Introduction
Nous y sommes, la révolution numérique est en
marche et s'emploie à changer en profondeur le monde de
l'édition. Pourtant, ces modifications ne datent pas d'hier. L'amont de
la filière a modifié ces pratiques depuis plusieurs années
déjà, le mode de production du livre papier ayant radicalement
changé depuis plusieurs années. Ce dont on parle aujourd'hui
c'est de l'aval, c'est bien ce qui fait l'objet aujourd'hui de toutes les
attentions, ce livre sur support numérique qui annonce, selon Robert
Chartier, une triple révolution : la révolution de la technique
de production du texte, une révolution du support de l'écrit et
enfin une révolution des pratiques de lecture.
Mais pourquoi entend-t-on évoquer chaque jour dans les
médias un raz de marée qui modifiera en profondeur les pratiques
si l'on ne parle que du livre homothétique, s'il ne s'agit que de la
simple reproduction de l'ouvrage papier sur support numérique ? Parce
que l'enjeu ne réside pas dans la simple action de déposer un
fichier sur une plate-forme de distribution, mais il est bien plus crucial. En
outre, parler de livre numérique, est-ce parler encore de livre ?
Interrogeons-nous tout d'abord sur la définition du livre.
Curieusement, seule l'administration fiscale en propose une. Selon elle, «
Un livre est un ensemble imprimé, illustré ou non,
publié sous un titre ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de
l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de
la pensée et de la culture. »3 Sont donc exclus de
cette définition, les produits non imprimés et par
conséquent le livre numérique. Ceci peut paraître incongru
à l'éditeur comme au lecteur ; « À la recherche du
temps perdu » diffusé sur le FnacBook, ne serait donc pas
un livre au sens de l'administration fiscale. On comprend bien là qu'il
existe un vaste malentendu, et que celui-ci réside dans la confusion
entre l'oeuvre de l'esprit et son support. Le travail de l'éditeur est
bien de créer du contenu afin d'enrichir la connaissance, peu importe le
média sur lequel il est diffusé. Il ne s'agit plus seulement, par
conséquent, pour les maisons d'édition de se lancer dans la
production de livres homothétiques, mais bien de permettre la diffusion
de la pensée quelque soit le support (Smartphones, tablettes,
ordinateurs...). Ainsi, le contenu est caméléon,
3 Bulletin officiel des impôts, Direction
générale des impôts, 3 C-4-05, n° 82 du 12 mai 2005,
relatif à la TVA au taux réduit et à la définition
fiscale du livre
prenant différentes formes en fonction de l'appareil sur
lequel il est consulté : il peut revêtir les atours d'une
application de guides de voyage géolocalisée sur iPhone, d'un
livre enrichi d'illustrations animées, de musique et de commentaires
dans le secteur de la jeunesse pour iPad, d'une base documentaire juridique sur
ordinateur ou d'un livre de littérature générale qu'il
sera possible au lecteur d'annoter sur un Kindle. Les maisons d'édition
doivent déterminer le support en fonction du contenu et en adapter la
narration.
L'observateur pourrait trouver les éditeurs attentistes.
Alors qu'ils expérimentent aujourd'hui la commercialisation de livres
numérisés, ils sont encore, pour la plupart, bien loin
d'être en mesure de produire des contenus numériques. Les freins
sont de plusieurs ordres. Ils sont d'abord financiers. Les coûts de
production d'un livre application sont sans commune mesure avec ceux
générés par un ouvrage imprimé. L'équipement
du marché en supports doit donc être suffisant. C'est le cas
aujourd'hui pour les Smartphones, cela ne l'est pas encore pour les tablettes
sur le marché français. Les sociétés sont soumises
à des objectifs de rentabilité et la récente faillite de
la société numérique Leezam ne devrait pas encourager les
sociétés d'édition à prendre plus de risques.
Ces freins résident aussi dans la formation des
équipes. Réaliser une application qui intègre du texte, de
la vidéo et du son, fait appel à de nouvelles compétences
qu'il convient de développer dans les maisons d'édition.
Enfin, cet attentisme est dû également à la
difficulté qu'éprouvent les éditeurs à trouver leur
place au sein de la nouvelle chaîne de valeur. Celle-ci se disloque.
Désormais, à l'instar du monde de la musique, chaque maillon de
la chaîne peut potentiellement entrer en contact avec les autres. Ce
constat constitue une menace. Jadis, le lecteur n'avait de lien qu'avec le
libraire, alors qu'aujourd'hui, il peut dialoguer avec l'auteur. De même,
il n'y a pas si longtemps l'écrivain devait
conclure un contrat avec l'éditeur s'il voulait être
publié, maintenant il lui est loisible de s'autopublier facilement, les
cyberlibraires proposant maintenant des plates-formes d'autopublication. Des
auteurs anglo-saxons inconnus peuvent même se targuer de vendre des
millions de livres (voir plus loin, le thème consacré à
l'autopublication). Les éditeurs se trouvent face à des colosses
aux moyens financiers étendus qu'ils ne voient pas bien comment
concurrencer.
À ces changements profonds, s'ajoutent ceux liés
à la commercialisation du livre. Le web apporte aux éditeurs de
nouveaux outils de promotion pour accroître les ventes d'un titre. Les
éditeurs des grands groupes maîtrisent l'art et la manière
de conjuguer réseaux sociaux, plates- formes de partage ou encore
actions de communication sur les hubs littéraires. Pour les maisons
d'édition de petite et moyenne tailles, ces techniques ne sont pas si
simples à utiliser.
La présente étude ambitionne de répondre aux
questions liées à la stratégie numérique à
mener, mais aussi, les menaces sont-elles identifiées afin de formuler
des recommandations.
Dans une première partie, il sera question d'analyser les
mutations du marché du livre et de comprendre quels pourront être
les modèles économiques des livres numériques, car ils
sont bien pluriels.
Dans une seconde partie, l'étude livre les clés
pour bâtir une stratégie numérique efficace, afin de ne pas
se laisser distancer. Il s'agira tout d'abord des nouveaux moyens de promotion
du livre, afin d'en dégager les bonnes pratiques. Ensuite, les pistes
pour réorganiser les maisons d'édition seront abordées
afin de se préparer à la révolution qui s'annonce. Enfin,
la section consacrée aux nouvelles expériences de lecture
constitue une approche prospective qui devrait aider à mieux comprendre
ce que sera le métier de demain et à identifier les
opportunités de développement.
Producteur de contenus multimédias et webmarketeur averti
seront les deux compétences clés de l'éditeur.
Aujourd'hui, la révolution est en marche. Il convient donc d'en
comprendre les enjeux et de bâtir une stratégie numérique
qui permettra de créer de la valeur dans le monde de demain qui gronde
déjà à nos portes.
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