UNIVERSITE D'ETAT D'HAITI
FACULTE D'ETHNOLOGIE
DEPARTEMENT DE PSYCHOLOGIE
La formation de la personnalité des
enfants de la rue entre 10 et 12 ans à
Port-au-prince
Préparé Par : Dieuveut
GAITY
Pour l'obtention du grade de licencié en
psychologie
Dirigé par : Jean Robert CHERY
Promotion 2003-2007
Octobre 2009
Cette recherche est dédiée à:
Tous les enfants de
la rue en Haiti et à travers le monde,
tous ceux et toutes
celles qui ont lutté, tous ceux et toutes celles qui
luttent toujours,
tous ceux et toutes celles qui lutteront jusqu'à leur mort
pour une Haiti
meilleure.
MES REMERCIEMENTS LES PLUS SINCERES S'ADRESSENT
A :
Ma mère, Marie Thérèse CATOR
Mon père, Luckson GAITY
Mes frères et soeurs...
Mes professeurs d'Honneur et de Mérite, Jean Claude
MICHAUD, Jn Anil LOUIS-JUSTE
Mes amis (es), Jeanne ACHESON-MUNOS, Jack MUNOS, Lindsey STRAUCH,
Katherine
ZOOK, Blake Nathaniel WENNER, Innocent JOSEPH,
Eseulson ELYSEE,
Willio FRANCILLON, Frantzy GENARD, Vladimir
PIERRE, Schneider
BELIZAIRE, Rodady GUSTAVE, Farah MARCELIN,
Mauley COLAS, Luco
JOACHIM, Randy FRANCOIS et à tous ceux
dont je n'ai pas cité le nom.
La promotion 2003-2007 de la Faculté des Sciences
Humaines
La promotion de 2003-2007 de la Faculté d'Ethnologie,
Madeleine Sylvain Bouchereau
et à L'Université d'Etat d' Haiti toute
entière.-
Vos contributions ont été très
grandes et j'en ai la reconnaissance
TABLE DES MATIERES
I- Dédicace
.......................................................................................................i
II- Remerciements
............................................................................................ii
III-Table des matières
........................................................................................iii
IV- Listes des encadrés, tableaux,
graphiques............................................................viii
V- Liste des sigles et/ou
acronymes........................................................................xi
PREMIERE PARTIE : Introduction
CHAPITRE I : PRESENTATION DE LA
RECHERCHE....................................... 4-10
1- Thème de la
recherche............................................................ 4
2- Problème de la
recherche......................................................... 4
3- Sujet de la
recherche.............................................................. 4
4- Objectifs de la
recherche......................................................... 4
5- Justification de la
recherche...................................................... 5
CHAPITRE II :
PROBLEMATIQUE.................................................................
11-27
1- La Société
haïtienne et ses réalités
multiples................................. 11
2- Le Problème
étudié :
................................................................ 13
3- Le Sens du problème:
............................................................... 17
4- L'Emergence historique du
phénomène des enfants de rue.................... 20
5- La Provenance de l'enfant de la
rue............................................... 25
6- La Mobilité spatiale des
enfants de la rue........................................ 26
DEUXIEME PARTIE : Cadre
Théorique
CHAPITRE III : L'OBJET D'ETUDE ET SA DEFINITION
THEORIQUE.................. 28-48
1- Théories les plus
utilisées dans l'étude de la personnalité de
l'individu...... 29
1.1.- la Psychanalyse et sa
vision de l'individu......................................
29
1.2.- le Culturalisme et
l'étude de la personnalité.................................
31
1.3.- parcourir Haiti à
travers l'étude la personnalité............................
33
2- Considérations
critiques :
2.1.- A propos du Culturalisme
......................................................... 37
2.2.- A propos de la
Psychanalyse ...................................................... 39
2.3.- Limites d'un
héritage théorique, à propos de la
personnalité............ 41
3- Notre choix
théorique : le Matérialisme
historique............................. 42
3.1.- Avec le
Matérialisme historique, une autre façon de voir l'individu...
42
3.2.- Les rapports sociaux, un
véritable déterminant.............................. 43
3.3.- L'individu entre ses
conditions d'existence et sa personnalité............ 44
3.4.- L'individu est-il
déterminé à se
reproduire ?....................................... 46
CHAPITRE IV : L'ENFANCE, UNE NOTION A
COMPRENDRE.......................... 48- 52
1- Définition et
perspectives.......................................................... 48
2- La famille, l'enfant et la
rue...................................................... 49
3- L'enfant de la rue, c'est Qui ou
c'est Quoi ?................................... 50
.
TROISIEME PARTIE : Cadre
Méthodologique
CHAPITRE V : DESCRIPTION DE LA DEMARCHE
METHODOLOGIQUE............ 53- 58
1- Présentation de la
méthode de recherche....................................... 53
2- Techniques de collecte de
données............................................. 54
3- Analyse des
données.............................................................
55
4-
Echantillonnage..................................................................
55
5- Séquences des activités
de terrain............................................. 56
6- Description des zones
d'observation.......................................... 56
CHAPITRE VI : PRESENTATION DE
L'HYPOTHESE..................................... 59- 63
1- Définition et
opérationnalisation de l'hypothèse...........................
60
2- Concepts, dimensions et indicateurs
de recherche......................... 61
QUATRIEME PARTIE : Présentation et analyse
des données
CHAPITRE VII : CONDITIONS QUI DEFINISSENT
L'ENFANT DE LA RUE........ 64- 72
1- Age, sexe et nombre d'enfants par
zone................................... 64
2- Leurs
Caractéristiques physiques :
2.1.- Etat du
corps....................................................................
64
2.2.- Etat de la voix et des
regards............................................... 65
3- Milieux et cartes de
déambulation des enfants de la rue
3.1.- Carrefour de
l'Aéroport.......................................................
65
3.2.- Champ de
Mars..................................................................
66
4- La rue, un espace et une
réalité pour des centaines de vie bafouée
4.1.-
Logement.........................................................................
67
4.2.-
Travail...........................................................................
68
4.3.-
Nourriture.......................................................................
69
4.4.-
Santé..............................................................................
69
4.5.- Politique
.........................................................................
70
4.6.-
Divertissement.................................................................
70
CHAPITRE VIII : L'ENFANT DE LA RUE, UNE ENIGME
PSYCHOSOCIALE...... 73- 105
1- Les enfants de la rue
nous parlent :
1.1.- Cas
# 1......................................................................
74
1.2.- Cas #
2.....................................................................
77
1.3.- Cas #
3.....................................................................
80
1.4.- Cas #
4.....................................................................
83
2- Les Dimensions de la
personnalité étudiées chez l'enfant de la rue
2.1.- Quelques aspects de
la motricité chez l'enfant de la rue :
2.1.1.- le corps de
l'enfant de la rue, entre sa musculature et ses
Mouvements............................................................87
2.1.2.- le corps de l'enfant de
la rue est ses dérivés sensoriels........... 88
2.1.3.-le corps, ça
absorbe.... C'est comme une éponge.................. 89
2.2.- L'Intelligence de l'enfant
de la rue : un outil de survie
2.2.1.- l'Enfant de la
rue : A la lumière de ses informations de base... 90
2.2.2.- Sa perception de la
réalité : A la limite de ses représentations
et de
son jugement............................................ 91
2.2.3.- Quelle intelligence,
pour quel type d'enfants et pour quelles
Situations................................................... 94
2.3.- L'Evolution socio
affective de l'enfant de la rue....................... 96
2.3.1.- l'identité de
l'enfant de la rue : objet de son humanité.......... 98
2.3.2.- l'enfant de la
rue : entre ses émotions et son émotivité..........
101
3- La personnalité de
l'enfant de la rue : un puzzle qui se construit pièces par
Pièces
...........................................................................
102
4- L'enfant de la rue survit et sa
personnalité s'endurcit.......................... 104
CHAPITRE IX : L'ENFANT DE LA RUE, UN AGENT DE LA
REPRODUCTION SOCIALE
1- Entre ses conditions
de vie et sa personnalité, l'enfant de la rue se reproduit
constamment................................................................
106
1-1.- L'enfant de la rue
crée sa journée et, en retour, elle définit son
histoire........................................................................
108
1.2.- Et si, en
réalité, les aspirations de l'enfant de la rue étaient
comptées ?.....................................................................
111
2- Au delà de la
confusion : entre la promotion, la mobilité sociale et le
dépassement de l'enfant de la
rue....................................................... 114
CINQUIEME PARTIE :
I- Conclusion, recommandations..........
................................................... 118- 122
II-
Bibliographie..................................................................................
123- 129
Annexe
I- Grille d'entretiens pour
enfants.....................................................................................
130
II- Grille d'entretiens pour nos
experts...........................................................................
136
III- Grille
d'observation....................................................................................................
137
IV-
Glossaire........................................................................................
139
IV-
Photos........................................................................................................................
141- 149
LISTE DES GRAPHIQUES, ENCADRES ET TABLEAUX
GRAPHIQUES
Graphique 1.- Provenance des enfants de
rue
Graphique 2.- Mobilité spatiale des
enfants de la rue
Graphique 3.- Zones d'observation : Champ
de Mars
Graphique 4.- Zones d'observation :
Carrefour de l'Aéroport
Graphique 5.- Présentation de
l'hypothèse
Graphique 6.- Cartes de
déambulation : Carrefour de l'Aéroport
Graphique 7.- Cartes de
déambulation : Champ de Mars
Graphique 8.- Processus présentant
l'effectuation d'un acte de l'individu ou de l'enfant de la
rue
Graphique 9.- Cycle présentant la
relation : Activités et Satisfaction de besoins
Graphique 10.- Schéma présentant
la force de travail comme base de la spirale
ENCADRES
Encadré 1.- Perception et
représentations de l'enfant de la rue : La Rue
Encadré 2.- Perception et
représentations de l'enfant de la rue : l'Ecole
Encadré 3.- Perception et
représentations de l'enfant de la rue : les centres
d'accueil
Encadré 4.- Données sur les
techniques pratiques de l'enfant de la rue
Encadré 5.- Données sur la
conscience de soi : Image de soi
Encadré 6.- Données sur la
conscience de soi : Présentation de soi
Encadré 7.- Données sur la
conscience de soi : Estime de soi
Encadré 8.- Données sur les
aspirations de l'enfant de la rue
TABLEAUX
Tableau 1.- Présentation de
l'émergence historique du phénomène des enfants de rue
Tableau 2.- Données sur les connaissances
de base de l'enfant de la rue
Tableau 3.- Données sur l'organisation de
la journée de l'enfant de la rue
Tableau 4.- Données sur les
dépenses quotidiennes de l'enfant de la rue
Tableau 5.- Données sur les niveaux
socioprofessionnels de l'enfant de la rue
LISTES DES SIGLES ET/OU ACRONYMES
C.E.P : Centre d'Education Populaire
FRAPH : Front pour l'Avancement et le Progrès
d'Haiti
GHESKIO : Groupe Haïtien d'Etude du Sarcome de Kaposi
et des Infections opportunistes
HASCO : Haitian American Sugar Company
MAST : Ministère des Affaires Sociales et du
Travail
MINUSTAH : Mission des Nations-Unis pour la Stabilité
en Haiti
MST : Maladies Sexuellement Transmissibles
ONG : Organisation Non Gouvernementale
PIB : Produit Intérieur Brut
UNICEF: United Nations International Children's Emergency Fund
VSN : Volontaire de la Sécurité Nationale
PREMIERE PARTIE : INTRODUCTION
INTRODUCTION
Faire de la recherche en Haïti se
révèle un grand sacrifice pour l'étudiant haïtien qui
s'y investit en vertu de la quantité et de la qualité de manques
qu'il a à combler et en raison de la quantité de besoins qu'il a
à satisfaire chaque jour comme étant un auto
dominé1(*) de la
formation socioéconomique de la société. Etant
étudiant de la même structure, nous avons mis du temps et de
l'énergie à produire ce document qui rentre dans le cadre d'une
recherche de fin de cycle d'études universitaires pour l'obtention du
grade de licencié en psychologie. Ce présent document qui
constitue notre rapport de recherche, est non seulement un avantage pour nous,
mais il est aussi au bénéfice de tout secteur qui
s'intéresse aux catégories de personnes qui vivent dans des
conditions difficiles en Haiti. Il fait, de son objet, l'étude d'un
phénomène social qui s'est érigé en problème
social dans notre société et qui nous incite à le
questionner, en raison de le rendre intelligible aux yeux de tout un chacun en
mettant à nu les paramètres sociaux, psychologiques et
historiques qui déterminent son essence.
Ainsi, nous l'avons susmentionné, nous vous
présentons dans ce document la formation de la personnalité
de l'enfant qui vit de la rue entre 10 et 12 ans à Port-au-Prince.
Il est divisé en plusieurs parties (5) qui vous aideront à suivre
le déroulement méthodologique, empirique et théorique de
cette dite recherche. Elle se propose de faire ressortir les conditions
matérielles dans lesquelles vit l'enfant de la rue, de faire comprendre
sa personnalité et de situer sa position dans le système de
reproduction sociale qui caractérise toute société. Pour
cela, dans cette recherche, nous allons procéder ainsi :
Dans la première partie qui contient les
chapitres I et II, nous tachons premièrement de présenter la
recherche à travers son thème, son sujet, sa question et son
hypothèse, ses objectifs, ses limites, etc. et aussi, nous
présentons la problématique de la recherche dans laquelle nous
détaillons le problème que nous étudions dans son contexte
social et historique.
Dans la deuxième partie qui contient les
chapitres III et IV, nous définissons l'objet d'étude de cette
recherche à l'aide de théories, nous faisons une analyse critique
de ces théories qui nous permet ensuite de mieux faire asseoir notre
théorie de choix. Et, en dernier lieu, nous présentons un Quid
sur la notion d'enfance, sa définition et ses perspectives et nous en
profitons pour définir encore une fois les notions d'enfants dans la rue
et les enfants de la rue.
Les chapitres V et VI sont présentés
dans la troisième partie, elle concerne le cadre méthodologique
de la recherche dans lequel nous faisons la description détaillée
de notre démarche : Méthode, Techniques, échantillon,
etc. et, aussi, nous y présentons minutieusement notre hypothèse,
ainsi que ses dimensions, indicateurs et ses sous indicateurs.
La quatrième partie dans laquelle nous
présentons et nous analysons les données à travers les
chapitres VII, VIII et IX, nous prenons le grand soin de présenter les
conditions matérielles qui définissent la vie de l'enfant de la
rue à Port-au-Prince ; ensuite, nous présentons quatre (4)
études de cas des sujets de notre échantillon grâce
auxquelles nous faisons une analyse de la personnalité de ces derniers
à travers les facteurs sensorimoteur, cognitif et socioaffectif au
gré de leurs conditions d'existence ; et, enfin, nous
démontrons la capacité de ces enfants à reproduire les
conditions de leur vie en s'appuyant sur leur réalité actuelle et
sur les réalités datant de 1986 à nos jours2(*).
Enfin, dans la cinquième partie, nous faisons
la conclusion de la recherche, nous tâchons également de faire des
recommandations pouvant aider à l'éradication de ce
phénomène et nous insérons un annexe en dernière
instance dans lequel seront affichés les documents
supplémentaires et importants à la recherche.
C'est ainsi que cette recherche est conçue et
dirigée ; nous la réalisons comme étant une
obligation académique et nous allons en servir comme étant un
outil de travail capable de relever le niveau de notre conscience critique et
celui des autres à l'égard de notre existence, des
phénomènes que nous vivons chaque jour, de notre
société et à l'égard du monde entier ; en
espérant un jour qu'Haïti deviendra la perle du monde.
Que tout lecteur soit
édifié...
CHAPITRE I : PRESENTATION DE LA
RECHERCHE
Notre travail de recherche s'étend sur un
thème qui, dans son ampleur, relie deux concepts fondamentaux dans une
tentative d'aborder cet objet réel assez complexe qui
est : « Enfants de la rue et
personnalité. »
En ce sens, nous allons cerner ces deux concepts, dans les
différents rapports dynamiques qu'ils entretiennent entre eux, à
partir de la formulation de ce problème de recherche suivant :
« Comment la personnalité des enfants qui vivent de la
rue de Port-au-Prince se forme-t-elle ? » Cette
question ainsi formulée, nous a facilité simultanément
deux tâches, elle nous a permis de réduire l'étendue et la
complexité de cette recherche et, du même coup, elle a
assuré sa viabilité.
Alors, l'intitulé de notre travail de recherche
devient : « la formation de la personnalité
des enfants de la rue entre 10 et 12 ans à
Port-au-Prince ». Ce travail se veut, dans ses
différents chapitres et parties, une cohérence logique que doit
impliquer toute activité scientifique, ainsi que notre tentative de
rendre intelligible cet objet réel que nous voulons étudier dans
son dynamisme, sa totalité, son historicité et son
empiricité.
En vue de répondre provisoirement à la question
de recherche, nous formulons l'hypothèse suivante :
« la personnalité des enfants de la rue se forme dans
leurs conditions matérielles d'existence qui, du même coup,
orientent leurs comportements dans des logiques de reproduction
sociale. »
A partir de là surviennent les objectifs de la
recherche qui se formulent de la façon suivante :
1. Identifier les conditions matérielles d'existence
des enfants de la rue.
2. Etudier le modelage de la personnalité des enfants
de la rue à cet effet.
3. Etudier, d'une part, les conditions matérielles
d'existence des enfants de la rue dans leur renforcement et, d'autre part, leur
comportement dans des pratiques de reproduction sociale.
4. Présenter les possibilités pour l'enfant de
la rue de résister, de s'adapter ou de dépasser ces conditions
concrètes de vie et, aussi, les possibilités de transformation de
la structure sociale elle-même.
JUSTIFICATION DU CHOIX DU
SUJET
Ce travail définit l'une de nos principales
préoccupations en matière de recherche durant nos quatre
années études au cycle de licence à la faculté
d'Ethnologie. A bien remarquer, ce travail va se dérouler autour d'un
thème, d'un problème et d'un sujet de recherche qui sont
liés entre eux, ce qui nous permet d'étudier une
réalité psychosociale assez complexe portant sur la formation de
la personnalité des enfants de la rue.
Ce travail de recherche abordera l'étude de cette dite
réalité dans une perspective critique et de
dépassement des autres recherches qui ont
été déjà réalisées, afin de mieux
apporter sa contribution. Ce faisant, la pertinence de ce travail prend de
l'importance et du sens dans le souci que nous avons pour appréhender,
contrairement à la psychanalyse Freudienne et néo-Freudienne,
l'étude de la personnalité.
Tout compte fait, ce travail se veut une approche
socio-historique de la formation de la personnalité des
enfants de la rue, qui ne sera en aucun cas une étude superficielle, ce
qui veut dire que cette étude appréhendera son objet en se posant
sur les facteurs matériels qui déterminent le
devenir3(*) des enfants de
la rue. Donc, une telle activité scientifique se justifie suivant ces
trois niveaux :
Sur le plan personnel, notre travail est le
résultat d'une réflexion de longue date sur la situation, le
profil psychosocial de l'individu haïtien qui vit dans la misère,
par la misère et pour la misère. Personnellement, à ce
niveau, comprendre les conditions dans lesquelles l'individu haïtien se
construit ou se déconstruit a été toujours notre ambition
scientifique la plus poussée depuis notre entrée à
l'Université d'Etat d' Haiti. Nous voilà maintenant dans une
situation de production de connaissance, nous allons sans un brin de doute
concrétiser l'un de nos projets scientifiques les plus chers. Car,
étudier la vie des enfants de la rue dans la formation de leur
personnalité nous conduira dans un univers de misère et de
pauvreté dans une société structurée par la
domination socio-économique. En un mot, étant Haïtien,
l'image de la misère, de la pauvreté et de la domination se
reflète aussi en nous. Donc, ce travail, une fois réalisé,
définira le niveau de notre conscience critique de la
réalité sociale haïtienne.
Sur le plan académique, ce travail
doit répondre aux différents critères pédagogiques
avant tout essor scientifique. Après avoir vu, critiqué,
approuvé, soutenu et mentionné, ce travail de recherche nous
permettra d'obtenir le grade de licencié en psychologie, à
destination du deuxième cycle d'études universitaires.
Sur le plan scientifique, nous avons une
tâche qui doit favoriser notre entrée, aussi humble et
honnête soit-elle, dans la catégorie des hommes de science par
l'élaboration de ce travail de recherche. Aussi, cette étude nous
accordera aisément le privilège d'acquérir un rigoureux
discours théorique visant à favoriser le mouvement scientifique
en Haiti et à travers le monde. Puis, dans cette même logique, le
corpus théorique et méthodologique de ce travail constituera une
voie de recherche prometteuse pour tout groupe d'intellectuels engagés
en tant que scientifiques dans la pratique de la production de connaissance
sociale
LA NATURE ET LA PORTEE DE LA
RECHERCHE
Cette recherche est de nature
empirico-théorique dans le champ de la psychosociologie. Contrairement
aux démarches expérimentales qui, dans leur dimension
fonctionnaliste, présentent l'objectivité comme paradigme, la
mesure comme moyen et le laboratoire expérimental comme espace de
recherche, notre étude est plutôt descriptive et
corrélationnelle en utilisant la démarche
dialectique comme procédé
méthodologique.
Cette recherche, dans ses étendues,
présente sa portée comme une condition scientifique
préalable à cette démarche dans trois dimensions.
D'abord, la portée heuristique et
épistémologique de cette recherche réside
particulièrement dans notre choix méthodologique comme
étant un changement de paradigme dans la recherche sociale en
Haiti ; surtout en Psychologie, elle ouvrira sans doute de nouvelles
pistes pouvant contribuer à l'enrichissement de ce champ disciplinaire.
Ensuite, la portée pratique et
théorique est définie dans la dimension empirique qui
imprègne l'objet réel que nous étudions dans le cadre de
cette recherche. Etant basée sur l'étude des rapports humains
dans leurs milieux concrets de vie, le recours aux observations et aux
entretiens nous garantira, outre les outils d'analyse théorique, une
appréhension plus scientifique de cet objet réel. Enfin,
la portée critique de cette recherche provient de son
caractère dialectique qui l'oblige à remettre en question, d'un
côté, les quelques recherches ayant été
effectuées sur cette réalité psychosociologique que nous
étudions en accentuant sur leurs insuffisances, dans un effort de
dépassement. De l'autre côté, ce caractère oblige
à cette étude de porter particulièrement un regard
interrogateur sur les conditions de vie de l'enfant de la rue en Haïti et
en général sur la structure sociale et économique.
PRESENTATION DE LA METHODE DE
RECHERHE.
Comme fil de conduction de cette recherche, nous utilisons la
méthode dialectique pour pouvoir atteindre respectivement les
différents objectifs qui lui sont fixés. Lesquels objectifs
sous-tendent, non seulement d'étudier la formation de la
personnalité des enfants de la rue, mais de comprendre aussi leurs
comportements dans des pratiques de reproduction sociale sous des conditions
matérielles déterminantes de vie.
La méthode dialectique nous permettra de nous
questionner, comme tout chercheur d'ailleurs, sur les conditions de vie de la
personne humaine dans une formation sociale donnée. A vrai dire, en ce
qui nous concerne plus précisément, elle nous facilitera par son
caractère propre à mettre l'accent sur les
contradictions, à réfléchir et à
agir sur les mécanismes et les conditions dans lesquels se forme la
personnalité des enfants de la rue, et qui définissent leurs
actions et leur place dans la société haïtienne.
En outre, cette méthode nous permettra de comprendre
dans un cadre social et historique, le phénomène
des enfants de la rue, dans son évolution, dans son
développement, etc., et de comprendre aussi les
dynamiques qui le mettent en mouvement jusqu'à date
dans des rapports implicites ou explicites avec la totalité de la
société.
Ainsi notre méthode de recherche étant
présentée, nous allons maintenant préciser les
différentes limites de cette étude.
LES LIMITES DE LA RECHERCHE
Cette étude, comme nous la concevons, est une
tentative de réflexion critique sur la réalité de vie des
enfants de la rue en accentuant sur la formation de leur personnalité
dans le contexte social haïtien. Donc, aux yeux des lecteurs, ce travail
pourrait être tout autre chose mais, nous le signalons, il ne sera en
aucun cas révélateur de la vérité absolue sur les
modes de vie des enfants de la rue.
Sur le plan théorique, cette
recherche ne prétend pas étudier la personnalité de
l'enfant de la rue dans sa description en termes de traits, de facteurs, de
niveaux, d'instances et de types. Ces aspects nous conduiraient à
l'étude du développement de la personnalité et nous
obligeraient à rejoindre les différentielles4(*) de toutes formes chez l'enfant
de la rue comme : les différentiels psycho-factoriels, les
différentiels génétiques, les différentiels
culturels, les différentiels psycho-fonctionnels, etc., ce qui
paraissait loin d'être nos objectifs. A l'opposé, cette recherche
se limite à l'étude de la formation de la personnalité de
l'enfant de la rue dans ses conditions matérielles d'existence à
travers les formes d'expression psychologiques qui y sont associées.
Sur le plan méthodologique,
cette recherche a été conçue au départ selon un
échantillon intentionnel ou typique de six (6) enfants de la rue, trois
(3) garçons et (3) filles. Cependant, en arrivant sur le terrain, nous
n'avons pas retrouvé de filles5(*) ; face à cela, nous sommes obligés
de revoir notre échantillon en travaillant avec quatre sujets
mâles pour pallier ce problème. Puisque nous adoptons un
échantillon non probabiliste et exemplaire, nous avons voulu continuer
la recherche au delà de quatre (4) sujets ; comme lors des
entretiens, nous avons atteint le point de saturation6(*) dans la collecte des
données, nous sommes restés à un échantillon de
quatre enfants de la rue de sexe masculin ; deux (2) au Carrefour de
l'Aéroport et deux (2) au Champ de Mars. Ce qui semble, à notre
avis, être l'une des faiblesses de cette recherche que nous estimons
importantes à signaler.
A notre avis, cette réflexion n'a pas la
prétention de cerner tous les problèmes impliquant le
phénomène des enfants de la rue. Non plus elle ne se plonge pas
dans un réductionnisme scientifique en tentant, par défaut de
précisions et de vérifications, de ramener notre objet
d'étude à des pointillés sur lesquels nous devrions poser
le problème. Tout au contraire, cette réflexion dépassera
ces deux niveaux en inscrivant son objet d'étude (réduction) dans
le contexte global de la société haïtienne (expansion) qui
le fait émerger comme réalité problème.
Cette réflexion, en résumé, n'a pas la
prétention de se refermer en théories et en méthodes sur
elle-même en négligeant les autres procédés
méthodologiques et théoriques que l'on utilise, qu'il soit d'ici
ou d'ailleurs dans les recherches sociales ; à l'opposé, ces
procédés, après confrontation, finissent par affermir
notre position théorique et renforcer notre réflexion critique,
lesquelles position et critique consistent à éviter le plus que
possible les impairs conceptuels dans ce processus de production de
connaissance. Tout compte fait, cette étude laisse des ouvertures et
des possibilités de dépassement pour d'autres recherches qui se
veulent une réflexion critique sur les contradictions.
CHAPITRE II : LA PROBLEMATIQUE
1- La société
Haïtienne7(*) et ses réalités
multiples
L'île d'Haiti se trouve dans la mer des
Antilles, près de Porto- Rico, de Jamaïque et, plus
précisément à l'Est de Cuba. Elle est divisée en
deux états indépendants : la République Dominicaine
à l'Est et la République d'Haiti à l'Ouest. L'île
entière est de 78 250 Km2, par contre la partie haïtienne de
l'île occupe 27 750 km2, soit un peu plus du tiers de la superficie
globale. Elle a une population de huit millions d'habitants, son
économie est à prédominance agricole et accuse un taux de
croissance du Produit Intérieur Brut (PIB), marqué par une
contraction continue, s'établissant à 0,9% en 1999-2000, moins de
0,5% en 2001-2002 et 0,4% en 2002-2003. Ces taux sont nettement
inférieurs au taux de croissance de la population estimé à
environ à 2% par an.
De là, les dernières enquêtes sur
les conditions de vie en Haiti concluent que sur une population de 8,1 millions
d'habitants, 4,4 millions de personnes, soit 55% sont des ménages vivant
en dessous du niveau de pauvreté extrême de 1 dollar US par
personne et par jour ; 71%, soit environ 6,2 millions d'habitants vivent
en dessous du seuil de pauvreté de 2 dollar US par jour8(*). En outre, selon certains
économistes, la pression fiscale en Haïti accuse une
réduction extrême d'année en année à cause
des déficits budgétaires enregistrés pour chaque
gouvernement, aboutissant à une accélération incontestable
du taux d'inflation pour les périodes respectives allant de 1989
à 2006.
En Haiti, la pauvreté et la misère
battent leur plein. A partir des idées de DOURA, F., plus de 75% des
haïtiens n'ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins et 50%
des enfants haïtiens de moins de 5 ans souffrent de malnutrition. Entre 60
et 80% de la population haïtienne se trouve en situation de chômage
et de sous emploi9(*). Et,
nous devons rappeler qu'en Haïti la moitié des haïtiens
adultes, soit 55%, est analphabète. En fait, en Haiti, dans presque
toutes les institutions publiques ou privées, la corruption est
très répandue, ce qui paralyse de plus en plus la distribution
des services sociaux, politiques et économiques que la population a le
droit de bénéficier.
Dans le milieu rural, la grande majorité de la
population vit en dessous de la ligne de la pauvreté de 2 dollars US par
jour. L'inaccessibilité de cette population dite rurale aux services
sociaux de base tels que l'éducation, la santé, l'eau courante
et potable, l'électricité et l'assainissement, aggrave davantage
la situation de misère dans ce milieu assez important pour notre
société, avec plus de 4,7 millions d'habitants environ, soit
59,58% de la population globale10(*). Les principales sources de revenus des
ménages en milieu rural sont la production agricole, la pêche et
le commerce ; cependant, il y a d'innombrables conditions et toute une
série de contraintes qui limitent le développement de ces
secteurs d'activités économiques sur lesquels repose la vie des
habitants. Parmi ces problèmes nous comptons : le manque
d'opportunités ou d'alternatives, un faible accès au
crédit, des infrastructures délabrées ou non existantes,
un environnement dégradé et un appauvrissement des terres les
rendant moins fertiles tout en compromettant la production agricole, des droits
de propriétés mal définis et, en dernier lieu, un manque
de mécanisme de résolution de conflits fonciers. En fait, depuis
1804, passant par le code rural (1826), l'occupation américaine (1915)
et jusqu'à nos jours, les problèmes du monde rural haïtien
restent presque inchangés. Sa structuration, la logique de la
distribution de la terre et les inégalités attisent davantage les
oppositions, les antagonismes et les contradictions dans ce milieu et, aussi,
ses conséquences affectent la société toute
entière. A ce sujet, Gérard Pierre-Charles11(*) a dit que la question agraire
constitue le noeud du problème national. Elle détermine, à
son avis, le caractère du commerce extérieur, la gestion et la
marche des finances publiques, les rapports entre les hommes et les rapports de
classes au sein de la production et, en dehors de celle-ci, dans les
institutions politiques.
Ceci étant dit, la réalité
socio-économique des régions rurales a de fortes incidences sur
tout le reste du pays, particulièrement sur les centres urbains et
toutes les grandes villes. Cependant, l'aire Métropolitaine, parmi tous
les autres centres urbains, est la région la plus touchée par
l'augmentation de la paupérisation du rural depuis 1950-197112(*) jusqu'à maintenant, qui
a engendré un déplacement massif des personnes qui vivaient dans
les milieux ruraux vers la capitale à la recherche de meilleures
conditions de vie. Ce qui contribue en réalité à
l'accroissement du nombre des personnes vivant dans des conditions difficiles
dans la région métropolitaine et qui engendre de graves
problèmes sociopolitiques dûs aux déficiences et à
l'incapacité de l'Etat à offrir des services qui puissent
répondre à cette croissance rapide et non planifiée de la
population. D'où des problèmes majeurs tels que :
bidonvilisation, chômage renforcé, cherté du coût de
la vie, insécurité sur toutes les formes, violence, drogue,
délinquance juvénile, déscolarisation, viol,
analphabétisme, prostitution, maladies (MST), enfants domestiques,
enfants de rue, etc. font surface et sont établis
irrémédiablement dans les régions urbaines, en particulier
dans la zone Métropolitaine et, en général, dans la
société toute entière en ce 21e siècle.
2- Le problème
étudié
La situation de précarité et
d'insécurité dans laquelle se trouve la société
haïtienne est le résultat d'un ensemble de problèmes
sociaux, politiques, économiques et culturels qui paraissent un peu
insolubles aux yeux de la population.
A ce propos, nombreux sont les problèmes que, d'un
côté, nous percevons et nous sommes conscients de leur impact sur
la société ; nombreux sont ceux dont nous ignorons la
portée et le poids dans les situations chaotiques du pays tout entier.
De l'autre côté, il existe des problèmes que nous n'avons
jamais abordés avec les outils théoriques qu'il faut, on ne sait
pas pourquoi. De ce fait, nous avons toujours tendance à
réfléchir sur les problèmes les plus visibles pour y
apporter des solutions pendant que nous faisons fi de certaines
catégories de problèmes, si petites soient-elles, qui sont des
sources de troubles sociaux et qui, à notre avis, méritent aussi
d'égales réflexions et solutions. En ce sens, ces
problèmes en Haïti doivent faire l'objet de questions
sociologiques, psychologiques, etc. sur lesquelles nous devons
réfléchir et intervenir pour assurer un possible équilibre
dans les conditions de vie jusqu'à la transformation de cette structure
sociale et économique en Haïti.
Parmi tous les problèmes sociaux de la
société, la situation des enfants de la rue s'émerge comme
étant un phénomène multi varié et multidimensionnel
qui fait l'objet des préoccupations les plus courantes de la population.
A ce niveau, beaucoup de chercheurs ont déjà
réalisé des études concernant ce phénomène
sous des angles divers pendant les 20 dernières années.
Sauveur Léger,13(*) dans ses travaux sur le
phénomène de la mendicité à Port-au-Prince, a
élaboré un chapitre sur la situation des enfants des rues. Il a
étudié le cas de ces enfants dans leur situation de vie sur les
plans social, économique et culturel par rapport à l'expansion du
phénomène de la mendicité.
Roth Pierre,14(*) de son côté, a étudié le
profil psycho-social des enfants des rues à travers des études de
cas concernant leurs espaces de socialisation. L'auteur, à partir de
cette recherche, a fait une description assez importante de cette
catégorie d'enfants en tentant de déterminer les causes de leur
autonomie précoce dans la rue pour obtenir des résultats qui vont
contribuer à l'élaboration d'un plan d'action de
réinsertion sociale et d'un plan de prévention de
réinsertion familiale qui serviront à l'avancement de la
recherche dans ce domaine en Haiti.
Josué Vaval15(*) a réalisé des
travaux de recherche sur la maturité socio-affective chez les enfants
des rues. Les résultats de sa recherche ont démontré que,
malgré les situations de misère dans lesquelles vivent les
enfants des rues qui sont de nature à susciter chez eux de la
méfiance et de la haine, ils sont capables de faire preuve de
solidarité dans des actions d'entraide et de support mutuel qui
définissent, selon ces indicateurs, leur degré de maturité
socio affective.
Yanick Apollon Thomas16(*) a fait un travail de recherche
exploratoire pour déterminer l'existence de l'agressivité chez
les enfants de la rue et mettre en évidence les manifestations et les
tendances agressives de ces jeunes : formes, cibles, intensités,
motivation et étendue du phénomène.
Jean Jorel Janvier17(*) a fait une étude
sociologique des catégories d'enfants appelés
« Kokorat ». Ce travail a été
réalisé, affirme-t-il, pour déterminer les causes et les
conséquences de ce phénomène dans le contexte
haïtien, déterminer les raisons de cette appellation, leur profil,
leurs attitudes, leurs comportements et les impacts de leurs activités
sur la société.
D'autres recherches ont été
réalisées sur la prise en charge de ces enfants par des
institutions (UNICEF, SAVE THE CHILDREN, LAKOU, LAKAY) et par d'autres groupes
de chercheurs, toujours dans le but de comprendre la réalité des
enfants de rue et d'y trouver des pistes de solution.
Cependant, malgré tout ces efforts, la situation des
enfants des rues reste presque inchangée et la compréhension de
leur réalité psychosociale demeure grandement limitée.
Car, à plusieurs niveaux, les recherches susmentionnées ne
suffisent pas à rendre plus intelligible le phénomène pour
deux raisons fondamentales.
En premier lieu, ces recherches, ainsi
réalisées, ne touchent aucunement à l'essence de ce
phénomène réel ; ce qui empêcherait, encore
plus, la compréhension des comportements sociaux ou anti-sociaux des
enfants des rues. En étudiant l'agressivité, la maturité
socio- affective, l'intelligence, leur prise en charge, etc., les recherches ne
font qu'aborder un ensemble de formes d'expressions psychologiques des enfants
des rues qui sont superficielles et flottantes, si nous tenons compte des
dynamiques de leur situation de vie, qui sont configurées dans la
structure de la société et qui méritent des
réflexions globales et plus profondes.
En second lieu, dans ces différents
travaux, tous les aspects que les auteurs ont abordés sont pris en
dehors de la réalité sociohistorique de laquelle ils font
partie ; ils sont étudiés comme étant des
éléments isolés. Sans tenir compte de la dialectique dans
laquelle ces aspects s'imbriquent et se développent pour être ce
qu'ils sont réellement aujourd'hui, nous n'en sortirons jamais avec les
résultats escomptés.
En dépit de tout cela, ces travaux de recherche ont
laissé de larges pistes pour d'autres chercheurs de continuer et de
faire progresser la même logique. Par contre, de notre côté,
nous aurons à profiter de ces premiers travaux, non pas dans la logique
d'une continuité, mais plutôt dans un effort de dépassement
qui nous aidera à aborder ce même phénomène sous un
autre angle et dans un autre paradigme, qui sera le matérialisme
historico-dialectique.
Ainsi, notre premier effort de dépassement nous
permettra d'inscrire l'enfant de la rue et de l'étudier dans ses
rapports avec le temps et dans l'espace. Un second niveau de dépassement
réside dans notre effort à aborder l'enfant de la rue dans ses
logiques de personnalisation et d'y faire ressortir les empreintes
socio-économiques dans lesquelles il s'interagit. C'est-à-dire
que, non seulement nous posons le problème de la formation de la
personnalité de l'enfant de la rue qui n'est pas encore
étudiée, mais nous allons aussi faire ressortir les rapports de
domination qui, matériellement, la déterminent et qui, sans
cesse, la contraignent dans des pratiques de reproduction sociale.
Donc, puisque nous sommes exactement à notre champ
d'intérêt scientifique, nous devons encore présenter, avec
plus de précision, nos directives de recherche en formulant
l'intitulé de notre étude ainsi : « La
formation de la personnalité des enfants de la rue entre 10 et 12 ans
à Port-au-Prince. » Ce travail est fondé sur
une question de recherche fondamentale sur laquelle nous allons
réfléchir pour comprendre et expliquer ce problème. Elle
peut bien se formuler de la façon suivante : «
Comment la personnalité des enfants qui vivent de la rue de
Port-au-Prince se forme-t-elle ?
Provisoirement, nous allons répondre à cette
question par cette hypothèse de recherche qui s'énonce comme
suit : « La personnalité des enfants de la rue se
forme dans leurs conditions matérielles d'existence qui, du
même coup, orientent constamment leurs comportements dans des logiques de
reproduction sociale. »
3- Le sens du problème
étudié
Ces enfants dits de la rue, selon la définition de
l'UNICEF,18(*) sont ceux
qui considèrent la rue comme leur foyer où ils trouvent abri et
nourriture. Ce sont leurs compagnons de survie qui leur donnent un certain sens
de la famille, car les rapports avec leur famille biologique sont plutôt
lointains, sinon inexistants ; ils se réfèrent, pour
s'identifier, au groupe auquel ils appartiennent plutôt qu'à une
famille.
Leur nombre, selon les résultats de l'enquête de
l'Université Quisqueya,19(*) varie entre 1500 et 2000, et nous les retrouvons dans
différentes zones de la capitale, comme dans certaines provinces. A ce
titre, ces enfants sont considérés comme des mineurs
vulnérables et en difficulté vivant dans des conditions de vie
infrahumaines ; alors que, nous le savons bien, ces conditions jouent un
rôle important dans leur développement psychosocial, quand elles
les contraignent dans des logiques objectives de déterminations
socio-culturelles. A quoi ces contradictions vont- elles rimer ?
A ces propos, les modes de vie réels de ces enfants
nous ont donné une idée de la réalisation de ce travail
et, implicitement, des enjeux sur lesquels nous devons miser
et qui, à certains égards, assigneront sens et
signification à cette recherche de la façon suivante.
D'abord, sur le plan juridico-politique,
l'enfant de la rue jusqu'à aujourd'hui n'arrive pas à jouir
pleinement de ses droits fondamentaux. Ni les textes de loi de la convention
relative aux droits de l'enfant (1994),20(*) ni la convention américaine relative aux
droits de l'homme (1979), ni le pacte international relatif aux droits civils
et politiques (1990), encore moins la constitution haïtienne (1987) ne
permettent à l'enfant, dans un cadre légal, d'être
protégé et de jouir de ces privilèges sociaux et
culturels. Ce qui fait que le phénomène des enfants de la rue
entrave non seulement, la politique sociale de la protection de l'enfance en
Haïti, mais il devient aussi un défi pour tous ceux (individus,
groupes, ONG, institutions publiques ou privées) qui veulent prendre en
charge cette catégorie d'enfants. D'où l'émergence d'une
question assez actuelle : comment prendre en charge les enfants de la rue
sans comprendre leur personnalité dans le contexte haïtien?
Ensuite, sur le plan socioéconomique,
nous considérons le phénomène des enfants de la rue comme
le produit des rapports sociaux inégalitaires de la
société ; d'ailleurs il est l'un des problèmes
concrets engendrés par cette formation sociale et économique dans
laquelle nous vivons. Donc, il faut bien que nous comprenions les rapports
sociaux de production au sein de notre société pour mieux aborder
ce phénomène. Car, l'enfant de la rue porte d'emblée en
lui-même les méfaits du système social et économique
dans lequel il vit, et qui le contraint constamment dans des conditions de vie
matériellement déterminées. Si nous prenons le temps de
bien observer, nous remarquerons que dans chaque enfant de la rue, il y a le
produit de l'ensemble des problèmes fondamentaux de la
société. Donc, puisqu'il en est ainsi, en quoi l'enfant de la
rue, dans ses interactions, participe-t-il au renforcement de ces
problèmes ?
Enfin, sur le plan psychosocial, le
problème du développement sociohistorique et psychologique de
l'enfant de la rue le met directement face au schéma classique des
théories de la socialisation21(*) qui, à notre avis, ne correspond pas au
contexte et aux modes de vie réelle, concrète et
matérielle de cette catégorie d'enfants. Sans doute, cela veut
bien dire que ces enfants entrent en interaction avec d'autres agents, d'autres
situations socialisatrices et ils créent leurs propres réseaux
d'affiliation sociale qui, d'une façon ou d'une autre, les accompagnent
dans la production des logiques identitaires. Plus précisément,
dans les processus psychosociaux qui déterminent et orientent leur
perception de soi, leur perception du monde extérieur et leur perception
à l'égard d'autrui.
Donc, ces enjeux définissent en quelque sorte tout le
sens du problème que nous étudierons pendant tout le
déroulement de cette recherche, eu égard au
phénomène des enfants de la rue dans la formation de leur
personnalité. Sur ce, une présentation de l'émergence de
ce problème sera d'une grande importance dans le cadre de cette
recherche ; alors, nous la présenterons dans les pages ci-
après indiquées.
4- Emergence historique du problème
Partout dans le monde, nous retrouvons le problème des
enfants de la rue. Cependant, à notre avis, c'est un
phénomène qui diffère d'un espace socioéconomique
à un autre, suivant la structure, la construction, le niveau de vie, les
modes de production de cette société, et suivant les dynamiques
dans lesquelles se développe cette société.
Mises à part les assises socioéconomiques sur
lesquelles se pose le phénomène des enfants de la rue, en
Haïti, les dynamiques sociohistoriques donnent une ampleur plus
considérable à ceci. Ce qui fait que dans notre
société, non seulement ce phénomène est distinct
d'ailleurs, mais il est aussi distinctif quant au registre social et historique
qui le caractérise et qui le fait émerger en son essence. Ceci
veut bien dire que ce phénomène d'enfants de la rue, conçu
comme problème aujourd'hui, fait surface à un moment donné
de notre histoire, dans un contexte social, politique, économique et
culturel ; et avec une dénomination qui est liée à
des pratiques sociales spécifiques. Aussi avons-nous remarqué que
ce phénomène, dans son dynamisme, peut se changer, se renforcer,
se transformer suivant le contexte événementiel du moment. Donc,
essayons-nous maintenant de retracer les lignes historiques de
l'émergence de ce phénomène suivant deux points de vue.
Dans des séries d'entrevues22(*) avec les psychologues Jean
Robert CHERY et Danielle St PAUL, ils nous ont donné une explication de
cette émergence en cinq périodes.
D'abord, de 1971 à 1986, sous le
régime dictatorial des DUVALIER, il y avait un exode rural
économique manifestement accéléré à
Port-au-Prince depuis Papa Doc jusqu'à l'arrivée des
premières manufactures de sous-traitances en Haïti sous le
régime de Baby Doc ; une désorganisation de la famille
paysanne dans les provinces devient une concentration de cette même
catégorie de familles dans la capitale que l'on appelait à
l'époque la « population secondaire » et
qui constituait la première montée de nos bidonvilles à
Port-au-Prince. A ce moment, les enfants de ces bidonvilles sans surveillance
parentale ont commencé à se constituer des bandes en fonction de
leur âge, de leur proximité et de leurs besoins ; aussi, ils
ont commencé à créer petit à petit leurs espaces de
regroupement clandestin, soit devant les églises, devant les salles de
cinéma, sur les places publiques, dans les marchés, etc., parce
qu'à cette époque, il y avait une instance de contrôle du
bien-être social ( CHALAN) et le groupe des volontaires de la
sécurité nationale (VSN / Macoutes)23(*) qui empêchaient ces
enfants vagabonds non encore dits de la rue, ou du moins non
encore définis en tant que tels, de se regrouper librement dans la
rue.
Ensuite, de 1986 à 1990, il y avait un
renversement politique en Haïti caractérisé par la fin d'une
longue dictature ; puis survenait un exode politique interne et externe
siégeant à Port-au-Prince d'une vague d'immigrants se sentant
libérés sous le poids de cette longue période de
dictature. C'était la période d'une seconde montée de nos
bidonvilles dans la capitale, et aussi c'était le moment où le
pouvoir politique était beaucoup plus militaire que civil. Pour
être plus clair, c'était une période où les
institutions publiques d'Etat étaient faibles et elles n'avaient aucun
contrôle des situations qui se déroulaient à
l'époque ; encore moins des groupes d'enfants qui deviennent de
plus en plus visibles dans les rues avec des étiquettes identitaires de
« SAN MANMAN » ou de
« SE LAVI » , et avec des pratiques statutaires
comme la mendicité, le lavage des voitures, des vaisselles et le lavage
des pieds des commerçants à la Croix des Bossales.
Egalement, de 1990 à 1994,24(*) l'ancien prêtre Jean
Bertrand ARISTIDE devient président d'Haiti ; passant quelques mois
au pouvoir, un coup d'Etat militaire venait terrifier d'un côté
les aspirations du nouveau président et, de l'autre côté,
l'espoir de la population. Le chaos s'installait à nouveau. A cette
période, nous étions en face d'une dictature militaire avec tous
les dangers que cela implique ; par exemple, la formation d'une nouvelle
force de répression (FRAPH : Front pour
l'Avancement et le Progrès d'Haiti), 25(*)des vols, des crimes et des
assassinats. Un embargo économique a été imposé
à Haiti, durant cette même période, suivi d'une invasion
militaire américaine (les MARINES) dans le but de pacifier le
territoire, d'y instaurer la démocratie et qui, du même coup,
servira à faciliter le retour de l'ancien président exilé.
Vu l'atrocité de cette situation, les enfants de la rue continuent
à lutter pour la vie ; malgré tout, ils recherchent les
traces de la vie dans les poubelles des MARINES américaines. A cet
effet, il n'y avait pas d'autres manières plus descriptives de les
identifier à l'époque que de les appeler
« KOKORAT ».
Outre ces années précédentes, la
période allant de 2000 à 2004 était
caractérisée par de graves bouleversements sociopolitiques en
Haïti. Plusieurs catégories sociales et politiques de cette
époque se regroupaient pour protester contre la mauvaise gestion du
pouvoir par le régime en place, alors que les partisans de ce
régime résistèrent avec tous les moyens dont ils
disposaient pour protéger les intérêts du gouvernement et
les leurs. Vols, corruption, crimes politiques, incendies, pillages, kidnapping
sont les principaux actes manifestant la résistance des partisans de ce
régime connus à l'époque sous le nom de
« RAT PA KAKA » ; puis le diminutif
semble être attribué aux enfants de la rue comme étant des
« TI RAT ».
Enfin, de 2004 à nos jours, une
seconde invasion militaire transnationale arrive en Haïti. Rien n'a
vraiment changé. Après examen, un gouvernement de transition a
été établi, les bouleversements restent
inchangés ; il n'y a plus de trêve. Suite à
l'élection présidentielle en 2006, un nouveau régime est
au pouvoir, s'efforçant de travailler à l'éradication de
quelques problèmes qui bouleversent la société. Par
contre, le coût de la vie s'élève et la hausse des prix a
contraint la population à manifester en revendiquant ses droits à
la nourriture et en protestant contre le chef du gouvernement... Cependant,
les enfants de la rue vivent quotidiennement l'aigreur du coût de la
vie ; leur situation reste et demeure une vie de grappillage, ce qui a
actualisé leur existence comme étant aujourd'hui des
« GRAPYAY ».
A l'état actuel, au
niveau national, le nombre des enfants de rue varie entre 1500 et
2000. On les retrouve dans presque tous les recoins du territoire,
spécialement à Port-au-Prince dans les localités comme
Champs de Mars, Delmas, Pétion-ville, etc. Dans les rues, ces enfants
vivent, grandissent et travaillent ; ils s'adonnent à toutes sortes
de pratiques, rémunérées ou pas, qui leur permettent de
satisfaire les besoins les plus fondamentaux tels que : manger, boire, se
vêtir, se loger et se soigner dans une lutte incessante qui doit garantir
la survie. A Port-au-Prince, la visibilité de ces groupes d'enfants est
manifeste. Sur les trottoirs, dans les marchés, sur les places
publiques, devant les églises, ils s'y affichent jour et nuit sans le
moindre signe de fatigue. Ils sont des candidats potentiels à
l'espérance, au mépris, au rejet, à la violence ; ce
qui fait qu'il porte le nom de Selavi, Kokorat et Grapiyay
Au niveau international, le
phénomène des enfants de rue est bel et bien visible. De Mexico
à Madrid, de Brasilia à Hanoi, de Kinshasa au Sud de l'Italie, on
retrouve des enfants qui vivent de la rue ; sous alimentés,
exploités, malades, maltraités, abandonnés, ces enfants
habitent et survivent dans les rues où ils sont contraints à
travailler, à mendier, à se prostituer dans une quête
incessante pour trouver de quoi subsister. Dépendamment de la culture,
ils portent des noms différents qui aident à les identifier plus
facilement ; par exemple, suivant les pays, on les appelle : Sin
casa, Streetkids, Sem casa, Niños de calle, Strasskinder, Homeless, etc.
Ces enfants représentent approximativement entre 50 et 120 millions de
la population mondiale.
Tableau 1.- Présentation de
l'émergence historique du phénomène des enfants de
rue
|
Contexte
|
|
Identité
|
|
Pratiques
|
1971-1986
|
· Dictature des Duvalier
· Exode rural économique
· Arrivée des premières manufacture de
sous-traitance
· Désorganisation de la famille paysanne
· Première montée des bidonvilles.
|
ENFANTS VAGABONDS
|
Mendicité
|
1986-1990
|
· Fin de la dictature
· Renversement de la situation politique en Haïti
· Exode politique: vague d'immigrant dans la capitale
· Seconde montée des bidonvilles
|
· SAN MANMAN
· SE LAVI
|
Mendicité, lavage des voitures, vaisselles et des pieds
des commerçants à la Croix des bossales, Etc.
|
1990-1994
|
· Coup d'état militaire: dictature militaire.
· Formation de la FRAPH
· Embargo économique
· Invasion militaire: les MARINES américaines
· Retour du président exile
|
KOKORAT
|
Mendicité, lavage des voiture, vols, etc.
|
2000-2004
|
· Bouleversement politique en Haïti
· Protestation contre le gourvernement en place
· Resistance des partisans du gourvernement
· Principaux actes des partisans du gouvernement: vols,
crimes politiques, Kidnapping, etc.
|
· RAT PA KAKA
· TI-RAT
|
Mendicité, lavage des voitures, vols, Conflits
armés, éclaireurs, rançonneurs, etc.
|
2004 à nos tours
|
· Invasion militaire transnationale
· Gouvernement de transition
· Election présidentielle
· Protestation contre la hausse des prix: le
phénomène (KLOROKS, ASID, TINÈ)
|
GRAPYAY
|
Mendicité, lavage des voitures, vols, Conflits
armés, éclaireurs, rançonneurs, etc.
|
5- Provenance de l'enfant de la rue
En réalité, le phénomène
des enfants de la rue n'est pas un problème assez sectoriel ayant
seulement de rapport, en toute évidence, aux régions
Métropolitaines, notamment Port-au-Prince et ses environs. Il est
foncièrement lié à la précarité de notre
société à tous les points de vue et, par ailleurs, il est
un problème qui est engendré, nous le savions clairement,
à cause de la paupérisation du milieu rural haïtien. Ce qui
veut dire, en d'autres mots, que la présence des enfants de la rue
à Port-au-Prince n'est que le résultat des
inégalités sociales, politiques et économiques qui
affaiblissent notre société, particulièrement nos
provinces, et qui rendent possibles ce genre de phénomène, en
l'occurrence les enfants de la rue.
Les enfants de la rue sont, pour la plupart, fils de
paysans venant de régions diverses du milieu rural pour s'établir
à Port-au-Prince. Minime est le nombre des enfants qui vivent de la rue
et qui sont nés dans la capitale ; ainsi l'effectif de ceux qui
proviennent de nos provinces est davantage plus élevé quant aux
résultats de l'enquête de l'Université Quisqueya en 2002
à ce sujet. Des enfants dans la rue, on en retrouve dans presque tout le
pays ; dans le Nord, dans le Sud, dans l'Artibonite, dans la Grand' Anse,
dans le Centre, ils sont présents régulièrement. Fuyant la
misère de leur milieu, ces enfants entreprennent de longs voyages
à destination de Port-au-Prince en quête incessante de survie.
Donc, suivant précisément, à l'aide de cette figure
ci-dessous, la provenance et les trajets de ces derniers en direction de
Port-au-Prince.
Graphique 1.- Provenance
géographique des enfants de la rue
6- Mobilité spatiale de l'enfant de la
rue
Une fois que les enfants rentrent à
Port-au-Prince, ils créent des points de regroupements, des
activités spécifiques qui correspondent d'une manière ou
d'une autre à leurs besoins de survie. En d'autres mots, ces enfants
créent des indices concrets (travail, jeux, modes de vie particuliers)
sous l'influence des conditions objectives de vie pauvre dans lesquelles ils
viennent pour en profiter à Port-au-Prince afin de rester en vie. En
effet, ces indices matérialisent l'existence de ces enfants, mobilisent
leurs actions et leur assurent une certaine visibilité de près
ou de loin dans chaque espace qu'ils investissent.
Parlant d'espace, l'enfant de la rue de
Port-au-Prince fait montre d'une mobilité continuelle quant au nombre de
sites qu'ils ont à disposition de leurs pratiques sociales, culturelles
et économiques. Ce qui fait que, dans cette logique de mobilité,
nous pouvons aujourd'hui même rencontrer un enfant de la rue à un
endroit X donné, demain nous le retrouverons à un endroit Y.
Cette dynamique est assurée, pour le peu que nous sachions, par le
caractère apparemment illimité de la rue, par le type de l'enfant
(ses besoins, ses influences, son champ de déambulation, etc.) et,
aussi, à cause des situations de conflits de rue. Parmi les espaces dans
lesquels les enfants de la rue sont régulièrement actifs à
Port-au-Prince nous retenons à l'aide de ce schéma
ci-dessous :
Graphique 2.- Mobilité
spatiale de l'enfant de la rue
En somme, la problématique qui accompagne le
phénomène des enfants des rues nous a permis de comprendre non
seulement ce dit phénomène, mais aussi la société
et le contexte historique qui l'ont accouché. Dans une
société où la majorité de la population vit dans
une situation d'extrême pauvreté, où les problèmes
sociaux, politiques et économiques battent leur plein, il est possible
de constater l'émergence de certains phénomènes comme
celui des enfants des rues.
Pour comprendre ce phénomène, plusieurs
recherches ont été réalisées par des individus
groupes et institutions. Pour nous autres, ce phénomène se
revêt de certains sens qui sont de l'ordre juridico-politique,
socioéconomique et psychosocial qui nous ont permis de situer la
question de la protection de l'enfance en Haiti, de comprendre les
méfaits de la structure socioéconomique au détriment de
l'enfant des rues et de suivre les traces ou les trajectoires de l'enfant des
rues depuis leur lieu de provenance jusqu'à port-au-Prince.
DEUXIEME PARTIE : CADRE THEORIQUE
CHAPITRE III : L'OBJET D'ETUDE ET SA
DEFINITION THEORIQUE
Pour définir et étudier à fond
notre objet de recherche, le recours à des outils théoriques
devient inévitable. Ces outils théoriques donneront une
définition conceptuelle et conceptualisée de notre objet
d'étude en assurant la parité dans la relation dynamique
théorique/empirique inhérente à toute
recherche (fondamentale, appliquée, d'action, etc.). En d'autres mots,
les outils théoriques que nous allons utiliser dans le cadre de cette
recherche diminueront les écarts de connaissance et réduiront les
impairs conceptuels quant aux explications que nous aurons à fournir
pour la compréhension de notre objet d'étude. Compte tenu de la
formulation de notre hypothèse de recherche, les concepts de
personnalité, de conditions matérielles
d'existence et de reproduction sociale feront l'objet
de présentation théorique dans cette tentative de
réflexion critique sur le phénomène des enfants de
la rue.
A ce propos, beaucoup de chercheurs en sciences
sociales et humaines se sont intéressés et déjà
penchés sur l'étude de ces concepts cités plus haut.
Notamment, les psychologues, les sociologues, les anthropologues et autres, ont
déjà réalisé d'énormes travaux pour
construire un riche et vaste répertoire de théories et
d'approches pouvant rendre intelligible le rapport
individu/société26(*) . Plus
précisément, le rôle de l'individu dans la
société et ce que la société représente, en
retour, dans l'individu. Cependant, comme nous l'avons mentionné
précédemment, notre travail se situera entre l'individu et la
société en étudiant spécifiquement la formation de
la personnalité de l'individu, ses conditions matérielles
d'existence dans la société et ses pratiques de reproduction
sociale dans leurs rapports dialectiques, ce qui veut dire que nous
allons, avec les outils théoriques marxistes, conduire cette
réflexion jusqu'à la vérification de notre
hypothèse de recherche.
Dans ce contexte, il existe certains travaux
scientifiques qui représentent un champ particulier pour tout un chacun
et qui proviennent de diverses sources théoriques. C'est ainsi que nous
retrouvons les approches psychanalytiques, les approches culturalistes et les
approches psychosociales qui orientent de façon continuelle les points
de vue des scientifiques dans les débats polémiques actuels
autour de l'étude de la personnalité de l'individu. Donc, il nous
faut les présenter succinctement pour pouvoir mieux faire asseoir notre
choix théorique, eu égard à la formation de la
personnalité des enfants qui vivent de la rue de Port- au- Prince ;
objet d'étude qui, jusqu'à présent, nous intéresse
et pour lequel nous sommes énormément motivés.
1- Théories27(*) les plus
utilisées dans l'étude de la personnalité de
l'individu
La psychanalyse et les travaux du culturalisme dans
l'étude de la personnalité de l'individu paraissent fort
intéressants. Si nous tenons compte du contexte de leurs recherches,
leur importance et leur contribution dans la compréhension de
l'être humain d'une manière générale, nous pouvons
avancer l'idée que ces travaux ne sont pas vains. A cet effet, ces
travaux ont facilité de nombreux chercheurs à amplifier
l'étude de la personnalité humaine dans ces différentes
perspectives ; voyons comment ils présentent leur approche de
l'individu dans les lignes qui suivent.
1.1.- La Psychanalyse28(*) et sa vision de
l'individu
La psychanalyse est définie comme étant
l'étude de la structure psychique de l'individu. D'une part, elle met
l'accent sur la vie pulsionnelle de l'individu, sur les dynamiques psychiques
et même sur les phénomènes psychiques apparemment les plus
obscurs et arbitraires. Elle s'accentue d'autre part sur la doctrine du conflit
intrapsychique et de la nature pathogène du refoulement, sur la
conception des symptômes morbides comme satisfaction substitutive et sur
la reconnaissance de la signification étiologique sur la vie sexuelle.
En gros, tous ces facteurs forment le contenu dans lequel la psychanalyse fait
valoir sa scientificité en tant que procédé
d'investigation des processus psychiques chez l'individu et, aussi, en tant que
méthode de traitement des troubles névrotiques.
Dans cette perspective, le psychanalyste
Sigmund FREUD, dans sa théorie de la sexualité
infantile29(*), avance
l'idée que le développement et le comportement de l'individu sont
motivés par une énergie psychique appelée
LIBIDO. Chez l'individu, au cours de son développement
dans l'enfance, cette énergie tend à se localiser dans
différentes parties de son corps à des moments chronologiques
spécifiques sous forme de stades : Oral (0- 18
mois) ; Anal (18mois- 3 ans) ; Phallique (3- 6 ans) ; Latence
(6- puberté) et le stade génital. Ces stades, dit l'auteur,
permettent le développement psycho sexuel de l'enfant ; au fur et
à mesure qu'il grandit, sa personnalité s'organise et se
structure dans des dynamiques incessantes de conflits intrapsychiques
(progression/fixation/régression) qui sont propres à chaque
stade, dans la mesure où le complexe d'Oedipe et celui de castration
sont liquidés et/ou dépassés, jusqu'au stade
génital.
Dans la psychanalyse freudienne, l'organisation de
la personnalité de l'individu se trouve dynamisée dans son
appareil psychique ; cet appareil est divisé en plusieurs registres
inter reliés qui sont les sources cognitives, affectives et motrices du
comportement de l'individu. D'un côté, il y a les trois instances
majeures (Moi, Surmoi, Ça) entre lesquelles se livrent tous les conflits
mettant en face les pulsions fondamentales et les pressions sociales ; de
l'autre côté, il y a la structure de la conscience
constituée entres autres de l'inconscient, du préconscient et du
conscient ; chacun de ces éléments dans ses fonctions
respectives, favorise le contact de l'individu avec la réalité du
monde extérieur.
Toujours dans l'étude de la
personnalité, une nouvelle notion s'est apparue : « la
structure psychique » avec Jacques Lacan pour désigner le mode
global et définitif de la personnalité de l'individu après
la période de latence. Cette structure peut prendre fondamentalement
deux orientations distinctes, l'une névrotique et
l'autre psychotique, suivant le degré de protection de
la mère à l'égard de son enfant, suivant l'identification
réalisée par l'enfant au stade du miroir pour la formation de son
Moi idéal et suivant les relation qu'il entretient avec le
« nom du père » qui peut
être, selon l'auteur, imaginaire, réel et/ou symbolique.
A ce propos, d'autres psychanalystes comme W. Reich,
M. Klein, A. Freud, F. Dolto, W. Apollon, L. Cantin, ont tous contribué,
chacun à sa manière, à une meilleure compréhension
de l'individu. Ceci n'empêche pas qu'ils ont compris l'importance des
premiers stades dans la formation de la personnalité de l'individu et
misent sur l'étude des conflits inconscients dans le comportement de ce
dernier.
1.2.- Le culturalisme et l'étude de la
personnalité
Les tenants de l'approche
culturaliste, pour une étude plus approfondie de la personnalité
de l'individu, ont entrepris de nombreuses recherches de terrain dans le souci
de comprendre comment la personnalité de l'individu en
société peut être culturellement déterminée
et modelée. En effet, Ralph Linton, auteur du
livre « Fondement culturel de la personnalité
»30(*), part d'une
définition exclusivement psychologique de la culture en la
considérant comme étant une organisation structurée de
conduites qui prend sens et existence dans et par les comportements que
l'individu a certainement appris en société. A ce moment, la
théorie lintonienne que nous voulons présenter dans ce travail
s'appuie sur l'influence de la culture sur la personnalité de
l'individu : à travers cette influence, nous arrivons à
comprendre le rôle des modèles culturels configurés par la
société dans les comportements explicites de l'individu. Ces
comportements, dit l'auteur, sont considérés comme étant
des réponses émergentes et/ou établies que l'individu doit
fournir dans des situations précises, déterminées et
préétablies que celui-ci a même apprises, organisées
et conservées pour constituer son répertoire de comportements
habituels (habitudes). A ce propos, Ralph Linton a
précisé :
« Que l'individu reproduise les mêmes
réponses aux mêmes stimuli, alors
les réponses sont complexes
et ne peuvent manifestement pas être
tenues pour instinctives, c'est
là le seul indice qui permette de penser
qu'il organise et conserve de
quelque manière son expérience. »31(*)
Par conséquent, ces comportements explicites
et habituels sont le résultat d'une configuration
stimulus-réponse que l'auteur appelle le système
valeurs-attitudes qui, de manière précise, automatique
et inconsciente, permet à l'individu de répondre aux
différents modèles culturels qui configurent les situations
diverses dans lesquelles il peut se trouver.
Donc, le couple conceptuel Culture -
personnalité définit particulièrement
l'intérêt des culturalistes. Cependant, la personnalité en
tant que configuration unique, abstraite sans équivalent dans le domaine
physique ne peut être abordée, selon l'auteur, que dans le rapport
du comportement explicite de l'individu avec ses besoins et son environnement.
A ce sujet, Linton a signalé : « Il n'est pas question
d'ailleurs d'observer directement la personnalité, on ne peut
qu'inférer ses propriétés du comportement explicite (Overt
behavior) où elles trouvent leurs expressions. »32(*)
D'où, l'idée du comportement
explicite devient inhérente à la culture même qui se
perpétue généralement dans l'individu par le moyen de
l'éducation et qui, particulièrement, prédéfinit
les modèles de comportement à adopter suivant le système
des valeurs- attitudes qui caractérisent culturellement la
société.
Par ailleurs, l'étude de la
personnalité n'attire pas seulement l'attention de Ralph Linton ;
d'autres chercheurs ont consacré leurs temps et leur compétence
dans cette immense étude qui s'élève au rang des plus
complexes. Les nombreuses variations dans l'étude de la
personnalité à perspective culturaliste nous permettent de
présenter les points de vue d'A. Kardiner insistant sur l'existence
d'une « personnalité de base » des individus qui vivent des
situations de vie communes. Cette personnalité se forme dans l'enfance
et favorise l'intégration sociale de ce dernier, elle le rend plus
réceptif aux normes et aux idéologies de la société
sous l'influence des institutions primaires et secondaires qui sont des moteurs
d'ancrage devant garantir la stabilité des éléments
culturels dans l'individu. Abondant dans le même sens, E. Fromm
décrit la même réalité en se servant d'une autre
appellation qui est celle du « caractère
national » caractérisé par la manière
dont l'individu pense la réalité sociale et culturelle, et par
laquelle il peut agir sur elle, ce qui veut bien dire que le caractère
national est requis par la société afin de mener l'individu
à désirer agir comme il a à agir. A cet égard,
Fromm précise sa position : « le caractère
national signifie le noyau de structure caractérielle de la plupart des
membres d'un groupe, qui s'est développé en tant que
résultat des expériences de base et du mode de vie commun
à ce groupe. »33(*)
A l'opposé de l'existence d'une
personnalité de base, commune aux individus vivant dans la
société globale, les tenants du culturalisme définissent
un type de personnalité plus ou moins spécifique et
différenciée qui se réfère à des
sous-cultures de la culture globale. Cette gamme de personnalités, les
culturalistes l'ont désignée
« personnalités statutaires » du fait
qu'elles sont liées aux différentes positions dans lesquelles
peut se trouver l'individu, et en fonction desquelles un certain nombre de
statuts lui sont conférés pour agir dans des situations
déterminées. A ce sujet, des anthropologues et psychosociologues
comme M. Mead, G. Mead, R. Benedict, K. Horney voient dans la notion de Statuts
un autre élément, à la fois corollaire et fondamental, qui
est celui des Rôles. A ce moment, le couple Statuts-Rôles
définit avec plus de précisions possibles le concept de
personnalités statutaires qui est superposé à celui de
personnalité de base. Donc, qu'il s'agisse de personnalité de
statuts ou de personnalité de base, il est à noter que tous les
deux font référence aux différents modèles de
comportements qui caractérisent la société, pour
constituer les réponses habituelles de l'individu, en interaction avec
son environnement, dans la généralité ou dans la
spécificité.
1.3.- Parcourir Haïti à travers
l'étude de la formation de la personnalité
Comme les normes de la formation de
la personnalité varient d'une société à une autre,
en Haïti, il est difficile de retrouver ce qui fait l'originalité
de notre mode de formation de la personnalité par manque de recherche
scientifique à ce sujet. Il nous convient de citer quelques travaux
ayant été réalisés dans le but de fournir des
explications de ce processus psychosocial complexe qu'est la formation de la
personnalité de l'individu haïtien.
La Dre J. Philippe, dans son livre
« classes sociales et maladies mentales en
Haïti »34(*), a fait un travail assez important dans lequel elle a
étudié les stades de la vie de l'individu haïtien depuis
l'enfance jusqu'au stade adulte. L'auteure met beaucoup l'accent sur le
rôle de la structure familiale, plus précisément sur les
relations avec les parents dans la formation de la personnalité de
l'enfant. La Dre J. Philippe, pour présenter le développement de
l'individu, a précisé » :
« De 0 à 4 ans, au cours de
cette période nous parlons de grossesse, de l'accouchement, de
l'allaitement et du sevrage. Au cours de la période de 5 à 9
ans, nous parlons des relations avec les parents (période
oedipienne/période de latence) et du début de la vie
scolaire. De 10 à 14 ans, c'est la période pubertaire
[...] »35(*)
Qu'il soit dans le milieu paysan, dans la famille des
classes aisées et des classes moyennes en Haïti, la
réalité psychosociale en matière de formation de la
personnalité suit le même processus en ayant pour point de mire la
famille, avec quelques différences près au niveau des relations,
des pratiques sociales habituelles et au niveau de la protection des parents
à l'égard de l'enfant.
Tout différent, le Dr E. Douyon36(*) a mené également
une étude dans un cadre spécifique ayant rapport à la
crise de possession chez l'haïtien dit criseur en voulant, à l'aide
des outils psychométriques, saisir les éléments de sa
personnalité. Malgré la spécificité de la
population, cela n'empêche pas que l'auteur s'accentue sur des pistes
d'analyse qui prennent en compte les relations familiales (parents- enfants)
du criseur dans le passé, ses rêves, ses restrictions au niveau
des relations sexuelles pour obtenir des résultats qui
révèlent des types spécifiques de personnalité
liée à des profils diversifiés de troubles mentaux comme
la psychose, la névrose, et même la schizophrénie.
Plus loin encore, le Dr L. Bijoux37(*) va étudier la
personnalité de l'individu haïtien. D'une logique culturellement
adaptée, il a obtenu des résultats qui permettent de comprendre
le développement de l'individu haïtien à travers un registre
de complexes38(*) qui, en
dernier ressort, caractérisent les comportements de ce dernier.
Liés fondamentalement à la personnalité comme étant
ses principaux contenus, ces complexes sont au nombre de trois chez
l'haïtien. Le Dr L. Bijoux les a identifiés comme suit : (1)
le complexe de pintade sauvage ; (2) le complexe de marsouin et (3)
le complexe du tigre, pour définir les fondements des comportements de
l'haïtien dans des situations sociales et politiques variées.
En définitive, nous avons
réalisé une expérience pilote dans la zone
métropolitaine auprès de trois (3) ménages39(*) dans le souci de comprendre
les angles les plus touchés quand on parle de la formation de la
personnalité de l'enfant haïtien. Dans des séries
d'entretiens informels avec des parents, nous sommes arrivés à
comprendre les orientations qui y figurent quand nous prêtons attention
à ces passages :
« [...] jan w leve timoun nan, se konsa l
ap grandi [...] »
« [...] Timoun alèkile yo san
pèsonalite [...] »
« [...] si timoun nan te ne pou l te bon,
li ap bon ; si l te ne pou l pat bon, pa gen anyen ki pou fè l bon
[...] »
« [...] nan tan lontan, fanmi te plis
reskonsab fòmasyon timoun yo ; lè yo ale lekòl ou gen
yon espwa y ap vini yon bagay demen. Kounye a, ou pa ka konnen egzakteman sa k
ap fòme pèsonalite timoun yo, pou valè bagay nou wè
ki gen anpil enfliyans sou yo; tankou Mizik, fim, entènèt ak
zanmi [...] »
En somme, grâce à cette
expérience, nous pouvons vite comprendre, jusqu'à présent
en Haïti, pour certains, que l'éducation (famille) est responsable
de la formation de la personnalité, des attitudes et comportements des
enfants, et même leur devenir. Pour d'autres, ils s'accrochent toujours
à l'idée que les enfants d'aujourd'hui n'ont pas de
personnalité sous prétexte que les familles en Haïti sont
désorganisées ; l'école, et même la
société est sans perspectives, ce qui empêche aux enfants
de construire une personnalité, car ces derniers sont sans
repères et sans projets d'avenir. Aussi, ils ont mis l'accent sur
l'idée que la formation de la personnalité ou le devenir de
l'enfant en Haïti est quelque chose de fatidique et sur lequel on ne peut
pas agir dans l'optique d'un changement éventuel, car tous les
événements sont fixés à l'avance. Donc, s'il y a
autant de problèmes à définir la formation de la
personnalité des enfants qui sont nés et qui grandissent dans des
familles structurées, qu'en est-il des enfants qui se sont
élevés sans parents ? Notamment les enfants de la rue qui se
ravitaillent et qui vivotent pour survivre dans un environnement hostile et
rigide dans lequel ils courent tous les risques du monde d'être meurtris,
sont-ils sans personnalité ? Ou du moins, leur devenir est-il le
fruit d'un incontournable fatalisme ? Car, vous le savez aussi bien que
moi, que les modèles de socialisations classiques leur font
défaut.
2- Considérations critiques à
propos :
2.1.- Du culturalisme
La présentation que le
culturalisme a faite de la personnalité de l'individu est assez
intéressante, par le fait qu'il a abordé cet objet dans ses
fondements culturels qui apparaissent comme une réflexion tout à
fait nouvelle dans le registre des études réalisées sur la
personnalité de l'individu humain. Cependant, cette réflexion
théorique dans laquelle ont participé R.Linton et d'autres
chercheurs pose un certain nombre de problèmes qui, pour la plupart,
sont d'ordre épistémologique et engageant ses aspects
méthodologiques, théoriques et conceptuels.
D'abord, le culturalisme est découlé
d'un modèle qui nous empêche de l'utiliser dans notre recherche
à cause de la possibilité de l'inadéquation qui puisse
exister, du point de vue épistémologique, entre ce modèle
et notre travail. Certainement, nous le savons bien, le culturalisme est
foncièrement à base fonctionnaliste ; et nous retrouvons
cette tendance chez A. Kardiner suivant la manière dont il
conçoit et définit sa notion de personnalité de base. A ce
sujet, il a souligné : « La personnalité de base
est un facteur important d'intégration sociale. Parce que [...] les
traits de personnalité rendent l'individu plus réceptif aux
normes, aux idéologies du groupe, lui permettent de s'adapter à
la culture et d'y trouver un équilibre. »40(*)
Egalement, il est à
comprendre que, malgré ses nombreux efforts à fournir une
explication originale de la personnalité de l'individu, la conception de
R. Linton est aussi empreinte de la tendance fonctionnaliste. Sachant que, pour
lui, la personnalité de l'individu est façonnée par les
modèles culturels qui sont entre autres configurés par la
société ; donc, il est aussi clair dans les explications de
l'auteur: « tout modèle culturel contient à la
fois des éléments explicites et des éléments
implicites qui sont organisés en une totalité
fonctionnelle.» Sans une telle organisation qui maintient la formation des
comportements individuels à travers un système de
valeurs-attitudes qui tendent à faciliter l'incorporation et
l'intériorisation des normes, la culture ne pourrait se transmettre ni
la société se perpétuer en tant que totalités dites
fonctionnelles. Avec les propres mots de Linton, nous retenons :
« Les modèles culturels dont
dépend la survie de toute société doivent être
constitués comme modèles de réponse habituelle chez ses
membres. Cette constitution est rendue possible grâce à
l'extraordinaire aptitude de l'homme à assimiler ce dont on
l'instruit. »
Il poursuit en disant :
« La pression sociale maintient la formation
des comportements individuels à l'intérieur des limites
imposées par les modèles culturels, et elle garantit que les
habitudes individuelles qui apparaissent seront de nature à rendre le
comportement prévisible en fonction de la position dans la
société [...] sans cette composante sociale, la culture ne
pourrait se transmettre ni les sociétés se perpétuer en
tant que totalités fonctionnelles.»
D'où, Linton finit par dire :
« Que l'individu reproduise les mêmes
réponses aux mêmes stimuli, alors que les réponses
sont complexes et ne peuvent pas être tenues pour instinctives, c`est
là le seul indice qui permette de penser qu'il organise et conserve
de quelque manière son expérience .»
En outre, J.C.Filloux, dans le préface du
livre « le fondement culturel de la
personnalité », a présenté l'idée
critique de David Bidney en qualifiant d'idéaliste la définition
que Linton accorde à la personnalité du fait qu'elle est
effective en termes de réponses intérieures et d'attitudes.
Par ailleurs, l'approche culturaliste se limite
encore à deux niveaux qui nous empêchent de s'en servir dans notre
travail. D'abord, le culturalisme a défini son approche à partir
d'une démarche dite éclectique dans laquelle on retrouve certains
concepts des théories behavioristes, des théories psychosociales
(apprentissage social) et des théories psychanalytiques. Tout cela
concourt aux difficultés que nous avons pour appréhender notre
objet d'étude dans cette perspective qui est loin de répondre aux
rigueurs théoriques et conceptuelles exigées de notre recherche.
Ensuite, la perspective culturaliste s'est enfermée, dit Jean Claude
Filloux, dans une tendance à exclure l'histoire de la conception des
phénomènes culturels ; or, l'arrière-fond historique
est l'élément majeur qui peut nous conduire à la
compréhension des dynamiques culturelles, ainsi que les processus
psychiques qui les ont rendues possibles. Donc, ce qui nous intéresse le
plus dans notre recherche, c'est l'aspect historique dans la formation de la
personnalité de nos sujets d'étude, ou de présenter aux
lecteurs une façon de permettre à l'histoire d'intégrer la
psychologie. Et c'est la raison pour laquelle notre théorie de choix
prend en compte cet aspect jugé si fondamental.
2.2.- De la psychanalyse
La psychanalyse s'est présentée comme
étant davantage une méthode de traitement plutôt qu'une
méthode d'analyse. S. Freud a dit : « La psychanalyse
est le nom d'une méthode de traitement des troubles névrotiques
qui se fondent sur [...] l'investigation des processus psychiques
[...] »41(*)
Si elle s'apparente, dans certains cas, à une
méthode d'analyse, c'est particulièrement dans un contexte
clinique où les entretiens prétendument curatifs doivent
favoriser une attitude analytique chez le thérapeute, lui permettant de
différencier ce que le besoin du patient exige de ce que la demande
implore. A ce moment, le point focal n'est autre que l'espace clinique, le
divan, la position assise couchée, les associations libres, etc.
d'où, l'idée qu'il existe bien une réalité extra
clinique assez manifeste à considérer dans la cure importe peu
pour les psychanalystes ; en partie, c'est ce qui fait l'avis de certains
auteurs en disant que la psychanalyse a fait de l'homme, une abstraction. En
mettant de côté les réalités extra cliniques et en
définissant l'individu à travers ses activités intra
psychiques, la conception de la psychanalyse en devient totalement
abstraite ; comme K. Marx le dit : « la conception ne peut
être concrète quand l'objet de la conception est abstraite.
»42(*). Donc, sans
tenir compte des activités socio-économiques dans lesquelles
s'investit pleinement l'individu, à l'opposé des activités
intrapsychiques, la psychanalyse est encore loin de promouvoir une étude
de l'homme réel dans ses dimensions sociales et historiques ;
malheureusement, par excès de réduction, elle fait l'impasse sur
ces dimensions jugées fondamentales pour appréhender la vie
concrète même de l'individu.
Pour la psychanalyse, il n'y a que les charges
libidinales qui soient fixées, les réalités de
l'expérience quotidienne de l'individu restent en état
d'apesanteur sociologique. Les psychanalystes, hormis ceux d'obédience
marxiste, n'ont jamais mis en relief la détermination matérielle
des faits sociaux qui entrent en jeu dans la formation de la
personnalité de l'individu ou dans ses comportements, pour ne citer que
Bakhtine, Fromm qui, à leur époque, ont tenté de produire
une explication rigoureuse, les classiques eux se contentent seulement et de
manière abstraite d'établir une détermination purement
psychique en utilisant quelque toile de fond biologique basée sur la
sexualité et dans laquelle le concept de la génitalité
devient le dernier stade de l'évolution de la libido. Autrement dit,
arrivée à ce stade, la personnalité de l'individu est
définitivement structurée.
En conséquence, c'est ce qui fait
ordinairement que certains auteurs ont qualifié la psychanalyse de
biologique et que d'autres, par ailleurs, la considèrent comme
étant tournoyée dans une surdétermination sexuelle. En ce
sens, E. Fromm a affirmé :
« La psychanalyse n'a pas à
s'occuper uniquement de la structure et des mécanismes du psychisme
de l'individu. Ce dernier est avant tout un être social, donc on doit
insister sur les facteurs sociaux, aussi pour montrer comment la situation
économique est transposée en passant par le chemin
pulsionnel. »
Toujours, concernant la psychanalyse, il est dit
d'après G. Corey : « [...] in the human beings,
irrational forces are strong ; they are driven by sexual and agressive
impulses. »43(*). Ce
qui veut bien dire qu'en effet l'étude de la formation et du
développement de la personnalité dans la perspective
psychanalytique est fortement empreinte d'un pan sexualiste et d'un
biologisme. Sans être allés au-delà de la structure de
domination qui caractérise généralement les relations
sociales et qui, en particulier, déterminent les modes de vie concrets
des individus, les psychanalystes ne font que les réitérer dans
une pratique qui occulte totalement le contexte socioéconomique et
politique dans lequel elle s'inscrit. Ce qui permet , ajoutons-nous pour finir,
à R. Castel de dire que la psychanalyse, en toute dernière
analyse, ne fait que transposer, supprimer ou conserver cette logique de
domination sans la transformer.44(*)
2.3.- Limites d'un héritage
théorique, à propos de la personnalité
Dans notre société, la question de la
formation de la personnalité de l'individu ne suit pas une logique
théorique qui s'est inspirée de notre réalité de
vie. Les explications que les chercheurs haïtiens octroient le plus
souvent à ce processus psychosocial ne sont, disent certains auteurs,
qu'un décalque du modèle psychanalytique classique et orthodoxe.
Ceci nous ramène aux travaux du Dr Bijoux, de Philippe et de Douyon afin
de les requestionner. Pour ainsi dire, les problèmes que l'on retrouve
en amont dans la psychanalyse sont également présents en aval
dans les travaux jusqu'ici réalisés en Haïti dans ce
domaine ; plus précisément, la formation de la
personnalité de l'individu. Par-dessus tout, il y a en effet un
problème qui est important et que nous devons signaler : la
question de l'OEdipe, tant considérée dans l'étude de la
formation de la personnalité, est-elle aussi fondamentale dans le
contexte haïtien ? Si nous tenons compte de l'essence de cette
question, nous pouvons dire qu'il existe un OEdipe haïtien? Et, plus
encore, comment se manifeste-t-il? A ce niveau, toutes ces interrogations nous
renvoient directement au siège de « la famille » en
Haïti, dans le rôle qu'elle doit jouer dans la formation de la
personnalité de l'individu haïtien. Et, c'est pourquoi une auteure
comme J. Philippe y a mis beaucoup l'accent dans « classes sociales
et maladies mentales en Haïti », en croyant que c'est un
facteur incontournable et que c'est également le principal
déterminant. Cependant, s'il en est ainsi, comment la
personnalité des individus qui se sont élevés sans parents
est-elle formée, plus précisément les enfants qui vivent
de la rue en Haïti ? N'y a-t-il pas d'autres déterminants qui
sont fondamentaux dans ce cas que de miser sur les relations familiales, les
rêves et sur les restrictions sexuelles précoces chez
l'individu ?
Eu égard à ces questions, nous
retrouvons notre centre d'intérêt quand nous choisissons
d'étudier sous un autre angle la formation de la personnalité de
l'haïtien, plus précisément celle des enfants de rue en
mettant l'accent sur les réalités extra-psychiques qui sont
à base socio-économique et qui contribuent fondamentalement
à leur développement psychosocial.
3- Notre théorie de choix: Le
matérialisme historique
Vu que les objectifs de notre travail embrassent,
d'une manière générale, les conditions de vie des enfants
de la rue et, en particulier, la formation de leur personnalité, nous
allons, dans ce chapitre, soumettre aux lecteurs la grille théorique
fondamentale nous permettant de comprendre cette réalité et
d'atteindre les objectifs poursuivis.
3.1.- Avec le matérialisme historique,
une autre façon de voir l'individu
La conception que les auteurs de cette théorie
ont faite de l'être humain trouve son expression caractéristique
dans la notion du travail. A partir de cette notion, les
auteurs y voient la pratique sociale essentielle qui définit les
différents rapports de l'être humain et qui lui permet d'agir
concrètement dans le but de produire sa vie. En d'autres termes, c'est
par le travail que l'être humain crée, pour subsister, ses moyens
d'existence lui permettant de répondre à la satisfaction de ses
besoins ; et aussi, c'est par le travail que l'être humain arrive
à développer et à exprimer ses capacités
intellectuelles et physiques. A cet effet, Karl Marx, l'une des ressources
clés de cette approche, a mentionné :
« Le travail est de prime abord un
acte qui se passe entre l'homme et la nature. L'homme y joue lui-même
vis-à-vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle. Les
forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il
les met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur donnant
une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce
mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre
nature et développe les facultés qui y sommeillent.
»45(*)
Une telle explication permet de comprendre le
rôle du travail ontologique, comme étant une pratique essentielle
dans le développement sociohistorique de l'homme concret. De ce fait, ce
mode de développement ne peut se réaliser que dans le travail,
par le travail et pour le travail ; dans lequel l'homme se rencontre,
affirment les marxistes, en contact avec les forces productives et les
relations sociales les plus décisives. En un mot, c'est ce que Marx et
Engels ont conjointement désigné de Rapports sociaux
dans l'Idéologie allemande.46(*)
3.2.- Les rapports sociaux, un
véritable déterminant...
En réalité, la littérature
marxiste permet de voir l'être humain comme un sujet de la production
qui, en produisant, se transforme lui-même. De cette façon, il est
vu comme celui qui crée ses conditions concrètes d'existence, les
organise et les reproduit dans des rapports sociaux matériellement
orientés et déterminés. Selon les réflexions de
Marx, à propos des rapports sociaux, il est dit :
« Une somme de forces productives, un
rapport avec la nature et entre les individus, crées historiquement
et transmis à chaque génération par celle qui la
précède, une masse de forces de production, de capitaux et de
circonstances qui, d'une part, sont bien modifiées par la nouvelle
génération, mais qui, d'autre part, lui dictent ses
propres conditions d'existence et lui impriment un développement
déterminé, un caractère spécifique. »
47(*)
De surcroît, ces rapports sociaux limitent les
activités de l'individu à tous les niveaux, et les fixent dans la
forme la plus stricte de la reproduction de la force de travail, en lieu et
place de la satisfaction réelle des besoins fondamentaux auxquels
l'individu est constamment accroché. A ce moment, ces rapports sont loin
d'être des pratiques permettant à l'individu de se réaliser
lui-même, mais plutôt de le contraindre à produire des
biens, des objets, des capitaux et à fournir des services, dont il
n'est pas le bénéficiaire ni le maître, qui mortifient son
corps et ruinent son esprit tout en empêchant sa pleine
réalisation. A ce point, ni le travail que l'individu effectue, ni les
relations qu'il se noue ne peuvent être aucunement perçus comme un
exercice de manifestation de soi, dans la mesure où ce que l'individu
produit, dit Georges Gurvitch48(*), échappe pleinement à son
contrôle, dans lequel il se perd totalement à un point tel que
même sa conscience y est assujettie. Et c'est, en fait, pour cela que
Marx a beaucoup insisté en précisant que ces rapports ne sont
point des relations établies consciemment, que les individus
rêveraient de transformer suivant leur propre désir ou une
quelconque aspiration par le fait que ces rapports sont non seulement
indépendants de la volonté de l'individu, mais aussi ils se
réfèrent à un ensemble de pratiques sociales
matériellement déterminées et déterminantes qui,
selon les forces productives en vigueur, définissent un mode de
production approprié autour duquel s'organise la structure
économique de la société en question, et qu'un individu
à lui seul ne peut transformer. Car, une telle structure
économique entraîne avec elle, et crée des conditions
matérielles dans lesquelles l'individu manifeste sa vie réelle et
qui reflètent finalement ce qu'il est. En d'autres mots, la façon
dont l'individu agit, ses représentations des choses et des
événements, sa pensée, son langage, ses activités,
voire sa personnalité se trouvent liés et bien dépendants
de ses conditions d'existence. D'où, K. Marx en a fait un
résumé intelligent en précisant que : « Ce
n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est
au contraire leur existence sociale qui détermine leur
conscience. »49(*) C'est pourquoi d'ailleurs, Marx et Engels ont conclu
dans l'Idéologie Allemande en ces termes :
« La contradiction entre la
personnalité du prolétaire en particulier et les
conditions de vie qui lui sont
imposées, c'est-à-dire le travail, lui apparaît
lui- même, d'autant plus qu'il a
déjà été sacrifié dès sa prime
jeunesse (...)
Ils (les prolétaires) se
trouvent, (...), en opposition directe avec la forme
que les individus de la
société ont jusqu'à présent choisie pour
expression
d'ensemble, (...) et il leur font
renverser cet Etat pour réaliser leur
personnalité. »50(*)
3.3.- L'individu, entre ses
conditions d'existence et sa personnalité
L'individu, tout au long de sa vie,
se trouve aux prises à des conditions matériellement et
économiquement déterminées et qui façonnent son
être biologique, social et politique, et qui lui assurent un
développement historique, élément de sa
singularité.
Parlant de singularité, nous faisons
référence à l'individu concret, être singulier,
singularisé et singularisant, étudié dans ses conditions
concrètes de vie et qui, au cours de son développement social et
historique, se forme une personnalité. Cette personnalité est
définie, selon Lucien Sève, comme un
« système complexe d'Actes. »51(*). Tous maintenus dans
des relations sociales porteuses d'activités concrètement
déterminées pour l'individu, dans lesquelles il produit,
développe ou spécifie ses capacités de production pour
obtenir les résultats objectifs et significatifs pour la
société. Et, de ce fait, nous rejoignons Antonio Gramsci qui, lui
aussi, a défini « l'homme comme étant un
processus et plus précisément le processus de ses
actes. ».52(*) Donc, la notion d'Actes est devenue tellement
importante dans l'étude de la personnalité de l'individu, que
Lucien Sève l'a ainsi décrite :
« Tout comportement de l'individu,
de quelque niveau qu'il soit, considère non pas seulement en tant que
comportement, c'est-à-dire rapporté au psychisme, mais en tant
qu' activité concrète, c'est-à-dire rapporté
à une biographie ; autrement dit en tant qu'il produit un
certain nombre de résultats, non pas de résultats pour
l'individu lui-même et de façon directe, mais des résultats
pour la société, compte tenu de ses conditions
concrètes, résultats qui font retour à l'individu
à travers des médiations objectives plus ou moins
complexes. »53(*)
A cet égard, la notion d'Actes ne
se réfère pas seulement aux activités concrètes que
l'individu entreprend, elle se rapporte également à sa
biographie. Ce qui, de notre côté, nous permet de dire que la
personnalité de l'individu est l'ensemble des actes qui composent sa
biographie et qui a permis ainsi à Lucien Sève
d'enchaîner :
« Tout acte est un acte d'un individu, un aspect
de sa biographie, une expression de soi. Et, aussi, c'est l'acte d'un monde
social déterminé ; un aspect des rapports sociaux, une
expression des conditions historiques objectives. »54(*)
En somme, l'individu, par ses actes qui
constituent sa biographie, est d'abord activité sensible et
matérielle dans des milieux déterminés, avec des
matériels déterminés, dans une structure sociale
déterminée où ses différents rapports sociaux de
production et ses capacités physiques et intellectuelles sont
développés et définis au cours de l'histoire. Donc, nous
semble-t-il, l'individu est d'emblée dans l'histoire ; ce qui fait,
plus loin, que Jean Claude Filloux55(*) va définir la personnalité de
l'individu comme étant une histoire dans une histoire
3.4.- L'individu, est-il
déterminé à se reproduire ?
Le schéma historique, dans lequel agit
généralement l'individu qui se rapporte à la production
des moyens lui permettant de satisfaire ses besoins, est la pièce
majeure qui définit la vie de celui-ci. Etant vivant, l'individu est
appelé à renouveler cette forme de production garantissant la vie
et à développer une manière de vivre stable, un mode de
pensée qui se transmet de groupe en groupe, de génération
en génération. Tout ceci se réfère à la
reproduction des modes de vie impliquant l'individu dans un renouvellement
quotidien de sa force de travail où les relations sociales et les
pratiques de la vie quotidienne sont restées pratiquement
inchangées, sans écarter les activités dans lesquelles les
individus se reproduisent eux-mêmes, en créant d'autres hommes et
d'autres femmes de la même espèce. Ce qui traduit
parfaitement la conception matérialiste en ce sens :
« Le facteur
déterminant, en dernier ressort, dans l'histoire, c'est la production
et la reproduction de la vie immédiate. Mais, à son tour,
cette production de
moyens d'existence, d'objets servant
à la nourriture, à l'habillement, au
logement, et des outils qu'ils
(les individus) nécessitent ; d'autre part, la
production des hommes, la
propagation de l'espèce [...] »56(*)
Ainsi, les situations dans lesquelles les individus
sont astreints à reproduire constamment leurs conditions d'existence
sont matériellement déterminées. D'un côté,
même si les individus sont remplacés dans le temps, le
système se reproduit cependant à l'identique ; ils peuvent
bien modifier leur comportement dans le temps, mais ces modifications
isolées et partielles ne produisent pas de changement au niveau global.
De l'autre côté, ce que les individus produisent augmente, mais
les relations qui se nouent entre les différentes classes demeurent
constantes.
En résumé,
l'étude de la personnalité de l'individu peut être
abordée suivant plusieurs courants théoriques. La psychanalyse,
le culturalisme, le behaviorisme, les études psychosociales ont tous
contribué dans le travail qui consiste à explorer, à
comprendre et à expliquer la personnalité de l'individu vivant en
société ; ses pensées, ses sentiments, ses actions
etc. Parmi ces courants, il y en a qui, en étudiant la
personnalité, mettent l'accent sur la structure psychique de l'individu,
la vie pulsionnelle et les conflits intrapsychiques qui dynamisent son
être. Pour d'autres, les modèles culturels sont beaucoup plus
importants dans la configuration des comportements habituels de l'individu en
société suivant un système de valeurs-attitudes qui le
guide de manière automatique, précise et inconsciente à
chaque situation. Pour certains, la personnalité de l'individu est
acquise par conditionnement des comportements pour lesquels il suffit
d'examiner à quels stimuli avait été exposé
l'individu et quelles avaient été ses réactions pour
expliquer sa personnalité. Et, pour d'autres catégories, la
question de l'apprentissage social est déterminante dans la formation de
la personnalité de l'individu ; le renforcement, la punition,
l'imitation, etc. aident l'individu à se conformer à chaque stade
de son développement.
Tout cet arsenal théorique qui décrit,
d'une manière ou d'une autre, la personnalité de l'individu est
d'une importance particulière en nous offrant de larges pistes de
réflexions relatives à notre étude. Cependant, cet arsenal
ainsi présenté n'embrasse pas totalement notre objet
d'étude construit à l'aide de trois (3) concepts qui, dans leur
dynamique, sont inter reliés pour donner un sens dialectique à
cette recherche. Les concepts de «conditions matérielles
d'existence de l'enfant de la rue, sa personnalité et ses comportements
à reproduire ses propres conditions » mis dans notre
hypothèse constituent l'objet de cette étude que nous allons
aborder avec la grille théorique marxiste.
La personnalité, généralement
définie comme étant la somme des pensées, sensations et
des actions caractérisant la façon de vivre d'un individu, est
étudiée dans la perspective marxiste comme étant, selon
Lucien Sève, un système d'actes. L'ensemble de ces actes
constitue entre autres, la biographie de l'individu. Sa vie réelle dans
laquelle il effectue des travaux, réalise des activités et noue
des relations sociales qui le modifient tout le long de son histoire, ce que
les auteurs ont désigné de rapports sociaux ; ses
représentations, son langage, ses sensations, sa pensée, ses
capacités physiques et intellectuelles s'y trouvent bien liés,
orientés et déterminés dans le but de créer ses
conditions concrètes d'existence, de les organiser et de les
reproduire.
Donc, selon cette lecture, la sphère sociale
et économique dans laquelle l'individu vit et agit, participe de ses
rapports sociaux, est déterminante de sa vie toute entière. En
définissant ses conditions matérielles, elle lui imprime un
développement déterminé, un caractère
spécifique, voire une personnalité qui a l'empreinte du mode de
production autour duquel s'organise la structure économique de la
société et des conduites souhaitables à sa
perpétuation.
CHAPITRE IV : L'ENFANCE, UNE NOTION A
COMPRENDRE...
1- Définition et perspectives
Le terme enfance, dans son acception actuelle en
psychologie, désigne une étape de développement qui se
situe entre la naissance et la maturité, entre la naissance et la
puberté, ou encore entre l'émergence du langage et la
puberté. Généralement, l'enfance est une période
dans laquelle l'individu dit enfant est conduit par son entourage
à apprendre et à élaborer un répertoire de
comportements tant sur le plan intellectuel que sur les plans socio-affectif et
psychomoteur. Selon Henri Piéron, dans le vocabulaire de psychologie,
l'enfance se distingue à trois niveaux :
1) la première enfance qui se situe entre 0 et
3 ans
2) la deuxième enfance entre 3 et 7 ans
3) la troisième enfance de 7 à 12 ans,
cette dernière débouche sur l'adolescence ; ce qui veut dire
que, en d'autres mots, l'enfance est une période dans laquelle
l'individu, au cours de son développement, vit les douze
premières années de sa vie.
A ce propos, le développement de l'enfant ne
se repose pas seulement sur des critères strictement chronologiques.
Mais aussi, sur un ensemble d'interactions de différents ordres qui
correspondent aux activités physiques et mentales de l'enfant et qui lui
assurent une croissance normale. A cela, Piaget, dans ses recherches, a mis
l'accent sur les principes de l'équilibre qui favorise l'adaptation de
l'individu. Une telle adaptation implique une interaction du sujet avec son
milieu, définie par le niveau d'organisation des structures du sujet et
par les caractéristiques du milieu. Donc, le développement de
l'individu correspond au passage d'un niveau d'organisation à un autre,
ce qui explique selon l'auteur l'apparition des stades (sensori-moteur,
préopératoire, opératoire concret, opératoire
formel). Cependant, selon certains auteurs de la théorie de
l'activité, le développement de l'enfant n'est pas seulement
biologique, cérébrale ou psychique ; il est bien davantage
social. Car selon, eux, l'enfant se développe dans les pratiques
quotidiennes, à travers des activités ou des actions qu'il
réalise au cours de son histoire qui sont insérées dans
une matrice sociale composée d'individus, d'objets, de situations et
d'événements. Ce qui fait que, pour Vygotski et Leontiev, la
vraie direction du développement de l'enfant, de sa pensée et de
ses émotions ne va pas de l'individuel au social, mais du social
à l'individuel. D'où, l'idée que la conscience et la
pensée de l'enfant sont déterminées par les
activités réalisées avec des congénères dans
un environnement social donné devient imminente quand ils mettent
l'accent sur les conditions dans lesquelles cette pensée, cette
conscience se développe et les conditions dans lesquelles cet
apprentissage se produit57(*).
1.1.- La famille, l'enfant et la
rue
La famille est fondamentalement
composée de père, de mère et d'enfants vivant sur un
même toit. Elle est un espace social concret dans lequel les enfants font
l'apprentissage de la vie sociale, et elle est aussi considérée
comme le lieu par excellence de reproduction des normes collectives. Selon
certains auteurs, la famille peut bien être perçue dans ses
dimensions nucléaires et élargies, dans ces formes
dissociées (dysfonctionnelles, non structurées, monoparentales)
et dans sa recomposition. Toutes ces formes incluent les problèmes
économiques majeurs comme la pauvreté, la misère, la faim,
le chômage et affectent les familles, particulièrement la famille
haïtienne et qui ont de fortes incidences sur le développement
intellectuel et socio-affectif de l'enfant en le maintenant dans des situations
difficiles. Parmi les enfants en situations difficiles, on distingue :
1) les enfants domestiques
2) les enfants maltraités
3) les enfants abandonnés
4) les enfants de rue
5) les enfants prostitués
6) les enfants armés
7) les enfants en conflits avec la loi, etc.
Entre ces catégories, celle des enfants de rue
nous intéresse davantage, car c'est de cette catégorie que nous
allons retenir pour cette étude, notre population cible qui est
« l'enfant de la rue ». Dans bien des cas, quand
la famille fait défaut à l'enfant, la rue y supplante et se
présente généralement comme l'espace d'accueil le plus
accessible aux yeux de l'enfant. De cet espace public58(*) qui, grâce au transport,
est un espace de transport et, grâce aux marchands, un espace de
commerce, l'enfant se trouve exposé à une série
d'interactions déterminantes pour son futur. Cet espace public, dans
lequel on fait la collectivisation des déchets urbains, où les
actes délictuels et criminels sont très fréquents et,
aussi, dans lequel les nuisances sonores, olfactives et thermiques sont
abondantes, est devenu grâce aux enfants, un espace de lutte pour la
vie. La rue a rendu floues et limite la notion de territoire et celle de la
propriété privée. En étant le dénominateur
commun d'une population entière, la rue appartient à tous, et, en
même temps, elle n'appartient à personne.
1.2.- L'enfant de rue, c'est qui ou c'est
quoi ?
Généralement
appréhendé comme phénomène dans les études
scientifiques, l'enfant de la rue peut aussi s'étudier comme individu.
Il est par définition tout enfant qui est livré à
lui-même, qui mène la majeure partie de son existence dans la rue
pour y trouver des moyens de subsistance. On distingue dans cette
catégorie deux grands groupes d'enfants, selon l'UNICEF : les
enfants dans la rue et les enfants de la rue.
Les enfants dans la rue sont ceux
qui y travaillent et entretiennent encore des relations plus ou moins
régulières avec leur famille. Leur vie reste centrée sur
le foyer familial. Un grand nombre d'entre eux vont à l'école, la
plupart rentrent chez eux après leur journée de travail. Ils
maintiennent un sentiment d'appartenance vis-à-vis de la
communauté où ils habitent.
Les enfants de la rue, en revanche,
sont ceux qui considèrent la rue comme leur foyer et y trouvent abri et
nourriture. Ce sont leurs compagnons de survie qui leur donnent un certain
sens de la famille, car les rapports avec leur propre famille sont plutôt
lointains, sinon inexistants. Ils se réfèrent, pour
s'identifier, au groupe auquel ils appartiennent plutôt qu'à une
famille. Ils arrivent qu'ils aient des parents quelque part, en un lieu plus ou
moins éloigné, ce qu'ils finissent par révéler
après insistance.
Selon Paulo Freire, le phénomène des
enfants de rue est le résultat normal d'une économie non
structurée et désorganisée. Pour présenter les
caractéristiques de ces enfants, l'auteur précise que :
1) ce sont des adultes prématurés
cherchant un moyen de survivre à cause du système social qui les
rejette ;
2) ils satisfont leurs besoins réels et
primaires dans la rue où ils dorment, mangent et travaillent ;
3) ils développent des talents leur permettant
de survivre ;
4) ils s'adonnent à des activités
génératrices de revenus en réponses à des
situations imposées socialement ;
5) leurs activités se situent dans le cadre de
l'économie formelle, informelle et/ ou marginale.
Donc, cela traduit l'importance de la théorie de
l'activité de Vygotski et de Leontiev par rapport à la
façon dont l'enfant de la rue est présenté par Paulo
Freire. La rencontre de leur développement biologique ou physique avec
les activités sociales que cette catégorie d'enfants
réalise quotidiennement définit l'idée que
l'apprentissage, la pensée, la conscience de l'enfant sont moulés
dans les conditions sociales et dans ses rapports avec son environnement
(individus, objets, événements et autres artefacts). Alors, il
serait toujours difficile de comprendre qu'un enfant de 5, 6, 9, 11, 12 ans qui
devrait être à l'école, apprendre à chanter, se
divertir sur la cour de recréation, regarder les dessins animés,
raconter des histoires et des contes de fées, s'adonner aux exercices
de dessins, s'est retrouvé tout au contraire en situation de produire sa
vie. En ayant 10 ans, il réalise des activités sociales
économiques, rémunérées ou non, qu'une personne de
20 ou de 25 ans devrait réaliser ; son discours, ses conversations
n'ont presque rien d'enfantin à l'entendre parler. Chez nous, en
Haïti, il parle généralement de la loterie (Bòlet),
de longs voyages aux fêtes patronales (Fèt Chanpèt),
d'argent, etc.... Ce qui fait, en d'autres mots, que les activités qu'il
mène quotidiennement le définissent mieux, au lieu de centrer
l'étude de son développement par rapport à son âge,
aux stades et aux activités qui y correspondent. (Cf. Piaget, Freud,
Erikson, Wallon. et al.)
TROISIEME PARTIE : CADRE METHODOLOGIQUE
CHAPITRE V : DESCRIPTION DE LA DEMARCHE
METHODOLOGIQUE
Le cadre de référence
méthodologique de cette étude est défini selon des
critères de recherche qui sont généralement liés
à la démarche qualitative. Sans négliger les quelques
supports des techniques et des instruments quantitatifs qui y sont
inclus ; cette recherche est justifiée fondamentalement par les
moyens qui facilitent son déroulement via la démarche qualitative
et qui permettent une certaine cohérence logique tout le long de sa
réalisation.
1- Présentation de la Méthode
de recherche
Ce travail, comme nous l'avons
déjà souligné, est organisé suivant la
Méthode dialectique qui nous permet de mieux aborder notre objet
d'étude dans son empiricité. Cette démarche dite
qualitative, dans sa logique, dans sa complétude et par rapport à
sa finalité, est destinée à mobiliser l'ensemble des
techniques de cueillette de données, de présentation et d'analyse
de données suivant les rigueurs que requiert notre Méthode de
travail.
La Méthode dialectique, par son
caractère empirique, nous oblige des observations sur les situations des
enfants de la rue. Ces observations nous permettent de recueillir des
données que nous aurons à exploiter à des fins
exclusivement scientifiques dans le souci d'avoir des informations sur les
modes de vie de ces enfants et d'en dresser finalement un portrait
détaillé, global et crédible.
De plus, la Méthode dialectique, dans un cadre
social et historique nous permet de mettre l'accent sur les
événements et les contradictions matérielles qui marquent
l'existence des enfants de la rue, leurs pratiques, leurs activités,
etc. De ce point de vue, la Méthode dialectique, comme une forme de
conscience des processus globaux et historiques, nous facilitera
l'adéquation par rapport à l'objet que nous voulons
étudier. Car, en réalité, c'est la méthode qui doit
être adéquate à l'objet auquel elle s`applique, et non
l'objet adéquat à la méthode qui lui est appliquée.
Donc, dans ce cas, étudier le phénomène des enfants de la
rue en rapport avec leurs conditions matérielles d'existence
définit fondamentalement cette adéquation.
En définitive, le Méthode dialectique
nous permettra de comprendre et de présenter les possibilités de
dépassement des conditions de vie des enfants de la rue dans une logique
qui tend à modifier ou à changer leurs conditions
matérielles d'existence. Et, de cette même idée, elle nous
permettra de présenter aussi les possibilités de transformation
de la structure sociale elle-même qui, en effet, produira un autre type
de société.
2- Techniques de collecte de
données
Collecter des données est une phase assez
importante dans le processus de cette recherche ; alors pour confronter
notre hypothèse avec la réalité, il nous faut des
données et des faits concrets susceptibles de rendre notre objet
d'étude intelligible. Parmi les techniques de collecte de
données, nous en retenons :
Les recherches documentaires qui
nous permettent de collecter des données de différents horizons
théoriques apparentés aux concepts de la formation de la
personnalité et au phénomène des enfants de la rue. Donc,
plus loin elles nous permettent de dégager à partir d'une
conjecture théorique, une approche et une description nouvelle de ce
phénomène.
Les observations seront conduites
suivant deux catégories. D'abord, les observations naturelles nous
permettent d'investir le milieu concret de vie des enfants de la rue en les
observant dans un premier temps de façon non participante. Ensuite, la
catégorie des observations systématiques, centrées sur les
indicateurs, nous aidera à faire une description exacte du
phénomène que nous étudions. A cet effet, nous utilisons
une grille d'observation comme instrument élémentaire de cette
collecte systématique.
Les entretiens sont parmi des
techniques qui nous permettent de recueillir des données et d'obtenir
particulièrement des informations en profondeur sur notre objet
d'étude. Dans le souci de collecter des données suffisantes, nous
devons obtenir des informations venant directement des enfants de la rue et, en
même temps, interroger des experts dans le domaine, pouvant nous fournir
d'autres informations supplémentaires et constructives dans le but de
faciliter notre démarche. Pour cela, deux guides d'entretiens seront
à notre disposition. La première sera directive, consacrée
à nos sujets experts ; la seconde sera semi directive,
longitudinale et transversale à la fois, et elle sera destinée
aux enfants de la rue à proprement parler. Donc, cette démarche
nous conduira à élaborer des récits de vie des sujets de
notre échantillon.
3- Analyse des données
Pour comprendre le sens et les significations des
données que nous avons recueillies, nous allons recourir à une
technique qui nous permettra de faire la classification d'une manière
rigoureuse des différentes données recueillies. A ce propos,
pour cette recherche, nous allons utiliser l'analyse de contenu qui ne nous
oblige pas la quantification des données que nous avons recueillies, du
fait que notre démarche est qualitative. En ce sens, nous allons
analyser les données de nos différents entretiens avec notre
grille théorique, qui nous faciliteront la tâche de porter
l'hypothèse à vérification.
4- Echantillonnage
Notre technique
d'échantillonnage est non probabiliste, basé sur des
critères d'âge, de sexe, de statuts et de localités qui
définissent le choix raisonné/intentionnel59(*) des personnes auprès
desquelles nous allons recueillir des données et qui vont constituer
notre échantillon typique. Pour cela, nous procédons
ainsi :
La population qui nous
intéresse est un sous-groupe de la catégorie des enfants
de rue vivant à Port-au-Prince, identifié au statut
d' « enfants de la rue » par rapport
à un autre sous-groupe connu sous le nom
d' « enfants dans la rue ». Si nous
considérons les estimations quantitatives qui chiffrent la
catégorie des enfants de rue dans la fourchette de 1500-2000 pour
tout le pays, il est de ce fait intéressant de signaler que nous ne
retrouvons aucune estimation qui peut préciser le nombre d'enfants de la
rue, population de notre étude, qui vivent à Port-au-Prince. Pour
le moins qu'il puisse être, notre échantillon de choix,
plutôt exemplaire60(*) que représentatif, nous permettra de mener
l'étude dans toute sa rigueur.
L'échantillon que nous
retenons pour cette étude est de quatre (4) enfants de la rue. Cet
échantillon est subdivisé, suivant le critère de
localités, en deux groupes; ce qui veut dire maintenant que nous
menons l'étude sur un échantillon typique de deux (2) enfants de
la rue au Carrefour de l'Aéroport et deux (2) au Champ de Mars .
5- Séquences des activités de
terrain
Les activités de terrain sont
présentées sous forme de séquences, réparties en
plusieurs étapes relatives à la conduite rigoureuse de cette dite
recherche.
Séquence
I : Observations (4
semaines)
Etape 1 :
observations générales (du 26 janvier 2009 au 10 Mars
2009)
1 Les sujets (qui
sont-ils, combien, leurs relations ?)
2 Les milieux
(description)
3 Les activités (que
font-ils, comment, avec qui, avec quoi ?)
Les comportements et les indicateurs
Etape 2 :
observations spécifiques (du 13 au 27 Mars
2009)
Les sujets de l'échantillon
Séquence II :
Entretiens (2 semaines)
Etape
1 : entretiens d'expert (14, 27 Mars 2008 et 19, 21
Avril 2009)
Etape 2 :
entretiens avec les sujets de notre échantillon (du 13 au 27
Mars 2009)
1 Relation de confiance
2 Récits de vie...
6- Description des zones
d'observation
Pour mener l'enquête, nous
avons considéré deux localités dans l'aire
métropolitaine, à savoir Champ de Mars et Carrefour de
L'Aéroport qui constituent un point fixe dans lequel nous retrouvons,
avec plus d'accès, un nombre considérable d'enfants de la
rue.
· Champ de Mars
Champ de Mars est un espace public
de la capitale situé au centre de la ville, c'est un lieu de
recréation pour la population toute entière. Il contient douze
(12) places publiques environ sur lesquelles toutes sortes d'activités
socioculturelles et politiques sont fréquemment réalisées.
Champs de mars est l'un des espaces publics les plus fréquentés
de la capitale, ce lieu est côtoyé par un public assez
varié, composé d'enfants, de jeunes, d'adultes, de mendiants, de
commerçants, d'étudiants, de chômeurs, etc. En fait, c'est
un espace d'activités dans lequel on retrouve un grand nombre d'enfants
de rue.
Graphique 3.- zones
d'observation : Champ de Mars
· Carrefour de l'Aéroport
Carrefour de l'Aéroport est un
espace de croisement qui conduit dans quatre directions distinctes, à
savoir Nazon, Autoroute de Delmas et Pétion ville (haut), Autoroute de
Delmas et Centre ville (bas) et route de l'Aéroport. Dans cet espace, il
existe trois (3) places publiques qui attirent une population assez dense, du
matin au soir. Non seulement, ce carrefour est un espace de passage, de
commerce et de recréation, mais il est aussi un espace de vie pour une
catégorie de gens bien spécifiques, notamment les enfants de rue.
Cet espace dans lequel nous menons notre enquête peut se présenter
ainsi :
Graphique 4.- Zones
d'observation : Carrefour de l'Aéroport
CHAPITRE VI : PRESENTATION DE L'HYPOTHESE
Voulant comprendre comment la personnalité des
enfants qui vivent de la rue de Port-au-Prince se forme, nous avons
tenté de répondre provisoirement de la manière
suivante : « la personnalité des enfants qui vivent de la
rue de Port-au-Prince se forme dans leurs conditions matérielles
d'existence qui, du même coup, orientent leurs comportements dans des
logiques de reproduction sociale. »
Cette hypothèse multi variée est de
type associatif.61(*)Elle
est composée de trois (3) concepts fondamentaux associés entre
eux, dont l'un influe sur l'autre dans une relation dialectique. Ce que nous
pouvons ajouter comme élément de précision par rapport
à cette relation, c'est qu'il n'est pas question de donner selon les
logiques classiques une définition à priori du caractère
d'indépendance ou de dépendance des concepts de
l'hypothèse à cause de ce que G. Gurvitch appelle
« procédés opératoires de
dialectisation »62(*) des phénomènes sous
étude qui empêchent le rapport fonctionnel des variables dans les
hypothèses de recherche. Cependant, ces procédés
définissent de préférence des dynamiques
corrélationnelles entre les concepts qui constituent l'hypothèse
de recherche. En voici maintenant notre système d'hypothèse et
ses concepts de base suivant cette présentation synoptique :
Graphique 5.-
Présentation de l'hypothèse
1- Opérationnalisation de
l'hypothèse
Pour diminuer le niveau
d'abstraction de notre étude, il s'avère important de rendre
opérationnelle notre hypothèse de recherche, pilier de notre
travail, en présentant ses concepts, ses dimensions et ses indicateurs.
Considérant le champ dans lequel notre étude se réalise
et, plus précisément, selon la disposition des concepts dans
notre hypothèse, nous pouvons clairement les identifier dans ces
tableaux ci- dessous :
Description détaillée
et opérationnelle :
Concepts
Dimensions
Conditions
Economique
matérielles d'existence
Environnementale
Psychosociale
Politique
Personnalité
Affective
des enfants de la rue
Cognitive
Psychomotrice
Reproduction
Sociale
Occupationnelle
Culturelle
Procréationnelle
2- concepts, dimensions, indicateurs et sous
indicateurs
Concept I : Conditions matérielles
d'existence
Dimensions composantes
Indicateurs sous indicateurs
Occupation Rémunération
personnelle, autres
Alimentation Source et fréquence
///////////////////////////
Habillement Acquisition
//////////////////////////
Lieu d'origine
//////////////////////////////
Mobilité
////////////////////
Espace
d'activités Espace d'hébergement
////////////////////////
Espace de travail
//////////////////////////
Espace récréatif
/////////////////////////
Espace de consommation Alimentaire
Sexuelle
Impact
////////////////////////////
/////////////////////////
Lien
direct ////////////////////////////
/////////////////////////
Lien
indirect ///////////////////////////
////////////////////////
Type
Loisir
Fréquence
Apport
Interaction Intragroupe
Extra groupe
Socialisation Groupes de paires
Famille
Eglise
Ecole
ONG
Media
Police
Justice
Prison
Concept II :
Personnalité
Dimensions Composantes
Indicateurs Sous indicateurs
Sentiments Sensibilité
///////////////////////////
Emotions
Colère, rires, peurs,
pleurs//////////////////////////
Motivation
/////////////////////////////////////
/////////////////////////
Identité
Estime de soi
////////////////////////
Image de soi
////////////////////////
Conscience de soi
///////////////////////
Représentation de soi
///////////////////////
Aspirations
///////////////////////
Intelligence
Mémoire Calcul,
Réflexion, etc.
Raisonnement
///////////////////////////////
Résolution de problème Conflit intragroupe
//////////////////////////////
Conflit intergroupe
/////////////////////////////
Conflit extra groupe
////////////////////////////
Problèmes personnels
Mécanismes
de
défense
///////////////////////////// Sexe
///////////////////////////////////////
//////////////////////////// Age
//////////////////////////////////////
/////////////////////////// Statuts et poids
//////////////////////////////////////
//////////////////////////// Mouvement
/////////////////////////////////////
//////////////////////////// Préhension
////////////////////////////////////
/////////////////////////// Indicateurs de maladies
Types de maladie
Soins de santé
Concept III :
Reproduction sociale
Dimensions
Composantes Indicateurs Sous
indicateurs
Occupationnelle Statuts
Qui il est ///////////////
Qu'est ce qu'il fait
///////////
Que font ses parents
///////////////
Espaces
Où il est
//////////////
Les endroits
qu'il fréquente
//////////////////////
Où sont ses parents
///////////////////
Culturelle
activités Reproduction
jours, semaines
des activités
Motif de la
réalisation
des activités
/////////////////////////
Modèles Parents, Amis. Pairs
////////////////////////
Aspirations
///////////////////////////////////////////////////////////
Signes de réussite
///////////////////////////////////////////////////////////
Procréation
progénitures Père et mère
Nombre d'enfants
Nombre d'enfants
qu'il désire avoir
/////////////////////////
Nombre d'enfants
que les aînés
de
la rue ont
/////////////////////////
QUATRIEME PARTIE : CADRE D'ANALYSE
CHAPITRE VII : LES CONDITIONS QUI DEFINISSENT
L'ENFANT DE LA RUE
1- Âge, sexe et nombre d'enfants de rue par
zones d'observation
Les sujets sur lesquels cette recherche est menée
représentent la catégorie des enfants de la rue63(*) de la zone
Métropolitaine, plus précisément ceux de Carrefour de
l'Aéroport et de Champ de Mars. Ils ont entre quatre
(4) et douze (12) ans, cependant notre échantillon se limite aux enfants
qui ont entre dix (10) et douze (12) ans. Ces enfants,
généralement, sont très nombreux si l'on se
réfère aux estimations que l'UNICEF avait faites grâce
à l'enquête menée par l'Université
Quisqueya64(*). Par
conséquent, nous avons observé pendant la période de notre
recherche une trentaine d'enfants de la rue environ pour les deux
localités, soit une quinzaine au Carrefour de l'Aéroport, soit
une vingtaine au Champ de Mars et, de ce fait, par rapport à ce nombre,
tous sont en réalité de sexe masculin65(*).
2- Caractéristiques Physiques de ces
enfants
Généralement le profil de l'enfant qui vit
de la rue correspond fidèlement aux conditions matérielles qui
définissent son existence. Engendré par des manques fortement
ressentis et par des besoins insatisfaits, l'enfant de la rue peut être
présenté ainsi.
2.1.- Etat du corps :
l'enfant de la rue est généralement musclé et dur,
certains sont apparemment minces et d'autres sont très chétifs.
Le corps de l'enfant qui vit de la rue est généralement sale,
criblé de plaies et de blessures ; il est très facile de
remarquer des cicatrices dans toutes les parties de son corps, de la tête
aux pieds. De plus, l'odeur de son corps ne peut pas se distinguer de celle de
ses vêtements, elles sont toutes deux désagréables. Fort
souvent, l'enfant de la rue marche pieds nus, certains portent des paires de
baskets usagés et, d'autres, des sandales. Ils ne portent pas de sous
vêtements, ses maillots et chemises, ses pantalons et jeans sont souvent
sales, déchirés et maculés de boues, d'essence, de rhume,
de graisse et de poussière.
- Les cheveux de l'enfant de la rue sont crépus, roux,
mal coiffés, sales et très poussiéreux.
- Pendant les observations, un fait est
à remarquer, les dents de l'enfant qui vit de la rue sont, pour la
plupart, cariées, tartrées,
édentés et surnuméraires.
- Généralement, les enfants qui vivent de la rue
ont les ongles mal nivelés et couverts de crasse.
2.2.- Etat de la voix et des
regards : la voix de l'enfant de la rue est grave, rigide et,
certaines fois, enrouée sous un ton généralement agressif
et autoritaire. Avec les yeux un peu rougeâtres, ses regards miment fort
souvent la colère et la frustration. Cependant, dans certains cas
particuliers, il se sert d'une voix souple et d'un regard pitoyable, surtout
quand il veut obtenir quelque chose de quelqu'un.
3- Caractéristiques des milieux :
Les milieux dans lesquels l'enfant de la rue réalise
ses différentes activités paraissent un peu complexes quant
à l'ampleur du champ de déambulation66(*) de ce dernier. Ce qui veut
dire que, l'enfant qui vit de la rue est capable de fréquenter une
dizaine d'espaces dans une seule journée. Donc, pour cela, nous avons
élaboré des cartes de déambulation qui nous ont permis de
cerner les trajectoires ou les activités les plus récurrentes
réalisées par ce dernier dans une zone bien
précise.
3.1.- Carrefour de l'Aéroport et sa carte de
déambulation
Graphique 6.- Carte de
déambulation de l'enfant de la rue : Carrefour de
l'Aéroport
3.2.- Champ de Mars et sa carte de
déambulation
Graphique 7.- Carte de
déambulation de l'enfant de la rue : Champ de Mars
Légendes
4- La rue : un espace et une
réalité pour des centaines de vie bafouée
Dans les pages précédentes (49
et 50), nous avons présenté, grâce aux réflexions de
Stéphane Tessier67(*), quelques points qui peuvent définir la notion
de la rue en tant que telle. Cependant, cet espace peut bien représenter
davantage de choses pour un groupe de gens bien spécifiques qui y vivent
en permanence. Alors, comment ce groupe s'imprègne-t-il de ce dit
espace ?
4.1.- Logement
L'enfant de la rue, comme son nom l'indique, est une
catégorie de gens pour lesquels la rue est le principal garant qui leur
offre les maigres possibilités de survivre avec toutes les
conséquences que cela puisse entraîner. Dans la rue, ils
grandissent, ils dorment, ils travaillent, ils mangent et ils jouent.
Au Carrefour de l'Aéroport, la
majorité des enfants de la rue s'hébergent dans une petite
pièce qui a été construite comme dépôt de
matériels de nettoyage des places publiques. Transformé en site
d'hébergement, ce dit espace dénommé ZAKAT ZANFAN
accueille une quinzaine d'enfants environ. Cet espace est insalubre et malsain,
la présence des eaux usagées est très fréquente,
l'odeur des immondices est battante, car la pièce (ZAKAT ZANFAN) est
construite en croisée sur un ravin dans lequel la population avoisinante
fait la décharge des détritus. C'est dans cet espace que l'enfant
de la rue s'héberge au Carrefour de l'Aéroport. Espace dans
lequel il fait la conservation de ses affaires (vêtements, dentifrices,
chaussures, savons, etc.) et, aussi, dans lequel il passe
généralement ses nuits ; il dort sur des draps, de petits
matelas ou sur des morceaux de cartons, soit aux alentours de la pièce,
soit sur le toit ; car, par défaut d'aération, ils sont
beaucoup trop nombreux pour la petite pièce. Cependant, quand il pleut,
ils sont obligés de se faire entasser ou de se faire empiler dans cette
dite pièce, ou bien ils se dispersent sur une autre place publique
(PAVILLON) ayant de toit pouvant les protéger contre la pluie.
Fort souvent, au Carrefour de l'Aéroport,
l'enfant de la rue dort un peu tard entre 10h30 et 11h du soir. Avant de
dormir, il se discute et raconte des histoires farouches et amusantes de ses
différentes aventures ; s'il y a de l'électricité, il
fait de la télé ; il peut même cuisiner, en faisant la
collecte du gain de la journée en se servant des ustensiles de cuisine
des marchands (es). Enfin, sans se laver le corps, sans se brosser les dents et
sans changer de vêtements, l'enfant de la rue est plongé dans son
profond sommeil. Écrasé de fatigue, il perd presque totalement le
contact avec son entourage ; à ce moment, toutes sortes de trucs
sont possibles : il peut être brûlé, battu, volé
et il peut être retiré du morceau de carton ou du matelas pour le
placer directement sur le sol.
Tôt dans la matinée, on peut les
retrouver, tous ensemble, allongés les uns à côté
des autres couverts de mouches. Ce qui attire autant de mouches, c'est l'odeur
de leurs vêtements, la saleté de leur corps, les blessures qu'ils
portent et l'insalubrité du milieu.
Généralement, l'enfant de la rue, au
Carrefour de l'Aéroport, se lève entre 6h30 et 7h du matin. Pour
se lever, le premier qui s'est réveillé donne des fessés
et des coups de pieds aux autres ou bien il leur crie après de cette
façon, suivons ces bribes : « kò karang,
leve » ; « san benyen, jou bare w » ;
« grapyay, men y ap fè foto w ». Au réveil,
la majorité d'entre eux se brossent mais, parfois, il prend un bain dans
la matinée. Il fait pipi au même endroit dans lequel il prend son
bain, c'est-à-dire aux alentours de la pièce où il
dort ; cependant, pour aller à la selle, il le fait directement
dans le ravin.
Par contre, au Champ de Mars, il n'y a pas un site
spécifique à l'enfant pour se loger ; il dort sur toutes les
places publiques de ce dit espace. A vrai dire, nous pouvons retrouver l'enfant
de la rue en train de dormir plus exactement sous le Quiosque, par devant
l'amphithéâtre REX, devant le collège St Pierre et dans
bien d'autres endroits. Il se couche, à même le sol, sur le ciment
dur et froid ; généralement, il dort tard dans la
soirée entre 11h et 12h et se lève entre 8h et 10h le matin.
Quand il se réveille, il se lave le corps dans l'eau des égouts
et ne fait que peu de souci pour le brossage des dents. Ainsi, l'enfant de la
rue se prépare pour aller travailler jusqu'à la tombée de
la nuit.
4.2.- Travail
Les travaux que l'enfant de la rue réalise
quotidiennement rentrent dans le cadre de ses pratiques économiques
à partir desquelles il s'affiche et se sent existé. Qu'elles
soient rémunérées ou non, il s'en sert pour gagner sa vie.
En ce sens, l'enfant de la rue travaille du matin au soir, il passe la majeure
partie de son temps sous le soleil au milieu de la rue et, certaines fois, nous
pouvons le retrouver sous la pluie en train de réaliser les mêmes
activités. Dans la rue, comme pratiques, l'enfant essuie les voitures
qui s'arrêtent devant le feu rouge de la circulation ou bien il court
après elles en attendant que le chauffeur donne en échange une ou
deux pièces de monnaie. Et, dans le cas contraire, au lieu d'en recevoir
une ou deux pièces, l'enfant peut recevoir de la déception, du
mépris, de l'humiliation, de l'agression, etc.
Dans ce milieu bruyant, mouvementé, et plein
de risques, l'enfant de la rue s'adonne à d'autres activités qui
sont dans l'ordre suivant : mendicité, portefaix, essuyage des
souliers, lavage de voitures en stationnement, cirage des voitures en pleine
circulation, vol, etc. Plus précisément, au Carrefour de
l'Aéroport et au Champ de Mars, l'enfant de la rue offre d'autres types
de services aux marchands qui font l'étalage de leurs marchandises au
bord de la rue et pour lesquels il reçoit en contrepartie, soit de la
nourriture, soit de l'argent ou d'autres formes de satisfaction.
4.3.- Nourriture
Pour rester en vie, du matin au soir, l'enfant de la
rue se défonce pour se nourrir. Au bord de la rue, sur les trottoirs,
dans les coins de la rue nous les voyons généralement en train
de manger. Alors, comment l'enfant de la rue trouve-t-il à
manger ?
En réalité, l'enfant de la rue a
plusieurs sources et moyens de consommation alimentaire. D'abord, il peut
acheter sa nourriture suivant ce qu'il gagne par moments de travail, par
exemple au Carrefour de l'Aéroport, tôt dans la matinée,
l'enfant de la rue achète du café et du pain ou des
pâtés ; il boit souvemment de l'eau et, certaines fois, il
fait de la consommation de l'alcool (clairin Asowosi) et des cigarettes.
Ensuite, dans l'après-midi, le coût des plats est un peu
élevé, il est très difficile pour l'enfant de s'en
procurer. Dans les restaurants en plein air, aux environs du Champ de Mars, il
s'adonne à la mendicité, il fouille dans les poubelles pour
obtenir le reste des mets. Souvent, les consommateurs demande aux enfants de
danser ou de se battre entre eux, avant de leur donner un morceau de viande.
Dans cette même optique, il existe certains d'entre eux qui, soit au
Champ de Mars, soit au Carrefour de l'Aéroport, travaillent avec les
marchands (es) comme portefaix ; des fois ils font le nettoyage de
l'espace, des chaudières et vaisselles dans l'après midi ;
ainsi, ils pourront bénéficier d'un plat gratuit. Enfin, dans la
soirée, l'enfant de la rue reste plus proche des marchands (es) de
poulets grillés (barbecue), de bégats, de spaghetti, etc. et, en
même temps, il mendie auprès des acheteurs quelques pièces
de monnaie ou de lui faire goûter la saveur de ce plat.
4.4.- Santé
Privé de soins sanitaires,
l'enfant de la rue se bat jour et nuit pour être physiquement performant
et capable de répondre à toutes les exigences de son milieu et
aux dynamiques de ses pratiques. La plupart du temps, les malaises physiques,
organiques ou physiologiques que l'enfant de la rue, sujet de notre
échantillon, ressent, sont : la grippe, les
céphalées, le fièvre, des sensations de brûlures
à l'appareil génital ( kanal brile, la douleur la
gorge, des sensations de brûlures aux yeux et des blessures de toutes
sortes. Tous sont relatifs aux conditions du milieu : la poussière,
la chaleur, la fatigue, la nutrition, le type d'alimentation et ses conditions
hygiéniques (nourriture et boissons) et les conflits dans le groupe. Ces
malaises en réalité n'affectent pas les activités de
l'enfant de la rue, car il doit se débrouiller et rester actif chaque
jour pour gagner sa vie dans la rue, c'est l'une des exigences du milieu.
4.5.- Politique
En fait, l'enfant de la rue est fils
des conditions politiques en Haïti. A nous rappeler que le
phénomène de l'enfant de la rue, tel qu'il est conçu
aujourd'hui, est un épiphénomène accouché par des
phénomènes de migration urbaine causés par la politique en
Haïti (1957- 1971, 1986- 1994... 2004), ce qui fait qu'au départ,
l'enfant de la rue était le fils de celui ou de celle qui était
venu (e) s'installer dans la capitale. Jusqu'à aujourd'hui, l'enfant de
la rue est affecté de loin ou de près par la politique. Dans un
sens large, l'enfant de la rue est victime des politiques sociales et
économiques de la société qui le prive de tous ses
droits ; l'éducation, la nourriture, le logement, la
santé lui font défaut depuis sa naissance. Dans un sens
restreint, il jouit ou, certaines fois, il est victime des crises et des
démonstrations politiques diverses : manifestation, grève,
conflits politiques, élection, etc. ; soit qu'il est
sollicité, soit qu'il participe volontairement pour ses besoins (vols,
divertissement, etc.), soit qu'il reste sans rien faire
précisément puisque ses activités habituelles sont
paralysées. Cela se produit généralement dans les cas
d'élection et de grève. Au Carrefour de l'Aéroport, dans
ces cas, il passe la journée à dormir, à regarder la
télévision, à se regrouper au bord de la rue et il fait,
certaines fois, de la cuisine grâce aux cotisations qu'il réalise
en groupe, etc. au Champ de Mars, il passe la journée à dormir,
il se promène et, en même temps, il cherche des objets et de
monnaies perdus sur la chaussée et sous la chaussée, dans les
égouts. Il se regroupe dans la rue en bande en attendant les heures des
repas des policiers au Champ de Mars et des gardes du Palais national,
espérant recevoir quelques plats.
4.6.- Divertissement
Se divertir est pour l'enfant de la rue une
activité qui, dès fois, est au même titre que les
activités grâce auxquelles il gagne de l'argent. Ce qui veut dire
que l'enfant qui vit de la rue s'adonne à deux catégories de
pratiques récréatives ; la première est pratiquement
sans enjeux , elle concerne les jeux de football, de cerf-volant, de combat
corps à corps, de patin (skate), etc. ; la seconde est pleine
d'enjeux, face auxquels celui qui gagne reçoit de l'argent ou d'autres
formes de satisfaction ; elle en compte : les jeux de carte ( Albou,
bèf toufe, baccara, etc.) le pike kole, la loterie (borlette) , les jeux
de billes, pédales, le pari « gè domi », le
lagot de fonds, etc.
L'enfant de la rue, pour se recréer, fait
usage de tout l'espace de la rue ; sur les trottoirs, dans les coins de
rue, au beau milieu de la rue et sur les places publiques nous pouvons les
remarquer en train de mener leur petit jeu. Au Carrefour de l'Aéroport
et au Champ de Mars, l'enfant de la rue joue à toute heure (matin, midi
et soir), il n'a pas un temps précis alloué à son jeu. Il
ne définit pas sciemment son temps suivant des plages d'horaires
organisées. C'est ce qui permet, d'un moment à l'autre, on a la
parfaite impression qu'il est en train de travailler en jouant.
En somme, l'enfant se défonce à travers
les pratiques de la rue pour satisfaire ses besoins les plus
élémentaires comme se nourrir, se loger, se divertir, s'habiller,
s'instruire et se soigner. En fait, tous ces besoins auxquels il a droit
à temps voulu lui échappent la plupart des temps. Il se livre
dans des combats pleins d'enjeux et de risques qui, au moins, le raffermissent
dans la position qu'il occupe dans la société. Ce qui revient
à dire qu'en d'autres mots, cette position se retrouve jumelée
aux conditions de son existence, lesquelles définissent son parcours
social et économique à travers ce qu'il fait, ce qu'il mange, la
façon dont il s'habille et à travers le jeu et le travail qu'il
fait. Tout ce que nous venons de citer n'est pas une question de choix
délibéré, ni une question de volonté propre de
l'enfant qui vit de la rue, tout se réfère aux conditions
matérielles dans lesquelles il vit, qui limitent ses moyens et
privilèges par un certain nombre de contradictions liées à
cette réalité dès son émergence. Lesquelles
contradictions augmentent les tensions physiologiques et psychosociales chez
l'enfant de la rue à chaque fois que les besoins (nourriture, sommeil,
jeux, etc.) se font sentir. En effet, l'emprise est tellement forte qu'une
quelconque satisfaction d'un de ses besoins ne dépend pas directement ou
totalement de l'enfant, mais du niveau de tension qui le tenaille et des
situations auxquelles il fait face. D'où, dans un tel contexte, il sera
toujours impossible pour l'enfant de se réaliser pleinement, car il
n'est pas maître de la satisfaction de ses besoins.
En fait, satisfaire ses besoins de base est, pour
l'enfant de la rue, un exercice quotidien qui se fait
généralement en groupe. Tout ce qu'il fait, il le fait
pratiquement en compagnie de ses paires. De toute évidence, le groupe
est comme une petite famille pour l'enfant de la rue, dans laquelle il a appris
à définir ses différents rapports social et
économique dans le souci de rester en vie et, de surcroît,
d'affronter la réalité de la rue et de produire un sens à
cette réalité. Comme le dit Pierre TAP dans son ouvrage la
société Pygmalion :
« Par la socialisation,
l'individu va s'insérer dans le système complexe de relations,
par engagements, par affiliation à des groupes, par adhésion
à des organisations, s'identifier à des personnes
valorisées, s'approprier par incorporation ou intériorisation les
modes d'action, les normes et les valeurs propres à son
groupe »68(*)
A bien remarquer, l'enfant de la rue grâce
à ses différentes appartenances groupales arrive vraiment
à définir ses façons d'agir, de parler, ses façons
de voir les choses qui répondent proprement à son ou ses
milieu(x) de vie qui est la rue, son ou ses groupe(s) d'appartenance qui sont
les groupe de paires et à son ou ses groupe(s) de
référence qui sont les aînés de la rue ou tout autre
significatif de son environnement et de la société globale. A
cela, nous reconnaissons que le cours de la vie de l'enfant de la rue se
déroule dans un ensemble d'interactions significatives, notamment les
groupes de paires, quant à ce qu'il est, ce qu'il veut être et ce
qu'il devient en conséquence. Ce qui fait que la socialisation de
l'enfant de la rue passe fondamentalement dans sa vie de groupe lui permettant
de répondre à ses différents besoins et lui facilitant
l'incorporation de l'ensemble des pratiques de son milieu.
Donc, il est évident de comprendre que la
réalité de la rue définit forcément la vie de cette
catégorie d'enfants. Sans la rue, plus précisément sans
les activités de rue, ce groupe d'enfants qui vivent dans ces
conditions, soit au Champ de Mars, soit au Carrefour de l'Aéroport, aura
un autre profil psychosocial ; car, la réalité dans laquelle
il vit pèse d'un lourd poids sur son développement
intégral, si elle n'en est pas son essence. Par conséquent, quel
est donc actuellement le profil personnalisant l'enfant qui vit de la rue de
Port-au-Prince ?
CHAPITRE VIII: L'ENFANT DE LA RUE, UNE ENIGME
PSYCHOSOCIALE
Etudier l'individu ne signifie pas l'aborder de
manière isolée, mais c'est le comprendre en tant qu'un être
complexe évoluant dans un environnement social donné et
entretenant des interactions considérables pour sa survie. Ainsi,
connaître la vie de celui-ci est d'autant plus complexe que diverses
conditions le maintiennent et orientent de loin ou de près ses modes
d'actions. A cet effet, plusieurs auteurs comme MORIN, E. ; GAULEJAC, V.
et autres ont affirmé que l'individu, un et indivisible, ne peut
être réduit ; encore moins le séparer de son histoire,
de ses affects, de ses organes, de son intelligence et de ses
représentations quand on veut l'étudier comme une
réalité vivante. Ce qui fait qu'il faut toujours prendre en
compte les composantes psychosociales et historiques qui caractérisent
l'individu dans ses champs d'actions en tant qu'un être multi
déterminé et multi factoriel. A ce propos, cette
complexité réside également dans le cas de notre
recherche. Car, à notre avis, aborder l'enfant de la rue est une
étude qui, dans sa complexité, entraîne avec elle une gamme
d'incompréhensions qui paralysent les actions et les interventions de
tout un chacun à l'égard de ce phénomène.
L'enfant de la rue comme tout individu est membre
d'une société ; il est sorti d'une famille et il a une
histoire qui le rend différent de tous ses congénères et
de tout autre individu vivant sur cette terre. Alors, il ne s'agit pas de
l'étudier en parcelles ; mais de l'aborder dans son
intégralité dans la mesure oú l'on puisse arriver à
offrir une meilleure compréhension de la vie de ce dernier. Car, la
plupart du temps on se met toujours à sa place et à parler pour
lui ; de ce fait, la vie de l'enfant de la rue reste une énigme
à déchiffrer dans tous les angles pour constituer son histoire et
à travers laquelle on va découvrir réellement ce qu'il est
et ce qu'il peut devenir. Donc, à partir d'une étude de cas, nous
allons présenter l'histoire de l'enfant de la rue et essayer de
comprendre en même temps comment sa personnalité est
moulée par ses conditions d'existences matérielles de chaque
jour. C'est ainsi que nous pouvons essayer de faire ressortir une
compréhension globale de cette catégorie de gens qui vivent dans
des conditions difficiles à Port-au- Prince.
1- les enfants de la rue nous
parlent...
1.1.- Cas # 1 : Jean Junior
ANTOINE69(*)
A- Brève présentation
Nom : ANTOINE
Prénom : Jean Junior
Lieu de naissance : Cap Haïtien
Date de naissance : 1997
Education : ?
Taille et poids : 4» 4 et 39 Kg
B- Montage de scénario
Je suis jean Junior Antoine, né au Cap
Haïtien dans une famille de six (6) enfants ; trois (3) filles et
trois (3) garçons. J'ai laissé le Cap en 2003 pour rentrer
à Port-au-Prince; mais, d'abord, avant de rentrer à la capitale,
j'ai passé des périodes de courte durée dans des provinces
comme Port de Paix, St Marc, Gonaïves, Artibonite pour des pratiques de
mendicité, accompagné de la dame qui s'est chargée de
m'emmener à Port-au-Prince. Cette même année, nous y sommes
rentrés et nous vivons, si je me rappelle bien, à Cité
soleil, du côté de Bois Neuf ou de Belekou, puis à
Boston70(*) quelque temps
après. Nous étions quatre (4) dans la maison ; moi, la dame,
un monsieur (soit disant son mari) et un petite fille domestique apparemment
plus âgée que moi. Chaque matin, la dame m'emmène dans la
rue. Au Carrefour de l'Aviation, Champ de Mars, Pétion ville et devant
les églises ; dans presque toutes les rues de la capitale, elle et
moi, nous mendions sans relâche auprès des gens, du matin au soir,
jusqu'au coucher du soleil. Il arrive un jour, soit en 2004, oú l'on a
arraché et tué le mari de la dame avec des coups de machette et,
quelques jours plus tard, notre maisonnette a été
incendiée, avec deux morts brûlées vives (la dame et la
petite fille) et moi, je me suis échappé et sauvé de
justesse. Me voila maintenant, seul, face à la vie et la misère
dans les rues de Port-au-Prince perdant complètement les traces de ma
famille, et c'est ainsi que je deviens un enfant de la rue.
Actuellement, je vis au Carrefour de
l'Aéroport et j'y travaille constamment pour satisfaire mes besoins
immédiats. Avec cent, cinquante, vingt gourdes pour une journée
de travail, je peux manger, boire, jouer au poker, m'acheter des
vêtements et faire de petites économies. Dans la rue, je me sens
bien. Avec mes amis, communément appelés `` sosye''71(*), on s'amuse, on se dispute, on
se bat, on se rivalise et on mange ensemble. Même s'ils sont mes amis, je
ne leur fais pas confiance parce qu'ils me volent tout le temps pendant la
nuit ; je fais seulement confiance à la rue.
Organisation de la journée : dès
que je me lève le matin, si j'ai du temps, je peux prendre un bain et me
brosser les dents. Puis, sans rien manger, je vais directement dans la rue pour
travailler ; en gagnant quelques sous si possible, je reviens
auprès des marchands (es) de café et de pain ou de
pâtés pour me mettre en pleine forme « pou m al
kontinye bwase lè a ». En même temps, je joue au
poker (Tonton palmis), je fais des va et vient tout le long du
trottoir pour surveiller l'arrivée des voitures. Dans cette tranche
d'heure, entre 8h AM et 2h pm, je suis en train de parcourir tous les coins et
recoins de la rue en travaillant et en m'amusant. Vers les 2h et 3h de
l'après midi, je m'arrête pour aider une marchande d'
« Aleken »72(*) avec qui je travaille en lavant les vaisselles et
d'autres ustensiles de cuisine, en nettoyant et en faisant le portefaix ;
je reçois, en échange de tout ça, un beau plat de riz ou
de mais moulu suivant le menu du jour. Aux environs de 4h pm,
généralement, je retourne sur le trottoir dans mes
activités régulières d'essuie de voitures. Aussi, à
cette heure, dans certains cas, si mes vêtements sont sales et si j'en ai
assez d'argent, je pourrais aller en m'accrochant à l'arrière
d'une voiture dans les marchés publics à la Croix des bossales
(sou pay) pour m'acheter d'autres vêtements. Le soir, je me
retrouve toujours dans la rue en train de jouer, de mendier et de chercher des
objets et des pièces de monnaie au bord de la rue, l'endroit dans lequel
les marchands (es) s'étalaient leurs marchandises au cours de la
journée. Puis, quand il se fait tard, soit que je regarde la
télé s'il y a de l'électricité, soit que je vais
dormir directement.
Du côté socio affectif : je me
sens très bien dans la rue, je me reconnais comme un enfant qui vit, qui
travaille et qui dort dans la rue et j'en suis très fier. Je me fiche
pas mal de ce que les autres pensent de moi, ils ne font jamais rien de
sérieux pour moi. Dans la rue, je ne me suis jamais
découragé dans mes travaux, sinon je crèverai de faim.
Même quand je suis malade (migraine, grippe, fièvre, blessures,
etc.), je suis obligé d'être présent et d'y travailler.
Avec les autres, je suis souvent de bonne humeur sauf quand il y a disputes ou
conflits entre moi et une autre personne de la bande. Egalement quand les plus
âgés me battent et abusent de mes affaires, à ce
moment-là je fais l'expérience la plus extrême de la
colère et de la tristesse ; soit que je réagis par des
injures, fuites et des pleurs tout en disant : « lè
m gran, lè m pran level, n a vin fè m sa yo ; m ap tou touye
nou youn ». Si dans des situations, comme celles-ci, je prends
la fuite ou je pleure, cela ne veut pas dire que je suis un lâche ;
au Carrefour de l'Aéroport, je ne suis esclave de personne, sauf PAPA
que je respecte. Jamais rien ne m'effraie, sauf les policiers, les projectiles
des armes à feu et, autrefois, les militaires de la MINUSTAH73(*) ; maintenant, ils nous
laissent en paix. Je n'ai peur de rien, ni de personne.
Du côté de l'intelligence :
dans la rue, je me débrouille parfaitement bien du matin au soir ;
c'est ce que nous appelons « chavire lè a ou byen bwase
lè a ». Je maîtrise tous les trucs de base
qu'à mon âge je dois savoir et d'en faire usage pour vivre dans la
rue. Je sais compter les chiffres ; depuis mes bas âges, j'ai
commencé à calculer tout seul mes revenus de travail et la somme
de mes économies dans la petite Caisse « bwat
sekrè ». Je ne sais ni lire, ni écrire. Par
conséquent, dans le groupe, les autres enfants me doivent beaucoup de
respect et les aînés ont beaucoup d'admiration à mon
égard parce que « mwen se yon piti ki vivan e mwen sou
menm anpil ».
Du côté des aspirations :
sans vous cacher, j'aime beaucoup vivre de la rue. Si je cessais d'y vivre un
jour, je me sentirais très mal ; soit que j'irais vivre chez
quelqu'un, soit que j'irais vivre au centre d'accueil de Carrefour si je
voudrais réellement survivre. A ce moment, je serais à la
risée de tous, je perdrais un peu d'estime qui fera de moi quelqu'un de
faux aux yeux de mes paires « lè sa mwen se yon
Fake, mwen p ap janm vin Real »74(*). Dans la rue, j'y travaillerai
toujours ; soit au carrefour, soit au Champ de Mars parce qu'à mon
avis ces deux zones offrent beaucoup plus d'avantages aux enfants de la rue.
Je ne sais pas, si toute ma vie, je m'hébergerai dans la rue ;
mais, je sens que je resterai accroché à la vie de la rue, au
travail, à la nourriture et à certains divertissements de la
rue. De grands projets, je n'en ai pas vraiment. Cependant, étant
enfant, j'aimerais bien aller à l'école ; puis, quand je
serais grand, j'aimerais devenir un chauffeur de véhicules. Quoique
j'aime beaucoup la vie de la rue, en aucun cas, si j'ai un fils, il ne sera
jamais un enfant de la rue.
1.2.- Cas # 2 : Jonas FRANCOIS75(*)
A- Brève présentation
Nom : FRANCOIS
Prénom : Jonas
Lieu de naissance : Port-au-Prince
Date de naissance : 1998
Education : 2e année
Taille et poids : 4» et 32 Kg
B- Montage de scénario
Je suis né à Port-au-Prince dans une
famille de quatre (4) enfants, trois (3) filles et un (1) garçon
orphelins de père, et dont je suis le cadet. Mon nom est Jonas FRANCOIS,
je vivais avec ma mère à Delmas depuis ma naissance jusqu'au jour
où j'avais choisi de mener la vie de la rue. A dire vrai, ma mère
était très cruelle envers moi ; elle me disait tout le temps
« se ti volè m ye », pour des
pièces de monnaies égarées, pour des objets
déplacés ou perdus ; j'en suis toujours l'acteur. Car, selon
ses dires, je suis le seul garçon de la maison, alors c'est moi qui suis
capable de commettre ces genres d'actes. A ce moment, elle me battait souvent
avec rage et véhémence. Sous l'influence de ses bastonnades, ses
tortures et ses maltraitances, j'ai dû laisser une première fois
la maison pour aller retrouver un ancien camarade de classe de l'Ecole
Nationale de la République de l'Equateur qui vivait déjà
dans la rue et qui m'invitait, chaque fois que je l'ai rencontré,
à venir y passer une journée. Pendant une semaine et demie, je
suis avec lui, apprenant petit à petit tous les trucs de cette nouvelle
vie, jusqu'au jour oú quelqu'un du quartier de ma mère m'a vu et
m'a raccompagné chez moi. Après quelques temps, un, deux, trois
mois passés sans anicroches, ma maman a recommencé à me
frapper à tort ou à raison ; cette fois-ci, je lui ai
signalé que je quitterai la maison pour de bon. Elle m'a cru sur paroles
et m'a ligoté aux cordes. Un jour, je suis arrivé à me
défaire des noeuds de la corde et je suis parti à jamais dans la
rue ; je ne me rappelle pas exactement de la date, mais c'était
après le départ d'Aristide.
Maintenant, je suis dans la rue, je ne vais plus
à l'école, ni à l'église. A ZAKAT ZANFAN, au
Carrefour de l'Aéroport, je m'héberge depuis quelque temps en
compagnie d'autres enfants sous la garde d'un responsable que, tous, nous
appelons PAPA76(*). En
fait, dans la rue, je vis, je me divertis, je travaille pour gagner assez
d'argent nécessaire à ma survie et j'apprends à me
défendre dans tous les sens. En plus de tout ça, dans la rue, je
me sens réellement libre...
Organisation de la journée :
Ordinairement, le matin, je me réveille entre 7h30 et 8h30, et je me
lave le visage. Puis, avec ma toile en main, je me dirige dans la rue afin de
gagner quelques pièces de monnaie me permettant d'acheter quelque chose
à manger. En fait, je dois avouer que je n'aime pas trop travailler, il
suffit que je trouve à manger une fois, deux fois dans une
journée, soit que mes amis m'apportent un petit morceau de quelque
chose, soit que j'en achète. Après quoi, je peux passer tout le
reste de la journée à m'amuser en jouant au
« Tonton palmis » pour maximiser mes sous, ou en
taquinant les autres enfants jusqu'à ce qu'ils s'énervent. Il est
des jours oú je n'ai aucune envie de travailler. Dans ces situations,
j'ai eu toujours l'habitude d'aller me baigner et m'amuser un peu en plaine
à la grande rivière, et je suis retourné vers les 1h30 de
l'après-midi pour rendre service à des marchands (es) qui vont me
réserver un plat gratuit aux environs de 3h. Avec ces deux repas, je
n'ai aucun problème ; je continuerai à m'amuser sans
relâche et à mendier jusqu'à la tombée de la nuit.
Le soir, je me promène et je fais souvent des activités farouches
et amusantes en groupe : soit les blagues, soit les taquineries de toutes
sortes. D'autant plus qu'en me promenant, je profite pour chercher objets et
monnaies perdus au bord de la rue et sur les places publiques à l'aide
de bougies allumées ou, s'il y a de l'électricité,
grâce aux projecteurs d'éclairage installés au Carrefour de
l'Aéroport. Enfin, je regarde la télé et, quand il se fait
un peu tard, je cherche un petit coin où je peux m'allonger pour dormir
en paix et qui me met à l'abri de tout abus.
Du côté socio affectif : Au
Carrefour de l'Aéroport, avec les autres enfants, je suis toujours de
bonne humeur ; j'aime beaucoup jouer, c'est ma meilleure besogne. Je ris
souvent, je suis très plaisant et j'ai accepté presque facilement
tout ce que l'on me fait. J'ai en outre un caractère très soumis,
c'est pourquoi les autres m'ont appelé « Ti
joel » ; si PAPA dit qu'il faut nettoyer et jeter les
débris, j'accepte volontiers, je n'aime pas répliquer. A cause de
ce caractère, je suis souvent victime chaque fois que je veuille me
montrer un peu arrogant dans certaines situations ; par exemple, deux fois
dans toute ma vie de rue, on m'a fait grand mal à cause des tentatives
de répliques et d'affront. Une fois, j'avais reçu d'un
aîné deux graves blessures à la tête à coups
de pierre et, tout récemment, un de mes pairs m'a sectionné le
bras avec un tesson de bouteille. Face à ces deux situations, j'ai eu
toutes les peines du monde : douleurs, pleurs colère, frustration,
tristesse, etc. ; à cet effet, j'ai toujours voulu me venger, tuer
ou faire du mal, mais je n'ai pas ce courage ; je suis trop sensible. Sans
vouloir plaisanter, c'est vraiment dur de vivre dans la rue, je me sens
très mal. Pour être content, je suis obligé de chercher du
plaisir auprès des autres en les taquinant et, dès fois,
ça tourne mal. J'ai vraiment honte d'être un enfant de la rue,
toujours sale et sans chaussures ; je n'y trouve aucune fierté. Je
suis certainement plus libre, mais c'est très malaisé. Dans les
rues, les gens m'humilient à tous égards ; ils me voient
vraiment mal. Souvent, ils me disent « Kokorat, ti
volè » ; pour une plus récente illustration,
la dernière fois, je suis arrivé auprès d'un chauffeur
pour lui solliciter quelque pièce de monnaie, il m`a répondu
soudainement : « Poukisa w pa rale zam sou mwen pito, pou
w pran kòb la ? Demen se ou k ap tounen pi gwo gang nan k ap vin
tire m », ça m'a beaucoup affecté et j'ai
passé tout e reste de la journée sans travailler. Dans des cas
comme ceux-ci, j'ai eu toujours l'envie de retourner chez moi ; mais les
souvenirs macabres de toutes les tortures et souffrances que j'ai
endurées pendant ma prime enfance m'incitent à rester davantage
dans la rue. D'autant plus que dans ces cas, je perds totalement la motivation
d'y travailler ; mais je ne peux pas supporter la faim, certaines fois j'y
résiste en demandant des morceaux de viandes, de pâtés ou
du pain à mes pairs ; ça leur donne la possibilité de
me ridiculiser davantage. Donc, je m'efforcerai d'y travailler pour manger
quoiqu'il en soit, sinon je mourrai de faim.
Du côté de l'intelligence :
Au rang des enfants qui vivent de la rue, je suis capable de réaliser
avec brio toutes les activités ayant rapport à mon statut comme
tous les autres, je maîtrise assez bien les trucs et les astuces qui me
permettent de survivre ; soit dans le sens de gagner de l'argent ou de me
défendre contre tout danger. Je peux, en outre, me servir de tout ce qui
se trouve dans mon entourage ; car je suis très curieux. Ce qui me
remonte un peu l'estime, comparativement aux autres enfants, je sais lire,
écrire, compter, je connais les couleurs et je maîtrise des tas
d'autres choses qu'ils ignorent, qui ne sont pas de l'ordre de la rue, tels
que : quelques notions de bonnes manières, le
téléphone cellulaire, l'Internet, comprendre un film et d'autres
trucs du genre.
Du côté des aspirations :
l'un de mes plus grands voeux est de mettre un terme à ma vie de rue,
mais je ne vois pas comment y arriver. Si j'ai tenté après tout
ce temps de retourner chez moi, ce dont j'ai grande envie, ma mère
continuera sans doute à me maltraiter. Non plus, je n'ai aucune
intention d'aller à un centre, je ne suis pas un prisonnier ; et,
en plus, on va certainement me ramener chez ma mère. Voila la situation
dans laquelle je me trouve depuis quelque temps. Ceci dit, je veux cesser de
vivre de la rue, je veux continuer mes études car je rêve de
devenir ingénieur en construction de bâtiment pour avoir assez
d'argent me permettant de faire des oeuvres sociales pour les enfants
démunis. Ce qui traduit l'idée que, jamais, je ne souhaiterais
pas que mon ou mes fils fassent l'expérience de la rue ; c'est trop
malaisé et risqué. Puisque la rue n'est pas faite pour les
enfants.
.3.- Cas # 3 : Félix MERCIDIEU77(*)
A- Brève présentation
Nom : MERCIDIEU
Prénom : Félix
Lieu de naissance : Port de Paix
Date de naissance : 1997
Education : ?
Taille et poids : 4» 6 et 41 Kg
B- Montage des scénarios
Mon nom est Félix MERCIDIEU, je suis
né à Port de Paix en 1997 dans une famille de quatre (4)
enfants : trois (3) garçons et une (1) fille, et dont je suis le
junior. Depuis que j'étais tout petit (5 ans environ), je menais la vie
de la rue avec mes deux frères aînés au Cap-Haïtien et
à Port de Paix. Dans la rue, nous y passons la journée, voire des
semaines afin de gagner assez d'argent pour rentrer chez nous et pour donner
à manger à nos parents et à notre petite soeur qui
habitent « nan mòn podpè ». En
2004, après le cyclone, moi et mes frères, nous étions
allés à Gonaïves dans le but de participer aux dons faits
aux sinistrés du cyclone. Recevant des vêtements, de l'argent et
de la nourriture, mes deux frères se sont retournés à Port
de Paix et, moi, j'ai décidé de rentrer à Port-au-Prince
en quête d'une nouvelle vie. Seul, je suis rentré dans la capitale
en laissant frères, soeur et parents ; je me sentais
énormément motivé et capable de mener la vie de la rue
à Port-au-Prince tout en imaginant combien rentable elle puisse
être. Sur le Wharf de Jérémie, c'était là que
je m'étais trouvé le premier pour passer les nuits et pour
travailler. Puis, avec d'autres compagnons de rue, j'étais allé
me loger à Cité soleil « Zòn bò
HASCO » et je fréquentais le Carrefour de l'Aviation, le
Portail Saint Joseph et les marchés publics (Lavil). A cette
période, mes premières activités étaient la
mendicité, l'essuyage des voitures et le vol ; au bout de quelques
années, à Cité soleil, les gens commençaient
à nous utiliser (moi et mes copains) comme éclaireurs, passeurs
et rançonneurs lors des conflits armés et dans d'autres
activités criminelles. En 2006, j'ai été touché
à l'épaule par deux projectiles, trois (3) de mes partenaires ont
été arrêtés par les soldats de la MINUSTAH et deux
(2) d'entre eux furent tués. Alors là, moi qui veux garder la vie
sauve, je me suis vite rentré à Port de Paix oú j'ai
passé sept (7) ou huit (8) mois sans rien expliquer
précisément à mes parents. Puis, en 2007, je suis
retourné à Port-au-Prince, précisément à
Portail de Léogâne, « Bò madan
Kolo » et au Champ de Mars, endroits dans lesquels je vis, je
travaille et je me divertis généralement.
Organisation de la journée: Dès
que je me lève, vers les 8h/9h AM, je cherche à me laver le
visage ; avec un morceau de tissus, je me brosse les dents et, certaines
fois, je ne m'en occupe guère. Après quoi, je cherche ma toile
pour me diriger dans la rue vers les voitures. S'il n'y a pas trop
d'activités (si pa gen afè), soit que je vais dans d'autres
endroits, soit que je laisse la toile de côté, pour aller me
coucher encore une fois, pour aller jouer ou pour aller me rendre à
Portail de Léogâne, au centre Don Bosco. Des fois, entre 9h-12h,
si le professeur est présent au Champ de Mars et si je suis
motivé, je participe à des séances de mathématiques
et d'écriture en attendant que l'heure du corridor
(Bwadchèn) sonne ; endroit dans lequel, entre 12h et 4h,
j'y suis généralement pour mendier, pour s'accaparer du reste des
plats que les consommateurs laissent sur la table ou ce qu'ils jettent dans les
poubelles. Une fois que je sois un peu rempli, je suis retourné dans la
rue travailler et me divertir un peu avec les autres. Le soir, la plupart du
temps, je suis dans les parages de l'amphithéâtre REX et ses
environs en train de mendier de l'argent et de la nourriture. Il est des fois
que je fréquente les prostituées de la place si je gagne assez
d'argent pour la journée. Mais, à côté de cela, j'ai
une cliente que nous appelons « Dènye
lè » pour le peu d'argent que nous ayons 10, 15, 20
Gourdes : « Baton ».
Du côté socioaffectif : Dans
la rue, je ne vois aucun inconvénient ; je me sens aussi bien que
si j'étais chez moi, pour ne pas dire plus bien. Dans la rue, plus
précisément au Champ de Mars, il y a toujours de l'espoir ;
les gens (chauffeurs, marchand(s) (es), passants...) m'offrent d'énormes
possibilités de gagner de l'argent, de manger et de boire, ce qui, au
moins, me permet de rester en vie au jour le jour. Je ne peux pas dire que je
suis toujours content, mais il y a des situations qui me donnent souvent la
sensation du plaisir par exemple : « lè vant mwen
plen ak lè m gen anpil lajan », ce qui veut dire par
contre que je suis plus facilement de mauvaise humeur (en colère) que
d'être content, mais je ne le démontre pas du tout.
« M gen gwo san anpil », je ne tolère pas
les taquineries et je vois toujours d'un mauvais oeil une personne qui aurait
l'intention de m'abuser ; ce sont ces genres de situations qui me mettent
généralement dans le pétrin « Nan
cho ». Dans la rue, j'ai déjà vécu de dures
expériences et j'ai déjà perpétré quelques
actes flagrants comme par exemple : l'année dernière , j'ai
été mis en prison au commissariat du Champ de Mars
(Ponpye) pour une semaine (6 jours environ) parce que «
Mwen te fann tèt yon madanm nan Koridò a » ;
un gardien des places publiques m'a tranché la peau avec un fil
électrique ; tout récemment, je l'ai surpris en train de
dormir sur un mur de la place « nou fann li ak wòch ak
boutèy, nou pete tout tèt li » ; ensuite, en
2006, j'ai été touché à l'épaule par une
projectile d'une arme à feu. Donc, les douleurs, les peines, les pleurs
et la colère m'accompagnent dans la rue chaque jour et j'y suis un peu
habitué. Etant enfant de la rue, il n'est pas question pour moi
d`être fier ou d'avoir honte ; je suis dans la rue, sale et pieds
nus, je n'ai pas le choix, tout le monde me voit ainsi. Mais il existe des
situations qui me gênent davantage que d'autres, surtout quand quelqu'un
m'appelle et me parle de ma vie, de ma famille ou de la rue. Cependant, que les
gens me disent ou m'appellent « Kokorat, Volè,
Grapiyay », etc. « Sa pa fè m ni cho ni
frèt »
Du côté de l'intelligence :
Je n'ai jamais été à l'école, je ne sais ni lire,
ni écrire, je ne suis même pas capable d'écrire mon
nom ; pourtant je sais que je suis intelligent. Dans la rue, je suis
capable de manier, et ceci, très bien, tout ce auquel j'ai accès.
Pour les pratiques de la rue, il faut être «
Vivan » pour les réaliser. Depuis que je suis dans la
rue, je n'ai jamais été dupé par les autres comme par
exemple : « Fouye m, Klase m, Bon sou
mwen » ; je suis toujours sur tous les coups, même si
j'étais absent, je trouverais quelqu'un qui me mettrait au
courant : « Se mwen ki pou bon sou nèg yo, se mwen ki
pou fouye yo[...] yo tou pè m paske yo konnen mwen se nèg Site
solèy [...] »
Du côté des aspirations : je
suis dans la rue depuis mon enfance, je pense que j'y resterai accroché
pour beaucoup d'années encore ; car je ne suis pas encore
prêt à la laisser. Non seulement, je suis dans la rue pour
survivre (me donner à manger), mais j'y suis aussi pour aider mes
parent, mes frères et soeur de survivre. Même si je vais à
un centre, rien ne va réellement changer puisque je dois trouver de
l'argent pour apporter à Port de Paix tous les deux (2), trois (3) mois.
Donc, tu vois ça, si je quitte la rue, c'est le chaos « M
ap blo ». Autrefois, j'avais eu l'envie d'aller à
l'école, mais c'était une folie ; elle n'est pas faite pour
moi et elle ne m'intéresse plus maintenant. J'ai davantage besoin
d'argent et de travail. J'aimerais devenir tout ce que la vie me
réserve « M ta renmen tout bagay nan vi m,
nenpòt sa k vini an, anwetan kidnapè ak
chimè ». Mes enfants, si j'en aurai, je ne les laisserai
jamais mener la vie de la rue et je l'espère même si je serais
mort.
1.4.- Cas # 4 : Samuel PETIT-HOMME78(*)
A- Brève présentation
Nom : PETIT-HOMME
Prénom : Samuel
Lieu de naissance : Jérémie
Date de naissance : 1999
Education : ?
Taille et poids : 4» 2 et 29 Kg
B- Montage des scénarios
En 1999, je suis né à
Jérémie dans une famille monoparentale de père où
je vivais avec ma petite soeur. En 2004, après la mort de mon
père, nous sommes rentrés à Port-au-Prince avec l'une des
soeurs du défunt et avec qui nous allons habiter Fort
National « Sou Fo » afin qu'elle prenne soin
de ma petite soeur et de moi. Nous étions tous deux les bienvenus dans
la capitale, mais au bout de quelques temps les choses commencent à
se tourner très mal ; nous sommes devenus comme des esclaves de
maison, on dirait plutôt des
« Restavèk ». Chaque jour, notre tante
quitte très tôt la maison et elle est rentrée
généralement après six (6) heures du soir ; et, moi
et ma petite soeur, nous sommes restés tous seuls et nous passons toute
la journée à la maison sans rien faire et sans rien manger non
plus en attendant que notre tante nous apporte quelque chose à manger.
Avec mon père, avant sa mort, j'avais eu la chance d'aller à
l'école pendant une année ; mais avec elle, c'est tout
différent. Elle ne veut que ma force de travail.
Généralement, quand ma tante est sortie, elle ne m'a rien dit de
faire précisément ; mais quand elle est rentrée, si
elle trouve quelque chose qui ne lui plait pas, question de propreté et
d'ordre, elle me fait une raclée suivie de sévères
punitions. D'année en année, ma tante augmente la
sévérité de ses punitions à mon détriment.
Un jour, elle m'a brûlé a la jambe avec un fer à repasser
pendant que j'étais en train de faire un somme sur une chaise et elle
m'a dit : « Kochon, m pa diw piga w dòmi san benyen
nan kay la, al fout chache dlo pou w lave pye w. » Ca a
été une grave brûlure, après quelques jours elle
devient une grande blessure ( yon gwo plaka, yon gwo maleng) ; en
dépit de cela, je continue à subir ses bastonnades. Un soir, sous
une punition horrible, je lui ai dit : « si papa m te la ou
pa t ap ka fè m tout sa yo... » et elle m'a
répondu : « Ebyen al jwenn papa w. »
Elle a ouvert la porte et elle m'a poussé dans la rue, l'endroit
dans lequel je devrais passer la nuit ; mais, j'avais tellement peur que
je me suis dirigé vers le W.C79(*) qui se trouve à côté de la
maison ; et, en fait, c'est là que j'ai passé ma
première nuit. Le lendemain matin, j'attends qu'elle sorte et j'y suis
rentré. Quand elle est revenue, elle m'a dit : «te
kwè m di w pa met pye w nan kay mwen
ankò... » Puis, elle s'est dirigée vers ma petite
soeur et lui dit : « le jou ou kite samyèl antre la,
w ap tou al jwenn li [...] » Pour me faire pardonner, je l'ai
beau supplier ; mais elle ne m'a pas accepté. Donc, pour
protéger la vie de ma petite soeur, je me suis obligé de chercher
d'autres endroits pour vivre et c'est ainsi que ma vie de rue a commencé
dans les années 2006-2007.
Organisation de la journée :
chaque jour, comme d'habitude, je me lève vers les 8h/9h du matin ;
la première chose que j'ai faite, je cherche ma toile huilée de
travail et je me dirige dans la rue. Pendant un certain temps, je travaille
(m siye machin, epi m mande) je gagne assez d'argent pour m'acheter du
pâté, du jus, de l'eau, du clairin et de la cigarette. Une fois
terminé, je jouerai au poker avec presque le reste de mes revenus,
certaines fois je vais au centre ville ( Bò madan Kolo) pour
aller au cinéma (télévision) et pour lequel je
dois payer cinq (5) gourdes à chaque film et, aussi, je vais souvent
à Portail de Léogâne (Centre Don Bosco) endroit
dans lequel je me rends généralement pour me divertir (
bicyclette, balançoire, skate, etc.) vers les 12h, 1h, 2h, 3h, je me
retrouve au corridor Bois de chêne (koridò
Bwadchèn) auprès des marchands (es), acheteurs et
consommateurs entraîne de mendier de la nourriture, du jus ou de
l'argent. Il est des jours où, généralement les mercredis,
moi et mes compagnons, nous irons à CARITAS et on nous donne à
manger. En arrivant vers les 4h, je continue à créer d'autres
moyens de gagner de l'argent en alternant travail (mendicité, essuie de
voitures, etc.) et jeux (poker) ; « depi vant mwen plen,
sèl sa m wè pou m fè se jwe ». Le soir, je
me promène en côtoyant tous (tes) les marchands (es) de la place
(Spaghetti, Hotdog, Barbecue, etc.) et, plus tard, vers les 10h/11h, je me
prépare à dormir. Si je joue au « lagot de
fonds » ce que nous appelons : « Gè
domi » je peux passer la nuit sans dormir.
Du côté socioaffectif : La
rue, comme un espace de vie, me parait assez convenable. Avec les autres
compagnons de rue, qu'ils soient plus grands ou plus petits, je les respecte et
ils me respectent aussi ; ce qui voudrait dire qu'en d'autres mots, je me
sens vraiment bien avec eux. Je me souviens tout le temps de ma première
journée au champs de Mars, les pairs m'avaient bien accueilli ;
comparativement aux autres parvenus, ils ne m'avaient ni frappé, ni
battu, ni demandé de l'argent. Au contraire, ils (deux d'entre eux)
m'avaient accompagné, ils m'avaient cherché à manger et
ils m'avaient trouvé un endroit pour dormir. Jusqu'à maintenant
ils sont mes amis ; nous formons une vraie famille et je leur fais
confiance. Grâce à eux et, également, grâce aux gens
qui nous supportent au Champ de Mars (chauffeurs, marchands, policiers,
passants...), je vis encore. Dans la rue, je suis toujours de bonne
humeur ; sauf quand ils jouent aux taquineries et qu'ils m'appellent
« Blakawout » (Black-out), je me mets certaines
fois en colère, mais c'est juste pour quelques secondes. Des fois, il
m'arrive d'être triste surtout quand je pense à la vie de ma
petite soeur et, aussi, il existe d'autres situations qui incitent la peur et
l'inquiétude chez moi « tankou lè gen deblozay nan
peyi, manifestasyon , tire, eksetera. Tankou avan yè lè te gen
eleksyon an, m pase jounen an san manje anyen e san senkòb ; se
gras ak chèf ki nan palè yo ki fè m te jwenn yon ti kal
manje... ». Donc, pour moi, il n'est pas facile de vivre dans la rue;
étant fils de parents pauvres et orphelin, je mène une vie de
misère dans la rue, soutenue par les gens de bonne foi et qui
prennent pitié à mon égard. Qu'ils me dénigrent ou
non, en m'appelant « Kokorat, Ti volè,
Selavi... », Je me rabaisse « poukisa pou m
fè gwo kolèt ak moun yo, bon se yo k ap ede m nan lari
a » ; je suis un enfant de la rue, ils me traitent en tant
que tel.
Du côté de l'intelligence :
A Jérémie, pendant une année, j'avais eu la chance de
fréquenter l'école ; mais cela ne m'est pas suffisant pour
que je sache comment lire et écrire. Dans la rue, j'ai appris à
compter et à faire le calcul de mes revenus, mais j'ignore
complètement les grands nombres comme cent (100), deux cents (200), etc.
Dans la vie, je connais ce que je dois faire et ce que je ne dois pas faire
(Sa k byen, sa k mal) et, aussi, dans la rue, je peux parfaitement me
débrouiller pour me trouver à manger, pour me divertir, pour me
loger et pour me défendre. Les seules choses que je ne maîtrise
pas parfaitement, ce sont les dates et les heures : jours- mois-
années, etc. mais, tous les autres trucs du genre habituel et qui font
partie de ma vie de rue, je les connais et je les maîtrise sans trop
d'efforts.
Du côté des aspirations :
Actuellement, je perds tout le contact avec ma famille : ma soeur et ma
tante ; elles se sont déménagées à Fort
National et se sont rendues dans divers autres endroits dont j'ignore les
adresses. Ce qui fait qu'en réalité je me sens vraiment seul dans
la vie. Je suis dans la rue et j'y resterai pour longtemps, car je n'ai aucun
autre endroit dans lequel je peux me rendre pour que je vive une meilleure vie,
mis à part les centres qui m'offrent certaines possibilités de me
nourrir, de me divertir, etc. ; mais, cela ne me suffit pas. J'ai besoin
aussi de l'argent pour économiser, car je ne veux pas que ma soeur
souffre. J'aimerais lui donner un commerce quand je serais plus grand et, moi,
j'aimerais aller à l'école, car je rêve de devenir
président. La mort de mon père m'a fait beaucoup souffrir, je
n'aurais pas dû être dans la rue ; puisque je n'ai pas de
famille, je n'ai personne d'autre, je me résigne. Dans les années
à venir, si jamais j'aurais un enfant, je ne souhaiterais pas qu'il soit
un enfant de la rue ; par rapport à toutes les souffrances que j'ai
endurées, je ferai tout mon possible pour lui épargner tous ces
malheurs.
2- Les dimensions de la personnalité
étudiées chez l'enfant de la rue
2.1.- Quelques aspects de la
motricité80(*) chez l'enfant de la rue
Les sujets que nous avons
observés et interviewés tout le long de notre étude ont
fait preuve d'exubérance motrice dans la réalisation de leurs
activités régulières, jeux, gestes et dans d'autres
domaines de la vie courante. Dans cette tranche d'âge, entre 10 et 12
ans, selon les chercheurs en psychologie génétique, tout enfant,
déjà, fait l'acquisition des prestations sensori-motrices
générales nécessaires à son développement
psychophysique, telles que : les sensations multiples, la
préhension, les positions assis/debout, la marche, la course et d'autres
mouvements primaires. A ce propos, nous avons observé que l'enfant de la
rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, à cet
âge, poursuit un développement musculaire très
accéléré et apparemment établi ; en plus de
ses nombreuses capacités physiques et sa vigueur qui augmentent son
endurance, l'enfant de la rue jouit énormément de son
acuité sensorielle pour réaliser ses entreprises quotidiennes au
bénéfice de sa survie.
2.1.1.- Le corps de l'enfant de la
rue : entre sa musculature et ses mouvements
L'enfant de la rue, au regard de notre
échantillon, a fait preuve de forces physiques assez
considérables en l'observant dans ses jeux d'acrobatie, de combats et
dans ses pratiques de portefaix, en soulevant de lourdes charges des
commerçants au bord de la rue matin et soir, même avec
excès. Sans épuisement réel dans ses travaux de chaque
jour, l'enfant de la rue agit avec énergie et résistance par
rapport son âge.
Entre 10 et 12 ans, les enfants de la rue que nous
avons observés sont présentés relativement suivant une
croissance staturo-pondérale qui s'établit en moyenne dans
l'intervalle entre 4» et 4» 6 de taille et entre 29 Kg et 41 Kg de
poids. En effet, les activités de ces derniers sont très intenses
et leur champ d'exécution est très étendu. Au Carrefour de
l'Aéroport et au Champ de Mars, du matin au soir, ils sont constamment
en mouvement ; ils inventent, découvrent, répètent,
améliorent de nouveaux gestes et expressions faciales, et de nouvelles
coordinations adaptés au milieu dans lequel il évolue. En fait,
suivant les données de nos observations, l'enfant qui vit de la rue est
généralement instable. Dans des situations diverses, ces
mouvements sont un peu massifs, rapides, non affinés mais bien
coordonnés et différenciés pour la réalisation des
activités multiples au gré de leur délices ;
prenons l'exemple des leurs acrobaties en descendant une voiture qui court
à grande vitesse.
Ensuite, quant à sa gesticulation, l'enfant
de la rue en situation de communication émet des gestes qui sont pour la
plupart abondants, globaux et parfois explosifs ; mais, la synchronisation
y est souvent absente. Sauf, dans les cas précis, lorsqu'il s'agit pour
l'enfant de montrer ou d'indiquer un objet placé plus ou moins devant
son champ sensoriel, la synchronisation entre l'intention, le verbe et les
gestes de l'enfant est améliorée. En fait, d'autres gestes
discrets de l'enfant de la rue qui sont à l'ordre des mimiques, formes
d'expressions à dominante faciale qu'il émet au niveau du front,
des sourcils, des yeux et de la mâchoire, et qui sont produites
généralement quand il est en colère et quand il veut
intimider. Hormis le sourire qui n'en fait pas partie. De toutes les mimiques
observées pendant la période de notre enquête, nous avons
noté : « Dan di, Sousi kontre, Bay min, Dan klete,
Bay vizaj, Dan soude, Zo bèf, Monstre, etc. »
Enfin, une coordination musculaire bien
établie requiert une certaine capacité de latéralisation
et de latéralité de la part de l'individu. A ce propos, l'enfant
de la rue, sujet de notre échantillon, affiche une dominance
latérale droite ayant le choix préférentiel à
utiliser la main droite et le pied droit lors de l'exercice de ses pratiques
quotidiennes (jeux, travail, utilisation de matériels, réflexes,
etc.). Cependant, au niveau de la latéralisation, il est plus facile
à l'enfant de la rue de faire la différence droite/gauche sur lui
que de le distinguer sur autrui et dans un espace quelconque.
2.1.2.- le corps de l'enfant de la rue
et ses dérivés sensoriels
A ce niveau, l'enfant qui vit de la rue au Carrefour
de l'Aéroport et au Champ de Mars est étudié suivant un
tableau poly-sensoriel qui, dans un rapport étroit avec le cerveau,
définit les différentes sensations et impressions de ce dernier
face aux stimulations du milieu dans lequel il vit, en l'occurrence la rue.
Cette correspondance entre les sens, les sensations et les mouvements chez
l'enfant nous permet de comprendre et de présenter les quelques
réactions possibles de celui-ci par rapport aux exigences de ses
conditions matérielles d'existence et, plus loin, elle va nous conduire
aux pieds du champ cognitif et socioaffectif de ce dernier. A ce propos, chez
l'enfant de la rue, un faisceau de sensations ou d'impressions sensorielles
tout nécessaires à sa survie, fait de lui quelqu'un de
différent par rapport à tout autre enfant de son âge, de sa
taille, de son poids et de son sexe, et qui vit dans un autre milieu assez
aisé. Pour l'enfant de la rue, toute impression de mal-être ou
d'incomplétude liée aux besoins physiologiques comme manger,
dormir, se faire uriner, aller à la selle, se baigner, se changer de
vêtements qui peuvent garantir une certaine satisfaction physique, est
pratiquement éteinte. Au lieu de pleurnicher ou de pousser des cris
quand il a faim, il résiste et il cherche à manger en mendiant de
toute part ; quand il faut aller à la selle, il se dirige vers les
ravins ou dans les toilettes publiques ; quand il faut se baigner et
changer de vêtements, il s'en occupe très rarement. De ce point de
vue, sans vouloir faire une énumération complète, il est
bien d'autres sensations d'ordre visuel, auditif, tactile, olfactif, gustatif,
kinesthésique, etc., qui mettent en évidence les
différences sensori-motrices chez l'enfant de la rue quant aux
conditions concrètes qui les engendrent. C'est ce qui fait,
vraisemblablement, que l'enfant qui vit de la rue a une autre impression de la
douleur, il réagit différemment aux bruits multiples produits
dans la rue, il s'adapte à l'odeur des poubelles, des égouts, de
son corps et de ses vêtements. En dernier lieu, il résiste sous le
soleil toute la journée pieds nus et sans casque ; aussi il passe
la nuit à froid en dormant sur le sol et à ciel ouvert.
2.1.3.- le corps, ça absorbe...
c'est comme une éponge
Généralement, le corps
de l'individu prend la forme de ce que l'individu a fait au cours de son
histoire, constituée de toutes les expériences jusqu'ici
vécues par celui-ci. Le développement et les
caractéristiques du corps ne dépendent pas seulement d'une simple
maturation organique, mais aussi du milieu dans lequel l'individu en question
évolue, de ses activités pratiques et de ses exercices à
utiliser ou à manipuler les objets et les matériels de son
environnement ; citons l'exemple des cas bien connus de deux enfants loups
dénommés Ramala et Kamala81(*).
En réalité, les conditions d'existence
de l'enfant qui vit de la rue ne diffèrent pas trop de celles de ces
deux enfants retrouvés dans la forêt quant au caractère
frustre, rigide, hostile et rudimentaire des deux milieux. Dans la rue, le
nombre de temps que l'enfant a passé et les expériences qu'ils
ont vécues ne sont pas sans effet sur son développement
intégral, sa taille, son poids, ses jambes, ses bras, ses cheveux, ses
dents, son teint épidermique, sa préparation pubertaire, etc. En
somme, sous le poids de conditions de vie difficiles, le corps de l'enfant de
la rue se développe et se trouve sans cesse modifié, facilitant
celui-ci à répondre aux diverses exigences du milieu et à
se battre pour la survie. Dans le corps de ces enfants est
reflétée la misère de toute une société et,
en particulier, y sont retenues le souvenir de toutes les aventures et les
rixes auxquelles ces derniers ont été livrés pendant toute
leur enfance.
2.2.- L'Intelligence82(*) de l'enfant de la
rue : un outil de survie
Les comportements intelligents des enfants qui vivent
de la rue, en les regardant agir jour et nuit, peuvent être
assimilés à la
« débrouillardise ». A ce titre, ses
nombreux efforts sont précisément accomplis pour contrecarrer les
situations de misère et de souffrances quotidiennes rencontrées
dans la rue. Pour ce faire, l'enfant doit utiliser son cerveau, son corps, ses
sens, ses muscles afin d'apprendre et, simultanément, de réaliser
les activités qui lui permettent de survivre jour après jour. Ces
exercices assez indispensables que ces derniers réalisent chaque jour au
Carrefour de l'Aéroport sont désignés
de « Bwase lè a, Chavire
lè » et, en leurs propres mots, ils
affirment : « Lari a mande fòk ou vivan,
fòk ou sou men w pou w ka bwase l ». La vie de la rue,
selon l'agir de ces enfants qui en font partie, a ses propres exigences et elle
définit des façons particulières à ces derniers d'y
répondre ; pour se nourrir, se divertir, se déplacer, se
trouver des vêtements, s'échapper ou semer quelqu'un en courant
dans la foule après avoir commis un vol, les enfants de la rue utilisent
leurs capacités intellectuelles en développant des techniques
pratiques spécifiques à chaque situation.
2.2.1.- l'enfant de la rue, à la
lumière de ses connaissances et informations de base
Généralement,
un enfant de 10, 11 et 12 ans dans notre société est
supposé, en toute régularité, au niveau de la
6e année ou de la 7e année d'études
fondamentales où il fait l'acquisition d'une somme de connaissances de
base l'entraînant à participer à la vie
socioéconomique et culturelle de son milieu de vie. A ce sujet, les
enfants de la rue, dans cette tranche d'âge, que nous avons
observés et interviewés au niveau du Carrefour de
l'Aéroport et de Champ de Mars n'atteignent pas ces niveaux
d'études ; pourtant ils maîtrisent bon nombre de
connaissances de base leur permettant de se conduire intelligemment dans la
rue. Lors de notre enquête, nous avons collecté les informations
suivantes qui figurent dans ce tableau ci-dessous :
Tableau 2.-
Données sur les connaissances de base de l'enfant de la
rue
Cas # 1
Cas # 2
Cas # 3
Cas # 4 //////////
???
Source : Enquête du
Mémorand, Mars 2009
De ce tableau, un (1) enfant sur quatre (4), de notre
échantillon, sait lire et écrire en raison d'avoir
été scolarisé ; cependant, les trois (3) autres
enfants, malgré qu'ils n'aient pas été scolarisés,
ont tous le nombre d'informations nécessaires caractérisant leur
niveau de connaissance de base. Sur une échelle de quatre sur quatre
(4/4), ils sont tous capables de s'identifier par leur nom complet, leur
âge, le nom de leurs parents et leur provenance. Ensuite, ils
maîtrisent les notions du temps en termes de Date : Jour,
Semaine, mois, Année ; en termes d'Heure : Matin,
Midi, Après-midi, Soir et ils les distinguent par rapport aux
activités du milieu. Par contre, les heures précises les
intéressent très peu ; soit, 4/4 de notre échantillon
ne maîtrisent pas les heures précises. Et, encore, ils sont tous
capable de faire un repérage général de l'espace en termes
de Zones et de Localités, en termes de
Latéralisation : Gauche et Droite et en termes de Sens,
de Direction ou de Distance un peu rapprochée : Isit, Anba,
Lòt bò, La, Anwo, etc. De plus, ils connaissent les Couleurs
de base comme le bleu, le rouge, le jaune, le noir, le vert, le blanc,
etc. Enfin, dans les entretiens, ils ont tous fait preuve d'être
capables de réaliser des opérations arithmétiques
concrètes et abstraites à leur niveau en termes de calcul leur
permettant de jouer au hasard (poker), de faire des achats en cas de besoins,
de participer aux jeux de loterie (borlette) et de faire le décompte de
leurs revenus journaliers.
2.2.2.- l'enfant de la rue et sa
perception de la réalité : A la limite de ses
représentations et de son jugement
Avec des connaissances
limitées dans ses conditions de vie, l'enfant de la rue est capable de
jauger ses propres situations et de donner un sens à cette
réalité. L'enfant qui vit de la rue, avec qui nous avons
travaillé pour cette étude, a conscience de sa situation et
comprend tous les risques qui y sont impliqués. Eu égard à
notre échantillon, nos quatre (4) sujets affirment qu'ils aimeraient
changer leur situation de vie ; cependant, au cours des entretiens, voici
comment ils représentent leur situation et ces quelques corollaires dans
ce tableau ci-dessous:
Encadré 1.- Données sur la
perception et la représentation de l'enfant de la rue : LA
RUE
Cas I
|
« Lari a sove lavi m, li fè m jwenn machin pou m
siye, li fè m jwenn manje san pwoblèm...»
|
Cas II
|
»Menm lè mwen pa renmen l, men ladan l mwen santi m
lib anpil. Tout di m ap di m pa renmen l lan, se lè yon move bagay rive
m sèlman mwen rayi l wi, pou yon ti tan. Se kòm si lari a
fè w bilye tout pwoblèm, se tankou yon dwòg...»
|
Cas III
|
« Li gen yon leman ladan l k ap rale w [...] Li se yon
sous... »
|
Cas IV
|
« Lari a se li ki tout mwen, se ladan l mwen
dòmi, se ladan l mwen manje, ladan l mwen fè ti kòb mwen.
Menm lè m ta al yon lòt kote, m ap toujou kwè ladan
l ; lari a, pa gen manti ladan l menm... »
|
Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009
Dans cet encadré est relaté ce que la
rue représente pour nos sujets d'étude au Carrefour de
l'Aéroport et au Champ de Mars. Ces enfants définissent leur
attachement à ce milieu, leur sentiment d'appartenance du fait qu'il
constitue pour eux une source de revenus, un espace de survie et, aussi, il
leur offre un sentiment de liberté. Malgré que ces enfants disent
qu'ils souhaitent quitter ce milieu, la façon dont ils le
représentent, est très différente de ce qu'ils
émettent comme discours. À ce moment, nous remarquons une
incohérence de leur jugement due à des contradictions du milieu
qui peuvent provoquer une perte de repères chez ces derniers. Ce
comportement est possible chez tout individu opprimé et pour qui le
processus qui facilite son ancrage, soit dans des situations, soit dans un
milieu ou dans un système quelconque, est presque complet.
En outre, nous avons continué, au cours des
entretiens, à collecter les idées de nos sujets
d'étude ; question de savoir ce que l'Ecole représente pour
eux. En ces propres termes, dans l'encadré suivant, ils disent :
Encadré 2.- Données sur
la perception et la représentation de l'enfant de la rue :
L'ECOLE
Source : Enquête du Memorand, Mars 2009
A partir de cet encadré, nous avons
collecté les idées de l'enfant de la rue relatives à sa
perception à l'égard de l'école. Au Carrefour de
l'Aéroport et au Champ de Mars, l'enfant de la rue, soit 4/4,
perçoit l'école comme un espace de réussite qui peut lui
garantir la promotion sociale. A partir de là, l'enfant de la rue arrive
à comprendre que l'école lui réserve des
possibilités d'avoir une profession, d'être un citoyen, un
employé, un intellectuel et, en gros, de devenir en
société ce qu'il désire. A cela, nous avons vite compris
combien les idées, les représentations et la perception de
l'enfant de la rue sont imprégnées des clichés
véhiculés, partagés et acceptés par les hommes et
les femmes de la société à l'égard de
l'école. C'est ce qui fait qu'à son niveau, il la perçoit
dans une optique d'obtention et de conservation de statuts dans cette
société d'exploitation et de domination socioéconomique.
D'où, l'école en Haiti, telle qu'elle est conçue,
serait-elle capable en réalité de libérer l'enfant de la
rue de ses contraintes sociales et psychologiques qui font de lui un demi
être, un sous être ou un non être ?
Et, en dernier lieu, nos sujets d'étude ont
présenté leurs points de vue concernant les centres de
réhabilitation ou les centres d'accueil que les responsables ont mis
à leur disposition. A cet effet, ils affirment :
Encadré 3.- Données sur la
perception et la représentation de l'enfant de la rue : LES
CENTRES
Cas I
|
«Sant lan se tankou yon prizon pou timoun li ye, m pi
alèz nan kafou ayopò a ; m manje, m gen lajan. Ou pa
wè lè yo te vin deyè nou an nou te fè
zèl...»
|
Cas II
|
« Bon gen nèg ki te nan sant lan ki sove, pou m ta
ale mwen menm ? Nèg yo di nan sant lan ou dèyè yon
gwo mi, ou pa menm ka wè deyò [...] se kòb moun y ap
fè sou do nou pou gran mesi nan sant lan wi, pou tout ti bagay y ap
fè foto nou pou yo mete sou jounal...»
|
Cas III
|
«le yo ap bay manje m konn al nan sant yo, Don Bosco,
Caritas la. Avèk lè m bezwen al jwe (monte bekàn, monte
blèd, monte balansin) epitou lè lapli ap tonbe m konn ale tou.
Aprè sa m vin nan lari a se la m ka viv pi byen...»
|
Cas IV
|
«sant lan se yon bon bagay li ye, yo konn ba nou manje;
epitou ou ka aprann
ebenis, soudè ( soudure) ladan l. Men dakèy
(centre d'acceuil) pa bon menm, gen yon
grenn bòt k ap mache ladan l chak swa. Gen yon Machann
fresko ak yon machann
pistach ki se djab yo manje plizyè timoun, chak swa ou
tande vwa yo deyò a nan
lakou a lè yo vin touche nan men nou. si w sòti ou
tou la. Sak fè tou m pa pral nan
dakèy, le w goumen, moun yo mete w nan yon twalèt
se la pou w fè tout bagay ou:
manje, dòmi...»
|
Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009
Cet encadré nous présente les
idées de l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au
Champ de Mars sur les centres de réhabilitation. Pour l'enfant de la
rue, cet espace est davantage un lieu à éviter qu'à
intégrer par rapport aux nombres d'exigences qui tendent à
limiter sa liberté, telle qu'elle est dans la rue. Contrairement
à l'école, les centres de réhabilitation apparaissent
à l'enfant comme une instance servant à réduire son champ
en termes d'espace à investir, en termes d'actions à livrer et en
termes d'argent à gagner qui empêchent son expression de soi et
qui lui retirent du reste de la société. Alors, pendant que
l'école soit représentée par l'enfant de la rue comme un
espace qui peut favoriser la promotion et la réussite sociale,
professionnelle et économique ; les centres de
réhabilitation sont vus de l'autre côté comme un espace
d'exclusion sociale.
Donc, dans ce contexte, nous avons vite compris que
les possibilités sensorielles et les expériences de l'enfant de
la rue influent grandement sur sa perception de la réalité. En ce
sens, ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu et ce qu'il a vécu dans la rue
ont conduit son jugement au point qu'il puisse donner sens et signification
à cette réalité dans laquelle les situations qu'il vit au
quotidien s'imbriquent. De ce fait, nous avons vu ce que la rue,
l'école, les centres de réhabilitation représentent pour
nos sujets d'étude en utilisant leurs facultés propres pour
penser ce qu'ils perçoivent, se les représenter par
intériorisation afin de leur donner un contenu verbal qui n'est pas
dépendant de leur volonté, mais qui traduit l'empreinte de leurs
conditions sociales, politiques, économiques et culturelles par le
raisonnement et le langage. Alors, tout ce processus cognitif chez nos sujets
est un construit réel de la rue de ses nombreuses
expériences ; ce qui veut dire, en d'autres mots, que les racines
de l'apprentissage de l'enfant sont accrochées à ses conditions
de vie dans la rue. Autant que ses expériences se multiplient, autant il
peut de mieux en mieux se remémorer des situations vécues et les
raconter ; d'où ses capacités intellectuelles, à cet
effet, se développent et s'affermissent de plus en plus dans la rue.
2.2.3.- Quelle intelligence, pour quel
type d'enfants et pour quelles situations ?
Par rapport à tout
autre mineur de son âge, entre 10 et 12 ans, d'une famille donnée,
l'enfant de la rue diffère par ses capacités à
résoudre ses problèmes de chaque jour en mettant en branle son
mécanisme de survie qui lui permet de se défendre et de trouver
des moyens d'approvisionnement en temps et lieu. Ce mécanisme de survie,
constitué de réponses aux besoins réels ou au sentiment
de besoin de l'enfant de la rue, l'incite à répéter,
à améliorer les pratiques déjà existées ou
à créer d'autres manières, d'autres trucs du genre :
astuces, ruses, mimiques, gestes, etc. ; d'autres matériels et
d'autres techniques plus efficaces et productifs mettent en évidence ses
capacités intellectuelles dans le seul objectif de rester en vie.
Au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de
Mars, l'enfant de la rue entre 10 et 12 ans, fait preuve d'adaptabilité
quant à ses capacités à résoudre les
problèmes avec lesquels il est confronté dans ce milieu. Il
cherche intelligemment à manger, à boire, à multiplier ses
sous, à se déplacer en voiture, à se divertir et à
gérer ses conflits. De ce fait, il ne se laisse pas abattre sous le
poids de ses conditions d'existence ; au contraire, il cherche à
l'intérieur même de celles-ci tous les moyens, tous les objets et
tous les matériels qui sont à sa disposition (les poubelles,
l'eau des égouts, le morceau de tissus, etc.) et lui offrant ces maigres
possibilités de survivre s'il les manipule aisément et
convenablement. A cet effet, suivant notre enquête, nous sommes
arrivés à comprendre que les capacités intellectuelles de
l'enfant de la rue, en se référant à notre
échantillon, sont davantage motrices et gestuelles que
représentatives ou symboliques ; cela ne veut pas dire qu'il n'et
pas apte à produire des opérations mentales à quelque
niveau que ce soit, mais son activité motrice un peu dominante a mis en
évidence l'efficience et l'efficacité de son
intelligence83(*) pratique
et manipulatoire.
Alors, comment l'enfant de la rue arrive-t-il
à faire le pick pocket, communément appelé
« Dedwèt, koupe pòch » ?
Où a-t-il appris à fouiller les poches d'un cadavre sur le
chaussée ? Comment arrive-t-il à savoir que le type de
tissus dont il se sert pour essuyer les voitures doit être maculé
d'huile ou d'essence (Gaz) ? Qui a appris à l'enfant de la rue
toutes ces expressions faciales, tous ces intonations et gestes pitoyables
lorsqu'il est en train de mendier auprès des gens avec ces termes
suivants : « Manmi, Papi, Patwon lâge yon bagay nan
menm non tanpri. Depi m maten m poko pran anyen, m ap mouri wi. Li te
mèt yon (1) goud, li te mèt ti moso zo sa a. »? Et,
pour finir, où a-t-il appris à faire des sauts acrobatiques et
périlleux quand il veut monter ( Plake) ou descendre ( Deplake) une
voiture qui court à grande vitesse ? Alors pour mieux nous situer,
suivons cet extrait dans l'encadré ci-après
indiqué :
Encadré 4.- Données sur l'une
des techniques pratiques de l'enfant de la rue
Cas I
|
» Mwen vin konn deplake nan ta, m plede tonbe. Gende
lè nèg yo di w pou w lage kò w y ap kenbe w, epi yo kite w
tonbe pou yo ka tchip ( griyen dan) sou wou, lè sa se nan kafou avyasyon
m te ye. Kounye a m ka fè l byen»
|
Cas II
|
» Lè m te fèk vin nan lari a, m te wè
nèg yo ap deplake, yon jou m tal eseye fèl, epi
tout jenou, tout ponyèt mwen te dekale. Mwen te vin
pè fè l, men lè nèg yo ap
deplase yo toujou ale kite m e sa te toujou ban m pwoblèm.
Mwen eseye fè l anko
plizyè fwa, epi nan detwa jou m vin fò...»
|
Cas III
|
« Aa, deplake a fasil men li pa dous !
fòk moun nan pa pè pran zòk. Premye fwa
m te fè l se te pou chans, m pat tonbe non ; se te
nan kamyonèt yon moun te pouse
m anba, depi lè a mwen kontinye fè l san m pa
tonbe... »
|
Cas IV
|
» Mte konn deplake depi nan peyi m, m pran anpil so anvan m
vin fò. L ap difisil pou m ta montre yon moun fè l, paske se nan
lari a m te aprann fèl depi m te pi piti; fòk moun nan ta plede
eseye fè l toutan... »
|
Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009
A cet égard, nous pouvons comprendre que
l'enfant de le rue fait l'acquisition de ses conduites intelligentes sous
l'influence des exigences de ses besoins vitaux dans ce milieu
préfabriqué, qui est la rue, avec tout ce qu'elle comporte de
contraintes, d'expériences concentrées et de résignation.
C'est dans ce milieu que l'enfant a appris à réagir aux
stimulations multiples de son entourage dans la ligne des potentialités
inhérentes à son adaptation correcte. D'où, le
développement intellectuel de cette catégorie d'enfant est fait,
selon les données que nous avons recueillies, suivant plusieurs niveaux
d'apprentissage : les tâtonnements cumulatifs, l'exécution
des mouvements ayant produit des effets fortuits qui sont aussitôt
répétés pour produire les mêmes effets, la
combinaison de mouvements réellement effectués qui permettent
d'atteindre une fin, les exercices d'essais-erreurs, l'imitation, le
conditionnement et l'engagement.
2.3.- L'Evolution socio affective de l'enfant de
la rue.
En abordant cet aspect, nous nous
sommes plongés à plein et en profondeur dans le
phénomène du « grouping », l'une des
caractéristiques de la vie de l'enfant de la rue. En psychologie, pour
certains auteurs, ce phénomène a son tout début dans
l'enfance vers l'âge de 6-7ans84(*) et, pour d'autres, le grouping prend toute
son importance à l'adolescence où l'individu manifeste
naturellement, selon les auteurs, un désir intense, un sentiment profond
et un besoin d'appartenir à un groupe d'amis de son âge, de les
ressembler et de s'insérer dans un milieu à sa mesure pour
contrecarrer la stabilité, le conservatisme et la stagnation de la
famille85(*). À ce
moment, selon ces auteurs, le groupe parait se constituer en opposition
à la famille. Par contre, dans le cas de notre recherche sur l'enfant de
la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, nos observations
et nos entretiens nous permettent de comprendre la réalité du
grouping d'une autre manière. D'abord, dans la rue, à
tout âge, une fois que l'enfant y fasse partie, il vit automatiquement en
groupe ; il se regroupe sans s'en rendre compte, car ce milieu
préfabriqué exige ce mode de comportement grégaire de la
part de l'enfant. Au Carrefour de l'Aéroport, pour illustrer, nous avons
observé deux enfants entre 4 et 6 ans qui vivent déjà en
groupes et qui peuvent utiliser tous les codes du milieu. Ensuite, se regrouper
est loin d'être pour l'enfant de la rue un désir ou un sentiment,
c'est davantage une exigence due aux conditions de vie dans le milieu, à
savoir la rue qui puisse lui garantir la survie. Ces conditions, à
travers les pratiques quotidiennes, se trouvent liées à un
ensemble de contraintes qui prédéfinissent le regroupement chez
celui-ci ; par exemple : le milieu (sa rentabilité), les jeux,
le travail, le défense, le lieu de sommeil, etc. Enfin, nos observations
et nos entretiens nous permettent de comprendre que, dans la rue, le groupe ne
se constitue pas en opposition à la famille en réalité. Au
contraire, il s'érige en substitution à celle-ci, à cause
de la misère, des manques, de la maltraitance et des souffrances qui s'y
installent. L'enfant de la rue, sujet de notre échantillon, veut
s'échapper à ses conditions de misère extrême dans
sa famille, sans le désir préétabli de se révolter
ou de contrecarrer les règles familiales, il fuit la faim ou la
maltraitance en rejoignant les groupes de survie dans la rue, son dernier
recours. A cela, pendant notre enquête, deux (2) enfants de la rue sur
quatre (4) nous ont présenté leur situation de la manière
suivante :
Le premier a affirmé :
« Si m te lakay mwen,
lè konsa m te mouri grangou deja. Nan lari a mwen manje pi byen, epitou
m fè plis lajan pase manmanm m ak papa m... » (Cas
III)
Le second a dit :
« [...] M kite kay manmanm
aprè lè Aristid fin ale. Si m te rete lakay la toujou, manman m t
ap fin touye m ; jiskounye a si m tounen l ap touye m. Ou wè m pa
gen chwa.» (Cas II)
Donc, en référence à
ces deux cas, il est davantage question de survie, de lutte pour la vie que
d'un désir de révolte ou de rébellion face à la
famille ; à moins que, pour eux, ce désir se manifeste
à l'enfance.
En somme, le groupe constitue un rempart pour
l'enfant qui vit de la rue et en son sein, chacun se défend de sa propre
manière contre les aléas du milieu, selon le niveau de son
apprentissage, sans pour autant sortir du groupe. Toutes les acquisitions
motrices et intellectuelles de l'enfant de la rue, sa capacité à
supporter la frustration, ses rivalités, ses compétitions et ses
conflits, sont faites dans la rue et pratiquement dans la vie de groupe.
Celle-ci, dans son dynamisme, détermine le développement affectif
de ses membres en participant à la construction de leur identité
et en canalisant leurs affects, leurs émotions et leurs sentiments.
2.3.1.-
L'identité86(*) de l'enfant de la rue : objet de son
humanité
Dans ce milieu préfabriqué, l'enfant de
la rue se fait une identité à travers ses relations socialement
et économiquement déterminées, le conduisant à
être celui qu'il est censé être aujourd'hui et à
devenir demain celui qu'il a été contraint de devenir dans notre
société. Par rapport à tout cela, nous avons
remarqué que plus la conscience que l'enfant a de lui (son image, sa
représentation et son estime de soi) est péjorative ou
méliorative et plus elle est garnie d'événements que
celui-ci a vécus dans ce dit milieu, plus il se dresse une
identité qui facilite son positionnement et qui le renforce davantage
dans sa vie de rue.
A cet effet, les sujets de cette étude nous
ont raconté leur vie, au cours des entretiens, et nous ont permis de
collecter les termes récurrents ayant rapport à ces facteurs
susmentionnés, ce qui constitue la trame de son identité.
D'abord, au niveau de l'image de soi qui se
réfère à l'ensemble des idées que l'enfant de la
rue a sur lui-même et qui lui donne un certain niveau de connaissance de
soi, nos sujets d'étude se présentent eux-mêmes au cours
des entretiens de la manière suivante :
Encadré 5.- Données sur la
conscience de soi de l'enfant de la rue : IMAGE DE
SOI
Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009
A partir de cet encadré, nous avons
remarqué que l'image que nos sujets d'étude, soit 4/4, viennent
de se présenter se rapporte à leurs conditions de vie dans la
rue ; plus précisément à leur groupe d'appartenance
ou à leur catégorie sociale (ce qu'il est), à leurs
activités (ce qu'il fait) et à l'état de leur corps
(comment il est). Etant celui qui est sale et pieds nus, qui travaille, qui
mendie, qui dort et vit de la rue, l'enfant se fixe avec précision une
image de soi et, d'ailleurs, dans un ordre assez conforme à leur
réalité de vie. Cette construction progressive de leur image de
soi dans la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, est due
non seulement à la vision directe que l'enfant a de lui-même, mais
aussi à l'image d'autrui, en regardant les autres pairs et, le plus
important, à ce que les autres pensent disent et font de lui dans la
rue.
Ensuite, au niveau de la présentation de soi
et de l'estime de soi traduisant respectivement comment l'enfant de la rue
est-il perçu par les autres, les informations qu'il a de la façon
dont il est représenté ? Et comment réagit-il par
rapport à ces informations ? Nous allons, dans ces encadrés
ci-après indiqués, afficher les données
correspondantes.
Encadré 6.- Données sur la
conscience de soi de l'enfant de la rue : PRESENTATION DE
SOI
Cas I
|
« Gen nan moun yo ki konn sèvi byen avè nou,
men yo tout panse mal de nou. Tout
tan y ap di m ti san manman, ou kite lakay paran pou w vin pase
mizè nan lari a, yo
konn rele sou mwen , yo konn ap di m vòlè
toutan...» « Nan ZAKAT la, gwo nèg
yo konn ban m ti respè m paske m vivan anpil, men gen
delè yo konn toupizi m tou.
Nèg pòy mwen yo respekte m, yo konn se yon danje m
ye. Nou konn ap fè tchip (ranse), men yo pa janm rive sou mwen pou
dyèl...»
|
Cas II
|
« Moun nan lari yo panse mal anpil de mwen. Se toutan yo
ap di m kokorat, ti vòlè ;
yo konn voye krache sou mwen...» « Nan ZAKAT la,
nèg yo rele m Ti Joel paske m
renmen netwaye fatra kote nou dòmi an, yo pran m pou yon
ti egare; men lè gen
televizyon, yo toujou bezwen m pou m eksplike ki jan fim yo pra l
fini. Gwo nèg yo
menm, yo konn fè m anpil abi...»
|
Cas III
|
« Yo rele m Kokorat, Grapyay, yo konn di m gwo betiz.
Paske yo konnen m se
timoun nan lari, yo toujou ap pote boure pou yo vin fè m
abi; ke l te polis, nenpòt
moun nan...»
|
Cas IV
|
« Gen anpil moun ki pa pran m pou anyen, yo wè nou
tout la ki nan lari a mal. Tout
tan y ap joure manman m, di m vòlè. Te gen yon
patnè nan machin li ki te kenbe menm
epi li ap trennen m pandan machin nan t ap kouri, tout do pye m
te dekale jou sa ;
moun yo mechan anpil wi deyò a...
|
Encadré 7.- Données sur la
conscience de soi de l'enfant de la rue : ESTIME DE
SOI
Source : Enquête du
Mémorand, Mars 2009
A partir de ces deux (2) encadrés, nous sommes
arrivés à comprendre la limite jusqu'à laquelle l'enfant
de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, sujet de notre
échantillon, est affecté par ce que les autres pensent, disent et
font de lui. Des situations comme le mépris, l'humiliation, le rejet, la
maltraitance, l'abus, la désapprobation, les injures, etc. produisent un
sentiment de honte permanent, accepté comme normal qui peut engendrer
une baisse de l'estime de soi chez l'enfant de la rue. Tout ceci a une grande
valeur socio affective et vise à influencer la conscience de soi de
cette catégorie d'enfant en prenant conscience de son corps dans un
ensemble de relations sociales par l'attention qu'il porte à celui qu'il
est et à ce que les autres pensent, disent et font de lui.
Les résultats de la confrontation de ces deux
niveaux d'attention débouchent sur une contradiction fondamentale dans
la construction de l'identité de l'enfant de la rue, entre celui qu'il
est, le sentiment de rester le même et le besoin de vivre autrement.
D'où, sous l'influence de ses conditions de vie dans la rue, la
conscience de soi de cette catégorie d'enfant est loin d'aboutir
à une acceptation de soi proprement dite qui, au cours de
l'identisation, peut favoriser des efforts de dépassement de la
situation dans laquelle il vit. Au contraire, cette forme de conscience de soi
construite à l'aide d'éléments favorables et
défavorables du milieu et de ses expériences quotidiennes
contribue à un processus complexe de résignation qui l'accroche
de plus en plus à son style de vie.
2.3.2.- L'enfant de la rue : entre
ses émotions et son émotivité
Les enfants de la rue, pareils à tout autre
individu, éprouvent aussi des émotions au rythme de leur
développement psychosocial et selon les situations dans lesquelles ils
se trouvent. A cet effet, leurs réactions émotionnelles sont
facilement décelables, ainsi que les situations qui les provoquent. Dans
la vie de groupe, nous avons observé chez l'enfant de la rue un certain
nombre d'émotions fondamentales comme la joie, la tristesse, la
colère, la surprise, etc. qui se débordent en temps et lieu
pendant la période de notre recherche.
L'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport
et au Champ de Mars répond facilement et de manière
immédiate aux diverses sensations de son entourage. Etant assaillie par
toutes sortes de situations à caractère pénible,
douloureux et frustrant, cette catégorie d'enfants fait
l'expérience de la joie et du plaisir en les observant en train de
réaliser leurs jeux : le poker, les taquineries,
etc. Cependant, à cause de l'hostilité de leur environnement
et de la rudesse de leurs relations, leurs réactions
émotionnelles dites négatives comme le tristesse, la
colère et la frustration sont davantage plus fréquentes chez eux
et, somme toute, débouchent sur des habitudes émotionnelles ayant
rapport à leur tendance agressive : leur colère manifeste,
leur hardiesse, leur dureté, et à leur intrépidité
qui donne l'impression à tout observateur que l'enfant qui vit de la rue
n'a peur de rien et qu'il n'a pas de sentiment. A ce sujet, nous ajoutons que,
certainement, l'enfant de la rue, sous l'influence de ses conditions de vie de
chaque jour, construit des habitudes émotionnelles caractérisant
sa bravade, son aplomb et son cran, lui facilitant tous ces exploits et toutes
ces aventures dans la rue comme par exemple fouiller les poches d'un cadavre
vers les 9h30 et 10h du soir à l'entrée de Delmas 1787(*). Mais, cela ne veut aucunement
dire que toute frayeur et tout sentiment chez l'enfant de la rue sont
éteints ; à notre avis, le poids des conditions sociales et
économiques a altéré ses situations de vie quotidienne en
le contraignant à s'exprimer émotionnellement dans cette
lignée, à chaque fois qu'il y a gratification, facilitation et
sollicitation. De là, nous arrivons à comprendre que la peur chez
ce dernier n'est pas éteinte et, encore moins, ses sentiments ; ils
sont hypertrophiés sous l'emprise des contradictions inhérentes
à son milieu de vie.
3- La personnalité de
l'enfant de la rue : un puzzle qui se construit pièces par
pièces._
Dans les pages antérieurs,
divers aspects du développement global de l'enfant de la rue ont
été étudiés dans le souci de comprendre l'existence
de celui-ci et, aussi, de comprendre son agir quotidien dans son milieu propre
de vie. Ce faisant, les aspects d'ordre sensori-moteur, d'ordre intellectuel et
d'ordre socioaffectif ont été précisément
abordés comme étant les expressions profondes, exclusives et
permanentes de la personnalité de l'enfant qui vit de la rue au
Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars. Ses capacités
sensori-motrices, ses performances intellectuelles et son évolution
socio affective sont développées dans et par les
expériences que l'enfant a vécues et, à quelque niveau que
ce soit, elles sont canalisées par les modalités de son milieu de
vie, plus précisément, par les contraintes, les exigences et les
contradictions qui sont inhérentes à ce mode de vie particulier.
A notre avis, ces différents aspects ne sont pas des
éléments isolés que l'on tente de regrouper à
partir d'une sériation quelconque pour produire un certain
résultat. Ceci étant dit, bien au contraire, ces aspects
s'imbriquent, s'entremêlent ou s'entrelacent dans des rapports
dialectiques incessants lors de l'effectuation d'un acte de la part de
quelqu'un qui vise un but concret (la survie) sous la pression des conditions
matérielles de l'environnement (la rue et ses avatars) en utilisant ou
en créant des moyens lui permettant d'atteindre cette fin pour produire
un résultat pour l'individu et pour la société.
Graphique 8.- Processus présentant
L'effectuation d'un acte d'un individu ou de l'enfant de la rue
Chez l'enfant de la rue, ces facteurs que nous avons
étudiés entre autres définissent l'ensemble des
éléments qui, dans leurs rapports dynamiques, constituent
l'expression de la personnalité de celui-ci, passant par l'exercice de
ses capacités dans le travail qu'il réalise quotidiennement pour
construire ses banques d'expériences d'enfant de la rue ou pour
construire sa biographie. A ce propos, Lucien Sève affirme :
« Connaître concrètement la
personnalité (de l'individu), c'est d'abord connaître l'ensemble
des actes qui composent sa biographie [...] Tout acte est (...) un aspect de sa
biographie, une expression de soi. Et, aussi, c'est l'acte d'un mode social
déterminé, un aspect des rapports sociaux, une expression des
conditions historiques. »88(*)
Sur ce point, la personnalité de l'enfant au
Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars, sujet de notre
échantillon, est formée dans la rue. Tous les
éléments que nous venons d'étudier dans les pages
précédentes qui caractérisent cette personnalité
font partie intégrante de l'existence de celui-ci, plus
précisément de son existence matérielle, en subissant les
retombées des inégalités sociales et économiques de
la société. Lesquelles inégalités amènent
l'enfant de la rue à des conditions sociales qui canalisent ses
conduites et, du même coup, compromettent indirectement son
développement psychosocial à partir des contradictions entre son
âge chronologique, son statut idéal et son statut réel.
D'où, l'enfant de la rue, aux prises à des actions, à des
interactions et à des transactions matériellement
déterminantes et déterminées, se forme une
personnalité de survie89(*) qui imprègne les dynamiques de son milieu de
vie et, d'une manière générale, les
inégalités socioéconomiques qui caractérisent la
société dans laquelle il vit. C'est cette même forme de
personnalité qui facilite son adaptation à ce mode de vie et qui
définit son ancrage permanent à ces conditions
4.- L'enfant de la rue survit, et sa
personnalité s'endurcit
Les conditions matérielles de la rue ne
permettent pas à cette catégorie d'enfants de vivre, dans le vrai
sens du terme. Selon des discours divers, les enfants de la rue, dans leurs
pratiques, se battent pour la vie, ils vivotent, ils survivent, etc. ;
à travers leurs activités, ils réclament le droit à
la vie en disant symboliquement chaque jour : « Mwen vle
viv ». Privés d'un ensemble de privilèges
fondamentaux, les enfants de la rue survivent dans des conditions qui les
positionnent, qui les caractérisent, qui définissent leur
évolution sociohistorique et qui, en dernier ressort, confinent leurs
activités à des tentatives incessantes de satisfaction de besoins
personnels qui ne peuvent pas être accomplis matériellement. Dans
ses activités, l'enfant de la rue déploie toutes ses forces qui,
pour le meilleur et/ou pour le pire, sont déterminées et
limitées par ses conditions d'existence qui sont le facteur
matériel déterminant de son développement socioaffectif,
intellectuel et sensorimoteur, éléments exclusifs de sa
personnalité de survie.
L'enfant de la rue, dans ses situations de
misère, se forme une personnalité de survie qui le facilite
à adopter des comportements dans le sens de produire sa vie
matérielle de chaque jour. Les activités qu'il réalise et
les conditions dans lesquelles il les réalise endurcissent sa
personnalité dans la lignée de la survie en faisant de lui
quelqu'un qui subsiste entre la vie biologique et la mort psychosociale,
politique, culturelle et juridique. Eu égard à cette polarisation
dialectique qui apparaît dans ses conditions matérielles
d'existence sous formes de contradictions, l'enfant de la rue devient un
candidat potentiel qui se bat jour et nuit pour se faire une place dans cette
société de classe où les inégalités et la
domination emprisonnent son développement physico mental aux murs de ses
pratiques routiniers pour s'assurer la survie. Alors, dans ce contexte,
l'idée de se faire une place est d'une extrême
difficulté ; à notre avis, elle est pour l'enfant de la rue
plus une illusion qu'une réalité.
En résumé, la personnalité de
l'enfant de la rue s'exprime concrètement à travers l'exercice
des capacités de celui-ci dans ses activités de chaque jour. Les
nourritures auxquelles il a accès, les endroits dans lesquels il dort,
les travaux et les jeux qu'il réalise, le groupe auquel il est appartenu
et, somme toute, les rapports sociaux dans lesquels il est impliqué
arrivent jusqu'à atteindre son développement
intégral : son corps, ses sensations, sa perception, ses
émotions, sa conscience de soi, ses représentations, son
intelligence, etc. Ne laissant pas d'autres choix à l'enfant de la rue,
ces situations concrètes, telles qu'elles sont, étouffent l'essor
psychosocial, économique et culturel normal de celui-ci et
développent les actions de ce dernier au compte de la satisfaction de
ses besoins vitaux dans des conditions infrahumaines qui définissent sa
vie. De telles conditions provoquent des tas de situations, de moments et
d'événements dans lesquels est impliqué l'enfant de la rue
et qui constituent sa biographie et, par imprégnation, construisent
finalement sa personnalité comme le produit psychosocial et historique
de ses conditions matérielles d'existence. En tant qu'un individu qui
vit dans la misère, par la misère et pour la misère,
l'enfant de la rue à Port-au-Prince se forme une personnalité en
s'appropriant des éléments matériels de son milieu de vie,
les valeurs, les codes langagiers, les pratiques socioéconomiques,
rémunérées ou non, qui lui garantissent les
capacités réelles de se défendre contre la mort biologique
et pour la reconnaissance sociale. Telle est la personnalité de l'enfant
de la rue au Carrefour de l'Aéroport et au cham de Mars.
CHAPITRE IX : L'ENFANT DE LA RUE, UN AGENT DE
REPRODUCTION SOCIALE
1- Entre ses conditions et sa
personnalité, l'enfant de la rue reproduit constamment...
L'environnement dans lequel l'enfant
de la rue est impliqué délimite préalablement les actions
de celui-ci suivant des conditions matérielles qui, dans la structure
globale de la société, doivent lui garantir la survie. Pour une
telle survie, l'enfant développe des rapports sociaux fondamentaux, tels
que ses rapports avec le milieu, les individus et avec d'autres artefacts de la
société qui font le lien entre ses activités
socioéconomiques et la satisfaction de ses besoins de chaque jour.
À dire vrai, ces rapports ne sont pas en dehors des conditions
matérielles déterminées et déterminantes dont le
contenu fait répercussion dans le milieu de vie de l'enfant de la
rue ; au contraire, ils prennent corps et se renforcent à
l'intérieur même de ses conditions pendant qu'ils orientent,
canalisent les attitudes et les comportements de l'enfant de la rue dans la
logique de la conservation de sa vie. Alors, comment celui- ci arrive-t-il
à conserver sa vie ?
Au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de
Mars, notre recherche nous permet de comprendre que l'enfant de la rue, sujet
de notre échantillon, fait la conservation de sa vie à travers
ses pratiques et ses activités quotidiennes. Dans de telles
activités, il utilise, comme le dit Marx, sa capacité de travail
pour la satisfaction de ses besoins et, constamment, il la reproduit puisque la
nécessité de survie l'exige suivant ce qui est ou ce qui a
été établi dans la conscience de ce dernier lors de la
formation de sa personnalité. Selon Lucien SEVE90(*), voici le schéma qui
correspond à cette forme de reproduction :
Graphique 9.- Cycle
présentant la relation : Activités et Satisfaction de
Besoins
Besoins
Activités
A cet effet, dans le cas de notre recherche, nous
avons aussi utilisé ce même schéma tout en essayant de le
remanier pour expliquer l'idée de la conservation de vie des enfants de
la rue au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars ; ceci
étant dit, le schéma devient :
Graphique 10.- Schéma
présentant la force de travail comme base de la spirale
Donc, selon le schéma, si la capacité
de travail de l'enfant de la rue s'insère dans cette spirale, ce n'est
pas étonnant que son développement intégral soit
limité, aboutissant à un type d'individu dont la conscience,
l'intelligence, les conduites affectives ne lui permettent pas de
dépasser ses conditions matérielles d'existence, mais de les
reproduire. C'est ce qui fait que, dans l'Idéologie allemande, Marx et
Engels, ont mentionné :
« Si les
circonstances où cet individu évolue ne lui permettent que le
développement unilatéral d'une qualité aux dépens
des autres, si elles ne lui fournissent que les éléments
matériels et le temps propices au développement de cette seule
qualité, cet individu ne parviendra qu'à un développement
unilatéral et mutilé. »91(*)
A ce propos, il nous est revenu de comprendre que les
conditions et les circonstances dans lesquelles l'enfant vit quotidiennement au
Champ de Mars et au Carrefour de l'Aéroport déterminent un
niveau, un type et un rythme de développement physique, socio affectif
et intellectuel à ce dernier qui soit caractéristique de son
travail, de ses pratiques et de ses activités dans le but de produire sa
vie par la consommation et la satisfaction de ses besoins.
1.1.- L'enfant de la rue crée sa
journée et, en retour, elle définit son histoire
Dans la rue, l'enfant qui vit au
Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars est présent du matin
au soir et se manifeste en tant que tel à travers ses modes de
production de vie, notamment ses activités matérielles et/ou ses
rapports socioéconomiques comme la mendicité, l'essuyage de
voitures, le vol, les jeux de toutes sortes, etc. qu'il réalise à
longueur de journée.
De notre échantillon, les cas que nous avons
étudiés ont démontré que nos sujets d'étude
ont quasiment la même cadence, tenant compte des activités qu'ils
ont réalisées au cours d'une journée. A partir de ce
tableau ci-après indiqué, nous allons présenter la
récurrence de leurs activités de chaque jour :
Tableau 3.- Données sur
l'organisation de la journée de l'enfant de la rue
Items
|
Cas I
|
Cas II
|
Cas III
|
Cas IV
|
Se brosser les dents chaque matin
|
Rarement
|
Toujours
|
Jamais
|
Jamais
|
Se laver le visage et le corps
|
Rarement
|
Souvent
|
Souvent
|
Souvent
|
Se nourrir chaque matin
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Travailler
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Se divertir
|
Rarement
|
Toujours
|
Rarement
|
Souvent
|
Fréquenter des Centres
|
Jamais
|
Jamais
|
Souvent
|
Souvent
|
Se nourrir entre 12h et 4h
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Se nourrir chaque soir
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Toujours
|
Regarder la télévision
|
Rarement
|
Souvent
|
Rarement
|
Souvent
|
Prendre un bain avant de dormir
|
Jamais
|
Jamais
|
Jamais
|
Jamais
|
Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009
Dans ce tableau est affiché l'ensemble des
items qui définissent les activités de chaque jour de l'enfant de
la rue de manière régulière au Carrefour de
l'Aéroport et au Champ de Mars. De ce fait, la récurrence de ces
activités chez chacun de nos sujets (Cas I, II, III, IV) nous permet de
déterminer les conditions dans lesquelles l'enfant de la rue crée
son quotidien qui, par répétition, le conduit à un mode de
reproduction de vie déterminé par ces conditions et qui, bien
sûr, participe au renforcement de ces mêmes conditions chaque fois
que l'enfant de la rue produit un travail et/ou consomme les
résultats de ce travail pour la satisfaction de ses besoins.
En fait, la satisfaction des besoins réels de
l'enfant de la rue dans laquelle s'entremêlent « Production
et Consommation »92(*) ne débouche pas nécessairement, pour sa
réalisation, sur la reproduction du capital au premier chef. L'enfant de
la rue, un individu qui mène forcément des activités
rémunérées, reproduit sa capacité de travail pour
satisfaire ses besoins immédiats de chaque jour, l'essence de sa survie,
tout en formant de manière continuelle et continuée sa
personnalité et en renouvelant ses conditions matérielles
d'existence. Donc, si l'enfant gagne Trois cent cinquante (300) gourdes par
jour, voici comment il en fait généralement la consommation selon
les résultats consignés dans ce tableau:
Tableau 4.- Données sur les
dépenses quotidiennes93(*) de l'enfant de la rue
Café
|
Pain
|
Pâtés
|
Aleken matin
|
Aleken midi
|
Barbecue
|
Spaghetti
|
Total 1
|
10 Gdes
|
10 Gdes
|
15 Gdes
|
20 Gdes
|
***********
|
75 Gdes
|
50 Gdes
|
180
|
Saucisses
|
Jus
|
Clairin
|
Cigarettes
|
Eau
|
« Bega »
|
Marijuana
|
Total 2
|
10 Gdes
|
25 Gdes
|
10 Gdes
|
3 Gdes
|
1 Gde
|
10 Gdes
|
25 Gdes
|
84
|
Total final
|
264
|
Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009
Et c'est ainsi que l'enfant de la rue fait ses
dépenses journalières. Tout cela, c'est pour insinuer que le
travail ou les activités que celui-ci réalise quotidiennement,
produisant du numéraire, représentent l'élément
matériel fondamental qui lui permet de produire sa vie matérielle
par la consommation de ses gains journaliers, fruits de sa capacité de
travail. Ces gains ou ces revenus journaliers, une fois consommés pour
la satisfaction de ses besoins, l'enfant de la rue est conduit constamment
à reproduire sa capacité de travail dans cette même
lignée, du Lundi au Dimanche et de Janvier à Décembre pour
s'assurer la survie. Une telle nécessité de survie n'exige pas
nécessairement à l'enfant de la rue d'intégrer des
structures de domination et d'exploitation à partir desquelles des
relations de production se sont déclenchées en tant que
manières de garantir l'accumulation du capital d'un patron ou d'une
institution. Au contraire, elle provoque chez ce dernier des comportements
d'autodestruction ou d'auto-dénigrement sur tous les plans :
social, économique, psychologique, politique et culturel qui sont
liés de loin à des relations de domination entre classes,
certes ; mais qui sont davantage les résultats d'une exploitation
de soi par soi dan le système de production sociale et
économique. Si nous nous référons aux réflexions de
l'auteur Jn Anil Louis-Juste dans un article « la question de la
personnalité chez le paysan haïtien » nous ajoutons
pour finir que cette une sorte d'auto exploitation.94(*)
1.2.- Et si, en réalité, les
aspirations de l'enfant de la rue étaient comptées...
L'histoire de vie de l'enfant de la rue, entre
perplexité et confusion, nous a conduit aux contradictions
inhérentes à ce mode de vie particulier et, en même temps,
elle défile implicitement sous nos yeux le devenir de cette
catégorie d'enfants dans la société haïtienne.
D'où émergent les questions : Qui ou qu'est-ce que l'enfant
de la rue devient ? Quelles sont les attentes de la société
à son égard ? Qui ou qu'est-ce qu'il espère ou
rêve de devenir ? Et qui ou qu'est-ce qu'il devient en
réalité ?
Par rapport à toutes ces questions, nous avons
vite compris que l'enfant de la rue, en luttant pour la survie, lutte en
même temps pour se faire une place dans la société. De
1986, 1996, 2006 à nos jours, l'enfant de la rue existe, s'affiche, est
et vit dans la rue. Il fait partie de la société, il est un
élément de la structure sociale et, par dessous tout, nous le
représentons clairement dans notre conscience, soit à partir des
activités qu'il réalise à longueur de journée, soit
à partir des services que nous lui offrons chaque jour, soit à
partir des abus que nous lui faisons subir ; nous le représentons
en tant que tel. Cependant, à chaque fois qu'il nous soit arrivé
de parler de son futur, nous prenons toujours les devants pour dire qu'il n'y a
pas d'espoir. Ce qui fait que dans la société, pour la grande
majorité de la population, nous attendons à ce qu'il devienne des
voleurs, des criminels et à ce qu'il reste des Grapyay, Kokorat, Se
lavi, etc. pour le reste de sa vie ; car, en toute évidence, c'est
cette place que nous lui réservons dans la société.
En fait, quoique le devenir de l'enfant de la rue
soit fortement déterminé, cela n'empêche pas qu'il a des
aspirations ou qu'il rêve d'une autre vie qui soit meilleure et qui
dépasse amplement ce que la société a fait de lui. A cela,
pendant la période de l'enquête, les sujets de notre
échantillon nous ont permis de comprendre les quelques aspirations
possibles :
Encadré8.-
Données sur les aspirations de l'enfant de la rue
Source : Enquête du Mémorand, Mars 2009
Alors, étant enfant de la rue qui vit dans un
milieu où les conditions prédéfinies,
déterminées et contraignantes ne lui offrent que la
possibilité de développer une seule qualité, celle de
satisfaire les mêmes catégories de besoins et de maintenir chaque
jour les mêmes types de relations sociales, comment arrivera-t-il
à rendre effectives et à matérialiser ces
aspirations ? De plus, ces conditions d'existence peuvent-elles le
conduire à ce port ? Devenir95(*) président, Ingénieur, etc. ne se
réfère pas totalement aux héritages96(*) sociaux, culturels, politiques
et économiques de l'enfant de la rue ; les conditions
matérielles d'existence dont l'enfant de la rue a héritées
de sa famille, de son milieu de vie, de ses aînés ( la
génération d'avant) et de sa classe sociale et , en outre, celles
qui lui sont imposées et qu'il finit par accepter en les reproduisant
encore et encore depuis 1986 jusqu'à présent n'ont presque aucun
rapport à ces positions sociales, économiques et
professionnelles. Au contraire, selon les résultats de nos observations
et de nos entretiens, de 1986 à nos jour, les positions sociales,
économiques et professionnelles que l'enfant de la rue a toujours
atteintes et qu'il continue à les reproduire de génération
en génération par rapport à ce qu'il a vu, entendu,
appris, réalisé, et acquis et qui s'est maintenu de
manière durable dans sa personnalité sous forme de dispositions
permanentes sont totalement différentes. Etant celui qui ne
possède aucune des forces productives du système de production
socioéconomique en vigueur et, aussi, n'étant pas capable de
jouir du capital suffisant, les positions de l'enfant de la rue au cours des
vingt (20) dernières années peuvent se présenter de cette
manière :
Graphique 10.- Présentation
du niveau socioprofessionnelle de l'enfant pendant deux (2)
décennies
Enfant de la rue
Monsieur de la rue
1986- 1996- 2009
2009
Essuie de voitures
Lavage des voitures
Mendiants
Gérants des places publiques
Faiseurs de poubelles
Voleurs, tueurs, etc.
Porte-faix
Homme de peine (Bèf
chèn)
Laveurs de vaisselles
Activistes, partisans politiques
Voleurs
Associés des prostituées
Eclaireurs
Chauffeurs de Tap-tap
Passeurs
Marchands de marijuana
Rançonneurs
Chauffeurs de motocyclette
Rappeurs, Musiciens des Rara
Fè resèt nan men
machann yo
Donc, la liste de la partie droite se
réfère aux activités ou aux positions qui sont
généralement accessibles à l'enfant de la rue en devenant
adulte et à partir desquelles il continue pour vivre. A ce moment, il
devient un véritable «Nèg lari »97(*) à l'entendre parler le
plus souvent dans ses moments de colère ou de prouesses. Un tel
«Nèg lari » qui a longtemps survécu,
arrive enfin à se faire une place dans la société ;
une place pour laquelle il s'est constamment battu, qui lui a garanti la survie
et qui a permis directement ou indirectement à d'autres personnes ou
à d'autres groupes formels ou non formels, organisés ou non
organisés, de survivre. Et enfin, pour cette place, le dit
« Nèg lari » s'implique davantage dans les
conditions qui lui ont garanti la vie, qui le personnalisent, qui le
construisent, le déconstruisent et le reconstruisent à chaque
instant au cours de son histoire.
2- Au delà de la confusion :
Entre la promotion, la mobilité sociale et le dépassement de
l'enfant de la rue.
L'enfant de la rue qui vient siéger à
Port-au-Prince pour se loger, se nourrir, se divertir et, en gros, pour gagner
sa vie, provient de différents endroits du pays. Il est
généralement fils de paysans, l'un des groupes du
« prolétariat » haïtien qui subit le poids de
l'exploitation économique de la classe dominante dès la
construction de notre société et à cause de laquelle il
souffre de tous les manques qui l'empêchent de satisfaire ses besoins
réels, de se réaliser ou de se manifester pleinement et
librement. Etant dominé (e), le paysan ou la paysanne privé(e) de
ressources, n'ayant ni biens, ni capitaux, ni forces productives et n'ayant que
sa capacité de travail physique et psychique, espère que son fils
ou sa fille se fasse un nom en société en devenant quelqu'un ou
quelque chose. Pour ce faire, généralement, le fils du paysan le
plus privilégié rentre dans la capitale, continue ses
études, est admis à l'Université et fait une
carrière professionnelle en devenant ouvrier, employé,
professeur, directeur de banques, homme d'Etat, etc. s'efforce par ses
capacités et ses compétences d'être promu, de percevoir un
salaire dix (10), vingt (20), cent (100), mille (1000) fois plus grand que ses
parents, de passer de position en position, d'investir d'autres rapports de
production qui sont, en somme, d'autres formes de relations sociales et
économiques qui sont, autant que ces prédécesseurs, autant
que ces parents, déterminées par les conditions
matérielles de la structure et de la formation socioéconomique
dominante et déterminante de vie. Alors, qu'en est-il de l'enfant de la
rue ?
L'enfant de la rue, également fils de paysan,
mais non privilégié, rentre à Port-au-Prince et
mène une toute autre vie ; comme l'on dit, une vie de
« San manman », de
« Selavi », de
« Kokorat », de
« Rat » et de
« Grapyay ». En luttant de toute sa force pour
subsister et pour se faire une place. L'enfant de la rue finit par s'adapter
à son milieu et à ses conditions d'existence. Autant que celui-ci
veut rester en vie, autant il s'enracine dans ce mode de vie particulier. Ce
qui fait qu'au cours de nos entretiens, l'un de nos experts, en l'occurrence la
psychologue Danielle St Paul a affirmé que certaines fois des
institutions publiques ou privées, des ONG et des particuliers donnent
assistance, aide et support à l'enfant de la rue en lui offrant
logement, éducation, nourriture, etc. et au bout de quelques temps, soit
qu' il s'évade ou il prenne la fuite, soit qu'il raconte des histoires
du genre : je dois aller en provinces... ma mère est malade... mon
père est mort, etc. dans le but de regagner sa place dans la rue.
D'où sort ce comportement d'évitement de l'enfant de la
rue ? A ce propos, elle a ajouté que la
réccupérabilité de l'enfant de la rue n'est pas chose
facile, elle prend en compte deux (2) facteurs importants et fondamentaux qui
sont d'abord de l'ordre biologico-chronologique ayant rapport à
l'âge de l'enfant de la rue et le nombre de temps qu'il a passé
dans la rue ; ensuite, qui sont de l'ordre
événementiel qui traduit le nombre
d'événements significatifs positifs, négatifs,
délétères ou non dans ce dit milieu dont il porte
l'empreinte98(*) dans son
physique et dans son psychique. Par rapport à tout cela, nous avons
compris clairement que le rapport histoire- conditions d'existence est de toute
évidence fort important dans l'étude de la formation de la
personnalité de l'enfant de la rue. Cependant, cette catégorie
d'enfants, selon nos experts Jean Robert Chéry et Danielle St Paul,
n'écarte pas toute possibilité de mobilité ou de promotion
sociale. Selon eux, au cours des vingt (20) dernières années,
nous avons connu des cas d'enfants de la rue, quoique minimes, qui s'en sont
bien tirés en devenant professeurs, techniciens, employés dans
des institutions privées, étudiants en France et au Canada, etc.
Alors, cinq (5), dix (10), quinze (15), vingt (20) enfants de la rue ont gravi
de nouveaux échelons socioéconomiques et professionnels, qu'est
ce que cela a bien changé ? Dans ce cas, où en est-on avec
le phénomène dans la société ?
En dépit de tous les efforts consentis par les
institutions publiques ou privées, les ONG et les particuliers, le
phénomène se perpétue, se renforce et s'amplifie de jour
en jour. L'enfant de la rue à Port-au-Prince devient de pus en plus
proche de la population. Arrivé à ce stade, nous avons compris
que rien n'a réellement changé malgré la promotion et
mobilité individuelle dont jouit l'enfant de la rue. En devenant
professionnel, en percevant un salaire assez élevé, il se peut
bien qu'il ne dépasse pas les conditions matérielles limites
liées à sa classe. Mais, en produisant du capital et de la plus
value, il ne fait qu'agrandir la chaîne des exploités et des
dominés du prolétariat et du lupemprolétariat au profit de
la classe dominante, sans avoir la conscience que ses actes aident à
reproduire le système et ceci n'a rien à voir à un
changement de vie social, économique et politique de la classe
défavorisée, encore moins de l'enfant de la rue. Donc c'est ce
qui permet de dire que la promotion ou la mobilité
socioéconomique n'implique pas automatiquement le dépassement.
Et, même s'il y aurait dépassement, un (1), dix (10), vingt (20)
individus promus et qui dépassent les conditions socioéconomiques
déterminantes de leur vie avec pleine conscience ne signifieraient pas
grand-chose, car ce qui devrait être collectif et massif est individuel
et isolé. D'où, l'idée de Marx reformulée par
François Bourricaud prend tout son sens :
« Les agents peuvent
modifier leurs comportements dans le temps mais ces modifications
microsociologiques ne produisent pas de changements au niveau macrosociologique
[...] il suffit pour q'un système se reproduise qu'aucun des acteurs ne
soit incité à agir en vue de sa
transformation. »99(*)
Et aussi, pour finir, Jean Robert
Chéry a bien compris et nous a bien précisé au cours de
l'entretien quand il a dit :
« L'enfant de la rue
est un acteur social, sorti d'une classe sociale et d'une famille à
l'intérieur d'une société. Il vit les conditions sociales
qui sont liées à sa classe, son statut rentre dans l'organisation
sociale même du pays [...] tant que la classe défavorisée
ne change, la situation de l'enfant de la rue ne
changera. »100(*)
Et nous ajoutons à cela, tant que la
structure de la société ne change pas pour pallier tous les
manques, tous les problèmes et pour répondre à tous les
besoins de la population dans la capitale et dans nos provinces, nous ferons
face à longueur de journée à ces
épiphénomènes qui feront nos malheurs, les malheurs de nos
petits enfants jusqu'à ce que nous ne puissions plus y
remédier.
CINQUIEME PARTIE :CONCLUSION ET
RECOMMANDATIONS
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
L'enfant de la rue, catégorie
de personnes vivant dans des conditions difficiles, agit dans le quotidien,
évolue dans le quotidien, se manifeste dans le quotidien par
l'intermédiaire de ses relations socioéconomiques et c'est ce
quotidien qu'il est appelé à reproduire au cours de son histoire.
Dans notre société, l'enfant de la rue est meurtri par les
intempéries, les privations, les maladies, la précarité,
la violence et l'indifférence ; il est exposé à tout
risque et à tout danger avec lesquels il doit jongler pour devenir ce
qu'il est censé être aujourd'hui. Se livrant dans des combats
intenses de survie, l'enfant de la rue à Port-au-Prince,
particulièrement au Carrefour de l'Aéroport et au Champ de Mars
finit par porter les marques de ses conditions dans son physique, dans son
psychique et il va agir en conséquence tout le long de sa vie.
Etant intéressé à cette
catégorie d'enfants, nous avons mené cette étude dans le
but de mieux comprendre la vie de l'enfant de la rue. A travers les
différentes parties méthodologique, empirique et théorique
de cette recherche, nous avons fait de notre préoccupation
académique une réussite scientifique. A l'aide de notre analyse,
de nos réflexions théoriques qui ont à leur appui des
encadrés, des tableaux et des graphiques, nous avons favorablement
atteint nos différents objectifs visés qui sont :
1. Identifier les conditions matérielles d'existence
des enfants de la rue ;
2. Etudier le modelage de la personnalité des enfants
de la rue à cet effet ;
3. Etudier, d'une part, les conditions matérielles
d'existence des enfants de la rue dans leur renforcement et, d'autre part, leur
comportement dans des pratiques de reproduction sociale ;
4. Présenter les possibilités pour l'enfant de
la rue de résister, de s'adapter ou de dépasser ces conditions
concrètes de vie et, aussi, les possibilités de transformation de
la structure sociale elle-même.
Lesquels objectifs sont liés à la
pertinence et à la validation de notre hypothèse de recherche qui
est formulée ainsi : « la personnalité des
enfants de la rue se forme dans leurs conditions matérielles d'existence
qui, du même coup, orientent leurs comportements dans des logiques de
reproduction sociale. » Une fois atteints, ces objectifs nous
ont permis de vérifier cette hypothèse et d'annoncer sa
confirmation. Ainsi en parcourant toutes les lignes de notre analyse, nous
sommes arrivés à comprendre que la personnalité de
l'enfant qui vit de la rue à Port-au-Prince se forme dans ses conditions
matérielles d'existence pendant qu'il soit conduit à les
reproduire quotidiennement pour rester en vie.
D'abord, les conditions matérielles
d'existence de l'enfant de la rue restent l'élément fondamental
dans lequel sont noués tous les rapports sociaux de l'enfant de la rue
afin qu'il devienne ce qu'il est réellement aujourd'hui et ce qu'il sera
demain. Etant l'élément déterminant, ces conditions
d'existence sont cruciales au développement de l'enfant de la rue.
Elles touchent et modifient chaque partie de son être, sa pensée,
ses représentations, ses émotions, ses muscles, son
identité et ses goûts.
Ensuite, la personnalité de l'enfant de la
rue, comme nous l'avons remarqué, est définie selon le cours de
ses conditions de vie qui le contraignent et qui le dictent à faire tout
ce qui est disponible à sa perception. Son intelligence, sa vigueur, sa
force, toutes les autres formes d'expression psychologiques et physiques sont
canalisées et déterminées à ce que l'enfant de la
rue réalise et satisfait ses besoins à juste mesure, ce que nous
pouvons qualifier de l'élan de survie, qui ne va pas plus loin
que ça...
Enfin, comprendre l'enfant de la rue à
Port-au-Prince, c'est comprendre le mécanisme lui permettant
d'être en vie, de survivre et de conserver cette vie jusqu'à la
renouveler quotidiennement. Ce renouvellement permet plusieurs choses. D'abord,
il permet à l'enfant de la rue de rester en vie au jour le jour, ensuite
il permet que l'enfant de la rue reproduise ses conditions matérielles
d'existence ; et, enfin, il permet à ce dernier de créer sa
place dans le système de production socio économique qui l'a
produit vingt (20) ans déjà et pour lequel il est appelé
et contraint de participer à sa reproduction s'il ne prend pas
conscience de ses conditions de vie, afin de participer à la
transformation de cette société qui l'a produit et continuera
d'en produire des centaines et des milliers.
D'où, ces données recueillies et
analysées nous ont fourni des informations qui sont concordantes
à nos objectifs et qui vérifient notre hypothèse de
recherche. Donc, la question qui nous a fortement intéressé avant
et pendant la recherche, à savoir comment la personnalité de
l'enfant qui vit de la rue à Port-au-Prince se forme-t-elle ? est
méthodologiquement et théoriquement répondue et les
résultats foncièrement qualitatifs que nous avons obtenus,
serviront de pistes à d'autres chercheurs, institutions publiques ou
privées, ONG et à des particuliers, soit d'entreprendre d'autres
recherches du même type, soit de comprendre davantage le
phénomène de l'enfant de la rue et d'y travailler à son
éradication.
A cela, nous recommandons ou, pou dire plus sagement,
nous proposons :
I- Aux institutions publiques :
a) De faire de la question de
l'enfant de la rue une priorité sociale, politique et juridique.
b) D'accorder de nouvelles priorités
à l'enfance en Haïti, dans nos provinces et dans la
capitale en redéfinissant les
services sociaux, économiques et politiques de nos
familles qui permettront à leurs
fils et petits fils de jouir de leur droit à l'éducation,
à
la citoyenneté, à la
santé, à la nourriture et au logement sur tout le territoire
d'Haïti.
c) De repenser la vision de l'Institut du
Bien-être Social et de la Recherche et de créer
d'autres instances de contrôle
spécifique à l'enfant et à la famille dans toutes les
régions du pays.
d) De faire, avec consistance,
de la sensibilisation à tous les niveaux jusqu'à ce que la
population en prenne totalement
conscience.
e) De faire des enquêtes annuelles
permettant de repérer l'enfant de la rue d'où qu'il
provienne, où qu'il soit, d'identifier
ses besoins et ses aspirations et de collecter
d'autres données importantes sur sa
famille.
f) De redéfinir les services que les
Centres offrent à ces enfants, veuillez à ce qu'ils
soient adaptés et à ce qu'ils
répondent aux modes de pensée, aux soucis et à la culture
de l'enfant.101(*)
II- Aux institutions privées, ONG...
a) De faire des actions
sociales significatives au bénéfice de l'enfant de la rue :
Dons,
parrainage, adoption et d'autres formes de
support pouvant aider à réduire l'essor du
phénomène.
b) De faire un partenariat avec les institutions
publiques à cet effet dans le but
d'affermir les prises de décision,
d'augmenter les fonds disponibles et dans le but de
mieux orienter les interventions, non pas
dans le sens d'améliorer ou de renforcer les
services, mais au contraire
d'éradiquer et de transformer
c) A cela, nous
ajoutons :
(1) Que chaque école offre cinq (5)
bourses d'études primaires tous les trois ans à
l'enfant de la rue.
(2) Que l'église fasse son travail
par des actions sociales correspondantes102(*) : les
églises catholiques,
baptistes, méthodistes, adventistes, pentecôtistes, mormons,
indépendantes de chaque
localité se regroupent autour de la question
l'enfant de la rue et font des
interventions respectives. Car, il ne s'agit pas
seulement de sauver des
âmes, mais aussi de sauver des corps et des vies.
III- A l'Etat :
a) De réguler ses
politiques de développement social et économique à
l'égard de la
classe défavorisée en
Haïti et de comprendre la nécessité d'une autre forme de
société est possible en
Haiti basant sur l'égalité des droits et des biens sociaux et
économiques en partant de la
libération du prolétariat haïtien
b) De s'intéresser aux problèmes
sociaux, politiques et économiques qui battent leur
plein dans la société et de
définir un plan axé sur la justice et l'égalité
pour tous en
se débarrassant des contraintes
sociales et économiques de type capital servile103(*)
exercées par la classe dominante
en Haiti.
IV- A la population :
a) De réduire ses
comportements discriminatoires et abusifs vis-à-vis de l'enfant de la
rue.
b) Donner tous ses supports, dans la mesure du
possible, le peu qu'ils puissent être,
pouvant contribuer à
l'éradication de ce problème de société.
Pendant que nous, en agissant ainsi, nous
travaillions à la transformation de la société
haïtienne en établissant de nouvelles conceptions du social, du
politique, de l'économique, du juridique, du culturel et de
l'idéologique en mettant un terme aux rapports sociaux de domination
sociale et économique afin que toute la population
bénéficie avec justice et équité de tous les biens,
tous les droits, de tous les services et de tous les produits de la
société.
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enfants, Août- Septembre 2006
13- SAUVEUR, Léger, le
Phénomène de la mendicité à Port-au-Prince,
faculté
d'Ethnologie,
1993
14- VAVAL, Josué, Etude sur
la maturité socio affective des enfants de la rue,
Faculté des
Sciences Humaines, Mars 2006
15- UNICEF/ MAST, Plan National de
Protection : Enfance en situation difficile
et de
vulnérabilité, Novembre 2005
16- UNICEF, Convention relative aux
droits de l'enfant, 1994
17- UNICEF, Le Rapport #35,
Juillet 2006
ANNEXE- I
Griy pou antretyen ak timoun yo
Premye pati : Kondisyon lavi
I- Kondisyon ekonomik
1. Kisa ou fè pou viv ?
2. Konbyen kòb sa ka rapòte w chak jou
konsa ?
3. Kijan ou fè pou jwenn manje?
4. Chak kilè ou manje nan yon jou ?
5. Kote ou jwenn rad pou w mete ?
6. Eske ou konn dwe moun ?
7. Eske moun konn dwe w?
8. Kisa ou konn fè ak lajan w?
II- Kondisyon anviwonmantal
9. Ki kote ou domi ? Eske ou toujou dòmi menm kote
a ?
10. Ki kote ou travay, pou jwenn lajan ?
11. Ki kote ou fè aktivite ki ede w distrè
kò w ? ki kote ou jwe ?
12. Ki kote ou manje ?
13. Eske ou konn fè bagay ak tifi/ tigason? Kibò?
Chak kilè? Lè nap fè bagay, eske nou pa pran prekosyon?
Eske nou fè sa pou kòb?
III- Kondisyon politik
14. Eske pwoblèm ki konn gen nan peyi a konn nwi aktivite
ou?
15. Kisa ou konn fè le gen pwoblem nan lari a?
16. Eske gen moun politik ki konn kontakte ou?
IV- Kondisyon sikososyal
17. Kisa ou renmen fè pou w pran plezi? Chak
kilè ? Ou menm sèl ou byen tout gwoup la ?
18. Eske sa bay lajan ?
19. Eske ou konn jwe ?
20. Eske ou gen kontak fanmi ou ? manman w ak papa
w ?
21. Eske ou gen frè ak sè? Kisa yo ap fè?
22. Eske ou ale legliz ?
23. Eske ou ale lekòl ?
24. Eske gen moun ki konn ede ou ?
25. yo arete w deja? ou te ale nan prizon?
26. Eske ou konn gade televizyon? Koute radyo?
27. Eske ou konn sa yon odinatè ye?
28. Eske ou te ale lekòl yon jou ? ou kontinye
ale ? ki kote ? nan ki klas ou rive ? kijan ou te fè ale
lekòl la ?
29. Eske ou gen gwoup zanmi ?
30. Ou avek yo toutan?
31. Eske gwoup sa gen yon moun kap dirije l?
32. Kisa ou fè nan gwoup la?
33. Eske gen bagay ou dwe fè ? eske gen bagay ou pa
dwe fè nan gwoup la ?
34. Eske nan gwoup la fanm ak gason fè menm
bagay ?
35. Eske konn gen pwoblèm nan gwoup la ? ki pwoblem
konsa?
36. Eske ou konn gen pwoblèm ak lòt moun
deyò?
37. Eske w konn gen pwoblèm ak lòt moun nan gwoup
ou a?
38. Eske gen kèk zòn ou pa ka ale?
39. Eske gwoup ou a konn gen pwoblèm ak lot gwoup?
40. Eske pwoblèm sa yo konn toujou rezoud?
41. Kilè ou te fè premye goumen w? Sa ki te
fè sa ?
42. Kisa ou te itilize nan goumen sa ?
43. Kilè ou te fè dènye goumen w ? sa
ki te fè sa ?
44. Kisa ou te itilize nan goumen sa ?
45. Si ou pral fè yon goumen tale konsa, kisa ou tap
itilize ?
Dezyem pati : Pèsonalite
I- Afektivite
a) Pati sou Idantite
1. Ki moun ou konnen ou ye? Kijan ou panse lòt moun yo
wè w ?
2. Kisa ou panse de fason moun yo wè w la?
3. Eske ou fyè? Ou byen ou wont de moun ou ye a ?
4. kisa ou pi renmen nan wou ?
5. ki bagay ou ta renmen chanje nan wou ?
b) Pati sou Motivasyon
6. Kisa ki fè w vini nan lari
an
7. Kisa ki fè ou anvi travay ? kisa ki
fè ou anvi viv ?
8. Eske se bezwen ou yo ? ou byen yon chanjman
lavi ?
9. Eske ou gen moun sou kont ou pou okipe ?
c) Pati sou Emosyon
10. Kisa ki konn fè kèw kontan ? sa rive w
souvan? Raman/ pafwa? Sa pa janm rivew?
11. Kisa ki konn fè w fache?
12. Kisa ki konn fè ou pè?
13. Kisa ki konn fè ou kriye ?
14. Kisa ki konn fè w mal?
II- Entelijans
a) pati sou Memwa
1. Eske ou konn nan ki ane ou fèt ?
2. Eske ou sonje kisa ou te fè yè ? kisa ou te
manje ?
3. Eske ou konn non manman w ak non papa
c) Pati sou enfomasyon ak kalkil
1. Eske ou konn konte ?
2. Eske ou konn lajan ?
3. Eske ou konn konbyen jou ki gen nan semen nan? konbyen mwa ki
gen nan ane a? Eske ou konn lè? Ou konn Li? Ou konn ekri? Ou konn
koulè? Ou konn lè?
d) pati sou teknik pratik
4. Kisa nou itilize pou nou fè lajan, pou nou
travay ? kijan nou fè materyèl nap sèvi yo ?
5. Kijan yon moun kapab fè poul aprann deplake ? ki
tip de moun ou chwazi pou w mande ? ki tip de machin nou siye ?
e) pati sou pèsepsyon, refleksyon ak
jijman
6. ki sa ou panse de lekòl ?
7. sant yo konn vin dèyè nou pou n ale ladan l lan,
kisa nou panse l ye ?
8. Kisa ou panse de lari a ?
f) pati sou jan yo rezoud pwoblem
10. Lè ou gen kont ak yon moun nan gwoup la, kijan
ou rezoud sa ?
11. Lè ou gen pwoblèm ak lòt moun
deyò, kijan ou ranje sa ?
12. Lè gwoup zanmi w yo gen pwoblèm ak
lòt gwoup, kijan sa fini ?
13. Lè ou gen ti pwoblèm tankou : ou
grangou, ou bezwen kote pou w dòmi, ou bezwen lajan Kisa ou
fè ?
III- sikomotè( ko moun nan) : reseve pou
obsevasyon
10. kijan kò timoun nan ye ?
nan ki eta li ye ?
11. ki laj li ?
12. Ki wotè li?
13. Ki pwa li ?
14. Ki eta dan li?
15. Ki eta Zong li?
16. Ki eta cheve Li?
17. ki maladi ou konn genyen?
Twazyèm pati: Repwodiksyon
sosyal
I- Okipasyonèl
a) Pati sou pozisyon sosyal timoun nan
1. Kijan ou fè vin nan lari a?
2. Ou gen konbyen tan nan lari a?
3. Eske ou gen fanmi oubyen yon moun ki pwòch ki
ap ou byen ki tap viv nan lari?
4. Si ou bay lari a vag, ki lòt
bagay ou kapab fè pou jwenn kòb, pou jwenn manje ?
b) Pati sou Espas timoun nan ap viv lan
1. Ki zòn nan lari a ki gen plis
avantaj?
2. Ki zòn nan lari a ou ta renmen viv pou jis ou
granmoun ?
3. Eske se menm zòn sa yo nan kapital la ki te
toujou konn gen timoun nan lari ladan yo? (Rezève
pou antretyen ak ekspè yo)
c) Pati sou aspirasyon
1. Lè ou gran ki sa ou ta renmen
vini ye? Ki bò ou ta renmen ap viv ?
2. Lè ou gran ou ta renmen pitit ou viv nan lari
a? poukisa ?
3. Ki pi gwo rèv ou nan vi w?
II- Kiltirèl
1. Ki travay ki te toujou konn gen nan lari a ? yo
vin plis oubyen yo vin mwens ? (Rezève pou antretyen ak
ekspè yo)
2. Ki travay wap toujou kontinye fè nan lari a,
menm lè ou vin gran ?
3. Nan lari a ou fè lajan pa vre, sa w fè
avek lajan sa yo ? ki sa ou achte konsa ?
4. Kisa ou konn fè pou jounen an ?
III- pwokreyasyonèl
1. Konbyen pitit manmanw ak papaw
genyen ?
2. Kisa manman w ap fè? kisa papa w ap fè?
kisa frè w yo ak sè w yo ap fè?
3. Eske gen nèg nan lari ki fè pitit,
epitou pitit yo ap viv nan lari a? ( rezève pou
obsèvasyon)
4. Konbyen pitit ou ta renmen genyen?
ANNEXE- II
Griy pou antretyen ak ekspè
yo
I- Istorik fenomèn timoun nan lari yo.
a) kilè fenomèn sa koumanse
an Ayiti? Eksplike m dewoulman l?
b) Kijan li ye jounen jodi a?
II- Kondisyon lavi timoun sa yo.
a) Kouman yo ap viv ?
c) Eske timoun sa yo konsève fason ya p viv lan jouk
yo gran? Kijan?
d) Eske timoun sa yo chanje fason sa ya p viv lan?
Kijan?
III- Istorik ONG yo
A- Kilè premye ONG a te antre an Ayiti?
1) De kisa l te okipe l?
2) si li la toujou, eske li ap fè menm bagay
la?
3) si li pa la, kisa ki pase l?
B- Kilè ONG yo koumanse travay sou kesyon
timoun nan lari?
1) Ou panse nomb yo ( kantite yo) ogmante ou byen li
diminye? Si li diminye , kisa ki fè sa?
2) Daprè ou menm, eske gen yon amelyorasyon
sou kesyon timoun nan lari yo ? si wi, ki tip amelyorasyon? Si non, sa ki
fè sa?
3) Ki meyè fason ou panse ki ka rezoud
pwoblèm sa ?
ANNEXE- III
Grille d'observations
I- Les sujets
a) Qui sont-ils?
1- Âge
2- Profils et caractéristiques physiques
3- Couleur
4- Niveau d'études
5- taille et poids
b) Combien sont-ils ?
1- Le nombre par zones (sites d'hébergement)
- Delmas
- Champ de Mars
2- Le nombre par sexe
3- Le nombre total
II- Les milieux
a) Espace d'hébergement
1- Caractéristiques du sol
2- Présence d'eau usagée
3- Egouts
4- Immondices
5- Obscurité, Salubrité,
Aération, etc.
6- Nombre d'enfants par sites
d'hébergements
b) Espace de travail
1- Présentation des milieux de travail
2- Types de travail
3- Organisation du travail
4- Lien entre travail et revenu
c) Espace récréatif (idem)
1- Présentation des milieux
récréatifs
2- Types de recréation
3- Organisation des jeux
4- Lien entre jeu et revenu
d) Espace de consommation
1- Caractéristiques physiques
2- Lien entre travail et consommation
3- Types de consommation
III- Les Activités
a) Que font les enfants ?
b) Comment ils le font ?
c) Avec quoi ils le font ?
d) Avec qui ils le font ?
IV- Les comportements et les relations
a) comportements et attitudes des autres à
l'égard des enfants
b) comportements et attitudes des enfants à
l'égard des autres
c) comportements et attitudes des enfants entre
eux.
ANNEXE- IV
Glossaire: Mots et expressions de l'enfant
de la rue...
1- Aleken : Type de nourriture
préparé dans la rue ou au bord de la rue pour une
clientèle assez variée le matin et aux environs de midi. C'est un
restaurant populaire en plein air dans lequel les repas sont offerts à
prix réduit aux clients. Généralement, on désigne
ces genres de repas de :
« Akoupi m chaje w », de
« Anba dra », de « Bann a
Pye », etc.
2- Bon sou mwen : Cette expression est
généralement utilisée quand l'enfant de la rue est en
train de jouer l'intelligent au détriment d'un autre. A ce moment, il
dit : « m sot bon sou msye »,
« msye al dèyè bon sou
mwen ».
3- Bwase lè a : Manière
permettant à l'enfant de la rue de décrire le travail qu'il fait
du matin au soir. Car, généralement, nous constatons au cours de
cette enquête que l'enfant de la rue n'aime pas du tout
préciser ; à chaque fois que nous lui demandons ce qu'il
fait comme travail,
comme activités ; il répond :
« se nan lè a map bwase »
4- Banm on grenn : une façon
spécifique à l'enfant de la rue au Champ de Mars de demander cinq
gourdes ; ce que nous appelons en Haïti de :
« Adoken »
4- Dedwèt : c'est un exercice
permettant à l'enfant de la rue de retirer de la poche des gens qui
passent dans la rue toutes sortes de chose ; à savoir leur
téléphone, leur portefeuille, leur camera, etc. c'est ce qu'on
désigne généralement de
« Pick-pocket »
5- Fè dach ou : cette expression
est synonyme de « Sodomisation » pour l'enfant de la
rue.
6- Fè touwego, fè rigòl :
C'est une pratique qui consiste à descendre dans les
égouts et à chercher des pièces de monnaies, des bijoux,
etc. Généralement, l'enfant de la rue s'adonne
à cette pratique si dans la soirée d'avant il y
avait de la pluie.
7- Lagè dòmi : c'est un
jeu que l'enfant de la rue réalise généralement le soir
entre deux (2), (4), (10) enfants, etc. les règles sont
établies comme ce qui suit : celui qui trouve l'endroit dans lequel
son adversaire est en train de dormir, il peut lui faire tout ce qu'il
veut ; le brûler, le tuer,
l'étrangler, etc. c'est une vraie chasse à
l'homme.
8- Klase yon moun : cette expression
traduit l'idée q'un enfant de la rue a reçue une somme d'argents
ou un plat qu'il devrait séparer avec les autres enfants ; par
contre, il garde tout le
bénéfice pour soi. A ce moment, on dit :
« M sye klase lot nèg yo ».
10- Pran level : cette une expression
qui traduit le fait q'un enfant de la rue soit devenu plus hardi et plus brave
dans le rang des enfants de la rue.
11- Tatonnen : l'enfant de la rue
utilise ce mot qui traduit la réalité dans laquelle un enfant est
en train de fouiller la poche d'un autre pendant que ce dernier est en plein
sommeil.
12- Vivan & sou menm : ces deux mots
traduisent la même réalité dans le sens qu'ils
définiraient le degré d'intelligence de l'enfant de la rue.
ANNEXE- V
Support photographique
Photo I : Présentation de l'espace
d'hébergement de l'enfant de la rue au Carrefour de l'Aéroport
Photo II : L'enfant de la rue est en train de
jouer au Poker
3
Photo III : Présentation de l'autre angle de
Zakat Zanfan, espace d'hébergement
Photo IV : l`enfant de la rue fait des mises au
jeu de Poker
Photo
V : l'enfant de la rue est en train d'essuyer une voiture
Photo VI : l'enfant de la rue est en train de
dormir. Vue : Carrefour de l'Aéroport
Photo VII : L'enfant de la rue dans son travail d'essuie de
voiture.
Photo VIII :
l'enfant de la rue est en train de dormir. Vue : Champ de Mars
Photo IX :
Les principaux matériels utilisés au cours de cette recherche.
* 1 _ Cf. Jn Anil Louis Juste,
De l'éducation de la crise à la crise de
l'éducation, Imprimeur II, Port-au-Prince, 2003
* 2 _ Cf. L'enquête de
terrain nous a facilité de recueillir des données ayant rapport
à la réalité actuelle des enfants qui vivent de la rue
à Port-au-Prince. Mais, pour atteindre nos objectifs de recherche, les
réalités datant de 1986, 1996 à 2006 se
révèlent très significatives à notre
recherche ; pour ce faire, nous avons eu recours à d'autres formes
d'entretiens que nous estimons capables de nous fournir des informations
pertinentes qui nous permettent de pallier cette carence. C'est pour cela que
nous avons réalisé au cours de cette recherche, deux
catégories d'entretiens : (1) avec les enfants de la rue et (2)
avec des experts.
* 3 _Cf. Judith Harris,
pourquoi nos enfants deviennent ce qu'ils sont? , Robert Laffont,
1999, Www. Google.fr / consulté le 17 Mars 2008.
* 4 _ Cf. Jean Pierre Rossi,
Méthodes de recherche en psychologie, Dunod, 1999, Paris
* 5 _ En menant l'enquête
sur le terrain à la fin du mois de janvier, nous avons remarqué
qu'il n'y a pas de filles pouvant faire partie de notre population
d'étude, ni de notre échantillon. En demandant aux gens de la
rue, les marchands et les autres enfants de rue, ils nous ont bien clairement
expliqué que les responsables du centre d'accueil étaient venus
les retirer de la rue pour les intégrer à ce dit centre. Alors,
c'est sans doute une politique de l'Etat visant à lutter contre ce
phénomène et, c'est en même temps, une
réalité qui a affecté notre recherche par rapport au genre
des différents sujets de notre échantillon.
* 6 _ Cf. Cela traduit
l'idée que, pendant l'enquête, nous étions arrivés
à un point où l'observation de cas et les entretiens
supplémentaires n'apportent plus rien de nouveau. Donc, la saturation de
la collecte de données par rapport à nos objectifs de recherche
était évidente ; d'où nous nous appuyons sur ce
critère qui dit : « [...] lorsque les
répétitions sont suffisantes, on cesse de les accumuler, car on
présume que même en continuant l'énumération, les
nouveaux cas ne nous apprendraient rien qui ne soit déjà
connu » (Voir François Depelteau, la démarche d'une
recherche en sciences humaines, ed. de Boeck, Québec, 2000, pp
234-235)
* 7 _Cf.
Température : Moyenne annuelle
variant entre 21° et 33°C
Langues parlées
: Français, Créole
Religion : Vodou,
Catholicisme, Protestantisme
Monnaie Nationale :
Gourde
Salaire minimum : 70
gourdes par jour
Monuments historiques : La Citadelle
Henry Christophe, Le Fort-Jacques et Alexandre, Le Palais de
Sans-Souci
* 8 _ Cf. Gouvernance et
corruption en Haiti, Résultats de l'enquête diagnostic sur la
gouvernance, Janvier 2007, BRIDES, IBM, ULCC
* 9 _ CF. Fred Doura,
Economie d'Haiti : dépendances, crise et
développement, Montréal, t 1, 2001
* 10 _ Cf. Carte de
pauvreté d'Haiti, version 2004, Ministère de la
planification et de la coopération externe
* 11 _ Cf. Gérard
Pierre- Charles, La radiographie d'une dictature, nouvelle optique,
Montréal, 1973
* 12 _ Cf. 1950 :
après l'occupation américaine de 1915
1971 : après la présidence de
François Duvalier
* 13 _ Cf. Sauveur
Léger, Le phénomène de la mendicité à
Port- au- Prince, FE, p.60
* 14 _ Roth Pierre, Etude
psychosociale des mineurs de 12 à 18 ans vivant dans la rue de
Port-au-Prince, FE, p.11
* 15 _ Josué Vaval,
Etude sur la maturité socio affective des enfants de la rue, FASCH,
p.p.3-11
* 16 _ Yanick Apollon,
L'agressivité chez les enfants de la rue : étude de cas sur
les mineurs de 6 à 12 ans, p.59.
* 17 _ Janvier Jean Jorel,
Port-au-Prince et les enfants de rues : le phénomène des
Kokorat, p. 7
* 18 _ UNICEF /MAST, Plan
National de protection : enfance en situation difficile et de
vulnérabilité, Nov. 2005 p. 12
* 19 _ Op. Cit. p.p 12-13
* 20 _ UNICEF, La
convention relative aux droits de l'enfant, 1994
* 21 _Cf.
Considérée comme une filière de médiation dans
laquelle est passée toute personne vivant dans une société
donnée, elle est un processus d'apprentissage qui participe à la
construction de la personnalité et de l'identité de l'individu
à partir des modèles normatifs de la société. (Cf.
Boudon- Bourricaud, dictionnaire critique de la sociologie,
PUF, P.p 527-534). A cet effet, ce processus d'apprentissage se fait en deux
étapes qui, sur plusieurs angles, ne définissent pas
conceptuellement notre objet d'étude, en l'occurrence les enfants de la
rue dans les rapports qu'ils entretiennent avec la société
tenant compte de leurs modes de vie. Selon, T. Luckmann et P. Berger, ces deux
étapes sont :
1) La socialisation primaire qui est
maintenue par des instances comme la famille, l'école, les
médias, etc., qui vont déterminer, dans l'enfance,
l'intégration sociale de l'individu.
2) La socialisation secondaire est
plus largement maintenue par d'autres instances comme les associations, les
entreprises, clubs de sport, etc., qui contribueront à la structuration
de ses manières de penser et d'agir en consacrant des statuts sociaux
à l'individu, depuis la fin de l'enfance. (Cf. Peter Berger et Thomas
Luckmann, construction sociale de la
réalité, Paris, 1986, P.p 177-189).
* 22 _Cf. Une première
série d'entrevues a été déroulée au centre
GHESKIO le 14 Mars 2008 avec la psychologue Danielle St PAUL, responsable
d'études psychologiques des enfants en situations difficiles. Une autre
série a été réalisée à la C.E.P
(Centre d'Education Populaire) avec le psychologue Jean Robert CHERY, le 27
Mars 2008.
* 23 _ A l'époque des
Duvalier, le « CHALAN» surveillait les enfants qui
vagabondèrent dans la rue, pieds nus, qui sont mal vêtus; il les
ramassait, les enfermait dans un centre de correction pour mineurs (centre
d'accueil de Carrefour). Les Macoutes, á l'époque, assuraient la
sauvegarde du régime en place ; ayant des profils de policiers, ils
étaient chargés également d'empêcher le vagabondage
social et politique dans les rues de Port-au-Prince.
* 24 _ Robert Debs Heinl,
Written in blood / the story of the Haitian people 1492-1995. University
Press of America, 2005, p.p 669-724
* 25 _ FRAPH: Front of
Advancement and progress of Haiti. Op. Cit. p. 709
* 26 _ Cf. A notre sens,
l'étude des rapports entre individu et société parait
assez complexe si l'on tient compte du nombre disciplines et d'approches qui y
sont intéressées, et dans le sens qu'elle exige, chez les
chercheurs, un effort de spécification par rapport à la
réalité qu'ils veulent comprendre, décrire et expliquer .A
cela, notre effort de spécification consiste à étudier ce
rapport en rendant intelligible et opérationnel le
phénomène des enfants de la rue, avec des outils
théoriques que nous estimons appropriés
* 27 _ Cf. Les chercheurs, pour
étudier la personnalité de l'individu, utilisent plusieurs
théories de différentes perspectives. Outre les théories
sur lesquelles nous insistons dans ce travail, il en existe d'autres, comme le
Behaviorisme et les approches psychosociales qui s'y investissent aussi. Pour
les behavioristes, la personnalité de l'individu est acquise par
conditionnement des comportements. Ce qui fait que pour Watson, il suffit
d'examiner à quels stimuli avait été exposée la
personne et quelles avaient été ses réactions pour
expliquer sa personnalité. Donc, elle est construite dans un processus
d'apprentissage où le renforcement, la punition et l'observation des
comportements sont déterminants. Cependant, avec Erickson, Piaget,
Wallon, Bandura et autres, les approches psychosociales mettent, d'une
manière différente, l'accent sur l'apprentissage. Ils affirment
que la personnalité de l'enfant se développe à partir
d'imitations, où l'enfant est appelé à reproduire les
comportements appris dans ses relations avec autrui, dépendamment du
stade de développement dans lequel il se trouve.
* 28 _ Cf. Erich Fromm,
Sigmund Freud, résultats, idées, problèmes.-
t.II, Paris, PUF, 1985 p. 25
* 29 _ Cf. La théorie de
la sexualité infantile est centrée sur un modèle de
développement de l'enfant, dit de développement psycho sexuel qui
se réalise grâce à une énergie psychique qui
déterminera les différentes zones érogènes chez ce
dernier. Ces zones érogènes correspondent aux différents
stades de développement de l'enfant de la manière
suivante :
1) le stade oral : la zone impliquée est la
bouche, cette zone procure du plaisir au bébé quand il se
nourrit, suce et mord.
2) le stade anal : la zone érogène
est l'anus, la gratification sexuelle s'obtient par la constriction et la
relaxation des muscles du sphincter qui contrôle l'évacuation des
déchets.
3) le stade phallique : l'enfant trouve plaisir
dans l'excitation de sa région génitale.
4) la période de latence : stade calme au
cours duquel l'évolution sexuelle marque un temps d'arrêt.
5) le stade génital : période dans
laquelle l'enfant développe sa maturité sexuelle et fait
l'apprentissage de relations satisfaisantes avec le sexe opposé.
* 30 _ Cf. Ralph Linton, le
fondement culturel de la personnalité.- Dunod, Bordas, Paris,
1986.
* 31 _ Cf. Op.cit. p.79
* 32 _ Cf. Ibidem
* 33 _ Cf. Hérold
Toussaint, Psychanalyse sociale, religion et politique / lire Erich
Fromm en Haïti.- H. Deschamps, pp.63-65
* 34 _ Cf. Jeanne Philippe,
Classes sociales et maladies mentales en Haïti.- presses
nationales, Port-au-Prince, 1975.
* 35 _ Cf. Op.cit. p. 61
* 36 _ Cf. Emerson Douyon,
« Crise de possession », in Revue de la
faculté d'Ethnologie #12.- Presses nationales, Port-au-Prince, 1967, pp.
28-40
* 37 _ Cf. Legrand Bijoux,
des moeurs qui blessent un pays.- Haiti.
* 38 _ Cf. La notion de
complexe admet plusieurs définitions pertinentes qui la
rendent plus opérationnelle. Généralement, un complexe est
un ensemble de traits personnels, acquis dans l'enfance, doués d'une
puissance affective et généralement inconscients (Cf. Alain Rey,
Dictionnaire Le Robert micro poche, 1994, p. 224). Il est, selon Carl
G. Jung, un groupe d'éléments représentatifs liés
ensemble et chargés d'affects (Cf. S. Freud, Cinq leçons sur
la psychanalyse, p.36 / Carl G. Jung, l'homme à la
découverte de son âme, pp.182-192). Ces traits, ces
éléments, ces fragments sont chargés
d'émotions ; ils se tapissent dans une partie de la zone
inconsciente, ils dirigent les actions des individus à leur insu.
Donc, cette dernière synthèse se
rapproche le plus de la définition que le Dr. Legrand Bijoux a
adoptée dans son ouvrage pour étudier cette notion de complexe.
Parmi les complexes qu'il étudie, nous retrouvons :
1) le complexe du tigre qui est celui qui porte un
être humain à abuser de sa supériorité, de sa force
pour blesser d'autres humains, sans nécessité réelle.
2) le complexe du marsouin qui porte le sujet qui en
souffre à dénigrer et à avilir tout objet valable, tout
acte digne d'éloges et toute personne méritoire. Ce complexe
porte également sa victime à espérer recevoir à
tout moment des marques de mépris, de dénigrement et
d'avilissement.
3) le complexe de la pintade sauvage qui amène
le sujet à se servir constamment de la ruse, à faire des
parjures, de fausses promesses, de la cachotterie, etc.
En définitive, affirme l'auteur, ces
éléments ont aidé à la population esclavagiste de
St Domingue d'échapper à la servitude et de se rendre
indépendante ; et, jusqu'à maintenant, ils constituent les
moeurs et les complexes qui forment la personnalité, orientent la
pensée et définissent les actions de chaque haïtien. (Cf.
Legrand Bijoux, Op. cit. pp.10-50)
* 39 _ Cf. Cette
expérience de terrain, nous l'avons réalisée dans l'aire
métropolitaine auprès de trois (3) ménages
constitués de parents et d'enfants dans les communes de la Croix des
bouquets, de Delmas et de Carrefour durant les périodes allant du 18 au
20 juillet 2008. Au cours de cette interview dite informelle, nous avons
sensibilisé et interrogé seulement des parents qui ont trois
enfants au plus et, de ce fait, nous avons eu respectivement des parents de
37ans, 43ans et 55ans ; hommes et femmes qui ont répondu aux
questions suivantes : Daprè ou menm, kisa ki fòme
pèsonalite timoun yo ? Kisa ou panse ki fòme
pèsonalite pitit pa w yo ? Ce faisant, les données que nous
avons recueillies proviennent de ces deux questions-types.
* 40 _ Cf. Ralph Linton,
Op.cit. p. XXII (préface)
* 41 _ Cf. François
Parot et Roland Doro, Dictionnaire de la psychologie.- PUF, 1991, p.
549
* 42 _ Cf. Karl Marx,
Critique de la philosophie de l'Etat de Hegel.- p. 165, tiré
du texte de Lucien Sève, Marxisme et personnalité, 2e ed.
Sociales, Paris, 1972
* 43 _ Cf. Nous essayons de
faire une traduction de cette citation tirée du livre de Gerald
Corey : « [...] Chez l'individu, les forces irrationnelles sont
déterminantes. Ce dernier, à savoir l'individu, est guidé
(motivé) par les pulsions sexuelles et agressives. » Cf.
Gerald Corey, Theory and practice of counseling and psychotherapy, Brooks,
California, 4e edition, 1991.
* 44 _ Cf. Robert Castel,
Le psychanalysme.- Francois Maspéro, Paris, 1973, pp. 94-95
* 45 _ Cf. Karl Marx,
Economie et philosophie (le capital, 3e section) in
oeuvres.- Gallimard, Paris, Tome II, 1972
pp. 727-728
* 46 _Cf. Karl Marx et
Friedrich Engels, l'Idéologie allemande.- ed. Sociales, Paris,
1982
* 47 _ Cf. Op.cit. p.27
* 48 _ Cf. Georges Gurvitch,
Dialectique et Sociologie.- ed. Flammarion, 4e
édition, Paris, 1977
* 49 _ Cf. Karl Marx,
Critique de l'économie politique, in oeuvres, p. 273
* 50 _ Cf. Karl Marx et
Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, op cit. P. 135
* 51 _ Cf. Lucien
Sève, Marxisme et théorie de la personnalité.-
ed. sociales, 2e edition, Paris,1972 p.375
* 52 _ Cf. Antonio Gramsci,
oeuvres choisies.- ed. Sociales, Paris, 1959 p.50
* 53 _ Cf. Lucien Sève,
Op.cit. p.383
* 54 _ Cf. Idem. P. 384
* 55 _ Cf. Jean Claude
Filloux, la Personnalité, PUF, Paris, 1993.- et la version
portugaise de ce livre publiée en 1983 par l'édition
difusão le traduit ainsi : « A personalidade
é uma historia numa historia »
* 56 _ Cf. Karl Marx et
Friedrich Engels, oeuvres choisies, t. III ed. Progrès,
Moscou, 1974, pp. 198-199
* 57 _ Cf.
www.Google.fr/théorie
de l'activité, consulté en Avril 2009
* 58 _ Cf. Stéphane
Tessier, Alphonse Tay et ses collaborateurs, langage et cultures des
enfants de la rue, Kartala, Paris,, 1995, pp. 40-47
* 59 _ Cf. François
Depelteau, le démarche d'une recherche en sciences humaines, ed. De
Boeck, Québec, 2000 p. 226
* 60 _ Cf. François
Depelteau, Op.cit. p. 234
* 61 _ Cf. Op.cit,
François Depelteau, p. 165
* 62 _ Cf. Georges Gurvitch,
Dialectique et sociologie, 4e ed. Flammarion, Paris, 1977,
pp. 188-237
* 63 _ Cf. Voir
Définition aux pages 17 et 50
* 64 _ Cf. Voir les pages 17 et
55
* 65 _ Cf. Voir la page 9 et
les notes de bas de page)
* 66 _ Cf99. Péneff
Jean, les sociétés contemporaines/ mesures et contrôle
des observations dans le travail de terrain, 1995
* 67 _ Cf. Op cit. Voir les
pages 49 et 50
* 68 _ Cf. Pierre Tap,
Société Pygmalion, Dunod, Paris, 1988
* 69 _ Cf. Pour des raisons
d'éthique et par souci d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet
ont été modifiés
* 70 _ Cf. A ne pas confondre
avec celui des USA : Ce « BOSTON » est l'un des
quartiers de la commune de Cité soleil
* 71 _ Cf. le mot «
SOSYE» est une déformation du mot français «
Associé» que les enfants au Carrefour de l'Aéroport
utilisent au lieu de dire correctement « Asosye »
* 72 _ Cf. C'est un type de
repas que l'on prend généralement en plein air et au bord de la
rue ; les plats sont préparés et sont servis au bord de la
rue. Dans la capitale, on en retrouve beaucoup ; on les appelle :
Akoupi m chaje w, chen janbe, anba dra, etc.
* 73 _ Cf. Voir la liste des
sigles et acronymes à la page ix. Cette Mission des Nations unies est
composée de soldats et est installée en Haïti depuis 2004
* 74 _ Cf. «Fake and
Real», deux mots anglais qui veulent dire « faux et
vrai ». Actuellement, en Haïti, dans des groupes de (clans,
ghetto, etc.) nous remarquons l'utilisation fréquente de ces deux
anglicismes dans leur créole. Dans leur jargon, ces deux mots servent
à juger, à s'identifier et à mesurer l'implication de
quelqu'un dans les activités du groupe.
* 75 _ Cf. pour des raisons
d'éthiques et par soucis d'anonymat, les nom et prénom de ce
sujet ont été modifiés
* 76 _ Cf. PAPA, nous avons eu
la chance de l'observer pendant notre enquête. Il est le responsable de
l'espace dans lequel sont hébergés les enfants, il est un ancien
enfant de la rue, il peut avoir entre 28 et 31ans et il continue jusqu'à
maintenant à dormir dans le centre avec les enfants. Son fils aussi vit
avec lui dans le centre ZAKAT ZANFAN.
* 77 _ Cf. Pour des raisons
d'éthique et par souci d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet
ont été modifiés
* 78 _ Pour des raisons
d'éthique et par souci d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet
ont été modifiés
* 79 _ Cf. Water Closet
* 80 _ Cf. Alain Rideau,
Comment connaître son enfant, ed Marabout, Retz- C.Ep.L, Paris,
1975
* 81 _ Cf. Paul Osterrieth,
Introduction à la psychologie de l'enfant, 11ème ed.
PUF, Paris, 1972, pp. 20-34
* 82 _ Cf. André Rey,
Connaissances de l'individu par les tests, 3e édition,
Dessart et Mardaga, Bruxelles, 1966
* 83 _ Cf. Jean Pierre Rossi,
Méthodes de recherche en Psychologie, Dunod, Paris, 1999
* 84 _ Cf. Paul Osterrieth,
Introduction à la psychologie de l'enfant, 11è ed. PUF,
Paris, 1972, pp. 177-221
* 85 _ Cf. Cholette-
Pérusse François, la psychologie de l'adolescent de 10
à 25 ans, ed. Du jour, Ottawa, 1966
* 86 _ Cf. Serge Moscovici,
Psychologie sociale des relations à autrui, Armand Collin,
Paris, 2005, pp. 41-69
* 87 _ Cf. A Delmas 17,
l'événement a été survenu pendant la période
de notre enquête au Carrefour de l'Aéroport dans la soirée
et de cet événement nous avons largement
profité pour comprendre plus amplement la réalité de la
vie de l'enfant de la rue.
* 88 _ Cf. Lucien Sève,
Marxisme et théorie de la personnalité.- ed. sociales,
2e edition, Paris,1972 p.375
* 89 _ Cf. A propos de la
description de la personnalité, voir p. 8
* 90 _ Cf. Lucien Sève,
Marxisme et théorie de la personnalité.- ed. sociales,
2e edition, Paris, 1972
* 91 _ Cf. Karl Marx et
Friedrich Engels, l'idéologie allemande.- ed. Sociales, Paris,
1982, p. 178
* 92 _ Cf. « La
production et la consommation », deux concepts jumeaux qui
définissent le cours de la vie d'un individu dans ce qu'il fait et ce
qu'il fait de ce qu'il a produit depuis son enfance jusqu'à sa mort. A
cela, Lucien Sève a mentionné :
« la production est le véritable point
de départ, et par suite le facteur qui l'emporte, la consommation en
tant que nécessité que besoin est elle-même un facteur
interne de l'activité productive ; mais cette dernière est
le point de départ de la réalisation et par suite aussi son
facteur prédominant, l'acte dans lequel tout le procès se
déroule à nouveau. L'individu produit un objet et fait retour en
soi même par la consommation de ce dernier, mais il le fait en tant
qu'individu productif et qui se reproduit lui-même » (Voir
Op. cit. Lucien Sève, P. 48)
* 93 _ Cf. Nous recueillons ces
données pour présenter le prix des produits que l'enfant de la
rue généralement consomment au cours d'une journée et qui,
en même temps, représentent en moyenne ses dépenses
journalières. Sachant, toutefois, que nous ne mentionnions pas dans ce
tableau les dépenses livrées dans des jeux de Hasard et ses
dérivés. Cependant, il faut signaler que les dépenses
consignées dans le tableau ci-dessus peuvent varier d'un enfant
à un autre, et le prix des produits, d'un milieu à un autre et
suivant sa qualité ; par exemple, le prix du Aleken à Midi
peut se situer entre 25, 75 et 100 gourdes. C'est ce qui traduit la
difficulté pour nous de fixer ce prix dans ce tableau.
* 94 _ Cf. Jn Anil Louis Juste,
« La question de la personnalité chez le paysan
haïtien » in Alter Presse, soumis le 1er juillet
2004, consulté en Mars 2009
* 95 _ Cf. Judith Harris,
pourquoi nos enfants deviennent ce qu'ils sont? , Robert Laffont,
Paris, 1999
* 96 _ Cf. Pierre
Bourdieu, les Héritiers. Les étudiants et la culture, De
minuit, Paris, 1984
* 97 _ Cf. Concept
référentiel qui décalque le modèle identitaire du
Noir Américain rappeur qui se qualifie ou se fait qualifier souvent de
« Street Negro ou Street Nigga » en opposition à
la dénomination de « Home Boy » qui
signifierait « Garçon de maison »
* 98 _ Voir la notion d'
« Imprinting », Konrad Lorenz, évolution et
modification de comportement, ed. Payot&Rivâges, Paris, 2007.
* 99 _ Cf. Boudon
Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Quadrige, PUF,
Paris, 2000
* 100 _ Cf. Entretien
réalisé avec le professeur Jean Robert Chéry le 21 Avril
2009 en son bureau.
* 101 _ Cf. Stéphanie
Tessier, Langage et culture des enfants de la rue, Kartala, Paris,
1995
* 102 _ Cf. Colette Humbert,
la Conscientisation, ed. L'Harmattan, L'INODEP
* 103 _ Cf. Jn Anil Louis
Juste, De la crise de l'Education a l'éducation de la crise,
Imprimeur II, Port -au-Prince, 2003
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