b) Une ambition de forme et de moyens
Outre cette dimension participative et/ou contributive, ces
web documentaires ambitieux ont en commun d'être des formats longs (entre
59 et 160 minutes), avec une position dominante de la vidéo. Par leur
structure, ils se rapprochent des visuels interactifs en ce qu'ils sont
composés de modules qui sont autant de récits et d'entrées
possibles à l'intérieur du récit, mais par leur
caractère immersif, ils s'apparentent davantage aux récits
interactifs. Une richesse de contenus qui permet une navigation très
libre tout en donnant à l'internaute un sentiment de
linéarité et de constante découverte.
Bien entendu, cette richesse de contenus et cette ambition de
la forme a un coût, et pas des moindres. Avec des budgets
dépassant les 200 000 €, ces quatre oeuvres font office de supers
productions dans le monde sous-financé du web documentaire. De fait,
leur montage financier présente un intérêt évident
quant à l'étude économique du secteur. Premiere
caractéristique, la plus décisive, ces quatre projets
bénéficient tous de la participation d'un diffuseur audiovisuel,
qui plus est du même, Arte. Nous reviendrons par la suite sur le
rôle particulier qu'endosse Arte dans ce secteur, mais l'on peut d'ores
et déjà affirmer que ces productions n'auraient pas vu le jour
sans son solide investissement. En couvrant à chaque fois plus du tiers
du devis, Arte assume le rôle de diffuseur conformément à
ses pratiques en matière d'audiovisuel. Il est probable, au regard des
autres projets soutenus par la chaîne, que cet investissement
conséquent a été permis grâce à une
déclinaison antenne du web documentaire. En effet chacun de ces projets
a donné, ou donnera lieu à un programme audiovisuel qui n'est
autre qu'un remontage, voire une simple transposition des contenus web (ceci
expliquant aussi la forte dominance de la vidéo sur ces projets,
finalement plus proches en termes de moyens de productions audiovisuelles que
de contenus web). Dans les faits, Arte s'engage à la fois sur une
participation ou coproduction de l'oeuvre web et sur l'achat de droits
d'antenne pour la déclinaison, sur deux budgets différents :
l'antenne et le pôle web. Autre point commun, ces projets ont
été également financés dans les mêmes
proportions par le CNC qui a suivi dans sa logique de soutien aux oeuvres pour
les nouveaux médias, l'effort engagé par le
47
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diffuseur. Ces deux financements importants ne couvrent pas
pour autant l'intégralité des devis. Les producteurs ont donc
été obligés, à la manière de la production
audiovisuelle classique, de diversifier les sources de financements
complémentaires pour boucler leur budget. C'est le cas par exemple du
diptyque de Serge Gordey, lequel bien que monté avec deux structures de
production déléguée différentes pour chacun des
projets48, s'appuie sur une démarche similaire de
coproduction internationale avec les pays de tournage. Ainsi chacun des
producteurs responsables du tournage sur place est devenu co-producteur de
l'oeuvre. Pour « Prison Valley », dont l'équilibre financier
n'est pas encore atteint, le producteur Upian, a fait le pari d'une approche
crossmedia en multipliant les supports de diffusion (application iPhone,
exposition, publication d'un livre) et des partenaires.
Au regard de l'ambition de ces projets et des sommes investies
un important dispositif promotionnel a été mis en place sur ces
productions, favorisé par la qualité cross ou trans média
des oeuvres qui leur assure une meilleure visibilité. Il faut dire que
la dimension contributive mise en jeu dans ces projets implique une importante
communication pour créer « l'appel » aux contributions. Une
fois que la machine est lancée elle s'emballe rapidement mais auparavant
elle a besoin d'un minimum de soutien. Contrairement aux diffusions
audiovisuelles qui font quasiment l'intégralité de leur public en
une seule fois, les web documentaires, en l'absence de rendez-vous
précis, imposent une fréquentation sur la longueur, l'audience
connaissant un pic d'affluence au moment de son lancement qui ralentit assez
rapidement avant de se stabiliser. La stratégie employée par Arte
pour accompagner le lancement de « Prison Valley " est sur ce point
remarquable : une conférence de presse quelques jours avant l'ouverture
du site, une forte représentation des auteurs, producteurs et même
de la chaîne dans les médias au moment de la mise en ligne et une
multitude d'animations tout au long d'une période de promotion du site
qui va durer deux mois. L'idée d'Arte est de porter suffisamment le web
documentaire pour lui assurer 400 000 visites durant cette période. Si
les premiers chiffres n'ont pas été communiqués, les
producteurs se félicitent pour l'heure de la durée de visionnage
qui dépasse le quart d'heure, soit bien plus que les 4 minutes de
moyenne sur les sites de vidéo. Les partenaires jouent également
un rôle important dans la visibilité de ces programmes. «
Prison Valley ", « Gaza/Sderot " et « Havana/Miami ", sont
hébergés sur des sites dédiés. Même si Arte
leur accorde une visibilité temporaire sur sa page d'accueil, le seul
moyen pour ces sites d'exister est de multiplier leurs portes d'entrées.
Leur structure épisodique facilite cette logique en permettant aux sites
partenaires de mettre en ligne des modules sur leur site (France Inter,
Libération, Le Monde...), dans cette même logique, l'internaute,
en exportant certaines vidéos sur son blog, participe à sa
diffusion.
Cette dernière catégorie, sans doute la plus
ambitieuse en termes de moyens et d'innovation, fait apparaître le
rôle prépondérant des diffuseurs de
télévision, ce qui relève du paradoxe pour un format
destiné aux nouveaux supports de diffusion. Comme pour les autres
productions audiovisuelles classiques, le web documentaire est en outre
largement soutenu par le CNC dont l'ambition est de parvenir à une
certaine professionnalisation du secteur.
48 Bo Travail ! pour « Gaza/Sderot " et Alegria pour «
Havana/Miami "
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