PARTIE TROISIEME
ETAT DES LIEUX DE LA DECENTRALISATION ET DE STRATEGIES
DE DEVELOPPEMENT LOCAL A LA COMMUNE DE CROIX-DES-BOUQUETS
PARTIE TROISIEME
ETAT DES LIEUX DE LA DECENTRALISATION ET DE STRATEGIES
DE DEVELOPPEMENT LOCAL A LA COMMUNE DE CROIXDESBOUQUETS
Dans les parties précédentes,
premièrement, nous avons présenté les grandes
théories classiques des notions sous études. Les principales
stratégies du développement ont été revues dans
leurs différences et complémentarité, dans leurs
filiations et ruptures. La notion de décentralisation est
étudiée à la fois comme instrument de développement
local et composante de tout système de gouvernance territoriale.
Deuxièmement, sont reconsidérées dans le contexte
haïtien les notions sous études en tenant compte de la culture
particulièrement sociopolitique et institutionnelle du pays.
Dans cette dernière partie, consacrée à
l'objectivation empirique de la recherche, sera présentée toute
une sociographie de la Commune de Croix-des-Bouquets qui mettra en
évidence les potentialités et contraintes de celle-ci par rapport
au développement et à la décentralisation. Dans cette
partie, seront notamment présentés et discutés les
résultats conduisant à la conclusion de la recherche, et sera
particulièrement traitée la congruence des hypothèses et
de la réalité empirique. Des réflexions à
visées pratiques seront aussi ébauchées.
.
CHAPITRE VI : PRATIQUES DE LA DECENTRALISATION ET DU
DEVLOPPEMENT LOCAL A CROIX-DES-BOUQUETS
Étant dans l'impossibilité de conduire la
recherche de manière systématique sur toute l'étendue de
la Commune de Croix-des-Bouquets, il a été décidé
de privilégier et de retenir l'espace urbain pour mener les
enquêtes proprement dites, bien que les observations participantes nous
aient amené à parcourir les dix (10) sections communales de la
dite Commune. A ce tournant, il importe de dresser une sociographie et de
préciser les niveaux de territorialité de la Commune en
générale et de l'espace urbain en particulier.
V.1 VUE SYNOPTIQUE DES REALITES SOCIODEMOGRAHIQUES,
SOCIOECONOMIQUES, HISTORICO-POLITIQUES ET CULTURELS
Histoire et idéologies
Selon Moreau de St Méry, pendant la période
coloniale et après l'indépendance de 1804, Croix-des-Bouquets
possédait de nombreuses guildiveries, de manufactures, des indigoteries
et de vastes plantations de vivres alimentaires. La Commune de
Croix-des-Bouquets a été le théâtre de beaucoup
d'évènements historiques. L'armée des Mulâtres et
des Libres de couleur commandée par Beauvais et Rigaud ,
chassée de Port-au-Prince, se reforma à
Croix-desBouquets. L'arrivée de cette troupe provoqua un
soulèvement brutal des esclaves de la plaine du Cul-de-Sac. Ceux-ci
avaient pris pour chef Yacinthe et se joignirent à l'armée de
Beauvais et
En principe, la sociographie fait référence aux
études des réalités et faits sociaux, sans
nécessairement traduire les effets et les transformations
qu'opèrerait le travail humain sur l'espace géographique qui se
transformerait en territoire. En ce sens que la
territorialité- regroupant tout ce qui a trait à
l'espace comme facteur des comportements humains- ressort à la fois de
ce qui a été (de l'espace précédent le territoire),
de ce qui est (le territoire tel qu'il se présente) et de ce qui aurait
pu être. Sociographie et études de territorialité
paraissent donc inextricablement complémentaires s'il faut
dégager une compréhension globale et profonde du milieu sous
étude.
Rigaud. Les Blancs et leurs alliés
décidèrent d'attaquer ce rassemblement. Le 22 mars 1792,
le grand combat s'engagea à Croix-des-Bouquets pour occasionner 1 200
morts parmi les insurgés
er
et 100 morts dans le camp adverse. Le 1janvier 1807, Croix-des
Bouquets aussi a connu la grande bataille qui eut lieu à Sibert
entre forces armées du général Alexandre
Pétion et celles du général Henri Christophe. Ce dernier
assiégea Port-au-Prince pendant une semaine avant de repartir pour le
Nord où résida son gouvernement.
Élevée au rang de Commune en 1959, dans sa vie
contemporaine, la Commune de Croix-des-Bouquets est reconnue pour être un
milieu conservateur et pro-duvaliériste. Le vaudou, le catholicisme et
le protestantisme sont les religions les plus pratiquées dans la
Commune.
Espace, géographie et
démographie
La Commune de Croix-des-Bouquets est géographiquement
bornée à l'est par Thomazeau, Ganthier et Saut-d'eau; au sud par
Belle-Anse ; à l'ouest par Cité Soleil, au nord par Tabarre,
Pétion-Ville, Kenscoff, de Cabaret et le Golfe de la Gonâve. La
Croix-des-Bouquets est la première Commune de l'arrondissement du
même nom, elle est subdivisée en dix (10) sections communales: 1re
Section des Vareux, 2e Section des Varreux, 3e Section Petit-Bois, 4e Section
Petit-Bois, 5e Section Petit-Bois, 6e Section Belle Fontaine, 7e Section Belle
Fontaine, 8e Section Belle Fontaine, 9e Section des Crochus, 10e Section des
Orangers.
Tableau IV: Carte géographique de la Commune de
Croix-des-Bouquets
Source : IHSI-2005 / Inventaire des Ressources et des
Potentialités des Communes
Croix de Bouquets est une Commune intérieure dont la
moitié des sections communales ont pour relief dominant le morne et
l'autre moitié leur relief dominant est la plaine. Ont été
inventoriés dans la Commune, cinquante sept (57) sources, dix huit (18)
rivières et cinq (5) lagons ont été inventoriés
dans la Commune. De plus, près de mille cinq cent cinquante sept (1 557)
puits ordinaires et huit cent soixante dix sept (877) forages ou puits
artésiens ont été également
répertoriés.
En 2005, la population de la Commune de la Croix-des-Bouquets
était estimée à 205 410 habitants. La population
féminine était en supériorité numérique, 107
501 femmes contre 97 909 hommes. Au cours de la période intercensitaire
1982-2003, la population de la Commune a
2
connu un taux moyen d'accroissement annuel de 3,3%. Pour une
superficie de 634,62 km , la
2
densité était de 324 habitants/km . La
répartition de la population par grand groupe d'âges de la Commune
présente la structure suivante : 34,5% de la population de la Commune
ont moins de 15 ans, 61,5% sont âgés de 15-64 ans et ceux de 65
ans et plus représentent 4,0%.
Ruralité et urbanité
En 2007, selon IHSI la population urbaine s'estime à
12,4%, et donc la population rurale s'estime à 87,65. De nos jours,
beaucoup de gens des sections communales reculées s'installent en
affluence à la ville de Croix-des-Bouquets. Ils sont à la
recherche d'emplois, de meilleures écoles pour leurs enfants. L'exode
des sections communales vers la ville de la Commune entraine un
déséquilibre majeur dans la répartition spatiale et la
composition de la population (dépeuplement accru de certaines sections
communales). A coté de ce surpeuplement stable, la ville de la Commune
est victime d'un surpeuplement passagère, mais régulier, le
vendredi (le principal jour de marché) où notamment les Communes
limitrophes (Ganthier, Thomazeau, cornillon, etc.) viennent s'approvisionner ou
régler d'autres transactions. Sans compter, des cadres techniciens de
Port-au-Prince, de Tabarre, de Carrefour ou autres qui viennent travailler
chaque matin à Croix-des-Bouquets, ce qui donne `'un effet d'usine»
au fonctionnement de la Commune.
Après le séisme du 12 janvier 2010, la Commune
de Croix-des-Bouquets a reçu plus de 300 000 personnes
déplacées. Se sont donc terriblement aggravées, les
difficultés de la Commune dont la population s'est plus que
doublée en moins d'une année. La désertification des
Sections Communales et l'hypertrophie de la ville mettent rudement à
l'épreuve la capacité de la Mairie à exercer ses
compétences propres ni celles partagées avec l'État. Les
déchets ne sont ni collectés ni ramassés, par exemple.
L'invasion des ONG, des OI et des déplacés
fortunés contribuent fortement aux opérations des spoliateurs des
terrains étatiques ou municipaux. Devant l'incapacité des
autorités locales, des spoliateurs ont profité de
l'arrivée désordonnée pour vendre des biens fonciers
privés de l'État ou de la Mairie. L'insécurité est
au paroxysme, vols et viols se font beaucoup plus courants. A l'image de la
République, les institutions déjà faibles de la Commune
deviennent comme effondrées ou affaissées.
Education et santé
L'éducation de la population crucienne est
assurée par cinq cent soixante seize (576) institutions scolaires dont
cinquante deux (52) établissement de niveau préscolaire, trois
cent dix huit (318) écoles primaires et deux cent six (206)
établissements secondaires. Plus de quatre vingt pourcent (81,8%) des
institutions scolaires sont localisés en milieu rural. Plus de 4/5 des
établissements scolaires de Croix-des-Bouquets sont privés. La
Commune dispose de quinze (15) écoles supérieures et de quatre
vingt douze (92) institutions techniques et professionnelles.
La Commune possède soixante quinze (75)
établissements sanitaires. L'effectif du personnel des
établissements sanitaires répertoriés
s'élève à cinq cent cinquante cinq (555). Ce personnel est
constitué de médecins (144) et d'auxiliaires (141). Les
institutions sanitaires avec 85,3% d'établissements privés sont
plus nombreuses en milieu rural (59) qu'en milieu urbain (16).
Economie et commerce
Les mangues, la canne à sucre, le café, le
coton, le sisal, le tabac, les haricots et les huiles essentielles constituent
les produits forts de l'économie de la Commune de Croix-desBouquets.
Pour les infrastructures économiques, on a dénombré dans
la Commune vingt (20) hôtels, sept (7) pensions et quatre (4) auberges.
Croix-des-Bouquets détient également sept cent
Le nombre de spoliateurs s'estime à près de 600
par jour.
quarante deux (742) autres établissements financiers parmi
lesquels on trouve trois cent quarante et un (341) banques de borlette et trois
cent dix sept (317) guérites.
Le commerce, l'agriculture et l'élevage des animaux
représentent les principales activités économiques de
Croix-des-Bouquets. Mille quatre cent dix (1 410) établissements
commerciaux parmi lesquels cinq cent vingt neuf (529) boutiques dont trois cent
dix huit (318) petites boutiques et deux cent onze (211) grandes et moyennes
boutiques, cent soixante et un (161) dépôts de boissons gazeuses,
de ciment, matériaux de construction, friperie (pèpè), de
charbon, de clairin, cent cinquante deux (152) magasins de provisions
alimentaires et cent quarante et un (141) matériaux de constructions ont
été inventoriés dans la Commune.
Culture et loisirs
Du coté des loisirs, neuf (9) bibliothèques
privées, un musée, deux (2) salles de théâtre et
huit (8) salles de cinéma ont été inventoriés dans
la Commune. Quatre vingt (80) espaces aménagés de manière
circonstancielle pour pratiquer le sport dont 53 terrains de football, quarante
huit (48) gaguères et trois (3) places publiques constituent
également des lieux de loisirs et de divertissement des cruciens.
Environ onze (11) sites coloniaux, quatre (4) sites naturels et deux cent
soixante treize (273) lieux ou temples vaudou ont été
trouvés dans la Commune.
Gestion de services publics locaux
Dans la Commune de Croix-des-Bouquets, les services publics sont
fournis ou gérés essentiellement par deux (2) catégories
d'institutions :
un tribunal de première instance, un tribunal de paix,
un commissariat de police et deux sous-commissariats de police, un bureau de la
DGI, un bureau d'État civil, un bureau de l'EDH, et un bureau de
Natcom.
(ii) Les institutions locales
décentralisées : La Mairie et les dix (10) Casecs. Ni
l'Assemblée Municipale ni les Assemblées de Section
Communales ne sont fonctionnels.
Conformément à la Loi, la Mairie et les Casecs
exercent respectivement leurs attributions locales à travers une gestion
autonome usant leurs moyens propres et les subventions régulières
de l'État. En plus, les institutions locales de Croix-des-Bouquets,
comme toutes les autres CT, bénéficient de l'expertise technique
des institutions déconcentrées qui sont présentes à
la fois pour encadrer les institutions locales dans le cadre des
compétences partagées et pour exercer les compétences
non-partagées.
Dans le domaine du développement, il a
été constaté que la Commune de Croix-desBouquets ne
possède ni un PDC ni programme communal. L'Administration de la Commune
existe, mais gravement dysfonctionnels. La Mairie de Croix-des-Bouquets n'a
aucun contrôle des associations et des ONG oeuvrant dans la Commune. Les
forêts restant non-protégés constituent une source de
revenu abusé par les coupeurs de bois. La perception des recettes de la
Commune très faible. La Police administrative municipale n'existe pas.
Aucun plan de l'aménagement de la Commune n'est officiellement
communiqué. Des lois, des décrets, des arrêtés,
promulgués par le pouvoir central et qui concernent la Commune ne sont
que circonstanciellement respectés.
La voierie communale ne fonctionne pas. Dans la période
post séisme, les déchets urbains sont gérés par
quelques ONG et OI à travers des programmes de Cash for work qui
n'atteignent que le Centre-Ville de la Commune. Les Sections Communales
éloignées du Centre
ville sont des laissées-pour-compte, car elles ne sont
pas en mesure de fournir la visibilité exigée des ONG et OI. Les
ménages des ces Sections Communales éloignées (formant 80%
du territoire) sont contraints de traverser toute la Commune de
Croix-des-Bouquets avec leurs déchets afin de les déposer dans
une poubelle d'une Commune limitrophe, Tabarre ou Petion Ville, par exemple.
La majorité des routes étant en terre battue
sont péniblement trouées. Les lots des immondices et les eaux
usées non canalisées freinent piteusement la circulation publique
aux moments des pluies. Les marchands sont entassés dans l'espace du
marché public (deuxième marché du pays après celui
de Croix-des-Bossales), aux moments des pluies, ils sont contraints
d'étaler leurs produits sur de boues contenant ordures et
excréments animaux et humains. Aux moments de sécheresse, ils
sont constamment exposés aux poussières contaminant et
malodorant. Il n'y a pas de toilettes publiques, les marchands s'arrangent pour
faire leurs besoins là où ils sont. La santé de la
collectivité est constamment menacée sans jamais interpeller la
conscience des responsables. Au niveau sécuritaire, les marchands sont
constamment rançonnés en plein jour où ils trouvent leurs
dépôts grand ouverts le matin et leurs marchandises
emportés. La police et la justice paraissant indifférentes
n'engagent aucune action préventive ou punitive.
La population crucienne évolue dans une méfiance
collective par rapport aux autorités publiques en
générale, et des autorités municipales en particulier qui
sont accusées de n'être que promptes à faire payer des
taxes, à confisquer des biens sans fournir des services en retour. Il a
été constaté que les citoyens de Croix-des-Bouquets font
tout pour éviter d'être en contact avec les autorités
publiques en général et des autorités municipales en
particulier. Cet évitement constant s'explique par toute une multitude
de causes qu'on élucidera plus loin.
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