Le 25 août 1997, Lionel Jospin, à
l'époque premier ministre, annonçait tout mettre en oeuvre pour
rendre accessible à tous, gratuitement, les données publiques
dites « essentielles ».
« Depuis près de vingt ans,
l'accès aux documents administratifs est devenu une véritable
liberté publique ; aujourd'hui, la technologie facilite les conditions
de leur diffusion. Les données publiques essentielles doivent
désormais pouvoir être accessibles à tous gratuitement sur
Internet.
Ainsi, puisque « nul n'est censé
ignorer la loi », je ferai en sorte que ce soit le cas du contenu du
Journal officiel de la République française.
J'entends privilégier une conception
ambitieuse du droit à l'information du citoyen : la diffusion
internationale de nos documents publics doit à cet effet être
favorisée. »24(*)
Un an plus tard, un service d'information d'accès
gratuit aux codes en vigueur non codifiés, aux lois, décrets, et
à l'actualité jurisprudentielle récente, voyait le jour :
Legifrance.
La Circulaire du 17 décembre 1998 relative
à la diffusion de données juridiques sur les sites Internet des
administrations, qui fait suite au discours d'Hourtin, a créé
Legifrance: un service d'information qui organise un accès gratuit
« à un ensemble de données juridiques [dites]
essentielles »; « les éditions quotidiennes du
Journal officiel », « les grands arrêts des trois
ordres de juridiction et l'actualité jurisprudentielle
récente », et « l'ensemble des codes en vigueur
ainsi que les principaux textes régissant les matières n'ayant
pas encore fait l'objet d'une codification. »
Depuis, les autorités publiques n'ont cessé
d'élargir la liste de ces données publiques jugées
essentielles ou tout au moins diffusées...
« La diffusion gratuite des
données publiques essentielles sur l'internet, que nous avons
décidée lors du lancement du programme d'action gouvernemental
pour la société de l'information, permet un enrichissement du
débat public.
Cette diffusion gratuite progresse
régulièrement : elle concerne déjà, par exemple, le
Journal officiel, les annonces de marchés publics et les rapports
publics.
Nous avons décidé de la renforcer.
La diffusion gratuite des données juridiques sera étendue
dès la fin de cette année à toutes les lois et à
tous les décrets en vigueur, sous forme consolidée, au Journal
officiel lois et décrets depuis janvier 1990, au lieu de janvier 1998
actuellement, et aux conventions collectives ayant fait l'objet d'un
arrêté d'extension au plan national.
Ensuite, nous mettrons en place un service public
de la diffusion gratuite et exhaustive des bases de données juridiques,
y compris la jurisprudence.»25(*)
Ce qui n'a pas échappé aux éditeurs
privés qui dénoncent avec virulence ces interventions
« de la puissance publique en matière
éditoriale », qu'ils auraient souhaitées voir
cantonnées aux « données publiques, normatives,
brutes »: les textes publiés au Journal Officiel et les
décisions de justice rendues.
Renaud Lefebvre:
« Les éditeurs juridiques
ont pour triste privilège d'avoir été très
tôt confrontés à la concurrence d'une offre publique
massive. Reposant sur le dogme du « tout gratuit pour tous » [...]
Les effets négatifs en sont pourtant connus qu'il s'agisse des freins
à l'émergence de modèles économiques viables ou du
développement à grands frais d'une offre redondante avec des
contenus existants.»26(*)
Charles vallée:
« Le métier de l'État
n'est pas d'être éditeur. Selon nous, la puissance publique ne
peut se livrer à des activités d'édition qu'à deux
conditions. Il faut d'une part que cela entre dans sa mission de service public
et d'autre part qu'il y ait carence de l'édition
privée.
Dans tous les autres cas il nous semble que le jeu
éditorial est faussé dès lors que l'État s'appuie
sur les moyens que lui donne l'impôt et dispose du crédit qui
s'attache à la puissance publique pour publier des données
commentées dont il constitue la source même.
Nous soutenons, bien entendu, le principe de
l'accès au droit pour tous, lié à l'adage « Nul n'est
censé ignorer la loi. Mais, même à l'heure d'internet, nous
pensons que la diffusion par l'État de données publiques que nous
souhaitons voir rester « brutes », ne doit pas donner lieu, de la
part de l'Administration, sous peine d'excès de pouvoir, à un
quelconque enrichissement du contenu.
Cela, au nom, également d'un autre principe
fondamental selon lequel nul ne saurait être juge et partie en sa propre
cause.
Cela revient à souligner que cet
enrichissement doit relever des seuls éditeurs privés, et
s'agissant du droit, de ce que l'on désigne généralement
sous le terme de « doctrine »27(*).
Toutefois et pour l'heure, cette concurrence certes
« fâcheuse » n'a que peu ébranlé le
secteur privé qui voit son chiffre d'affaire croître et maintient
son architecture.