La protection des actionnaires minoritaires des societes anonymes dans l'espace ohada( Télécharger le fichier original )par Adjo Flavie Stéphanie SENIADJA Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - DEA en droit privé fondamental 2008 |
SECTION II : LES ELEMENTS CARACTERISTIQUES DEL'ABUS Une décision majoritaire n'est pas abusive du seul fait qu'elle déplaît aux minoritaires. L'alinéa 2 de l'article 130 AUSCGIE retient deux critères cumulatifs pour reconnaître l'abus de majorité : l'abus de majorité est caractérisé lorsqu'une décision adoptée par le ou les actionnaires majoritaires au cours d'une assemblée générale ordinaire, extraordinaire ou encore au cours d'un conseil d'administration, apparaît à la fois contraire à l'intérêt social, et comme ayant été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres actionnaires. En d'autres termes, les éléments caractéristiques de l'abus de majorité sont l'atteinte à l'intérêt social (Paragraphe I) et la rupture d'égalité (Paragraphe II). PARAGRAPHE I : L'ATTEINTE A L'INTERET SOCIALLe droit de vote doit être exercé dans l'intérêt social. Cette assertion a été renchérie par la cour de cassation qui a affirmé que : « le droit de vote est conféré à l'associé pour qu'il l'utilise dans l'intérêt commun et non pas à des fins égoïstes (...) et qu'ainsi, aucune délibération d'un organe sociétaire n'est à l'abri de la qualification d'abus de majorité »84(*). On retrouve la notion d'intérêt social dans diverses dispositions de l'AUSCGIE85(*), mais, le législateur OHADA ne définit pas explicitement l'intérêt social. Aussi, comment appréhender la notion d'intérêt social (A) et quel rôle l'intérêt social peut il bien jouer au sein d'une société (B) ? A/ LES CONTROVERSES DOCTRINALES RELATIVES A LA NOTION D'INTERET SOCIAL Faute de définition légale, plusieurs conceptions s'affrontent pour définir l'intérêt social86(*). La première conception envisage l'intérêt social comme l'intérêt de la société. C'est l'intérêt de la personne morale ayant une certaine autonomie, distincte des associés ou des dirigeants. C'est ainsi que les professeurs Cozian, Viandier et Deboissy affirment que : « l'intérêt social ne se confond pas nécessairement avec l'intérêt des associés, qu'ils soient majoritaires ou minoritaires ; la société a un intérêt social propre qui transcende celui des associés»87(*). Dans cette optique, L'intérêt propre à la personne morale transcende celui des actionnaires88(*). C'est la limite aux pouvoirs des dirigeants et des actionnaires. La distinction réside alors dans le principe selon lequel « la société est une personne morale indépendante de la masse des personnes physiques qui la composent »89(*). L'intérêt de la personne morale prend sa source dans la conception institutionnelle de la société, qui doit poursuivre un intérêt qui lui est propre et disposer d'une organisation juridique et autonome par rapport aux associés. La seconde conception voit dans l'intérêt social, l'intérêt des associés90(*). Elle se fonde sur l'analyse contractuelle de la société. Pour les partisans de cette thèse91(*), la société naît d'un contrat dont la cause est le partage des bénéfices. D'après l'article 4 AUSCGIE, «La société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d'affecter à une activité des biens en numéraire ou en nature, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Les associés s'engagent à contribuer aux pertes dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme. La société commerciale doit être créée dans l'intérêt commun des associés. ». Il ressort de ce texte, d'une part, que le but de la société ne peut être que la satisfaction de l'intérêt des associés et d'autre part qu'il doit exister une communauté d'intérêts entre les associés, qui s'oppose à l'octroi d'avantages à certains d'entre eux seulement. En d'autres termes, l'intérêt social ne peut être que celui des associés. Dans ces conditions, ce dernier dicte la recherche du profit maximal qui doit être opérée, non en dehors de toute activité sociale, mais à travers la réalisation de l'objet. L'intérêt commun a été envisagé à ce moment-là comme l'obligation de chacun de respecter l'intérêt de ses coassociés92(*). C'est d'ailleurs cette approche de l'intérêt social que retient le législateur OHADA. La troisième conception voit l'intérêt social comme l'intérêt de l'entreprise ; Les tenants de la doctrine de l'entreprise, partisans d'une analyse institutionnelle de la société93(*) voient dans l'intérêt social celui de l'entreprise elle-même. Dès lors, loin de se limiter au seul intérêt commun des associés, l'intérêt social serait également celui des salariés, des partenaires économiques et de l'Etat94(*). Dans ces conditions, c'est aux dirigeants qu'il appartient de le déterminer, tandis qu'en adoptant une conception contractuelle de la notion, seule l'assemblée des associés peut l'apprécier. Cette approche offre plus de flexibilité puisqu'elle permet une réelle protection de la société en assurant son fonctionnement et sa pérennité. Ces auteurs estiment que l'entreprise doit être entendue comme un ensemble de moyen en capital et en travail destiné à assurer la production de biens et de services. Il s'agit de l'intérêt d'un organisme économique, point de rencontre de multiples intérêts. Pour le Professeur J. PAILLUSSEAU, « la société est une structure d'accueil de l'entreprise : ou bien la société a été spécialement constituée pour recevoir une entreprise individuelle qui existe et qui fonctionne, et elle est la structure d'accueil, l'organisation juridique de cette entreprise ; ou bien la société est créée pour exercer une activité économique, et une entreprise naît et se développe, la société est l'organisation juridique de cette entreprise »95(*). Cette protection par l'AUSCGIE des intérêts catégoriels suppose que la société soit indépendante et autonome de chacun de ces intérêts particuliers. Il en découle que l'intérêt de l'entreprise ne protège pas seulement les intérêts catégoriels mais également la société elle-même par sa pérennité, sa stabilité, son fonctionnement ; ce qui semble logique puisque la protection des intérêts catégoriels nécessite la protection de la source de ces différents intérêts. Il semblerait alors qu'il faille concevoir dans le cadre de l'AUSCGIE, l'intérêt social comme l'intérêt de l'entreprise. Cependant, quel est le rôle de l'intérêt social ? B/ LE ROLE DE L'INTERET SOCIAL L'intérêt social est un moyen efficace de protection de la société. Il permet de régler les conflits d'intérêts dans la société et de contrôler également la gestion de la société. Généralement, le mauvais fonctionnement de la société prend sa source dans les conflits d'intérêts entre actionnaires. Or ces derniers disposent d'un pouvoir de décision qu'ils doivent utiliser conformément à l'intérêt social96(*). L'abus de majorité tire généralement son origine dans les conflits d'intérêts entre actionnaires97(*), lors de la répartition ou de la mise en réserve des bénéfices. Pour résoudre le conflit d'intérêt lié à l'abus de majorité par exemple, l'article 130 impose de tenir compte de l'intérêt de la société. Ainsi, il ne fait aucun doute qu'il s'agit bien là de la volonté du législateur OHADA de protéger le fonctionnement de la société et garantir sa pérennité par l'intérêt social sous le couvert de l'abus de majorité. L'intérêt social permet également une meilleure gestion de la société. Aux termes de l'article 159 de l'AUSCGIE, les associés qui s'estiment peu éclairés sur la gestion sociale, en dépit de l'ensemble des informations qu'ils auraient reçus, peuvent demander au Tribunal une expertise de gestion afin que la lumière soit faite sur les opérations de gestion qu'ils croient obscures98(*). L'intérêt social permet aussi d'assurer la pérennité de la société. C'est dans cette optique qu'est nommé un administrateur provisoire lorsque le fonctionnement de la société est en péril99(*). L'atteinte à l'intérêt social n'est pas le seul élément caractéristique de l'abus de majorité. La rupture d'égalité caractérise également l'abus de majorité. * 84 _ Cass. Com. arrêt N° 322 du 24/09/1999 Revue Juridique Tchadienne, 2002 ; p.3 * 85 _ Cf Articles 130, 131 AUSCGIE * 86 _ MEUKE B. ; De l'intérêt social dans l'AUSCGIE de l'OHADA, www.ohada.com; OHADATA D-06-24, P.2. * 87 _ COZIAN M., VIANDER A. et DEBOISSY F. ; Droit des sociétés 14ème édition, Paris, Litec, 2001, P175 * 88 _ COZIAN M., VIANDER A. et DEBOISSY F. ; idem * 89 _J-M. VERDIER in M-C. MONSALLIER « L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme »; LGDJ 1998, n° 762. * 90 _ Art. 4 al. 2 AUSCGIE * 91 _ D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., P. 11 et du même auteur, De l'intérêt social, JCP éd. E 1995 I n° 488 ; Y. GUYON, La société anonyme, une démocratie parfaite !, in Mélanges Christian Gavalda, Propos impertinents de droit des affaires, Dalloz, 2001, p. 133, n° 13. * 92 _ On sait que les actionnaires- investisseurs (le plus souvent minoritaires) préfèrent généralement maximiser leurs profits à court terme plutôt que d'assurer la pérennité de l'entreprise dans laquelle ils investissent. L'intérêt social pour eux relève exclusivement de la seule recherche de profit. A contrario, pour les actionnaires entrepreneurs (traditionnellement majoritaires), l'intérêt social repose aussi et surtout sur la croissance de la société à long terme. Mieux, l'intérêt commun des associés suppose une égalité de traitement entre les associés, se traduisant par une prise en compte des attentes légitimes des actionnaires investisseurs qui représentent généralement la minorité dans le capital social. * 93 _ La doctrine de l'entreprise est en réalité une analyse fonctionnelle de la société, celle-ci n'étant qu'un moyen au service d'une finalité, et se borne donc à consacrer l'approche institutionnelle, née au début du XX° siècle - sur cette approche, * 94 _ J. PAILLUSSEAU, La société anonyme, technique d'organisation de l'entreprise, Sirey, 1967, p. 196 * 95 _ J. PAILLUSSEAU « La modernisation du droit des sociétés commerciales »; D 1996, Chr. 289 / Voir aussi dans le même sens, J. PAILLUSSEAU « L'efficacité des entreprises et la légitimité du pouvoir »; Petites affiches 19 juin 1996, n° 74. 23 * 96 _ Ce n'est plus un secret pour personne, la société fonctionne selon le principe majoritaire et l'AUSCGIE s'en accommode lorsqu'il précise à l'article 454 que « les décisions du conseil d'administration sont prises à la majorité des membres présents ou représentés, à moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte (...) » Ce qui ne sous entend pas que les minoritaires sont complètement démunis, ils disposent de droit notamment lorsque la majorité commet des abus, il ne faut pas tout simplement qu'ils en abusent à leur tour. * 97 _ Voir supra section 1ère, P. 30 * 98 _ Voir supra 1ère partie, chapitre 1 ; P. 12 * 99 _ Voir infra 2ème partie, chapitre 2, P. 61 |
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