres polluants est très importante et il est le
moins cher des carburants sur le marché.
- L'Intermediate fuel Oil (IFO) 380 est le carburant
standard des navires de commerce. Il est issu d'un mélange de
residual oil (98%) et de distillate oil (pétrole
raffiné, 2%). Sa teneur en soufre demeure forte (2,67%, voir tableau
ci-après).
45 In J. Krozer, K. Mass, B. Kothuis, Demonstration of
environmentally sound and cost-effective shipping, Journal of cleaner
production, 2003.
46 Ibid.
47 La typologie qui suit a continuation a
été tirée d'un Rapport réalisé par Theo
Notteboom, Eef Delhaye et Kris Vanherle, pour le compte de l'European Community
Shipowners' Associations (ECSA). Ce rapport, publié en janvier 2010,
s'intitule Analysis of the Consequences of Low Sulphur Fuel Requirements.
Pour une meilleure lisibilité du mémoire, nous
utiliserons à continuation les abréviations anglaises des
différentes sortes de fioul.
- L'Intermediate fuel Oil (IFO) 180 est lui issu d'un
mélange de residual oil (88%) et de distillate oil
(pétrole raffiné, 12%). Il est plus cher que l'IFO 380 en
raison de sa plus forte teneur en distillate oil. Son taux de soufre
reste le même (2,67%).
- Le Marine diesel oil (MDO) est essentiellement
composé de distillate oil et sa teneur en soufre est moins
importante que l'IFO (0,65%). Il est généralement utilisé
à quand le navire se déplace à vitesse très
réduite -principalement pour les manoeuvres dans les ports- en raison de
sa plus grande fluidité48.
- Le Marine Gas Oil (MGO) est exclusivement
composé de distillate oil et sa teneur en soufre est la plus
faible (0,38%). Il est également utilisé pour les manoeuvres.
Tableau 2 : Caractéristiques des
différents types de carburants présents sur le
marché
Source : Theo Notteboom, Eef Delhaye et Kris Vanherle,
Analysis of the Consequences of Low Sulphur Fuel Requirements,
European Community Shipowners' Associations (ECSA), January 2010.
48 En raison de sa viscosité, l'IFO est
utilisé comme carburant principal lorsque le navire est lancé en
vitesse de croisière et qu'il n'a pas a moduler sa vitesse de
façon rapprochée pour manoeuvrer. In Theo Notteboom et Bert
Vernimmen, The effect of high fuel costs on liner service configuration in
container shipping, Journal of Transport Geography, 2009.
Pour se conformer aux standards de l'OMI en matière de
soufre, les armateurs auront trois possibilités :
- Abandonner l'IFO 380 pour désormais brûler du
MGO à très basse teneur en soufre, ce qui aura un impact
très important en termes de coût. Notteboom, Delhaye et Vanherle
estiment qu'au vu de la variation des prix des différents carburants sur
le long terme (voir graphique ci-après), l'augmentation des coûts
de soutes pour les navires dans les zones ECA sera de 80 à 100% à
l'horizon 2015.
Une augmentation de l'ordre de 20 a 30% des coûts de
soute est a prévoir pour les armateurs du monde entier a l'horizon 2020
compte tenu de la fixation du taux de soufre à 0,5%.
Dans ces conditions, la rentabilité du transport
maritime, dans les zones ECA du moins, est clairement menacé. Ceci en
dépit des variations de prix des différents carburants, dont les
courbes reflètent sensiblement les mêmes tendances (Voir graphique
ci-après).
- Installer des épurateurs de fumées pour retenir
les particules de soufre. Ces « scrubbers »
constitueront d'ores et déjà un surcoût
pourtant difficile à estimer parce que cette technologie est encore a
l'étude aujourd'hui. Nous ne disposons pas a l'heure actuelle de
sonnées suffisantes pour déterminer si cette option serait plus
ou moins rentable que l'utilisation de distillates49.
- Acheter du IFO 380 préalablement
désulfuré par l'industrie pétrolière. Or, a ce
jour, ce carburant n'est pas disponible50. Une récente
étude51 a montré que l'industrie
pétrolière
49 Theo Notteboom, Eef Delhaye et Kris Vanherle, Analysis
of the Consequences of Low Sulphur Fuel Requirements, European Community
Shipowners' Associations (ECSA), January 2010.
50 Starcrest Consulting Group, LLC, Evaluation
Of Low Sulfur Marine Fuel Availability - Pacific Rim, July 2005. Cette
étude, commandée par le port de Los Angeles, montrait qu'en outre
des distillates à faible teneur en soufre ne pourraient
être complètement disponibles a l'échelle mondiale que dans
les ports de Rotterdam et du Havre et plus difficilement disponibles à
Vancouver, Los Angeles, New York, San Francisco, Seattle et Singapour.
Leur disponibilité ne serait que faible dans les ports
suivants : Acapulco (Mexique), Canal de Panama (Panama), Charleston, Honolulu,
Norfolk, Savannah (USA), Guangzhou, Hong Kong, Qingdao, Shanghai, Xingang
(Chine), Nagoya, Tokyo Bay (Japon), Port Klang (Malaisie), Keelung (Taiwan).
Ils seraient indisponibles dans les ports suivants : Xiamen
(Chine), Kobe (Japon), Tanjung Pelepas (Malaisie), Busan (Corée du Sud),
Kaohsiung (Taiwan).
51 Hein de Wilde, Pieter Kroon, Cleaner shipping:
Trade off between air pollution, costs and refinery Co2 emissions, 2008.
devrait investir 70 à 100 Milliards de Dollars pour
mettre un tel fioul à disposition des armateurs dans tous les grands
ports du monde. Elle ne semble pour l'instant pas disposée a assumer
seule un te coût.
Figure 7 : Evolution des prix du IFO 380 et du MGO
à Rotterdam et prix du brut (en USD)
Source : Theo Notteboom, Eef Delhaye et Kris Vanherle,
Analysis of the Consequences of Low Sulphur Fuel Requirements,
European Community Shipowners' Associations (ECSA), January 2010.
Ces alternatives font craindre une augmentation des taux de
fret et in fine un report modal au bénéfice de la route dans les
ECA, où le cabotage est en concurrence directe avec ce mode de
transport. Notteboom, Delhaye et Vanherle ont estimé l'augmentation des
taux de fret a 60% dans les ECA ainsi qu'une perte des volumes de l'ordre de
60%. Les armateurs de la région font régulièrement
état de leurs craintes sur ce sujet52.
52 In Shippers and forwarders reject shipowner's
low-sulphur claim, Lloyd's List 30 Juin 2011.
La question de l'abaissement du taux d'émission de
soufre a 0,5% dans toutes les mers du Globe a l'horizon 2020 semble loin
d'être tranchée. Interrogé a ce sujet, Patrick Rondeau,
Responsable Qualité, Sécurité, Sûreté et
Environnement au sein d'Armateurs de France indiquait que la Convention Marpol
prévoyait une clause de révision de son Annexe 6 a l'horizon
2018, et que d'ici là, le statut quo prévaudrait entre armateurs,
chargeurs et industrie pétrolière.
Nous venons de le voir, tant l'achat de navires verts que leur
exploitation supposent des surcoûts, car les technologies qu'ils
utilisent comportent un aspect novateur qui lui-même a un coût non
négligeable.
Pour autant, ces technologies permettent de réaliser des
économies substantielles sur les coûts d'exploitation du navire
vert, garantissant par là-même la rentabilité de son
financement.
B)... Compensés par une diminution des
coûts d'exploitation
La diminution des coûts d'exploitation provient en
majorité des économies au niveau des soutes du navire (1), et
peut être pérennisée par des incitations et un effet
d'engrenage écologique (2).
1) Une baisse massive des coûts de soutes
Tous les surcoûts liés aux caractéristiques
physiques des navires verts donnent lieu à des réductions
d'émissions de Co2 car ils impliquent une réduction de la
consommation de fioul.
Il importe de mesurer l'effet de ces avancées
technologiques sur la consommation de fioul avant d'aborder dans un second
temps l'impact de ces économies de fioul sur l'économie
générale du navire.
Dans son rapport de 2008 sur les tendances, projections et
possibilités de réduction des gaz à effets de serre
provenant du transport maritime, l'AEA a évalué l'impact des
différentes technologies sur la consommation de fioul.
Les résultats dépendent bien évidemment
de nombreux paramètres, et notamment de la taille des navires ainsi que
de leur spécialisation. Les résultats sont donc des valeurs
moyennes, quelque fois données sous la forme de fourchettes
destinées a rendre dompte d'une meilleure représentation de la
réalité.
Les travaux autour du design de la coque vers un meilleur
hydrodynamisme permettraient donc d'atteindre un gain de la consommation
d'énergie allant jusqu'à 30%.
L'aérodynamisme de la superstructure pourrait quant a
lui permettre une réduction de 1 a 5% de la consommation de fioul, en
fonction de la vitesse d'opération du navire ainsi que du volume de son
château.
En termes de propulsion, des innovations comme les
contre-hélices et les tuyères type Mewis®
permettraient quant a elles respectivement des économies de l'ordre de 6
a 20% et 10%.
En termes de dépenses d'exploitation, il est bon de noter
que le prix du GNL est inférieur à celui du fioul53,
tant en valeur absolue qu'à niveau de production
énergétique égal.
Les revêtements antisalissures de la coque permettent quant
à eux des économies allant de 10% à 15%.
Les énergies renouvelables servent plutôt
d'énergie d'appoint (l'énergie solaire permet notamment la
production d'électricité destinée a l'éclairage ou
le réchauffement de l'eau quand le navire est a quai), a l'exception
notable de l'utilisation du vent.
Une étude citée par l'AEA54 a
calculé les économies de fioul réalisée par trois
navires de commerce équipés de voiles. Les économies de
fioul allaient de 5% à 44% en fonction de la vitesse de navigation, des
conditions météorologiques et de la route adoptée par le
navire. La bonne moyenne semble se situer entre 15% et 20%.
D'autre part, une autre étude55 estime que la
navigation a l'aide d'un cerf-volant devrait permettre d'économiser 10 a
30% de soutes (voir tableau ci-dessous).
Tableau 3 : Gains de soutes permis par les nouvelles
technologies
Domaine d'application
|
Technologie
|
Gains de soutes
|
Design
|
Design de la coque (proue, bulbe etc.)
|
5 à 30%
|
Design de la superstructure
|
1 à 5%
|
Propulsion
|
Contre-hélice
|
6 à 20%
|
Tuyère
|
10%
|
Dépenses d'exploitation
|
Revêtement de la coque
|
10%
|
Energies renouvelables
|
Voile
|
15 à 20%
|
Cerf-volant
|
10 à 30%
|
Panneaux photovoltaïques
|
Moins de 1% : énergie de complément
|
Source : traitement propre d'informations fournies par
AEA Energy and Environment, Greenhouse gas emissions from shipping: trends,
projections and abatements, September 2008 et Yonghwan Kim, Green Ship
Design & Technology, The LRET Research Collegium Southampton, 11 July - 2
September 2011
53 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
54 G. Clauss et al, Technical University of Berlin,
2007.
55 Yonghwan Kim, Green Ship Design & Technology, The LRET
Research Collegium Southampton, 11 July - 2 September 2011.
L'AEA a par ailleurs mis au point un outil de mesure des
économies de fioul réalisées grâce aux
différentes avancées technologiques. Car en effet les
résultats décrits plus haut ne sont bien souvent pas cumulables,
ou à tout le moins leur cumul aboutit à un résultat
moindre que la somme des résultats de chacun d'entre eux pris a part.
Le bureau d'études a donc calculé
l'énergie nécessaire a l'exploitation des différentes
catégories de navire56 sur la base de l'existant -les navires
actuellement exploités sur le marché-, les améliorations
qui pourraient se greffer sur l'existant, les améliorations qui
pourraient être introduites directement sur les navires en construction
-sur la base des savoir-faire technologiques maîtrisés en 2008- et
enfin les améliorations introduites sur les navires en construction sur
la base des savoir-faire technologiques maîtrisés a l'horizon 2020
(Voir figure ci-après).
Les résultats illustrent une baisse substantielle des
besoins en énergie, et partant des une réduction de la
consommation de carburant et des coûts de soutes :
- Les vraquiers et les navires-citerne actuellement
exploités pourraient voir leur consommation de carburant baisser de 14%,
et les navires neufs de 31% (2008) et de 35% (2020).
- Les porte-conteneurs actuellement exploités
pourraient voir leur consommation de carburant baisser de 11%, et les navires
neufs de 32% (2008) et de 33% (2020).
- Les navires cargos polyvalents actuellement exploités
pourraient voir leur consommation de carburant baisser de 11%, et les navires
neufs de 31% (2008) et de 35% (2020).
- Les navires mixtes -Roll-on-Roll-off Passenger ship- (Ropax)
actuellement exploités pourraient voir leur consommation de carburant
baisser de 12%, et les navires neufs de 27% (2008) et de 32% (2020).
56 Ce calcul intègre certaines
avancées technologiques que nous avons délibérément
ignorées dans ce mémoire, car considérées comme
trop prématurées en l'état actuel des connaissances pour
être considérées par les armateurs comme des solutions
applicables à moyen terme.
Figure 8 : Consommation d'énergie estimée -
avancées technologiques
Source : AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008
Ces chiffres prennent tout leur sens lorsque l'on sait
l'importance des coûts de soute dans les coûts fixes du
navire57.
Une étude conduite par Theo Notteboom et Bert
Vernimmen58 les effets de la montée des prix du fioul sur le
transport maritime de lignes conteneurisées montrait qu'en fonction de
la vitesse d'exploitation du navire et du coût du fioul, les
dépenses de soutes représentaient en moyenne (Voir en rouge dans
le tableau ci-après) :
57 Sont généralement
considérés comme coûts fixes d'un navire :
l'affrètement, les soutes, les dépenses d'escale (Frais de port),
les frais de canal, les assurances.
Les coûts variables sont composés des coûts
variables directs : coûts commerciaux, coûts de manutention,
coûts de pré et post acheminement des conteneurs ainsi que des
coûts variables indirects : Logistique et frais
généraux.
Une fois additionnés, les coûts fixes et les
coûts variables forment le coût total d'exploitation d'un navire
dans le cadre d'une ligne maritime spécifique.
In François Laffite (CMA CGM), Gestion d'une ligne
maritime conteneurisée, cours 2010 auprès du Master 2 Transports
Internationaux de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
58 Theo Notteboom et Bert Vernimmen, The effect of
high fuel costs on liner service configuration in container shipping, Journal
of Transport Geography, 2009.
- Entre 38% et 52% des coûts fixes et entre 24% et 36%
des coûts totaux d'un porteconteneurs de 4000 EVP selon que le prix du
fioul (IFO 380) était de 250 ou 450 Dollars la Tonne.
- Entre 36% et 51% des coûts fixes et entre 21% et 33% des
coûts totaux d'un porteconteneurs de 6500 EVP selon les mêmes
critères.
- Entre 38% et 53% des coûts fixes et entre 21% et 33% des
coûts totaux d'un porteconteneurs de 9500 EVP selon les mêmes
critères.
Tableau 4 : Part des coûts de soutes dans les
coûts totaux d'un porte-conteneurs en fonction des prix du fioul, de la
taille du navire et de la vitesse d'exploitation
Source : Theo Notteboom et Bert Vernimmen, The effect of
high fuel costs on liner service configuration in container shipping, Journal
of Transport Geography, 2009.
La part des coûts de soute dans l'économie du navire
est donc relativement importante. Elle l'est d'autant plus quand les prix du
fioul augmentent.
En analysant les travaux de Notteboom et Vernimmen à la
lumière de l'évolution des prix du fioul (Cf. Tableau
ci-dessous), il y a tout lieu de penser que l'hypothèse haute -450
Dollars/Tonne- qu'ils ont envisagée correspond peu ou prou à la
brusque augmentation du prix du pétrole observée en 2007.
Tableau 5 : Evolution des prix de l'IFO 380 dans certains
ports (valeur moyenne/an et pic en 2007)
Source : Theo Notteboom et Bert Vernimmen, The effect of
high fuel costs on liner service configuration in container shipping, Journal
of Transport Geography, 2009.
Or, cette hypothèse correspondrait a une
hypothèse basse aujourd'hui au vu de l'évolution des prix
constatée pour l'année 2011. En effet, depuis mars 2011, les prix
de l'IFO se situent dans une fourchette comprise entre 650 et 700 Dollars la
Tonne (Cf. Graphique ci-après).
Figure 9 : Evolution des prix de l'IFO 380 en
2011
Source :
www.bunkerworld.com
Dans ce contexte, les avancées technologiques en
matière de navires verts deviennent autant de tentations et
d'incitations pour des armateurs soucieux de préserver
l'équilibre financier de leurs navires par la maîtrise des
coûts de soutes.
En d'autres termes, la préservation de la
rentabilité du navire par la maîtrise des coûts de soutes
sert par la même occasion l'objectif de réduction des
émissions de Co2 et l'avènement d'un shipping respectueux de
l'environnement. Le souci de rentabilité économique permet in
fine l'avènement d'un shipping de qualité59.
59 L'expression de « quality shipping »
-shipping qualitatif ou de qualité en français- tend à se
répandre dans le transport maritime et est de ce point de vue toujours
plus largement revendiquée par certains armateurs soucieux de donner une
image de qualité à leur activité.
2) Incitations et effet d'engrenage écologiques
Bien qu'elle demeure fondamentale, le banquier doit parfois
s'affranchir de la perspective de pure analyse des coûts, pour «
sentir » l'environnement économique du shipping, les
transformations qu'il subit et les opportunités qui en découlent
à long terme.
De ce point de vue, le shipping vert et de qualité
semble être imposé comme une tendance lourde pour l'industrie,
avec les incitations qui en découlent. A tel point qu'un effet
d'engrenage vert pourrait également influencer positivement la
profitabilité de l'activité et des financements.
a) Des incitations mises en place par les autorités
publiques
La capacité d'un modèle économique a
concilier rentabilité et respect de l'environnement fait souvent
débat. La littérature abonde sur le sujet..
C'est pourquoi en matière d'écologie les
incitations financières sont souvent primordiales. Le surcoût
lié a l'adoption d'une mesure écologique doit être
compensé par une incitation qui rende le comportement vertueux moins
coûteux pour l'agent économique60.
Ces incitations sont souvent le fruit d'une politique
d'accompagnement des pouvoirs publics. Toutefois, et au vu du contexte actuel
-crise de la dette en Europe et aux Etats-Unis et recul du rôle des
Etats- il y a fort à parier que les futures règlementations en
matière d'écologie reposeront sur un rééquilibrage
entre incitations (aides financières, avantages fiscaux etc.) et
désincitations (amendes, malus, contributions fiscales
spécifiques etc.).
Les autorités maritimes de différents pays ont
développé certains instruments de régulation et/ou de
soutien à un shipping plus respectueux de l'environnement.
La Norvège a ainsi mis en place un « fonds NOx
» dont le but est d'aider les navires qui opèrent dans la Baltique
(zone ECA) à obtenir des technologies propres destinées à
réduire leurs émissions de NOx. Les armateurs apportent une
contribution à ce fonds, contribution individualisée par navire
et calculée en fonction de la taille du navire, de sa capacité
d'emport, de son âge et du temps passé dans la
Baltique61.
60 Kimberly S. Goetz, Encouraging sustainable business
practices using incentives: a practitioner's view, Management Research Review,
Vol. 33, 2010.
61 In Lloyd's List, Baltic Nox Plan takes inspiration
from Norway, 11 avril 2011.
A ce titre, la compagnie maritime norvégienne Norway's Sea
Cargo a pu financer par le biais du fonds les surcoûts dûs a
l'installation de cuves a LNG sur deux de ses rouliers62.
Per Kågeson, professeur au Royal Institute of Technology
(Stockholm) et expert reconnu en matière de transport maritime
respectueux de l'environnement plaide pour l'élargissement et la mise en
commun de ce fonds a tous les Etats riverains de la Baltique. La mise en place
d'un « fonds NOx de la Baltique » représente selon lui «
la meilleure solution possible pour réduire les émissions de Co2,
mieux adaptée qu'une taxe, qu'un système de redevance sur les
chenaux ou qu'un système d'échange des permis d'émission
»63.
D'autres exemples sont venus illustrer l'investissement de
certaines institutions publiques en matière de navires verts.
La compagnie danoise Fjordline, a obtenu récemment du
programme Marco Polo la sécurisation de 9 millions d'Euros de fonds
européens auprès pour installer des citernes a LNG sur deux
ferries actuellement en construction en Pologne64.
Pendant ce temps, le Gouvernement finlandais aidait pour sa part
la compagnie finlandaise Viking Line Ferry a financer la construction d'un
nouveau ferry qui fonctionnera au LNG65.
Certains ports ont décidé d'accorder des remises
sur les frais de port aux navires qui se trouveraient au-dessus des normes
environnementales actuelles, c'est-à-dire à peu près 250
navires66.
Rotterdam a été le premier port à mettre
en place un tel système de récompense des navires verts, au
1er janvier 2011. La remise des frais de ports -calculés
principalement en fonction du tonnage du navire- est de 10% pour tout navire
dont le score est supérieur ou égal sur l'Environmental Ship
Index (ESI)67.
Anvers a emboîté le pas à Rotterdam le 8 juin
2011, en offrant la même remise.
62 In Lloyd's List, Fjordlines secures $14m Marco Polo
funding, 24 janvier 2011.
63 In Lloyd's List, Baltic Nox Plan takes inspiration
from Norway, 11 avril 2011.
64 In Lloyd's List, Fjordlines secures $14m Marco Polo
funding, 24 janvier 2011.
65 Ibid.
66 In Lloyd's List, Greener vessels win discounts at
ports, 21 Juin 2011.
67 L'ESI est un index mis en place par les ports de
Rotterdam, Anvers, Amsterdam, Bremen / Bremerhaven, Hambourg et Le Havre dans
le cadre du programme ESI « visant à réduire les
émissions des navires au-delà des normes fixées par l'OMI.
Ce projet incitatif, développé dans le cadre de la World Port
Climate Initiative, permettra aux ports d'identifier et de privilégier
les navires propres ». Source :
www.news.aivp.org
Le port de Hambourg a quant à lui décidé
de récompenser progressivement les navires à partir de 20 poits
sur l'ESI, et dans une limite de 10%. Le Havre, Brême et Amsterdam
devraient suivre prochainement68.
De son côté, le port de Gothenburg en
Suède propose aux navires qui escalent en son sein de compenser les
surcoûts liés a l'achat de fiouls a très basse teneur en
soufre (0,1%), dans la limite de 41,000 Dollars69.
Différents systèmes de certification et de
labellisation incitatifs ont été développés a
l'échelle européenne, voire mondiale par certains ports ou
Etats.
Le « Green Award Certificate », est une sorte de
passeport vert attribué aux vraquiers et naviresciterne et à
leurs organismes de management qui acceptent de se conformer à certains
critères en termes de qualité, sécurité et
environnement. Ce passeport est délivré par la fondation à
but non lucratif Green Award Foundation -une structure a l'origine
instaurée par le port de Rotterdam et le Ministère hollandais des
transports mais aujourd'hui indépendante- après inspection du
navire et renouvelable tous les trois ans. Il donne le droit à certaines
réductions dans des ports européens et d'Afrique du
Sud70.
Le « Blue Angel Award », délivré par
l'Agence fédérale allemande pour l'environnement, est un
écolabel qui vient entériner la qualité d'un transporteur
maritime du point de vue de ses efforts en matière de réduction
des émissions de Co2 et de respect de l'environnement
marin71.
68 In Lloyd's List, Greener vessels win discounts at
ports, 21 Juin 2011.
69 In Tradewinds, Gothenburg gets greener, 25 avril
2011.
70 Cf.
http://www.greenaward.org
71 Cf.
http://www.blauer-engel.de.
b) Un effet d'engrenage qui aurait tendance a gagner le
secteur privé
Nous l'avons vu plus haut, l'industrie maritime essaye de
« verdir son image », notamment par le biais de la commande de
navires respectueux de l'environnement pour des compagnies maritimes telles que
Maersk, Wilh Wilhelmsen ou Louis Dreyfus Armateurs. Les exemples ne manquent
pas dans ce domaine.
Il n'y a qu'à consulter les sites internet ou les
rapports annuels de toutes ces compagnies pour s'en apercevoir : le shipping
vert est mis a l'honneur, chacun se voulant plus vert et plus « qualitatif
» que son voisin.
En outre, un suivi attentif de la presse
spécialisée dans le shipping (Lloyd's List, Tradewinds) vient
corroborer ces constatations. Il n'est pas un jour sans qu'un article ou un
éditorial aborde la question de la législation NOx/SOx, des
solutions pour réduire les émissions de CO2 du secteur ou des
actions des compagnies maritimes en faveur de l'environnement.
Cette permanence des thématiques vertes malgré
la santé fragile du secteur suite à la crise 2008 et à une
surcapacité désormais structurelle montre bien l'importance de la
thématique au sein de l'industrie.
Certaines initiatives isolées tendent a
s'institutionnaliser progressivement, réunissant armateurs et chargeurs
autour de certaines pratiques vertueuses, rendant possible l'émergence
d'un « engrenage vert » vers un transport maritime de
qualité.
Ainsi, des initiatives telles que le Clean Cargo Group
réunissent chargeurs et armateurs autour de l'incorporation de
pratiques sociales et environnementales dans le shipping. Le but est de
parvenir a une harmonisation des conduites et à un partage des
informations accru en matière environnementale entre chargeurs et
armateurs.
Dans le cadre d'une démarche commune, les membres du
Clean Cargo Group se sont associés au sein du programme
Beyond monitoring -au-delà de la surveillance- visant à
partager et à publier les données environnementales de chacun des
membres.
Le groupe Ikea a calculé que 80% de ses émissions
de Co2 provenaient des transports qu'elle utilisait. Elle a donc demandé
aux transporteurs auxquels elle a recours de lui fournir leurs chiffres en
matière
d'émissions de Co2, afin de travailler conjointement
à leur réduction. Wal-Mart a également mis en oeuvre de
tels systèmes de partage des données avec ses
transporteurs72.
Toutes ces initiatives marqueraient donc l'avènement de
« pratiques vertes »73 dans l'industrie maritime,
pratiques dont le but serait de réduire l'empreinte écologique du
transport maritime par le biais d'un management environnemental mettant
l'accent sur la réduction des émissions, des produits polluants
(ex : peintures antisalissures toxiques), des déchets et la
préservation des ressources dans les opération de manutention et
de distribution des marchandises.
Selon Kee-Hung Lai et al.74, ces pratiques tendraient
à devenir la norme pour les grandes compagnies maritimes, notamment pour
les armements conteneurisés.
Trois facteurs pousseraient les compagnies à adopter ces
pratiques vertes :
- L'existence d'un renforcement de la régulation
environnementale par les groupes privés.
- La présence de normes industrielles
institutionnalisées sur la protection de l'environnement (ex :
l'initiative Beyond monitoring).
- Un renforcement de la demande et des exigences
environnementales par les chargeurs.
Or du point de vue des auteurs, ces trois critères sont
aujourd'hui respectés dans l'industrie maritime, ce qui tend a
accréditer la thèse d'un effet d'engrenage vert.
Au-delà de ces « pratiques vertes » le
slow steaming -réduction de la vitesse commerciale des navires
destinée à économiser du fioul et à allonger les
temps de voyage afin de lutter contre la surcapacité- s'est
fortement développé depuis 2008, année de la crise qui a
fortement impacté l'industrie maritime.
Cette pratique, qui touche essentiellement le secteur de
l'armement de ligne conteneurisée75 a contribué
à faire reculer les émissions de Co2 du transport maritime de 11%
entre 2008 et 201076.
72 Kee-Hung Lai et al., Green shipping practices in
the shipping industry: Conceptualization, adoption, and implications,
Resources, Conservation and Recycling 2010.
73 Ibid.
74 Ibid
75 L'armement conteneurisé ne
représente que 4% des navires de la flotte mondiale mais 20% des
émissions du transport maritime. In Pierre Cariou, Is slow steaming a
sustainable means of reducing CO2 emissions from container shipping?,
Euromed-Management, 2010.
76 Ibid.
Considérée comme une solution temporaire pour
lutter contre la surcapacité et les prix élevés du
pétrole en 2008, le slow steaming s'est pourtant
généralisé, a tel point qu'il touchait 79% du service sur
les lignes Europe/Asie et 42% du service en cours sur les lignes
Asie/Amérique du Nord en janvier 201077 (Voir Tableau
ci-dessous).
Tableau 6 : Principales caractéristiques des
services de ligne régulière conteneurisées, Janvier
2010
Source : Pierre Cariou, Is slow steaming a sustainable
means of reducing CO2 emissions from container shipping?, Euromed-Management,
2010.
Les armements conteneurisés ont donc vite adopté
le modèle du slow steaming, dans des proportions qui ont permis
de réduire considérablement les émissions de Co2 du
secteur (Voir tableau ci-après).
77 Ibid.
Tableau 7: Impact du slow steaming sur les
émissions de Co2 par ligne (période 2008-2010)
Source : Pierre Cariou, Is slow steaming a sustainable
means of reducing CO2 emissions from container shipping?, Euromed-Management,
2010
Outre cet effet immédiat sur les émissions de
Co2, le slow steaming a également contribué à
répartir de manière plus harmonieuse les trafics portuaires du
fait du ralentissement des rythmes de desserte des ports78.
Cet étalement de la congestion des ports a
contribué à renforcer la fiabilité du service -cruciale
pour l'organisation des chaînes d'approvisionnement logistiques des
clients du secteur- et à réduire les retards, responsables entre
autres de surconsommations de fioul par des navires voguant à vive
allure entre deux escales pour rattraper ce retard79.
Cette dernière observation a son importance lorsque
l'on sait que dans son récent Manifeste The new normal
l'armateur Maersk Line a fait part de son intention de faire de la
fiabilité de son service la pierre angulaire de ses
développements futurs80.
78 Theo Notteboom et Bert Vernimmen, The effect of
high fuel costs on liner service configuration in container shipping, Journal
of Transport Geography, 2009.
79 Ibid. Les auteurs affirment sur ce point que la
surconsommation de fioul pour cause de retard sur un service standard entre
l'Europe et l'Asie peut entraîner une augmentation des coûts de
soute de 20%.
80«Reliability is the new rate war». In The
new normal, a manifesto for changing the way we think about shipping, Maersk
Line, 7 juin 2011.
Le slow steaming, que l'on pensait
éphémère, est en train de s'institutionnaliser dans le
secteur conteneurisé. L'engrenage vert semble fonctionner de ce point de
vue.
Et ce n'est pas Eivind Kolding, PDG de Maersk Line qui dira le
contraire, lui qui avait affirmé début 2010 que le slow
steaming était « parti pour durer »81.
Cette pratique est en outre profitable pour les banques
commerciales.
En mobilisant plus de navires -même en période de
faible activité- elle garantit à ces derniers un emploi et des
revenus susceptibles faciliter le remboursement prêts par les
emprunteurs.
D'autre part, en abaissant les coûts de soutes, elle permet
à l'emprunteur de gagner une marge de manoeuvre vis-à-vis de ses
coûts fixes, mais également vis-à-vis du breakeven
de son navire (Voir figure11 page48).
Ce breakeven, terme anglais utilisé en analyse
crédit maritime, correspond au niveau de revenus que le navire doit
atteindre pour rembourser ses coûts d'exploitation ainsi que le
remboursement du prêt -le « principal »- ainsi que des
intérêts y afférents.
Si le breakeven diminue alors que les revenus restent
constants, l'armateur augmente son profit tout en se ménageant une marge
de manoeuvre financière supplémentaire vis-à-vis du
remboursement de son crédit (voir infra figure 11).
En abaissant de manière considérable le
besoin énergétique des navires et les coûts de soute y
afférents, les solutions technologiques et opérationnelles
décrites plus haut garantissent la profitabilité des navires, et
ainsi la capacité des emprunteurs à honorer leurs
traites.
Toutefois, certaines incertitudes principalement
liées a l'impact des mesures environnementales sur l'économie des
navires et au comportement des banques quant a l'octroi de crédits pour
les navires verts pèsent comme autant d'épées de
Damoclès sur le financement de ces derniers.
81 In
http://www.maersk.com/AboutMaersk/News/Pages/20100901-145240.aspx
II) Une rentabilité menacée par de
lourdes incertitudes
Ces incertitudes concernent d'abord le manque de recul et
d'expertise sur le véritable l'impact des mesures environnementales sur
l'économie du navire (A), mais également le fait de savoir si les
banques commerciales sont prêtes a s'engager dans le financement de
navires utilisant des technologies nouvelles, qui impliquent par nature
certains risques supplémentaires (B).
A) Des incertitudes liées a l'impact des mesures
environnementales sur l'économie du navire
Certains arbitrages entre le respect de l'environnement et le
profit économique pourraient s'avérer préjudiciables
à la rentabilité du navire (1), alors que certaines inconnues
pèsent encore lourdement sur la viabilité des financements de
navires verts (2).
1) Des arbitrages préjudiciables à la
rentabilité du navire
Malgré leur nécessité en matière de
lutte contre le réchauffement climatique, les règlementations
écologiques peuvent avoir un impact négatif sur la
compétitivité du navire, voire sur sa rentabilité.
Cela supposerait que l'armateur soit forcé d'opérer
a un moment donné un arbitrage entre le respect de l'environnement et la
profitabilité.
Ainsi, les surcoûts qu'entraineraient les mesures visant a
limiter les émissions seraient de nature a grever la
profitabilité du transport maritime.
L'idée générale développée
ici pourrait se résumer de façon suivante : « Au-delà
d'un certain seuil d'économies d'énergie, le taux de profit se
met à décroître parce que le coût marginal de
réduction des émissions est croissant82 » (Voir
figure ci-dessous).
82 Michel Husson, Un capitalisme vert est-il possible,
Université d'été du Comité pour l'annulation de la
dette du Tiers Monde, Juillet 2009.
Figure 10 : La relation taux de profit / Economies
d'énergie
Source : Michel Husson, Un capitalisme vert
est-il possible, Université d'été du Comité pour
l'annulation de la dette du Tiers Monde, Juillet 2009.
Quoi qu'il en soit, la réduction des émissions
de Co2 ainsi que de NOx et de SOx, et les surcoûts qu'elle
entraîne, pourraient non seulement avoir des effets sur la concurrence
entre armateurs, mais également sur la compétitivité du
transport maritime dans certaines circonstances.
a) Des arbitrages aux effets pervers : le risque d'un
shipping a deux vitesses
L'objectif d'une compagnie maritime est d'exploiter un navire
dans le but d'en tirer un profit maximal. La réduction des
émissions de Co2 est un objectif annexe, dont la réalisation ne
se fera qu'à condition de ne pas compromettre le succès de
l'objectif principal, a savoir le profit ou a tout le moins le maintien de la
rentabilité.
Nous l'avons vu, les efforts destinés à
réduire les émissions de Co2 supposent des surcoûts.
Il en va de même pour le slow steaming, qui
comporte deux sortes de coûts additionnels : le coût que
représente l'ajout de un ou plusieurs navires dans un service en
slow steaming ainsi que l'augmentation des coûts d'inventaire
pour les armateurs83.
L'ensemble de ces coûts a été
estimé a 7000 Dollars par jour pour un porte-conteneurs de 1000 à
2000 EVP, 8000 Dollars par jour pour un navire de 2000 à 3000 EVP, et
9000 Dollars par jour pour les navires dont la capacité est
supérieure à 3000 EVP84.
Nous l'avons vu également, le slow steaming
permet à la fois de réduire la consommation de fioul et de lutter
contre la surcapacité. Pour autant, compte tenu de son coût, il
est plus que probable qu'il serait abandonné si la surcapacité
que connaît le secteur du conteneur venait à être
réduite sous l'effet d'une hausse de la demande de transport.
Il en irait de même si les prix du fioul venaient à
baisser alors que les taux de fret venaient à augmenter dans le
même temps.
Dans ces conditions, il est clair que le maintien du slow
steaming par certains armateurs amoindrirait leur profitabilité, et
constituerait pour eux un désavantage vis-à-vis de ceux qui
l'auraient abandonné.
Par ailleurs, dans un contexte de taux de fret bas, la
concurrence est farouche au niveau des prix. Cela peut conduire les armateurs a
s'adapter et à restreindre les investissements ou abandonner les
pratiques qui pourraient mettre en péril leur
compétitivité face à une concurrence rude et un
marché réduit.
Cela entraînerait l'émergence d'un shipping a
deux vitesses : d'un côté un shipping de qualité
développé par de grands groupes internationalement reconnus
disposant d'un accès relativement aisé aux sources de financement
bancaire, et d'un autre côté un shipping a « low cost and
low quality »85 uniquement focalisé sur la
réduction des coûts et la fourniture d'une prestation de transport
essentiellement conçue comme un déplacement d'un point A vers un
point B.
83 In Pierre Cariou, Is slow steaming a sustainable
means of reducing CO2 emissions from container shipping?, Euromed-Management,
2010.
84 Ibid.
85 In Hermann Kaps, Quality Shipping Incentives,
Disincentives, WMU Journal of Maritime Affairs, Volume 3, Number 1, April
2004.
La capacité d'accès au crédit bancaire et le
coût du crédit pour un armateur dépendent de86 :
- La qualité de l'emprunteur87.
- Le niveau de sécurité qu'il aura a offrir en
contrepartie du prêt.
- Le niveau de trésorerie dégagé par
l'actif, qui conditionnera la capacité de remboursement du
prêt.
- La durée du financement et de la nature du projet (achat
de navire neuf ou d'occasion). - Le niveau de rentabilité
envisagé pour le navire.
Les armateurs qui bénéficient des meilleurs
résultats seront donc ceux qui auront un accès à la plus
large gamme de produits financiers à des taux avantageux et pour des
montants élevés88 proportionnellement à la
valeur du navire89.
Cette réalité d'un accès au financement a
deux vitesses pourrait par ailleurs pousser les armateurs plus modestes
à privilégier la rentabilité de leur activité sur
toute autre considération de type environnemental.
En outre, cette focalisation sur la rentabilité pourrait
engendrer une pression à la baisse sur les standards environnementaux
appliqués par les compagnies vertueuses.
b) Des arbitrages qui risquent de grever la
compétitivité de l'industrie maritime
Sur certains segments particuliers, le transport maritime de
marchandises peut être en concurrence avec d'autres transports. Cela
n'est bien évidemment pas le cas pour les gros chargements de vracs secs
et liquides ou les lignes conteneurisées impliquant une traversée
océanique.
Néanmoins, sur de courtes distances et pour certaines
marchandises le plus souvent conteneurisées, le cabotage maritime peut
être en concurrence avec d'autres modes de transport, au premier rang
desquels le transport routier, qui offre les avantages d'une desserte de point
à point sans rupture de charge.
86 Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney
Books, 2006.
87 La qualité de l'emprunteur est
appréciée suite a une analyse financière de son
activité et de ses résultats. Elle détermine la note -le
rating en anglais- attribuée a l'armateur. Cette note
aura un effet direct sur la marge dégagée par la banque dans le
cadre d'un financement.
88 Ibid.
89 La part du navire financée par un prêt
ou quotité de financement se nomme le leverage en anglais. Ce
leverage est plus ou moins important en fonction du niveau de risque
inhérent au financement.
Il en va de même pour le transport de passagers et de leurs
véhicules par des ferries sur des courtes distances.
Le marché du cabotage en mer du Nord et dans la
Baltique pourrait à ce titre être négativement
impacté par la mise en oeuvre des mesures destinées a
réduire le niveau d'émissions de NOx et de SOx.
Les armateurs de la région ont fait part de leur
inquiétude quant aux coûts additionnels représentés
par l'achat de fiouls a très basse teneur en soufre.
Selon eux, ces surcoûts se traduiraient par une
augmentation des taux de fret dans des proportions plus que susceptibles
d'entrainer un report modal90.
En effet, il est bon de préciser ici que l'augmentation
des prix du fioul a un effet direct sur l'augmentation des coûts de
soutes dans le transport maritime, ce qui est moins vrai dans le transport
routier du fait qu'une large partie du prix du diesel qu'utilisent les camions
soit constitué par des taxes91.
D'autre part, le temps nécessaire a l'amortissement
d'un camion est de 3 a 4 années, ce qui rend l'adaptation du transport
routier plus facile face a l'arrivée d'une nouvelle
règlementation écologique.
Il est vrai que dans le transport maritime, les cycles de vie des
actifs sont plus longs, et l'hypothèse d'un renouvellement de la flotte
prendrait beaucoup plus de temps92.
Ainsi, l'augmentation des taux de fret dans les ECA pourrait
être de 8% a 20% selon les scénarios dans le cadre d'une vitesse
commerciale standard.
Toutefois, pour les navires réalisant un cabotage «
express », cette augmentation pourrait se situer entre 20 et 40%.
Les lignes maritimes Transmanche, les liaisons maritimes entre
l'Europe de l'Est et les Etats Baltes, et plus généralement
l'ensemble des liaisons sur des distances moyennes seraient les plus fortement
impactés par l'augmentation des coûts fixes. Ces trades perdraient
des parts de marché au profit de la route93.
90 In Lloyd's List, Fjordlines secures $14m Marco Polo
funding, 24 janvier 2011.
91 Theo Notteboom, Eef Delhaye et Kris Vanherle,
Analysis of the Consequences of Low Sulphur Fuel Requirements,
European Community Shipowners' Associations (ECSA), Janvier 2010.
92 Ibid.
93 Ibid.
La seule perspective d'une baisse des volumes de 10% a 20%
pourrait entrainer une réduction de la capacité de la part des
armateurs, avec pour corollaire une diminution des dessertes et une perte
d'attractivité et de compétitivité qui pourrait
éloigner les investisseurs et rendre plus difficile l'accès aux
financements94.
Une baisse des volumes entrainerait une baisse des revenus des
navires. Or, dans le cadre d'un financement maritime traditionnel, ce sont ces
revenus qui sont considérés comme la principale source de
remboursement du prêt.
C'est d'ailleurs en fonction de ces revenus qu'est
étalé le crédit (durée, fréquence et montant
des remboursements).
On calcule au préalable le « breakeven » du
navire. Le breakeven est alors comparé aux revenus futurs du
navire, connus si le navire dispose d'un contrat d'affrètement, ou
estimés en fonction de la moyenne du montant des contrats
d'affrètement a un an en fonction du type de navire financé
(vraquier, navire-citerne etc...).
Les revenus du navire doivent impérativement être
supérieurs au breakeven pour garantir la viabilité du
financement. Les projections faites a l'aide de logiciels
spécialisés permettent d'envisager plusieurs hypothèses
(haute, moyenne ou basse) de revenus sur l'ensemble de la durée du
financement (voir figure ci-après).
94 Ibid.
Figure 11 : breakeven, revenus du navire et
viabilité du financement
Source : Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney Books,
2006.
En conclusion, il est indéniable que l'absence de
revenus d'un navire engendre souvent un cas de défaut de paiement de
nature a mettre en cause le financement, mais surtout d'hypothéquer un
accès futur au crédit.
De ce point de vue, la perspective d'une baisse des revenus
conséquence des volumes de fret suite a un report modal ne peut
qu'inquiéter les armateurs opérant dans les ECA appelées a
être régies par les nouvelles mesures anti-émission de
SOx.
2) Des inconnues susceptibles de peser lourdement sur la
viabilité des financements
Ces inconnues concernent tout autant les navires et les armateurs
(a) que l'industrie maritime (b).
a) Des inconnues concernant les navires et les
armateurs
La première des inconnues concerne la répartition
des surcoûts : a l'achat du navire ainsi que ceux découlant de
l'exploitation du navire (Cf. I A).
Bien souvent, le propriétaire du navire et son exploitant
ne sont pas les mêmes entités.
Dans le cadre d'un financement maritime, des contrats
d'affrètement coque nue sont fréquemment signés entre le
fréteur -généralement l'emprunteur- et l'affréteur
(Voir figure ci-après).
Ce contrat prévoit que « le fréteur
s'engage à mettre à la disposition de l'affréteur un
navire pour un temps défini sans armement ni équipage ou avec un
équipage incomplet. L'affréteur a la gestion nautique et
commerciale du navire »95.
Figure 12 : Montage classique d'un financement
maritime
Source : Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney Books,
2006.
95
http://www.logistiqueconseil.org/Articles/Transport-maritime/Contrat-maritime.htm.
La question se pose bien évidemment pour les navires
existants : qui du propriétaire ou de l'exploitant du navire assumera le
surcoût de toute mesure destinée à améliorer la
performance énergétique du navire ? Qui assumerait cet
investissement qui dont la répartition ainsi que les modalités de
paiement n'auraient pas été envisagées par le contrat
d'affrètement96 ?
La question se pose avec acuité pour les contrats de
« long terme ~ tels que l'affrètement coque nue, qui s'étend
généralement sur toute la durée du financement, notamment
en matière de financement de porte-conteneurs97.
Cette question de la répartition des surcoûts
entre les différentes parties a une importance dans la mesure où
elle va affecter la solvabilité -et donc la qualité et in fine la
note- de l'emprunteur selon qu'il aura ou non a les assumer au moment de
l'achat du navire ou au moment de sa mise aux normes.
Or, rappelons ici que la note de l'emprunteur est un
critère d'accès a des financements plus ou moins attractifs en
termes de taux d'intérêt pour l'emprunteur.
Dans ce cas l'achat d'un navire vert pourrait mettre en
difficulté l'accès au crédit de certains armateurs,
notamment les petits armateurs exploitant quelques navires, pour qui ces
surcoûts non négligeables98 pourraient peser comme une
épée de Damoclès sur leur capacité à
rembourser les prêts, notamment au cas où les prix du
pétrole viendraient à augmenter dans des proportions de nature
à rendre inopérantes en termes de coûts les
économies de soutes réalisées par ces navires verts.
En second lieu, l'existence de coûts
cachés99 liés a l'achat et a l'exploitation du navire
vert peut également avoir un impact sur la capacité de
remboursement du prêt, surtout si ces coûts, du fait de leur nature
peu visible, n'ont pas été pris en compte au moment de l'analyse
de la rentabilité du projet par la banque en charge du financement.
96 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
97 Ibid.
98 Comme évoqué plus en amont, Maersk
annonçait un surcoût de 15% a l'achat pour sa dernière
génération de porte-conteneurs.
99 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas
emissions from shipping: trends, projections and abatements, September
2008.
Ces coûts cachés seront la conséquence des
différentes « prises de décision »100 ainsi
que les formations exigées pour l'équipage du navire.
Par ailleurs, certaines mesures opérationnelles
destinées à réduire la consommation de fuel supposent
certains coûts qui pourraient entamer, sous certaines conditions, leur
efficacité et leur popularité au sein de l'industrie du transport
maritime.
C'est le cas par exemple du slow steaming, qui
nécessite l'exploitation d'une flotte plus large puisque la diminution
de la vitesse des navires implique l'emploi d'un ou plusieurs navires
supplémentaires pour conserver un niveau de service
équivalent.
Or le coût caché d'une réduction de la
vitesse des navires est le même que celui nécessaire à
l'augmentation de la capacité en proportion à la diminution de la
vitesse. Ainsi, une réduction de 10% de la vitesse commerciale d'un
navire supposerait une augmentation de 10% de son coût
d'exploitation101.
Pour les navires neufs, les first of a kind costs -Cf.
I) A) 2) Des surcoûts liés a l'exploitation de ces
navires- risquent également d'avoir un impact sur la
rentabilité du projet.
Enfin, certaines des solutions technologiques
détaillées en amont et susceptibles de réduire la
consommation de fioul et les émissions de Co2 ne seront probablement pas
adoptées par l'industrie maritime, constituant plutôt une
volonté d'affichage marketing et/ou publicitaire de la part de certains
armateurs soucieux de se donner ou de conserver une image verte.
Patrick Rondeau, pourtant confiant de la capacité
à réduire les émissions en travaillant sur les designs des
coques ou en pratiquant le slow steaming nous confiait
néanmoins son scepticisme quant à a généralisation
de pratiques telles que l'utilisation du cerf-volant, des panneaux solaires ou
des biocarburants.
100 Ibid.
101 Ibid. A noter que l'AEA précise qu'en fonction de
l'élasticité de la demande de transport ces coûts
cachés pourraient être répercutés en tout ou partie
sur les consommateurs, ce qui pourrait in fine affecter les armateurs et les
opérateurs.
b) Des inconnues concernant l'industrie maritime
En premier lieu, de l'avis des observateurs, le transport
maritime est un secteur oi le conservatisme est la norme102.
Le marché de la construction de navires
n'échappe pas a la règle. De sa capacité d'adaptation aux
nouvelles exigences imposées par les navires verts dépendra en
grande partie la normalisation de la production de navires plus respectueux de
l'environnement.
La préférence des chantiers navals pour la
production en série implique une aversion pour le surmesure, aversion
qui se traduit par une inflation parfois significative du prix des navires
sortant des schémas standardisés103.
En outre, les efforts financiers consentis par les
constructeurs de moteurs diesel pour s'adapter a la nouvelle législation
sur la pollution de l'air a considérablement amoindri leur
appétence pour la réflexion sur les projets destinés
à améliorer la performance environnementale des
navires104.
La volatilité des prix des navires neufs (voir
Illustrations ci-dessous) est une caractéristique du marché de la
construction, notamment du fait que ce dernier est en étroite relation
avec les trois autres marchés du shipping, à savoir celui du
transport maritime ainsi que ceux du fret et de la
démolition105.
102 Terry Macalister, An industry that is slow to go
green, Tradewinds, 29 septembre 2010.
103 Charles R. Cushing, The Ship Acquisition Process,
Séminaire donné à la World Maritime University, Août
2011.
104 AEA Energy and Environment, Greenhouse gas emissions from
shipping: trends, projections and abatements, September 2008.
105 Cours d'économie du transport maritime, Elisabeth
Gouvernal, 2010.
Figure 13 : Evolution des prix des navires-citerne
(2010-2012)
Source : Fearnley Finans Shipping AS, Shipping report
2011
Figure 14 : Evolution des prix des vraquiers
(2010-2012)
Source : Fearnley Finans Shipping AS, Shipping report
2011
Cette volatilité des prix, qui peut atteindre des
proportions relativement importantes d'un mois a l'autre pourrait dissuader les
armateurs de se tourner vers des navires verts -plus chers- en cas de forte
croissance des prix.
En effet, les armateurs désireux d'accroître leur
tonnage mais dont la situation financière ne permet pas de supporter un
surcoût a l'achat -en plus d'une hausse des prix- se tourneront vers des
navires standards dont les coûts d'exploitation seront pourtant plus
importants.
L'arbitrage se fera ici au profit de la rentabilité
immédiate au détriment d'une rentabilité future plus
importante et échelonnée dans le temps.
En second lieu, la course au gigantisme observée ces
dernières années au sein du transport maritime a eu des effets
bénéfiques sur la réduction des émissions du
secteur.
L'augmentation de la taille des navires, qui a permis de
réaliser des économies d'échelle en abaissant le
coût du transport à la tonne-kilomètre, est en outre a
l'origine d'une baisse des émissions. En effet, les gros navires
nécessitent proportionnellement moins d'énergie pour se mouvoir
sur l'eau ; leur consommation de fioul -et partant leur niveau
d'émissions- est proportionnellement moins important que celui des
navires de taille inférieure106.
Le travail d'optimisation de l'hydrodynamisme de la coque des
navires implique parfois une modification des proportions physiques (longueur,
largeur, tirant d'eau) des navires, rendant leur accostage à quai
impossible compte tenu de la configuration actuelle des ports.
Ainsi, la réalisation du potentiel de réduction
des émissions par un travail sur le design des navires est fortement
conditionnée a l'adaptation de certaines infrastructures portuaires
aujourd'hui incapables d'accueillir de tels navires107.
106 Ibid.
107 Ibid.
Se pose également ici la question de la
répartition de ces coûts d'aménagement entre les
différents acteurs du secteur. Ce problème d'infrastructures
portuaires vient également limiter l'« effet de cascade
»108 que l'on peut observer dans un secteur comme celui du
conteneur. Or, en améliorant la profitabilité de certaines routes
maritimes du fait de leur exploitation par des navires capables de
réaliser des économies d'échelle, cet effet offre aux
armateurs une marge financière qui peut leur permettre à terme de
réfléchir à de nouveaux navires plus compétitifs
tant du point de vue économique qu'environnemental.
Compte tenu de toutes les incertitudes qui grèvent les
financements maritimes, il est dès lors permis de se demander si la
finance s'engagera pleinement dans de tels financements.
108 L'effet de cascade est un phénomène qui se
manifeste avec l'arrivée de navires toujours plus gros sur les grandes
routes maritimes, qui poussent les navires qui les précédaient
vers d'autres routes moins fréquentées dont ils viennent
renforcer la capacité de transport. Les navires
précédemment en service sur ces routes sont à leur tour
affectés à des lignes moins fréquentées et ainsi de
suite.
B) Navires verts : La finance jouera-t-elle le jeu
?
Le manque de recul et d'expérience sur la
rentabilité des navires verts risque de se traduire par une certaine
frilosité des banques (1), même s'il y a cependant de bonnes
raisons de croire que les financements de navires verts vont se
développer à moyen et long terme (2).
1) Un manque de recul et d'expérience synonyme de
frilosité de la part des banques
Les banques ont un rôle clé dans la poursuite du
développement durable et la réalisation des objectifs qui en
découlent. De leur concours et leur support dépend la
réalisation de nombreux projets qui sans elles ne pourraient
aboutir109.
L'octroi d'un financement vient bien souvent distinguer le
possible de l'impossible, surtout en matière de projets verts, novateurs
à bien des égards.
Deux grandes questions se posent au banquier lorsqu'il s'agit de
financer des projets verts :
- Comment la finance peut-elle régler les questions
environnementales ?
- Comment rendre profitables les initiatives et les projets
environnementaux ?110
De ce point de vue, le financement de navires verts
n'échappe pas a ces deux questions. Ces dernières viennent
tarauder la finance car les projets verts reposent bien souvent sur des
schémas qui s'éloignent des projets économiques
classiques.
Ce manque de recul et de connaissances vis-à-vis des
projets verts pourrait bien entraîner une certaine frilosité au
moment de les financer.
109 Nikolett Deutsch, Zoltan Ottmar, Eva Pinter, New direction
line of sustainable development and marketing in green banking, Industrial
Marketing and Purchasing Group Conference, Milan, 2006.
110 Nationa bank of Greece :
www.nbc.gr
a) Un recul et une connaissance insuffisants des projets de
navires verts
Les navires verts sont un élément nouveau dans
le paysage du transport maritime. Leur économie propre, leur
capacité d'adaptation au marché, les garanties qu'ils peuvent
offrir n'ont pu encore faire l'objet d'une analyse approfondie fondée
sur la réalité de leur exploitation.
En d'autres termes, il manque aujourd'hui aux banquiers le
retour d'expérience nécessaire a la mise en oeuvre
standardisée de contrats de prêt destinés à se
prémunir des risques que fait courir au banquier une exposition sur un
navire qui a représenté un surcoût a l'achat, qui utilise
des technologies nouvelles non encore totalement maîtrisées, et
dont les économies de soutes -et donc de coûts fixes- n'ont pas
été observées de facto au long de la vie d'un financement,
et des rebondissements qui vont avec.
De même, on sait d'expérience que les coûts
fixes d'un navire tendent a augmenter avec son âge, ce qui conduit
souvent les banques à construire des échéanciers -dans le
cadre d'un prêt a terme ou term loan111- dont les
remboursements sont plus importants au début du financement qu'à
la fin de ce dernier112.
Or ici encore le manque d'expérience grève les
prévisions : les avancées en matière de réduction
de la consommation d'énergie sont-elles garanties tout au long de la vie
du navire ? Les coûts fixes tendent-ils a s'accroître avec le
vieillissement du navire ? Si oui, est-ce dans des proportions semblables
à ceux des navires standards ?
Autant d'inconnues qu'un retour d'expérience insuffisant
de permet pas de lever.
Ainsi, le financement de navires respectueux de
l'environnement semble connaître les mêmes carences que les
financements de projets environnementaux en matière de production
d'énergie (éolienne, photovoltaïque), de fonds carbone, de
permis d'émissions etc113.
Les financiers disposent ainsi de peu d'informations et de
données sur le long terme, principalement du fait du manque de retour
d'expérience.
111 Le term loan est un prêt dont le tirage
peut se faire en une seule ou plusieurs tranches (si le navire est un navire
neuf) et qui est remboursé à échéances fixes,
généralement tous les trois ou 6 mois . Sa durée moyenne
est de 10 à 15 ans et il implique généralement un
balloon, à savoir un dernier versement relativement important
qui pourra être refinancé.
112 Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney Books,
2006.
113North American Task Force (NATF) of the United
Nations Environment Programme Finance Initiative, Green Financial Products
and Services, Août 2007.
Dans le même temps, cette expérience réduite
n'a pas permis de créer des instruments de mesure propres à
évaluer les retours financiers et environnementaux de ces
projets114.
Cette carence en matière d'évaluation des
retours sur investissement se retrouve également en matière
d'évaluation du risque environnemental. La note de l'emprunteur,
déterminante dans son accès au crédit, est essentiellement
le fait de critères financiers.
Il n'existe pas a ce jour -au sein de BNP Paribas du moins- un
système de notation de la performance environnementale des clients par
les banques commerciales. Ce critère n'est examiné qu'en
négatif : l'activité shipping représentant un risque en
termes d'image pour les banques -en cas de survenance d'une catastrophe
écologique type marée noire par exemple-, les grandes banques
d'affaires s'assurent que leurs clients n'ont pas a leur actif de comportements
délictueux en matière écologique (dégazage en mer,
rejets non autorisés etc.). Pour autant, la performance environnementale
en elle-même, voire la nature « verte » du navire ne
constituent en aucun cas un critère de sélection pour les
banques.
L'accent est principalement mis sur la rentabilité du
navire et la capacité de remboursement du prêt : a quoi bon
financer un navire vert qui n'aurait pas d'emploi115 ?
Cet attachement à la réputation du client, qui
fait pourtant référence dans le financement du transport maritime
-l'ouvrage Shipping finance réalisé par Stephenson
Harwood, le fait de « connaitre celui avec qui on est en affaires
»116 est une règle de base- n'est pas valorisée
à la hauteur des nouveaux enjeux environnementaux.
Ici encore l'accumulation d'expérience avec le temps
ainsi que l'entrée progressive des règlementations en vigueur
devraient changer la donne. En attendant, l'industrie maritime semble avoir
pour l'instant un temps d'avance sur le milieu bancaire.
Ce manque de connaissance de la rentabilité du financement
des navires verts pourrait bien aboutir a une certaine frilosité des
banquiers d'affaires.
114 Federal reserve bank of Richmond, Green finance :
Cultivating new investment opportunities, Marketwise,
été/automne 2009.
115 Kee-Hung Lai et al., Green shipping practices in the shipping
industry: Conceptualization, adoption, and implications, Resources,
Conservation and Recycling 2010.
116 Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney Books, 2006,
p. 74.
b) Une frilosité potentielle du milieu bancaire a
l'égard des projets de navires verts
L'activité de financement et de structuration du
crédit découle directement de l'évaluation et de la
gestion des risques117.
Une évaluation imparfaite des risques du fait de la
nouveauté de l'actif a financer constituera un risque
supplémentaire pour l'opération, risque qui sera, selon les
mécanismes traditionnels de financement refacturé au
client118, et qui pourra aller jusqu'à entrainer une certaine
frilosité a l'octroi de crédit de la part des banquiers.
La première réticence des banques commerciales
à financer des navires verts -ou à tout le moins à ne pas
augmenter sa marge sur ce type de financement ou à limiter la
quotité de financement- pourrait porter sur la valeur de l'actif.
Le risque d'actif (qualité du navire, chantier de
construction, emploi du navire) est un élément important de
l'analyse crédit d'un financement maritime119.
La grande majorité des financements maritimes
possèdent des clauses de value to loan, qui prévoient
que tout au long de la durée du financement, la valeur de l'actif
financé doit être en mesure de couvrir un certain pourcentage du
montant de l'encours120.
L'exercice d'évaluation des navires est
généralement conduit deux fois par an a l'échelle du
portefeuille de navires financés, et les banques font appel aux
courtiers maritimes -Clarksons, Fearnleys etc.- qui estiment la valeur de
marché des navires.
Cette valeur fluctue en fonction des taux de fret, du prix des
navires neufs, de la liquidité des investisseurs et des
prévisions de l'évolution de la conjoncture sur les
marchés du transport maritime121.
117 Michel Crouhy, Dan Galai, Mark Robert, Risk Management, Mc
Graw Hill, 2000.
118 Ibid.
119 Les autres éléments de l'analyse
crédit sont principalement le risque client (résultats
financiers, management), le risque au niveau de trésorerie
dégagée par l'actif (ou par la flotte dans le cadre d'un
financement concernant plusieurs navires) et le risque de marché
(analyse du niveau des taux de fret, projections sur la santé du
marché à moyen terme etc.).
Le risque de change est également examiné.
120 Ce pourcentage varie généralement entre 110
et 130%, voire 140% de l'encours, de sorte qu'en cas de défaut de
paiement persistant de la part de l'emprunteur, la banque puisse
reposséder l'actif, le vendre et ainsi rembourser le montant de
l'encours.
121 Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney Books,
2006.
La question qui se pose dès lors est de savoir comment les
courtiers vont évaluer les navires verts ? Vont-ils tenir compte des
avancées technologiques dont ils ont été pourvus et des
surcoûts qu'elles ont entraînés ?
Cette interrogation se posera avec d'autant plus
d'acuité en période de taux de fret peu élevés et
de conjoncture basse, lorsque les navires sont essentiellement
évalués en fonction de leur fonctionnalité première
: le transport d'un certain tonnage de marchandise spécialisée
sur une distance définie.
Car si les courtiers considèrent au cours de leur
exercice d'évaluation que les navires verts -dont les prix d'origine
sont à actif égal plus élevés que ceux des navires
standards- ont une valeur commerciale équivalente, alors la value to
loan de ces navires va se détériorer de manière plus
importante que celle des navires standards.
En d'autres termes, a navire équivalent, la valeur du
navire vert rapportée a l'encours sera moins importante que celle du
navire standard, puisque le navire vert aura eu un surcoût à la
construction entraînant -à quotité de financement
équivalente- un encours plus important (voir figure cidessous).
Figure 15 : Exercice de value to loan navire
standard/navire vert (Fictif)
Source : Production propre
La figure 12 montre bien qu'en cas d'évaluation dans
des montants équivalents entre les navires standards et les navires
verts, le navire standard respecterait quasiment tout au long de la
durée du financement un VTL de 110% de l'encours, alors que le navire
vert serait en dessous de 100% tout au long de la durée du
prêt122.
Ce cas de figure pourrait entraîner des tensions
commerciales tout au long de la durée du prêt, avec obligation
pour l'emprunteur d'apporter des garanties supplémentaires
-dépôt de liquidités, hypothèque sur un autre navire
etc.- pour sécuriser l'encours dans la perspective d'un
hypothétique cas de défaut.
D'autre part, nous l'avons vu également, les navires
verts impliquent souvent l'emploi d'une nouvelle technologie dont l'utilisation
par l'équipage pourrait entrainer un surcoût (Voir I) A) 2) Des
surcoûts liés a l'exploitation de ces navires).
Outre ce surcoût, le risque d'actif est également
renchéri du fait des difficultés opérationnelles -y
compris le risque d'accident- que pourrait induire une technologie mal
maîtrisée.
Dans le cas oi le navire serait affrété, et en
fonction du contrat d'affrètement en vigueur, le banquier devrait
pouvoir exercer un droit de regard sur les qualifications de l'équipage
en matière d'utilisation des technologies vertes.
Rappelons a ce titre que la banque possède un droit de
regard sur l'affréteur du navire financé pour les contrats
d'affrètement a temps de plus de 6 mois, et peut imposer a ce titre des
obligations à l'affréteur. Ces obligations seront alors
consignées dans la documentation du prêt123.
Rappelons également qu'en matière
d'affrètement coque nue, c'est l'affréteur qui est en charge de
la gestion nautique du navire, ce qui n'est pas le cas en matière
d'affrètement a temps ou au voyage, pour lesquels c'est le
fréteur qui est responsable de cette gestion124.
En fonction des cas de figure, le banquier devrait pouvoir
exiger de la part du fréteur ou de l'affréteur une garantie que
le personnel assigné à la gestion nautique du navire
maîtrise la technologie verte installée à bord de ce
navire.
122 A noter nous avons utilisé dans la figure 12 un
encours majoré de 15% pour le navire vert. Ces 15% correspondent au
surcoût acquitté par Maersk pour l'achat de sa dernière
génération de conteneurs (voir I) A) 1) Des surcoûts
liés aux caractéristiques physiques des navires verts).
A noter également que les montants indiqués dans la
figure 12 (en Millions de Dollars) ne correspondent en revanche en rien aux
navires achetés par Maersk.
123 On les retrouve généralement dans des documents
tels que le General Undertakings, le Deed of Covenant, le
General Assignment ou le Supplemental Agreement.
124 Cours d'économie du transport maritime, Elisabeth
Gouvernal, 2010.
Enfin, la configuration actuelle du secteur bancaire et la
manière dont sont octroyés les financements maritimes pourrait
également consacrer une potentielle frilosité des banquiers a
l'égard du financement des navires verts.
Dans une étude intitulée Outpacing the
tempest : The consequences of Basle II on Institutional Lending in Shipping
finance transactions125 explique comment les règles de
Bâle II ont eu un impact restrictif sur les financements maritimes.
Les années 1990 ont vu l'émergence d'un
phénomène de concentration dans l'industrie bancaire. Cette vague
de fusons-acquisitions a, toujours selon Peter Measures et Angelo Rosa,
restreint l'offre de crédit à disposition de l'industrie
maritime, ce qui en parallèle engendré une consolidation des
portefeuilles shipping.
Dès lors, les crédits consentis aux petits
armateurs auraient été perçus comme des risques non
nécessaires, et les banques auraient privilégié les
relations commerciales avec de grands armateurs financièrement stables
et de ce point de vue capables d'absorber des retournements de conjoncture
conséquents.
Les banquiers auraient renforcé leur prudence face aux
petits armateurs, rendant les financements plus difficiles à obtenir
pour ces derniers.
Le renforcement des garanties bancaires imposé par les
règles de Bâle II -notamment la provision de sommes d'argent en
cas de défaut d'un emprunteur- impliquent une vigilance accrue
vis-à-vis du risque de défaut de l'emprunteur.
Les auteurs poursuivent en soulignant que seule une
profitabilité forte -assise sur une estimation de rentabilité
importante du projet propre aux grandes opérations d'acquisition de
navires réalisées par les grandes compagnies maritimes- peut
compenser ce risque. Les petits et moyens armateurs, dont le risque de
défaut est plus élevé et dont les crédits sont
moins rentables pour les banques, seraient de ce fait
désavantagés.
Cette analyse peut être transposée en
matière de navires verts. En effet, le manque de connaissance de
l'économie des navires verts pourrait conduire les banquiers à
conserver leurs distances quant à ces types de financement dont la
rentabilité n'est pas clairement connue sur le long terme.
Ce conservatisme et cette frilosité pourrait nuire au
développement et a la généralisation d'un transport
maritime respectueux de l'environnement.
125 Peter Measures, Angelo Rosa, Outpacing the tempest : The
consequences of Basle II on Institutiona Lending in Shipping finance
transactions, The Tennessee Journal of Business Law, 2004.
Dans une moindre mesure, en octroyant des crédits aux
grandes compagnies maritimes -qui développent a l'instar de Maersk, CMA
CGM ou Wilh Wilhelmsen des programmes d'acquisition de navires verts-, les
banques commerciales pourraient renforcer ce phénomène de
shipping à deux vitesses que nous décrivions plus en amont dans
cette réflexion (Voir II) A) 1) a)Des arbitrages aux effets pervers : le
risque d'un shipping a deux vitesses).
2) Multiplication des sources de financement et image verte
: des garanties solides pour l'accessibilité du crédit
Comme nous l'évoquions précédemment, le
manque de retour d'expérience et de connaissance sur les financements de
navires verts pourrait bien agir comme un repoussoir a l'égard des
banques commerciales.
Il convient toutefois de souligner que si c'est le cas, le
temps pourrait bien jouer en la faveur des navires verts. En effet, il y a fort
à parier que les banques ne tarderont pas à financer, au moins
pour leurs clients historiques -et fiables-, quelques navires respectant les
exigences de l'EEDI ou incorporant une technologie destinée à
réduire la consommation de carburant.
De ce point de vue, si l'expérience s'avère un
tant soit peu concluante, les banques pourraient alors bénéficier
du retour d'expérience nécessaire a affiner le choix des produits
financiers a proposer a leurs clients dans le cadre de tels financements.
Un retour d'expérience concluant pourrait en effet
réduire l'évaluation des risques sur l'actif et la
société exploitante, et de fait réduire le taux
d'intérêt du client en même temps que la marge du banquier,
pour rendre les crédits plus accessibles.
a) La diversification des sources de financement garantie
de l'accès au crédit pour les armateurs
Nous le disions en introduction, la diversification des
sources de financement dans l'industrie maritime est un fait, les banques ne
représentant « plus que » 70% des besoins de financement de
l'industrie.
Cela signifie surtout que les armateurs ont un accès au
crédit facilité par la coexistence de plusieurs acteurs sur le
marché. On trouve désormais outre les banques commerciales les
Kommenditgesellschaft (KG) allemands, -surtout présents dans le secteur
du conteneur, mais qui montrent des velléités de diversification
et d'élargissement de leurs activités126- sortes de
fonds qui regroupent des particuliers soucieux d'investir pour
défiscaliser une partie de leurs revenus ainsi que leurs alter ego les
KS norvégiens, ainsi qu'un nombre croissant de fonds d'investissement,
d'agences de garantie des crédits export127.
126 E. Cihan Acka, Latest major developments in shipping finance,
Istanbul University, Institute of Marine Science and Management, 2007.
127 Ibid.
Mais un des plus grands changements est peut-être
l'accès direct aux marchés financiers pour certains armateurs
importants, qui peuvent désormais se financer par le biais
d'émissions d'obligations, voire par une introduction en bourse pour les
plus gros (Maersk, Tsakos Energy Navigation).
Cet accès quasi direct aux capitaux, qui
représente néanmoins un coût plus important que les
crédits financiers classiques128 vient concurrencer les
banques et constitue en ce sens la meilleure garantie de taux
d'intérêts revues a la baisse ainsi que d'un plus large
accès au crédit pour les armateurs, indépendamment de
l'actif a financer129.
b) L'image verte, une figure imposée pour les
banques commerciales
Le transport maritime n'est pas un secteur d'investissement
des plus faciles a « assumer » pour les banques. Car s'il est le mode
de transport le plus respectueux de l'environnement, il véhicule
néanmoins une série de clichés négatifs qui sont
profondément enracinés dans l'opinion publique et l'inconscient
collectif : marées noires, navires poubelle, pavillons dits de «
complaisance », paradis fiscaux et sociétés écran
sont des mots récurrents dans le traitement télévisuel du
transport maritime.
Une image dont les banques commerciales se passeraient bien,
mais avec laquelle elles sont bien obligées de composer. Car
malgré le fait de renforcer les contrôles, de mener des
enquêtes afin de mieux connaître ses clients -les know your
customer policies-, les banques ne sont pas a l'abri d'un naufrage et des
retombées médiatiques s'y rapportant.
C'est pourquoi dans un tel contexte la communication sur le
financement de navires verts auprès du grand public pourrait aider les
banques à combattre cette réputation négative du transport
maritime et les risques qui y sont liés, notamment en termes d'image.
En parallèle, de nombreuses banques commerciales se
sont impliquées dans la finance verte, en suivant les « principes
de l'Equateur ». Ces principes, édictés en juillet 2006 et
appliqués par de nombreuses banques et organismes financiers à
travers le monde concernent le financement de projet et visent à «
s'assurer que les projets (...) sont réalisés d'une
manière socialement responsable
128 Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney Books,
2006.
129 E. Cihan Acka, Latest major developments in shipping finance,
Istanbul University, Institute of Marine Science and Management, 2007.
et respectueuse de l'environnement. Ainsi, les effets
négatifs sur les écosystèmes et sur les communautés
affectés par le projet doivent être évités dans la
mesure du possible, et, s'ils sont inévitables, doivent être
limités atténués et/ou compensés de manière
appropriée130 ».
L'objectif est donc de concilier et de développer des
liens entre le développement durable d'un côté et la
performance financière de l'autre131.
Le fait que de grandes banques comme Citi Group, Barclays, HSBC,
BNP Paribas participent à ce type de démarche montre bien que le
financement d'activités ou de projets durables est
considéré comme porteur, sinon en termes de rentabilité
financière, du moins en termes d'image.
Il y a tout lieu de croire que malgré une
rentabilité non encore prouvée, les navires verts peuvent
constituer un investissement important du point de vue de l'image que
souhaitent renvoyer les banques, ce qui constitue un avantage indéniable
pour les armateurs.
130
http://www.equator-principles.com.
131 Vincent Lim, Greener Central Banks: Exploring Possibilities,
The South East Asian Central Banks (SEACEN) Research and Training Centre,
Août 2010.
CONCLUSION
Ainsi, les navires verts semblent présenter les gages
de rentabilité nécessaires a l'obtention de financements,
malgré les surcoûts et les incertitudes qui pèsent tant sur
les technologies qu'ils utilisent que sur les modes d'exploitation qu'ils
entraînent.
Malgré tout, les économies de soutes qu'ils
permettent de réaliser pourraient constituer la variable clé de
leur rentabilité future, dans un contexte de prix du fioul
élevés et susceptibles de connaître des augmentations a
l'avenir.
La réduction des coûts fixes de ces navires pourrait
leur ouvrir les portes de financements à des taux raisonnables tant ils
pèsent a la baisse sur le risque d'actif.
Reste à savoir si les banques sauront dépasser
leur appréhension inhérente à la méconnaissance de
ces changements considérables dans l'économie même des
navires, économie qui une fois analysée guide leur
stratégie et conditionne leur prise de risque.
En outre, il importe également de suivre le
comportement des armateurs et leur propension à poursuivre dans la voie
d'un shipping durable, notamment en période de faible
activité et de concurrence accrue entre les armateurs.
L'évolution de la règlementation devra
être surveillé également, tant les règles
édictées peuvent avoir un impact sur la rentabilité future
des navires. La situation du cabotage dans les zones ECA, espace au sein duquel
le transport maritime est en concurrence avec d'autres modes
-spécialement routier et ferroviaire- est révélatrice sur
ce point.
La protection de l'environnement et la réduction
globale du niveau d'émissions en vue de lutter contre le
réchauffement climatique risque de conduire à moyen terme
à un renforcement des législations sur les émissions de
l'industrie maritime. La question de la rentabilité des navires verts
devra donc être examinée à la lumière de
critères environnementaux plus drastiques.
Le débat sur la conciliation de la performance
écologique et de la rentabilité financière n'est pas
prêt de s'arrêter.
BIBLIOGRAPHIE
ARTICLES / RAPPORTS :
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OUVRAGES :
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Hill, 2000. - Stephenson Harwood, Shipping finance, Euromoney
Books, 2006.
PRESSE SPECIALISEE : - Lloyd's List
- Tradewinds
SITES INTERNET :
- Site de la Commission Européenne :
ec.europa.eu - Site
de Clarksons :
http://www.clarksons.com
- Site de l'OMI :
www.imo.fr
- Site de l'OCDE :
http://www.oecd.org
- Site Ship Efficiency :
www.shippingefficiency.org
- ANNEXES
ANNEXE 1 : Emissions de CO2 par secteur a
l'échelle mondiale (2007)
Source : Second IMO Greenhouse gases Study, 2009
ANNEXE 2 : Comparaison des émissions de CO2
entre différents modes de transport
Source : International Chamber of Shipping
ANNEXE 3 : Comparaison des émissions de CO2 entre
différents modes de transport (Détail des différents types
de navires)
Source : Yonghwan Kim, Green Ship Design & Technology,
The LRET Research Collegium Southampton, 11 July - 2 September 2011
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