Placement sous écrous et dignité de la personne( Télécharger le fichier original )par Malick BA Université Gaston Berger de Saint-Louis - Maitrise 2010 |
PARAGRAPHE 1 : UNE QUALITE GENERALE DE VIE DEPLORABLELe milieu carcéral est loin d'être de tout repos. Cet hôtel zéro étoile renferme une quantité industrielle d'atteintes à la dignité du détenu. Parmi celles-ci, la surpopulation pénale impose ainsi aux directeurs d'établissement et aux surveillants des contraintes de gestion qui nuisent aux possibilités de réinsertion des détenus. La surpopulation aboutit au non-respect des textes, rend très difficiles les conditions de vie en détention et empêche l'administration pénitentiaire d'assurer correctement son rôle. En outre Albert Camus a dit qu' "une société se juge à l'état de ses prisons ». En vérité, la surpopulation, liée à un état de vétusté et de délabrement des établissements caractérisent les entorses à la dignité. Il parait donc opportun de voir l'état de surpopulation carcérale(A) avant d'analyser la vétusté et l'inadaptation des prisons (A). Elle traduit l'inadéquation matérielle entre le nombre de détenus et les places disponibles La surpopulation des maisons d'arrêt, est une " première violence de la prison", celle qui consiste à mettre deux détenus, voire trois ou cinq dans 9 m2, a les conséquences les plus graves sur les conditions de détention. La surpopulation pénale est donc à l'origine d'un traitement infligé aux détenus qui peut être considéré, à juste titre, comme inhumain et dégradant ; elle n'est bien évidemment pas non plus étrangère à la survenance de plus en plus fréquente d'actes d'auto-agressions (automutilations, tentatives de suicides ou suicides), d'agressions entre détenus, d'actes de violence envers les surveillants etc. Si la surpopulation est déjà un problème en elle-même, compte tenu du surcroît de travail qu'elle occasionne, ses effets induits sur la crédibilité et l'autorité de l'institution sont encore plus destructeurs. En effet, l'impératif de gestion se fait encore plus prégnant, car, outre le manque de places en cellule, c'est bien souvent l'ensemble des services qui dysfonctionne aussi. Cette situation conduit l'administration pénitentiaire à temporiser, à compenser. Les contacts avec la population pénale, l'observation, sont réduits, voire inexistants, laissant le champ libre aux leaders négatifs. On ne sait plus ce qui se passe, on gère des flux, on " fait tourner " selon l'expression souvent employée. Que peut faire le surveillant lorsqu'il entre dans une cellule où il se retrouve face à cinq détenus ? Cette situation objective de surpopulation carcérale, couplée à des conditions matérielles de détention déplorables (cellules sales et infestées de cafards, de punaises et de poux, fenêtres obturées par des volets métalliques qui ne laissaient filtrer qu'une très faible lumière, confinement en cellule vingt-deux à vingt-trois heures par jour), constitue un traitement dégradant82(*). Mais c'est probablement l'affaire Kalashnikov c/ Russie du 15 juillet 2002 qui constitue l'illustration parfaite du refus actuel de la Cour d'accepter de telles conditions de détention. Dans cette espèce, le requérant était, ainsi que vingt-trois autres détenus, l'occupant d'une cellule de dix-neuf m², conçue pour huit. Cette surpopulation imposait l'utilisation de chaque lit par trois personnes, par rotation. Pour une application très récente, l'arrêt Bitchkov c/ Russie, du 5 mars 2009, où la violation de l'article 3 repose sur l'existence d'un espace de vie par détenu compris entre 0,65 et 1,3 m2 est constante. En France, jusqu'en 1996, la population pénale n'a cessé de croître. Selon une étude de M. Pierre Tournier, ingénieur de recherche au CNRS, la population carcérale en France a doublé de 1975 à 1995, pour atteindre quelque 54.000 détenus, tandis que, pour la même période, la population française n'augmentait que de 10 %. Le terme " d'inflation carcérale " a été utilisé pour caractériser cet accroissement du nombre de détenus, qui est sans commune mesure avec l'accroissement du nombre d'habitants. L'année 1996 marque une rupture dans cette évolution, puisqu'à partir de cette date la population carcérale diminue : au 1er janvier 2000, elle s'élevait à près de 51.500 détenus, soit 6,6 % de moins qu'en 1996. Toutefois, cette baisse n'a pas permis d'enrayer le surpeuplement carcéral en raison d'un allongement sensible de la durée des peines. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire qui fait partie des mécanismes de promotion des droits humains a dans son rapport indiqué que la plupart des prisons sont surpeuplées. C'est le cas à la Maison d'arrêt et de correction de Reubeuss où il a été dénombré 1 592 détenus. Alors qu'elle a une capacité de 800 personnes. Le Camp pénal de Liberté 6, la Maison d'arrêt des femmes et la Maison d'arrêt et de correction de Thiès sont également dans le lot. Mais ils n'ont pas avancé de chiffres à ce sujet. Seul éclair dans la grisaille, la Maison d'arrêt et de correction de Saint-Louis qui n'enregistre que deux détenus de plus sur une capacité de 25083(*). Il faut rappeler, pour conclure, que ces conditions de détention rendues particulièrement pénibles et désocialisantes du fait de la surpopulation sont imposées à des personnes qui, soit sont prévenues et bénéficient à ce titre de la présomption d'innocence, soit condamnées à de très courtes peines et destinées à retourner très rapidement à l'extérieur. B- LA VETUSTE ET L'INADAPTATION DES PRISONSL'Etat du Sénégal vient d'engager une réforme de l'Administration pénitentiaire. Cette réforme vise la modernisation de l'Administration pénitentiaire parce qu'il n'y a pas eu, depuis l'indépendance, de nouvelles constructions d'établissements. Donc, avec la vétusté des établissements et la surpopulation carcérale, le premier objectif, ce sont les infrastructures, la création, la modernisation des établissements pénitenciers. En effet, ces bâtiments ne répondent pas aux exigences imposées par le code de procédure pénale en matière de conditions de détention : encellulement individuel des prévenus, locaux devant répondre aux exigences de l'hygiène, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, l'aération, fenêtres suffisamment grandes pour permettre de lire et de travailler à la lumière naturelle et de faire entrer l'air frais. Aujourd'hui, plus de la moitié des établissements au Sénégal se caractérisent par des structures traduisant des conceptions pénitentiaires dépassées et inadaptées aux régimes modernes de détention. Il y'a une nouvelle population pénale pour une prison inchangée. La croissance du nombre des condamnés depuis vingt ans s'est parallèlement accompagnée d'un bouleversement de la structure de la population carcérale : les délinquants sexuels, les malades mentaux et les toxicomanes représentent désormais, comme dans les pays étrangers, les trois principales composantes de la population des prisons sénégalaises et posent de redoutables problèmes de gestion aux personnels pénitentiaires. En France, le docteur Roland Broca a indiqué à la commission que près de 20 % des détenus étaient inculpés directement pour infraction à la législation sur les stupéfiants, tandis que 20 à 30 % des autres détenus sont incarcérés pour des délits liés à l'usage ou à l'obtention de drogues. Il s'agit d'une population fragile psychologiquement et très perturbée par le phénomène de manque. Elle est donc très exposée au risque de suicide et très dépendante des autres détenus dans sa quête de stupéfiants84(*). Concernant les malades mentaux une véritable révolution s'est opérée : le credo de la psychiatrie moderne est désormais " d'ouvrir " les hôpitaux psychiatriques. Lorsque l'irresponsabilité est prononcée, le juge d'instruction est amené à se dessaisir en rendant une ordonnance de non lieu, le tribunal correctionnel prend une décision de relaxe et la cour d'assises doit évidemment prononcer un acquittement. L'infraction commise doit donc être oubliée ; elle n'a été qu'un révélateur de la maladie de son auteur. Mais ses troubles psychiques graves subsistent. Les psychiatres jouent aujourd'hui un rôle considérable dans le système judiciaire et pénitentiaire : ils peuvent établir l'irresponsabilité de l'accusé. Avec le droit français il convient cependant de rappeler que de l'article L. 348 de la santé publique permet (loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux), de placer l'auteur de l'infraction en hôpital psychiatrique. De plus en raison de l'allongement de la durée des peines et de la modification de la structure de la population carcérale selon les infractions, les détenus sont de plus en plus vieux. Or, le vieillissement de la population carcérale n'est pas sans poser des problèmes à l'administration pénitentiaire. Parmi eux, certains sont physiquement dépendants, alors même que les établissements ne sont pas équipés pour accueillir une telle population. Non seulement les cellules ne sont pas adaptées, mais l'architecture des prisons n'a pas été conçue pour des personnes invalides. Ainsi, il n'existe pas d'ascenseur et les distances à parcourir pour accéder aux cours de promenades, aux parloirs ou encore aux unités de soins sont parfois importantes85(*) et difficiles. Aussi l'évolution du nombre des incarcérations des mineurs ces dernières années révèle un phénomène préoccupant. Les actes de délinquance juvénile se caractérisent par une aggravation des infractions, souvent commises avec violence contre des personnes, notamment des représentants de l'autorité ou des services publics. En outre on tend de plus en plus vers la prison refuge ? En dehors de cas exceptionnels récents, liés à la délinquance financière, la prison accueille avant tout une population plutôt défavorisée. Cette population arrive en situation d'échec : échec du système scolaire, échec du milieu familial, échec du système économique et autre. Un grand nombre de détenus se retrouvent souvent " isolés ", ayant rompu nolens volens les liens familiaux, à la suite d'une rupture ou d'un divorce. Pour les jeunes adultes, la rupture avec le milieu familial les a plongés dans une " errance " et une misère, ayant pour conséquence une " délinquance d'appropriation ". La drogue a changé peu à peu les transgressions, rendant encore plus violente cette délinquance. Somme toute on trouve en prison des gens qui n'ont rien à y faire. Les prisons sont utilisées comme variable d'ajustement du système pénitentiaire. Elles mêlent, en effet, les prévenus et les condamnés. Elles accueillent par ailleurs depuis quelques années de nouvelles populations qui posent de redoutables problèmes de coexistence. C'est le cas des étrangers en situation irrégulière, des toxicomanes, des malades mentaux, des mineurs et jeunes adultes délinquants mais aussi des détenus âgés, et d'autres fragilisés par la maladie (le sida, la tuberculose, les hépatites), par des handicaps physiques et aussi par le développement de l'indigence consécutive au chômage et à l'exclusion. Pour toutes ces catégories de personnes, les structures pénitentiaires classiques se révèlent tout à fait inadéquates. Elles signifient l'exclusion dans l'exclusion, qui conduit souvent au suicide. * 82 * 83 * 84 * 85 |
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