Résumé
Après le cinéma et la musique, les
éditeurs de livres constituent la dernière industrie culturelle
à être touchée par la numérisation. Ce
procédé impacte toute la chaîne de la filière du
livre : l'éditeur à travers la coordination du projet
éditorial, le compositeur, l'imprimeur et enfin le diffuseur et le
distributeur. Il s'agit donc bien là d'une révolution qui
engendre maints mouvements structurels.
Face à ces changements de fond, cette étude se
propose, à partir d'éléments chiffrés, d'analyser
le marché du livre et de déterminer les leviers qui aideront les
éditeurs à entrer dans l'ère numérique. En effet,
les sociétés d'édition doivent travailler et s'organiser
autrement pour se préparer aux changements attendus dans
l'écosystème du livre. Ils doivent acquérir de nouvelles
compétences. C'est là une condition de leur survie !
Les nouveaux contenus éditoriaux - livres enrichis,
applications pour Smartphones et tablettes - constituent une
véritable opportunité de croissance pour les éditeurs de
livres. Ceux-ci sont néanmoins indécis, ne pouvant être
certains qu'ils seront à même de rentabiliser leur investissement.
Cette étude analyse donc l'état du marché et se propose de
dégager les pistes de développement qui s'ouvrent aux maisons
d'édition traditionnelles.
Ainsi, les développements seront scindés en deux
grandes parties. La première est consacrée aux mutations qui
affectent le marché du livre et à l'évolution de la
chaîne de valeur. De même, les freins à lever pour
l'émergence d'une économie numérique seront
traités, suivis de l'éventail des différents
modèles économiques possibles. Sur ce dernier point, deux
secteurs éditoriaux, ayant depuis de nombreuses années
déjà basculé vers le numérique, seront
examinés : il s'agit de l'édition juridique et scientifique.
La deuxième partie sera consacrée à la
stratégie globale à adopter. Il est mis ici l'accent sur les
outils digitaux de promotion du livre, sur le choix des plates-formes de
distribution des livres, sur la nécessité d'organiser autrement
les sociétés d'édition et l'évolution
nécessaire des compétences en interne. Cette étude
s'achève avec des éléments prospectifs sur ce que sera le
livre de demain.
Paper Outline
After the movie and music industry, book publishing is the
last cultural industry to be affected by the digital era. This process has an
impact upon all the segments of this industry: the publisher who coordinates
the publishing work, the compositor, the print worker and last but not least
the distributor. It is truly a revolution that gives rise to many structural
changes.
In light of these dramatic changes, the present paper will,
based upon various data and figures, provide an analysis of the book market and
will also identify the tools enabling the publishers to enter into the digital
world. Indeed, the publishing houses must re-organise and adapt themselves to
the changes foreseen in the book ecosystem. They must build or acquire new
skills, failing which their survival is at stake !
The new types of publishing content, that is enhanced
books, Smartphone applications and e-tabs, give book publishers a true
opportunity for growth. Publishers feel however very reluctant as they have
some doubts about their ability to see the return on their investment. This
paper contains a market analysis and will describe the various ways that may be
followed by traditional publishing houses.
The first paper chapter is dealing with the mutations that
impact the book market and the evolution in the value chain. Further, it is
describing how to overcome the hurdles to the development of the digital
business as well as a quite comprehensive overview of the possible business
models. For illustration purposes, the paper looks into two specific publishing
markets that have already switched into the digital world for several years,
that is legal and scientific books.
The second chapter of this paper is focused on the global
strategy to be adopted, in particular with respect to the digital tools for
book marketing, the choice of platforms for book distribution, the critical
need to reorganise publishing houses and revisit the in-houses skills that are
required. The paper conclusion contains some further prospective considerations
about what likely will be the book of tomorrow.
Recommandations
Travailler dans le secteur du livre permet de prendre conscience
des grandes disparités existant entre les maisons d'édition. Il y
a d'abord les grands groupes qui, depuis quelques années
déjà, opèrent une veille sur le marché et se sont
organisés afin de faire face à un changement brutal. D'ailleurs,
dans le cas du livre numérisé, ils sont aujourd'hui tous en ordre
de marche. Pour eux, 2011 est le « moment ebook
»1. Cette année doit donc être
consacrée à l'enrichissement des catalogues numériques,
l'une des conditions du basculement du marché. Toutefois, ils restent
très frileux pour entreprendre de nouvelles expériences sur les
contenus. La raison en est simple : pas de production éditoriale sans
rentabilité. Cette place est donc prise par des « start-up »
qui tentent l'aventure et se lancent à la conquête de ce nouvel
eldorado en développant tous azimuts des livres enrichis et applications
pour Smartphones et tablettes, en faisant bien trop souvent l'économie
d'une étude de marché.
Ensuite, viennent les moyennes et petites maisons
d'édition dont la vision d'avenir dépend bien trop souvent d'une
personne un peu Geek, un peu webmarketeur, mais pas assez d'une
stratégie claire et bien établie. Trop de sociétés,
dont le chiffre d'affaires n'est pas négligeable, ne connaissent pas
vraiment le rôle des plates-formes de distribution et des
agrégateurs. Elles ignorent aussi comment produire un simple fichier
epub pour mettre à disposition le livre numérique. Elles
voudraient parfois se lancer dans des applications dérivées de
leur contenu, mais elles n'en font rien parce qu'elles ne savent pas par
où commencer et à quelles compétences elles doivent
s'adresser. Par conséquent, les « pure players » s'engouffrent
dans la brèche, conscients qu'il existe des potentiels de
développement. Ceux-là ne sont pas issus de l'édition,
mais sont très souvent «game designers» ou informaticiens.
Alors, les éditeurs sont-ils condamnés à ne produire que
du livre papier et, si celui-ci devenait objet rare pour collectionneurs,
à disparaître avec lui ?
Le déficit de compétences touche aussi les
nouvelles manières de promouvoir le livre. Trop d'éditeurs n'ont
encore pas l'ombre d'un site web; trop d'éditeurs réalisent le
marketing des ouvrages comme il y a dix ans.
Pour répondre à ces problématiques,
plusieurs points sont abordés :
La chaîne de valeur qui se modifie peu à peu.
D'abord, véritable clone du livre papier, son maillage évolue
d'une structure linéaire vers une structure réticulaire,
réseau où tous les maillons
1 Concept dégagé par Virginie Clayssen,
Présidente de la Commission numérique du syndicat national de
l'édition
peuvent entrer en contact. Cette prise de conscience est
importante, afin que l'éditeur réaffirme son double rôle de
coach de l'auteur et de support à la commercialisation du livre, mais
aussi qu'il devienne un véritable animateur de communautés.
La répartition de la valeur est un point également
important. Certes, les lecteurs souhaitent un prix du livre numérique
inférieur à celui de l'ouvrage papier (de l'ordre de 40 % moins
cher2). Certes, les coûts de production sont relativement
importants. Certes, la TVA est plus élevée. Certes, les
éditeurs doivent faire face à un risque de perte de la valeur.
Pour toutes ces raisons, les maisons d'édition ont adopté une
position qui consiste à fixer les droits d'auteur à 15 %. Il
s'agit là d'une légère augmentation par rapport aux droits
versés pour la publication papier, mais pour les auteurs cela est loin
d'être suffisant. La révolte actuellement gronde et, les auteurs,
bien conscients de disposer désormais de moyens de pression, menacent de
s'organiser pour vendre leurs livres sans l'intermédiation des
éditeurs. À ce jeu, les éditeurs risquent d'être les
grands perdants et de se voire évincer par d'autres acteurs. La
renégociation des droits d'auteur numériques est aujourd'hui un
enjeu capital pour l'avenir de la profession.
Les plates-formes permettent aujourd'hui la distribution des
livres numériques. L'interopérabilité est cruciale pour
diminuer les coûts et permettre la diffusion des oeuvres de l'esprit par
l'ensemble des cyberlibraires. Un accord a été signé entre
les trois grands acteurs, toutefois, il ne semble pas que cela soit pour le
moment opérationnel. Il est important d'accélérer ce
processus.
Les modèles économiques sont analysés. Une
évolution vers un modèle à abonnement à un flux de
données semble l'hypothèse la plus probable. Dans l'avenir, des
sites se constitueront sans doute autour d'une communauté
intéressée par le même thème, l'art par exemple. Ils
auront alors accès à l'ensemble des contenus sur un sujet
donné, quelque soit la maison d'édition ou la
société de presse à l'origine de la publication. C'est
sans doute là aussi, une piste de développement pour les
éditeurs.
La cyberpromotion est passée en revue. L'étude
tente de dégager des bonnes pratiques à partir de cas concrets.
De même, des pistes sont données afin de moderniser la
manière de promouvoir les livres par l'utilisation des nouvelles
techniques de webmarketing.
Enfin, une partie est consacrée aux nouvelles
expériences de lecture. Il s'agit d'une approche prospective qui devrait
constituer pour les éditeurs une source de réflexion.
2 Etude IPSOS/CNL, Les publics du livre
numérique, mars 2010
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