§ 3 : Le retrait et le rachat obligatoires
L'acquisition par la voie d'une OPA des titres d'une
société ne doit pas porter atteinte aux droits des actionnaires
minoritaires. C'est pourquoi la directive 2004/25/CE concernant les OPA a
prévu, via le rachat obligatoire, la possibilité pour
l'actionnaire minoritaire n'ayant pas apporté ses titres à
l'offre de quitter la société à des conditions identiques
à celles ayant abouti à l'acquisition du
contrôle277 (B). Cependant, l'actionnaire majoritaire peut
aussi forcer l'actionnaire minoritaire à vendre ses titres, et l'exclure
ainsi de la société. Tel est l'objet du retrait obligatoire
(A).
A. Le retrait obligatoire.
Le retrait obligatoire, prévue par l'article 15, est un
mécanisme qui permet à un actionnaire très majoritaire
d'obliger les actionnaires minoritaires à lui vendre leurs
titres278. À
273 B. Lecourt, « Rapport de la Commission européenne
sur la transposition de la directive OPA », Rev.
sociétés 2007, p. 192.
274 M. Menjucq, Droit international et européen des
sociétés, n°379.
275 J.-P. Valuet/A. Lienhard, Code des sociétés
et des marchés financiers commenté, commentaire des articles
L. 233-32 et L. 233-33 du Code de commerce, p. 931.
276 J.-P. Valuet/A. Lienhard, Code des sociétés
et des marchés financiers commenté, commentaire des articles
L. 233-32 et L. 233-33 du Code de commerce, p. 932.
277 A. Couret, H. Le Nabasque, Droit financier,
n°1416
278 T. Granier, « La directive concernant les offres
publiques d'acquisition », Europe n°11, Novembre 2004, Etude
11, n°8.
l'image du squeeze-out américain, il
permet aux sociétés cotées, sous certaines conditions,
d'unifier leur actionnariat279, en procédant, sans qu'une
décision de l'assemblée générale ne soit
nécessaire, à l'exclusion des actionnaires n'ayant pas
apporté leurs actions à l'offre publique280. Ainsi,
l'article 15 de la directive prévoit que, lorsqu'une offre publique a
été adressée à tous les détenteurs de titres
de la société visée pour la totalité de leurs
titres, les États membres doivent veiller à ce que l'offrant
puisse, sous certaines conditions, exiger de tous les détenteurs de
titres restants qu'ils lui vendent leurs titres pour un juste prix. Cette
possibilité doit être offerte à l'offrant lorsqu'il
détient des titres représentant au moins 90 % du capital assorti
de droits de votes et 90 % des droits de vote de la société
visée ou, lorsque à la suite de l'acceptation de l'offre, il a
acquis ou s'est fermement engagé à acquérir des titres
représentant au moins 90 % du capital assorti de droits de vote de la
société visée et 90 % des droits de vote faisant l'objet
de l'offre (art. 15 § 2). Ce seuil de participation peut être
fixé par les Etats membres à 95 % du capital assorti des droits
de vote et 95 % des droits de vote. Le délai dont dispose l'offrant pour
exercer ce droit est de trois mois à compter de la fin de la
période d'acceptation de l'offre. L'exercice de ce droit mène
à la radiation des titres concernés du marché
réglementé et à la perte de statut de
société faisant appel public à
l'épargne281.
Afin d'assurer le respect des droits des actionnaires
forcés à vendre leurs titres, l'article 15 § 5 dispose que
les États membres doivent veiller à ce qu'un juste prix leur soit
garanti. Cependant, la directive ne précise ni les principes
généraux ni les modalités de détermination de ce
« juste prix »282. Elle se contente d'indiquer
qu'il doit prendre la même forme que la contrepartie de l'offre, ou
consister en une valeur en espèces, tout en instaurant des
présomptions selon lesquelles, à la suite d'une offre volontaire,
la contrepartie de l'offre est présumée juste si l'offrant a
acquis, par acceptation de l'offre, des titres représentant au moins 90
% du capital assorti de droits de vote faisant objet de l'offre, et, dans le
cas d'une offre obligatoire, la contrepartie de l'offre est
présumée juste.
En France, le retrait obligatoire a été
autorisé pour la première fois par la loi n°93- 1444 du 31
décembre 1993, mais les articles 237-1 à 237-13 RGCMF le
limitaient aux cas d'offre ou de demande de retrait. La loi de transposition du
31 mars 2006 fait du retrait obligatoire une procédure autonome, de
telle façon qu'il peut dorénavant être
déclenché à l'issue de toute offre publique, dès
lors que les titres qui n'auront pas été présentés
à l'initiateur de l'offre ne représentent pas plus de 5 % du
capital ou des droits de vote (art. L.
279 P. Merle, Sociétés commerciales,
n°651-3. L'unification de l'actionnariat peut en autres servir à
faire sortir la société des marchés financiers afin de ne
plus faire peser sur la société les charges inhérentes
à la négociation sur un marché réglementé,
dans la mesure où une société n'a plus d'existence
boursière dès lors que la plus grande partie de ses titres sont
détenus par un même actionnaire (A. Couret, H. Le Nabasque,
Droit financier, n°1430).
280 T. Heidel, « Der übernahmerechtliche Squeeze- und
Sell-out gemäß §§ 39aff. WpÜG », DK
2006, 653 (653).
281 A. Couret, H. Le Nabasque, Droit financier,
n°1435.
282 A. Austmann/P. Mennicke, « Übernahmerechtlicher
Squeeze-out und Sell-out », NZG 2004, 846 (849).
433-4-II C. mon. fin. ; art. 237-14 RGAMF)283. Les
actionnaires contraints au retrait reçoivent une indemnité
égale, par titre, au prix proposé lors de la dernière
offre ou, le cas échéant, au prix résultant d'une
évaluation « multi-critères » d'usage courant en
matière d'OPA (art. L. 433-4-III C. mon. fin. ; art. 237-16-I RGAMF).
Cette évaluation est effectuée par l'initiateur de l'offre selon
les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actifs.
Elle tient compte de la valeur des actifs, des bénéfices
réalisés, de la valeur en bourse des actions, de l'existence de
filiales ainsi que des perspectives d'activité. Elle est assortie de
l'évaluation d'un expert indépendant284, qui dispose
d'un droit d'opposition. L'AMF, chargée d'examiner le projet d'offre
publique et de se prononcer sur sa recevabilité, autorise le retrait
obligatoire aux conditions proposées285.
Le § 39, al. 1 WpÜG transpose l'article 15 de la
directive en droit allemand. L'Allemagne a fait usage de l'option ouverte
à l'article 15 § 2, portant le seuil requis pour l'exercice du
retrait obligatoire à 95 % du capital assorti des droits de vote. Le
texte européen ne donnant aucune précision quant au type de
procédure à suivre, cette disposition prévoit que les
actions seront transférées par l'intermédiaire d'une
décision judiciaire286. Selon certains auteurs, cette
procédure offre une protection moindre de l'actionnaire que celle des
§ 327a ff. AktG, dans la mesure où les actionnaires
concernés ne sont pas parties à la procédure judiciaire,
mais disposent seulement d'un droit d'être entendu287. Selon
la doctrine, la notion de « juste prix » devant être
alloué aux actionnaires doit être entendue selon la jurisprudence
constante de la Cour constitutionnelle fédérale et de la Cour
fédérale de justice, selon lesquelles est due une «
compensation financière intégrale »288,
qui ne doit être inférieure ni à la valeur obtenue par
l'application de la méthode dite de la « valeur de rendement
», ni à la valeur vénale des titres289. La
question de savoir si les présomptions posées par le § 39a
al. 3, phrase 3 WpÜG (transposant l'article 15 § 5 de la directive)
sont de nature réfutable ou irréfutable a fait l'objet d'un
débat au sein de la doctrine allemande. Selon certains auteurs, une
interprétation de cette disposition à la lumière de
l'article 14 de la Loi fondamentale allemande garantissant le droit de
propriété et de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
fédérale aboutirait à considérer ces
présomptions comme réfutables290. Cependant, il se
283 G. Ripert, R. Roblot, Les sociétés
commerciales, n°2267.
284 Paris, 19 octobre 1999.
285 P. Merle, Sociétés commerciales,
n°651-3.
286 Heidel/Lochner, in : Heidel (Fn. 5), § 39
WpÜG Rn. 23.
287 T. Heidel, « Der übernahmerechtliche Squeeze- und
Sell-out gemäß §§ 39a ff. WpÜG », DK
2006, 653 (655). 288 BVerfG, Urteil v. 7.8.1962 - 1 BvL 16/60, BverfGE 14,
263, 283 (Feldmühle); BverfG, Urteil v. 27.4.1999 - 1 BvR
1613/94, BVerfGE 100, 289, 303 (DAT/Altana); BGH, Beschluss v.
12.3.2001 - II ZB 15/00, BGHZ 147, 108.
289 BVerfG, Urteil v. 27.4.1999 - 1 BvR 1613/94, BVerfGE 100,
289, 303 (DAT/Altana).
290 P. Rühland, « Der übernahmerechtliche
Squeeze-out im Regierungsentwurf der ÜbernahmerichtlinieUmsetzungsgesetzes
- Ökonomisch sinnvoll, aber nicht vollständig mit höherrangigem
Recht vereinbar », NZG 2006, 401 (404).
dégage de l'exposé des motifs de la loi que le
législateur a eu l'intention de leur conférer un caractère
irréfutable291. Par ailleurs, la directive ne prescrit
nullement leur caractère irréfutable292. Ces
présomptions lui ont d'ailleurs été inspirées par
le rapport du groupe d'expert WINTER, présenté à la
Commission européenne en septembre 2001, qui considérait
expressément que celles-ci devaient avoir un caractère
réfutable. Conformément à la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle fédérale, il convient donc de considérer
que les présomptions du § 39, al. 3 WpÜG peuvent être
renversées293, ce qui permet de garantir - tout du moins
théoriquement - le plein respect du droit de propriété des
actionnaires évincés.
|