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La protection des actionnaires minoritaires des societes anonymes dans l'espace ohada

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par Adjo Flavie Stéphanie SENIADJA
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - DEA en droit privé fondamental 2008
  

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B/ LA NOTION D'ABUS DE MAJORITE

L'abus de majorité est distinct de l'abus de droit et du détournement du pouvoir.

En effet, pendant longtemps, une partie de la doctrine française avait assimilée l'abus de majorité à l'abus de droit issu des règles de la responsabilité délictuelle.

La notion d'abus de droit a fait l'objet d'une vive controverse60(*) .

A l'instar de Planiol, Ripert61(*), tout en admettant le principe de l'abus de droit, en adoptait une conception restrictive . Selon lui, l'exercice d'un droit est abusif, non s'il cause un dommage à autrui, mais si son auteur a été animé par l'intention de nuire ou, à tout le moins, par la conscience de causer un préjudice. De nombreux auteurs modernes voient d'ailleurs dans l'abus de droit la faute commise dans l'exercice d'un droit62(*).

La question qui se pose est donc de savoir si ces conceptions sont adaptées à l'exercice du droit de vote dans les sociétés.

Il s'agit d'éliminer d'emblée les théories de Planiol et de Ripert. En effet, certes l'actionnaire est inspiré par des motifs blâmables, mais il émet quand même un vote. Par conséquent, son acte est conforme au droit, mais il en est également contraire puisque les motifs qui l'inspirent sont illicites.

Reste à savoir si le vote répréhensible émis par l'associé est une faute commise dans l'exercice d'un droit. Une réponse négative s'impose63(*).

On le voit, le vote émis en méconnaissance de l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés ne peut être une forme d'abus de droit. Pourtant, la Cour de cassation vise fréquemment dans ses arrêts l'article 1382 du Code civil64(*) . Ce visa laisse quelque peu perplexe, d'autant plus que l'abus du droit de vote est celui d'un droit contractuel.

Le deuxième fondement classiquement proposé, après l'abus de droit, n'emporte pas davantage l'adhésion. Il s'agit du détournement de pouvoirs.

Une conception extensive de l'abus de droit considère que tous les droits sont accordés en vue de la satisfaction d'une finalité. Ils sont octroyés non en vue d'intérêts égoïstes mais dans ceux de la collectivité toute entière. Dans ces conditions, l'abus de droit sera caractérisé chaque fois que le droit sera détourné de son objet. Il s'agit de « l'acte contraire au but de l'institution, à son esprit, à sa finalité »65(*).

Cette conception finaliste de l'abus de droit s'apparente à la notion publiciste du détournement de pouvoirs. Cette dernière se définit comme le fait, pour un agent administratif, d'exercer sa compétence dans un but autre que l'intérêt général ou, à tout le moins, dans un but différent de celui en vue duquel il lui a été conféré66(*).

Dès lors, la tentation est grande de considérer que l'usage répréhensible du droit de vote était une forme de détournement de pouvoirs au sens du droit administratif.

Arguant de son caractère social, les partisans de cette assimilation ont considéré que, de même qu'un agent public ne pouvait user de ses prérogatives à des fins personnelles, de même l'actionnaire majoritaire ne peut user de son droit de suffrage dans un but autre que l'intérêt social, sous peine de commettre un détournement de pouvoirs67(*). Certains d'entre eux ont vu dans l'exercice illicite du droit de vote « un détournement flagrant de l'intérêt collectif de la société au profit des intérêts particuliers et illégitimes des dirigeants ou d'un groupe d'actionnaires ».68(*)

Selon ces auteurs, la majorité ne dispose de son pouvoir qu'autant qu'elle l'exerce dans l'intérêt social. Autrement dit, le propre du pouvoir étant d'être finalisé, celui des associés prépondérants ne trouve sa légitimité que dans le respect de cet intérêt supérieur69(*). Si ce dernier est méconnu alors le groupe majoritaire méconnaît la finalité de son pouvoir, ce qui caractérise précisément un détournement de pouvoirs70(*).

En définitive, tant la théorie de l'abus de droit que celle du détournement de pouvoirs sont inadaptées au fonctionnement de la société, en ce qu'elles occultent sa base contractuelle. Dès lors, seule la méconnaissance de l'obligation de bonne foi est susceptible de fonder la théorie du vote abusif en prenant en compte la dimension conventionnelle de la société.

En réalité, il ne faut pas accorder à ce rapprochement avec la doctrine publiciste plus d'importance qu'il n'en a en réalité71(*). Il ne peut avoir la valeur que d'un « simple argument d'analogie »72(*).

En effet, en droit administratif, l'agent doit utiliser sa compétence dans la seule fin que la loi lui a assignée. En d'autres termes, il ne doit jamais prendre en compte ses intérêts personnels, quand bien même ceux-ci ne seraient pas contraires à l'intérêt général73(*).

Or, la jurisprudence n'exige pas de l'associé qu'il émette un suffrage contraire à ses intérêts74(*). Certes, ce vote est une composante de la volonté sociale. Néanmoins, c'est également un moyen qui lui permet de défendre ses intérêts au sein de la société. Contrairement à l'agent administratif, ou même à certains titulaires de droits-fonctions75(*), l'actionnaire peut et doit tenir compte de ses intérêts lorsqu'il émet un suffrage. Comme le souligne M. le Professeur Schmidt, « la majorité dispose de son pouvoir pour satisfaire non seulement les intérêts des autres associés, mais aussi les siens propres »76(*). Cependant, il ne peut s'agir que de ses intérêts dans la société, car ils vont dans le même sens de ceux de ses coassociés. S'il tient compte de ses intérêts externes, alors il risque de mésuser de son droit de vote.

Aussi, rares sont-ils les arrêts à faire expressément référence au détournement de pouvoirs77(*).

Ainsi, pour qu'il y ait abus de majorité, la résolution litigieuse doit avoir été prise contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité78(*).

D'ailleurs, cette solution est la seule qui s'impose.

* 60 _ Sur cette controverse, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale, 4ème éd., LGDJ, 1994 ; n° 763 et s.

* 61 _ M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, II, LGDJ, 1900, n° 871. et G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4° éd., LGDJ, 1949, n° 90 et s.

* 62 _ TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 711 et s. 

* 63 _ En premier lieu, si l'on fait référence à la faute, il faut déterminer a contrario ce qu'est un usage non fautif du droit de vote. Or, cette appréciation s'avère difficile, sauf à considérer que l'associé doit seulement avaliser les projets présentés par les dirigeants. Cela conduirait à nier le principe de la liberté du vote.

En second lieu, en matière de responsabilité civile, la faute peut également prendre la forme d'une abstention ou d'une imprudence. Or, en matière de sociétés, si l'abstention peut être répréhensible.

En troisième lieu, le vote de l'associé, s'il est indéniablement un droit, est aussi une fonction, qui lui permet de participer au gouvernement de la société. Non seulement en votant l'associé concourt à la formation de la volonté sociale, mais il ne peut profiter en aucune façon de sa prérogative. Dès lors, si l'on assimile le vote à une fonction, l'exercice fautif ne pourrait être chose qu'un détournement du pouvoir de sa finalité.

* 64 _ L. CADIET et Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité, Paris, D. 1996, n° 3156 

* 65 _ D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, Sirey 1970, P. 210

* 66 _,R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, 11° éd.,

* 67 _ R. DAVID, Le caractère social du droit de vote, Journ. soc., 1929, p. 401 et s

* 68 _ A. PEYTEL et G. HEYMANN, De l'abus de droit dans les sociétés commerciales, Gaz. Pal. 1951, 1, doctr. p. 50.

* 69 _ E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, thèse Paris I, Economica, 1985 n° 214.

* 70 _ D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 259 ; A. CONSTANTIN, Les rapports de pouvoir entre actionnaires, thèse Paris I, 1998, n° 486 et s.

* 71 _ D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 234 ; du même auteur, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 273

* 72 _ J. du GARREAU DE LA MECHENIE, Les droits propres de l'actionnaire, thèse Poitiers, 1937, n° 209.

* 73 _ M. LONG, P. WEIL et G. BRAIBANT, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 11° éd., Dalloz, 1996, n° 4, p. 26 et s. Si l'acte a pour résultat de favoriser un intérêt privé, il ne sera entaché de détournement de pouvoir. Ce qui caractérise celui-ci, c'est que l'agent a entendu poursuivre une fin étrangère à l'intérêt général, quand bien même ce but ne lui serait pas directement contraire.

* 74 _ CA Paris 26 juin 1990, JCP 1990 II n° 21589 

* 75 _ Il faut distinguer les « droits-pouvoirs »,  établis avant tout dans l'intérêt propre de certains individus qui en sont les titulaires  des « droits-fonctions »,  reconnus à des individus moins dans leur intérêt personnel que dans l'intérêt d'autres personnes .

* 76 _ D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 234 ; du même auteur, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 273 ; L. DUBOUIS, La théorie de l'abus de droit et la jurisprudence administrative, LGDJ, 1962, p. 327.

* 77 _ CA Pau 24 déc. 1935, S. 1936, 2, p. 55 ; CA Paris 24 nov. 1954, D. 1955 p. 236, note G. RIPERT, qui font référence au détournement de pouvoirs ; CA Grenoble 6 mai 1964, qui retient à la fois l'abus de droit et le détournement de pouvoir.

* 78 _ Art 130 AUSCGIE ; voir aussi Com. 10 avril 1961 : D., 1961, P. 661

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote