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Les incitations fiscales à  l'exportation après la promulgation du code d'incitations aux investissements

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par Taher Chahmi
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Mastère en droit des affaires 2009
  

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Paragraphe 2 : Les difficultés d'évaluation inhérentes à l'administration fiscale

Aujourd'hui, il semble que l'administration fiscale tunisienne n'a pas seulement la volonté (A) mais aussi elle n'a pas les capacités suffisantes (B) pour assurer une évaluation juste du manque à gagner résultant des incitations fiscales à l'exportation.

A) L'absence de volonté242(*) de l'administration fiscale 

L'administration fiscale ne veut pas probablement évaluer le manque à gagner de recettes fiscales dû à l'octroi des incitations fiscales à l'exportation. Elle « a pris l'initiative de chiffrer avec mention sur la quittance de l'avantage résultant des allégements d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu ce qui lui permet probablement, aujourd'hui de disposer de statistiques fort pertinentes sur ces éléments »243(*). Mais, elle n'a pas évalué le coût budgétaire des incitations fiscales à l'exportation. Ceci peut être expliqué par le défaut d'une réglementation de l'évaluation en Tunisie (1) et par la crainte de l'administration fiscale de l'alourdissement de sa tâche (2).

1- Le défaut d'une réglementation de l'évaluation en Tunisie

L'attitude passive de la part de l'administration fiscale tunisienne quant à l'évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation peut être expliquée par l'absence d'« une réglementation organisant la procédure de chiffrage (calcul ou estimation) de comptabilisation et de reporting à l'assemblée nationale en Tunisie »244(*). En effet, il n'existe pas en Tunisie un texte qui oblige l'administration à procéder à l'évaluation du manque à gagner de recettes fiscales résultant de l'octroi des avantages fiscaux. Ceci contrairement à la France où la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 a confirmé dans son art 51, la nécessité de recenser et d'évaluer les dépenses fiscales de l'Etat. L'art 51 de cette loi prévoit que : « sont joints au projet de loi de finances de l'année ; une annexe explicative analysant les prévisions de chaque recette budgétaire et présentant les dépenses fiscales... ».

L'absence d'une telle disposition législative en droit tunisien n'oblige en rien l'administration fiscale à réaliser même une évaluation approximative du coût de tous les avantages fiscaux et notamment ceux relatifs à l'exportation. Ainsi, la question de l'évaluation du manque à gagner de recettes fiscales dû à l'octroi des incitations fiscales à l'exportation demeure une question de choix pour l'administration fiscale tunisienne. En d'autres termes, celle-ci peut procéder à l'évaluation comme elle peut s'abstenir et se contenter des opérations de recouvrement de l'impôt. Ce qui démontre certainement que l'opération d'évaluation passe après d'autres considérations pour l'administration fiscale.

L'absence d'une obligation légale donne une marge de discrétion à l'administration qui même si elle procède à l'évaluation, l'information n'est pas publique. Cette situation est tout à fait critiquable car dans certains pays développés, comme les Etats unis et la France, l'évaluation périodique du coût des avantages fiscaux relève de la compétence d'organismes déterminés. Aux Etats unis, l'administration fédérale publie annuellement un rapport qui comporte une liste des dépenses fiscales soumise chaque année au contrôle et à l'appréciation du congrès. En France, le conseil des impôts doit retracer chaque année, dans un fascicule annexé au budget, les dépenses fiscales.

Comment peut-on ignorer l'importance de l'opération d'évaluation en Tunisie ?

En accordant des avantages fiscaux à l'exportation, « l'Etat abandonne sottement des ressources budgétaires dont il a grand besoin »245(*) et pourtant, on ne trouve aucun texte en droit positif tunisien qui impose à l'administration fiscale de procéder à une telle « opération aussi essentielle pour l'avenir de l'Etat »246(*) .

Dés lors, une réglementation rigoureuse de l'évaluation du coût des avantages fiscaux doit être mise en oeuvre pour ne pas laisser l'opération d'évaluation dépendre de la volonté de l'administration fiscale qui semble refuser même l'évaluation des moins-values des recettes fiscales résultant des incitations fiscales à l'exportation parce qu'elle craint l'alourdissement de sa tâche.

2- Le risque de l'alourdissement de la tâche de l'administration fiscale

Si l'administration fiscale va évaluer le manque à gagner résultant des incitations fiscales à l'exportation, elle sera certainement obligée d'évaluer tous les autres avantages fiscaux qui sont aussi complexes que les incitations fiscales à l'exportation. Ainsi, sa tâche devient extrêmement difficile. Elle doit charger dans ce cas un grand nombre de personnels qui doivent être les plus qualifiés et les plus compétents en la matière car l'opération d'évaluation de la diminution de recettes fiscales qui auraient été perçues en l'absence247(*) des incitations fiscales à l'exportation est une opération très délicate et difficile.

Il semble que l'administration fiscale ne dispose pas actuellement de personnels suffisamment compétents pour réaliser une telle opération. Même si elle en a, elle n'a pas le nombre suffisant pour réaliser une telle opération.

Il parait également que l'administration fiscale refuse même de charger des personnels qualifiés de réaliser l'évaluation du coût budgétaire de tous les stimulants fiscaux parce qu'elle en a besoin dans d'autres opérations qui sont considérées plus importantes comme par exemple le contrôle approfondi de la situation des contribuables.

L'administration fiscale est chargée de la détermination de l'assiette, l'évaluation de la matière imposable, la liquidation, le contrôle très poussé des activités de production, l'examen minutieux des comptabilités des entreprises248(*). Ces opérations sont d'application difficile. Il semble donc qu'elle craigne d'alourdir encore sa mission si elle procède à l'évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation. Elle considère probablement que cette opération va lui perdre à la fois du temps et de l'argent car une telle opération exige des frais supplémentaires pour avoir les informations nécessaires puisqu'il n'y a pas apparemment de coordination entre les différentes administrations.

C'est probablement pour ces raisons ou pour d'autres que l'administration fiscale renonce à toute opération d'évaluation. Mais, abstraction faite de sa volonté, l'administration fiscale ne peut pas réaliser une juste évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation.

B) L'incapacité de réalisation d'une évaluation exacte du coût des incitations fiscales à l'exportation

Toute opération d'évaluation implique la disponibilité des moyens techniques et les informations nécessaires. Toutefois, l'administration fiscale souffre d'un manque de procédés d'évaluation(1) et d'informations concernant l'impôt éludé(2).

1- Manque de procédés d'évaluation

L'évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation « suppose l'existence de déclaration pour pouvoir calculer l'impôt théorique »249(*).

En ce qui concerne le régime suspensif, les entreprises exportatrices bénéficiaires de ce régime doivent déclarer la TVA suspendue parce qu'en vertu de l'art 11 du code de la TVA,  le bon de commande sur lequel doivent être portées les indications : « Achat en suspension de la TVA, décision N°...du... », doit être destiné au centre de contrôle des impôts compétent.

En plus, les bénéficiaires de l'exonération de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés sont tenus de déclarer leurs revenus ou bénéfices exonérés en vertu des articles 59-1 et 60 du code de l'impôt sur le revenu et impôt sur les sociétés. « Ce qui permet de  quantifier les avantages fiscaux »250(*) surtout que l'art 85 du code des droits et procédures fiscaux prévoit des pénalités de retard pour défaut de déclaration des revenus ou bénéfices exonérés.

Mais, une partie des incitations fiscales à l'exportation s'analyse comme des exonérations d'impôt dont les bénéficiaires sont dispensés de la production de toute déclaration qui aurait permis à l'administration de calculer exactement les gains d'impôt réalisés effectivement par ces derniers et par conséquent le manque de recettes fiscales qui est effectivement supporté par le budget de l'Etat et la collectivité locale. C'est le cas de l'exonération des droits d'enregistrement et de timbre.

« Le caractère systématique des déclarations a facilité le travail de recensement de la direction générale des douanes. Celle-ci exigeait lors de l'importation que l'entreprise exportatrice paie la taxe sur les formalités douanières et accomplisse les formalités prévues pour profiter de l'exonération des droits de douanes. Il reste à la direction des douanes de calculer sur la base de ces donnée l'imposition théorique de ces entrées en soustrayant, la taxe sur les formalités douanières perçue à cette occasion »251(*).

On constate ainsi que contrairement à la direction générale de douanes252(*), l'administration fiscale n'a pas suffisamment de supports matériels qui lui permettent de calculer précisément les gains d'impôts réalisés effectivement par les bénéficiaires des incitations fiscales à l'exportation et par conséquent le manque de recettes fiscales qui est effectivement supporté par l'Etat.

En plus, la direction générale de douanes n'a réussi à calculer le coût des exonérations ou suspensions des droits de douanes liées à l'importation que grâce au système informatique S.I.N.D.A253(*). Donc, l'administration fiscale a besoin de moyens informatiques pour évaluer le coût budgétaire des avantages fiscaux. Toutefois, malgré l'introduction de l'informatique comme instrument de travail au sein de l'administration fiscale, celle-ci n'a pas évalué le coût des incitations fiscales à l'exportation. Il parait donc que ces moyens sont insuffisants ou qu'ils ont été seulement réservés à d'autres missions. Mais, même si les moyens informatiques seront employés dans l'évaluation du coût des incitations fiscales, l'administration fiscale ne peut pas aboutir à une évaluation précise car certaines informations nécessaires peuvent lui échapper.

2- Le défaut d'informations relatives à l'impôt éludé 

L'administration fiscale n'est pas capable de réaliser une juste évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation parce qu'elle « dispose uniquement de statistiques sur l'impôt recouvré, mais d'aucun élément sur l'impôt éludé »254(*). En effet, la minoration de recettes fiscales résulte aussi de la fraude et de l'évasion255(*). Mais, l'administration fiscale ne peut prendre en compte ni de la fraude (a) ni l'évasion fiscale (b) dans l'évaluation du manque à gagner des recettes résultant de l'octroi des incitations fiscales à l'exportation.

a- La fraude fiscale

La fraude fiscale « fausse l'effort d'évaluation »256(*). Elle risque de gonfler le manque à percevoir de recettes fiscales en raison de l'octroi des incitations fiscales à l'exportation. En effet, «  la fraude est le recours à des procédés illégaux. Il ya donc fraude lorsque le contribuable se soustrait volontairement et illégalement à l'impôt »257(*).

Les cas de fraudes sont nombreux. Les entreprises exportatrices peuvent frauder pour bénéficier de la déduction de la TVA grevant ses achats. Dans ce cas, « elles produisent des fausses factures par une entreprise de façade pour pouvoir déduire la TVA »258(*).

Si on tient compte des cas dans lesquels l'administration fiscale se trouve dépassée par les moyens illégaux utilisés par les contribuables pour pouvoir bénéficier des avantages fiscaux à l'exportation, on peut imaginer le volume des recettes fiscales perdues par l'Etat à cause de l'octroi de ces incitations et qui ne peut pas être pris en compte dans le calcul du manque à gagner de recettes fiscales engendrées par les incitations fiscales à l'exportation. A cet égard, la détermination du coût réel des incitations fiscales à l'exportation s'avère extrêmement difficile pour l'administration fiscale car elle ne peut pas détecter l'ensemble des sommes soustraites de l'Etat par le recours à des moyens illégaux.

En plus, l'introduction d'un nouvel avantage exige des moyens administratifs importants pour révéler les cas de fraude fiscale. Aujourd'hui, les incitations fiscales à l'exportation sont devenues multiples alors que le nombre des agents de l'administration fiscale chargés de contrôle fiscal en la matière n'est pas aussi important que ces avantages fiscaux. Actuellement, « chaque agent ne peut pas traiter plus de 8 sociétés par an ce qui ne permet certainement pas de découvrir tous les cas de fraude fiscale »259(*) et qui ne permet pas par conséquent à l'administration fiscale de calculer exactement le montant du manque à percevoir de recettes fiscales résultant de l'octroi des stimulants fiscaux.

Ainsi, on peut dire que si la fraude fiscale résultant des incitations fiscales à l'exportation est difficile à évaluer, il vaudrait mieux estimer le montant global du manque à percevoir sans évaluer la part qui revient à la fraude en matière des incitations fiscales à l'exportation. Mais, on aboutit dans ce cas à une simple estimation.

Par conséquent, « la lutte contre la fraude doit demeurer l'effort prioritaire de l'administration fiscale »260(*) pour bien évaluer le coût des incitations fiscales à l'exportation. Mais, il ne faut pas négliger l'évasion fiscale qui fausse aussi toute tentative d'évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation.

b- L'évasion fiscale :

Comme la fraude fiscale, l'évasion fiscale fausse également l'évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation qui peut être faite par l'administration fiscale. En effet, l'évasion fiscale  consiste à « profiter des lacunes de la loi »261(*). Ainsi, contrairement à la fraude, le contribuable n'emploie pas ici des moyens illégaux pour bénéficier des avantages fiscaux mais il « utilise son habilité ou des moyens légaux pour échapper à l'impôt »262(*).

L'évasion fiscale « alourdit le coût en terme de recettes fiscales »263(*) puisqu'elle représente une source de perte effective pour le trésor.

L'administration fiscale ne peut pas tenir compte des pertes engendrées par l'évasion fiscale dans l'évaluation du coût budgétaire des incitations fiscales à l'exportation. A ce niveau, il parait nécessaire d'évoquer quelques procédés d'évasion fiscale en matière d'exportation devant lesquels l'administration fiscale se trouve parfois impuissante.

Dans ce cadre, Mr Habib Ayadi donne comme exemple « le transfert des actifs appartenant à une entreprise existante pour pouvoir prétendre à l'exonération temporaire »264(*). Dans ce cas, une entreprise exportatrice dont la période de déduction totale arrive à l'expiration, cède ses actifs à une nouvelle entreprise pour continuer de bénéficier de la déduction de ses revenus ou bénéfices provenant de l'exportation.

En plus, « la limitation de l'obtention de l'avantage de la déduction des revenus ou bénéfices provenant de l'exportation pour une durée de dix ans peut amener certains exportateurs dont la période de déduction a expiré à liquider les anciennes entreprises et constituer de nouvelles sous d'autres raisons sociales pour bénéficier une autre fois de l'avantage »265(*).

La lutte contre l'évasion fiscale est extrêmement difficile et même « la loi ne peut pas prévoir, la variété des situations concrètes ni la fertilité d'imagination des contribuables »266(*). Comment peut-on s'attendre que l'administration fiscale puisse parvenir à une évaluation exacte du manque à gagner de recettes fiscales en raison de l'octroi des incitations fiscales à l'exportation ?

Abstraction faite de ces difficultés, une appréciation même approximative est possible et elle permet de donner une certaine idée sur le coût important des incitations fiscales à l'exportation supporté par le trésor public.

Section 2 : La possibilité d'une estimation267(*) du coût budgétaire des incitations fiscales à l'exportation

Il est possible d'évaluer approximativement le manque à gagner de recettes fiscales qui résulte de l'octroi des incitations fiscales à l'exportation puisque les incitations fiscales « s'analysent comme des dépenses fiscales »268(*). D'ailleurs, la direction générale des avantages fiscaux et financiers a suivi cette méthodologie (paragraphe 1) dans sa tentative d'évaluation du coût des stimulants fiscaux relatifs à l'exportation (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La méthodologie d'évaluation du coût des incitations fiscales à l'exportation

Les incitations fiscales à l'exportation doivent être évaluées en tant que dépenses fiscales parce que cette modalité est d'une grande importance(A). Des méthodes de calcul peuvent être employées (B) pour aboutir à une estimation du manque à percevoir de recettes fiscales en raison de l'octroi de ces mesures.

A) L'importance de l'évaluation en tant que dépenses fiscales

Les incitations fiscales à l'exportation représentent «des charges pour le budget de l'Etat, au même titre que les dépenses directes de l'Etat »269(*). Comme tout avantage fiscal, elles représentent des dépenses fiscales. En effet, ce concept de dépenses fiscales « apparait comme le symétrique de l'expression dépenses budgétaires et comme le négatif de l'expression recettes fiscales permet de souligner que ces dispositions fiscales dérogatoires représentent un manque à gagner pour la collectivité »270(*).

L'évaluation en termes de dépenses fiscales présente en fait de multiples intérêts. D'abord, elle constitue un préalable nécessaire pour pouvoir juger de l'efficacité pratique des incitations fiscales à l'exportation. Ensuite, elle permet la détermination du coût approximatif afférent à l'application des avantages fiscaux à l'exportation. En plus, l'évaluation des stimulants fiscaux relatifs à l'exportation en tant que dépenses fiscales constitue un outil d'aide à la décision dans la mesure où elle permet aux autorités d'évaluer l'impact de leurs stratégies non seulement sur l'administration publique mais aussi sur l'économie dans son ensemble tout en tenant compte des réactions des entreprises et de leurs craintes éventuelles271(*). Enfin, grâce à elle, on peut recenser les différentes mesures dérogatoires et déterminer leur coût et leurs bénéficiaires par secteur d'activité. Le résultat d'une telle analyse peut inciter au maintien de la politique incitative, son renforcement ou sa remise en cause. Toutefois, pour le calcul approximatif du manque à gagner de recettes fiscales provenant des incitations fiscales à l'exportation, des méthodes de calcul sont à utiliser.

B) La recherche d'une méthode de calcul du coût budgétaire des incitations fiscales à l'exportation 

L'administration tunisienne devrait s'inspirer de l'une des méthodes d'évaluation utilisées dans certains pays pour déterminer le coût des avantages fiscaux. Il convient de signaler que ces méthodes ne sont pas spécifiques au calcul du coût des incitations fiscales à l'exportation. Mais elles sont utilisées pour le calcul des dépenses fiscales d'une manière générale. À ce niveau, on peut présenter les principales méthodes d'évaluation afin d'en choisir la plus adaptée pour le calcul du coût approximatif des incitations fiscales à l'exportation en tant que dépenses fiscales :

La première méthode est celle des pertes de recettes. « Elle consiste à calculer ex post le montant du manque à gagner sur les recettes du fait de l'application des stimulants fiscaux »272(*) .

La deuxième est la méthode des gains de recettes qui « permet de calculer ex ante l'augmentation de recettes attendue en cas de suppression de l'avantage. Cette méthode diffère de la première dans la mesure où elle implique une estimation des comportements probables en réaction au changement apporté »273(*). Cette méthode a été utilisée par les Pays- Bas qui ont mis en place en 2001 un cadre de contrôle des dépenses fiscales.274(*)

La dernière est l'évaluation à partir des déclarations des contribuables. En effet, cette méthode de calcul des dépenses fiscales a été employée en Irlande. Mais, « depuis l'instauration d'un système déclaratif en 1988, les données concernant certains allégements ne sont plus disponibles séparément dans les déclarations fiscales, ce qui fait que le coût de certains allégements est devenu impossible à chiffrer ou du moins plus difficile à estimer »275(*). L'évaluation du coût des incitations fiscales notamment celles relatives à l'exportation à partir des déclarations ne peut pas être utilisée par l'administration tunisienne car les données chiffrées issues des déclarations ne sont pas toutes disponibles276(*).

Parmi ces méthodes de calcul, l'évaluation ex ante semble être la plus convenable pour évaluer approximativement le coût budgétaire des incitations fiscales à l'exportation en Tunisie parce qu'elle constitue « un remède à l'instabilité »277(*) de la législation relative aux avantages fiscaux « à condition d'une inflexion effective des comportements à moyen et long terme »278(*)des bénéficiaires de ces avantages.

Mais en réalité, la méthode de calcul des pertes de recettes toutes choses égales en mesurant ex post le manque à percevoir de recettes fiscales en raison de l'application des stimulants fiscaux à l'exportation est plus facile à exploiter que les autres techniques en raison de l'incertitude des résultats de l'estimation des comportements des bénéficiaires des incitations fiscales. D'ailleurs, elle est la plus utilisée par les pays membres de l'OCDE et notamment par le Maroc.

C'est afin d'éviter une chute de ses recettes fiscales suite à la signature de l'accord de libre échange avec l'Union européenne, que le Maroc a entrepris une évaluation de ses dépenses fiscales279(*). Depuis octobre 2005, le ministère marocain des finances publie un rapport des dépenses fiscales qui fera partie de l'élaboration du budget. Ce rapport est l'une des mesures insérées dans une réforme globale des exemptions fiscales dont le principal objectif est de rationnaliser le système d'exonérations fiscales280(*). Il « a pour objectif d'allouer des ressources efficaces, de renforcer les finances du gouvernement et de contribuer significativement à la transparence au niveau fiscal » 281(*). « Les résultats du rapport des dépenses fiscales marocaines pour l'année 2006 montrent que les pertes contractées suites aux mesures d'incitation tant mises en oeuvre qu'en cours d'application sont passées de 15,7% des recettes en 2005 à 19% en 2006 soient 4,3% du PIB en 2006 contre 3,4% en 2005 »282(*).

En l'absence d'un tel rapport en Tunisie, on ne peut démontrer l'importance du coût budgétaire des incitations fiscales à l'exportation qu'à travers l'estimation chiffrée faite par la direction générale des avantages fiscaux et financiers.

Paragraphe 2 : La tentative de la direction générale des avantages fiscaux et financiers

La direction générale des avantages fiscaux et financiers a réalisé une estimation du coût budgétaire des incitations fiscales et notamment celles relatives à l'exportation. C'est à partir de l'analyse du contenu de cette estimation qu'on peut constater le coût budgétaire exorbitant des incitations fiscales à l'exportation (A). Mais cette tentative bien qu'elle soit édifiante, elle a des limites (B).

A) L'analyse de l'estimation 

D'après une enquête283(*) menée auprès de la direction générale des avantages fiscaux et financiers, on a pu parvenir aux résultats suivants :

L'estimation faite par la direction générale des avantages fiscaux et financiers consiste à évaluer le montant des impôts qui auraient dû acquitter les entreprises exportatrices si elles n'avaient pas bénéficié des incitations fiscales.

Le coût élevé des incitations fiscales à l'exportation en termes de recettes fiscales qui auraient dues être prélevées s'avère surtout à travers les montants qui figurent dans le tableau communiqué par la direction générale des avantages fiscaux et financiers 284(*)dans lequel les incitations fiscales à l'exportation sont illustrées par la valeur des dépenses fiscales.

En analysant ce tableau285(*), on constate que les dépenses fiscales pour l'exportation totale sont les plus coûteuses pour le trésor elles sont passées de 213302 (MDT) en 2003 à 595943 en 2007 alors que pour l'exportation partielle, elles sont passées de 83043 (MDT) en 2003 à 114419 en 2007. Les dépenses fiscales enregistrées dans les parcs d'activités économiques sont aussi lourdes pour le trésor, elles ont été estimées en 2007 à 42546 (MDT) contre 15953 (MDT) en 2003. En ce qui concerne le manque à gagner provisoire dégagé du régime suspensif consacré par le code de la TVA, il a été estimé en 2003 à 7167 (MDT) et à 24626 (MDT) en 2007. Quant aux avantages fiscaux accordés aux entreprises régies par le code des hydrocarbures, leur coût en termes de recettes fiscales a été estimé en 2003 à 3128 MDT et il a atteint 38029 (MDT) en 2007.

Ces montants reflètent certainement un manque à gagner de recettes fiscales énorme que l'Etat gagnerait s'il n'accordait pas des allégements fiscaux à l'exportation. Certes, cette tentative d'estimation marque une nouvelle étape dans l'évaluation des dépenses fiscales. Mais, comme toute tentative, elle présente des limites.

B) Les limites de la tentative de la direction générale des avantages fiscaux et financiers

La tentative de la direction générale des avantages fiscaux et financiers se caractérise par des imperfections au niveau du contenu (1) et insuffisances au niveau de la forme(2).

1- Les imperfections au niveau du contenu 

Malgré l'effort fourni par la direction générale des avantages fiscaux et financiers, l'estimation du coût des incitations fiscales à l'exportation demeure incomplète pour plusieurs raisons :

D'abord, les estimations portent seulement sur les années de 2003 jusqu'à 2007. En conséquence, elles fournissent des indications insuffisantes pour suivre l'évolution du coût des incitations fiscales à l'exportation.

Ensuite, le coût constaté au niveau du code des hydrocarbures est gonflé car il tient compte de tous les avantages fiscaux dont bénéficient les sociétés de services opérant dans le secteur de l'énergie et non pas seulement de la déduction des bénéfices provenant de l'exportation. En plus, l'étude menée par la direction générale des avantages fiscaux et financiers ne contient aucune référence au manque à gagner résultant de l'octroi des avantages fiscaux aux organismes financiers et bancaires travaillant essentiellement avec les non résidents.

Enfin, certains avantages fiscaux figurent dans le tableau d'évaluation mais leur coût fait défaut ; c'est le cas de l'exonération des droits d'enregistrement et de timbre pour les entreprises totalement exportatrices et les entreprises implantées dans les parcs d'activités économiques286(*).

Toutefois, l'estimation de la direction générale des avantages fiscaux et financiers n'est pas seulement imparfaite au niveau de son contenu mais aussi elle est insuffisante au niveau de sa forme.

2- Les insuffisances au niveau de la forme 

Même s'il s'agit d'une simple estimation, cela ne devrait pas empêcher de publier les informations sur le coût des avantages fiscaux relatifs à l'exportation

La tentative de la direction générale des avantages fiscaux et financiers n'a pas pris la forme officielle puisqu'elle n'est pas publiée. En effet, la direction générale des avantages fiscaux et financiers dispose des données statistiques concernant le coût des avantages fiscaux et notamment celui des incitations fiscales à l'exportation mais elle refuse tout simplement de les porter à la connaissance du public et les membres du parlement. D'ailleurs, l'attitude de l'administration concernant les avantages fiscaux en générale consiste toujours à refuser toute publication des documents constatant une évaluation même approximative du coût de ces incitations fiscales à l'exportation. Ceci peut être expliqué par l'absence d'obligation légale en droit positif tunisien d'établir un rapport d'évaluation du coût des incitations fiscales et de l'annexer au budget. Ceci contrairement à beaucoup de pays de l'OCDE et quelques pays non membres de l'OCDE qui signalent les mesures d'incitation fiscale dans leur rapport des dépenses fiscales287(*).

Les données statistiques existent288(*), mais « elles constituent pour l'administration l'un des secrets qu'elle refuse de divulguer.  Ce refus semble révélateur d'une incertitude quant à la fiabilité des informations statistiques collectées par des organes dont les moyens sont limités pour pouvoir procéder à une opération effective d'évaluation » 289(*).

Toutefois, une meilleure connaissance des effets des incitations fiscales à l'exportation sur les finances publiques implique de rendre transparente l'estimation de leur coût. La direction générale des avantages fiscaux et financiers doit faire preuve de transparence et ceci à travers l'établissement et la publication d'un rapport sur les dépenses fiscales qui devrait être annexé au budget.

Mais, la portée limitée des incitations fiscales à l'exportation s'avère aussi à travers leur faible efficacité.

* 242 _ L'expression est utilisée par  Kraiem Sami, mémoire précité, p139.

* 243 _  Yaich Raouf, « Dépenses fiscales et fiscalité dérogatoire », (première partie), Revue comptable et financière, N°62, 4ème trimestre 2003, p61.

* 244 _ Ibid, p61.

* 245 _ Moussa Pierre, Les nations prolétaires, Paris, PUF, 1963, p42.

* 246 _ Kraiem Sami, mémoire précité, p 141.

* 247 _ Besbes Slim, « La notion de politique fiscale » RTD 1997, p63

* 248 _ Rhomari Mostafa, « L'administration de la taxe sur la valeur ajoutée : cas du Maroc », RMDED, N°19, 1989, p169.

* 249 _ Ayadi Habib, Droit fiscal, op cit, p537.

* 250 _ Baccouche Néji, Droit fiscal général, op cit, p305.

* 251 _ Allani Fayçal, mémoire précité, p126.

* 252 _ La direction générale des douanes a même évalué l'effet du démantèlement tarifaire suite à l'accord d'association avec l'union européenne sur les droits de douanes. Voir annexe 3-1. P184.

* 253 _ Système d'information douanier automatisé mis en exploitation en 1982. Pour plus d'informations consultez le site : www.douane.gov.com

* 254 _ Jouyet (JP), Gibert (B) et Mouet (Ph), « Les dépenses fiscales...tour d'horizon », RFFP, N°18, 1987, p23.

* 255 _ Mannaa Kacem, « Les avantages fiscaux en matière de la taxe sur la valeur ajoutée », mémoire de DEA en droit public, Faculté de droit et des sciences économiques et politiques de Sousse, 2000-2001, p101.

* 256 _ Ibid.

* 257 _ Baccouche Néji,  Droit fiscal, Tunis, ENA, CREA, 1993, p172.

* 258 _ Idem.

* 259 _ Des informations fournies par la direction générale des impôts.

* 260 _ Ayadi Habib, « Tendance générale de la politique fiscale de la Tunisie depuis l'indépendance », RTD, 1980, p68.

* 261 _ Gilbert Tixier et Guy Gest, Droit fiscal international, Paris, PUF, 1986, p29.

* 262 _ Baccouche  Néji, Droit fiscal, op cit, p171.

* 263 _ OCDE, «  Fiscalité et investissement direct étranger : l'expérience des économies en transition », 1995, p10.

* 264 _ Ayadi Habib, Droit fiscal et droit fiscal comparé, Tunis, CERP, 1976, p62.

* 265 _ Ben Nasr Amira et Akrout Fatma, « Les incitations fiscales à l'exportation », mémoire de fin d'études, maîtrise en comptabilité, ISG, Tunis, 2005-2006, p66.

* 266 _ Duverger Maurice, Elément de fiscalité, Paris, PUF, 1976, p50.

* 267 _ Selon le dictionnaire «Le Robert », l'estimation signifie un calcul approximatif.

* 268 _ Allani Fayçal, mémoire précité, p112.

* 269 _ Jouyet (JP), Gibert (B) et Mouet (Ph), art précité, p21.

* 270 _Yaich Raouf, « Dépenses fiscales et fiscalité dérogatoire », (première partie), article précité, p61.

* 271 _ www.oecd.org / data oecd. Le système d'incitation aux investissements en Tunisie.

* 272 _ OCDE, Dépenses fiscales, expériences récentes, 1996, p14.

* 273 _ Ibid, p14.

* 274 _ Yaich Raouf, « Dépenses fiscales et fiscalité dérogatoire », (deuxième partie) in revue, comptable et financière N°63, première trimestre 2004, p54.

* 275 _ OCDE, Dépenses fiscales, expériences récentes, op cit, p96-97.

* 276 _ Voir supra, p69 et s.

* 277 _ Yaich Raouf, « Dépenses fiscales et fiscalité dérogatoire », (deuxième partie), article précité, p62.

* 278 _ Ibid, p62.

* 279 _ www.cairn.info/load_pdf?ID_ARTICLE=AFCO_223_0309

* 280 _ www.affaires-generales.gov.ma/documents/OCDE

* 281 _ www.oecd.org/data oecd. Le système d'incitation aux investissements en Tunisie.

* 282 _ Idem.

* 283 _ En l'absence d'une évaluation officielle du coût des incitations fiscales à l'exportation, on était obligé de faire une enquête auprès de la direction générale des avantages fiscaux et financiers.

* 284 _ Ce tableau ne contient que des données sur les années : 2003 à 2007. C'est pourquoi, on va se limiter à l'analyse du coût des incitations fiscales à l'exportation durant cette période. Voir annexe 3-2. P175.

* 285 _ Voir annexe 3-2, p185.

* 286 _ Voir annexe 3-2, p187.

* 287 _ www.oecd, org/ data o ecd.

* 288 _ Voir supra, p78.

* 289 _ Kraiem Sami, mémoire précité, p140.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway