LES ENFANTS D'IMMIGRÉS ITALIENS DANS LES
ÉCOLES FRANCAISES
QUELQUES EXEMPLES DE PARCOURS SCOLAIRES DE 1935 A
1955
Master 2 de recherche en histoire préparé sous la
direction de Monsieur Michel CATALA, Professeur en Histoire
Contemporaine.
Par Louise CANETTE
LES ENFANTS D'IMMIGRÉS ITALIENS DANS LES
ÉCOLES FRANCAISES
QUELQUES EXEMPLES DE PARCOURS SCOLAIRES DE 1935 A
1955
Master 2 de recherche en histoire préparé sous la
direction de Monsieur Michel CATALA, Professeur en Histoire
Contemporaine.
Par Louise CANETTE
Je tiens ici à remercier les témoins qui m'ont
fait confiance en me livrant leurs histoires. Je souhaite aussi exprimer ma
gratitude aux personnes, historiens, sociologues ou passionnés
d'histoire, qui m'ont guidée dans cette recherche en me conseillant ou
en me permettant d'entrer en contact avec des enfants d'immigrés
italiens : Adriana Dadà, Antonio Bechelloni, Marie-Claude
Blanc-Chaléard, Odette Ossan, Laurent Garino, Patrick Goutefangea, Marc
Suteau et Georges Leclair.
> Table des sigles et des abréviations
:
ADLA : Archives Départementales de
Loire-Atlantique.
AMN : Archives Municipales de Nantes.
AN : Archives Nationales.
ARESSLI : Association de Recherche en Sciences
Sociales sur la Lorraine Industrielle.
BDIC : Bibliothèque de Documentation
Internationale Contemporaine.
BMN : Bibliothèque Municipale de Nantes.
BNF : Bibliothèque Nationale Française.
BNI : Bibliothèque Nationale Italienne.
B.P : Brevet Professionnel.
CADN : Centre des Archives Diplomatiques,
Nantes. C.A.P : Certificat d'Aptitude Professionnelle.
CC : Cours Complémentaires.
CCFI : Centre Culturel Franco-Italien.
CE1 : Cours Elémentaire Première
année.
CE2 : Cours Elémentaire Deuxième
année.
CEDEI : Centre d'Etude et de Documentation sur
l'Emigration Italienne.
C.E.G : Collèges d'Enseignement
Général. C.E.P : Certificat d'Etudes
Primaires.
CERI : Centre d'Etudes et de Recherches
Internationales.
C.E.T : Collèges d'Enseignement
Technique. CGT : Confédération
Générale du Travail.
CM1 : Cours Moyen Première
année.
CM2 : Cours Moyen Deuxième
année.
CNRS : Centre National de la Recherche
Scientifique.
CO.AS.IT : Comité
d'Assistance aux Italiens.
CP : Cours Préparatoire.
Dir. : Directeur.
DIR : Dossier d'Initiation à la
Recherche.
EN : Ecole Normale.
EPS : Écoles Primaires
Supérieures.
IA : Inspection Académique.
Ibid : Abréviation utilisée pour
éviter la répétition lorsque la même source a
été citée dans la référence
précédente.
IEP : Institut d'Etudes Politiques.
INA : Institut National de l'Audiovisuel.
INED : Institut National des Etudes
Démographiques.
INSEE : Institut National de la Statistique et
des Etudes Economiques.
IUT : Institut Universitaire de Technologie.
LIDU : Liga Italiana dei Diritti Dell Uomo.
MOI : Main d'Oeuvre Immigrée.
ODRIS : Observation Diffusion Recherche
Intervention en Sociologie.
OMB : Observatoire des Migrations en Bretagne
ONI : Office National d'Immigration.
Op. Cit. : Abréviation de la locution
latine « opus citatum » (oeuvre citée) utilisée pour
indiquer une référence bibliographique lorsque l'ouvrage a
déjà été cité.
TDLA : Traduction De L'Auteur.
INTRODUCTION
I). Introduction générale
« Vous m'avez décollé les yeux et
décrassé le dedans de la tête »
Cette phrase, tirée de l'autobiographie de
François Cavanna1 et destinée à ses
instituteurs, m'a marquée dès la première lecture des
Ritals. Au cours de ma dernière année de Licence, j'ai
lu l'ouvrage de Pierre Milza, Voyage en Ritalie2 qui m'a,
lui aussi, passionnée et donné l'envie d'étudier
l'immigration italienne en France. L'aspect, à la fois, politique et
humain de ce travail a renforcé mon intérêt pour ce sujet.
La réponse positive de M. Michel Catala m'a permis d'entamer mes
recherches avec, pour sujet de départ du Dossier d'Initiation à
la Recherche, l'immigration italienne entre les deux guerres. J'ai ensuite
décidé de partir à Florence dans le cadre du programme de
mobilité Erasmus au cours de ma première année de
recherches, j'ai ainsi pu bénéficier de fonds d'archives
différents de ceux que j'ai ensuite consulté en France.
M'immerger dans la vie quotidienne en Italie m'a par ailleurs permis
d'approcher de plus près le mode de vie de ses habitants et de mesurer,
par exemple, les clivages sociaux qui existent dans la Péninsule ou
encore l'impact de la religion sur les comportements individuels et collectifs
des Transalpins. Cette année passée à étudier
à l'université de Florence m'a aussi permis d'apprendre à
parler l'italien, ce qui est sans nul doute un atout pour aborder mon sujet,
certains témoignages étant rédigés dans la langue
maternelle des intervenants (particulièrement lorsque la scolarisation
des enfants n'a pas entraîné une sédentarisation
définitive en France, ou lorsque l'historien auquel est livré le
témoignage est lui-même Italien). De même, pouvoir lire des
historiens italiens me semble un apport bibliographique non négligeable
au traitement de ce sujet puisque nous parlerons ici des Italiens de France,
nous posant ainsi la question de leur scolarisation et de son implication. Les
enfants d'immigrés italiens fuyant Mussolini ont ainsi pu être
bien accueillis par des instituteurs républicains partageant des
opinions politiques parfois proches de celles de leurs parents, nombreux sont
les témoignages et les autobiographies regorgeant de souvenirs
1 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p.
38-39).
2 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris,
1993.
gratifiants des écoliers se disant remarquablement bien
intégrés au sein de l'Ecole Républicaine. Cependant,
d'autres entretiens, entre les historiens et les enfants d'origine italienne,
mettent en avant la sensation d'exclusion et d'humiliation ressentie par ces
derniers sur les bancs des classes de l'Hexagone. Cette variété
de témoignages, parfois contradictoires, nous engage à nous
interroger sur le comportement des enfants d'immigrés italiens dans les
écoles françaises et sur la façon dont ils sont accueillis
par les enseignants.
. Les travaux antérieurs et les sources
utilisées
A l'instar de Gérard Noiriel nous pouvons parler, en ce
qui concerne l'Ecole et les étrangers d'un « non-lieu de
mémoire »3. Dominique Schnapper explique ainsi, dans
La France de l'intégration, que les sociologues comme les
historiens « sensibles avant tout à la problématique des
classes sociales [...] ne se sont pas interrogés sur le rôle de
l'enseignement pour constituer et maintenir la collectivité nationale
»4. Cependant, s'il reste des études à mener, de
nombreux travaux ont tout de même été
réalisés. Citons ainsi les recherches d'Antoine Prost sur les
institutions scolaires et l'histoire sociale de l'Ecole5. Par
ailleurs, concernant les contenus des cours dispensés aux
élèves intéressant notre sujet, il nous faut souligner que
Mona et Jacques Ozouf6 ou encore Christian Amalvi7 ont
écrit des ouvrages très complets. Cependant, Olivier
Loubes8 met en lumière le manque de travaux concernant
l'Ecole française en tant que modèle assimilateur. Ces aspects
sont tout de même évoqués, bien qu'assez rapidement, dans
certains ouvrages répertoriés dans la bibliographie. Citons ainsi
Le Creuset français de Gérard Noiriel9,
L'opinion française et les étrangers de Ralph
Schor10, Voyage en Ritalie de Pierre Milza11,
ainsi que la thèse12 et les articles écrits
par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Sur l'immigration italienne
3 G. NOIRIEL, Le creuset français,
Paris, 1988.
4 D. SCHNAPPER, La France de
l'intégration, Paris, 1991 (p. 212).
5 A. PROST :
- L'enseignement en France (1800-1967), Paris, 1968.
- Autour du Front Populaire. Aspects du mouvement social au
XXème siècle, Paris, 2006.
6 M. et J. OZOUF, La République des
instituteurs, Paris, 2001.
7 C. AMALVI, Les lieux de l'histoire, Paris,
2005.
8 O. LOUBES, « L'école et ces
étrangers : assimilation et exclusion » dans P. MILZA et D.
PESCHANSKI, Exils et migration, Italiens et Espagnols en France
(1938-1946), Paris, 1994.
9 G. NOIRIEL, Le creuset français,
Paris, 1988.
10 R. SCHOR, L'opinion française et les
étrangers, Paris, 1985.
11 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris,
1993.
12 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000.
en France, la recherche a été si vaste qu'il semble
ici inutile de se préter à une fastidieuse liste de l'ensemble
des ouvrages sur le sujet.
Cependant, il n'existe pas à ce jour de travail faisant
un bilan des différences d'accueil au sein des institutions scolaires
des écoliers d'origine italienne sur tout le territoire français.
Nous nous proposons ici de commencer ces recherches. Précisons que, la
somme d'investigations sur tout le territoire français étant bien
trop lourde, nous recourrons en conséquence à des exemples
géographiquement variés afin de remarquer les éventuelles
différences au sein du territoire français. Face à la plus
vaste immigration que la France ait connue, les recherches livrées dans
ce Mémoire ne se veulent ni ne peuvent donc en aucun cas
prétendre à l'exhaustivité. Il est entendu que nous ne
faisons pas ici état de la situation de chacun des enfants italiens de
1935 à 1955 : il s'agit de se référer à quelques
cas et d'essayer de les situer grace aux études
précédemment menées par les historiens et sociologues. Nos
témoins sont-ils « originaux » ? Leurs cas reflètentils
une réalité retrouvée fréquemment dans la situation
de la plupart des enfants d'immigrés ? Pour des questions pratiques
liées à l'Université dans laquelle cette étude est
menée, notre regard s'est principalement porté sur les archives
concernant le phénomène migratoire italien dans l'Ouest de la
France. En effet, on retrouve dans les témoignages recueillis pour ce
Mémoire de nombreux Nantais, pourcentage qui ne représente en
aucune façon la proportion des Italiens de France installés dans
l'Ouest. Des exemples parisiens, lorrains ou encore marseillais ont cependant
constitué une source importante puisqu'ils nous ont permis d'avancer des
objets de comparaison des situations des différents enfants de migrants
implantés dans des villes ou dans des zones plus rurales, territoires
aux histoires migratoires très différentes.
Notre recherche est particulièrement sujette à
polémique dans cette période où les pouvoirs politiques
s'emparent des débats sur l'immigration à l'Ecole. L'utilisation
des témoignages est, non seulement utile mais aussi nécessaire
à une recherche sérieuse sur le sujet, elle nous permet de passer
ainsi, de l'horizon d'un seul à l'horizon de tous. Avec
l'émergence et l'affirmation de l'Ecole des Annales à partir des
années trente, l'Histoire s'inscrit désormais dans la longue
durée et, pour cela, bénéficie de l'apport des autres
sciences humaines et sociales. En ce qui concerne notre sujet, la sociologie
sera un des chaînons nécessaires à la bonne
compréhension de la mentalité des enfants d'immigrés dans
les écoles, les approches psychologiques de l'intégration des
élèves13, des rapports aux idiomes14, ou
encore des conflits
13 F. STORTONI, Clinique contemporaine des
Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis
Français... mais mon père était italien... »,
Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie) sous la
direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007.
14 J-C. VEGLIANTE, « le problème de la
langue : la « Lingua Spacà » », CEDEI, acte du colloque
franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans les
années 20 », Paris 15 au 17 octobre 1987.
intergénérationnels alimentés par le
phénomène migratoire, seront, elles aussi, utilisées.
L'immigration et l'Ecole n'échappent pas à cette relecture par le
« temps long ». Nous prenons alors en compte, comme facteurs
explicatifs, les précédentes réformes menées par
les ministères en charge de l'éducation - en ce qui concerne
l'Ecole - et les phases anciennes de mouvements de population - pour ce qui
concerne le phénomène migratoire. Les historiens et les
sociologues qui étudient cette période s'intéressent aux
témoignages des enfants de migrants car ils leur permettent de dresser
un tableau de l'histoire des mentalités. En tout, une soixantaine de
témoignages sont utilisés dans notre étude. Ils
relèvent de différentes sources : certains sont le
résultat d'entretiens directs, d'autres sont constitués par des
réponses de témoins à un questionnaire
précédemment envoyé. Certains témoignages, encore,
sont extraits d'ouvrages historiques et sociologiques, plus rarement nous avons
pu aussi recourir à l'utilisation d'autobiographies15. Cette
méthode biographique est utilisée dans un objectif de
reconstruction d'histoires individuelles, elles sont ensuite
réinsérées dans leurs contextes micro et méso
sociaux (c'est-à-dire, à l'échelle des organisations et
des systèmes d'action). Ces histoires de cas doivent être
étudiées avec un regard attentif sur les contextes locaux de la
société française (dans cette étude, c'est
l'école qui est choisie comme structure d'accueil aux immigrés).
Cette technique nous permet de comprendre comment le contexte scolaire
fonctionne à l'égard des immigrés italiens et de leurs
enfants. On offre ainsi au lecteur un panel d'exemples relativement
variés (hommes et femmes, provenance, histoires migratoires,
résultats scolaires, villes de scolarisation, etc.). Ainsi, si les
témoignages recueillis directement sont essentiellement ceux de
personnes ayant été scolarisées dans l'Ouest (Nantes,
Saint-Nazaire, Saumur...), on a veillé à les étudier de
façon couplée avec les histoires d'autres témoins issus de
différentes villes françaises. Nous ne pouvons cependant que
déplorer la rareté bibliographique actuelle en matière
d'études régionales sur les Italiens à l'Ecole. Sur les
deux années de travail préalable à ce Mémoire, un
an a été consacré à la recherche sur le sol
italien, la connaissance des conditions d'accueil en France a donc pu en
pâtir quelque peu. Effectivement, c'est seulement à la fin de
cette dernière année que nous avons pu être certains qu'il
était effectivement possible de traiter du même thème sur
un espace restreint (la rue de Trignac à Saint-Nazaire aurait ainsi pu
être un passionnant sujet d'étude). Rencontrer des groupes
communautaires, joindre des milieux spécifiquement italiens est une
entreprise de longue haleine et nous avons, malheureusement, souvent pu
déplorer n'avoir pu entrer en contact que trop tard au cours de
l'année avec des familles concernées par ces thèmes de
recherche.
Les autres sources, utilisées ici dans une moindre
mesure mais fort utiles néanmoins, sont issues des écoles. Nous
avons ainsi pu consulter des reconstitutions de listes d'écoliers et de
professeurs, l'impression d'un journal réalisé par des
élèves ou encore des photographies témoignant de la vie de
la classe, de l'école, parfois aussi des images nous ont
été données, illustrant les sorties scolaires
organisées par les instituteurs. Il n'a pas été possible
de trouver ces documents pour les écoles nantaises de nos
témoins, soit parce qu'elles ne les avaient pas conservés (c'est
le cas le plus courant), soit parce que les portes des établissements
nous sont restées fermées. Par ailleurs, outre une
comptabilisation des enfants n'ayant pas la nationalité
française, et de ceux ayant un patronyme italien, ces listes de
matricule des établissements scolaires n'apportent en définitive
que de maigres informations qui n'offrent pas d'indices sur l'expérience
vécue à l'école par nos témoins. Pour les listes
d'effectifs qui ont été consultées, elles n'apportent, en
tous cas, aucune indication sur le contenu quotidien de l'enseignement. Aucune
des écoles de la région nantaise évoquées dans
cette étude n'a conservé les bulletins scolaires (quand nous les
avons en notre possession, c'est qu'il nous ont été donnés
par les témoins). Les établissements étudiés
à Paris par Marie-Claude Blanc-Chaléard offrent, quant à
eux, des informations un peu plus riches (sur le comportement et le niveau des
élèves en particulier)16.
? Les bornes chronologiques de l'étude
Nous ne pouvons aborder ce sujet sur l'accueil des enfants
d'immigrés par les enseignants, sans exposer un bilan historique de
l'immigration italienne ni même sans faire la nécessaire
description de ce qu'est l'Institution scolaire française entre 1935 et
1955. Il nous faut, par ailleurs, nous livrer à une nécessaire
étape d'identification afin de savoir qui sont les migrants dont nous
parlerons, leurs lieux de provenance et les raisons qui poussent leurs parents
à quitter la terre mère, empruntant les navires de la
Méditerranée, traversant les Alpes, pour venir travailler avec
leur famille dans l'Hexagone.
Pour traiter notre sujet, la période de
l'Entre-Deux-guerres s'était d'abord imposée comme un moment
intéressant puisque très riche quant au nombre d'enfants de
migrants italiens présents dans les écoles de France
(phénomène lié à la fois à l'importance de
l'immigration et à la politique de regroupement familial). En fait, les
sources vivantes étant, bien sûr, plus rares
pour cette période, il semblait logique de décaler
le sujet aux années 1935-1955. Nous nous penchons donc là sur une
vingtaine d'années, ce qui équivaut à une
génération d'écoliers.
La période qui s'étend du milieu des
années trente au milieu des années cinquante est synonyme d'une
grande variété quant aux situations des migrants, d'une multitude
de lois relatives à l'émigration comme à l'immigration. En
effet, nos témoins bénéficient, inégalement
néanmoins, des réformes sociales du Front Populaire, ils
subissent le passage d'une guerre avec la xénophobie anti-italienne
qu'elle a parfois pu susciter, ils vivent les politiques du régime de
Vichy qui portera une attention toute particulière à l'Ecole. Ils
voient ensuite l'arrivée massive et organisée de centaines de
travailleurs appelés à reconstruire la France
d'après-guerre. Les années soixante marquent le déclin de
ces flux migratoires italiens, faisant de cette immigration un sujet
d'étude « fermé ».
Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de
l'émigration de l'Italie vers la France durant la
génération qui précède celle à laquelle nous
nous intéressons ici. L'immigration italienne de masse commence vraiment
à partir de 1860. L'Italie, récemment unifiée, est alors
le premier fournisseur de la main-d'oeuvre étrangère de
l'Hexagone. Le dernier recensement avant la Grande Guerre fait état de
420 000 Italiens sur le territoire français en 1911 (les Transalpins
représentent alors 36% des immigrés de l'Hexagone et 1% de la
population française). A la veille de la Première Guerre
mondiale, la masse des migrants est rassemblée à l'est d'une
ligne imaginaire qui relierait les villes du Havre et de Montpellier, les
principales régions d'accueil étant alors les Alpes, le littoral
méditerranéen (un résident marseillais sur cinq est alors
Italien, un sur quatre à Nice), les régions lyonnaise et
parisienne et le bassin de la Lorraine sidérurgique. Le mouvement
migratoire, en effet, est développé par capillarité
à partir des zones frontalières, le long des lignes ferroviaires
(dont la construction a d'ailleurs mobilisé nombre de migrants
d'Outremont), puis par l'attraction des grands pôles d'emploi,
principalement de façon concentrique autour des métropoles.
Le 2 avril 1917, un décret institue pour la
première fois une carte de séjour pour les étrangers de
plus de 15 ans résidant en France, autrement dit, on prend
désormais en compte les jeunes mineurs d'origine
étrangère. Cependant, les enfants restent encore, pour leur part,
encore transparents aux yeux de l'administration française. Il est vrai
que les enfants italiens étaient alors relativement peu nombreux,
l'immigré type étant encore un homme jeune et célibataire.
Il est fréquent, par ailleurs, que l'on retrouve des groupes
communautaires originaires de la même région, voire du même
village d'Outremont, et ce sur une même zone de peuplement
français. L'explication de ce regroupement allogène est simple :
le recrutement est massif pour une activité bien
déterminée, souvent déjà pratiquée dans la
région d'origine des immigrés (beaucoup
sont des spécialistes de leur domaine,
caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs pour la période qui
nous intéresse). En outre, il est plus « aisé »
d'immigrer en sachant que l'on retrouvera dans la zone d'accueil des
repères de la vie d'avant, de « l'époque italienne ».
Les Italiens arrivés avant la Seconde Guerre mondiale viennent alors
surtout des régions du Nord-est (Vénétie, Trentin, Frioul)
et du Centre-Nord (principalement d'Emilie-Romagne) 17 de la
Péninsule italienne.
La population italienne fixée en France avant la
Première Guerre mondiale est déjà amplement
intégrée et fortement sédentarisée dans les
années 1935-1955. A cette première vague s'ajoute un nombre
conséquent de migrants arrivés après la signature du
Traité de Versailles, recrutés pour la reconstruction de la
France dévastée. Les travailleurs itinérants (journaliers
agricoles, manoeuvres) se font moins nombreux qu'autrefois, et pour cause : la
mécanisation réduit le nombre de postes disponibles dans ces
domaines désormais désertés. La famille italienne rejoint
souvent le père, premier du foyer à partir chercher du travail de
l'autre côté de la frontière des Alpes. Cependant, les
années vingt connaissent un léger regain du nomadisme,
particulièrement pour les jeunes hommes dans une situation de
clandestinité au moment de leur émigration puisque leur
départ est provoqué par des raisons politiques liées
à l'implantation du fascisme dans la Péninsule. Cette
mobilité aura, globalement, plutôt tendance à compliquer
les rapports avec les Français18. « L'immigré
type » est alors un travailleur sans qualification, issu le plus souvent
d'un milieu rural. Ils occuperont en France des postes dans les métiers
du bâtiment, seront sidérurgistes, mineurs, ils travailleront dans
les usines ou dans les industries de l'Hexagone. Les moins chanceux seront
manoeuvres sur les chantiers, dans les ports, les salines, les entreprises de
service boudées par les Français, comme les égouts
parisiens par exemple. Nombreux sont aussi les Italiens employés dans
l'hôtellerie, comme vendeurs de glaces ou dans les restaurants. Quant aux
femmes de l'époque, elles émigrent rarement seules : la
période où les Italiennes partaient pour être nourrices
dans l'Hexagone est en passe d'être révolue. Lorsqu'elles trouvent
du travail, elles obtiennent, en général, des emplois de bonnes,
d'ouvrières dans les domaines du textile ou de l'agro-alimentaire.
L'ascension sociale de quelques-uns de ces migrants d'Outremont permet
l'ouverture de restaurants italiens et d'entreprises de maçonneries. Ces
nouvelles entreprises entraînent l'arrivée de nouveaux membres de
la famille, si toutefois l'affaire s'agrandit.
17 Voir la carte des régions italiennes
disponible en document annexe n° 6.
18 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la
France. Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 47).
Les Transalpins bénéficient par ailleurs d'un
autre facteur bénéfique à l'emploi : la France est alors
dans une période où sa population n'assure plus son
renouvellement. Le baby-boom de l'immédiate après-guerre ne
suffit pas à enrayer un criant manque de main d'oeuvre puisque,
dès 1922, le taux de natalité retombe à son niveau de
l'avant-guerre. Le Premier Conflit mondial a entraîné un reflux
important des Italiens résidant dans l'Hexagone : dès le
début de la guerre, nous constatons de nombreux retours en Italie
d'immigrés en age de se battre, le nombre des départs ralentit,
même si, les flux partant de la péninsule restent
conséquents19. A la fin de la guerre, l'immigration reprend
et s'amplifie : pour les dirigeants français, il est nécessaire
de combler la baisse de la population active, laquelle est, de plus,
intensifiée par l'exode rural, les exigences grandissantes de la
main-d'oeuvre nationale et les lois de limitation de la durée des
journées de labeur. En somme, la France, saignée à blanc
par l'hécatombe, a besoin d'ouvriers et de maçons, d'une
main-d'oeuvre non qualifiée préte à accepter des emplois
difficiles et mal payés. Le climat de terreur qui règne dans la
Péninsule, avant et après la prise du pouvoir par les fascistes,
contribue lui aussi aux départs. Le solde migratoire entre la France et
sa soeur latine est alors très favorable à l'Hexagone
20 . En 1920-1921, l'Italie connaît une première crise
économique, celle de l'après-guerre, le pays souffre
désormais d'un important taux de chômage auquel les vagues de
retours des soldats n'arrangent rien21. Avant 1931, la France n'est
pas touchée de plein fouet et la crise est encore globalement
cantonnée aux Etats-Unis. La dépression de l'après-guerre
entraîne le chômage de six millions et demi de travailleurs
américains, la frontière des Etats-Unis devient donc
imperméable aux éventuels migrants tout comme celles du Canada,
de l'Allemagne, de la Suisse et des Etats qui ont succédé
à l'empire austro-hongrois entre 1919 et 1924. Ainsi, l'immigration des
voisins transalpins se concentre dorénavant tout particulièrement
vers la France. Côté italien, Mussolini condamne d'ailleurs
l'émigration en 1927, pour autant il ne réussit pas à
l'empêcher. Dans l'Hexagone, on essaye de ralentir les arrivées en
imposant des quotas : les étrangers ne semblent plus les bienvenus.
C'est dans ce climat peu engageant que commence notre étude de la
scolarisation des enfants d'origine italienne en France.
Si l'immigration en provenance d'Outremont vers la France est
aujourd'hui nulle, en revanche, la péninsule italienne est aujourd'hui
désormais elle-méme terre d'accueil et c'est bien là ce
qui fait l'originalité de la position italienne dans les études
migratoires.
19 2,6 millions de départs pour l'ensemble des
pays d'accueil pour la période 1911-1914, un peu plus de 360 000 au
cours des années 1915-1919.
20 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la
France. Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 45).
21 Voir la chronologie en document annexe n°
1.
Carte n°1 : Répartition
de la population italienne dans les départements français en
193122.
. La scolarisation en France :
Après avoir étudié le contexte
général de l'immigration italienne, il nous faut maintenant nous
pencher sur la scolarisation durant la période 1935-1955. Lorsque les
Français se questionnent sur leur identité, l'institution
scolaire est toujours au premier rang de leurs interrogations. L'Ecole
républicaine s'affirmant alors comme la fabrique du citoyen et du
soldat, son rôle dans la société se veut primordial.
Quand nous parlons d'Ecole, d'institutions scolaires, nous
comprenons à la fois les établissements du primaire et ceux du
secondaire, l'intégralité de la scolarisation en somme. La crise
économique des années trente rend plus difficile les
possibilités d'entrée en apprentissage et dans la vie active. En
revanche, le prolongement de la scolarité, une réalité
dès les années vingt, est favorisé, dans les années
trente, par les nouvelles possibilités offertes par l'École
(notamment lorsque Jean Zay est nommé ministre de l'Education Nationale
sous le gouvernement Léon Blum23). Nombreuses alors sont les
ouvertures de classes secondaires dans les écoles autrefois en mal
d'élèves prolongeant leur scolarité. L'enseignement
secondaire classique cesse d'être payant et les collèges
techniques s'implantent sur tout le territoire français, aussi bien en
ville qu'à la campagne. L'Ecole doit désormais « produire
» de la promotion sociale24. En effet, la volonté
d'utiliser les chances offertes par l'Ecole afin de trouver un métier,
et, éventuellement, de réaliser l'ascension sociale
espérée par les parents s'accroît alors, les familles
immigrées n'échappant pas à la règle.
Jusqu'en 1930, la gratuité est réservée
à l'enseignement primaire, elle est ensuite étendue aux
sixièmes. En 1933, ce sont tous les établissements du secondaire
qui bénéficient de la gratuité scolaire. Ces
réformes sont le fruit de la mise en oeuvre de l'élitisme
scolaire. A cette idéologie, prônant la réussite à
l'école, s'ajoute une réalité concrète : le but de
ces réformes est en fait de compenser la chute des effectifs du
secondaire liée à l'arrivée en sixième des classes
creuses nées pendant la guerre25. Nous retrouvons par
ailleurs, à cette période, l'idée d'un enseignement
modèle, d'un discours éducatif idéal devant être
tenu par les instituteurs à leurs jeunes disciples. Or, nombreux sont
les témoignages et les autobiographies, où les enfants de
23 Voir, en document annexe n° 5, la liste des
ministres de l'Instruction.
24 Lire à ce sujet l'article de Marie-Claude
Blanc-Chaléard.
M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens à l'école
primaire française : l'exemple parisien, « La Trace »
n° 5, Paris, Octobre 1991 (p. 6).
25 M-O MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET,
Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p. 44,
45).
migrants Italiens (on compte aujourd'hui trois millions et
demi de Français d'origine italienne dans l'Hexagone26)
révèlent qu'ils se sont sentis parfois exclus ou moqués au
sein de l'Institution scolaire.
II). Explication des termes du sujet
? Explications historiques et lexicales
Nous en arrivons maintenant à l'étape du rappel
du rôle et des caractéristiques des différents
protagonistes de nos recherches. Ce passage de l'étude peut sembler un
peu fastidieux mais il n'en est pas moins nécessaire à une bonne
compréhension des thèmes soulevés par notre sujet
d'étude.
La situation de « migrant » se
distingue de celle de « l'immigré » en tant
qu'elle indique que le processus migratoire n'est pas clos. De méme, le
terme « d'émigré »,
c'est-à-dire celui qui s'est expatrié par rapport à son
pays d'origine, exprime un point de vue différent du mot «
immigré » (celui qui est venu de l'étranger par rapport au
pays qui l'accueille). La plus grande visibilité des immigrés,
particulièrement Italiens, s'explique par leur stabilisation sur le
territoire français. La recherche historique comme sociologique
s'intéresse, dès lors, davantage à eux. Gérard
Noiriel, historien pionnier du travail sur l'histoire de l'immigration en
France, explique ainsi que « le regard se déplace vers les «
improductifs », surtout les enfants. La problématique de la
famille, donc de la généalogie, donc de l'assimilation,
aiguisée par les fantasmes xénophobes, est en terrain sûr
»27.
Nous aurons aussi l'occasion d'étudier le
rôle et la formation des instituteurs dans les
Écoles Normales de France.
Une des grandes polémiques que l'on retrouve chaque
fois qu'est évoquée l'immigration en lien avec l'Ecole est le
concept d'assimilation. Ce processus, qui, sans être une
spécificité française relève tout de même de
« l'habitude » nationale, fait l'objet aujourd'hui de vives critiques
mais fut longtemps considéré comme l'unique solution à
l'intégration des enfants de
26 Entretien de A. GUYOT avec P. MILZA pour Ouest
France, « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France
», mai 2008.
27 G. NOIRIEL, Le Creuset Français,
Histoire de l'immigration (XIXème-XXème),
Paris, 1988 (p. 37).
16 migrants dans l'Hexagone. L'Ecole est, sans nul doute, un
des plus puissants « appareils démocratiques de
représentation »28. Le témoignage du sociologue
et philosophe Edgar Morin publié dans Le Monde, est, à
cet égard, hautement significatif :
« La IIIe République institue [...] les lois de
naturalisation qui permettent aux enfants d'étrangers nés en
France de devenir automatiquement français et facilitent la
naturalisation des parents. L'instauration, à la même
époque, de l'école primaire laïque, gratuite, et
obligatoire, permet d'accompagner l'intégration juridique par une
intégration de l'esprit et de l'âme. J'en témoigne : fils
d'immigrés, c'est à travers l'école et à travers
l'Histoire de France que s'est effectué en moi un processus
d'identification mentale »29.
Qu'en est-il donc de cette assimilation qui provoque, tour
à tour, reconnaissance des enfants d'immigrés et critiques
amères de ceux qui considèrent leur liberté et leur
identité étouffées par ce processus ? Les capacités
de l'Ecole Républicaine à intégrer les jeunes d'origine
étrangère sont loin d'être considérées comme
évidentes par tous les historiens. Citons ainsi le cas de Gérard
Noiriel et celui d'Antonio Perroti qui, tous les deux, voient le pouvoir
intégrateur de l'Ecole comme une idée reçue. Les rapports
d'inspection (surtout en Sud-ouest et en Lorraine30 car à
Paris, l'intégration semble avoir été effectivement
poussée par l'école31), eux aussi, permettent de
mettre en doute l'idée d'un pouvoir intégrateur sans faille de
l'Institution Scolaire.
Il est nécessaire, dans l'étude à
laquelle nous nous consacrons, de nous arrêter un moment sur trois termes
que nous serons amenés à employer et qui ont fait débat
chez les sociologues comme chez les historiens. L'entrée des
résidents italiens en France, et donc de leurs enfants, se fait en effet
selon trois modalités : l'intégration l'assimilation, et
l'insertion.
Le projet français d'intégration
est déjà présent dans les dispositions de 1889
qui se proposent de « transformer » les jeunes étrangers en
Français 32 . En France, la tradition d'intégration
républicaine a longtemps prévalue chez les pédagogues et
les sociologues. L'origine scientifique du mot « intégration »
évoque la construction dynamique d'une unité de citoyens, c'est
donc une incorporation. L'intégration se veut un tout dans lequel chaque
élément
28 « Appareil démocratique de représentation
» est une expression utilisée par G. NOIRIEL dans La tyrannie
du national, Paris, 1991 (p. 91).
29 E. MORIN, « La francisation à
l'épreuve », Le Monde, Paris, 1991.
30 G. NOIRIEL, Les Italiens en France de 1914
à 1940, « Les immigrés italiens en Lorraine pendant
l'entre-deux-guerres : du rejet xénophobe aux stratégies
d'intégration », Paris, 1986.
31 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000.
32 Voir la chronologie disponible en document annexe
n°1.
compte à part entière. Dans les années
soixante-dix, historiens et sociologues critiquent le terme
d'intégration au nom du droit à la différence, le mot
« insertion » lui est alors préféré.
Ce terme est parfois utilisé dans les
témoignages des enfants d'immigrés transalpins. «
L'insertion » a l'avantage d'être le mot le plus neutre
lorsque l'on évoque la collision du migrant avec sa
société d'accueil. Cela suppose que les migrants conservent leur
identité mais en ne se fondant jamais vraiment dans le corps social
français. L'insertion souligne ainsi l'extranéité de
l'arrivant et accepte la possibilité de son détachement de la
société d'accueil lié au refus de la part du migrant
d'être assimilé. Il est finalement rapidement abandonné
à son tour.
Le thème de l'assimilation par
l'Ecole, quant à lui, domine la période qui s'étend des
années trente aux années cinquante, époque dont nous
verrons qu'elle est particulièrement alimentée et aiguisée
par les fantasmes xénophobes. Cependant, ce terme est déjà
utilisé au XIXème siècle puisque le
modèle d'assimilation est mis en place au début de l'ère
républicaine, sur les enfants étrangers comme d'ailleurs sur les
provinciaux (les historiens de l'Ouest ont ainsi développé
quantité d'intéressants ouvrages sur le cas des Bretons par
exemple). La France continue sa longue croisade jacobine vers l'Etat
centralisé et le prisme adopté par l'Institution Scolaire doit
alors être le même dans chacune des écoles essaimées
dans l'Hexagone. L'assimilation est globalement défendue par les
partisans de la « préférence nationale », c'est un
processus qui fait disparaître l'élément étranger
par une absorption dans l'organisme assimilateur. L'extranéité
disparaît donc totalement lorsque l'on parle d'assimilation. Ce concept
rend nécessaire la confiance dans la vertu assimilatrice des
institutions étatiques, et en ce qui nous concerne, de l'Ecole.
L'Italien immigré doit alors abandonner ces particularismes pour ne
former qu'un avec la société d'accueil. Se pose alors le
problème non négligeable de l'acculturation,
problème sur lequel nous aurons bien entendu l'occasion de
revenir dans nos recherches.
L'avantage de la notion d'intégration par rapport au
concept d'assimilation est de concerner chacun des citoyens français et
non uniquement l'immigré et ses enfants. En 1927 l'enfant d'un milieu
allogène33, s'il est né en France, n'a plus la
possibilité de choisir : s'il est de mère française ou de
parents étrangers nés en France, il est Français. Cette
loi, définie par de nombreux historiens comme assimilatrice, fait
diminuer considérablement le nombre d'élèves
étrangers dans les écoles françaises 34 . Ces
nombreux écoliers d'origine italienne mais de nationalité
française rendent, pour l'historien, plus difficile la tâche,
nécessaire et préalable à l'étude, de
reconnaissance des témoins potentiels au travail de recherche (en effet,
nous le
33 Le groupe allogène décrit ici une
communauté ethnique installée depuis peu sur un territoire et
présentant encore des caractères la distinguant de la population
autochtone.
34 Voir la chronologie disponible en document annexe
n° 1.
verrons, ce serait se fourvoyer que de penser que la bonne
intégration à l'école va de pair avec la naturalisation
des élèves et de leurs parents).
Pour résumer, nous laissons ici la parole à
Jacqueline Costa-Lacoux, politologue, chercheuse au CNRS et directrice de
l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration, qui
résume les complexes notions précédemment
évoquées, par la définition suivante :
« L'assimilation souligne l'unité de la
communauté nationale ; l'intégration, le choix et la
participation des nouveaux membres ; l'insertion, les conditions d'accueil de
l'étranger avec le maintien du particularisme d'origine
»35.
Outre les thèmes relatifs à
l'intégration, il est nécessaire de définir celui de
« deuxième génération ». La
définition de cette notion a donné lieu à de nombreuses
polémiques au sein de la recherche historique, sociologique,
anthropologique et scientifique. La première difficulté que nous
devons affronter est l'absence de distinction des différentes
catégories d'enfants de migrants dans la nomenclature officielle
française. Effectivement, contrairement aux Etats-Unis où l'on
distingue les enfants de souche américaine de ceux dont les parents sont
nés à l'étranger, il n'existe pas réellement en
France de communauté mixte « d'Italo-français ». Cette
« deuxième génération » est donc composite,
l'expression désigne indistinctement des jeunes français
d'origine italienne et des jeunes italiens qui sont scolarisés en
France. C'est seulement à la fin des années soixante-dix
qu'apparaît l'emploi courant du vocable de « deuxième
génération » 36. Par ailleurs, aucune définition
précise n'ayant été adoptée, il nous semble donc
plus prudent et plus juste d'utiliser avec parcimonie et précaution ce
terme polémique. Nous choisissons donc plutôt, lorsque cela est
possible, de préciser individuellement les trajectoires familiales de
chacun des enfants de migrants que nous évoquons. Cette attitude semble,
en effet, plus en accord avec l'éthique nécessaire à
l'historien dont le regard se porte sur le phénomène
migratoire.
35 J. COSTA-LACOUX, « Assimilation,
intégration ou insertion ? Querelles sémantiques et choix
politiques » dans J-L RICHARD, Les immigrés dans la
société française, n° 916, Rennes, septembre
2005 (p. 49).
36 Il faut cependant préciser que, lors de
la rédaction du Code Civil, promulgué le 21 mars 1804 par
Napoléon Bonaparte, la question de la nationalité des enfants de
migrants est déjà posée, y compris par le terme «
deuxième génération ».
Pour traiter de ces thèmes, ambitieux par l'abondance
des problématiques qu'ils soulèvent, nous ne pourrons bien
sûr pas prétendre à l'exhaustivité. Il s'agira, dans
notre étude, de s'interroger sur le rôle de l'Ecole dans le
maintien et l'intégration des enfants d'immigrés italiens dans la
société française.
Pour ce faire, nous procèderons à une organisation
interne comprenant trois niveaux différents de recherche.
La première partie de ce travail permet de replacer
l'enfant dans le contexte familial, ses fondations personnelles en somme (le
parcours de ses parents et sa matrice culturelle).
Le second chapitre de ce Mémoire nous amène
à étudier le contexte de l'école et, donc, l'imbrication
des relations de l'élève, de ses camarades et de ses
professeurs.
Enfin, la dernière partie de ces recherches est
consacrée au rôle de l'école dans le sentiment
d'appartenance ou non de l'élève d'origine italienne à la
nation française ou, du moins, d'observer son intégration dans
l'environnement tricolore.
CHAPITRE 1 L'ELEVE DANS SA FAMILLE.
Etudier les enfants d'origine italienne dans les écoles
de France implique, en premier lieu, que l'on s'interroge sur leur matrice
culturelle et familiale. Comme pour tous les écoliers de l'école,
le milieu familial, en général prolétaire et populaire
pour les immigrés italiens de la période 1935-1955, a une
influence non négligeable sur les réussites à
l'école (scolaires comme sociales). Quelles particularités
liées au phénomène migratoire retrouve-on au sein de la
vie familiale et qu'implique le milieu culturel dans la scolarisation des
enfants ?
Quantité d'épisodes liés au
phénomène migratoire sont dissimulés ou, du moins,
évoqués rapidement seulement, au coeur du foyer transalpin. Le
trajet migratoire, quant à lui, peut nous être raconté en
détail par tous nos témoins. Cette anecdote est d'autant plus
intéressante que, bien souvent, les enfants n'étaient pas encore
nés au moment du départ d'Italie. Pourtant,
l'évènement marque la famille de façon profonde et sur
plusieurs générations. Maria raconte ainsi, de façon
très émouvante : « Quand papa et maman sont arrivés
de Sicile, ça a été comme une deuxième naissance
pour toute la famille »37. Cette expérience migratoire,
après plusieurs mois à étudier la scolarisation des
enfants de migrants, nous est apparue comme un phénomène qui a
marqué le passage à l'école des élèves
d'origine italienne, nous montrerons ici de quelle façon. Nous nous
pencherons ensuite sur l'influence du mode de vie, globalement traditionnel,
des familles italiennes sur la scolarisation des élèves.
37 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 --
Nantes). (Maria ne souhaite pas que son nom entier soit
divulgué)
I). Les raisons de l'arrivée en France : quel
retentissement de l'expérience migratoire sur la scolarité des
enfants d'origine italienne ?
Mussolini condamne l'émigration dès 1927, il
prend des mesures restrictives pour ralentir le départ des candidats
mais il ne peut pas les empêcher totalement. Cette même politique
le conduit aussi à faire revenir les Italiens déjà partis
si bien que le nombre de retours de migrants passe de 53% entre 1921 et 1930
à 84% pour la décennie suivante38.
Du côté français, après avoir
encouragé l'arrivée d'étrangers essentiellement
européens dans le but de la reconstruction d'après-guerre, les
dirigeants politiques se concentrent désormais, ici aussi, sur un
freinage de l'immigration. En effet, en 1931, la crise économique
internationale frappe le pays et des dispositions sont alors prises pour
ralentir l'entrée des travailleurs étrangers qui ne sont plus,
désormais, les bienvenus dans l'Hexagone.
A). Le Front Populaire.
Le Front Populaire est souvent perçu comme un
intermède libéral pour les immigrés. En fait, cette
observation est loin d'être aussi évidente. Le début de
notre période est marqué par des discours xénophobes
particulièrement présents au sein du monde politique, dans les
journaux, ces débats sont donc investis aussi par la population
française en général. Après la crise
économique de 1930, les poussées xénophobes connaissent un
déclenchement particulièrement rapide et intense (comme ce fut
d'ailleurs le cas après la crise de 1880). Lorsque la France
connaît la prospérité, l'immigré est le bienvenu
pour occuper les emplois difficiles ou ingrats laissés par les
nationaux. En temps de crise, ces postes sont de nouveau revendiqués par
les Français. Ces conflits d'intérêts sont alors
propulsés sur la scène publique comme arguments politiques par
les dirigeants comme par les journalistes. Gérard Noiriel observe ainsi
la croissance importante du nombre des articles sur l'immigration dans la
presse au cours des années 1930-1939 à la lumière de
l'étude de Ralph Schor sur l'opinion française39. Le
sujet intéresse particulièrement les journaux quand le pays se
trouve dans une situation critique : lorsqu'un étranger est
impliqué dans un fait divers, comme c'est le cas en 1934, le nombre
38 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993
(p. 74).
39 R. SCHOR, L'opinion française et les
étrangers, Paris, 1985, cité par P. MILZA, Voyage en
Ritalie, Paris, 1993 (p. 125).
22 d'articles croît brusquement40. Il
convient donc de se demander si l'inflation du discours xénophobe gagne
aussi le champ scolaire, en ce qui concerne les enseignants, les
élèves et leurs parents. Ce nationalisme patent a-t-il un impact
dans les débats sur l'assimilation ? En effet, l'euphorie de la victoire
commune des deux soeurs latines en 1918 s'estompe rapidement pour laisser place
à un agacement français face à une présence
italienne jugée trop envahissante. Il est vrai que, si les Italiens
bénéficient globalement d'une image individuelle de
marque41, la vision collective de l'immigration transalpine est,
quant à elle, plutôt négative dans la première
partie de notre période.
Période de bouillonnement social et d'effervescence en
terme de luttes sociales, le Front Populaire a particulièrement
marqué les enfants dont les parents avaient fuit le fascisme pour des
raisons politiques. Ainsi, Walter Buffoni, enfant de Liguriens de
sensibilité communiste dont l'oncle Alfredo a été
assassiné par les fascistes, se rappelle de ses souvenirs d'alors :
« Les origines politiques de mes parents, méme
s'ils n'en faisaient pas état en France pour des raisons
évidentes, m'ont marquées. Les grèves de 1936 et
l'avènement du Front Populaire ont été à l'origine
de mes options politiques et syndicales, avec des responsabilités
syndicales très importantes, y compris nationalement
»42.
Par ailleurs, un autre évènement contribue alors
à mettre « de l'huile sur le feu » dans les relations
franco-italiennes. Depuis octobre 1935, les armées mussoliniennes
mènent une guerre en Ethiopie43 qui marque le retrait de
l'Italie de la Société des Nations et, par la même, son
rapprochement avec l'Allemagne nazie. Ce conflit est souvent synonyme de
rupture des bonnes relations tant entre adultes que pour les plus jeunes.
Ainsi, en 1992, Enzo Brun confie à Marie-Claude Blanc-Chaléard
:
« On avait à l'école des amis d'origine
française, ça se passait bien... ça se passait bien
jusqu'en 35-36, quand il y a eu la guerre d'Ethiopie, là, alors, il y a
eu une vague de xénophobie dont je me souviens très bien. J'avais
des amis, ils parlaient des « sales Italiens » et ils disaient «
pas toi, pas toi », mais je le prenais pour moi »44.
40 G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en
France, Paris, 2002 (p. 24, 25).
41 La note générale sur leur
capacité d'intégration en 1926 est de 7,3 %, les plaçant
ainsi en troisième position.
G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris,
2002 (p. 25).
42 Walter Buffoni, fondateur de l'association
nazairienne France-Italia, est adhérent politique en 1944 et syndical en
1945, il est aujourd'hui retraité mais toujours militant.
Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010 et rencontre à
Méan-Penhoët le vendredi 30 avril 2010.
43 La Seconde guerre d'Éthiopie ou campagne
d'Abyssinie oppose l'Italie fasciste de Benito Mussolini à l'Empire
d'Éthiopie d'Hailé Sélassié entre octobre 1935 et
mai 1936.
44 Témoignage de Enzo BRUN (3/12/1992), dans
M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire
d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 481).
Politiquement en revanche, pour ce qui est des droits des
étrangers sur le sol de l'Hexagone, le Front Populaire représente
bien un intermède libéral, plus cependant par
l'interprétation de textes précédemment votés et
par la façon de les mettre en oeuvre que par l'adoption d'une
législation nouvelle45. C'est en 1936, que désormais,
les enfants étrangers résidents en France sont, eux aussi, soumis
aux lois républicaines sur l'obligation scolaire46. Le Front
Populaire met fin au laxisme qui entourait jusque là
l'absentéisme des écoliers. L'obligation scolaire est
portée de 13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, alors
ministre de l'Education Nationale au sein du gouvernement. Concrètement,
cette mesure aménage des classes de fin d'études, elle permet
l'ouverture de centres d'apprentissage. Ainsi l'Ecole garde plus longtemps
aussi les élèves destinés au travail manuel. Une autre des
mesures phares du Front Populaire en matière d'éducation est
souvent évoquée par nos témoins. En effet, en 1937, les
« classes promenades » sont instaurées : l'objectif de ce
projet est de se servir de l'environnement comme d'un support
pédagogique. Jean Burini se rappelle d'ailleurs de ses sorties avec son
instituteur, après la guerre :
« Un samedi, on allait à la piscine, un samedi, on
allait faire un tour à vélo ... ou les jeudis... On allait au
bois, il nous apprenait les arbres, il était vraiment génial
».
Les sorties étaient, parfois, plus lointaines et sur une
plus longue période, Jean explique ainsi :
« Avec le centre d'apprentissage, l'été, on
allait en montagne [...] ça permettait de faire de l'escalade, on a fait
la traversée d'Annecy à la nage, je suis arrivé le
vingthuitième ! »47.
45 Précisons ici que la polémique
porte sur la période du Front Populaire, certains mettent en avant les
quelques avancées de la coalition des partis de gauche au niveau du
traitement des immigrés alors que d'autres déplorent le fait
qu'aucune loi majeure ne fut votée à cette période, Pierre
Milza par exemple. En fait, le Front Populaire constitue une avancée
dans le traitement des immigrés et leur intégration, mais il
déçoit certains dont les attentes sont plus importantes que les
réformes réellement appliquées.
46 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs,
Paris, 2004 (p. 251).
47 - Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010
-- Vigneux).
- Voir aussi la rédaction de Gérard COLOMBO en
annexe n° 8.
(« Joyeux écoliers », journal mensuel de la
classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de
Villerupt, janvier-février 1954).
Figure n° 1 : Sortie scolaire
au Luxembourg48 (École Poincaré, Villerupt,
début des années cinquante)
Figure n° 2 : Le spectacle de
l'école, les activités
artistiques49 (École Poincaré, Villerupt,
début des années cinquante)
48 Collection privée de Jean BURINI.
49 Ibid.
Le contexte social, quant à lui, s'il est favorable aux
classes les plus en difficulté et aux ouvriers de la vague d'immigration
d'avant 1914, ne semble pas bénéfique aux parents de nos
témoins. La France connaît alors une période longue de
chômage. Dès lors, on remarque une vague de xénophobie qui
ne sera pas, soulignons le, le monopole de l'ultra droite nationaliste, ainsi,
le socialiste Fernand Laurent s'exclame à la Chambre : « Paradoxe
irritant en France, à l'heure actuelle : 500 000 chômeurs et deux
millions d'ouvriers étrangers » 50 . Quel retentissement a pu avoir
cette absence de travail disponible pour les immigrés sur la
scolarité de leurs enfants ? Plusieurs conséquences
découlent de cette situation de crise. Tout d'abord, les immigrés
sont contraints de se déplacer davantage sur le territoire
français pour trouver un emploi ce qui implique des changements
d'école fréquents pour leurs enfants. Par ailleurs, certains
d'entre eux doivent rentrer en Italie, ils reviendront parfois après la
Seconde Guerre mondiale. Outre les changements imputables aux
déplacements familiaux, les échos de ce pic de chômage se
font aussi sentir dans les rapports avec les camarades de classe. C'est surtout
les élèves d'origine italienne dont les parents travaillent qui
subissent les injures de leurs homologues français :
« Le chômage était très important,
nos parents, pour l'essentiel des Italiens, travaillaient et ce n'était
pas sans amener des remarques désobligeantes. Egalement pour des raisons
dues au fascisme en Italie, ça retombait sur nous, cela m'a amené
à me battre quelques fois »51.
L'élève français répète ce
qu'il entend à la maison et a parfois tendance à stigmatiser son
camarade d'Outremont comme « l'indésirable » de
l'école. Citons ainsi WM, qui se souvient de ses difficultés lors
du pic de chômage. Il a alors douze ans et a déjà
changé quatre fois d'école, ses parents, son petit frère
et lui-même déménageant au rythme des emplois
précaires de son père.
« En 1936, plus de travail ! C'était le
début du Front Populaire en France, des difficultés pour tout le
monde pour avoir du travail. En particulier pour les étrangers. Les
étrangers majeurs à l'époque c'était les Italiens.
[...] Et là, j'ai commencé à sentir qu'il y avait des
agressions »52.
50 E. CAPORALI, « Le Peuple », 27 novembre
1984
Dans l'ouvrage de R. SCHOR, L'opinion française et les
étrangers, Paris, 1985 (p 908).
51 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
(Ce témoin a demandé à ce que seules ses
initiales soient divulguées)
52 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte
Marguerite).
Effectivement, le taux de chômeurs en France est alors
proche des 10 % en agrégeant chômage recensé et
chômage partiel53. A ces difficultés
d'intégration liées au non-emploi, s'ajoutent bientôt les
prémices de la guerre.
B). Les prémices de la guerre.
Si la crise économique mondiale a eu pour effet de
réduire la population immigrée en France (seulement 721 000
Transalpins en 1936), les années 1937 et 1938 ont, quant à elles,
été marquées par une reprise non négligeable des
arrivées dans l'Hexagone54.
Comment vont être accueillis ces nouveaux contingents
d'Italiens ? Ni la proximité géographique ni la parenté
culturelle de la France et de l'Italie ne semblent suffire à vaincre les
préjugés et la xénophobie de certains autochtones. Daniel
Fantin, évoquant l'union de ses parents, raconte ainsi :
« Etant jeune, on peut dire que nous avons souffert que
notre père soit italien. La première a en souffrir, je pense que
c'est notre mère : se marier en 1939, cela n'a pas du être facile
tous les jours. Il ne fallait pas dire que notre père était
italien »55.
Tous les immigrés de France ne sont cependant pas
« logés à la même enseigne ». En tout cas selon
Georges Mauco, qui, en 1938, alors employé au cabinet du
sous-secrétaire d'Etat chargé des services de l'immigration et
des étrangers auprès du Président du Conseil, opère
pour la première fois une distinction entre « l'immigration voulue
» (constituée par les ouvriers) et « l'immigration
imposée » (formée par les
réfugiés)56. Par ailleurs, des différences sont
aussi établies, dans l'opinion publique entre le migrant urbain et le
rural. Ce dernier est davantage stigmatisé, on se moque de ses mauvaises
conditions d'hygiène, de la promiscuité dans laquelle il vit avec
ses compatriotes, de sa mauvaise alimentation, comparée à celles
des populations françaises de l'exode rural, cinquante ans plus
tôt. De méme, en général, l'Italien du Nord sera
préféré au méridional et les hommes du
bâtiment bénéficieront d'un a priori positif quand le
commerçant sera, quant à lui, plus souvent dénoncé
comme malhonnête57. Les mêmes remarques
53 Voir à ce sujet les données
disponibles en ligne sur le site de l'INSEE.
54 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993,
(p. 77 à 82).
55 Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O.
OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête »
à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre
2009).
56 G. MAUCO, Les Etrangers en France, leur
rôle dans l'activité économique, Paris, 1932.
57 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993
(p. 126, 127).
sont faites dans la cour de récréation, où
les jeunes transalpins essuient des insultes sur leur qualité de «
fils de ritals magouilleurs »58.
Nous le verrons, les facteurs religieux et politiques de leur
exil pourront être propices à l'intégration des Italiens.
Cependant, face à un prolétariat politisé et
déchristianisé, ils pourront aussi être la cause d'un rejet
qui se traduit souvent par le repli sur elle-même de la
communauté. Néanmoins, le chiffre de 40 % d'étrangers
ayant obtenu la naturalisation à la veille de la Seconde Guerre
mondiale, l'infime proportion d'enfants d'immigrés optant à la
majorité pour la nationalité italienne 59 , ou encore
les nombreux mariages mixte « italo-français » 60 , nous
permettent d'observer une relativement bonne intégration des migrants
Transalpins. Par ailleurs, à cette période, les immigrés
Italiens viennent tout de même en troisième position (après
les immigrés de Belgique et de Suisse, c'est-à-dire deux pays en
partie francophones) dans l'échelle des préférences
nationales en France61. L'image de l'immigré Italien est plus
souvent négative dans les régions où le sentiment
identitaire est très fort (la Corse, malgré sa part d'histoire
italienne, en est un exemple parlant). En revanche, nos témoins
bénéficient globalement d'un bon accueil et d'une
intégration remarquable dans des régions (comme la Garonne, par
exemple) où l'apport migratoire a permis d'enrayer la
désertification alors en marche.
Luc Delmas, investi par l'ARESSLI, explique, pour ce qui
concerne la Lorraine que l'Entre-Deux-guerres voyait souvent les mussoliniens,
avec le soutien de leur consulat investir le Pays Haut62. Alain
Croix, quant à lui, étudie la situation nantaise, repérant
une organisation fasciste en place dès 1926, presque aussitôt
suivie par des critiques de la part « d'Italiens francophiles »,
c'est-à-dire anti-fascistes63. En effet, dès 1922 et
jusqu'au début de la guerre, les Italiens qui arrivent en France pour
des raisons politiques, fuient souvent le fascisme. Ils rejoignent alors des
réseaux déjà en place et reconstituent des structures
partisanes (socialistes de
58 Un intervenant d'origine italienne racontera cette
anecdote lors de la conférence sur les « Italiens de Bretagne
», de Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.
59 L. GERVEREAU, P. MILZA, E. TEMIME, Toute la
France. Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 46).
60 En témoignent les histoires de
François CAVANNA, (Op. Cit.) ou de Pierre MILZA (Op. Cit.) par
exemple.
61 R. SCHOR, L'opinion française et les
étrangers, Paris, 1985, cité par P. MILZA, Voyage en
Ritalie, Paris, 1993 (p. 125).
62 L. DELMAS, « Les immigrés italiens
pendant les guerres », n° 11, mai 1999, Communication
présentée au festival de Villerupt, le 28 octobre 1995) (p.8).
63 « Le « président de la colonie
italienne des Batignolles », Lino ZANNI, et son vice-président,
Natale PENCO, sont des fascistes. [...] des notables italiens créent un
fascio : ces initiateurs du fascisme à Nantes sont des
commerçants [...] c'est le gouvernement italien qui est derrière
cette offensive concertée ».
A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire des
étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes,
2007 (p. 266).
différentes obédiences, anarchistes,
communistes, républicains) ou des organisations associatives (la
LIDU64 par exemple). Les colonies italiennes sont dès lors
parfois déchirées par un clivage qu'il ne serait pas aberrant de
désigner comme répondant à une logique de guerre civile,
pour la France méridionale en tout cas 65 . Les «
fuoriscisti » s'échappent ainsi la répression mussolinienne,
emmènent avec eux femmes et enfants, en danger dans la Péninsule.
Aucune mesure administrative n'est prise à l'encontre de ces Italiens du
côté français mais la manifestation de comportements
italophobes au sein de l'opinion se fait plus forte. Le climat est tendu pour
les immigrés italiens puisque aux tensions politiques intestines entre
fascistes et antifascistes s'ajoutent les affrontements racistes entre
Français et Italiens. Signalons cependant que les familles de «
fuoriscisti » bénéficiaient tout de même du soutien de
nombreux hommes de gauche, or, nous savons qu'ils existent dans des proportions
non négligeables parmi les hussards de la République
française. La « politisation » se fait d'ailleurs dès
l'Ecole Normale qui a pour mission de diffuser des valeurs prétendument
universelles aux maîtres Français qui devront, à leur tour,
les enseigner aux écoliers de l'Hexagone. Bien sûr, ses valeurs
diffusées par l'EN sont plus de l'ordre de la solidarité et de la
tradition républicaine que de la lutte politique. La compassion envers
les difficultés qu'ont connues les immigrés et leurs enfants est
d'ailleurs souvent signalée par nos témoins. En effet, au cours
des entretiens, ils « justifient » souvent, a posteriori, par des
raisons politiques, la décision de leurs parents de quitter la terre
mère. Les explications liées à la fuite du fascisme sont,
il est vrai, considérées comme plus valorisantes que les raisons
économiques, Pierre Milza parle ainsi de « légende noire du
fait migratoire »66. En fait, les raisons politiques et
économiques s'entremêlent souvent. Il n'est, dès lors, pas
aisé de se faire une idée juste du motif principal de
départ, analyse d'autant plus difficile que souvent les enfants
ignoraient pourquoi leurs parents s'étaient exilés. Si la fuite
du fascisme est parfois valorisée par les maîtres d'école,
on remarque aussi qu'elle a pu joué comme un frein à
l'intégration. La compassion bienveillante des instituteurs à
l'égard de familles ayant fuit l'Italie n'est pas si courante.
Si l'on cherche à déterminer le moment de la
rupture dans les relations franco-italiennes on désignera sans doute le
discours de Ciano du 30 novembre 1938 à la chambre des Faisceaux et des
Corporations. Le « plan Ciano », qui s'avère par la suite
être un cuisant échec pour le
64 La Liga Italiana dei Diritti dell Uomo (Ligue
italienne des droits de l'homme - TDLA) est constituée à
Paris en 1922.
65 L. TEULIERES, Français et Italiens
dans la France méridionale de la fin de la Grande guerre au sortir de
l'occupation : opinion et représentations réciproques,
Thèse de doctorat sous la direction du professeur P. LABORIE,
Université de Toulouse II Le mirail, 1997.
66 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993
(p. 474).
camp italien, a pour but de « faciliter les nombreux
courants d'Italiens qui ont manifesté l'envie de rentrer dans la Patrie
». Mussolini tente de bloquer l'émigration, alors que le
gouvernement français augmente les naturalisations afin de pouvoir
appeler plus de soldats potentiels en vue de la guerre qui se prépare
à éclater. En fait, quelques fascistes en vue et quelques
milliers d'immigrés rentreront en Italie. Le gouvernement de Rome exige
par ailleurs l'application stricte de l'article 21 de l'armistice
franco-italien (les Italiens internés pour raison politique doivent
être rapatriés, les adversaires tout comme les partisans du
régime). Les missi dominici de Mussolini, aidés par les
fasci locaux et les missions catholiques, développent en France une
importante propagande en faveur du retour de ces immigrés67.
Retours qui s'avèrent assez conséquents dans les trois
années qui marquent les prémices de la guerre :
Années
|
Total des départs
|
Départs vers la France
|
Retours de France
|
1938
|
61
|
548
|
10
|
551
|
8 440
|
1939
|
29
|
489
|
2
|
015
|
59 877
|
1940
|
51
|
817
|
1
|
119
|
45 741
|
Tableau n° 1 : Emigration
italienne et solde migratoire entre la France et l'Italie pendant les
prémices de la Seconde Guerre Mondiale68.
Ces retours expliquent que quelques uns de nos
témoignages soient en langue italienne : après avoir
été scolarisés en France durant l'Entre-Deux-guerres, les
jeunes retournent vivre en Italie et font leur vie d'adulte là-bas. Avec
le début de la Deuxième Guerre mondiale, un grand nombre
d'émigrants italiens installés en Angleterre, en Belgique, en
Suisse ou en France doivent retourner dans leurs villes d'origine. On comptera
près de 150 000 Italiens venus de France qui traversent alors les Alpes,
prenant ainsi le chemin du retour « forcé » à la terre
mère. Cependant, durant cette période, des navires continuent,
depuis les ports de Gênes ou Naples, à alimenter l'immigration aux
Etats-Unis.
67 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993
(p. 83, 84).
68 A partir des sources de l'ISTAT, P. MILZA,
Ibid. (p. 75).
C). Le contexte français de la guerre : un regain
de xénophobie de la part des autochtones ?
En septembre 1939, la guerre est déclarée et la
France connaît des départs d'étrangers difficiles à
quantifier. La menace est militaire mais pas seulement : la pression est aussi
présente dans la vie quotidienne en raison d'une xénophobie
ambiante particulièrement violente. On estime à une soixantaine
de milliers de personnes ces départs, un effectif qui représente
8 à 10 % des migrants d'alors69. Par ailleurs, cette phase de
la Seconde Guerre mondiale est vécue comme une période ou
l'intégration est extrêmement difficile pour la plupart des jeunes
d'origine italienne : évacuations massives70 et
stigmatisation du « faux frère latin » comme « le
traître » se font particulièrement présents en cette
période trouble. Les écoliers d'origine italienne
n'échappent pas aux vives critiques de certains instituteurs et de
quelques écoliers quant à leur position d'ennemis de la France.
René Maestri, alors élève de l'école de Montreuil,
et Maria Birlouez, racontent à Marie-Claude Blanc-Chaléard ces
épisodes terribles :
« C'était pendant la guerre, en 1942 ou 1943. Nous
étions en train de jouer dans la cour de l'école quand les
instituteurs nous ont demandé de nous mettre en rang. Les fils
d'étrangers ont été regroupés en haut à
droite. Sur le coup, je n'ai pas compris jusqu'à ce que la distribution
des masques à gaz commence. Tout le monde a eu son masque... Tout le
monde sauf nous, les fils de Ritals, d'Espagnols, de Polonais ».
Cependant, René Maestri garde sa confiance en l'Ecole française
et explique que « les instituteurs n'y étaient pour rien. Ils
avaient reçu des ordres ».
Maria Birlouez raconte, quant à elle, situant
l'évènement en 1944 : « notre nom italien ne nous donnait
pas droit au masque. Cet épisode nous a traumatisés. On a cru
qu'on allait mourir, pas les autres »71.
Ajoutons aux difficultés liées à ces
remarques désobligeantes les problèmes intrinsèques de la
guerre, que, tout comme leurs camarades français, nos témoins ont
subis72 :
69 M C. BLANC CHALÉARD, « les mouvements
d'Italiens entre la France et l'étranger. Eléments pour une
approche quantitative », Paris, 1991.
70 Les hommes de Heinrich Himmler évacuent
de Marseille une vingtaine de milliers de personnes, dont beaucoup d'Italiens.
En janvier 1943, le 14ème régiment de police dynamite
le quartier du Vieux Port : le « chancre de l'Europe », comme
l'appelait le général SS Karl Oberg est désormais un champ
de ruines.
71 Entretiens de René MAESTRI et Maria BIRLOUEZ
dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une
histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p.
520, 521).
72 Soulignons qu'à Nantes, le lycée
Vial est sinistré lors des bombardements de 1943, des baraquements
provisoires sont alors édifiés pour que les cours puissent
continuer. La reconstruction de l'établissement n'est effective qu'en
1953.
« La position de l'Italie ennemie n'a pas
été sans commentaires vis-à-vis de nous. [...] J'avais
quinze ans en 1940 à l'apprentissage. Les bombardements étaient
nombreux avec beaucoup de victimes, en particulier en novembre 1942 au centre
d'apprentissage où plus de cent apprentis et moniteurs furent
tués. Moi-même, je suis en quelque sorte un rescapé.
»73.
« Mon père a fait partie de la défense passive
et des « cinquante otages », ils faisaient un roulement d'otage !
C'est passé à côté mais ça aurait pu !
»74.
Les insultes liées à la position italienne de 1940
laissent parfois encore leurs marques sur les décisions d'adultes des
témoins, comme c'est le cas, par exemple, pour Mario Merlo :
« À l'école je n'étais pas
français, je ressentais la différence. A l'école on est
ensemble mais de mes cinq à mes dix ans, compte tenu de Mussolini qui
avait retourné sa veste, les Français, c'est normal... on
était mal vus ! C'était un complexe. Mais ça ne se voyait
pas de l'extérieur : quand ils envoyaient des vannes, je leur disais
rien mais ça marquait. C'est pour ça qu'à 21 ans, il y a
eu l'Algérie, j'ai dit j'y vais mais pour faire mon devoir mais sans
être convaincu »75.
La réaction à la stigmatisation de l'Italien en
cette période conflictuelle est souvent de s'affirmer comme
Français, posture sûrement plus aisée pour les enfants
issus de couples mixtes comme c'est le cas de Pierre Milza dont seules les
attaches paternelles le rattache aux montagnes émiliennes :
« On m'avait appris à l'école [...] que les
« macaronis » [...] nous avaient donné un coup de poignard
dans le dos en 1940 et je ne me sentais en rien un macaroni
»76.
73 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
74 Entretien avec Mario MERLO, (1er
décembre 2009 -- Basse Goulaine).
- Le terme de « défense passive » désigne
la protection des populations en situation de guerre.
- Les « cinquante otages » font ici
référence à cet épisode douloureux de la
mémoire nantaise : le 16 octobre 1941, trois jeunes résistants
arrivent à Nantes avec pour mission d'exécuter un officier
allemand qui est assassiné quatre jours plus tard. En réaction,
le général allemand Von Stülpnagel ordonne
l'exécution de cinquante otages. Seize personnes sont fusillées
au camp du Bêle, les autres sont exécutées à
Châteaubriant et à Paris.
75 Entretien avec Mario MERLO, (1er
décembre 2009 -- Basse Goulaine).
76 P. MILZA Voyage en Ritalie, Paris, 1993
(p. 9).
|
A gauche :
Mussolini, empereur de la méditerranée. A droite :
Mussolini, l'affreux échec.
Sur les papiers :
- Guerre, signé Mussolini
- Ordres de Berlin - Roosevelt
|
|
|
Figure no 3 : « Le rêve
et le cauchemar " Caricature de David Low77.
Cet évènement est une des grandes étapes
de notre étude puisqu'il est souvent évoqué par les
anciens écoliers. « L'accusation " est reprise maintes fois dans
les écoles comme injure envers les élèves d'origine
italienne78. C'est Roosevelt qui, le premier, qualifia de «
coup de poignard dans le dos " la déclaration de guerre italienne du 10
juin 1940, alors que les troupes allemandes avançaient sur tous les
fronts 79 . Laura Teuillères explique l'influence de cet
évènement politique et diplomatique : « La trahison de
Mussolini fait que l'on glisse vers l'idée que le coupable, c'est
l'Italien de la ferme d'en face, « ce salaud de macaroni ». [...]
L'animosité de terrain a été renforcée à ce
moment là "80. Le 24 juin 1940, le gouvernement Badoglio
dénonce l'armistice franco-italien ce qui rétablit l'état
de guerre entre les deux pays81. Cet évènement
politique majeur va avoir une influence non négligeable sur l'attitude
des écoliers et
77 Caricature de D. LOW, « Evening Standard ", 11
mai 1940.
78 P. MILZA, Op. Cit. (p. 9).
79 Ajoutons qu'à ce climat,
déjà peu propice à l'apaisement entre Italiens et
Français, s'ajoute l'italophobie renforcée par la rumeur,
pourtant erronée, du mitraillage des colonnes de l'exode par des avions
italiens.
80 L. TEULIERES
Dans « La vie rêvée des Italiens du Gers ",
documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.
81 Pour cet éclairage chronologique, les
ouvrages utilisés sont :
L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France.
Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 45 à 48).
Et P. MILZA Op. Cit. (p. 9 et 290).
33 des professeurs envers leurs élèves et
camarades italiens. Le statut des ressortissants transalpins est
défavorable, leur image dans l'opinion publique est
négative82. Plusieurs milliers d'Italiens dont les papiers ne
sont pas en règle seront arrêtés83. Cette
situation douloureuse, en plus de ses conséquences directes et souvent
dramatiques, sur toute la cellule familiale a, sans nul doute, contribué
à la dégradation des rapports entre les élèves
étrangers et Français. Même lorsque, comme pour
César à Noisy-le-Grand, l'intégration est globalement
bonne, elle pâtit tout de même de la guerre : « A huit, neuf
ans, quand je suis arrivé, je suis allé à l'école
du Centre. Il n'y avait pas de problèmes avec les autres, sauf
peut-être pendant la guerre »84. Souvent, le conflit
mondial n'est pas directement dénoncée par les témoins
comme la cause de leur « rejet » mais elle est presque toujours
évoquée lorsqu'ils évoquent les insultes dont ils ont
parfois été victimes, citons, par exemple, Maggiorina Bozzuffi,
née Cattirolo, qui fréquente l'école privée
à Rennes de 1930 à 1943 :
« toutes mes institutrices m'aimaient bien, sauf les
derniers professeurs pendant la guerre »85.
Jean-Louis Scaglia, à Nogent, fait sensiblement le
même constat :
« Pendant la guerre, les difficultés avec les
Français étaient plus grandes : « sale macaroni, viens pas
nous emmerder ici. En plus, il y avait un instituteur, un type qui avait fait
la guerre de 14, avec le béret et tout, il avait l'habitude de compter
tous les étrangers une fois par mois. J'étais français
mais il regardait que les noms »86.
Ce qui marque aussi cette période de guerre, c'est bien
sur le gouvernement de Vichy et, pour ce qui concerne notre sujet, sa politique
quant aux immigrés et à l'éducation. En effet le
gouvernement du maréchal Pétain considérant que « si
nous avons perdu, la faute en incombe au système éducatif
»87, il porte sur l'Ecole un regard attentif accompagné
de nombreuses réformes. Par ailleurs, plus d'un millier d'instituteurs
seront alors révoqués (parmi eux, des pacifistes, des
résistants, des juifs ou encore des francs-maçons), les Ecoles
Normales supprimées (le gouvernement vichyste les considère comme
des vases clos où le socialisme règne en maître). La
réforme vichyste instaure l'intégration des classes primaires
supérieures au secondaire, l'objectif
82 L. TEULIERES, « Mémoires et
représentations du temps de guerre dans le midi toulousain » dans
M-C BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris,
2003. (p. 206, 207).
83 P. MILZA, Op. Cit. (p. 83).
84 I. VENDRAMINI-WILLEMS, L'immigration italienne
à Noisy-le-Grand (1886-1968). Une intégration
réussie, Université Paris IV, 1992 (p. 121).
85 Questionnaire complété par Maggiorina
CATTIROLO-BOZZUFFI (2010).
86 Jean-Louis SCAGLIA dans M-C BLANC-CHALÉARD,
Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration
(années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 521).
87 M-O. MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET,
Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p.
34).
est alors d'enlever les élèves les plus
âgés à l'influence de leurs maîtres. Ces mesures sont
supprimées à la chute du gouvernement en août 1944, en
revanche, les nouveaux centres de formations techniques (plus de 600 sont
créés à cette période), qui font à peu
près consensus quant à leur grande efficacité, sont
conservés.
Le printemps 1945 marque le retour de flux d'entrées
importants, les migrants sont alors souvent des personnes ayant
déjà travaillé en France avant le conflit. A ces cohortes
d'immigrés déjà bien intégrés à la
société française s'ajoutent les victimes du chômage
transalpin et du surpeuplement de l'Italie, souvent des clandestins
chargés de famille. Or, l'attitude libérale face aux flux est
bien finie et le criblage est désormais sans concession88.
Cependant la France en reconstruction a besoin de bras et le
phénomène d'immigration massive qui avait suivi la
première guerre mondiale se répète ici. Dès
l'été 1945, le général De Gaulle négocie,
avec le gouvernement de Rome, l'entrée, sous l'égide de l'ONI, de
travailleurs. Les résultats des deux accords négociés se
font rapidement sentir, dans des proportions néanmoins
inférieures à celles prévues initialement par les experts.
L'immigration italienne est ensuite stabilisée, tout comme la
répartition géographique des migrants89.
D). L'après-guerre : une décennie de laborieuse
amélioration de l'image de l'immigré italien.
A l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, l'Italie est
le seul pays « développé » qui n'a pas encore
achevé sa transition démographique. Elle bénéficie
donc d'une main d'oeuvre nombreuse. A l'heure où tous les autres pays
européens sont à l'heure de la reconstruction, ces travailleurs
transalpins bénéficient de la plus grande attention de leurs
voisins mais aussi de celle de pays plus lointains (l'Argentine en est
l'exemple le plus parlant). L'Etat italien essaye de « vendre » ses
émigrés aux pays les plus offrants90. La France n'est
pas la destination la plus courue, elle est donc progressivement
délaissée pour des destinations où les salaires des
ouvriers
88 Les raisons invoquées sont professionnelles
ou médicales, parfois politiques.
P. GUILLEN, « Le cas italien », dans DUMOULIN (Michel)
(dir.), Mouvements et politiques migratoires en Europe depuis 1945,
Bruxelles, 1989 (p. 40).
89 P. MILZA, Op. Cit. (p. 86, 87).
90 - Le 23 juin 1946, la Belgique signe à
Rome le protocole d'un accord économique entre les deux pays. Il
prévoit l'envoi de 500 000 travailleurs italiens en échange de
l'approvisionnement de trois millions de tonnes de charbon annuel.
- En 1955, l'Allemagne, quant à elle, signe un engagement
en matière de migration ce qui amène presque 3 millions
d'Italiens à immigrer.
sont meilleurs. L'arrivée des Transalpins n'en est pas
pour autant devenue négligeable dans l'Hexagone et le gouvernement
français fait, en 1946, un choix historique en prenant la
décision de faire appel à l'immigration. Ces entrées sont
contrôlées par le biais de l'ONI qui est chargée des
contrats de travail et de la sélection des migrants91.
Désormais, trois types de cartes leur sont
délivrés92. Dans la décennie qui suit la
Seconde Guerre mondiale, on remarque une relative stabilisation de
l'immigration italienne et de la répartition géographique des
Transalpins de France. En 1946, ils sont encore 450 000, soit 25, 9 % des
étrangers présents dans l'Hexagone93.
Pour ce qui est de la situation économique des parents
de nos témoins, anciens ou nouveaux arrivés dans l'Hexagone, les
« Italo-français » profiteront de l'élan
économique d'après 1955, principalement ceux qui travaillent dans
le bâtiment (les banlieues sont alors en plein essor).
Après la Seconde Guerre Mondiale, l'Italien, jusque
là plutôt considéré comme indésirable,
connaît un processus de légitimation et de revalorisation de son
image94 même si on remarque toujours, dans la presse
française comme au sein des établissements scolaires un
antiitalianisme par défaut, conséquence douloureuse du souvenir
de l'alliance transalpine avec les puissances de l'Axe. Le début des
années cinquante montre que, désormais, ce sont les
Méridionaux qui émigrent majoritairement vers le territoire
français : à la vision négative des autochtones sur leurs
voisins d'Outremont, s'ajouteront donc souvent les critiques des Italiens du
Nord sur ceux venus du Sud. L'amélioration de l'image de l'Italien est
très lente comme en témoignent les incidents fréquents
rapportés par la presse et les institutions publiques. Une illustration
récurrente de ces difficultés peut ici être citée en
exemple. En effet le domaine du sport à toujours tendance à
concentrer les oppositions dans les cours d'écoles. Ainsi,
l'illustration de cette vision négative est donné cinq ans
après la fin de la guerre sur une étape pyrénéenne
du Tour de France : l'équipe italienne est huée, et le
célèbre coureur cycliste Gino Bartali, après une
91 Les critères de recrutement sont
essentiellement sanitaires et basés sur la force de travail des
postulants. Le 2 novembre 1945, une ordonnance paraît, véritable
charte de l'immigration vers la France.
92 « La hiérarchisation entre trois types de
carte permet une sélection des étrangers, y compris de ceux
déjà installés en France : la carte de résident
temporaire, pour des séjours inférieurs à un an, celle de
résident ordinaire, valable trois ans, celle enfin, de résident
privilégié, valable dix ans. [...] La carte de résident
privilégié permettant seule une installation durable.
L'ordonnance distingue ces titres de séjour des titres de travail, autre
moyen de filtrage des étrangers d'autant plus efficace que le refus d'un
titre de travail entraîne, en principe, le refus d'un titre de
séjour ».
« Les étrangers au temps des « Trente Glorieuses
» » dans A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire des
étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes,
2007 (p. 337).
93 P. MILZA Op. Cit. (p. 86, 87).
94 A. BECHELLONI, « Il riferimento agli
Italiani nell'elaborazione di una politica francese dell'immigrazione »
(1944 - 1946), dans G. PERONA, Gli italiani di Francia 1938 À
1946, Milano, 1994 (p. 45 à 57).
impressionnante chute dans le col d'Aspin, doit
défendre son vélo à coups de poings face à un
public hostile. D'ailleurs un élève de l'école de
Blanquefort dans le Gers confie cette anecdote de cour de
récréation : « à l'école, il fallait
être pour les coureurs cyclistes français »95.
Figure no 4 : « Les Italiens
dans « le Tour »» Dessin paru dans le Canard
Enchaîné96.
En outre, les rapports des fonctionnaires d'état
constituent, eux aussi, une preuve que les relations tendues entre
Français et immigrés italiens sont toujours d'actualité
durant la décennie qui suit la victoire des Alliés. L'ambassadeur
transalpin en poste à Paris à partir de 1947, Pietro Quaroni,
explique ainsi que : « L'opinion publique en France partageait un
sentiment de vengeance envers l'Italie »97. On retrouve
d'ailleurs les mêmes constats dans les rapports des
95 Témoignage d'un enfant d'origine italienne
à Blanquefort,
Dans « La vie rêvée des Italiens du Gers
», documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.
Cette anecdote sur l'importance du soutien aux coureurs
français est aussi illustrée par le témoignage de Pierre
Milza qui raconte un de ses souvenirs alors qu'il était en vacances en
Italie : « A San Remo, en ce début d'été 1948, je
suis allé crier mon enthousiasme pour Bobet [...] et je trouvai
parfaitement déplacé cette jeune femme, tifosa du grand Bartali
et qui, tenant à bout de bras son bambin vaguement inquiet, l'invitait
à contempler le héros du jour : « guardi ! guardi, Gino,
com'è bello » (« regarde ! Regarde Gino, comme il est
beau ! » TDLA).
Dans P. MILZA, Op. Cit. (p. 10).
96 Dessin « Les Italiens dans « le Tour
» », « Le Canard Enchaîné », 1932, BDIC.
Dans GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France.
Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 58).
97 P. QUARONI, Il mondo di un ambasciatore,
Milan, 1965 (p. 253).
préfets : à la fin des années 1940, le
fonctionnaire en charge du Tarn-et-Garonne observe que : « Les Italiens ne
jouissent pas d'une grande sympathie parmi la population
»98.
Rien d'étonnant donc à ce que l'on retrouve ces
tensions dans les cours d'écoles : la période pourrait être
définie comme « l'étroite frontière entre la
maîtrise d'une politique publique et l'héritage d'une
xénophobie qui aurait acquis un visage humain »99. Il
est vrai que l'on remarque alors une difficile articulation entre la massive
entrée d'étrangers sur le sol français et les politiques
de terrain. Conseil est d'ailleurs donné aux immigrés de la part
des préfets de franciser leur nom100. L'assimilation a encore
de beaux jours devant elle. Les inspecteurs de la population, sous
l'autorité du ministère de la Population, sont chargés de
donner des cours de français aux nouveaux arrivés et de veiller
à la scolarisation de leurs enfants. Par ailleurs, on tente
d'éviter la « ghettoïsation » des immigrés
toujours dans le but de favoriser leur intégration.
E). Le rôle joué par l'école dans
l'installation définitive en France
Marie-Claude Blanc Chaléard, dans sa thèse
publiée en 2000, relate le témoignage que lui a livré
Louis Taravella, né à Nogent en 1920. Ce dernier explique qu'au
moment de passer son baccalauréat, en 1935, il apprend qu'il n'en a pas
le droit, n'étant pas de nationalité française. En pleine
période de la crise éthiopienne, il semble que cette loi est
appliquée assez strictement. Le père de Louis Taravella, un
notable local, entrepreneur de son état, réussit cependant
à régler cette situation délicate en allant voir le juge
de paix. Néanmoins, la solution au problème du jeune homme ne pu
être autre que la naturalisation. On s'aperçoit donc bien de
l'importance que
98 L. TEULIERES, « Mémoires et
représentations du temps de guerre dans le midi toulousain » dans
M-C BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris,
2003 (p. 210).
99 « Les étrangers au temps des « Trente
Glorieuses » » dans A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire
des étrangers à Nantes des origines à nos jours,
Rennes, 2007 (p. 337).
100 Ainsi, dans son entretien avec un témoin issu de
parents originaires des Abruzzes, Federica Stortoni rapporte l'anecdote
suivante : « Quand en 49 mon père est allé me
déclarer à la Mairie, 49 c'était trois ans après la
guerre, les Italiens étaient mal vus. Mon père a dit : «
Carlo-Bruno » et le monsieur lui a dit : « je ne connais pas, c'est
quoi ? » Et mon père a dit : « je suis italien, c'est un
prénom italien ». Le monsieur a dit : « Si on est en France,
il faut mettre un prénom français et mon père a
regardé les noms et a dit « Charles-Bruno » ».
Document annexe de la thèse de psychologie clinique et
pathologie de F. STORTONI, Clinique contemporaine des Français
d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français...
mais mon père était italien... », sous la direction des
professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007. (Cité dans
son intégralité en document annexe n° 14).
38 peut revêtir la scolarisation des enfants de migrants
italiens, non seulement dans une implantation en France plus longue, mais aussi
dans les demandes de naturalisation.
De façon plus globale, la réussite scolaire est
souvent expliquée, dans les témoignages, comme facteur d'une
meilleure intégration pour l'ensemble de la famille. Nous retrouvons
cette motivation dans de nombreux dossiers de naturalisation. L'enfant est
présenté, dans le dossier destiné au Conseil de
l'Emigration et au Commissariat Général, comme un citoyen
modèle en devenir, le succès des élèves
rejaillissant alors sur ses parents.
Au-delà de leurs bénéficiaires
immédiats, les leçons récitées au sein de la
cellule familiale diffusent les références historiques
littéraires ou politiques qui sont le ciment de la nation
française. C'est dans ces conditions que l'Ecole a pu permettre aux
parents de nos témoins de développer un sentiment d'appartenance
à la France, parfois très fort. Ajoutons à cela, nous
aurons l'occasion d'y revenir, que l'allégeance à la nation
italienne est alors plutôt rare, ce qui, on est en droit de le supposer,
a pu faciliter le phénomène de transculturation et
d'agrégation des immigrés transalpins à la France. La
scolarisation, méme lorsqu'elle n'est pas caractérisée par
des succès particuliers en classe, est un formidable facteur
d'intégration et d'implantation du noyau familial dans l'Hexagone.
Nombreux sont les migrants expliquant que leur sentiment d'appartenance s'est
fait naturellement et très rapidement grace à l'école :
« La génération de mon père, ils
comptaient revenir chez eux, mais, au bout d'une dizaine d'années, ils
ont compris que leurs enfants, ils étaient devenus pratiquement
français. [...] On a eu trois frères et soeurs qui sont
nés en France, ils étaient des gens français eux. Assez
rapidement, c'était en 1935, mon père a racheté sa propre
exploitation »101.
Effectivement, la scolarisation ne va pas seulement conduire
l'élève à se sentir Français, l'Ecole va aussi,
parfois, pousser le foyer tout entier à passer d'un « nomadisme
» contraint à une installation en France choisie par la famille.
« Ces jeunes élevés à Paris ne se sont pas seulement
adaptés. Ils ne se voient pas autrement que Parisiens, Nogentais ou
Montreuillois, l'intégration s'est faite pour eux de façon
spontanée »102.
Par ailleurs, l'aide des enseignants à l'installation
des familles de migrants est parfois matérielle. L'assistance aux
immigrés est toutefois surtout distribuée par les mairies et par
les prestations de l'Etat (allocation chômage, aide pour les familles
nombreuses, entre autres). A la
101 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL,
Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.
102 M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000 (p. 411).
39 Libération, on voit en France naître une sorte
de « consensus familiariste »103, il se traduit par
l'instauration massive d'allocations familiales. L'objectif souterrain de ces
mesures est de montrer, par un soutien financier, l'encouragement de l'Etat
à la natalité. Le système des prestations familiales
s'applique alors selon un principe de territorialité, les
étrangers peuvent donc bénéficier de la même somme
d'argent que les Français. Par ailleurs, l'immigration italienne
bénéficie d'un régime dérogatoire tout à
fait à son avantage : le travailleur transalpin peut, en effet, profiter
des allocations même si sa famille est toujours en Italie. En juin 1951,
ce transfert d'argent est limité à dix-huit mois, passé ce
délai, deux solutions se présentent : la famille doit rejoindre
le travailleur et scolariser ses enfants en France ou bien les allocations
seront suspendues. Par ailleurs, il arrive parfois que les instituteurs aident
la population italienne à se fixer par des « cadeaux », terme
utilisé par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Le témoignage de
Rina Biasin-Raumer confirme d'ailleurs cette information :
« Un jour, je me suis trouvée à
l'école, papa était au chômage. [...] Je suis allée
voir la maîtresse, qui était très gentille : Il est au
chômage ton père ? Attends, il va arriver d'autres choses... Et
elle m'a fait avoir un de ces gilets ! J'étais drôlement contente,
c'était pour le dimanche »104.
Les aides et les allocations liées à la
scolarisation des enfants contribuent souvent à faciliter la vie des
immigrés en France. Certains font donc le choix de demander la
naturalisation. Etant donné l'importance accordée en France
à la question de la nationalité, le fait d'être
Français modifie sensiblement l'intégration et l'ascension
sociale des enfants d'immigrés et ce, tant dans les constructions et les
représentations mentales que dans les lois. La naturalisation permet
ainsi l'accès aux emplois réservés aux
nationaux105. Au cours des entretiens, les témoins sont
d'ailleurs souvent fiers de montrer la carte d'identité de leurs parents
(du père en général, étant donné la forte
proportion de couples mixtes chez les personnes interrogées dans le
cadre de ces recherches).
Le projet professionnel de l'enfant en France et les
solidarités familiales vont donc souvent pousser les parents à ne
pas rentrer en Italie. Nous aurons l'occasion, plus loin dans notre
étude, de nous pencher sur les carrières des enfants
d'immigrés italiens et sur ce qu'elles
103 Cité par A. SPIRE, « Un régime
dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques
française et italienne d'immigration/émigration » dans M-C
BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003
(p. 50 à 53).
104 M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000 -- Entretien avec Rina BIASIN-RAUMER (p. 376).
105 « Le travail n'était pas sûr tant que
papa n'était pas naturalisé ».
Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
impliquent. Par ailleurs, une cause qui peut sembler
évidente mais qu'il ne faudrait pas omettre d'évoquer ici est
l'union mixte. Marié avec une Française, ayant des enfants
français, s'établir dans l'Hexagone de façon
pérenne est la décision la plus courante, même si elle
n'est pas nécessairement évidente106.
Le travail d'acculturation et de francisation exercé
par l'Ecole française se fait donc bien, non seulement sur
l'élève, mais aussi sur toute la cellule familiale, cette
influence de l'Ecole rejaillit sans nul doute sur l'installation
définitive des familles. Effectivement, quand les témoins
relatent le cas de proches qui ne firent qu'un séjour temporaire en
France, c'est presque exclusivement des hommes célibataires. Par
ailleurs, lorsqu'une famille avec des enfants rentre en France, c'est pour des
raisons qui relèvent de situations exceptionnelles à la «
norme »107.
F). La difficulté de connaître les
sentiments des migrants sur leurs expériences migratoires
Étendre la mise en oeuvre de notre méthode de
recherche biographique à tout le groupe familial, et multiplier les
« histoires de cas » de familles partant de conditions similaires,
permet d'appréhender les dynamiques intergénérationnelles
des groupes. C'est ici ce que nous avons tenté de faire pour comprendre
les décisions d'émigrer des parents de nos témoins et leur
influence sur la scolarisation de leur progéniture. Cependant, les
retentissements de l'expérience migratoire sur les primo arrivants et
sur leurs enfants restent difficiles à analyser. Une des raisons de
cette difficulté réside dans le fait que ce sont rarement les
migrants qui livrent directement leurs impressions sur l'épreuve que
représente l'immigration. En effet, la littérature «
immigrée » ne commence à exister dans des proportions
importantes qu'à partir de la deuxième ou de la troisième
génération. Rares sont les exilés ayant des habitudes de
rédaction ou maîtrisant suffisamment le français pour
rédiger leurs mémoires ou des autobiographies. D'ailleurs, si
106 Ainsi Daniel Fantin explique, parlant de son père,
Enrico : « Il est vrai que l'Italie et sa mère lui manque
beaucoup. S'il ne nous avait pas eu, il ne serait pas resté en
France. ». On remarque que le mariage endogène italien a
joué sur le retour en Italie des familles, parlant de ses oncles et de
son père, Daniel raconte que des trois frères, Sergio et Enrico,
mariés et ayant eu chacun deux enfants avec des Françaises,
restent toute leur vie dans l'Hexagone, alors que Luigi, marié à
une italienne, reprend la route vers Coltura au moment de sa retraite.
Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour
l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à
l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).
107 Antonio, le demi-frère de Jean BURINI, issu du
premier mariage de sa mère, doit rentrer en Italie chez son
grand-père avec sa soeur Carla lorsqu'ils deviennent orphelins. Antonio
avait pourtant la nationalité française, qui lui avait
été donnée à sa naissance, en France.
Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 -- Vigneux).
41 l'émigration italienne motivée par des
raisons politiques est bien présente entre les deux guerres, nous sommes
surtout, durant cette période, face à une immigration de travail
de la part d'hommes et de femmes souvent illettrés ou, du moins,
très peu familiers avec l'écrit. La tradition orale, et sa
transmission par l'intermédiaire de chansons populaires sont, quant
à elles, apportées dès la première vague de
migrants. Les premiers textes littéraires de la deuxième et la
troisième génération d'immigrés italiens sont
souvent des récits narrant leur enfance en France, ou des sagas
familiales, où l'on retrouve certaines constantes. Ces
témoignages présentent donc un intérét certain pour
notre sujet de recherche. Outre une nostalgie de la période de l'enfance
(que l'on ne voit d'ailleurs pas seulement dans les récits
d'expérience migratoire mais dans la plupart des autobiographies), il
n'est pas rare que soient abordés le trajet migratoire effectué
par les parents, les problèmes liés à la constitution
d'une l'identité, les souvenirs « par procuration » de
l'Italie et les révélations sur l'Institution scolaire
française, ses pratiques et ses codes. Il est donc délicat de
déchiffrer l'état d'esprit des parents des jeunes italiens quant
à la décision d'émigrer qui fut la leur. Dans les
témoignages, on s'aperçoit ainsi que, bien souvent, les
témoins ne font que supposer les raisons du départ de leurs
parents.
Maria C. explique ainsi : « Je ne sais pas vraiment
pourquoi papa et maman sont partis. Mon père n'en parlait pas, il
n'était pas causant ! De toute façon, il n'aurait pas eu les mots
»108.
Le discours de Mario Merlo est sensiblement empreint des
mêmes doutes : « Je crois que mon père est parti pour le
travail et à cause du fascisme, il ne supportait pas ça. Il ne
parlait pas de politique -- est-ce qu'il avait deviné quelque chose je
ne sais pas -- mais il a préféré quitter l'Italie
»109.
Cependant, on peut tout de même remarquer une constante
: les raisons économiques, de subsistance, sont les premières
évoquées. A la question « Pourquoi vos parents ont-ils
immigré ? », les réponses des témoins portent presque
toujours sur la nécessité de trouver un emploi plus lucratif que
celui qu'ils avaient en Italie. :
« Mes parents ont immigré pour avoir un travail
sûr »110.
« C'était une nécessité eu égard
au niveau de vie en Italie »111. « Mon père a
immigré seul afin d'améliorer sa vie »112.
108 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
109 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
110 Questionnaire complété par Maggiorina
CATTIROLO-BOZZUFFI (2010).
111 Questionnaire complété par Lucien ZANDOTTI
(2010).
112 Questionnaire complété par Carina
TRAVOSTINO-CORBEAU (2010).
Nous l'avons déjà rapidement
évoqué, il est particulièrement difficile de
déterminer la part des raisons politiques dans le choix de quitter
l'Italie. Pierre Milza explique ainsi que « tout se passe comme si [...]
l'émigré définitivement installé en France [...]
cherchait à justifier rétrospectivement sa « trahison »
par celle dont il estime avoir été lui-même la victime de
la part de sa propre patrie et des hommes qui avaient eu à charge de
faire accéder celle-ci à la modernité
»113.
Il nous faut enfin aborder une dernière raison qui a pu
pousser les migrants sur les chemins de l'exil. Cette dernière
explication est encore souvent douloureuse pour les témoins qui
d'ailleurs feront souvent la demande, au cours de l'entretien, de ne pas en
faire part en détail ici. En effet, les immigrés sont assez
nombreux à avoir fui le milieu d'origine pour être loin de leurs
parents et de leurs frères et soeurs. Deux raisons principales
expliquent cette « fuite » : parfois liée à des «
scandales » familiaux, l'échappatoire de l'immigration est
nécessaire114. La deuxième explication est
inhérente à la notion d'individualisme et à l'idée
du bonheur dans la réalisation d'une vie autonome qui ont fait leur
chemin dans la péninsule italienne (cela peut s'expliquer par le fait
que nous étudions ici un pays d'émigration
ancienne115).
Les immigrés sont la plupart du temps, issus de classes
populaires et, bien sûr, cette caractéristique va avoir un impact
dans la scolarité des jeunes écoliers d'origine italienne. Notre
prochain point d'étude porte donc sur le mode de vie traditionnel dans
lequel les enfants issus de la péninsule italienne vont
évoluer.
113 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p.
475).
114 Plusieurs témoins me rapporteront des histoires de
familles, des scandales qui ont poussé leurs parents à fuir leur
pays d'origine. A leur demande ou par souci de préserver leur vie
privée, je ne rapporte pas ici ces évènements.
115 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 410).
II). Un mode de vie traditionnel
Comment se confrontent les modèles familiaux
traditionnels et ceux de la société d'accueil ? Est-il
forcément pertinent de les placer en opposition ? Tradition et
modernité constituent parfois deux ensembles au sein desquels les
immigrés puisent des ressources dans un effort de « bricolage "
constructif. Comment les élèves d'origine italienne
gèrent-ils ces deux milieux, représentant l'un comme l'autre une
bonne partie de leur quotidien ?
A). Une population fortement imprégnée par
la religion, une éducation traditionnelle.
Si le début de notre période est un moment
où l'émigration pour des raisons politiques existe dans des
proportions non négligeables, les Italiens immigrent tout de même
principalement pour des raisons financières. Cependant, comme d'ailleurs
pour tous les phénomènes migratoires, ce ne sont, globalement pas
les plus démunis qui prennent le chemin de l'exil. En effet, il est
nécessaire d'avoir un capital de départ pour quitter la terre
mère et quelques menues économies pour « tenir » si
l'on arrive sans contrat de travail en France. L'immigré « type "
des années 1935-1955 est tout de même généralement
pauvre et, quand il y a été, il a reçu de l'école,
en Italie, une instruction que l'on peut qualifier de « minime ". La
plupart du temps, l'adulte reproduit l'éducation traditionnelle qu'il a
lui-même reçue de ses parents. Bien sûr, des changements
s'opèrent entre les deux générations mais ils sont
infimes. Les valeurs liées à la religion catholique, en
particulier, sont presque toujours transmises par les
témoins116.
L'immigration familiale et le caractère catholique des
Italiens sont d'ailleurs deux ferments d'assimilation vigoureusement
défendus dans les milieux religieux autochtones. N'oublions pas qu'ils
s'installent alors dans une nation qui a longtemps été
appelée « fille aînée de l'Eglise "117.
Cependant cette caractéristique, nous le verrons, a un rôle pour
le moins ambivalent dans l'opinion française : tantôt
lénifiante, tantôt repoussoir, elle n'est pas toujours un facteur
évident d'intégration.
116 « Des deux côtés, c'était
catholique : petit, j'allais à la messe et je suis toujours allé
dans des écoles privées. »
Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009
-- Basse Goulaine).
117 R. SCHOR, « Religion et intégration des
étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres ", dans L. GERVEREAU, P.
MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 248).
Dès lors, on peut s'interroger sur la part d'enfants
d'origine italienne scolarisés dans l'enseignement privé,
celui-ci étant nécessairement confessionnel à
l'époque qui nous intéresse. Les Italiens sont majoritairement
très catholiques comme on peut l'observer à la lumière de
ce tableau réalisé grâce aux données d'Alain Girard
et Jean Stoetzel. Cette analyse de leur pratique cultuelle montre ainsi que 96
% des Italiens de France se déclarent catholiques, même si
seulement la moitié d'entre eux sont pratiquants.
|
Italiens
|
Catholiques pratiquants
|
49%
|
Catholiques non pratiquants
|
47%
|
Autres
|
4%
|
Tableau n°2 : La pratique
religieuse, dans les années cinquante, des Italiens arrivés en
France avant la Seconde Guerre mondiale118.
Pourtant, les Italiens ne sont que peu nombreux à
scolariser leurs enfants dans le secteur privé. Cette proportion est
effectivement plus faible chez les élèves issus de l'immigration
que chez les Français de naissance119, seule l'immigration
polonaise constitue une exception à cette règle. Cette faible
proportion d'étrangers s'explique d'abord par le coût des
écoles privées mais pas seulement. En effet, pour les parents de
sensibilité communiste, et donc la plupart du temps athées voire
« anti-cléricaux », il n'est pas question de scolariser leurs
enfants dans les établissements confessionnels. Walter Buffoni, issu de
géniteurs ayant fuit le fascisme, explique ainsi le choix de son
école et de celle de ses soeurs : « mes parents, de
sensibilité communiste, tenaient à ce que nous allions dans le
public »120.
Nous avons veillé à interroger des
témoins issus de l'enseignement public comme de la sphère
privée, nous pouvons identifier les raisons principales qui
poussèrent les parents à choisir les écoles
confessionnelles catholiques au moment de l'inscription des enfants. Les
explications de ce choix s'expliquent souvent par la volonté de
maintenir une tradition catholique. Globalement, les témoins en savent
peu sur la foi de leurs parents. La question portant sur leur pratique
religieuse les étonne souvent :
118 Sondage réalisé au cours des années
cinquante sur des Italiens arrivés en France avant la Seconde Guerre
mondiale.
Cité par R. SCHOR, « Religion et
intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres
» dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire
de l'immigration en France au XXème siècle,
Paris, 1998 (p. 250).
119 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004
(p. 251).
120 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
« on allait à l'église mais comme tout le
monde, quoi !»121. Cette réflexion est surtout
rapportée par les témoins de l'Ouest de la France. Il semblerait
que, dans cette région, de 1935 à 1955, la pratique religieuse
étant toujours globalement forte chez les Français, les Italiens
aient été moins stigmatisés en tant que « papistes
» et « curetons »122. Cependant le choix ne se fait
pas toujours de façon aisée ou naturelle : Jacqueline et Daniel
Fantin m'expliquent ainsi que la décision de les placer en école
privée à Nantes était celle de leur mère et qu'elle
a provoqué des disputes nombreuses à la maison123. En
ce qui concerne les témoins avec qui nous sommes en contact pour cette
étude, on remarque une quasi parité entre ceux scolarisés
dans les établissements privés et les élèves issus
des écoles publiques. Il ne faudrait pas étendre cette
donnée à l'ensemble de la France de la période 1935-1955
puisque, en effet, il y a déjà, à l'époque une
disparité de répartition des écoles confessionnelles en
France. L'Ouest compte un grand nombre d'établissements privés
par rapport au reste du pays. Nous touchons là une des limites de notre
étude : ne disposant pas de chiffres précis quant à
l'inscription des Italiens de France, nous ne pouvons qu'apporter des
suppositions sur la disproportion observée entre l'Ouest et les autres
régions du territoire français.
Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de ce
qu'était l'enseignement privé à la période qui nous
intéresse. Le débat entre école publique et école
privée est ancien, on trouve ses origines au XIXe siècle, le
problème repose alors sur l'origine du financement des
établissements. Rapidement, les débats se tournent vers la
question de la laïcité. Dans le contexte tendu des rapports entre
les gouvernements républicains français et l'Eglise, les lois
Ferry (1881, 1882 et 1886) établissent un enseignement primaire publique
gratuit, elles instaurent l'obligation de l'enseignement
élémentaire et la laïcisation des programmes des
écoles publiques. La loi Goblet de 1886 laïcise le personnel
enseignant des écoles publiques. Au coeur de notre période, le
régime de Vichy critique ces principes laïcs mais, à la
Libération, les aides financières de l'Etat aux écoles
privées sont à nouveau supprimées avant d'être
restaurées en 1951 par les lois Marie et Barrangé.
Les valeurs catholiques sont donc revendiquées par les
immigrés Italiens pour des raisons de conservation d'un certain nombre
de caractéristiques propres au pays récemment quitté.
Par
121 Entretien avec Maria C, (24 novembre 2009 -- Nantes).
122 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 39).
123 Jacqueline fréquente ainsi le pensionnat du
Sacré-Coeur de mars 1945 au 14 juillet 1955 et l'école de la
Châtelaine du 15 septembre 1955 jusqu'en septembre 1958. Daniel est
scolarisé en 1947-1948 à l'école maternelle Saint Clair de
la rue Ampère puis, jusqu'en juillet 1954, il étudie à
l'école élémentaire Saint Clair de la rue Danton.
- Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
- Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).
46 ailleurs, le caractère majoritairement catholique du
phénomène migratoire de la population originaire de la
péninsule italienne est souvent mis en avant par les Italiens comme une
des caractéristiques communes avec les Français, en tout cas, il
est rarement dénoncé comme un frein à l'intégration
dans le creuset hexagonal. La scolarisation au sein des écoles
confessionnelles serait dès lors un gage de sérieux auprès
des Français et un moyen de valoriser les traits communs entre les deux
pays. Le passage du public au privé, bien qu'exceptionnel, a pu se faire
dans de rares cas, et ceci non sans difficultés. Citons ainsi Maria
Cera-Branger, dont l'expérience est un bon révélateur des
tensions entre les établissements confessionnels et ceux «
appartenant » à l'Etat :
« Pendant la guerre, on a été «
réfugié total », c'était du côté
d'Héric, Blain. Là, j'ai eu des difficultés, non pas parce
que j'étais italienne mais parce que j'arrivais d'une école
laïque. J'ai dü aller à l'école chrétienne et
là les instituteurs ne me mettaient jamais la première si j'avais
bien travaillé et, pour la cantine, je ne mangeais pas à la
méme non plus »124.
Nous pouvons tout de même observer quelques cas
isolés, en général relevés lors de contacts avec
des Français aux opinions ancrées à gauche. Les jeunes
élèves français issus de familles « politisées
», en relation avec des enfants élevés dans la tradition
italienne catholique, feront parfois des remarques acerbes sur ce
caractère de « christos » des Italiens : « probabilmente
perché i nostri erano visti come dei gran bestammiatori »
interprète le journaliste italien Gian Antonio Stella.125 Ce
type d'insultes est aussi « investi » par les jeunes
élevés dans la foi chrétienne mais qui,
répétant là les discours de leurs parents, critiquent
l'aspect plein de superstition, selon eux, du culte transalpin. D'ailleurs, les
enfants issus d'un couple mixte et bénéficiant donc d'un «
double appartenance » tiennent parfois sensiblement les mêmes
discours, comme Maria Cera-Branger :
« Mon papa n'aimait pas l'Eglise, pourtant on
était croyants, comme tous les Italiens : c'est-à-dire plus
superstitieux que croyants ! Se prosterner dans les églises, embrasser
les pieds des statues et tout ! »126.
Les instituteurs sont assez représentatifs de cette
classe sociale de gauche souvent athée et assez parfois
anticléricale. Citons ainsi l'analyse de l'enquête de 1951
menée par des maîtres d'école
124 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
125 « Probablement parce que nous (les Italiens, NDLA)
étions vus comme des grands blasphémateurs ». Dans G.
A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003
(p.285)/
126 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
47 sur les cultivateurs italiens installés dans le
Lot-et-Garonne. L'attitude de ces enseignants est assez représentative
de ce que l'on peut entendre dans les témoignages des jeunes italiens de
la période 1935-1955 :
« Un fond d'anticléricalisme qui fait partie de
leur culture laïque se reflète parfois dans la manière dont
les maîtres d'école évoquent la pratique religieuse des
immigrants. Et son assiduité à aller à l'encontre de la
norme dans un département non seulement déchristianisé,
mais de tradition rouge »127.
En effet, on s'inquiète de la nouvelle poussée
religieuse apportée en France par les Polonais ou par les Italiens. En
1936, en France, les religieuses italiennes gèrent encore une dizaine
d'écoles128. Même dans les milieux catholiques, on
craint l'attitude de ces étrangers qui, bien que pratiquant la
même religion que la majorité des Français, ont des rites
assez différents. Leur piété est jugée trop
ostentatoire, ouvertement superstitieuse. Effectivement, « ces
comportements faisaient craindre à la gauche et aux syndicats que le
clergé étranger ne maintînt ses ouailles sous la coupe de
traditions réactionnaires et sous le contrôle de gouvernements
tyranniques »129. Pendant et après la Seconde Guerre
mondiale, on observe une brèche dans le pouvoir
hégémonique, restrictif et autoritaire du clergé
italien130. La scolarisation dans les écoles de France
entraîne l'élève d'origine italienne à vouloir
fréquenter le catéchisme et le patronage des paroisses
françaises afin d'y retrouver leurs camarades de classe. Le mouvement
d'éducation populaire des patronages prend de l'ampleur en France mais
sans réelle coordination nationale, il connaît son apogée
entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années cinquante. Il
existe des patronages de filles et de garçons, qui peuvent être
laïcs, privés, municipaux, ou encore paroissiaux.
127 R. HUBSCHER « 1951, une enquête sur les
immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C
BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p.
195, 196).
128 R. SCHOR, « Religion et intégration des
étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres », L. GERVEREAU, P.
MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 249).
129 R. SCHOR, Français et immigrés en temps de
crise (1930 À 1980), Paris, 2004 (p. 67).
130 « Les prêtres étrangers,
autoritaires, enclins à intervenir dans la vie privée des
individus, interdisant aux enfants de fréquenter le catéchisme du
pays d'accueil, mettant les parents en garde contre une imitation des moeurs
immorales de la France et les intentions assimilationnistes
prêtées à celle-ci. »
Dans l'article de R. SCHOR, « Religion et intégration
des étrangers en France dans l'Entre-Deuxguerres », L. GERVEREAU,
P. MILZA et E. TEMIME, Op. Cit. (p. 250).
« J'y allais le jeudi et le dimanche. J'ai
commencé, j'avais trois ans. Il y avait une petite garderie, avec des
bénévoles. C'était très grand le patronage, mais
c'était formidable ! On jouait aux échasses, à la balle au
chasseur. Chaque étage correspondait à un age [...]. Il y avait
une chorale, il avait du théâtre, il y avait du basket
»131.
Par ailleurs, même dans les milieux de droite et dans
les rangs des autorités catholiques, on s'inquiète de l'aspect
« nationaliste » présenté par le catholicisme italien.
Les prêtres étrangers sont nombreux dans l'Hexagone, ils diffusent
l'idée que les processions doivent se faire en costumes nationaux et que
les cantiques doivent être chantés dans la langue du pays. Laura
Teuillères, historienne, et Yolande Magni, institutrice d'origine
italienne, expliquent que des membres du clergé d'Outremont arrivent
d'Italie en même temps que les immigrés issus d'un village
près de Bergame, la colonie tout entière s'installe à
Blanquefort, dans le Gers. Quatre bonnes soeurs italiennes s'occupent ainsi des
jeunes filles. Une de leurs « élèves », Constance
Gavazzi témoigne ainsi « ils [les Français] faisaient
attention à ce qu'on reste catholiques. Ils voulaient qu'on se marie
avec des Français »132. L'assimilation des
immigrés voulue par les autorités ecclésiastiques
françaises est donc en péril : on cherche dès lors
à remplacer les prêtres étrangers par des Français
polyglottes.
Cependant, si la doctrine « à l'italienne »
se maintient parfois dans les colonies transalpines, au sein des écoles
privées et confessionnelles, les élèves étrangers
suivent totalement le « dogme à la française ».
B). L'espoir d'une immigration temporaire : une
intégration moins forte dans l'Ecole française ?
« Tous les individus interviewés insistent sur le
fait qu'ils n'auraient jamais cru, au moment du départ, que leur
expérience migratoire durerait au point de les emmener à
construire en France leur vie et celle de leurs enfants. [...] D'ailleurs,
méme les récits de ceux qui se sont installés
définitivement [...] font apparaître des trajectoires relativement
hachées et marquées souvent par de longues périodes de
crise et par des changements de direction soudains et pénibles. Toutes
les expériences de vie, particulièrement intenses et difficiles
qui s'y dessinent, semblent souvent le fruit d'une série
d'évènements fortuits qui transforment progressivement en
réalité définitive ce qui à l'origine
n'était que provisoire et temporaire »133.
131 Louis PELLINGHELLI dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les
Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années
1880-1960), Rome, 2000, (p. 434).
132 « La vie rêvée des Italiens du Gers »,
documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.
133 Lucia GRILLI, « Entre Naples et Paris : les migrants
napolitains des années cinquante » dans Marie-Claude
BLANC-CHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003
(p.225 à 227).
Cette observation de l'historienne Lucia Grilli concernant les
migrants napolitains des années cinquante installés à
Paris s'applique en fait à la quasi-intégralité des
Italiens arrivés en France entre 1935 et 1955. Dès lors, on peut
s'interroger sur l'influence de ce caractère précaire des
trajectoires de l'immigration des Italiens sur les enfants italiens et leur
scolarisation en France. Leur intégration va-t-elle en souffrir ? Avant
d'étudier cette question, nous nous devons de rappeler sur quels piliers
fondamentaux est bâtie l'intégration. Jacqueline Costa-Lacoux en
compte cinq : l'égalité des droits, la lutte contre les
discriminations, les politiques compensatoires des inégalités,
les modes de participation à la vie de la Cité et l'accession
à la citoyenneté par l'entrée dans la communauté
nationale 134 . Pour ces deux dernières
caractéristiques, la volonté, de la part du migrant, de
n'être que de passage ne va pas faciliter l'intégration.
Cependant, l'immigration terrienne et catholique bénéficie
déjà d'un regard assez bienveillant des milieux conservateurs qui
considéraient que ces travailleurs étaient globalement dociles et
fermement tenus par la main nationale. Ces milieux, pourtant traditionnellement
relativement enclins à la xénophobie, voyaient d'un oeil peu
inquiet une main d'oeuvre de travail qui, souvent, n'avait pas immigré
avec l'objectif de s'implanter durablement sur le territoire
français.
· Les « nomades » de l'immigration :
différentes étapes en France avant l'installation
définitive ?
L'image véhiculée en France est celle d'une
immigration qui s'est stabilisée au sein du creuset français. Il
est logique que l'on pense essentiellement, lorsque l'on parle d'immigration
transalpine, à ceux qui sont toujours en France aujourd'hui et
naturalisés la plupart du temps. Cependant, n'oublions pas qu'il existe
des Italiens qui resteront toujours des migrants et ne passeront jamais de ce
statut à celui d'immigré de France. La source qui permet de
suivre les parcours des Italiens itinérants nous est donnée par
les documents d'immatriculation qui devaient être tamponnés en
mairie. Bien sûr, certains ne se déclareront jamais mais ceux
là sont des hommes venus seuls, sans enfants. Presque toujours, les
Italiens de la période 1935-1955 pensent n'aller en France que pour une
courte période, pour des raisons de travail. Le seul vrai indice
objectif d'une volonté de vivre en France de façon permanente est
la naturalisation. Or, et c'est
134 J. COSTA-LACOUX, « De l'assimilation à
l'intégration », dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME,
Toute la France. Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 212, 213).
50 ce qui nous intéresse ici, cette décision est
souvent liée à la présence d'enfants. Etre père de
famille est d'ailleurs un des deux critères les plus efficaces pour
obtenir la naturalisation135. En outre, les enfants qui naissent sur
place consolident le lien avec le pays d'accueil et ce tant au niveau du
ressenti de la famille qu'au plan légal. En effet, ces fils et filles
d'Italiens nés en France acquièrent d'emblée la
nationalité française. En somme, lorsque le souhait de la famille
de rester en France existe, il est possible, la plupart du temps, d'obtenir la
nationalité, ce, du moins, avant la Seconde Guerre Mondiale.
Effectivement, la France est alors appauvrie en enfants et, donc, en soldats
potentiels. En somme, ce mouvement de naturalisations massives et
précipitées à partir de 1938 n'a en rien l'apparence de
l'intégration. Nous avons vu que l'école est souvent le moteur
principal qui pousse les parents à demander à être
naturalisés, de même, les perspectives de carrière jouent
un rôle important dans la naturalisation comme en témoigne
d'ailleurs WM, se souvenant de sa motivation à enrayer la situation
« nomade » de sa famille (il a d'ailleurs changé quatre fois
d'école) :
« On est en France, on est des étrangers... On
n'est pas chez nous, on n'est pas bien ! On ira mourir chez nous. Quand on aura
gagné quelques sous, on ira chez nous... C'était ça
jusqu'à la guerre. Mais arrivé à la guerre... moi j'avais
seize ans, je me sentais géné de pas pouvoir faire ce que je
voulais ! Parce que déjà à seize ans, je voulais
être à mon compte. Je me disais, je ne suis pas français,
je ne peux pas ou j'aurais des difficultés alors j'avais
encouragé mes parents à demander la nationalité.
»136.
Souvent le caractère précaire de l'installation
en France de la famille n'est pas seulement lié à ses
déplacements dans l'Hexagone mais aussi à ses allers-retours de
chaque côté des Alpes. Que ce soit pour des raisons
professionnelles ou de voyage, l'enfant « subit » les
conséquences sur sa scolarité de ses voyages et des migrations
pendulaires de sa famille137.
? Le problème de l'absentéisme.
En effet, la non fréquentation scolaire et
l'absentéisme des étrangers, problèmes intimement
liés aux déplacements de travail des familles de migrants, sont
parfois abordés dans les études. Cependant, si une étude
de 1927, citée par Gérard Noiriel dans son Atlas de
135 Le deuxième facteur aidant à la naturalisation
est d'avoir fait la guerre.
M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien.
Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000
(p. 401).
136 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
137 Par exemple, pour son élève, un natif de
Bedonia, le maître d'école écrit :
« Interruption de scolarité pour un voyage en
Italie. Turbulent, mais bon partout. Placé à la campagne par
l'Assistance publique. »
l'immigration en France, montre que, sur 257 000
enfants d'immigrés de 6 à 13 ans (soit 8,4 % de la population
scolaire), 22 000 ne vont pas ou très peu à l'école, ces
chiffres diminuent ensuite. Les enfants étrangers ne suivant pas les
cours dispensés (on ne parle ici que de personnes n'ayant pas la
nationalité française) représentent donc 8 % en 1927.
Globalement ce taux d'absentéisme diminuera doucement tout au long de la
période de l'Entre-Deux-guerres138. Malheureusement, nous ne
disposons pas ici nouveaux chiffres sur ce taux d'absentéisme à
l'école des enfants issus de l'immigration italienne. Le fait que ces
écoliers aient tous des statuts différents (Français,
Italiens ou encore naturalisés au cours de leur scolarisation) ne rend,
bien évidemment, pas aisé les calculs sur la fréquentation
des écoles qu'il serait intéressant de pouvoir livrer ici.
Au moment du départ, la majorité des migrants ne
possède que de rares informations sur leurs opportunités de
travail et sur ce qui les attend en France : le projet des protagonistes est
alors de gagner suffisamment pour retourner en Italie vivre une vie moins
misérable. C'est souvent chez leurs enfants que naîtra l'espoir
d'enracinement.
C). Des classes sociales populaires :
· Les difficultés d'apprentissage de la
langue française et l'analphabétisme des parents
d'élèves.
Chez tous les témoins, on remarque qu'à la
question de leur provenance géographique, est aussitôt
associée l'origine sociale. Issus de milieux populaires, ils font tous
état des difficultés d'apprentissage de la langue
française de la part de leurs parents. Par ailleurs, ayant
généralement peu ou pas fréquenté l'école,
les parents des élèves italiens sont fréquemment
incapables d'aider leurs enfants à surmonter les difficultés
intrinsèques de l'intégration dans un pays étranger. WM
raconte ainsi :
138 G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris,
2002 (p. 46, 47).
< Je suis issu de l'Emilie Romagne... Parme... [...] Mon
père est né en 1882. Il est mort à 96 ans. Il avait rien
mangé quand il était gosse, il s'appelait Primo. Il était
le premier de la deuxième douzaine. Vous voyez, à l'époque
c'était de très grandes familles. On est issus de régions
rurales. A l'époque l'Italie, il y avait pas de petites
propriétés, c'était des seigneurs qui avaient 40 fermes,
donc ils avaient des métayers et des locataires. Il fallait commencer
par métayer parce qu'un couple, quand il allait se marier, il avait
rien. Donc ils gagnaient un peu d'argent, ils changeaient de ferme
éventuellement, et ils devenaient locataires et ça jusqu'à
la fin de la seconde guerre mondiale. C'était un peu comme il y a 100
ans ici, il y avait les serfs et les grands seigneurs "
< Mon père a été à l'école
de 6 à 7 ans. Il a fait un an. Et à 7 ans, il est parti en
apprentissage "
< Il lisait le journal mais il fallait du temps, manque
d'école "
< Ma mère elle a été à
l'école jusqu'en 1920. C'est elle qui écrivait les lettres. Elle
savait lire et écrire " 139.
Il n'est pas rare, surtout dans la première partie de
notre période, que les témoins aient des parents
analphabètes (en 1931, l'Italie compte 21 % d'analphabètes, le
chiffre tombe ensuite à 12,9 % en 1951 puis 8,3 % en
1961140). Par ailleurs, ils ont souvent des difficultés
à parler le français141, surtout lorsqu'ils
travaillent presque uniquement avec d'autres Italiens. Prenons ainsi l'exemple
significatif de Paul qui a grandi dans la colonie italienne de Blanquefort,
où on trouve environ 75 % d'Italiens des années vingt aux
années soixante-dix :
< J'étais géné parce que mon
père avait du mal à s'exprimer en français [...] Le
proviseur, le censeur, c'étaient des personnages de la grande
société [...] J'étais un peu géné... pour
lui... pas pour moi "142.
La gêne parfois occasionnée par nos
témoins devant les difficultés de langage de leurs parents
s'explique par le fait que les enseignants en font un des critères
décisifs de la francisation. L'enquête de 1951, déjà
évoquée plus haut, offre des témoignages assez
révélateurs sur cette
139 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
140 G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo
noi, Milan, 2003 (p. 297).
141 Sur l'ignorance de la langue des Italiens récemment
arrivés en France, un homme d'origine transalpine raconte que ses
parents devaient se rendre à Saint-Nazaire pour travailler aux Chantiers
de l'Atlantique. Lorsqu'ils arrivèrent à Paris, plus exactement
à la gare Saint-Lazare, ils se crurent arrivés à bon port
et demandèrent à un passant de leur indiquer les chantiers <
de Saint-Lazare ". Cette anecdote est assez révélatrice des
difficultés que connaît tout migrant à son arrivée
dans un pays où la langue parlée est différente de celle
de la terre d'origine.
(Lors de la conférence sur les Italiens de Saint-Nazaire,
vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët).
142 Paul (de Blanquefort), dans < La vie rêvée
des Italiens du Gers ", documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France
3.
53 attente des professeurs : non seulement, il s'agit de
manier correctement la langue, mais il ne faut pas avoir le moindre
accent143 :
« « Il parle le français à peu
près correctement avec une légère déformation de
certains sons » constate l'instituteur de Monflanquin. [...] 144.
Son collègue de Monclar observe une bonne assimilation, il
émet néanmoins un regret : « dommage qu'il garde l'allure et
un léger accent italien »145.
Chez ce même instituteur, on remarque un sentiment
xénophobe face aux défauts de langue d'un cultivateur transalpin
:
« Peut-on, observe t'il à propos de l'un de ses
locuteurs, l'assimiler à un vrai et loyal français ? Non : il a
encore quelque chose d'Italien dans son allure et sa prononciation. Que
feraient ses enfants si l'Italie était en guerre avec la France ? Les
réactions seraient douteuses »146.
Des recherches ont été menées pour
trouver dans les écoles de nos témoins des sources similaires
mais il semble qu'elles n'aient jamais existées ou, en tout cas, n'aient
pas été conservés. Peut-être faut-il chercher la
raison de ce « manque d'intérêt » dans les pourcentages
relativement faibles d'Italiens, voir d'immigrés en
général, scolarisés dans les départements de
l'Ouest du pays en 1935-1955. Nous avons donc cherché des informations
dans les bulletins de notes et de comportements des témoins mais il n'y
a aucune remarque quand à l'accent éventuel des
élèves comme de leurs parents. Ici encore, précisons
qu'aucune conclusion ne peut réellement être tirée de cette
observation étant donné que beaucoup de nos témoins sont
issus de couples mixtes et n'ont pas d'accent italien. Pour trouver des sources
éclairantes sur ce thème, nous avons donc tenté de
chercher dans le registre de matricule de l'école primaire
élémentaire de garçons Raymond Poincaré de
Villerupt, colonie italienne de Lorraine. Là encore, dans la colonne des
observations de l'instituteur sur ses élèves scolarisés du
1er octobre 1946 au 5 février 1951, aucune remarque faite sur
d'éventuelles difficultés à s'exprimer en français
des écoliers transalpins 147 . Dès lors, on pourrait
émettre l'hypothèse que, dans une région d'immigration
constante et massive comme l'Est sidérurgique, les problèmes de
langue ne se remarquent pas particulièrement. Nous savons, en effet,
grâce aux témoignages que ces soucis
143 R. HUBSCHER, « 1951, une enquête sur les
immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C
BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p.
191 à 204).
144 Dossier n° 17, Ibid. (p. 191 à 204).
145 Dossier n° 77, Ibid. (p. 191 à 204).
146 Dossier n° 74, Ibid. (p. 191 à 204).
147 Registre matricule de l'école primaire
élémentaire de garçons Raymond Poincaré, inscrits
du premier octobre 1946 au 5 février 1951, Villerupt, Lorraine.
54 dans la maîtrise de la langue française des
parents existent. WM explique ainsi que, jusqu'à sa mort, sa mère
appelait la salade « l'insalate »148.
La volonté d'aider l'enfant, tant dans son quotidien
scolaire que dans son intégration à son environnement
français en général est bien là, mais les parents
n'ont donc pas toujours les compétences pour le faire correctement. Le
père de WM, par exemple, l'encourage dans ses études (« j'ai
pas été à l'école, c'est pour ça que je veux
que tu ailles à l'école jusqu'en prépa
»149) mais se voit dans l'incapacité à l'aider
pour ses devoirs. La même volonté de pousser leurs enfants se
retrouve dans le discours des parents de Jacqueline et Daniel,
scolarisés à Nantes. Jacqueline, l'aînée des deux
enfants, explique ainsi :
« J'ai été aidée dans ma
scolarité par ma mère150. Mon père suivait ma
scolarité. Pour perfectionner son français, il faisait des
devoirs avec moi. Il lisait journaux, revues, livres... Il parlait le
français avec un fort accent qu'il a toujours gardé ... un peu de
difficultés à écrire le français. Il nous parlait
uniquement en français parce qu'il voulait se perfectionner et
s'intégrer, il parlait en italien quand il rencontrait des amis
»151.
Son frère, Daniel retient, quant à lui, certaines
difficultés liées au fait que son père soit italien :
« Ce n'est pas la joie tous les jours à la maison,
enfant, il nous faut taire l'origine de notre père et, dans les sorties
son exubérance italienne et son accent nous gênent
»152.
Il n'est pas rare que les parents commencent à parler en
français à leurs enfants à la demande des instituteurs,
inquiets des difficultés de leurs élèves :
« Mes parents n'étaient pas en mesure de m'aider
pour les devoirs, c'est ça le problème. On était vraiment
embarrassés. Le frère qui nous faisait classe les avait
appelé pour leur dire de nous parler mieux en français. Je ne
l'ai pas mal pris du fait que j'étais dernier de la classe
»153.
La « méthode » est courante : on ne parle ni
en dialecte, ni en italien pour aider à l'intégration des
enfants mais le français parlé par les parents est souvent
maladroit154, il arrive fréquemment
148 « L'insalata » signifiant la salade en
italien TDLA.
Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
149 Entretien avec WM, Ibid.
150 Jacqueline FANTIN-CRAMPON est issu d'un couple mixte.
151 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
152 Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN
pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à
l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).
153 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
154 « Mon père voulait que sa famille
s'intègre et ne parlait jamais italien ».
Dans les réponses au questionnaire de Carina
CORBEAU-TRAVOSTINO, 2010.
55 que les témoins qualifient ce « parler
véhiculaire » de « charabia »155, expliquant
que cette langue approchant le français les a surtout desservis dans
leur scolarité. Par ailleurs, le fait que seule la langue
française ait sa place au sein de l'école républicaine est
l'objet de nombreuses polémiques et de vives critiques dans les milieux
intellectuels156.
En fait, l'aide aux devoirs de la part des parents est souvent
impossible, l'apprentissage est même couramment inversé : nombreux
sont les témoignages d'immigrés expliquant qu'ils ont
eux-mêmes enseigné la langue du pays d'accueil à leurs
géniteurs (« C'est nous qui avons appris le français
à nos parents »157). En fait, les priorités
premières des immigrés s'étendent avant tout à bien
d'autres champs que la scolarité de leurs enfants. Elles sont plus
« vitales » : il faut trouver du travail, le garder, nourrir sa
famille, réussir à rester en France.
« Travail au jardin jusqu'à 10 heures donc le
boulot à l'école ... je me faisais souvent tirer les oreilles !
Ma mère voulait que je m'instruise mais il n'y avait pas de journaux,
pas de livres à la maison donc l'instruction... »158.
En 1935, la scolarisation comme l'interdiction du travail des
enfants sont acquises, cependant, cette information sur la vie quotidienne du
jeune WM nous permet de prendre conscience de l'importance des activités
que certains jeunes d'origine italienne sont tenus de faire après la
journée d'école, bien sûr, les devoirs en pâtissent
souvent.
Par ailleurs, c'est la plupart du temps par le biais de
l'école que l'enfant d'immigré italien prend conscience de sa
différence, tant de culture que de catégorie sociale (ce dernier
élément valant d'ailleurs aussi pour les familles
endogènes « françaises ») :
« C'est au lycée que je me suis rendu compte que
nous n'étions pas des privilégiés ». « C'est
à l'école qu'on a vu les différences, on a compris qu'on
était des immigrés ». « On finissait par avoir un
drôle de regard sur notre propre famille » 159.
155 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
Entretien avec Maria C, (24 novembre 2009 -- Nantes).
156 « Légitimer d'une façon ou d'une
autre l'existence de langues ou de cultures autres, c'est donner
à l'enfant la possibilité d'être lui-même, de
faire l'économie de censures coûteuses traduisant
la culpabilisation forcée de ce qui lui est transmis par le milieu
familial. Il faudrait aussi, sans doute, que
les parents eux-mêmes puissent ne pas avoir honte de
leurs origines et s'en autoriser la transmission. Iifaudrait enfin
que notre système éducatif à commencer par ses
enseignants, se montre capable d'admettre
que le meilleur apprentissage de la langue française,
pour les enfants de migrants passe par le détour d'une autre langue
».
Dans R. BERTHELIER, Enfants de migrants à
l'école française, Paris, 2006 (p. 104).
157 Retranscription de l'interview de Damira TITONEL,
Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.
158 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
D). Les parents d'élèves : des
travailleurs acharnés ?
Nous avons vu que l'immigration italienne des années
1935-1955 est constituée essentiellement de Transalpins issus de milieux
populaires et prolétaires. Il nous faut maintenant nous essayer à
une rapide typologie des professions exercées par les parents de nos
témoins. Dans l'Ouest de la France, outre de nombreux ouvriers
exerçant aux Batignolles et aux chantiers de l'Atlantique à
Nantes et à Saint-Nazaire, on remarque des particularismes locaux dans
les emplois des immigrés italiens. On constate ainsi que l'Ouest
connaît des arrivées assez conséquentes d'artisans
spécialisés, ainsi, maîtrisant mieux et depuis plus
longtemps que leurs homologues français la fabrication du ciment. Les
villes de Saumur, de Brest et de Rennes voient se former des équipes de
cimentiers presque uniquement composées de Piémontais, Carina
Travostino explique aussi, en parlant de la Sarthe que « chaque village,
ou presque, avait un maçon italien »160. Quant au reste
de la France, on retrouve là encore des ouvriers en usine
(particulièrement dans l'Est), et toujours un nombre important de
maçons. A Nantes, par exemple, les deux tiers des Italiens sont
maçons (pourcentage que l'on retrouve à peu près dans les
professions des parents de nos témoins161), leur savoir faire
est reconnu et valorisé : en 1937, le consul d'Italie explique
d'ailleurs avec un brin de fierté non dissimulée : « sono
ricercati dalla picola borghesia che si vuol costruire la casetta » 162 .
On trouve aussi des mosaïstes, principalement frioulans, dans les villes
de l'Ouest163. A Nantes, le percement du tunnel sous les cours
destiné au passage de l'Erdre a, lui aussi, donné du travail
à un grand nombre d'Italiens,
159 Témoignages d'enfants d'immigrés italiens dans
« La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire
diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.
160 Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO -
CORBEAU (2010).
161 - « L'Italien del Norde, il vient en Franche fare
le machon » (dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p.
50)). Le père de Georges Leclair, né le 15 Décembre 1934
à Nantes, Antonio OPPO, exerce cette profession de maçon dans le
quartier de Chantenay (entretien d'O. OSSAN avec LECLAIR (Georges), le 24 avril
2008 (en vue de l'exposition au restaurant « Interlude »)). De
même, que celui d'Odette Garino, originaire du Piémont, est
maçon à Saumur. Son frère exerce quant à lui la
profession de plâtrier (questionnaire complété par Odette
GARINO - POIRIER (2010)). Le père de Carina Travostino a
créé son entreprise de bâtiment (Questionnaire
complété par Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010)). Celui de Lucien
Zandotti, après une première formation de serrurerie en
Haute-Savoie est ensuite maçon à Saumur (questionnaire
complété par Lucien ZANDOTTI (2010)), celui de Mario Merlo exerce
la même profession à Nantes (Entretien avec Mario MERLO,
(1er décembre 2009 -- Basse Goulaine)). Le père de
Maggiorina Cattirolo est cimentier à Rennes (Questionnaire
complété par Maggiorina CATTIROLOBOZZUFFI (2010)).
162 « Ils sont particulièrement recherchés
par la petite bourgeoisie qui veut se faire construire une maison »
TDLA.
163 A Rennes, Isidore ODORICO et ses successeurs
connaîtront des succès importants. A Nantes, les décors
en mosaïque les plus connus réalisés par des Italiens se
trouvent rue de la Marne (la devanture de la confiserie Charles BOHU) ou
encore à l'accès nord de la gare (cette façade est
réalisée par CORTINA).
57 comme le père de Maria Cera-Branger164
par exemple. La plupart d'entre eux ne font pas le même travail que celui
qu'ils exerçaient auparavant en Italie. Les femmes restent au foyer,
sont parfois nourrices, bonnes, ou ont des emplois précaires : « Ma
mère faisait la cantinière : elle achetait une barrique de vin et
elle vendait litre par litre à tous les travailleurs qui étaient
là »165. A la campagne, s'ajoutent parfois à
l'emploi principal, des travaux aux champs qui permettent de vivre un peu
mieux. Ainsi, WM, originaire d'Emilie-Romagne et scolarisé à
Moissac dans le Tarn-et-Garonne, explique ainsi :
« Ma mère faisait le jardin, mon père
faisait les travaux, les grands chantiers. Le soir, il venait arroser, on
faisait pousser des légumes, il y en avait trop donc ma mère les
vendait au marché. [...] Il y avait deux fermes où mes parents
avaient leur maisonnette. Les propriétaires étaient
maraîchers. On avait la dépendance que mon père a
améliorée ensuite pour en faire une habitation acceptable. Mon
père faisait toujours son métier et ma mère donnait des
coups de main à la propriétaire, elle ne se faisait pas payer.
Elle ne lui donnait pas de légumes parce qu'on avait un grand jardin
mais elle faisait des confits d'oie, de canard, de cochon. [...] On mangeait
mais on ne dépensait pas, et encore on ne mangeait que ce qu'on
récoltait. Si on ne plantait pas d'arbres, on ne mangeait pas de fruits
»166.
Tous les témoins interrogés pour cette
étude « valorisent » leurs familles en expliquant que leurs
parents travaillaient beaucoup. C'était à la fois une
réalité et une nécessité167 puisque
souvent, il faut envoyer de l'argent en Italie en plus des sommes
allouées pour faire vivre la famille en France168. C'est
aussi une sorte de défi : l'immigré cherchant ainsi à
compenser sa situation humiliante d'exploité. Cet « acharnement
» au travail s'accompagne souvent par la transmission de valeurs
laborieuses à leurs enfants, comme l'explique Mario Merlo qui parle
ainsi de ses camarades d'école :
164 Le père de Maria fut de ceux qui creusèrent le
tunnel Saint-Félix.
Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
165 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
166 Entretien avec WM, Ibid.
167Le témoin parle ici de ses parents :
« Ils vivaient parce qu'ils travaillaient : il n'y avait pas
d'assistance. Ils n'avaient rien... ».
Entretien avec WM, Ibid.
168 « Il continue à envoyer pendant longtemps
de l'argent (ses deux frères arrêtent une fois mariés) ce
quifait que la situation financière de notre famille n'a pas
toujours été brillante ».
Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour
l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à
l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).
« Je ne les voyaient pas en dehors de l'école
parce que mon père voulait que son garçon apprenne à
travailler avec lui tous les jeudis. Mes copains allaient jouer et moi
j'étais en train de travailler, c'était la méthode
italienne : je ne l'ai jamais vu prendre de vacances ! "169.
WM fait sensiblement le même constat :
« Ma mère me sollicitait pour arroser, il fallait
pomper l'eau : je pompais, je pompais... jusqu'à mille coups, j'ai
compté [...] Pour la lessive, il fallait chauffer de l'eau : « mets
du bois, W ! Mets du bois ! " « Oui maman ". Je mets du bois, deux fois,
trois fois ! J'avais envie de m'amuser [...] J'ai eu le malheur de lui dire
« non, j'en veux plus ! ". Elle a été fourrer du feu puis
elle a pris une büche longue comme ça, elle me l'a mise dessus
parce que j'ai dit non ! [...] Elle me poursuivait avec le balais,
c'était des manches en bois "170.
Les tracts syndicaux dénoncent parfois ces Italiens
prêt à accepter n'importe quel emploi, on condamne le
caractère de « main d'oeuvre servile " de ces travailleurs
étrangers qui sont considérés parfois comme
représentant un frein aux avancées sociales en France. L'arrivant
est vu comme celui qui accepte des conditions de travail très
difficiles, voire illégales, des emplois sans contrats, des horaires
stakhanovistes. Pour nombre d'ouvriers de l'Hexagone, l'Italien est le «
briseur de grève ". On retrouvera ces accusations dans les insultes
proférées dans la cour de récréation. En Lorraine,
cependant, la situation semble quelque peu différente : le très
grand nombre de travailleurs italiens dans les usines et les habitudes de
revendications politiques 171entraînent une syndicalisation
assez importante des Transalpins comme l'illustre d'ailleurs le
témoignage de Jean Burini de Villerupt. Soulignons tout de même
que ce témoignage est plus représentatif des enfants,
Français ou non, grandissant dans un milieu très ouvrier qu'il ne
l'est de « l'immigré italien type ".
« Mon père, il était à la CGT. Les
meneurs de syndicats ça n'était que des Italiens, des durs...
[...] On a grandi dans les cités ouvrières avec les
grèves. On a été bercé par la révolte
ouvrière donc vous preniez parti pour votre père, vous n'alliez
pas prendre parti pour le CRS qui lui tapait dessus [...] automatiquement, on
devenait pro socialocommunistes "172.
L'archétype de l'argumentaire des Français se
concentre sur l'idée que l'immigré viendrait en France pour
« prendre le travail aux locaux ". Des considérations des parents
à la
169 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
170 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).
171 On remarque une mobilisation non négligeable des
ouvriers étrangers durant l'occupation des Batignolles en 1936.
Voir à ce sujet l'ouvrage de C. PATILLON, Batignolles.
Mémoires d'usine, mémoires des cités..., Nantes, 1991 (p.
40 à 42).
172 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
59 maison aux insultes de l'école il n'y a qu'un pas,
souvent franchi allégrement, surtout dans la première partie de
notre période. Les réponses des Italiens à ces attaques
porteront sur les qualités ouvrières non seulement de leurs
parents mais aussi de toute la communauté transalpine, nous aurons
l'occasion de revenir sur ces conversations « musclées » de
cours de récréation plus loin dans notre étude.
«Entre 1920 et 1938, les Français disaient qu'on
venait prendre leur boulot. On ne leur prenait rien du tout parce qu'il n'y
avait méme pas de chômeurs. A Villerupt, il y avait un
chômeur. Celui qui était au chômage, c'était celui
qui n'avait pas envie de bosser »173.
Ce lourd emploi du temps des parents de nos témoins
n'est donc pas toujours en corrélation avec une intégration
réussie. Par ailleurs, il est aussi synonyme d'une absence quasi
constante des parents, du moins du père, qui entraîne parfois une
rareté des rapports inter générationnels. Nombre de
témoins affirment avoir finalement peu connu leurs parents.
« Le matin, il partait avant qu'on s'éveille, le
soir, ma mère me disait, il est fatigué, il ne faut pas
l'embêter »174.
« Mon père était ajusteur mécanicien
à Sidelor, il ne pensait qu'à travailler pour gagner un salaire
pour faire manger tout le monde. Notre père c'était le top du
top, le gars qui bossait comme un dingue »175.
Malgré cette apparente volonté, qui
relève d'ailleurs avant tout de la nécessité, des
immigrés d'Outremont, de travailler, il n'est pas rare que les insultes
autochtones se basent sur l'idée que les Italiens seraient un peuple de
flâneurs indolents au caractère léger ou paresseux.
Nombreux sont les témoins qui rapportent ces injures et racontent le
sentiment de colère qu'ils avaient alors ressenti. Citons ainsi le
témoignage de Carina Travostino, née en 1930 d'un mariage mixte
entre un Piémontais et une Sarthoise. A la question des insultes qu'elle
a pu subir, elle répond qu'elle a été injuriée une
ou deux fois :
« J'ai « bondi » lorsqu'on m'a dit que les
Italiens étaient fainéants alors que je voyais mon père et
ses compagnons travailler dix ou douze heures ! »176.
173 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
174 Madame AVRIL, née MUTTI dans M-C
BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire
d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 411).
175 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
176 Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO -
CORBEAU (2010).
Si les vertus de travailleurs de leurs parents sont la plupart
du temps vues par les témoins comme un élément positif,
valorisant, ce n'est pas toujours le cas. Effectivement, à cet
acharnement au travail, sont associés assez fréquemment des
comportements difficiles à gérer pour la famille. Plusieurs
témoins justifieront ainsi l'alcoolisme du père par la
nécessité de travailler de façon acharnée : «
il lui fallait ça pour tenir ! ».
Souvent, malgré les heures de travail
accumulées, les conditions de vie sont difficiles, surtout quand la
famille est nombreuse, comme c'est le cas dans le foyer recomposé de
Jean Burini :
« Ces années, je ne les aient pas senties
difficiles mais, quand j'y repense, mon père n'avait pas d'argent, on
était six enfants à la maison. On allait à l'école
avec le minimum de trucs. Je me rappelle qu'en hiver, on avait juste un short.
[...] C'est mon père qui faisait les sacs pour l'école : il
prenait deux bouts de bois, il cousait de la toile américaine tout
autour »177.
E). La relation entre l'équipe
pédagogique et les parents
Une caractéristique suffisamment présente dans
les témoignages pour que nous nous fassions un devoir de
l'évoquer ici concerne la volonté des migrants d'offrir à
leur descendance, non seulement, un futur correct mais aussi des perspectives
d'ascension sociale. Rien d'étonnant à cela d'ailleurs puisque
les migrants sont fréquemment parmi les plus entreprenants de leur
village, en tout cas, ceux de la première vague partant de leur
localité. Leurs pairs les ont, effectivement, souvent «
envoyés » en France afin de subvenir à la cellule familiale
élargie, en témoigne l'importance des sommes envoyés au
pays, souvent, durant toute la vie du migrant de la première
génération. Malgré leurs discours encourageant l'enfant
à travailler correctement à l'école, rappelons que la
majorité des classes populaires n'attend toujours pas grand-chose de
l'Institution scolaire avant la Seconde Guerre mondiale178. Si on la
voit comme un moyen de bien s'intégrer à la société
d'accueil, les parents de nos témoins, comme d'ailleurs le reste de la
population, ne comptent pas vraiment sur l'école en ce qui concerne la
promotion professionnelle de leurs enfants. Souvent, c'est leur décision
d'immigrer qui est mise en avant par les parents pour expliquer leur
volonté d'une ascension sociale dans la famille plus que leur
attitude
177 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
178 « Dans l'Entre-Deux-guerres la majorité
des classes populaires n'attendait pas grand-chose de l'école, si ce
n'est le Certificat d'études conduisant à un apprentissage des
métiers d'ouvriers qualifiés et d'employés de bureau
».
Dans G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988
(p. 292).
61 consistant à encourager au maximum l'enfant dans ses
études. En effet, et nous aurons l'occasion d'y revenir, les
carrières de nos témoins ne sont pas vraiment en
corrélation avec leur réussite scolaire. De même, leurs
diplômes, pourtant « professionnalisants », ne
définissent pas souvent quelles seront réellement leurs
professions futures. Cependant l'attention portée à l'Ecole
augmente sensiblement, surtout chez les populations d'origine
étrangère pendant et après le second conflit
mondial179.
Par ailleurs, on observe que plus le niveau scolaire est
élevé, plus la délégation parentsmaître est
contrôlée par les géniteurs, observation qui vaut pour les
immigrés comme pour les Français. On constate cependant quelques
variations à cette constatation : ce lien est particulièrement
fort au sein des classes les plus populaires et dans les familles ou au moins
un des deux parents est d'origine étrangère. En fait, « La
relation pédagogique [...] implique aussi les parents de
l'élève, qui, déléguant au maître ou à
la maîtresse d'école une part plus ou moins grande de leur
autorité parentale, attendent de lui autre chose que la simple
prestation d'un service »180.
En outre, il n'est pas rare que les témoins
évoquent le souvenir de leurs parents, allant raconter les incartades de
leurs enfants au maître. En effet, « les familles populaires ont
été souvent complices du système scolaire, cherchant
même, le cas échéant, la caution de son autorité
pour renforcer la leur auprès de leurs enfants »181.
Régulièrement, dans les témoignages, on remarque
l'approbation des parents pour une discipline scolaire qui, jusqu'au milieu des
années 1960 selon François Grezes-Rueff et Jean Leduc, pratiquera
encore régulièrement les châtiments
corporels182. Le quitus donné aux enseignants constitue
presque toujours, pour eux, l'assurance que leur enfant, cadré et
encadré au sein de l'école, ne deviendra pas un voyou.
« A huit, neuf ans [...] je suis allé à
l'école du Centre. [...] Une fois, la maîtresse m'a donné
une claque, je ne sais plus ce que j'avais fait. Je suis rentré à
la maison. Je l'ai dit. Mon père m'en a retourné une
deuxième et il m'a accompagné à l'école. Quand elle
l'a vu ma maîtresse lui a dit : « je lui ai donné une claque
mais vous savez monsieur B., il l'avait mérité » Mon
père lui a répondu : « vous avez bien fait, et la prochaine
fois vous lui en donnerez deux, ça m'évitera de lui en donner
quand il rentrera à la maison »183.
179 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988
(p. 292, 293).
180 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 91 à 92).
181 Y. DELSAUT, Ibid. (p. 97).
182 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des
élèves en France, de l'Ancien Régime à nos
jours, Paris, 2007 (Introduction).
183 César B. Interrogé par I. VENDRAMINI-WILLEMS,
L'immigration italienne à Noisy-le-Grand, Paris, 1992 (p.
121).
62 Les méthodes disciplinaires des enseignants sont
presque toujours acceptées, voire même encouragées par les
parents. Fessée, mise au coin, relégation sous le bureau du
maître sont légion, plus rarement l'instituteur utilise aussi la
férule. Ces punitions sont plus souvent évoquées dans les
écoles de garçons que dans les établissements pour filles.
Pour l'Ouest, les témoignages reçus pousseraient plutôt
vers une situation où les élèves étaient
relativement préservés de ces représailles physiques. Pour
autant, on ne remarque pas cette « quiétude " dans des proportions
suffisantes pour en tirer de vraies conclusions. Les témoignages ne sont
pas assez nombreux pour avancer un bilan géographique sérieux de
ces « sanctions physiques ".
L'influence de l'école et des instituteurs ne s'exerce
pas uniquement sur les enfants mais aussi sur toute la cellule familiale. La
relation entre l'équipe pédagogique et les parents est
essentiellement indirecte, en tant qu'elle s'effectue surtout par le biais des
devoirs et des leçons apprises en famille (plus souvent, avec la
mère ou avec les aînés). Les témoignages rapportent
effectivement que les rencontres entre les enseignants et les parents
d'élèves étaient peu courantes et presque toujours
à l'initiative des maîtres ou des maîtresses d'école.
En général, ces visites sont motivées par le comportement
ou les mauvaises notes des écoliers. Cependant l'amusante anecdote de WM
montre que, dans son cas, ses parents se sentaient concernés par sa
scolarité puisqu'il explique :
« Ma mère voulait que je passe le certificat
d'études, elle est venu trouver l'instituteur, elle lui a dit « il
faut présenter mon fils ". Lui, il a dit « il n'est pas prêt
", « si, si, si ! ". Ma mère elle voulait que je sois instruit mais
il fallait que je fasse les travaux paysans ! Elle est venu une deuxième
fois avec une paire de poulets et ça a fonctionné ... mais le
certificat d'études je ne l'ai pas eu "184.
L'enquête dont l'analyse est fort intéressante,
menée en 1951 sur les immigrés retient particulièrement
notre attention ici, parce qu'elle a été réalisée
par des instituteurs. Ce sont le démographe Alain Girard et le
psychosociologue Alain Stoetzel qui en sont à l'origine. Cent treize
familles du Lot-et-Garonne ont été interrogées par les
maîtres d'école dans un entretien semi directif. Etudiée
par Ronald Hubscher, professeur d'histoire contemporaine à Paris X
Nanterre, cette enquête nous livre des résultats
intéressants sur le rapport de l'enseignant avec le parent
d'élève, il analyse ainsi de façon très fine le
rapport de domination de l'instituteur sur les cultivateurs italiens du
Lot-et-Garonne : « L'enquêteur est l'instituteur du village, celui
qui fait classe à vos enfants ! Autorité reconnue, incarnation de
l'administration, le maître d'école introduit peut-être
à son corps défendant, un rapport de dominant/dominé entre
son interlocuteur
184 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).
et lui-même » 185. Nous nous servirons
aussi de ce travail pour analyser les présupposés de ces
instituteurs qui font surface dans cette enquête.
Nous avons ainsi pu observer que les raisons de
l'arrivée en France ainsi que le contexte d'accueil ont un
retentissement non négligeable sur la scolarité des
élèves d'origine italienne, sur leur intégration et aussi
sur leurs résultats scolaires. De même, le caractère
sédentaire de la plus grande partie de l'immigration transalpine est,
maintes fois, lié à la scolarisation dans l'Hexagone des enfants
de migrants. Face à une population globalement fortement
imprégnée par la religion, l'éducation traditionnelle
italienne domine, bien que des cas, non négligeables, d'immigration
politique impliquent une éducation différente des exemples
précédemment évoqués. Nous avons ainsi pu observer
que, si les attentes des parents face à l'école sont souvent
fortes, contraints à un quotidien fait de travail acharné et
à un manque de capacité pour aider l'enfant dans sa
scolarité, l'élève « italien » se trouve souvent
un peu démuni face aux demandes qui lui sont faites de la part de ses
instituteurs.
185 Ronald Hubscher s'interroge alors sur la tentation du parent
d'élève à tenir le langage qu'il croit que l'instituteur
attend de lui.
Dans R. HUBSCHER, « 1951, une enquête sur les
immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C.
BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p.
195).
CHAPITRE 2 LE QUOTIDIEN DE L'ENFANT D'ORIGINE
ITALIENNE A L'ECOLE
L'Ecole est, sans nul doute, l'instrument
privilégié de la communication et de l'intégration des
enfants de migrants. Cependant, l'établissement scolaire est aussi un
microcosme où se reflètent comme à travers une lentille
grossissante, les tensions de la société française par le
biais des attitudes adoptées par les élèves. Faire partie
intégrante d'un groupe constitue un besoin bien connu chez l'enfant. Aux
questions portant sur leur vécu à l'école, les
témoins interrogés évoquent, en premier lieu, des
souvenirs d'ordre social ou relationnel. Aucun ne se rappelait des contenus
précis des programmes scolaires, mis à part quelques
leçons particulièrement marquantes, ou des exercices où
ils s'étaient trouvés en difficulté.
Dès lors, travailler sur le quotidien de l'enfant
à l'école n'est pas l'exacte traduction d'une étude des
enseignements fournis par des professeurs, ou, du moins, pas seulement.
L'élève connaît effectivement là son premier espace
de socialisation, et en cela, au sein de l'école, dans la classe ou sur
la cour de récréation marque profondément sa vie d'adulte
et sa sensation, ou non, d'intégration dans un milieu social. Ajoutons
à cela, pour ce qui concerne les enfants d'origine italienne, que ce
lieu est souvent le premier espace officiel français et le fief de
l'idéologie républicaine.
Figure n° 5 : La vie en
classe186 (École Poincaré, Villerupt,
début des années cinquante)
Figure n° 6 : Daniel
Fantin187 Figure n° 7 : Jacqueline Fantin -
Crampon188
186 Collection privée de Jean BURINI.
187 Collection privée de Daniel FANTIN.
188 Collection privée de Jacqueline FANTIN-CRAMPON.
I. L'élève dans son
école
Pénétrons désormais dans les
écoles de l'Hexagone afin de comprendre de quelle façon l'enfant
d'origine italienne s'intègre dans ce milieu « français
» : comment est-il accueilli ? Quelles sont ses activités dans la
cour de récréation ? Quels autres écoliers
fréquente-t-il ? Si elles existent, quelles différences entre son
quotidien à l'école et celui des élèves issus d'un
milieu endogène français ?
A). L'arrivée dans l'école :
Globalement, les enfants d'immigrés sont
scolarisés plus tôt que leurs homologues français. En
effet, il est plus courant, dans ses familles, que les deux parents travaillent
lorsque la situation financière est particulièrement critique,
comme c'est souvent le cas pour les jeunes d'origine
étrangère.
? Les inscriptions.
L'enfant peut-être scolarisé dès ses trois
ans (plus rarement vers ses deux ans et demi) si toutefois l'école
l'accepte, cette décision étant laissée à la
discrétion du directeur. En réalité, peu de familles en
font la demande, les femmes de l'époque étant encore
majoritairement au foyer (même à la fin de notre période,
on ne comptabilise pas plus d'un enfant sur trois dans les structures
correspondant à l'actuelle école maternelle). Cependant, sans
pour autant pouvoir avancer de chiffres précis, se dessine une tendance
: les enfants italiens sont plus fréquemment scolarisés à
l'école maternelle que les petits français. Cette
différence s'explique par le fait que, dans une situation critique, les
parents, lorsqu'ils ont immigré, sont souvent obligés, pour des
raisons financières, de travailler tous les deux. Les primo arrivants
scolarisent donc globalement plus tôt leur progéniture. Citons par
exemple Nuncio Titonel qui évoque l'école du Lot-etGaronne qui
l'a accueilli très jeune sur ses bancs :
67 « Je me rappelle, je suis arrivé à
l'école à deux ans et demi. J'étais plus souvent dans les
culottes de l'institutrice que dans les miennes parce que je me salissais
encore. »189
Scolarisés jeunes, les enfants d'Italiens diront, lors
des entretiens, tantôt que cette habitude de la collectivité et de
la vie à l'école fut une des raisons de leur réussite
scolaire, tantôt que cet « abandon » dans les bras de
l'Institution Scolaire explique leurs échecs. Soyons donc attentifs
à ne pas tirer de trop rapides conclusions : nous sommes là face
à des récits d'expériences humaines dans lesquelles bien
d'autres données que celle liées à l'immigration entrent
en jeu, c'est d'ailleurs ce qui rend l'étude aussi difficile que
passionnante.
Au cours de la période 1935-1955, l'obligation scolaire
commence à six ans et se termine à quatorze ans190.
Les écoles maternelles, souvent appelées « asilio » par
nos témoins utilisant ainsi le vocable d'Outremont, accueillent filles
et garçons dans les mémes structures jusqu'à leurs six
ans. Les adultes chargés de s'occuper de ces jeunes enfants sont alors
exclusivement des femmes.
? Le premier jour d'école.
En quoi le premier jour d'école d'un enfant issu d'au
moins un parent étranger est-il différent de celui d'un petit
français ? Le premier regard sur l'enfant est bien souvent celui du
Français sur l'étranger, en effet, lorsque les deux parents sont
Transalpins, le jeune élève ne s'exprime la plupart du temps
qu'en italien lors de sa première rentrée. C'est alors par
l'école que l'élève va s'apercevoir de sa
différence191. Dès lors quelles sont les
premières réactions face à l'écolier
étranger ? Couramment, l'afflux d'une population immigrée peut
provoquer deux attitudes différentes : l'ethnocentrisme et la
stigmatisation. L'ethnocentrisme consiste à juger de façon
négative la culture de l'étranger. Ce contact réaffirme
des réactions chauvines, xénophobes voire racistes. La
stigmatisation attribue aux immigrés une étiquette les
catégorisant comme déviants, et bien souvent, comme dangereux et
inassimilables. Un des aspects de notre travail est d'analyser les
réactions apparemment ethnocentristes ou visant à la
stigmatisation des enfants de migrants dans l'enceinte de l'Ecole.
Précisons ici que ces réactions n'ont été
évoquées pour la
189 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL, dans le
reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.
190 C'est en 1936 que l'obligation scolaire est portée de
13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, ministre du Front
Populaire.
191 « Je me sentais complètement Français,
pas du tout immigré mais c'était les autres qui me traitaient de
macaroni ».
Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
68 toute petite enfance que par deux des témoins que
j'ai directement interrogés. Au premier contact avec le futur
élève et ses parents, elles semblent être inhabituelles et
se présenter essentiellement dans des régions ou l'immigration
était rare. Un des témoins interrogés m'a demandé
de ne pas raconter en détail ce premier jour qui reste encore un
souvenir très douloureux, quatre-vingt-cinq ans après. Quant
à Maria C., scolarisée à la campagne au sud de Nantes,
elle explique :
« Je me rappelle du jour de ma première
rentrée. J'étais terrorisée, tout le monde parlait
français. J'avais déjà été scolarisée
un an en Italie mais ici ce n'était pas pareil... Ma mère m'a
emmenée, elle ne comprenait pas non plus ce que lui disait ma
maîtresse. Ma maîtresse avait l'air de nous mépriser, en
tout cas, c'est ma vision des choses mais... c'était il y a longtemps...
»192.
Albert Balducci, interviewé par Pierre Milza fait le
même constat sur son arrivée à l'école alors qu'il a
sept ans :
« L'instituteur [...] le premier jour, il me dit d'aller
au tableau. Alors j'y vais, je vais au tableau. Mais je ne comprends rien aux
questions qu'il me pose. Alors il me balance deux paires de claques
»193.
Cette réaction, apparemment peu commune, peut aussi, et
c'est d'ailleurs sous-entendu par Maria, avoir été
transformée par le temps dans l'esprit du témoin. Globalement,
à la demande de leurs sensations sur cette arrivée dans
l'école française, les témoins répondent de la
même manière qu'aurait pu le faire des Français : soit ils
ont tout oublié de ce premier jour lorsqu'ils ont été
scolarisés jeunes, soit ils se souviennent de leur crainte de quitter le
rassurant foyer familial. Si l'on observe que « la situation
d'émigré réduit la vie à l'extérieur de la
famille et conduit à faire de la vie familiale l'essentiel
»194, pour ce premier jour, on ne peut pour autant pas parler
de différences notables à grande échelle entre les
sensations « d'abandon » des élèves Français et
des étrangers.
192 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
193 A. BALDUCCI, interviewé par P. MILZA, Voyage en
Ritalie, Paris, 1993 (p. 329).
194 D. SCHNAPPER, « Centralisme et fédéralisme
culturels : les émigrés italiens en France et au EtatsUnis
», Annales ESC, n°5, septembre et octobre 1974 (p. 1150).
B). Mixité, écoles de garçons et
écoles de filles : quelles différences ?
Il nous faut aussi évoquer un des grands changements
qui transforment l'éducation dispensée en France. C'est en 1925
que les programmes scolaires de l'enseignement secondaire féminin sont
modifiés, ceci dans le but de les aligner au contenu des cours
dispensés aux jeunes garçons. Ce détail est en fait fort
éclairant pour notre sujet, les habitudes transalpines en matière
de rapports garçons filles étant alors assez différentes
de celles mises en place par la réforme française de
1925195. A cette date, le cursus des lycées de filles
s'aligne sur celui des garçons et débouche désormais sur
le baccalauréat. La mixité dans les écoles, quant à
elle, voit le jour en 1945 dans les établissements publics des cycles
primaires et secondaires. En fait, même après cette date, rares
sont réellement les bancs d'école où se côtoient
garçons et filles avant la fin des années soixante196.
Ainsi, tous nos témoins sont scolarisés dans des
établissements non mixtes, du moins une fois passées leurs
années en école maternelle.
L'influence des enseignants et enseignantes semble
particulièrement forte pour les filles197. La rencontre,
à l'école, avec des Françaises et le contact avec la
culture et les valeurs de leurs professeurs sont, pour de nombreuses
élèves d'origine italienne, « l'occasion d'échapper
aux contraintes que la tradition fait peser sur leur sexe )>198.
Les Italiens sont souvent perçus par les femmes interrogées comme
plus machistes que les Français199. Citons ainsi Madeleine
Pruvost, née Dusio :
« Avec ma soeur, on se disait qu'on
préférerait épouser un Français, parce qu'ils
étaient plus gentils avec les femmes que les Italiens
)>200.
De même, Maria C explique :
« Avec mon père, je n'avais rien le droit de dire
parce que j'étais une fille. A l'école par contre, on
m'interrogeait, on me montrait que j'étais importante, que mon avis
comptait ! )>201.
195 Voir à ce sujet, M. VERHOVEN, École et
diversité culturelle, regards croisés sur l'expérience
scolaire des jeunes issus de l'immigration, Bruxelles, 2002 (p. 57).
196 Y. GAULUPEAU, La France à l'école,
1992, Paris (p. 116).
197 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p.
268).
198 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 397).
199 « J'ai vu mon grand-père en photographie mais
jamais ma grand-mère parce que les Italiens, ils étaient
très macho : on ne devait pas prendre les femmes en photo.
»
Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
200 Témoignage de Madeleine PRUVOST dans M-C.
BLANC-CHALÉARD, Op. cit. (p. 397).
201 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
Pour autant, ce dernier témoignage aurait pu être
celui d'une Française de la même époque, gardons nous donc
d'influencer notre pensée par le prisme des informations sur
l'immigration auxquelles nous serions particulièrement sensibles.
Cependant, nous pouvons tout de même remarquer que, méme au sein
d'écoles non mixtes, s'opèrent des changements importants pour
les filles d'origine italienne.
C). Les questionnements liés à l'habitat :
quelles différences entre l'intégration en ville, en banlieue ou
en milieu rural pour les enfants des primo arrivants ?
? D'ou viennent nos témoins ?
Notre étude n'est bien sür pas exhaustive : la
large gamme des statuts de migrants rend illusoire l'analyse d'un ensemble
homogène. En effet, si l'on compte 40 % d'élèves
étrangers dans les Alpes-Maritimes en 1935202, ce chiffre
est, on s'en doute nettement inférieur dans la plupart des autres
départements français. On a cherché à examiner les
situations de témoins aux conditions culturelles et géographiques
les plus variées possible, la majorité des témoignages
sont ici recueillis dans le Nord-Ouest de la France. Cette base
géographique d'une bonne partie de notre étude, n'est pas
à proprement parler une région de forte immigration italienne,
phénomène pourtant ancien, particulièrement en Bretagne.
Comme on peut l'observer à la lumière de ce tableau, en 1936, les
Italiens ne sont pas très nombreux en Bretagne, cependant, ils sont
régulièrement placés au premier rang des étrangers
présents dans la région :
Côtes du Nord
|
743 italiens
|
1571 étrangers
|
47, 3 %
|
|
Finistère
|
570 italiens
|
1290 étrangers
|
44, 2 %
|
|
Ille-et-Vilaine
|
664 italiens
|
2499 étrangers
|
26, 6 %
|
|
Morbihan
|
522 italiens
|
1591 étrangers
|
32, 8 %
|
Tableau n° 3 : Le recensement
des Italiens de Bretagne en 1936203
202 G. NOIRIEL, « L'école » dans L. GERVEREAU,
P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France
au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 259).
203 « Italiens de Bretagne », conférence de
Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.
NB : les chiffres soulignés font référence
aux périodes ou les italiens étaient au premier rang des
étrangers dans les départements correspondants.
Déjà, au XIXème, les artisans et les
réfugiés politiques sont nombreux dans les villes de l'Ouest. De
méme, la construction du chemin de fer au départ de Rennes en
1857 permet le recrutement d'une main d'oeuvre arrivant du Nord de la
Péninsule. Ces immigrants constitueront des réseaux migratoires
pérennes, puisque encore debouts à la période sur laquelle
nous nous penchons. Ce sont les primo arrivants qui, installés en
France, permettent l'arrivée de nouveaux Italiens, en effet, « la
condition de venue en France était que quelqu'un puisse subvenir
à ses besoins avant de trouver du travail »204. Par
ailleurs, les Italiens arrivent au premier rang des étrangers
présents en Bretagne durant l'Entre-Deux-guerres205. Ils
viennent alors majoritairement du Piémont, de l'Emilie-Romagne sont
Frioulans ou Vénitiens206 (les méridionaux arriveront
majoritairement après la Seconde Guerre mondiale). L'immigration de
l'Ouest est principalement motivée par la recherche d'un travail, les
Italiens utilisent alors les solidarités professionnelles ou familiales.
La population étrangère en Loire-Atlantique est globalement plus
tournée vers les métiers ouvriers que celle installée en
Bretagne, plus rurale. Aujourd'hui, on compte encore un peu plus de 400
personnes d'origine italienne en Loire-Atlantique207. Si ce n'est
pas la région de prédilection des migrants d'Outremont, on
remarque cependant la présence limitée de quelques « petites
Italies » essaimées dans l'Ouest. Citons par exemple, la micro
colonie de Saumur208 ou la rue de Trignac à Saint-Nazaire,
où l'on compte dans les années trente, dix-huit foyers italiens
et une dizaine de célibataires. En 1936, 625 Italiens habitent à
Nantes209. Dans la rue de Richebourg, on remarque huit familles
italiennes. A noter que tous les hommes de ces foyers travaillent dans
l'entreprise de travaux publics Le Guillou. De méme, dans le quartier de
Malakoff (voir figure n°8) on recense 57 Italiens qui travaillent presque
tous dans l'entreprise de maçonnerie Cattoni210. Les lieux de
sociabilité italienne sont présents dans toutes les villes qui
comptent un nombre des « colonies », même réduites, de
Transalpins. A Nantes, par exemple, « ils se réunissaient entre la
place du Pilori et la rue du Château. Dans ce café, il n'y avait
presque que des Italiens. Ils se rencontraient le dimanche matin.
L'après-midi, ils emmenaient
204 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
205 « Italiens de Bretagne », conférence de
Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.
206 Voir la carte des régions italiennes disponible en
document annexe n° 6.
207 AM, Nantes, Emigrer c'était fuir la
misère, 13 janvier 1997.
208 A Saumur, Laurent Garino remarque d'ailleurs que presque
aucun des migrants de la première génération n'a pris la
nationalité française.
Conférence de L. GARINO sur les Italiens de Saint-Nazaire,
vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët.
209 A. CROIX (dir), Nantais venus d'ailleurs. Histoire des
étrangers à Nantes des origines a nos jours, Rennes, 2007
(p. 230).
210 A. CROIX (dir), Ibid. (p. 237).
leurs femmes et leurs enfants. Ils ne chantaient que des chansons
en italien, surtout en napolitain »211.
Figure n° 8 : La « petite
Italie » de Malakoff en 1937212
« A la terrasse du café du boulevard,
décoré pour l'inauguration du stade de Malakoff (futur stade
Marcel-Saupin), plusieurs membres de la famille Cattoni, dont l'entreprise est
installée tout près, rue Cornulier, et à droite M.
Cocquio. A la fenêtre, les locataires : la famille Vigano vient du
même village que les Cattoni, Rodero ».
211 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
212 Collection privée, publiée par A. CROIX (dir),
Op. Cit., 417 pages.
800
|
|
|
|
|
|
|
|
700
|
|
|
|
|
|
|
|
600
|
|
|
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|
|
|
|
500
|
|
|
|
|
|
|
|
400
|
|
|
|
|
|
|
|
300
|
|
|
|
|
|
|
|
200
|
|
|
|
|
|
|
|
100
|
|
|
|
|
|
|
|
0
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Hommes
|
Hommes
|
Femmesde Femmesde
|
|
|
Total
|
|
|
|
|
Total
|
Total
|
|
|
de moins
|
de plus de
|
moins de
|
plus de 20
|
hommes
|
femmes
|
hommes et
|
|
de 20 ans
|
20 ans
|
20 ans
|
ans
|
|
|
femmes
|
Italiens
|
68
|
348
|
67
|
142
|
416
|
209
|
625
|
Eqoagnols
|
42
|
140
|
44
|
97
|
182
|
141
|
323
|
Polonais
|
24
|
81
|
28
|
50
|
105
|
78
|
183
|
Beiges
|
13
|
86
|
16
|
57
|
99
|
73
|
172
|
Autres
|
96
|
381
|
65
|
170
|
477
|
235
|
712
|
s de
Graphique n° 1
Réalise à partir des chiffres fournis par
Alain Croix dans « Entre-Deux-guerres : étrangers et 2 an a as
ans fmidéologie », Nantais venus d'ailleurs.
Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos
jours,
sRennes, 2007 (p. 338).
(On ne fait figurer ici que les quatre
nationalités les plus représentées a Nantes).
· Des différences importantes liées au
fait qu'il y ait, ou non, une communauté italienne importante dans la
ville et l'école.
Les milieux quasi-exclusivement transalpins jouent souvent, au
sein du territoire d'accueil français, un rôle de « refuge "
où se trouvent conservés l'ambiance et le mode de vie italien. Il
ne fait aucun doute qu'il existe une tendance grégaire chez les migrants
Italiens comme dans tous les phénomènes migratoires d'ailleurs
(les exemples des colonies transalpines de Lorraine, les quartiers parisiens ou
marseillais presque exclusivement constitués d'immigrés
originaires du même village en sont des exemples flagrants). Cependant,
l'essaimage individuel a pu être aussi une caractéristique de la
période 1935-1955. Nous estimons de 6 à 10 % la moyenne des
étrangers scolarisés dans les écoles françaises au
début de notre période (6 % pour Marie-Claude
Blanc-Chaléard pendant l'Entre-Deux-guerres213, 8 à 10
% dans les années trente selon Gérard Noiriel214).
Pour la fin de la période étudiée, on se situerait
plutôt autour de 3 % d'étrangers dans l'enseignement primaire en
1952215. Cependant, ces chiffres ne faisant pas état des
naturalisés scolarisés, son intérêt pour notre sujet
est limité.
Marie-Claude Blanc-Chaléard a étudié le
maintien des familles italiennes dans les villes françaises, elle a
ainsi pu démontrer que la ville fixe moins que la banlieue en raison des
passages plus intenses de toutes les catégories de la
population216.
Pour Nantes et l'Ouest en général, mis à
part les « petites Italies " relativement réduites où l'on
observe une forte prégnance de « l'entre soi ", il y a,
proportionnellement à la France, peu d'autres immigrés dans les
écoles fréquentées par nos témoins. Après
1939, on remarque néanmoins la présence de quelques enfants de
réfugiés espagnols ayant fuit le régime franquiste
217 . Par ailleurs, particulièrement, à Couëron,
on remarque une colonie assez importante de travailleurs
polonais218. Les écoles de l'Ouest ne sont donc pas tout
à fait
213 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 9).
214 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004
(p. 251).
215 G. NOIRIEL, « L'école " dans L. GERVEREAU, P.
MILZA et E. TEMIME, Toute la France.Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 260).
216 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 389).
217 On trouve de jeunes espagnols dans l'école de Carina
Travostino, en Sarthe par exemple. Questionnaire de Carina TRAVOSTINO - CORBEAU
(2010).
218 Voir à ce sujet, le travail de V. NOWACKI, « La
paroisse polonaise de Couëron de 1923 à nos jours ", Nantes, 1989
(116 pages).
75 dépourvues de bataillons d'élèves
étrangers non italiens219. La proportion d'étrangers
dans les classes ou dans les quartiers où vivent les témoins
influence leur scolarité, tant d'ailleurs leur attitude et leur
intégration dans l'école que leurs résultats scolaires.
Phénomène difficile à quantifier, il est cependant
suffisamment fréquent dans les témoignages pour qu'on
s'arrête ici quelques instants sur les différences de modes de vie
que connaissent un jeune issu d'une « colonie italienne » et un
autre, isolé de ses condisciples d'Outremont. Ivo Livi, futur Yves
Montand, dit ainsi n'avoir pas vraiment été affecté par
les injures anti-italiennes proférées dans la cour de
récréation : cette réaction de relative
indifférence s'expliquerait, selon lui, par le fait que son école
était fréquentée essentiellement par des immigrés.
Yves Montand naît en Toscane, son père, Giovanni Livi, militant
communiste fuit le fascisme en s'installant en France. Ivo est alors
scolarisé à l'école communale du 52 boulevard Viala dans
le centre de Marseille. Il quitte l'école, alors qu'il n'a qu'onze ans
et demi pour entrer à l'usine, la fabrique de balais fondée par
son père ayant fait faillite. A quatorze ans, il passe son CAP de
coiffeur. Il explique dans une interview rapportée par ses biographes
:
« Je ne percevais pas vraiment que j'étais un
immigré. J'entendais bien, ici ou là, des injures telles que
« sale macaroni » ou « babi de con »220. Mais je
n'en saisissais ni la cause ni le but. Cela me passait au-dessus de la
tête et je me disais : « qu'est ce qu'il raconte cet imbécile
? ». A l'école, nous n'étions que des enfants
d'immigrés. Le maître pouvait à bon droit demander «
qui est français, ici ? » tous les noms avaient des consonances
étrangères ... »221.
On voit donc une différence importante, dans la
perception des élèves, liée au fait qu'il y a, ou non, une
forte présence d'étrangers dans l'école d'accueil des
jeunes italiens. Bien sûr, le caractère de l'écolier a
aussi une grande importance dans ses émotions en réaction aux
offenses qui lui sont faites. Ainsi, par exemple, Carina Travostino, en
réponse à la question « comment
219 - « Pas d'autres étrangers dans les
écoles. En apprentissage de maçonnerie, j'ai retrouvé des
enfants d'immigrés. C'était des copains d'apprentissage, on
parlait en français. Il y avait des Polonais. Dans mon école, je
pense que j'étais le seul d'origine italienne ».
(Nantes : école de Toutes Aides à Doulon,
Saint-Clément, collège Saint-Stanislas).
Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009
-- Basse Goulaine).
- « A Vial, il y avait une Polonaise, mais, en fait, il
y avait peu d'étrangers ».
(Lycée de Nantes), entretien avec Maria CERA - BRANGER (4
février 2010 -- Vertou).
- « En plus des Italiens, il y avait une famille
polonaise, une allemande ».
(Scolarité à Saint-Nazaire) questionnaire de Walter
BUFFONI, 2010.
220 On traite habituellement de « babi » les
Italiens du Sud. Il semble que ce terme injurieux désignant la
population méridionale d'Italie n'était employé que dans
le Sud de la France, et, on le voit pour Yves Montand, utilisé
ponctuellement, et probablement par ignorance, pour désigner aussi des
Transalpins du Nord.
221 Interview de Yves Montand cité par H. HAMON et P.
ROTMAN dans Tu vois, je n'ai pas oublié, Paris, septembre 1990
(p. 41).
76 vous sentiez vous à l'école ?
», explique qu'elle a été « quelque fois «
agressée " par ces petites paysannes pour qui j'étais quand
méme l'étrange fille pas comme eux. Donc « macaroni "
était leur insulte première, ne sachant peut-être pas ce
que ça voulait dire... Cela passait parce que j'avais bon
caractère " 222. Par contre, Jacqueline Fantin-Crampon,
répond, à la même question, « J'ai subi quelques
insultes hors de l'école par des camarades qui me traitait de «
macaroni ", je leur répondais, je ne me laissais pas faire
"223.
Dans d'autres régions, comme l'Ouest, d'où provient
la majorité de nos témoins, les Italiens sont minoritaires.
« Comme on était des ruraux, il n'y avait pas de
regroupement, on était isolé donc on était comme un cheval
dans un pré : perdu ! Ceux qui ont vécu en ville, c'est pas la
méme façon. [...] J'étais toujours isolé,
j'étais avec mon frère mais avec lui, on parlait patois aussi
"
Ce même témoin me parle de la période
où il vivait en ville, la situation était alors fort
différente :
« Je crois que j'ai appris le français dans
l'année de maternelle à Biarritz. Mais quand je rentrais à
la maison, je ne parlais que le patois. Mon père a travaillé avec
des Italiens, des Portugais et des Espagnols [...] et donc on parlait charabia.
[...] Donc l'évolution c'est que ça n'était pas bon pour
moi : je parlais le patois jusqu'à mes 21 ans à la maison.
"224
De méme, Jean Burini, lorsqu'il évoque la Lorraine
sidérurgique de son enfance, explique :
« A l'école primaire, dans la classe, on était
dix nationalités : Français, Luxembourgeois, Italiens, Polonais,
Russes, Ukrainiens, etc. ".
La photographie de sa classe au cours de l'année
scolaire 1949-1950 et son descriptif sont une parfaite illustration de cette
constatation : sur les vingt-et-un élèves de la classe de
Monsieur Delon, dix ont des noms italiens225.
Citons aussi le souvenir de Serge Reggiani, bien
différent de celui des enfants de primo arrivants installés dans
les « petites Italies » de l'Hexagone. Son école est, en
effet, fort éloignée de la cosmopolite Marseille du jeune Ivo
Livi, des colonies italiennes de Lorraine ou de la ville de Biarritz
racontée par WM. Le jeune Sergio est, pour sa part, scolarisé en
Seine Inférieure (dans l'actuelle Seine-Maritime), à mi-chemin
entre les villes du Havre et de Rouen. Il arrive à huit ans en France et
est inscrit à la rentrée des vacances de la Toussaint 1930 dans
l'école
222 Questionnaire de Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).
223 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
224 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
225 Le faible nombre d'élèves s'explique par le
fait qu'il s'agît de la « classe creuse " de 1941. Les classes
étaient donc fréquemment des cours doubles.
primaire de la rue Carnot à Yvetot (qui aujourd'hui
porte le nom d'école « Cahan Lhermitte "). Lui aussi, comme tant
d'autres témoins, rapporte les habituelles insultes xénophobes
antiitaliennes mais il semble avoir vécu l'évènement avec
bien moins d'indifférence que ses homologues cités plus
haut226. Il est en effet le seul italien de son école, et, en
tant que tel, considéré comme une « curiosité locale
".
De même, le fait d'être issu ou non d'un couple
mixte a une grande influence sur l'intégration à l'école
et le sentiment d'appartenance à la nation (c'est en 1924 que les
Italiens accèdent au premier rang des mariages mixtes chez les
étrangers résidents en France, dépassant ainsi les
Belges227). Les couples mixtes sont bien sûr plus
fréquents lorsque l'on sort des « petites Italies ".
Précisons cependant que les chiffres « mentent " puisque, souvent,
les unions déclarées comme « franco-italiennes " se font en
fait entre conjoints d'origine italienne, dont l'un des deux est né en
France ou bien a été naturalisé. Plus la situation
socioprofessionnelle du migrant est élevée, plus la
probabilité d'une union avec une Française est importante. Ce
sont toujours les citadins, et les immigrés les plus anciennement
arrivés qui offrent les taux d'unions mixtes les plus
importants228. On associe presque toujours ce
phénomène à une bonne intégration comme l'atteste
Wassila Ltaief qui explique que « dans le discours actuel sur
l'immigration, qu'il soit médiatique, sociologique ou même
juridique, le mariage mixte est invoqué de façon
récurrente pour soutenir l'idée de la réussite du
processus d'intégration des migrants, que celle-ci soit pensée
dans les termes de l'assimilation ou du pluralisme culturel "229 .
La forme la plus fréquente des unions maritales franco-italiennes est
celle illustrée par une famille où le père est italien et
la mère française230.
D). La cour de récréation, espace de
détente.
Pour certains témoins, la récréation est
le moment salvateur des cancres (sentiment que l'on retrouve d'ailleurs aussi
chez les élèves français) puisqu'elle est l'espace du jeu
et de la socialisation, caractères qui ne vont pas nécessairement
de pair avec la réussite scolaire. En
226 Interview de Serge REGGIANI pour « Les Inrockuptibles ",
mai juin 1991.
227 Voir la chronologie en document annexe n°1.
228 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988
(p. 25).
229 W. LTAIEF « Jalons du mariage mixte dans
l'immigration : entre la loi, la foi et la trace identitaire " dans B. STORA et
E. TEMIME, Immigrances, l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 2007. (p. 124).
230 « Les enfants d'Italiens, amis de mon père,
ils avaient tous une mère française ».
Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
78 revanche, pour d'autres écoliers, elle est, avant
tout, le lieu des insultes xénophobes et des batailles rangées
entre les élèves d'origine italienne et les Français.
? Un espace de jeu.
La récréation dure dix minutes à un quart
d'heure, elle traîne parfois en longueur les jours de beau temps. Les
souvenirs de cet espace de loisir qui sont évoqués en premier
lieu sont les jeux de la cour, moyen formidable de sociabilité entre les
immigrés et leurs camarades français, parfois aussi catalyseurs
des tensions entre les élèves et des relations de
dominé/dominant.
« Les jeux étaient communs : billes, boules de
pétanque, cartes, etc. »231.
« On jouait aux gendarmes et aux voleurs, au chameau,
à saute-mouton. »232.
Pour les « cancres », c'est souvent là «
l'épreuve de rattrapage » vers une autre reconnaissance que celle
scolaire, les capacités sportives et sociales sont valorisées
dans l'espace de défouloir que constitue la cour :
« J'avais beaucoup de copains qui, dans l'ensemble,
m'aimaient bien, il faut dire que j'étais plutôt amuseur et,
excusez-moi, quelque peu meneur dans le bon sens du terme
»233.
Parfois plus âgés, puisque ayant redoublé
au moment de l'arrivée en France, nombreux sont les enfants issus de
famille étrangère à avoir une place honorable dans
l'espace de socialisation que constitue la cour de
récréation234.
On remarque souvent durant la période 1935 -- 1955,
outre les divertissements de cour de récréation qui traversent
les époques (billes, marelles ...), le caractère patriotique de
certains jeux, et ce surtout dans les écoles de garçons. Les
jeunes élèves jouent ainsi à la guerre ou « à
la résistance ».
231 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
232 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
233 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
234 « Dans la cour, je m'entendais bien avec tout le
monde. Comme j'étais plus vieux d'un an, j'étais presque chef de
file ».
Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009
-- Basse Goulaine).
· Les chansons dans les cours
d'école.
La cour de récréation est aussi un lieu de
rencontre entre enfants d'origine française et italienne. Cette
confrontation se développe souvent par le biais de chansons que les
élèves chantent à la récréation pour se
moquer des « Ritals ». La perception agressive de la
différence culturelle est souvent exprimée par cette comptine que
les Français chantent dans la cour de récréation :
« As-tu vu Négus
A la Porte d'Italie
Qui secouait les puces A Mussolini 235».
Ce refrain humiliant est rapporté par plusieurs
témoins du début de notre période, toutes régions
confondues d'ailleurs. La mémoire collective en a fait l'exemple type
des discriminations à l'école pendant le conflit
éthiopien. Les défaites de l'armée mussolinienne face au
Négus éthiopien sont moquées. Les affrontements de cours
de récréation se multiplieront dans les écoles à
partir du déclenchement de la guerre d'Abyssinie. Pour de nombreux
écoliers, cette entreprise militaire est synonyme de la cassure des
bonnes relations avec leurs camarades, comme d'ailleurs le sera plus tard la
déclaration de guerre de Mussolini à la France, elle aussi
vécue comme une rupture de la bonne entente par nos témoins.
Dès lors, il ne semble pas sans intérêt de se livrer
à une étude des conflits dans les cours d'écoles et
à ce qu'ils révèlent des tensions entre Français et
élèves d'origine italienne.
E). Les conflits de cour de récréation :
une loupe sur les tensions ?
· « Macaronis », « enfants de
pouilleux » : quelles réponses à la xénophobie dans
la cour de récréation ?
L'entretien de Marie-Claude Blanc-Chaléard avec la famille
Ricci constitue un témoignage criant quant à la présence
d'importantes bagarres dans les cours de récréation de
235 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 37).
Ou encore Maria C. qui m'a dit, lors de notre entretien à
Nantes le 24 novembre 2009, avoir déjà entendu parler de cette
comptine.
80 l'Hexagone. Il semble ici intéressant de citer
l'épouse de Julien Ricci expliquant les difficultés que connut le
jeune garçon pendant sa scolarité dans la banlieue parisienne
:
« - il a quitté l'école très jeune
parce qu'il a eu pas mal de problèmes. Déjà, il a
été renvoyé de l'école...
- pour quelle raison ?
- Oh, parce qu'il se battait tout le temps. Si on lui disait
sale italien, ça, il ne supportait pas, c'était tout de suite le
poing dans la figure, alors le directeur ne voulait plus le prendre.
»236.
Les bagarres ne sont pas le monopole des garçons. Le
témoignage de la romancière Inès Cagnati est, à cet
égard, significatif. Elle raconte ainsi les rixes de l'école de
Monclar d'Agenais dans le Lot-et-Garonne où elle est scolarisée
après le départ d'Italie de ses parents :
« Les autres enfants manifestaient aussi leur aversion,
par la dérision, les injures, les poursuites. Mais nous nous
battîmes bien sür... je me souviens...de magnifiques batailles
rangées dans la cour de l'école. Françaises contre
étrangères, aussi enragées les unes que les autres, et
toutes maniant glorieusement les insultes dont nous disposions
»237.
De même, Madeleine Dusio explique :
« Ma soeur, elle était pourtant jamais allée
en Italie, rien que de savoir qu'on attaquait les Italiens, pouf ! Ça
partait »238.
Il est courant, au cours de ces « rixes », que l'on
voit naître des alliances entre les écoliers d'origine
étrangère, les Polonais au coude à coude avec les Italiens
par exemple.
On s'aperçoit que, bien souvent, les insultes
proférées dans la cour de récréation, provoquent
des batailles en dehors. Qu'ils soient à l'usine ou à
l'école, ces conflits détériorent l'image de l'individu
mais aussi celle de la communauté italienne tout entière. On
assimile le caractère violent d'un enfant au nom à consonance
italienne à tous ses camarades aux parents d'Outremont. C'est, du moins,
ce qui est enseigné par les parents de nos témoins à leurs
enfants pour les dissuader de se montrer violents ou irrespectueux. La formule
entendue est presque toujours la même : « Mes parents m'ont toujours
dit : ici, on n'est pas chez nous. Il faut se tenir tranquille » 239
.L'hypercorrection sociale tient donc bien une place importante dans de
nombreuses familles d'origine italienne. La volonté de la part des
parents est alors de réussir à
236 Entretien avec la famille Ricci dans M-C
BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire
d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 420).
237 I. CAGNATI, « Je suis restée une
étrangère », Sud-ouest dimanche, 16 et 25 mars 1985.
238 Entretien avec Madeleine DUSIO dans M-C
BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire
d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 427).
239 Entretiens avec Madeleine Toni, Rina Raumer, et la famille
Mutti, Ibid. (p. 249).
81 gagner correctement sa vie et à s'intégrer
à la société française en en copiant les coutumes
et sans « faire de vagues ". L'enfant doit avoir « l'air propre ",
les parents cherchent bien souvent à rendre leurs fils et leurs filles
transparents (la volonté de franciser les prénoms et de parler
français au sein du foyer en sont deux exemples que l'on retrouve
très fréquemment).
Par ailleurs, les conflits, dans la première partie de
notre période, portent souvent sur le fascisme, là encore, les
considérations politiques de la maison vont être
transférées à l'école. Ainsi, Walter Buffoni,
pourtant fils de communistes, raconte l'anecdote suivante :
« Ma mère couturière m'avait fait une
chemise d'un gris foncé. Certains camarades de l'école faisaient
une relation avec les « chemises noires » des fascistes.
N'étant pas du genre à me laisser faire, il s'ensuivait des
bagarres, ce qui n'empêchait pas d'être ensuite bons copains
"240.
On voit donc que la gravité de ces
échauffourées était considérée comme toute
relative par leurs protagonistes. Par ailleurs, nous retrouvons très
fréquemment, dans les autobiographies, le récit des insultes et
chansons visant à se moquer des jeunes élèves d'origine
italienne. « On était des moins que rien " : tel est le ressenti de
la famille Lucia de Nogent, sentiment partagé par
beaucoup241. François Cavanna se souvient lui aussi avoir eu
à affronter les critiques et les quolibets de ses camarades
français, il dresse ainsi, dans son autobiographie une sorte de
catalogue des insultes habituellement proférées dans la cour de
récréation :
« Les Ritals, vous êtes bons qu'à jouer de la
mandoline "
« Dans votre pays de paumés, on crève de faim,
alors vous êtes bien contents de venir bouffer le pain des
français !"242.
L'image collective des Italiens souffre donc d'une vision
négative, on les voit pauvres, paresseux, « pouilleux et
culs-bénits "243.
« Les Ritals, on est mal piffés [...] les mômes
français ne risquent pas le bout de leurs pompes dans nos rues à
Ritals, mais à l'école, là ils se rattrapent
"244.
240 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
241 Témoignages de la famille Lucia en 1994
Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000 (p. 356).
242 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 33).
243 F. CAVANNA, Ibid. (p. 38).
244 F. CAVANNA, Ibid. (p. 33).
De même, nous constatons fréquemment, dans nos
témoignages, que les discours des parents refont surface à
l'école par l'intermédiaire des critiques culinaires. Les
écoliers italiens traitent ainsi les Français de « patates
pourries », répondant sur le méme registre que l'habituel
« macaroni »245. Cette insulte s'explique par le fait que
les Français, en fait de pâtes, ne connaissaient que les macaronis
(c'est-à-dire faites au gratin, avec du fromage). La critique de
départ concerne donc la pauvreté des Italiens, on se moque d'un
repas considéré comme destiné à des miséreux
puisque les pates ne sont pas accompagnées de viande comme c'est
l'habitude dans la plupart des familles françaises.
« Ah les français, ils mangeaient le macaroni au
fromage c'est-à-dire au four. Mais nous la « pastasciutta »
comme on la faisait, ils aimaient pas ça... Ah ! c'était pas bon,
c'était un plat italien, et puis il y avait de la tomate dedans. Eux,
ils n'aimaient que le macaroni au fromage. Ils n'aimaient pas les spaghetti
»246.
Il va de soi que, rapidement, l'insulte se diffuse dans les
cours de récréation et devient un sobriquet habituel contre les
jeunes d'origine italienne, cependant, son origine provient bien des critiques
culinaires parentales. Le jeune Sergio, futur Serge Reggiani, répond
d'abord aux « macaronis » de ses camarades de classe par des jurons
en italien qui ne font qu'augmenter la raillerie des autres écoliers. Le
fait de ne pas connaître la langue de ses camarades joue sur la
réaction de l'enfant insulté247. Ainsi, il sera
impossible à un élève qui ne connaît que la langue
italienne de répondre par l'humour, solution pourtant souvent
salvatrice, aux remarques xénophobes de ces homologues francophones.
Serge Reggiani explique ainsi que sa volonté très forte
d'apprendre le français a été « provoquée
» par cette situation de reclus qu'il connaît au moment de son
arrivée dans l'Hexagone248. On retrouve sensiblement les
mêmes motivations chez de nombreux témoins :
245 « A l'école, je me suis retrouvé
avec des paysans. Il y avait un copain, son père avait eu des
problèmes avec les voisins italiens. C'est là que, pour la
première fois, on m'a traité de « macaroni ». Il
était plus grand et plus costaud que moi alors je n'ai pas
cherché la bagarre ! Je lui ai dit « toi tu manges des carottes et
des patates pourries ! ».
Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).
246 Témoignage de P. P.
Dans M. ROUCHE « un village du sud-ouest dans
l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens
à Monclar d'Agenais » CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris
15-17 octobre 1987.
247 Sur ce sujet, voir R. GUALDARONI, « Scolarisation des
élèves étrangers en France », dans Educazione
interculturale : dalla teoria alla prassi, mars 1997 (p. 103).
248 Interview de Serge REGGIANI pour « Les Inrockuptibles
», mai juin 1991.
Luigi Tirelli explique ainsi :
« Sono venuto in Francia che avevo sei anni. [...] io
sono andato subito alla scuola francese, e dopo sei mesi parlavo il francese,
come un francese. Sono andato fino al Baccalauréat.
»249.
WM fait le même constat :
« A l'école je me suis mis à parler le
français automatiquement. Je crois que j'ai appris le français,
dans l'année de maternelle à l'école. J'ai appris
très rapidement. »250
La situation est courante car, comme le soulignent Marianne
Amar et Pierre Milza, « les élèves étrangers
souffrent bien sûr du handicap linguistique mais, une fois
surmonté, ils réussissent mieux car ils savent que l'école
est leur seule chance de gravir quelques degrés de l'échelle
sociale »251. Ce sera le cas de Serge Reggiani qui
s'avérera être un excellent élève tout comme Walter
Buffoni252. Sans, bien sûr, se réjouir de la
présence récurrente de ces insultes dans les cours de
récréation, les témoins expliquent souvent qu'il est
indéniable qu'elle a été un moteur d'apprentissage
important dans l'apprentissage du français.
L'enquête de 1951 d'Alain Girard et Jean Stoetzel souligne,
elle aussi, les moqueries de la cour de récréation :
« Rapport avec les maîtres : cordiaux. Rapports
avec les camarades français : bons. Evidemment, ils ont parfois
été traités de « macaronis » par leurs camarades
mais jamais avec méchanceté »253.
On aurait donc tendance à penser que les pouvoirs
publics minimisent l'impact de ces insultes sur les élèves, mais,
nous l'avons vu avec l'interview donnée par Yves Montand ou le
récit des souvenirs de Walter Buffoni, les témoins confirment la
plupart du temps avoir ressenti ces injures comme n'étant, finalement,
pas si graves :
249 « Je suis arrivé en France à 6 ans.
[...] Je suis allé aussitôt à l'école
française, et, après six mois, je parlais le français
comme un Français. J'ai étudié jusqu'au
Baccalauréat ». TDLA
Témoignage de Luigi TIRELLI (né à Cavriago
en 1928) livré le 31 octobre 1997 à Antonio CANOVI au
théâtre du Champ de Mars
Dans A. CANOVI, Cavriago ad Argenteuil, Migrazioni
Communità Memorie, Cavriago, 1999.
250 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
251 M. AMAR et P. MILZA, L'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1990, (p. 108-109).
252 « - Etiez vous un bon élève ?
- J'aimais assez l'école. Cela m'est
désagréable de répondre à la question, en effet,
j'étais très bien noté par mes maîtres. A
l'apprentissage, je suis sorti avec la mention « très bien »
».
Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
253 A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et
immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des
Polonais, Paris, 1953 (p. 350).
« Bien sûr il y avait les sales macaronis. Mais on
réglait ça à la récré, ou dans la rue ;
quelques coups de poing et on n'en parlait plus »254.
« I Francesi !255 _ Je rigole maintenant mais on
se lançait des pierres ! Il y a eu quelques bagarres, mais le plus
souvent on s'amusait ensemble, hein »256.
De même, les injures ne sont jamais mises en
corrélation avec leur intégration par nos témoins, Walter
Buffoni, évoquant son école nazairienne, répond ainsi
à la question « à l'école, perceviez vous que
vous étiez un immigré ou vous sentiez vous Français ?
» : « Certains enfants savaient me le faire savoir (sale
macaroni). Toutefois, j'étais parfaitement intégré
»257.
Par ailleurs, si la question des insultes en rapport avec
leurs origines reste très rarement sans réponse, deux
témoins diront tout de même ne pas en avoir reçues. Alors,
oubli lié à l'ancienneté des évènements ou
témoignage réel de situations relativement
privilégiées au regard du nombre de personnes faisant état
des habituelles algarades de préau ? Soulignons aussi qu'à la
question « vous souvenez vous d'épisodes violents à
l'école ? », Giovanna répondra qu'elle «
préfère ne pas en parler »258 signe que les
souvenirs de ces moments de tensions restent bien souvent douloureux plusieurs
dizaines d'années après les faits.
Nous avons pu observer le large panel des insultes
proférées contre les enfants de migrants italiens, il n'est pas
rare que l'enfant passe de la provocation verbale aux coups. Les critiques
envers les Transalpins restent rarement sans réponses. Nous retrouvons
ainsi assez fréquemment des insultes de la part des jeunes « Ritals
» sur la fainéantise des Français. Le Transalpin compense
ainsi l'humiliation qu'il peut ressentir quant à la condition de
travailleurs exploités de ses parents en stigmatisant une soi-disant
paresse chez le Français. Chez les Italiens, « on se tue au travail
par nécessité mais aussi par défi »259.
« On était souvent traités de macaronis...
la grande insulte c'était qu'on venait manger le pain des
Français, on le trouvait dur le pain... Après, on était
bien incorporé, mais il y a
254 Témoignage de Laurent PELLICIA
Dans M- BLANC-CHALÉARD et Pierre MILZA, Le Nogent des
Italiens (p. 112).
255 « Les Français » TDLA.
256 Témoignage de N. T.
Dans M. ROUCHE « un village du sud-ouest dans
l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens
à Monclar d'Agenais », CEDEI, acte du colloque franco-italien,
Paris 15-17 octobre 1987.
257 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
258 Questionnaire de Giovanna, 2010.
(Giovanna a demandé à ce que seul son
prénom soit divulgué).
259 - M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000. (p. 411).
- « Dommage qu'on soit obligé de s'arrêter
pour dormir, que sans ça on tombe ».
Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 239).
des moments où on se disputait, alors là toutes les
insultes étaient bonnes. On le leur rendait largement. Je pense que
c'était plutôt de la jalousie »260.
Les critiques des parents se retrouvent, là aussi, dans
les cours de récréation. Cavanna exprime cette transposition du
foyer à l'école en écrivant : « on voit bien que
leurs parents ne se privent pas de débloquer sur nous autres, à
la maison » 261 . Par souci d'exactitude, il est donc indispensable de
souligner que ces insultes furent évidemment réciproques. Le fils
de migrant italien n'est pas nécessairement le « mouton noir »
de la classe. Effectivement, nombreux sont les témoignages
d'immigrés italiens expliquant qu'ils n'étaient pas les derniers
à provoquer les conflits. Ainsi Auguste Bocarelli raconte :
« Je cherchais la bagarre. A la sortie de l'école,
je savais où jouaient les autres qui nous traitaient de macaronis et
tout ça. Alors, je leur tombais dessus quand ils jouaient aux billes.
Les mères ont protesté auprès du directeur, disant qu'il y
en avait assez de cet Italien, etc. Il m'a sermonné, mais il m'aimait
bien. En classe, j'étais toujours dans les premiers. A la fin il disait
aux mères de faire rentrer leurs enfants plus vite. Il me donnait raison
»262.
Il est intéressant de se demander si ces bagarres, ces
insultes, sont synonymes d'un refus d'être considérés comme
étrangers de la part de l'élève d'origine italienne, ou
bien sont l'expression de la revendication et de la défense de sa
communauté. Parfois, les deux sentiments se mêlent : la recherche
de soi est un chemin difficile pour celui qui a un premier pays dans les veines
et un second sous les pieds. Nous aurons l'occasion d'étudier plus en
profondeur cette question lorsque sera interrogé le sentiment
d'appartenance des élèves d'origine étrangère.
Par ailleurs, si les écoliers français semblent,
la plupart du temps, réutiliser presque textuellement les critiques
contre les Italiens qu'ils entendent à la maison ; les enfants d'origine
italienne se démarquent parfois de leurs parents (qui, souvent,
prônent l'hypercorrection sociale). Cette attitude est sans doute le
reflet de leur incompréhension du choix de l'immigration ou
peutêtre aussi de leur colère de ne pas être tout à
fait intégrés. La « paternité » des conflits est
souvent difficile à analyser, en effet, les souvenirs sont partiels.
Pierre Milza, lui-même témoin, mais aussi historien
contemporanéiste, précise le caractère subjectif de la
mémoire. Il semble
260 Témoignage de G. C. B.
Dans M. ROUCHE « un village du sud-ouest dans
l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens
à Monclar d'Agenais » CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris
15-17 octobre 1987.
261 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 33).
262 Entretien avec Auguste BOCARELLI :
Dans Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire
d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 420).
86 nécessaire de replacer notre étude dans son
cadre, celui d'une recherche en science humaine avec ce que cela comprend de
partialité dans les témoignages analysés.
« J'ai pu le constater avec de nombreux entretiens avec
des représentants de la deuxième génération issue
de l'immigration [...] nous avons tendance à grossir avec le temps ces
blessures de l'enfance. Je me suis moi-même égaré dans
cette voie avec une bonne foi absolue. Le souvenir des humiliations subies a
fait que nous en avons souvent rajouté en intégrant à nos
propres expériences des faits de mémoire collective d'une toute
autre gravité. Parler de racisme anti-italien à propos des
chasses à l'homme et des tueries de la fin du siècle dernier ne
me paraît nullement déplacé. Ça l'est au contraire,
appliqué aux dérapages verbaux, voire aux horions
échangés, du second XXème siècle
»263.
Passons maintenant de la cour de récréation
à la porte de la classe. Si l'espace de jeu a un rôle majeur dans
le développement de l'enfant, c'est dans la salle de classe que
l'élève doit faire face aux impondérables handicaps de
départ qui le rendent, tantôt plus acharné dans son
travail, tantôt démissionnaire par avance. C'est en grande partie
sur les bancs de l'école que se jouera le futur des enfants de migrants,
les implications liées à l'école n'ayant pas seulement une
influence sur la carrière mais sur toute la construction du futur
adulte.
263 P. MILZA, Op. Cit. (p.135).
II). L'élève dans sa classe
Comprendre la vie de la classe, c'est s'interroger sur la
formation des enseignants et sur leur rôle mais aussi sur les
résultats des élèves, l'organisation au sein des salles de
classe, le contenu des programmes scolaires, et enfin, sur la carrière
des témoins.
A). Les enseignants
. La formation des maîtres d'école.
Lorsque l'on aborde un sujet traitant de l'Ecole, il va sans
dire qu'il est nécessaire d'aborder la question de la formation des
enseignants. C'est en 1833 que les lois Guizot264 commencent
à organiser l'école primaire et créent les Ecoles Normales
(EN). L'année 1854 marque un changement important puisque c'est
désormais le recteur d'académie qui nomme, seul, les enseignants.
En effet, désormais les instituteurs seront libérés du
contrôle des notables et du certificat de « bonnes moeurs »
délivré autrefois par l'Eglise. La IIIème
République, quant à elle, marque l'ascension du prestige du
métier de professeur. L'instituteur devient alors le symbole de
l'idéal républicain et laïc. C'est Charles Péguy le
premier, écrivain et promoteur du nationalisme français, qui les
qualifiera de « hussards noirs de la République ». Les
hussards étaient des cavaliers de l'armée hongroise, la
comparaison est donc lourde de sens, Charles Péguy exprimant ainsi la
déférence et l'obéissance quasi-aveugle des enseignants
envers l'Etat français. Le début du XXème
siècle marque la syndicalisation du corps enseignant, par ailleurs,
beaucoup d'entre eux adhèrent au socialisme « à la
Jaurès ». Jusqu'en 1924, cette activité politique est
considérée comme incompatible avec leur statut, nombreux sont
donc les instituteurs à être révoqués. Quant aux
premières années de la période qui nous intéresse,
elles sont considérées comme « l'age d'or » de la
profession265. Après la Première Guerre mondiale, en
effet, les revenus des professeurs augmentent. Leur engagement politique est
toujours tourné
264 28 juin 1833 : la loi Guizot impose une
Ecole Normale par département, une école primaire
supérieure dans chaque commune de plus de 6 000 habitants et dans chaque
chef-lieu de département, une école primaire publique au moins
par commune.
Voir aussi à ce sujet la chronologie en document annexe
n°1.
265 J. GIRAULT, Instituteurs syndiqués et enseignement
de l'histoire entre les deux guerres, Paris, 1984 (p. 140).
vers la gauche, ils s'inscrivent massivement dans la
défense du pacifisme. L'exemple le plus célèbre de ces
instituteurs pacifistes est probablement celui de Gaston Clémendot
(1904-1952), syndicaliste, rédacteur de manuels scolaires et qui s'est
engagé dans une défense sans failles du socialisme266.
Le pacifisme que l'on retrouve souvent chez les enseignants est-il pour autant
un gage de sécurité dans l'acceptation facile des
élèves d'origine étrangère ? En tout cas, la
présence, dans de nombreux témoignages, de comparaisons entre les
armées transalpines et françaises nous pousse à nous
intéresser à cette évolution dans les opinions des
instituteurs : que pensent-ils des affrontements politiques, militaires entre
les deux pays ? Par ailleurs, l'engagement à gauche de nombreux
professeurs sera tantôt un point commun avec les parents de nos
témoins, eux-mêmes ayant souvent fui l'Italie mussolinienne pour
des raisons politiques, tantôt une occasion d'incompréhension,
voire de discorde, avec des familles traditionnelles italiennes très
catholiques mais n'ayant pas les moyens financiers de scolariser leurs enfants
dans des écoles privées.
Après ce point délicat (en tant qu'il
relève avant tout des histoires individuelles) sur les opinions des
instituteurs, nous nous devons donc de nous livrer ici à un rapide
panorama de l'apprentissage délivré aux futurs maîtres
d'école dans les Ecoles Normales d'instituteurs. Cependant, soulignons
que, malgré l'esprit de corps qui les anime forgé par leur
formation uniforme, l'enseignant ne peut se réduire à la
légende du « héros républicain » ou du «
militant intransigeant de la laïcité » car le corps de ce
métier est en fait assez hétérogène267.
Si la corporation des instituteurs est composée d'hommes et de femmes
aux opinions très diverses, il est tout de méme possible
d'observer des traits communs dans leurs comportements. Tout d'abord, le
concours de l'enseignement prétend offrir une formation identique
à chacun des apprenants. Yvette Delsaut, dans son ouvrage sur l'Ecole
Normale, définit cette institution comme « chargée de
produire le personnel d'encadrement pédagogique des futurs citoyens et,
à ce titre, la cible jalousement surveillée de tous les
programmes d'éducation » 268 . La dénomination même de
cette formation souligne le caractère de système modèle
que revendiquent les Ecoles Normales, nous sommes ici face à une
institution autorisée, logique. C'est du moins, ce qui est mis en avant
par l'Etat républicain. C'est dans les années 1920 que se met
définitivement en place l'instauration du commandement étatique
sur l'ensemble du système
266 O. LOUBES, L'étrange défaite de la patrie
à l'école primaire en France entre 1918 et 1940, Paris, 2005
(p. 194).
267 S. JOSPIN, « Les hussards noirs de la République
» dans L'actualité de l'Histoire, n°102, septembre
2009 (p. 72, 73).
268 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 5).
éducatif. Ecole Normale, institution dirigée par
l'Etat donc, mais aussi organisation éminemment polémique,
souvent vivement critiquée. Si l'Ecole est le lieu de la formation des
futurs citoyens, elle devient alors un enjeu primordial pour les diverses
obédiences politiques. D'ailleurs, le gouvernement de Vichy
décide, le 18 septembre 1940, de supprimer les Ecoles Normales. C'est
seulement le 19 avril 1945 qu'une ordonnance du général De Gaulle
abroge toutes les lois relevant de la législation scolaire vichyste.
La vision des instituteurs de la France est résolument
jacobine dans son ensemble : vantée pour ses vertus accueillantes,
l'accueil des immigrés s'y veut la plupart du temps en accord avec les
processus d'assimilation. La grande majorité des professeurs semble
d'ailleurs n'émettre aucune réserve à l'idée de la
supériorité nationale, au moins au niveau culturel. Parlant de la
vision des enseignants de l'intégration des familles italiennes, Ronald
Hubscher explique d'ailleurs que « le fichu ou la mantille des femmes, le
chapeau de feutre noir des hommes désigne l'étranger. La couleur
vive des robes des immigrantes est qualifiée de criarde et manifestement
ne répond pas au gout français de la mesure. L'intérieur
de la maison est scruté avec attention : le tableau d'un paysage
cisalpin ou un calendrier italien accrochés au mur sont
considérés comme les lieux d'une mémoire qui n'est pas
effacée » 269 . Effectivement, l'intégration de l'enfant
d'origine étrangère semble, pour leurs enseignants, le plus
souvent, synonyme d'un travail d'oubli du passé transalpin et de
suppressions des traces d'italianité pour se fondre dans le creuset
français.
L'Ecole Normale n'est pas mixte. L'enseignement qui y est
dispensé aux élèves maîtres hommes ou femmes est
toutefois sensiblement le même. La formation des « hussards de la
République » se fait en quatre années. Dans un premier
temps, le futur enseignant commence cette formation, très
sélective, dès qu'il a obtenu son certificat
d'études270. Autrement dit, les apprenants au métier
d'instituteur sont eux-mêmes très jeunes au début de leur
entrée à l'Ecole Normale. Le concours comporte un commentaire de
texte puis une dictée (pour laquelle le zéro est
éliminatoire). Il y a aussi une épreuve de mathématiques,
puis, un document est lu et, sans avoir le droit de prendre des notes sur ce
texte, les postulants au concours de l'enseignement doivent en faire un
compte-rendu. A l'oral, de nouveau, des questions sont posées sur toutes
les matières principales (en français, le candidat doit expliquer
un texte, en mathématiques, il doit démontrer une formule).
Viennent ensuite des épreuves moins classiques pour les
élèves
269 R. HUBSCHER, L'immigration dans les campagnes
françaises (XIXème À XXème siècle),
Paris, 2005 (p. 401).
270 En 1969, le gouvernement français met fin à
l'existence du recrutement en fin de troisième. Désormais il
devient donc plus compliqué pour les enfants de paysans et d'ouvriers
d'accéder à des études prises en charge par l'Etat et
menant au métier d'instituteur.
90 apprenants qui passent alors des tests de dessin et de
modelage, ainsi qu'une épreuve sportive avec un barème
adapté selon l'âge du candidat. L'exercice de musique consiste
à solfier une partition et à chanter une chanson.
Une fois acceptés à l'EN, les futurs
maîtres apprennent des leçons modèles et font des stages au
sein des classes d'application. Le discours livré aux apprenants est
stéréotypé271, rien d'étonnant
dès lors à ce que celui diffusé dans les classes de nos
témoins ait été lui aussi conventionnel272. Il
en va de même pour le style d'écriture qui semble
extrêmement formel dans leurs cahiers a d'ailleurs été un
souci pour analyser les rédactions de nos témoins. En effet,
cette forme ritualisée peut être synonyme d'une certaine forme
d'autocensure sur l'éventuelle expression du ressenti de nos jeunes
témoins, quant à leur intégration par
exemple273.
· « Vous m'avez décollé les
yeux et décrassé le dedans de la tête »
(François Cavanna).
Par ailleurs, l'instituteur est aussi vu comme le garant des
apports culturels et intellectuels, il est donc relativement fréquent
que les interlocuteurs d'origine italienne soulignent le rôle majeur des
enseignants dans leur engagement politique, leur insertion dans le monde du
travail, leur passion pour la littérature ou pour l'art. Ainsi, Jean
Burini, se rappelle avec émotion de son instituteur de l'école
Poincaré :
« Mon maître, monsieur Jean Romac, je me
rappellerai toujours de son nom, quand je parle de lui, je suis ému.
C'était un homme, il était sévère, très
sévère, c'était pas le mec gentil mais avec lui vous vous
en sortiez vraiment bien : il vous obligeait à prendre la direction
qu'il fallait »274.
Il lui écrira même une lettre en 2002 pour lui
témoigner sa reconnaissance, expliquant ainsi :
« Tant d'années se sont écoulées
mais je n'ai pas oublié les trois années scolaires passées
dans votre classe de l'école Raymond Poincaré de Villerupt. Votre
gentillesse, votre rigueur et votre droiture, ainsi que votre
disponibilité m'ont fortement marqué. Je n'ai jamais
oublié les sorties que vous nous avez consacrées à
Obercom, au Moulin de Tiercelet, les promenades en forét ou au plateau
de la Gare et bien d'autres encore, restent pour moi de très bons
souvenirs. [...] Vous faites partie de ceux qui ont tenu une grande
271 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 80 à 82).
272 On ressent d'ailleurs l'influence de cette écriture
formelle dans les lettres de soldats durant les deux guerres mondiales
Voir à ce sujet, S BRANCA-ROSOFF, Conventions
d'écriture dans la correspondance des soldats, Paris, 1990 (p. 21
à p. 36).
273 Voir à ce sujet, « Joyeux écoliers »,
journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de garçons
Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954.
274 Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 --
Vigneux).
place dans ma vie car, pour nous, enfants des cités
ouvrières, vous avez joué un rôle important en nous
inculquant deux qualités essentielles ; le respect et la droiture
»275.
De même, François Cavanna exprime de façon
véhémente sa gratitude aux « hussards de la
République » :
« La foi [...] je l'ai virée. [...] Foutue dehors
à coups de pieds dans le cul. Et c'est bien à vous que je le
dois, vous, mes instits de la communale pourtant pas spécialement
bouffeurs de curés. A vous surtout, mes profs de l'école
supé. [...] Vous m'avez décollé les yeux et
décrassé le dedans de la tête »276.
Pour François Cavanna dessinateur reconnu,
polémiste de talent, l'engagement politique s'est fait bien plus par
l'Ecole que par sa famille. En effet, il est issu de parents peu
politisés oüle fait de parler de politique est
assimilé au fait de ne pas se tenir « tranquille ».
Écrivain récompensé maintes fois, le jeune François
est un excellent élève. Son talent littéraire est, lui
aussi, provoqué en grande partie, grâce au travail de quelques
professeurs qui l'ont « fait pleurer de bonheur à Molière,
à la Fontaine, à Rabelais... »277. De même,
la passion pour la géographie de Maria Cera-Branger est née de
l'influence d'un de ses professeurs :
« J'ai eu une institutrice [...] à l'école
de la rue Evariste Luminais, elle s'appelait Madame Dabouis. Cette dame
là, elle m'a fait passer des choses qu'aucune autre n'a pu me faire
passer. En géographie, elle parlait avec amour des Alpes, elle avait
été réfugiée à côté de la mer
de glace. J'étais en admiration devant cette dame
»278.
Cependant, est-ce pour autant toujours une posture consciente
que celles des professeurs qui poussent les enfants d'immigrés à
la découverte de la culture française et de ses auteurs ? Nous
pourrions penser que la réponse positive est évidente. En fait,
François Cavanna suppose le contraire pour son cas personnel :
« Vous m'avez mis au monde tout beau, tout neuf, et vous
n'avez rien senti. T'es rital,
t'es cureton, c'est marre. Voltaire et Diderot là-dessus,
confiture aux cochons... »279
Consciente ou pas, l'ascendance de certains instituteurs n'est
pas négligeable et fera naître des vocations chez quelques-uns des
enfants de migrants qui sont le ciment de notre étude. Cette
275 Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26
avril 2002, Vigneux.
276 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38-39)
277 F. CAVANNA, Ibid. (p. 39).
278 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
279 F. CAVANNA, Op. Cit., Paris, 1978. (p.
39).
influence est parfois si forte qu'elle peut être le
facteur déclencheur de l'installation définitive en France du
noyau familial. Nous l'avons rapidement évoqué plus haut
280 , l'influence des instituteurs sur leurs élèves se
ressent aussi par les vocations que ces derniers ont pu susciter chez les
jeunes Italiens. Nombreux sont les historiens qui citent dans les
témoignages recueillis l'exemple d'enfants de migrants ayant voulu
embrasser la carrière de professeur. C'est d'ailleurs le cas de la
plupart des historiens de l'immigration italienne, si l'on observe la
bibliographie des recherches ici livrées, on remarquera en effet un
nombre élevé de chercheurs aux patronymes italiens. Cependant,
les témoins étant interrogés sur la base du volontariat,
il semble logique que, davantage que les autres, ils aient envie de se confier
à des personnes les remettant de nouveau en contact avec l'Institution
scolaire. Le phénomène est donc mineur, il est d'ailleurs plus
difficile que pour les Français, pour les descendants d'immigrés
transalpins de faire carrière dans l'Education. Effectivement, s'ils
peuvent passer le concours de l'Ecole Normale, il est toutefois
nécessaire de bénéficier d'une ascendance de trois
générations d'ancêtres ayant la nationalité
française281.
? Les enseignants et l'Italie.
Si, dans la période que nous étudions ici, rares
sont les professeurs d'origine italienne (on remarquera des enseignants issus
de l'immigration transalpine dans la génération suivante),
l'Italie n'en est pas moins évoquée de temps à autre dans
les leçons de la période 1935-1955. Souvent la discussion est
enclenchée par une remarque du professeur quant à la consonance
italienne du nom de l'élève. Marie Cera-Branger nous fait ainsi
part de son expérience :
280 Voir la partie sur le rôle joué par l'Ecole dans
l'installation définitive en France.
281 « J'adorais l'école. J'étais une
excellente élève. Je voulais être institutrice.
J'étais reçue au concours de l'École Normale. Mais
c'était en 1940, il fallait une ascendance de trois
générations de Français. Ma carrière a
été brisée ~ ».
Témoignages de Zina AVRIL-MUTI, dans M-C BLANC-CHALEARD,
Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration
(années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 422).
« À l'école Vial, j'ai eu une professeur en
géographie qui, à cause de mon nom, m'a demandé si
j'étais d'origine italienne. Je lui ai dit oui, alors, elle m'a
demandée de parler un peu de l'Italie et d'expliquer comment mon papa
était venu ».
« J'allais à l'école française et je
n'ai jamais trop parlé de mon papa italien sauf à un cours de
géographie ou la professeur a, elle aussi, demandé s'il y avait
des enfants d'immigrés. J'étais la seule italienne, il y avait
une autre fille d'origine russe. La professeur, à la suite de ça,
a fait gentiment un cours sur l'Italie. Ça a été bien
perçu. C'était en CM1 ou CM2 »282.
Ce témoignage est assez représentatif de ce que
les enfants d'immigrés italiens ont pu me raconter : on évoque
peu l'Italie en classe mais quand l'instituteur en parle, c'est rarement en
termes négatifs comme on peut par contre l'entendre dans la cour de
récréation de la part des autres écoliers de
l'école.
B). Cancres et bons élèves.
Certains témoignages mettent en exergue la
réticence, voire l'agressivité des instituteurs envers les
enfants de migrants. Beaucoup de témoins, encore, parlent de leurs
grandes difficultés scolaires. Par ailleurs, la décision de
rédiger ses mémoires est probablement, en partie du moins,
conditionnée par le fait que les épreuves au sein des
établissements scolaires furent importantes, suffisamment marquantes en
tout cas pour s'en souvenir, parfois plusieurs dizaines d'années
après. Cependant, leur réussite à l'école a aussi
tendance à donner l'envie aux enfants de la « seconde
génération » de raconter leur expérience scolaire, se
posant ainsi parfois en modèles d'une intégration réussie.
Le constat avancé prudemment par Pierre Milza fait état d'une
« scolarité transalpine à deux vitesses, les enfants
d'immigrés occupant soit les places d'honneur (avec les enfants juifs
originaires d'Europe centrale et orientale), soit au contraire la queue de la
classe : cela pour des raisons qui sont rarement explicitées mais
où entrent en ligne de compte les considérations relevées
plus haut (mariages endogènes ou mixtes, date d'arrivée en
France, etc.) »283. Entre cancres et bons élèves,
nous chercherons, plus qu'à faire un inutile et, surtout, impossible
portrait de l'écolier italien type, à comprendre de quelles
façons sont entremêlées les
282 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
283 - P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p.
329).
- Cette remarque est d'ailleurs confirmée par l'enquete de
l'INED sur le Lot-et-Garonne :
« Le type de l'élève moyen [...] est rare
chez les Italiens. On trouve en général, d'excellents
élèves, ou alors de vraies « bûches » qui
terminent leur scolarité au niveau des cours élémentaires
».
Dans A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et
immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des
Polonais, Paris, 1953 (p. 351).
problématiques liées à l'exil et les
résultats scolaires sans oublier, bien entendu, que des
différences liées aux capacités et au caractère de
chacun existent chez les jeunes d'origine italienne comme dans les milieux
endogènes français284.
· Quelles explications aux grandes
différences de niveau observées chez les enfants d'origine
italienne ?
Les élèves qui poursuivent en Écoles
Primaires Supérieures (EPS) ou en Cours Complémentaires (CC) font
encore figure de cas assez rares dans les années 1935-1955. Les EPS et
les CC sont les voies de prolongement de la scolarité primaire, les
bourses de l'Etat permettent aux enfants issus de classes populaires les plus
« méritants » d'y poursuivre leurs études. La question
des difficultés scolaires et des soucis d'intégration de ces
jeunes avait déjà été posée publiquement et
des associations voient le jour pour aider les écoliers d'origine
étrangère tant par des cours de soutien que par la distribution
de bourses scolaires. Ainsi, par exemple, dès les années vingt,
le Foyer Français permet une assistance aux arrivants,
particulièrement en ce qui concerne leurs enfants285. Ces
élèves sont alors principalement des fils et filles
d'employés et de petits commerçants. Si le niveau scolaire et
social auquel se hissent les fils et filles d'Italiens est, presque toujours,
supérieur à celui de leurs parents, il reste, dans la plupart des
cas, assez modeste. Pour les années cinquante, Marie-Claude
Blanc-Chaléard s'est livrée à un travail de
comptabilisation fort éclairant. Grâce aux registres de certaines
écoles primaires elle a pu observer le phénomène suivant :
« les CET (collèges d'enseignement technique) et l'apprentissage
tiennent encore lieu de prolongement des études pour plus du quart des
Italofrançais (28 %), dans cette décennie encore proche de la
guerre (19 % pour les Français, mais ces derniers s'engagent plus
nombreux dans la vie active). Le cours complémentaire, puis le
collège d'enseignement général (CEG) accueillent le plus
grand nombre des deux groupes (39 % des Italo-français contre 46 % des
Français). Mais la « réussite » transalpine est
sensible dans la proportion de ceux qui entrent au lycée,
supérieure aux Français de souche »286.
284 Ainsi, Mario Merlo explique « mes deux soeurs,
qui étaient italiennes, ont eu des difficultés, elles aussi
à s'intégrer. Une était un peu plus débrouillarde,
elle s'est bien tirée d'affaire mais j'ai une soeur qui, à 82
ans, a toujours des difficultés à écrire le
français, elle fait des fautes d'accords donc elle est toujours
complexée de ça. Elles étaient toutes les deux à
l'école privée des soeurs à Doulon ».
Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009
-- Basse Goulaine).
285 G. NOIRIEL, Le creuset français, Paris, 1988
(p. 251).
286 M-C. BLANC-CHALEARD, « Français et Italiens
à l'école de la République », t. XXXVIII Revue
d'Histoire Moderne et Contemporaine, octobre - décembre 1991, (p.
661).
Une des caractéristiques communes à toutes les
populations émigrées est que les migrants qui tentent l'aventure
migratoire sont souvent les plus audacieux et ont de solides capacités
pour bâtir un avenir pour leur famille et eux même287.
De là, peut-être, découlent en partie les lourdes attentes
de réussite transmises à leurs enfants par les immigrés.
Globalement, nos témoins font état d'une forte pression familiale
pour qu'ils obtiennent de bonnes notes à l'école. A
l'hypercorrection sociale est souvent associé un surinvestissement
scolaire demandé par les parents italiens à la
génération qui les suit :
« J'étais la première de la classe avec
Franca Bos. On se disputait la première place [...] Toujours la colonie
italienne était en tête de classe : est-ce qu'on voulait se
valoriser aux yeux des autres ? Je ne sais pas. On nous faisait travailler. Je
suis entrée à onze ans, en 1944, en sixième ; j'ai eu mon
concours et je suis allée à Nogent. C'était un gros
sacrifice à l'époque pour mes parents [...] Mes parents ne sont
jamais allées voir les instituteurs, il y avait du respect,
c'était une autre classe sociale »288.
Parfois encore, ce sont les frères et soeurs
aînés qui demandent à leur cadet cet effort scolaire, comme
pour Jean Burini par exemple :
« J'avais mon grand frère [...] qui était
professeur au collège technique, c'était un cerveau lui ! [...]
Il était intransigeant, d'une sévérité incroyable.
Avec lui, il fallait toujours être le premier, respecter les horaires.
[...] Si je ne comprenais pas, mon frère me faisait étudier de
cinq heures de l'après-midi à dix heures du soir et sans manger !
[...] Nous on avait rien au départ mais on avait un caractère de
guerrier. Il fallait toujours être le meilleur et foncer ! Ne compte pas
sur les autres, toi tu ne dois compter que sur toimême !
»289.
Les géniteurs dotent leurs enfants d'une mission
parfois extrémement lourde à porter : leur statut double de fils
d'étrangers et de représentants de classes sociales souvent
défavorisées les investit d'une volonté de porter le
défi scolaire particulièrement haut. Pour autant, la
requête parentale ne s'ensuit pas toujours des résultats
escomptés. En effet, les immigrés italiens, souvent issus de
milieux très populaires, doivent souvent, en plus des difficultés
intrinsèques à leur classe sociale, se concentrer sur des
problèmes jugés plus importants que les gratifications scolaires
pour la survie du foyer. On remarque ainsi un phénomène qui peut,
à première vue, sembler paradoxal. Ces adultes, issus de classes
populaires, placent souvent dans l'école, de grands espoirs, qui ne sont
pourtant pas suivis d'une aide concrète pour le travail scolaire
auprès de leurs enfants. En fait, les parents se sentent incapables de
les soutenir dans leurs difficultés
287 Ouest France, « Ces immigrés Italiens qui ont
bâti la France », entretien de A. GUYOT avec P. MILZA, mai 2008.
288 Mme JANIN interrogée par I. WILLEMS, « Plusieurs
générations d'Italiens à Noisy-le-Grand », « La
Trace » n° 10, juin 1997 (p. 29).
289 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
scolaires. Soulignons qu'il semble que, dans les familles les
plus politisées, les enfants sont globalement plus souvent en situation
de réussite scolaire290. C'est le cas de Walter Buffoni qui
saute une classe à l'école Paul Bert de Saint-Nazaire.
L'explication de ces bons résultats est simple : les parents sont
souvent habitués à lire et bénéficient d'une
culture et d'habitudes de réflexion intellectuelle qu'ils transmettent
tout particulièrement à leurs enfants, ayant eux-mêmes
dû fuir leur pays à cause de l'affirmation de leurs idées
politiques.
? Quelle mémoire des gratifications scolaires
?
Figure n° 9 : Distribution des
prix de Luciano, scolarisé à l'école des Batignolles,
Nantes, 1933291.
Pendant notre période, les récompenses scolaires
occupent une place particulièrement importante, elles font alors partie
des « techniques éducatives ». Rappelons que c'est un
moment
290 Dans G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo
noi, Milan, 2003 (p.117).
291 Reproduction du document donné par A. CROIX dans
Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des
origines à nos jours, Rennes, 2007 (p. 232).
Les prix obtenus par Luciano RAPETTI, alors âgé de
treize ans, sont si nombreux qu'il faut deux documents pour tous les
mentionner.
où le thème de « l'école unique
» a un écho particulièrement fort. Ses défenseurs
soutiennent l'idée que la sélection par le mérite est
l'enseignement démocratique par excellence292. Les
gratifications sont effectivement fort nombreuses : la croix hebdomadaire, les
distributions de prix (souvent accompagnés de livres en cadeaux), les
traditionnelles images et bons points, et bien sûr, les mentions aux
examens (pour le CEP, et le Brevet en particulier, parfois aussi dans les
apprentissages293). Les bonnes notes de l'écolier italien ne
sont cependant pas toujours assorties du « respect » de leurs
professeurs comme l'explique François Cavanna lors d'une interview
à la radio : « Mes instituteurs, ils m'aimaient bien parce que
j'étais un bon élève mais en même temps ça
les gênait qu'un p'tit rital ait ces notes là
»294.
? Les échecs scolaires et la réponse des
élèves à leurs difficultés à
l'école.
Lorsqu'on évoque le problème de l'échec
scolaire entrent aussitôt en ligne de compte diverses
problématiques qui ne sont pas toujours propres aux enfants de migrants.
L'échec scolaire n'existe pas en soi mais en tant que variable au regard
des attentes de la société et de l'institution scolaire à
l'égard des élèves. Les facteurs des difficultés
à l'école sont aussi variés que la place qu'occupe
l'écrit au sein de la famille, le niveau socio-économique et
culturel du foyer, les relations intrafamiliales ou l'intensité des
stimuli... Nous l'avons vu, issus la plupart du temps de milieux très
populaires, les enfants d'origine italienne ont souvent des parents qui parlent
mal le français et sont parfois analphabètes. Privés de
l'aide parentale, il semble donc logique que les écoliers d'origine
italienne connaissent des difficultés au sein des classes
françaises. Nous devons donc nous interroger ; en effet, on peut se
demander à quels obstacles se heurtent les jeunes immigrés,
quelles différences trouve-t-on entre les témoignages et la
réalité des difficultés scolaires. Nos interrogations
portent aussi sur la proportion d'Italiens connaissant des échecs
scolaires au cours de la période qui s'étend du milieu des
années trente au milieu des années cinquante. Ces
déceptions scolaires font-elles pour autant des jeunes d'origine
étrangère
292 En 1918, récemment démobilisés, des
universitaires surnommés « les Compagnons de l'Université
nouvelle » développent, dans des manuels pédagogiques et des
conférences, le projet de l'école unique. L'idée serait de
regrouper, jusqu'à l'age de 14 ans, les élèves de la
communale et ceux des petites classes des lycées réservés
à l'enfance bourgeoise. L'école unique serait alors un lieu
où seuls les résultats scolaires permettraient l'accès aux
hautes études.
Y. GAULUPEAU, La France à l'école, 1992,
Paris (p. 112, 113).
293 A l'issu de son apprentissage comme chaudronnier dessinateur,
Walter Buffoni reçoit ainsi la mention « très bien
».
Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
294 Emission de radio de Daniel MERMET « Là bas si
j'y suis » sur France Inter, François CAVANNA interviewé par
François RUFFIN. 26 mai 2010.
98 des exclus dans leurs écoles ? C'est en tout cas ce
que dit avoir ressenti l'auteur de Génie la folle. Inès
Cagnati explique, en effet, son incompréhension au sein de la classe
« tricolore » qu'elle fréquente :
« A l'école, le monde a basculé. Je ne
comprenais rien à ce que l'on me disait, je ne pouvais même pas
obéir, je ne savais pas ce qu'on me voulait. Les Français
n'avaient plus rien de fascinant. Leur monde était hostile, agressif, il
ne nous voulaient pas ; je ne comprenais ni son langage ni ses lois et ni ce
que je devais faire non pour être tolérée, mais au moins
pour être pardonnée d'être moi, différente...
»295.
Une femme, présente à une conférence sur les
Italiens de Saint-Nazaire, a sensiblement les mêmes souvenirs :
« La maîtresse me disait d'aller au tableau ou de
mettre mes mains sur la tête mais je ne faisais rien de tout ça
car je ne comprenais pas ! »296.
On remarque chez de nombreux autres témoins,
l'échec scolaire expliqué par leurs lourdes difficultés
à comprendre et à parler la langue du pays d'accueil :
« J'ai eu une grande difficulté à apprendre
le français parce que mes parents parlaient très mal.
C'était pas comme maintenant... ils parlaient leur petit nègre,
et moi ça me faisait des mauvaises répercutions, je
mélangeais tout... Je suis né ici, j'ai appris le français
à l'école. Je l'ai pris avec un an de retard sur tout le monde.
Je faisais soixante-douze fautes dans ma dictée. Dans mon milieu on
parlait en italien alors avec le mot cheval, je faisais « cavale »
»297.
« Je ne travaillais pas beaucoup à la maison et
j'étais toujours à parler patois, mon développement
était limité »298.
Souvent, l'apprentissage du français se fait, en grande
partie en tout cas, à la maison. La volonté d'apprendre la langue
du pays d'accueil est souvent motivée par une forte pression familiale,
les parents parlant français pour aider à l'intégration
des enfants. Non seulement, la situation des élèves dont la
langue maternelle est l'italien ou un de ses dialectes est plus difficile que
celle des Français en raison de leur mauvaise connaissance de la langue
française, mais ils peuvent rarement se faire aider à la maison
pour leurs devoirs. En général, cependant, l'échec est
relativement passager. L'apprentissage du français se fait rapidement
pour différentes raisons : la proximité de langue entre les deux
pays sans nul doute, mais aussi le fait que les jeunes enfants
295 Témoignage de I. CAGNATI, « Je suis restée
une étrangère », Sud-ouest dimanche, 16 et 25 mars 1985.
296 Une femme originaire du Nord de l'Italie, lors de la
conférence sur les Italiens de Saint-Nazaire, vendredi 30 avril 2010,
Maison de quartier de Méan Penhoët.
297 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
298 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
99 ont une forte capacité d'apprentissage. Par
ailleurs, connaître la langue du pays d'accueil est nécessaire,
que ce soit pour se faire accepter en classe, par la pression exercée
par les parents, ou encore pour communiquer, voire pour répondre aux
quolibets des camarades d'école comme nous l'avons vu
précédemment. Citons ainsi le syndicaliste Albert Balducci
scolarisé dans l'Est, à la frontière allemande :
« J'ai eu un autre instituteur, d'origine italienne,
d'origine romagnole. C'est-à-dire que c'était l'émigration
d'avant la guerre de 1914. [...] Et lui, il comprenait ce que je disais vu
qu'il avait appris le méme dialecte que moi. Il faisait semblant de ne
pas comprendre, mais il comprenait. Il était de la méme
région que mon père, à dix kilomètres près.
Il m'a aidé. Six mois après, je connaissais la langue. Á
l'époque, il y avait deux cours par classe. Chaque année, je
faisais deux cours. Et puis à 13 ans j'ai passé mon certificat
d'études.
Q. : Il y avait d'autres élèves qui ont eu
les mémes difficultés que vous ?
Oui, beaucoup. Tous les nouveaux qui arrivaient. Faut dire
qu'à l'école, à Hussigny, on était plus de la
moitié qui étaient fils d'immigrés italiens.
Là-dessus, il y avait beaucoup de nouveaux arrivants
»299.
Dans le cas d'Albert Balducci, nous pouvons voir que les
difficultés de départ sont conséquentes mais que
l'apprentissage est rapide puisque, chaque année, ses progrès lui
permettent de passer deux classes. Les difficultés ne sont pas toujours
liées uniquement aux problèmes de maîtrise du
français. Si les enfants de l'immigration ont un rôle de prisme
pour révéler les dysfonctionnements de l'ensemble du
système scolaire, les écoliers autochtones peuvent
présenter des difficultés semblables à nos témoins
sur bien des points. Le travail des instituteurs sur les échecs des
élèves d'origine étrangère est
conséquent300. La grande majorité des témoins
explique que leurs professeurs cherchaient réellement à les
aider, souvent ils s'accusent eux-mêmes de ne pas avoir travaillé
suffisamment.
« A l'école, je n'étais pas tellement
content d'y aller : je savais que j'étais à la merci de
l'échec donc ce n'était pas la joie. J'avais un an de retard. A
force de me secouer, le frère Clément qui me disait « vous
aller encore redoubler », ça m'a réveillé ! [...]
C'était quelqu'un de bien, il m'a aidé à décoller.
»301.
Les « cancres » payent souvent au prix fort leurs
mauvais résultats, culpabilisés par des parents faisant
état de leurs sacrifices et de la nécessité de
l'hypercorrection sociale, de là aussi peuvent s'ancrer des
réactions de résistance à cette normalisation comme
l'explique Pierre Milza qui dit qu'« on trouve des Ritals parmi les plus
irrécupérables des cancres, et pas toujours
299 Albert BALDUCCI interviewé par P. MILZA, Voyage en
Ritalie, Paris, 1993, (p. 329).
300 R. BERTHELIER, Enfants de migrants à
l'école française, Paris, 2006 (p. 96 à 110).
301 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
100 pour des raisons qui tiennent au QI de
l'intéressé ou au caractère peu porteur de son milieu
social et familial. Nombreux sont d'ailleurs, parmi ces rebelles, ceux qui,
empruntant d'autres voies que celles de la réussite scolaire,
effectueront de spectaculaires percées sociales »302.
Se poser la question de l'échec scolaire, c'est aussi
se poser la question des remèdes possibles. Quelles étaient les
réactions des instituteurs face aux élèves en
difficulté ? On trouve toutes sortes d'attitudes dans les
témoignages, l'enseignant abandonnant parfois l'écolier dans
l'incompréhension la plus totale du français au fond de la
classe, d'autres fois, comme dans le cas précédemment cité
de Mario Merlo, on rapporte le cas de professeurs s'acharnant à aider
l'enfant en échec303.
C). L'organisation de la classe.
Cependant, l'influence de leurs professeurs sur les
élèves n'est pas particulièrement corrélée
à leur réussite scolaire. En témoigne la lettre
envoyée par Jean Burini à son instituteur :
« Je n'ai sans doute pas été votre meilleur
élève ; j'avais il me semble un peu la tête en l'air comme
on dit, et je pensais un peu trop à la récré ou à
jouer, mais ces années de classe sous votre direction ont porté
leurs fruits plus tard, dès mes débuts dans la vie
professionnelle »304.
En fait, l'influence de l'enseignant, l'organisation de
l'école, de la classe, sont des vecteurs de transmission de certaines
valeurs qui marquent jusque dans leurs vies d'adultes les anciens
élèves. Le rôle des établissements scolaires et de
leurs professeurs est primordial, rien d'étonnant dès lors
à ce que les liens entre le pouvoir en place et l'Ecole soient
considérables. En effet, la République est « l'institutrice
du peuple »305, sa propension à vouloir organiser la vie
en classe est donc forte. En 1937, Jean Zay uniformise les programmes du
premier cycle des lycées et ceux des E.P.S (c'est le premier pas sur la
voie d'une « école moyenne »). De nouvelles instructions sur
les constructions et le mobilier scolaires sont alors publiées : la
classe type est
302 P. MILZA, Op. Cit. (p. 486).
303 On constate le même type de souvenirs lorsque WM parle
de Monsieur Bertin, son instituteur qui le poussait à travailler pour
qu'il obtienne son certificat d'étude :
« Avant de partir en vacances, il m'a dit : «
l'année prochaine, tu le présentes alors tu vas travailler, tu
vas lire le journal ! » ».
Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite)
304 Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26
avril 2002, Vigneux.
305 C. COUTEL, La République et l'Ecole : une
anthologie, Paris, 1991 (p.25).
désormais prévue pour quarante
élèves, dans les écoles de filles comme dans les
écoles de garçons. Le pupitre individuel est dorénavant
recommandé, cependant le témoignage de WM nous montre que la loi
ne s'ensuivait pas nécessairement des faits :
« C'était une classe unique à Biarritz
alors qu'à Moissac, on était trois classes. Une rangée
pour faire ses devoirs pendant que le maître faisait réciter aux
autres donc on travaillait mais on écoutait autre chose... On
n'était pas assidus ! »306.
En effet, des problèmes de concentration se posent dans
certaines écoles : les élèves sont nombreux, en moyenne de
trente à quarante par classe. Les écoliers suivent, à
l'école primaire, les cours d'un instituteur unique.
La journée scolaire se déroule en
général (on remarque des variations mineures d'une école
à l'autre) de huit heures ou huit heures trente jusqu'à seize
heures. Les cours commencent par une correction des devoirs de la veille ou par
une leçon de morale, viennent ensuite les leçons de calcul mental
ou d'arithmétique. L'élève va ensuite en
récréation (il y en a deux dans la journée, qui durent en
général autour d'un quart d'heure). Puis, c'est l'heure de la
dictée, dont la correction est immédiate, et de la leçon
d'écriture (un soin tout particulier est porté à la
calligraphie). Après l'heure et demie d'interclasse qui permet de
prendre le repas, à la cantine307 ou au sein du foyer
familial, l'école reprend avec un cours d'histoire et de
géographie puis un travail de rédaction. Après la
récréation de l'après-midi, l'élève se livre
à des activités sportives ou artistiques (dont la durée
augmentera tout au long de la période que nous étudions). Les
sports pratiqués varient un peu selon les régions. Dans le
Sud-Ouest ou à Saint-Nazaire, par exemple, les jeunes jouent au
rugby308, pour la Lorraine « c'était le foot, la piscine
et, le jeudi après-midi,
306 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
307 En 1882, les Lois Jules Ferry créent l'école
laïque et obligatoire et la ville de Paris offre aussitôt une aide
alimentaire, ses cantines accueillent exclusivement les enfants de familles
nécessiteuses ou nombreuses ou bien ceux qui n'ont pas le temps de
rentrer chez eux. L'instauration de cantines découle d'initiatives
individuelles et non de l'Etat. La crise économique des années
trente conduit la troisième République à obliger chaque
école à avoir une cantine. Le nombre d'enfants dépendant
de la cantine s'accroît au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Malgré l'attribution de quotas de rationnement supplémentaire aux
cantines, les écoliers subissent des retards de croissance importants.
La gratuité de la cantine scolaire est l'une des revendications des
« clandestins » communistes sous le régime de Vichy.
Voir l'ouvrage de Didier Nourrisson sur le sujet : D.
NOURRISSON, « Des cantines pour l'Ecole », dans À votre
santé ! Education et santé sous la IVème
République, Université de Saint-Étienne, 2002, 210
pages.
308 C'est le cas de WM qui pratique le rugby et, qui, fera partie
de l'équipe de son école pratique à Agen. Entretien avec
WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
on faisait du hand-ball, du basket et de la natation avec
l'école »309. La journée d'école se
termine par une leçon de choses310.
Jusqu'en 1968, toutes les écoles imposent le port d'une
blouse qui uniformise en apparence la population scolaire. Nos témoins,
lorsqu'ils évoquent cette caractéristique, mettent en avant ses
aspects positifs : les différences de milieux sociaux et de culture sont
donc visuellement gommées. On souhaite véhiculer une impression
d'unanimité311, cependant Maria C. précise :
« L'uniforme, ça pouvait sembler bien... les livres
aussi : on a tous les mêmes, on est égaux ! Mais, en fait, les
différences tout le monde les connaissait »312.
L'organisation de la classe passe aussi par la
répression de ses éléments les plus « remuants
». Dans les écoles de filles, on nous rapporte que la punition la
plus courante, en réponse au travail non fait ou aux éventuelles
indisciplines, est d'aller derrière le tableau ou au fond de la classe.
Chez les garçons, il semble que l'usage de la fessée et
l'utilisation du bonnet d'âne sont alors plus légion. La paire de
claques et les lignes à copier ne sont pas rares non plus :
« Une fois, j'avais un chewing-gum, le maître me
dit : « Burini, viens me voir ici, enlève ton chewing-gum ! »,
« ben non monsieur, je n'ai pas de chewing-gum ». Je l'avais
cachésous ma langue. Il m'a foutu une raclée ! Deux
gifles qui me faisaient tellement mal que je n'avais plus mal ! « Ce soir,
retournez chez vous et vous me copierez cent fois « Je ne
mâcherai plus de chewing-gum en classe »
»313.
309 Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 --
Vigneux).
310 M-O. MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET, Les
écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p.32)
311 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 86).
312 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes)
313 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
Horaire
|
Lundi
|
Mardi
|
Mercredi
|
Vendredi
|
Samedi
|
8, 30 à 9
|
Morale
|
Récitation
|
Morale
|
Instruction
|
Récitation
|
|
Morale
|
Récitation
|
Morale
|
civique
|
Récitation
|
|
Morale
|
Récitation (moniteur)
|
Morale
|
Vocabulaire sur la lecture
|
Récitation (moniteur)
|
|
|
|
|
Récitation
|
|
|
|
|
|
(moniteur)
|
|
9 à 9, 30
|
Vocabulaire
|
Grammaire
|
Rédaction
|
Compte-rendu de
|
Grammaire
|
|
Vocabulaire
|
Grammaire (10
|
Initiation à la
|
la rédaction
|
Grammaire
|
|
Ecriture - copie
|
min. de leçon, 20
|
rédaction
|
Ex. de
|
(10 min. de
|
|
|
min. d'ex. écrits) Ecriture - copie
|
Ecriture - copie
|
conjugaisons Ecriture - copie
|
leçon, 20 min. d'ex. écrits)
|
|
|
|
|
|
Ecriture - copie
|
9, 30 à 10
|
Ex. de
|
Ex. de grammaire
|
Suite de la
|
Corrigé
|
Ex. de
|
|
vocabulaire
|
Ecriture - copie
|
rédaction
|
individuel et
|
grammaire
|
|
Ex. de
|
Lecture (maître)
|
Ecriture -
|
études de phrases
|
Ecriture -
|
|
vocabulaire
|
|
copie
|
Ecriture - copie
|
copie
|
|
Lecture (maître)
|
|
Lecture
|
Lecture (maître)
|
Lecture
|
|
|
|
(maître)
|
|
(maître)
|
10 à 10,
|
Récréation
|
10
|
|
10, 10 à
|
Leçon de calcul (arithmétique les mardis,
mercredis et samedis - système métrique les
|
10, 30
|
lundis et vendredis)
|
|
Calcul écrit
|
10, 30 à
|
Ex. écrit de calcul
|
11
|
Calcul oral (maître)
|
|
Calcul oral (maître)
|
11 à 11,
|
Ecriture les mardis, vendredis et samedis (une ou deux
leçons seulement au CS, le temps
|
30
|
disponible est ajouté au calcul) - travail manuel les
lundis et mardis
|
|
Lecture (maître)
|
|
Lecture (moniteur). Répétition de la leçon
faite le matin par le maître.
|
Tableau n° 4 : Vade-mecum pour
l'enseignement français en classe unique
(Matinées)314 Cours moyen, cours supérieur,
Cours élémentaire, Cours préparatoire
NB1 : Ici, le Vade-mecum est celui d'une classe unique,
cependant, les programmes étaient sensiblement les mêmes
partout.
NB2 : Sous la surveillance de l'instituteur, le moniteur fait
répéter au cours préparatoire les leçons faites
précédemment par l'instituteur.
NB3 : Abréviations : - Ex. : exercice.
- Min. : minutes.
314 Reproduction de l'extrait du Vade-mecum pour l'enseignement
français par A. SOUCHE, inspecteur de l'enseignement primaire, 1930.
Dans S. BUKIET et H. MEROU, Les cahiers de la
République (promenade dans les cahiers d'école primaire de 1870
à 2000 à la découverte des exemples d'écriture et
de la morale civique), Paris, 2000 (page 89).
Horaire
|
Lundi
|
Mardi
|
Mercredi
|
Vendredi
|
Samedi
|
13 à 13,
|
Leçon de choses et sciences.
|
30
|
(Les cours préparatoires et élémentaires
ne prendront part qu'aux leçons à leur portée, dans
|
|
la limite de 1h 30 par semaine. Le temps disponible sera
réservé au travail manuel et au dessin).
|
13, 30 à
|
Leçon commune de lecture
|
14
|
Leçon commune de lecture
|
|
Ecriture
|
14 à 14,
|
Dessin et travail
|
Ex. sur la phrase
|
Préparation
|
Préparation d'une
|
Ex. sur la
|
30
|
manuel
|
Ex. sur la phrase
|
d'une dictée
|
dictée empruntée
|
lecture
|
|
Dessin et travail
|
Lecture (maître)
|
empruntée au
|
au texte lu 20
|
Ex. sur la
|
|
manuel
|
|
texte lu 20 min.
|
min. dictée 10
|
lecture
|
|
Lecture (maître)
|
|
dictée 10 min.
|
min.
|
Lecture
|
|
|
|
Préparation
d'une dictée empruntée au texte lu 20 min.
dictée 10 min.
|
Préparation d'une dictée
empruntée au texte lu 20 min. dictée 10 min.
|
(maître)
|
|
|
|
Lecture maître 20 min. moniteur 10 min.
|
Lecture maître 20 min. moniteur 10 min.
|
|
14, 30 à
|
|
14, 40
|
Récréation
|
14, 40 à
|
Exercices physiques dans la cour et sous le préau
|
15
|
|
15 à 15,
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
40
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
|
Lecture et récitation (moniteur)
|
15, 40 à
|
Dictée de
|
Chant
|
Dessin, travail
|
Chant
|
Travail
|
16
|
contrôle
|
|
manuel
|
|
manuel
|
|
Ecriture, copie Ecriture, copie
|
|
Dessin, travail manuel
|
|
Travail manuel
|
|
|
|
Récitation
|
|
Elocution
|
|
|
|
(maître)
|
|
(maître)
|
Tableau n° 5 : Vade-mecum pour
l'enseignement français en classe unique
(Après-midi)315 Cours moyen, cours supérieur,
Cours élémentaire, Cours préparatoire
D). Les programmes scolaires
L'Ecole est un lieu associé par les
élèves comme leurs parents, qu'ils soient Français ou non,
à l'Etat. Elle est « l'institutrice de la nation
»316 qui installe les écoliers dans le corps national,
elle leur incorpore ainsi des valeurs patriotiques en les francisant. L'enfant
d'étranger est-il pour autant stigmatisé à l'Ecole comme
étant en dehors de l'Etat français et donc de l'Institution
scolaire ?
En tout cas, le patriotisme tient un rôle central dans
les apprentissages des élèves entre 1935 et 1955, il est
présent dans les leçons de morale, d'histoire, d'éducation
au civisme et méme de géographie où l'on met parfois en
avant la position centrale de la France comme facteur explicatif de sa
prétendue place de plaque tournante de l'Europe. On le retrouve
d'ailleurs dans les instructions destinées aux enseignants de 1923 : le
patriotisme est alors placé au méme plan que les matières
toujours enseignées aujourd'hui dans les écoles primaires
(calcul, écriture ...) :
« La place de la France dans le monde est assez grande,
son rôle est assez noble, pour qu'un enseignement sincère,
soucieux de vérité jusqu'à l'intransigeance, favorise
l'éclosion et l'épanouissement du sentiment patriotique
»317.
Ce patriotisme est régulièrement critiqué
durant la période que nous étudions, Olivier Loubes parle ainsi
de « désenchantement patriotique »318, les vives
critiques de la colonisation dans la presse et les milieux intellectuels n'y
sont sans doute pas étrangères, ainsi Walter Buffoni explique
:
« Mes maîtres mettaient souvent l'action de la
France dans le monde, son rôle en tant que pays des droits de l'Homme
sans esprit cocardier, critiquant quelquefois néanmoins la colonisation.
Personnellement j'ai une grande reconnaissance envers mes instituteurs, ne
serait-ce que pour le respect qu'ils avaient des immigrés italiens
»319.
Nous aurons l'occasion d'étudier plus en détail
les nombreuses critiques du patriotisme qui se font jour au sein de la
corporation enseignante. L'idée n'est pas neuve : l'Ecole doit faire de
l'élève un citoyen et un soldat, ce patriotisme est donc
présent quotidiennement dans les leçons, obligatoire selon les
programmes scolaires, il est aussi ressenti dans l'espace de jeu de
316 O. LOUBES, L'École et la Patrie, Paris, 2001
(p. 9).
317 Instructions de l'enseignement primaire, 20 juin
1923, Revue « Histoire et Géographie » (p. 14).
318 O. LOUBES, Op. Cit. , Paris, 2001 (p. 9).
319 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
106 l'Institution scolaire. Cette stigmatisation de
l'étranger en opposition avec ses camarades de souche française
va être reprise, dans la cour de récréation de
l'école, par les autres élèves qui insistent sur la
supériorité de la France face à une Italie jugée
faible et désorganisée. Ainsi, les écoliers,
répétant les discours de leurs parents, et parfois de certains
instituteurs, mettent en avant les faiblesses de l'armée italienne et
les contre-performances de l'armée de Mussolini :
« Vous êtes pas des soldats ! Si les Français
n'étaient pas là pour vous donner un coup de main, vous vous
faites déculotter par les Boches, à tous les coups !
»320.
« A l'école, porteur [...] d'un patronyme
difficilement situable, je n'avais pas eu trop souvent à subir les
insultes ou les quolibets de mes petits camarades. Je n'en étais pas
moins conscient de mes origines paternelles, et j'en souffrais : non pas en
tant qu'étranger ou demi-étranger, mais parce que l'image qui
m'était renvoyée était celle de mon appartenance,
même lointaine, à un pays ennemi et à un peuple de soldats
d'opérette »321.
Outre le patriotisme, qui attire ici particulièrement
notre intention, les élèves des années 1935-1955
étudient l'algèbre, font des problèmes de
mathématiques, en français, ils étudient l'orthographe par
le biais de dictées et la littérature. On apprend aussi aux
écoliers, par les leçons de chose, des notions d'histoire
naturelle. Tous les enseignants travaillent selon une méthode
d'apprentissage répétitive : « on récitait, ça
n'était pas individuel »322. D'ailleurs, même les
cours de dessin se font selon des modèles. Dès les années
trente pourtant, l'idée est développée de passer de la
pédagogie « concentrique », où l'on se
répète, à un apprentissage « progressif » et
actif. En fait, des réflexions de quelques intellectuels
spécialistes de pédagogie aux applications réelles en
classe, il y a une distance non négligeable qui ne sera franchie que
dans de rares cas au cours de la période qui nous intéresse.
Signalons aussi que, bien que réduite et
désormais jumelée à l'instruction civique depuis 1923 par
la réforme de Paul Lapie, la morale est toujours présente dans
les leçons de nos témoins. Le maître d'école doit
propager un credo et semer les idées jugées saines par
l'institution dans les consciences de ses élèves.
Par ailleurs, beaucoup de mouvements de jeunesse
indépendants de l'Ecole voient le jour durant notre période (les
centres laïques des auberges de jeunesse, les centres d'entraînement
aux méthodes d'éducation active entre autres), contestant le
système éducatif en place. Les critiques se portent alors
essentiellement sur le fait que la formation des instituteurs serait trop
étroite : on accuse les Ecoles Normales de refuser d'intégrer les
activités culturelles à leurs programmes.
320 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 34).
321 P. MILZA, Op. Cit., 1993 (p. 491).
322 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 - Vertou).
Après la Seconde Guerre mondiale, ces mouvements seront
annexés par l'institution scolaire. Le sport ou encore la musique seront
d'ailleurs intégrés dans les programmes officiels de l'Ecole
Normale à la même période323. De méme,
nous voyons, pendant la décennie d'après-guerre, se multiplier
les sorties scolaires, déjà un peu développées sous
le nom de « classes promenades » par le Front Populaire. Par
ailleurs, les initiatives comme la rédaction de journaux en classe dans
lesquels les élèves racontent des évènements de
leur vie quotidienne et réalisent des travaux artistiques (dessins,
linos...)324 sont désormais courantes.
Figure n° 10 : Travail de lino
réalisé en classe, école Poincaré, Villerupt,
1951325.
Après le passage du certificat d'études (qui donne
accès aux fonctions d'employés), les centres d'apprentissages
techniques et les CET offrent une formation professionnelle mais,
làencore, l'enseignement des professeurs est en fait plus
large :
« J'ai eu mon CAP d'ajusteur mécanicien [...] dans
ces écoles, ils vous donnaient une telle obligation à vous
améliorer que, quand vous sortiez de là-dedans, vous
étiez bien. C'était une bonne formation technique (il y avait
la technologie, la pratique) mais
323 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 73 à 75).
324 Nous donnons des exemples de ces petites rédactions et
des linos réalisées en classe en documents annexes n° 7
à 13.
Dans « Joyeux écoliers », journal mensuel de la
classe de M. Jean Romac, école de garçons Poincaré de
Villerupt, janvier-février 1954.
325 Collection privée de Jean BURINI.
Lino extraite du journal mensuel de la classe de M. Jean Romac,
Ibid.
108 aussi pour le civisme, la politesse. Notre maître
nous apprenait comment dire bonjour, ce qu'il fallait faire
»326.
E). La carrière des témoins : une
fréquente reproduction sociale ?
Le certificat d'études apparaît, chez nos
témoins, comme une étape extrémement marquante de leur
scolarité327. A l'issu de cet examen (passé à
treize ou quatorze ans en général et obtenu par 50 % des enfants
au début de la Seconde Guerre Mondiale), l'élève sort du
tronc commun de l'enseignement. Il est désormais temps pour lui de
choisir sa voie professionnelle. « Quand on avait passé le
Certificat d'Etudes, on passait un petit examen et, si on était pas trop
mal, on entrait dans le centre d'apprentissage technique »328.
La grande majorité de nos témoins se dirige alors vers
l'enseignement professionnel. Si tout se passe bien, ils obtiendront ensuite,
après une formation de trois années, le CAP (qui donne
accès à des emplois d'ouvriers qualifiés et de
contremaîtres) ou le Brevet.
Si l'on s'interroge sur l'intégration au niveau
socio-économique, on s'aperçoit que l'école a plutôt
bien fait son travail d'insertion des enfants issus de l'immigration italienne
sur le marché du travail. En effet, globalement, nos témoins ont
tous bénéficié, au cours de leur carrière, d'une
assez forte ascension sociale. Cependant, comme l'explique Gérard
Noiriel, l'Etat Providence français permet une montée dans
l'échelle sociale mais celle-ci se fait sur plusieurs
générations, lentement329. Il utilise pour expliquer
ce phénomène la métaphore du frein et du parapluie.
Effectivement, cette progression professionnelle ne vaut que pour la «
seconde génération » : les parents de nos témoins
ont, presque toujours, été employés pour des travaux
précaires. Souvent ce sont leurs enfants qui ont du subvenir à
leurs besoins lorsqu'ils se faisaient trop vieux pour travailler. Ici, nous
nous servirons des témoignages de Jacqueline et Daniel Fantin pour
montrer un exemple très représentatif des carrières qui
ont pu être menées par nos témoins. La situation
professionnelle de leur père n'a pas connu d'évolution sociale
sensible en France jusqu'à sa retraite, à 63 ans. Enrico Fantin
arrive à Nantes le 20 août 1938 à 27 ans, embauché
aux carrières de granit Barré en qualité
d'épinceur, il exercera cette profession jusqu'en 1964. Le travail est
difficile et dangereux, on recense plusieurs cas d'ouvriers
décédés suite à des écrasements de
326 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
327 « J'ai passé mon certificat d'étude
à 14 ans et j'ai fait une faute en orthographe, un accent sur le «
a » que j'avais oublié ~ J'avais bossé comme quatre !
».
Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
328 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
329 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004
(p. 179).
109 pierres, les blessures et les problèmes de
santé sont courants, Enrico est d'ailleurs atteint de la silicose (la
maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation des particules de
poussières de silice dans les carrières, les mines ou lors de la
percée de tunnels). De plus, les ouvriers doivent parfois supporter des
températures extrêmement froides. Par ailleurs, le père de
Daniel et Jacqueline Fantin est payé à la pièce, il
travaille donc beaucoup, d'autant plus qu'il doit aussi envoyer de l'argent
à certains membres de sa famille, restés en Italie. A la
fermeture de la carrière, il devient ouvrier métallurgique. La
carrière de ses enfants sera plus « heureuse », ils
bénéficient d'une ascension sociale que peu d'immigrés de
la première génération ont la chance de connaître
:
Jacqueline Fantin-Crampon :
mars 1945 - 14 juillet 1955 : Pensionnat du Sacré-Coeur
(école privée catholique). 15 septembre 1955 - septembre 1958 :
Ecole de la Châtelaine (20 rue Crébillon - Nantes).
1960 -- 1961 : Cours de la chambre de commerce de Nantes.
Ensuite, Jacqueline obtiendra successivement son certificat
d'études catholique premier degré, puis son certificat
d'études de la République. Ensuite, elle passe avec succès
son C.A.P. de vente, elle décroche le diplôme de la chambre de
commerce.
Pour ce qui relève de sa carrière, elle est
apprentie vendeuse dans les grands magasins à Nantes, elle obtient une
promotion comme sous-chef. Elle est mutée à Dieppe comme chef de
département, elle passe ensuite cadre commerçante.
Daniel Fantin :
1947 - 1948 : Jardin d'enfant Saint-Clair (rue
Ampéré - Nantes).
1948 - juillet 1954 : Ecole élémentaire primaire de
garçons Saint-Clair (rue Danton - Nantes).
Septembre 1954 - juillet 1957 : Ecole élémentaire
primaire de garçons Sainte Jeanne d'Arc (rue du bouillon - Nantes).
Echec au C.E.P (1957).
Septembre 1957 - septembre 1960 : Apprenti serrurier pour
l'entreprise Pageaud (place du Petit Bois -- Nantes).
Cours professionnels du bâtiment (37 bis quai de Versailles
-- Nantes) : admis au C.A.P. Examen de fin d'apprentissage de serrurier
(1960).
Septembre 1960 -- novembre 1962 : Ouvrier serrurier pour
l'entreprise Pageaud. Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue
Dufour - Nantes).
Admis au B.P serrurier (1962).
Novembre 1962 -- février 1964 : Service militaire.
Brigadier (Montluçon, Metz).
Brigadier chef (Alger).
Admis au C.E.P adulte, mention bien (1963).
Mars 1964 -- février 1966 : Traceur monteur au chantier
naval Dubigeon (Nantes). Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue
Dufour - Nantes) : préparation du C.A.P. de dessinateur en construction
métallique.
Mars 1966 - décembre 1969 : Dessinateur puis conducteur
de travaux en
menuiserie serrurerie pour l'entreprise de bâtiment Jallais
(rue Cornulier - Nantes).
Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour -
Nantes) : préparation du C.A.P (obtenu en 1966) et du B.P. (obtenu en
1968) de dessinateur de construction métallique.
Janvier 1970 -- octobre 2003 : Mairie de Vertou : dessinateur
puis dessinateur chef, surveillant de travaux, technicien puis technicien
supérieur chef (responsable des services des bâtiments communaux).
Ce dernier poste est considéré comme étant
équivalent au grade d'ingénieur.
Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour --
Nantes) jusqu'en 1973 : niveau supérieur (préparation à
l'entrée dans une école d'ingénieur)330.
On s'aperçoit ici que la progression professionnelle
est vécue par la « deuxième génération »
mais qu'elle n'a pas été effective pour leurs parents. L'autre
information délivrée par ces parcours est la suivante : des cours
pour les B.P, C.A.P ou C.E.P semblent souvent suivis en parallèle au
travail pour bénéficier d'éventuelles promotions. La
formation professionnelle se fait donc souvent sur toute la carrière et
ce pour les Français comme pour les employés d'origine
étrangère. On retrouve d'ailleurs le lycée Livet dans la
formation continue d'un grand nombre de nos témoins nantais.
En effet, si certains enfants d'origine italienne, comme Jean
Burini331 ou WM332 par exemple, créent leur
entreprise et deviennent patrons, la norme est plutôt une ascension assez
lente et régulière tout au long de la carrière des enfants
d'immigrés italiens. Catherine Withol de Wenden, aujourd'hui directrice
de recherche au CNRS-CERI, montre qu'un nombre relativement réduit
d'Italiens de France ont monté des entreprises importantes. Elle
explique ce constat en disant qu'il s'applique à tous les migrants
relativement fraîchement arrivés dans l'Hexagone : leurs habitudes
culturelles portent en effet sur le fait de ne miser que sur son travail
personnel333.
La carrière est aussi fonction des choix disponibles
à proximité du foyer familial. Aux envies de
l'élève s'ajoutent les projets des parents et les facteurs
liés à la situation financière de la famille ou encore
à la distance entre la maison et les écoles. On peut ainsi
observer, dans le témoignage de WM, l'influence des multiples raisons
sur la carrière de charpentier qu'il a finalement empruntée.
« J'étais à l'école en ville et j'ai
eu mon certificat d'études. Après, il fallait choisir un
métier. J'aurais bien aimé faire paysan mais pas travailler tout
à la main comme mon père, avoir une ferme ... J'aimais le
bâtiment, je donnais un coup de main parfois, quand les voisins
agrandissaient. Bénévolement, mon père faisait les travaux
là bas. Donc, il fallait choisir un travail, en dehors de paysan, j'ai
dit à mon père « maçon » mais je ne voulais pas
apprendre sur le tas, je voulais apprendre à l'école pratique de
commerce et
330 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).
Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
331 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
332 Entretien avec W. B. (27 octobre 2009 -- Sainte
Marguerite).
333 C. WITHOL DE WENDEN, « L'immigration italienne en
France, la formation et la mobilité », n° 22, juin 1985 (p.
218, 219).
d'industrie. A Agen, il n'y avait que menuisier,
mécanicien, ajusteur et commerce. Je suis rentré à
l'école pratique je suis resté un mois, moi je voulais être
maçon. J'ai su qu'il y avait une école de formation et pas
question de demander à mes parents de me payer la pension. Je ne voulais
pas qu'ils payent. Au bout d'un mois, j'ai dit « je vais rester dans le
bâtiment, je vais faire menuisier ». J'ai fait mes trois ans,
j'étais premier du département ! J'avais appris à faire
les escaliers avec un maçon, j'ai demandé à faire une
quatrième année volontaire, rien que de la pratique, de
l'atelier. Je voulais rentrer dans une entreprise pour faire des escaliers. Il
fallait que je rentre dans une entreprise de charpente. Très peu de
menuisiers faisaient des escaliers à l'époque. C'était le
secret professionnel. Dans un atelier, il y avait le traceur, c'était le
patron ou le chef d'atelier, et les autres faisaient les assemblages, le
montage mais ils n'avaient pas le droit de regard pour apprendre à
tracer. A l'époque les patrons interdisaient qu'on leur vole le secret
de la fabrication. [...] Pour faire honte au gars, on cassait la porte qui
avait un défaut devant tout le monde. [...]. Pour l'escalier, il fallait
changer de métier. Un jour, il y a un artisan qui est venu voir mon
père [...] Je tournais en rond. Je n'avais pas de boulot. Il a dit
« j'ai des escaliers à faire » il m'a embauché comme
apprenti, il m'a payé comme apprenti la première année,
après mes quatre ans mais j'y suis resté parce que le soir de six
heures à huit heures, il m'a pris à la gorge avec son savoir.
Comme j'aimais le dessin, malgré qu'il ne me paye pas, je me suis mis
à faire le charpentier, j'ai changé de métier. ...] Je
suis resté deux ans chez ce patron. Il m'a envoyé aux cours du
soir chez les compagnons. Comme j'avais fait beaucoup de dessin au
collège, ça a été facile pour moi après de
faire du dessin. J'ai vite appris le métier de charpentier ».
Les cours du soir sont suivis par presque tous nos
témoins de l'Ouest, souvent au lycée Vial, la formation en classe
ou en atelier continue donc bien souvent assez longtemps après la fin de
la scolarisation traditionnelle334. Les membres de la «
deuxième génération » qui ont de bons
résultats scolaires parviennent relativement aisément à
quitter la condition ouvrière de leurs parents pour guigner une
situation plus enviable au niveau du salaire comme des modalités de
travail, devenant ainsi des petits fonctionnaires dans la poste, la police ou
l'enseignement. La réussite scolaire et l'accès au professorat
sont des facteurs décisifs de mobilité et de reconnaissance
sociale dans un pays où règne le culte de la méritocratie
et du concours. Pierre Milza est un bon exemple de ces enfants
d'immigrés italiens (il est issu d'un couple mixte donc d'un double
enracinement culturel) qui ont fait une carrière d'intellectuel
puisqu'il est devenu professeur. La question de l'influence de leurs
professeurs dans ce choix professionnel vient
334 Les exemples sont trop nombreux pour être tous
cités, nous nous contenterons donc de l'expérience de Maria
Cera-Branger :
« Je suis allée à l'école
jusqu'à dix-sept ans. J'ai obtenu le certificat d'étude en 1948.
Ensuite, j'ai pris une option secrétariat à l'école des
Halles. J'ai passé un brevet commercial en 1951, j'ai fait une
première année de sténodactylographe et puis après
j'ai rempilé pour faire une année de comptabilité en 1952,
mais celle là je l'ai faite en cours du soir après le travail,
à Vial ».
Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
donc aussitôt à l'esprit.335. Le
phénomène est courant : dans la famille Magni, des Italiens
originaires d'un village près de Bergame qui ont immigré dans le
Gers, cinq des neuf enfants du foyer sont instituteurs. Yolande Magni
résume cette situation en disant « l'Ecole Républicaine a
fait son oeuvre dans ma famille ! ». Cette carrière d'enseignant
implique un retournement de situation émouvant pour nombre de parents de
témoins. Ainsi, le père de cette famille a dit en pleurant
à l'un de ses enfants : « tu vas apprendre à lire aux petits
français ! »336. Cependant, cette forte ascension
sociale dès la « deuxième génération »
est assez rare, de plus, si elle semble relativement courante c'est en fait
souvent parce que les témoins interrogés sur l'école ont
particulièrement envie de s'exprimer sur le sujet lorsqu'ils ont
évolué dans ce milieu toute leur vie professionnelle et
lorsqu'ils sont le produit « parfait » de l'ascension grace à
la scolarisation.
Schema n° 1 : L'évolution
des structures scolaires françaises de 1918 à 1960337.
335 Pierre Milza raconte ainsi :
« Mon ami, Romain Rainero est professeur à Milan
et lui aussi fils d'émigré, mais a fait son retour en Italie
après la guerre. [...] il était Italien et j'étais
Français, et le contraire aurait aussi bien pu se produire. Nous
étions l'un et l'autre des produits hybrides de cette Ritalie aux
frontières fluctuantes » Dans P. MILZA, Op. Cit. (p.
286).
336 Le père d'un des enfants italiens devenus professeurs
:
« Il a fait l'EN, c'était quelque chose d'or du
commun, surtout pour un des nôtres, un fils d'ouvrier » Dans
« La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire
diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.
337 Schéma réalisé à partir de Y.
GAULUPEAU, La France à l'école, 1992, Paris (p. 124,
125).
Nous l'avons vu, le « nomadisme contraint »
entraîne le migrant et sa famille sur les chemins d'un exil permanent qui
ne facilite pas l'intégration. Hors, chez l'enfant, Français ou
non, le sentiment d'appartenance à son école est non seulement un
phénomène récurrent mais aussi un vrai besoin et une
première reconnaissance identitaire du pays qui l'accueille pour
l'élève étranger. Le sentiment d'appartenance des enfants
de migrants au milieu scolaire est intimement lié au
développement de la socialisation. L'appartenance à
l'école apparaît ainsi souvent, dans les témoignages, comme
un premier pas vers le sentiment d'être français. En effet, nous
pouvons nous interroger sur l'influence de l'institution scolaire sur
l'impression d'appartenir à la nation française
développée par les Français d'origine italienne.
CHAPITRE 3 L'ECOLE A-T-ELLE UNE INFLUENCE SUR LE
SENTIMENT D'ETRE FRANÇAIS ?
Les constantes concernant le séjour à
l'école et sa corrélation avec le sentiment d'appartenance ont
attiré notre attention. La masse de documents (témoignages,
biographies et autobiographies) étant très importante, notre
étude ne peut prendre en compte l'ensemble des souvenirs d'enfants de
migrants. Cependant, nous cherchons à être le plus précis
possible en rapportant des exemples, parfois contradictoires, en tentant de
comprendre les cas particuliers et en expliquant pourquoi nous nous trouvons
face à ces « exceptions ». Il n'y a effectivement pas qu'une
manière spécifique d'investir son appartenance nationale.
Dans son article consacré à l'appartenance
nationale des Français d'ascendance étrangère,
Marie-Laetitia Des Robert-Helluy, sociologue et directrice de l'IEP de Paris,
définit le sentiment d'appartenance comme la « certitude
partagée par un individu d'avoir à projeter une part plus ou
moins substantielle de son histoire de vie dans une portion d'espace-temps
commune aux membres du groupe »338.
Les études sur l'intégration des immigrés
par l'école souffrent de l'influence d'une idée reçue,
que, poursuivant ainsi la démarche de Gérard Noiriel, nous nous
empressons de dissiper. Ce présupposé prétend que l'Ecole
aurait été jadis facteur d'intégration des jeunes
d'origine étrangère et qu'elle ne serait plus aujourd'hui en
mesure de mener à bien cette ambition républicaine. La
problématique est plus complexe : au sein de la même analyse
historique, il nous faut aborder de façon couplée les
problèmes d'intégration et d'exclusion. C'est la technique
d'étude qui est ici abordée pour se faire l'idée la plus
juste possible de l'influence qu'a pu avoir l'Ecole sur le sentiment
d'être Français. Prétendre qu'il existe une
intégration dans le creuset français évidente et totale
des immigrés jusqu'aux années soixante n'est effectivement pas
tout à fait juste. Il convient d'émettre des réserves
à cette affirmation récurrente de nombreux médias et
groupes politiques. En tout cas, nous verrons que cette intégration ne
se fait pas sans souffrance.
I). La volonté d'être français.
La gêne liée aux origines transalpines, les
difficultés traversées à l'école par ceux dont le
patronyme ne sonne pas français, ont pu se manifester par des refus de
la part des Français d'origine italienne de témoigner de leur
expérience.
Les témoins qui ont accepté l'entretien
remarquent souvent qu'ils ont, dès l'école, souhaité
être Français. Cette constatation fréquente s'accompagne
d'exemples forts du souci des jeunes d'origine italienne à ne surtout
pas montrer de traits communs avec un pays auquel ils ne souhaitent pas etre
associés. En témoignent l'exemple de WM et d'Albert Uderzo qui
transformaient leurs patronymes italiens pour en faire des noms « bien
français [...] pour etre intégré plus rapidement
»339 : « Inscrit à l'état civil par erreur
sous le nom d'Alberto à cause de l'accent de mon père, je rayais
sur les papiers le « o ». Aujourd'hui, j'aimerais bien qu'on
m'appelle Alberto »340. Pierre Milza évoque, dans ce
même processus de distinction avec les aspects italiens de leur
identité, ces fils et filles d'immigrés qui utilisaient un «
passeport corse » pour la même raison que celle invoquée par
WM ou par Albert Uderzo341. La démarcation avec l'Italie
était ainsi justifiée comme le préalable nécessaire
à l'intégration dans le nouvel environnement. A ces
réactions, les témoins donnent différentes explications :
tantôt, ils expriment leur certitude que l'appartenance est
nécessaire puisqu'ils savent qu'ils vont faire leur vie en France. Plus
souvent, ils émettent l'hypothèse que l'école
républicaine était une mécanique bien huilée pour
leur donner la volonté d'être une part de la nation
française.
A). Le patriotisme à l'école : une
volonté de « convertir » l'enfant de migrant à la
société française ?
Gardons nous cependant de faire ici preuve d'un
irénisme rétrospectif déplacé : l'image de
l'école, si elle a effectivement joué un rôle non
négligeable au coeur du processus d'intégration des familles de
la péninsule italienne, a parfois laissé des souvenirs
extrêmement
339 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte
Marguerite).
340 Entretien entre Laurent Gervereau et Albert Uderzo.
L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France.
Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 55).
341 P. MILZA, Op. Cit. (p. 493).
douloureux dans les mémoires des enfants d'Italiens.
Outre leurs difficultés de départ, leurs handicaps liés
à l'apprentissage du français, les enfants des migrants se
heurtent souvent à un patriotisme dont ils sont exclus, et ce dans la
cour comme dans le contenu des enseignements.
Le terme « patriotisme " est issu du mot latin «
pater " qui signifie « père ". Gette notion se caractérise
par un sentiment d'appartenance à la patrie. Get attachement renforce
l'alliance au nom de valeurs communes du groupe de ceux qui appartiennent au
pays. On distingue la terminologie du patriotisme du terme de chauvinisme, qui
en est la manifestation excessive. Le nationalisme, quant à lui, est
davantage une idéologie politique. Or, les instituteurs sont loin
d'être toujours « patriotes " puisqu'il existe aussi, dans la
corporation des maîtres d'école, une forte présence du
courant pacifiste, voir antimilitariste. Signalons ainsi qu'en 1935, au
congrès de la Fédération Unitaire d'Angers, un grand
nombre d'enseignants syndiqués acclameront la formule «
plutôt la servitude que la guerre ". Les discussions autour du pacifisme
seront aussi très présentes au congrès de 1938. Gependant,
on observe que globalement, le patriotisme est très présent dans
les leçons, et ce particulièrement pendant la guerre. C'est du
moins à cette période que les prises de position des enseignants
dans les salles de classe, qu'ils soient particulièrement patriotes ou
qu'ils revendiquent leur pacifisme, se font plus fréquentes.
Entre 1935 et 1955, on remarque que « les impressions
d'enfants et de jeunesse sont toutes imprégnées d'un patriotisme
jovial et mythique [...]. La socialisation nationale a opéré de
façon redondante et convergente au sein des familles, à
l'école, au catéchisme et dans tout l'environnement social " 342
. En effet, le patriotisme occupe une place centrale dans la scolarisation de
l'élève. Le maître, dans sa formation à l'Ecole
Normale reçoit lui-même un enseignement patriotique. Nous l'avons
vu plus haut, l'amour de la France est véhiculé par
l'apprentissage de l'histoire, de la géographie et de l'instruction
civique. La présence très claire d'une volonté de diffuser
une image positive de la France est bien présente dans les instructions
officielles. Que disent exactement du patriotisme les professeurs dans leurs
leçons ? Quel est le ressenti des jeunes immigrés face à
cet enseignement élémentaire ? Ge patriotisme, diffusé par
les maîtres, a-t-il contribué à l'attachement à la
France ? L'enseignement de l'Histoire, tout particulièrement, concentre
les critiques. Gertains instituteurs militeront même pour sa suppression,
en tant qu'ils considéraient qu'il était le reflet des ambitions
patriotiques qui poussaient le pays dans la guerre et que, par ailleurs, cette
matière avait tendance à exclure les
117 jeunes d'origine étrangère. C'est le cas du
militant pacifiste Gaston Clémendot qui exprime dès 1924 son
refus d'enseigner l'Histoire à ses élèves :
« L'oubli est la première condition du
désarmement des haines, la première condition de la paix. Et,
l'Histoire c'est le contraire de la paix ».
Jusqu'au début des années 1920, Gaston
Clémendot est ainsi partisan d'une modification de l'enseignement de
Histoire à l'école. Elle doit être impartiale, méme
s'il se déclare conscient qu'un tel objectif est délicat à
mettre en place dans une Institution scolaire où la patrie domine. Il
développe ensuite le constat de l'impossibilité de l'enseignement
de l'Histoire aux élèves de moins de douze ans343.
La représentation de l'Italien faite par le professeur
comme par les livres d'histoire souffre souvent de l'idée d'une
supériorité du Français sur sa soeur latine. Dès
lors, le portrait peu flatteur des personnages historiques italiens va-t-il
pousser l'élève « étranger » à s'inclure
dans le patriotisme ambiant ou à s'en exclure d'office ? On remarque
que, globalement, les témoins adhèrent aux idées qui
reflètent une image valorisante de la nation française.
Marie-Laetitia Des Robert-Helluy observe ainsi que « la sacralisation de
la France, en particulier par la médiation de l'Histoire opère
pour le plus grand nombre quelle que soit la diversité des ascendances
familiales »344. En effet, la plupart des témoins
interrogés n'abordent pas d'eux-mêmes la question du patriotisme
dans leurs leçons, si on les interroge sur le sujet en revanche, tous
remarquent que l'amour de la France était véhiculé dans
les leçons mais la plupart d'entre eux semblent l'avoir bien vécu
:
« Nous vivions bien le patriotisme : j'étais à
l'école après la guerre 1939-1945 »345.
(à propos du patriotisme) « On est en France, moi,
je trouve ça normal. L'Histoire de France, je trouve ça
incontournable. [...] En primaire, c'était les Gaulois jusqu'à
Napoléon III, on ne parlait jamais de l'Italie, méme pour la
Renaissance. [...] On était contents parce que les Français
avaient battu les Italiens, quand on est jeune on se dit que la France a
rayonné sur l'Europe alors on est content ! »346.
« Je respectais ! Comme disait toujours mon père
« respecte le pays qui vous donne le travail et une vie meilleure »
».
343 Il ne parle que très peu d'immigration mais lorsqu'il
l'évoque, il dit que le retrait de l'apprentissage historique permettra
sans doute une meilleure ouverture vers la culture de l'élève
d'origine étrangère.
J. GIRAULT, « Instituteurs syndiqués et enseignement
de l'histoire entre les deux guerres », Cent ans d'enseignement de
l'histoire (1880-1981), Paris, 1984 (p. 139-155).
344M-L. DES ROBERT-HELLUY, « Des Français
parmi d'autres, de l'appartenance nationale des Français d'ascendance
étrangère », volume 23, n° 3 (2007) (p. 187).
345 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
346 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
118 On remarque parfois quelques menues réserves
à cette adhésion, comme dans le témoignage de Maria
Cera-Branger :
« Les leçons d'Histoire, c'était très
patriotique. Naturellement j'aurais aimé que le rôle de
l'Italie soit plus valorisé. L'Italie, on en parlait pas,
oui, ça m'a déjà mise mal à l'aise ça
»347.
Néanmoins, la grande majorité des témoins
interrogés dans le cadre de ces recherches expriment avec chaleur leur
reconnaissance pour le pays nourricier qui a accueilli leur
famille348. Ces entretiens montrent que, malgré les
difficultés qu'ils ont connues pour s'intégrer, malgré
l'exploitation de leurs parents dans des emplois dangereux et
sous-payés, leur fidélité à l'égard de la
France est totale. Cet attachement s'accompagne régulièrement de
vives critiques de l'Italie, ces reproches, cependant, se feront moins ardents
après la Seconde Guerre mondiale.
Le sentiment national tire d'une certaine manière son
origine d'une forme d'endoctrinement par l'école pour laquelle, non
seulement, être dans la norme c'est être Français mais
aussi, qu'être le gagnant des batailles, c'est être le
Français. Gardons nous des hâtifs jugements intégralement
négatifs sur l'éthique historienne de l'époque, cependant,
il nous faut préciser ici l'apparente propension des instituteurs de
notre période à valoriser tout particulièrement la France
et son rôle dans l'Histoire. Dès lors, l'inclination forte
à se « déclarer » totalement Français est
courante, méme si, nous le verrons, l'aspect inverse, c'est-àdire
l'affirmation de l'identité italienne, n'est pas absente des
témoignages.
Ceux qui bénéficient d'une double culture ont
globalement tendance à aller naturellement vers l'adoption plus franche
du mode de vie français. A ceci, plusieurs explication : l'immigration
étant plus couramment masculine, c'est habituellement la mère qui
est française au sein des couples mixtes, or, c'est aussi, dans les
années 1935--1955, surtout elle qui s'occupe de l'éducation des
enfants :
« Fréquemment, dans le couple que formaient nos
parents, la femme a été amenée ainsi par les circonstances
à tenir le gouvernail, donc à imposer sa culture en
marginalisant, ou en gommant purement et simplement celle du père, avec
l'assentiment plus ou moins tacite de ce dernier »349.
347 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
348 « Je me sentais Français parce que j'avais
un père qui avait un respect total de la France. Il ne fallait pas lui
en parler mal. Un pays qui nous avait accueilli, donné la
possibilité de pouvoir vivre sans trop de problèmes malgré
que c'était un peu la galère... ».
Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
349 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p.
493).
François CAVANNA et COLUCHE (orphelin de père
à deux ans), tous deux issus d'une mère française et d'un
père italien, connaîtront sensiblement ce même souci
d'afficher, à l'adolescence, une « ritalité » jusque
là dissimulée, consciemment ou inconsciemment.
119 Elevés en France, en français et à
l'école française, la disposition à investir, presque
uniquement, le « côté français » est
fréquente350 bien que difficile parfois à faire
accepter des autres élèves. François Cavanna, portant le
nom d'un maçon lombard et ayant bu la francité avec le lait
maternel d'une mère morvandelle, verbalise ainsi l'étrange
dichotomie de sa situation d'enfant d'un couple mixte :
« Pour les Ritals, je suis un bâtard plus qu'à
moitié français, mais pour les Français, pas de
problème, ils me traitent de macaroni 351 ».
L'élève Français, au sein de l'espace de
discussion que représente la cour de récréation, met
parfois en avant son appartenance prétendument totale à la nation
française, excluant ainsi ses camarades issus de familles
immigrées. L'attitude est fréquente chez nos témoins,
Pierre Milza relate ainsi la naissance du sentiment patriotique comme, en
grande partie, due à la récréation :
« J'étais tricolore jusqu'au bout des ongles. On
m'avait appris à l'école - plutôt dans la cour de
récréation qu'en classe - que les « macaronis » (on ne
disait pas encore les « ritals ») nous avaient donné un coup
de poignard dans le dos en 1940 et je ne me sentais en rien un macaroni
»352.
Mario Merlo, né en 1934 et scolarisé à
Nantes adopte sensiblement la même attitude avec ses camarades :
« On avait un raisonnement d'enfant. Des chansons contre
les macaronis j'en ai entendues [...] les gamins ne savaient pas que
j'étais italien, mais ça me faisait mal au coeur. Entre gosses on
ne parle pas de nationalités mais... [...] On était pris pour des
macaronis. Avec Mussolini on était mal vus... à tel point que,
pour me sentir un peu plus français que les autres, plus tard, j'ai fait
la guerre d'Algérie. Je voulais prouver aux autres que j'étais
français, que les tireurs au cul, ce n'était pas mon genre
»353.
350 Pierre Milza explique ainsi, évoquant sa propre
expérience :
« Façonnés par l'école de la
République, élevés dans le souvenir glorieux de la Grande
Nation, nourris de la geste des grandes figures qui ont fait la nation
française, et aussi psychologiquement structurés autour d'un
modèle qui privilégie les vertus viriles et les valeurs
guerrières, nous avions en tête une hiérarchie des peuples
fondée sur ces qualités plus ou moins sublimées. Or, dans
le portrait-robot de l'Italien dont était porteuse la mentalité
collective des Français, le trait était plutôt mis sur la
douceur et la gentillesse dans le meilleur des cas, la traîtrise et la
lâcheté dans le pire, que sur les vertus qui font les grands
peuples ».
Dans P. MILZA, Op. Cit. (p. 491, 492).
351 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37).
352 P. MILZA, Op. Cit. (p. 9).
353 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
120
De même, Danira Titonel, née en Italie et
scolarisée dans le Lot-et-Garonne, explique elle aussi, en 1997, son
fort sentiment d'appartenance à la France :
« Moi, je ne me suis jamais sentie italienne, je me suis
toujours sentie française et d'ailleurs je n'étais jamais
allée en Italie jusqu'à l'an dernier »354.
Les retours, les vacances « au pays », ont un impact
conséquent sur l'impression ou non de faire partie de la nation
française.
B). Le contact avec les autres étrangers de
l'école : une volonté d'être « plus Français
que les Français » ?
Par ailleurs, il est courant que le jeune d'origine italienne
se moque à son tour d'un autre étranger de l'école,
souvent plus fraîchement arrivé, ou déjà
raillé par d'autres élèves - peut-être parce qu'issu
d'une société dont la culture est jugée comme plus
éloignée de celle de la France. Nous retrouvons beaucoup de
Belges, en France depuis l'avant-guerre pour la plupart, des Russes et des
Polonais, souvent de confession juive et quelques élèves
originaires des Balkans arrivés à la fin des années
trente.
Le nomade d'autrefois, aujourd'hui sédentarisé
et intégré, a tendance à mettre en avant sa «
francité » pourtant récemment « acquise
»355. Dans son roman, Pays-Haut, Anne-Marie Blanc fait
ainsi le récit de ces nouveaux arrivants Polonais qui prendront le
relais des Italiens à la place inconfortable de souffre-douleurs
à l'école356. Une fois de plus, François
Cavanna nous fournit, lui aussi, un bon exemple de ce que peut être
l'attitude d'un élève d'origine italienne face aux autres «
exclus » de son entourage. Dans son travail d'immersion au coeur de ses
sentiments d'enfant, l'auteur exprime ainsi sa vision négative d'alors
envers un Algérien, expliquant que : « les Sidis ça ne peut
pas travailler. C'est trop feignant. C'est pas de leur faute, c'est la race qui
est comme ça »357. Cette vision des travailleurs en
provenance d'Algérie est même assez diffusée au sein des
milieux intellectuels. Du moins, dans ces sphères, on n'hésite
pas à établir un classement dans l'assimilabilité des
immigrés de l'Hexagone. Ainsi Alfred Sauvy, figure
354 Retranscription de l'interview de Danira TITONEL,
Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.
355 P. MILZA, Op. Cit. (p. 330).
356 « Les garçons [...] se continrent jusqu'au
jour où les Polonais prétendirent leur ravir la tête des
classes. Alors, dans un bel élan d'émulation À jaloux ?
Vexés ?- les Français et les Italiens s'unirent pour faire la
guerre aux Polonais ».
Dans A-M. BLANC, Pays-Haut, Metz, 1988 (p.336, 337),
cité par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 330).
357 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 35).
121 emblématique des démographes
sollicités à la Libération, déclare qu'« un
Italien s'adapte plus facilement qu'un Arabe ». Il met cette
différence d'intégration sur le compte de « l'influence du
milieu »358. Par ailleurs, les Russes sont, eux aussi,
jugés comme des étrangers « à part » mais, la
plupart du temps, de façon, cette fois, positive :
« Les Russes c'est pas des étrangers. Ils font des
métiers de Français. Les Français ne les méprisent
pas, ne se foutent pas de leur gueule à l'école. C'est eux qui
méprisent les Français. Il paraît que c'est tous des
princes et des marquises et qu'ils se sont sauvés à cause des
Bolcheviks qui tuaient tous les aristocrates. Les Français ne les aiment
pas beaucoup, les Français n'aiment personne, mais on sent qu'ils ont de
la considération parce que c'est pas des vrais pauvres mais des gens
riches qui ont vécu des choses très tristes comme dans les
feuilletons »359.
Si le jeune François Cavanna fait une distinction nette
entre les Russes immigrés en France et la communauté italienne
à laquelle il appartient 360 , il fréquente cependant
ces camarades soviétiques361. Dans les témoignages
analysés nous n'avons pas encore trouvé d'Italiens exprimant leur
solidarité à l'école avec les autres étrangers. Il
semble, au contraire, que la norme soit plutôt de jouer des coudes pour
atteindre la place la moins mauvaise dans l'estime des camarades et des
professeurs français.
Même au sein de la communauté italienne, les
élèves font des distinctions. Avec fierté, l'Italien du
Nord dénigrera ainsi parfois le méridional.
358 « En 1945, la volonté d'instaurer un fort
contrôle de l'Etat sur la politique de l'immigration nécessite
pour le gouvernement provisoire de disposer d'une expertise susceptible de
prévoir et d'anticiper cette « nouvelle politique ». Les
démographes sollicités au sein du Haut Comité de la
Population et de la Famille ont déjà tous participé,
à des titres divers, à des organismes officiels mis en place
durant l'EntreDeux-guerres et sous Vichy ».
Cité par A. SPIRE, « un régime
dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques
française et italienne d'immigration/émigration » dans M-C
BLANC-CHALEARD (dir) Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003.
(p. 42).
359 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 36).
360 « Ils sont marrants, ces gens-là, ils foutent
l'argent en l'air pour des conneries, et pourtant ils sont aussi pauvres que
nous, mais je ne sais pas comment ils se démerdent, même tous
dégueulasses pleins de trous, ils ont pas l'air petit monde comme nous
autres qu'on est pourtant bien propres, bien reprisés ». Ibid
(p. 36).
Je connais bien Litvinoff et les frères Lichkine,
c'est des copains d'école, je suis même allé chez
361 «
eux ».
« J'étais dans la classe de M. Cluzot, à
côté de moi, à la même table, il y avait un Russe, il
s'appelait Chendérovitch. A la table de devant, il y avait deux Russes,
à la table de derrière, deux autres ».
Ibid (p. 36).
122 « Silvio est tout fier de raconter ça, et les
autres sont contents aussi, ils se marrent. Il y en a toujours un pour dire
sentencieusement : « l'Italien del Norde, il vient en Franche fare le
machon. L'Italien del Soud, il va en Amérique fare le ganchetère
"362.
L'homme du Sud est donc, lui aussi, un « étrange
étranger ", situation qui n'apparaît pas illogique dans une nation
aussi jeune que l'Italie. Cette distinction est même diffusée au
sein du discours démographique. Là encore, le recours à
l'enquête, cette fois ci datant d'avril 1946, d'Alain Girard et Jean
Stoetzel est intéressant. Ils concluent, à l'issu de leur
étude, que « priorité doit être donnée à
une immigration de parents ou d'amis d'Italiens déjà
établis en France, recrutés de préférence parmi les
originaires des provinces du nord, en particulier du Piémont, de
Lombardie et de Vénétie "363. De même, Alfred
Sauvy, secrétaire général à la famille et à
la population en juillet 1945, se range du côté des partisans d'un
accord de main d'oeuvre ItalieFrance avec des exigences géographiques
d'embauche : « Tant au point de vue de sa valeur comme main d'oeuvre que
de sa qualité sociale, on s'accorde à reconnaître que
l'Italien du Nord l'emporte de beaucoup sur l'Italien du Sud
"364.
Toujours au sein de la problématique des insultes
contre les différentes communautés présentes à
l'école, il nous faut souligner que les juifs sont aussi souvent les
« boucs émissaires " des autres écoliers365. Cet
antisémitisme démontre avec certitude, si besoin était,
que les Italiens ne sont pas les seuls à être moqués.
Pourtant, peut-être est-ce dû à leur impondérable
manque d'objectivité, les témoins se déclarent souvent
comme uniques victimes, ou, du moins, comme souffre-douleur
privilégiés, des camarades comme des enseignants : « comme
étrangers mal piffés, y a que nous, les Ritals. C'est nous qu'on
éponge tout »366. Le relais opéré par
d'autres arrivants accélèrera, souvent à leur insu
d'ailleurs, l'intégration des enfants d'immigrés transalpins.
Dans son article publié dans la revue du CEDEI, « La Trace ",
Marie-Claude BlancChaléard souligne que les autres étrangers sont
particulièrement nombreux dans les quartiers
362 Ibid. (p. 50).
363 INED, Une possibilité d'immigration italienne en
France, collection « Travaux et Documents ", Cahier n° 4, Paris,
1947.
Dans M-C BLANC-CHALEARD (dir) Les Italiens en France depuis
1945, Paris, 2003. (p. 45).
364 Lettre du 27 juillet 1947 de M. SAUVY à M. BOUSQUET
(ministère des affaires étrangères), Dans M-C
BLANC-CHALEARD, Ibid. (p. 44).
365 « Français, Ritals, les Russes s'en
foutent. [...] Eux, ce qu'ils peuvent pas piffer, c'est les juifs. [...] J'ai
vu que Chedérovitch n'était pas un Russe comme les autres. [...]
Ils lui disaient tout le temps « sale juif !», « fumier de
youpin pourri !». Ils lui balançaient des vacheries en russe qui le
faisait chialer ou le foutait dans des crises de rage épouvantables.
Alors, il cassait tout, leur tapait dessus, criait comme un fou, mais eux
évitaient les gnons, ricanaient et se tapotaient la tempe avec le doigt.
Ils me disaient : « il est dingue. Tous les juifs sont dingues »
».
Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 36-37).
366 Ibid. (p. 37).
parisiens (à Sainte Marguerite, on excède
largement la moyenne de 6 à 8 % de l'ensemble du système
scolaire, les étrangers étant, en moyenne cinq à six par
classe de trente à quarante élèves, dont souvent moins de
trois Italiens)367. Dans la banlieue parisienne comme dans l'Ouest
de la France, les tendances au ghetto italien observées dans la Lorraine
sidérurgique ou dans certains quartiers de Marseille sont très
rares.
C). L'égalité sur les bancs de
l'école.
Nombreux sont les témoignages louant un ou plusieurs
enseignants dont l'influence fut capitale dans les orientations
professionnelles et politiques de leurs jeunes élèves. A un
âge où seules les fondations sont réellement en place et
où une bonne part de la personnalité reste à bâtir,
l'importance de ces « constructeurs d'idées », que sont les
professeurs, est évidente.
Toutes les instructions aux enseignants que nous avons pu
consulter expriment, lorsqu'elles abordent le sujet, l'importance de
considérer tous leurs élèves de la méme
manière. Selon Marie-Claude Blanc-Chaléard, cette attitude est
d'ailleurs totalement effective à Paris. Elle précise que «
la seule différence qui soit consignée dans les
appréciations a trait à l'intelligence »368.
C'est aussi l'impression que donnent les critiques des professeurs aux
élèves de la rue de la Plaine, à Paris dans le XIe
arrondissement. Nous ne relevons aucune discrimination dans les
appréciations des instituteurs, en revanche, on y perçoit sans
peine, derrière la rédaction très administrative, les
difficultés des enfants de migrants369. Cependant ces sources
se situant dix ans avant notre période, elles ne témoignent pas
vraiment des critiques qui purent être émises entre 1935 et 1955.
Une attitude dubitative face à la rédaction académique et
prudente des appréciations semble, en tout cas, justifiée. Si
l'Ecole de la République porte comme on hisse un drapeau la valeur
d'égalité, les discriminations ethniques, nous l'avons vu, ne
l'épargnent pas pour autant.
Cependant, le sentiment d'égalité semble
être présent dans la plupart des témoignages oraux
rétrospectifs comme dans les biographies et autobiographies. Il semble,
à ce point de notre
367 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens à l'école
primaire française : l'exemple parisien, Paris, 1991, (p.9).
368 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 417).
369 « Interruption de scolarité pour un voyage en
Italie. Turbulent, mais bon partout. Placé à la campagne par
l'Assistance publique. »
Instituteur de Bédonia dans le registre de matricule de
l'école de garçons de la rue de la Plaine, inscrits en octobre
1923, dans M-C BLANC-CHALÉARD, Ibid. (p. 417).
124 étude, nécessaire de s'arrêter quelque
temps sur les exemples de témoignages évoquant ce sentiment
quasi-général d'égalité sur les bancs de
l'école. Marie-Claude Blanc-Chaléard rapporte ainsi les propos
des personnes qu'elle a pu interroger. Rina Raumer lui explique :
« Non, il n'y avait aucun problème... Les
institutrices ont toujours été très gentilles avec moi.
C'était comme les autres »370.
Sentiment d'ailleurs confirmé par Nuncio Titonel
scolarisé dès 1924 dans le Lot-etGaronne :
« On a fait une scolarité de petits
Français plus que d'immigrés. On n'a pas eu tellement le stress
des étrangers en France dans un pays hostile. Au contraire. [...] Nous
avons été, avec ma soeur, les deux premiers élèves
de maternelle et, je l'ai souvent dit mais c'est vrai, on a été
plutôt une curiosité pour les autres camarades et les enseignants
qu'un rejet »371.
Quant à René Maestri, qui fut élève
à Montreuil, sa critique de l'Ecole française est encore plus
dithyrambique :
« On se retrouvait en classe avec des maîtres qui
n'ont jamais fait de discrimination. L'école laïque avec un grand
L, c'est formidable ! »372.
Parlant son école privée de Doulon, à
Nantes, Mario Merlo, aboutit lui aussi, à la conclusion d'une
égalité manifeste sur les bancs de l'école : « Mes
instituteurs étaient neutres, ils étaient éducateurs [...]
Je n'ai jamais vécu d'épisodes violents à l'école :
j'étais bien, à l'abri. [...] C'était d'une
neutralité complète »373.
Marie Claude Blanc-Chaléard souligne que la question de
l'égalité à l'école paraît souvent
étonnante aux yeux des enfants de migrants interrogés. De
même, nous retrouvons dans les souvenirs d'école de
François Cavanna, une impression de justice au sein de la classe. Dans
L'oeil du lapin, il fait ainsi l'éloge de l'attitude de Madame
Grenier, son institutrice de maternelle, qui, plaçant les enfants selon
leurs résultats, évinça son propre fils de la meilleure
place pour y installer le jeune François, élève exemplaire
tout au long de sa scolarité374.
Par ailleurs le rapport de 1951 d'Alain Girard et Jean Stoetzel
confirme les impressions fournies par les sondages de 1947 et 1949 et affirme
:
370 Témoignages de Rina RAUMER,
Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000 (p. 418).
371 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL,
Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.
372 Témoignages de René MAESTRI,
Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Op. Cit. (p. 418).
373 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
374 F. CAVANNA, L'OEil du lapin, Paris, 1987 (p. 22).
« Les étrangers jouissent des mêmes droits
que les Français et ils sont particulièrement sensibles à
cette égalité qui leur permet de donner à leurs enfants,
gratuitement, une instruction au moins égale, et souvent
supérieure à celle qu'ils ont reçu en Italie ou en
Pologne. Les rapports avec les maîtres et les camarades sont, en
règle générale, excellents : les enfants ignorent les
distinctions de nationalité. Les très rares incidents
signalés se produisent le plus souvent dans des périodes de
tensions internationales »375.
Cette méme enquête évoque les jeunes
élèves d'origine italienne du Lot-et-Garonne, enfants de
cultivateurs.
« Les enfants d'age scolaire fréquentent
l'école française... On garde une impression
générale d'excellents rapports des maîtres avec ces enfants
et avec leurs familles, rien en tout cas qui distingue ces enfants de leurs
condisciples français. D'une manière très
générale aussi, les rapports entre camarades des deux
nationalités sont excellents : rien ne semble distinguer à
l'école les enfants des immigrés italiens
»376.
Ces enquêteurs sont presque tous instituteurs, il semble
donc nécessaire de tempérer cet apparent « paradis scolaire
». Si les témoignages des enfants d'immigrés
révèlent parfois leur extreme susceptibilité, la
subjectivité des auteurs de ce rapport est aussi à remettre en
question.
Par ailleurs, l'idée des nécessaires pratiques
égalitaires de l'Ecole républicaine entraîne aussi la
formation d'un moule scolaire unique qui peut sembler liberticide et donc
critiquable à bien des égards. Ce postulat de départ de
l'égalité sur les bancs des classes peut en effet transformer
l'intégration en un conformisme comportemental.
D). Des facilités à « franciser »
les immigrés italiens ?
· Existe-t-il une identité italienne
préalable à l'identité française des jeunes
d'origine italienne ?
Si l'Italien arrivant en France n'est évidemment pas
une « page blanche », s'il arrive avec son bagage spécifique
comme tout migrant, il n'en possède pas moins une
spécificité qui, on peut en émettre l'hypothèse, le
rendrait plus enclin à être « francisé ». En
effet, le sentiment d'appartenance à la nation de départ est,
pour les Transalpins de l'époque, un phénomène
récent, datant probablement des guerres du Risorgimento au milieu du
XIXème siècle. L'émigration a
375 A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et
immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des
Polonais, Paris, 1953 (p. 79).
376 Ibid. (p. 349).
en effet précédé une réelle «
nationalisation » du peuple italien. Cet hésitant sentiment
d'appartenir à la nation offre une caractéristique
particulièrement révélatrice : peu nombreux sont les
parents de nos témoins à s'exprimer en italien « classique
». La grande majorité d'entre eux s'expriment en « dialetti
», leur appartenance identitaire est principalement régionale. Cet
attachement des Italiens à leur chapelle, les sociologues italiens
l'appellent le « campanilismo », et qui pourrait se traduire par
« l'esprit de clocher » en français. C'est un
phénomène extrêmement courant, et ce, y compris dans les
discours tenus par leur descendance pourtant parfois née en France.
Effectivement, l'identité affirmée semble d'abord locale. Ces
observations sont assez faciles à expliquer : outre la jeunesse
précédemment évoquée de la nation italienne, la
Péninsule est tout particulièrement multiculturelle, ainsi le
Ligure s'installant à Nantes ne ressentira guère plus de
dépaysement que le Sicilien parti chercher du travail à Milan :
ils connaissent tous deux les mêmes difficultés de langue, les
mêmes changements de climats, de paysages ou d'habitudes alimentaires et,
bien souvent, les mêmes réactions de défiance
xénophobe. En revanche, l'arrivée en France est souvent
caractérisée par la fréquentation d'Italiens du
méme village ayant suivi les mémes réseaux d'immigration.
Dès lors, ce lien ténu entre le migrant, et donc son enfant, et
l'idée d'appartenance à une nation italienne a, globalement,
tendance à laisser un « espace libre » à l'adoption
d'une autre identité. Cette caractéristique est fort bien
analysée par Pierre Milza qui explique que « le
phénomène de transculturation et d'agrégation des migrants
à la société d'accueil se pose moins à cette date
en termes de passage de l'identité italienne à l'identité
française que de mixage à l'échelle d'une aire culturelle
qui transcende assez largement la frontière des deux Etats
intéressés »377. En outre, l'habitude ancienne de
migrer de ces populations italiennes originaires des
micro-sociétés montagnardes, a plutôt tendance à
faciliter l'adoption du mode de vie de la terre d'accueil378.
Par ailleurs, le rejet de l'Italie est courant chez les
parents de nos témoins : fréquente est la peine des
immigrés se sentant abandonnés par l'Italie incapable de leur
offrir un travail, le ressentiment des migrants qui ont fuit leur terre
d'origine parce qu'ils estimaient que sa politique était inacceptable,
ou encore la colère de ceux qui n'eurent d'autre choix, poursuivis par
les milices fascistes, que de gagner la France. Dès lors, on remarque un
phénomène de deuil de l'Italie, transmis consciemment ou non aux
enfants, qui, sans nul doute a pu faciliter la « francisation » des
fils et des filles de migrants transalpins de la période 1935-1955.
377 P. MILZA, Op. Cit. (p. 471).
378 M-C. BLANC-CHALEARD, « Les Italiens dans l'est parisien,
les dessous d'une assimilation exemplaire », n° 13, décembre
2000 (p. 23).
. La mise en lumière d'une proximité de culture
entre l'Italie et la France
Il nous faut souligner que l'enseignement de l'Histoire a
aussi pu avoir des effets valorisants sur les jeunes italiens. Les professeurs
expliquent ainsi parfois à leurs classes le passé glorieux de la
Rome impériale.
Par ailleurs, il n'est pas rare que les enseignants cherchent
à mettre en avant le passé commun de la France et de sa soeur
latine ce qui aide à l'intégration des élèves
d'origine italienne, parfois au détriment des autres étrangers.
Ce thème de l'union latine permet d'exalter la parenté culturelle
et historique avec les migrants d'Outremont. La proximité des moeurs
entre les deux pays incline une majorité des jeunes transalpins à
intérioriser l'image du « presque même »379,
de « l'autre le plus proche »380, de l'étranger
plus facilement assimilable en somme. L'expérience de Cavanna est,
à cet égard, intéressante :
« A l'école, quand on a fait les Gaulois, Rome,
tout ça, le prof nous a expliqué la Gaule cisalpine. Tout le Nord
de l'Italie, c'étaient des Gaulois. Du coup, j'ai compris des choses.
J'ai compris pourquoi les Ritals de Nogent-sur-Marne et de toute la banlieue
Est parlent une langue plus proche du patois des paysans de la Nièvre
que du bel Italien de la méthode Assimil. [...] Ils avaient
déformé vachespagnolisé la langue du petit père
Cicéron juste de la même façon que devaient la
déformer, plus tard, après le coup en vache de Jules
César, les Gaulois de la Grande Gaule »381.
Le jeune François s'est ainsi aperçu que son
père, lorsqu'il parlait le dialecte de Piacenza, pouvait se faire
comprendre des maçons d'origine limousine avec qui il travaillait. Il
raconte son impression d'alors de grande proximité entre le patois
morvandiau de son grand-père maternel et le dialecte de son père
où l'on retrouve les diphtongues nasalisées.
Par ailleurs, les points communs entre les milieux familiaux
de nos témoins et leurs instituteurs se trouvent souvent dans le domaine
politique. Nous l'avons observé dans nos recherches sur les «
hussards noirs de la République », cette classe sociale
d'intellectuels est globalement ancrée à gauche. Or, certains des
migrants, dont les enfants ont été scolarisés au cours de
la période 1935-1955, ont fuit le fascisme, comme ceux de Walter
Buffoni, de sensibilité communiste, par exemple :
379 D. SCHNAPPER, « Centralisme et fédéralisme
culturels : les émigrés italiens en France et au EtatsUnis
», Annales ESC, n°5, septembre et octobre 1974.
380 J-C. VEGLIANTE « le problème de la langue : la
« Lingua Spacà » », acte du colloque franco-italien sur
« L'immigration italienne en France dans les années 20 »,
Paris, 1987 (p. 343).
381 F. CAVANNA, Les Ritals, 1978, Paris (p. 52).
« - Pourquoi vos parents ont-ils immigré
?
- Tout à la fois pour des raisons économiques et
politiques, mes parents étaient des antifascistes. Un frère de ma
mère a été assassiné par les milices
»382.
Remarquons cependant qu'en fait, peu d'immigrés
étaient amenés à parler avec les instituteurs de leurs
enfants, les considérations politiques, pour des raisons
évidentes, étaient généralement soigneusement
évitées lors des rares entretiens entre les professeurs et les
familles.
Même en dehors de l'école, est mise en avant
cette proximité de culture entre les deux voisins. En effet,
après la Libération dans les premiers travaux que l'INED consacre
à l'immigration, on expose l'idée d'un ordre de
préférence variant selon les groupes en fonction de
capacités d'assimilation relevant, à la fois de critères
culturels et de nationalité mais aussi, de considération sur les
origines ethniques. En fait, ce terme « d'assimilation » a longtemps
été seul à avoir cours dans les débats sur
l'intégration des élèves d'origine
étrangère. Au cours de la période que nous étudions
néanmoins, on commence à développer la théorie,
dans laquelle s'illustre le spécialiste de l'immigration Georges Mauco,
d'une distinction nécessaire entre peuples assimilables et non
assimilables, les Italiens faisant partie de la première
catégorie 383 . Il établit un classement des
étrangers selon leur degré « d'assimilabilité »
à la société française, les notant sur une
échelle de zéro à dix :
Graphique n° 2 : Le
degré d'assimilabilité des étrangers à la
société française
52
selon Georges Mauco, 1932
6,3
Nous pouvons donc observer que les ressemblances de langue et le
lien entre Histoire
65
ens
italienne et française ont pu être des facteurs
explicatifs d'une intégration globalement réussie,
73
s ,5
méme si il va sans dire qu'ils n'en constituent pas
l'unique explication.
382 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
383 G. MAUCO, Les Etrangers en France, leur rôle dans
l'activité économique, Paris, 1932.
E). La peur d'une identité nationale en péril
Les immigrés italiens qui arrivent en France sont
intégrés dans un système jacobin et « gallo centriste
": une seule langue est parlée dans les écoles de tout le pays,
les règles et les pratiques scolaires sont unifiées, etc.
L'idée de « nation à la française " est souvent
considérée comme une conception universaliste. L'individu
pourrait s'agréger au corps national à la condition d'en adopter
les coutumes. L'identité nationale de l'Hexagone est un moule qui
n'existe qu'en un unique exemplaire. Dès lors, on peut s'interroger sur
la place à laquelle peuvent prétendre des éléments
étrangers dans les institutions françaises et
particulièrement, c'est ce qui nous intéresse ici, dans
l'Ecole.
L'acculturation est un phénomène d'effacement de
la culture du migrant. La francisation a, elle aussi, une connotation
négative. L'image généralement véhiculée par
ces deux notions est, en effet, celle de l'ablation d'une part «
d'appartenance ", dès lors, l'identité nationale serait en
péril. Mais qu'est-ce au juste que cette identité presque
toujours évoquée par les témoins mais rarement
définie en termes précis ? En fait les médias comme les
responsables politiques ou le grand public ont bien des difficultés
à expliquer cette notion complexe. Ralph Schor, dans l'ouvrage
Français et immigrés en temps de crise, parle d'une
« conception intuitive et naturelle "384 et explique ainsi les
problématiques politiques posées par cette idée
d'identité :
« Pour les Français des années 1930, le
« trop plein " dont ils se plaignaient minait la civilisation
française dans son essence même. Cette crainte taraudait surtout
la droite traditionaliste et, dans une moindre mesure, les radicaux. Les
nationaux étaient très généralement
persuadés de la supériorité de leur culture. Ils voulaient
bien transmettre celle-ci et entreprendre, comme on disait alors, la «
francisation " des étrangers. Mais ils redoutaient que les nouveaux
venus, porteurs de valeurs et d'usages propres, ne vainquissent leurs
hôtes, trop tolérants ou trop ouverts aux apports allogènes
par snobisme. Les extrémistes pensaient même que les
immigrés avaient sciemment commencé une oeuvre de «
désintégration nationale " "385.
La compétition scolaire exprime, elle aussi, de
façon assez claire, le fait que l'élève se sente
concerné par le système national. Peut-on pour autant parler de
volonté d'être un des éléments de la nation
française ? Le témoignage de Pierre Milza, en tout cas, met
clairement en lumière l'influence de l'école sur son sentiment
d'être Français bien plus qu'Italien :
384 R. SCHOR, Français et immigrés en temps de
crise (1930 À 1980), Paris, 2004 (p. 61).
385 R. SCHOR, Ibid. (p. 64)
« J'ai vécu sur ce souvenir fabriqué d'un
père « étranger » qui aurait pu me détourner du
destin tricolore dont je me sentais investi. Entre douze et quinze ans, je
rêvais sur fond de scoutisme et de lectures épiques de gloire
militaire et maritime. Celle-ci ne pouvait être que française et
l'idée que je m'en faisais se nourrissait de cent épisodes
glanés dans les livres d'histoire et les prix de fin d'année que
l'école républicaine m'avait généreusement
attribués »386.
Les gratifications scolaires peuvent donc parfois être
synonymes d'adhésion aux visées patriotiques de l'enseignement. A
cet égard, il est intéressant de raconter cette anecdote,
révélatrice d'un certain malaise identitaire provoqué par
la dichotomie qui existe parfois entre la scolarité française et
le foyer italien. Marie-Claude Blanc-Chaléard raconte ainsi l'histoire
de ce peintre de Novare dont la fille, Jeanne Vecchio, est l'exemple type de la
bonne écolière. Un soir, cette élève de
l'école de la rue Paul Bert de Nogent, récite à sa
mère sa leçon d'Histoire du jour. Son père se lance alors
dans une diatribe contre l'enseignement prodigué à sa fille :
« Mais qu'est-ce qu'on leur apprend à l'école
! Tes ancétres c'est pas les Gaulois, ce sont les Romains, c'est Jules
César ! ».
Jeanne Vecchio raconte a posteriori (en 1994) :
« Cela m'a fait un choc, j'y pense encore aujourd'hui...
Je détestais Jules César qui avait fait plein de misères
à ce brave Vercingétorix, je pensais dur comme fer que mes
ancêtres étaient les Gaulois, et puis, c'était écrit
dans le livre, j'étais sure de mon affaire »387.
On retrouve sensiblement le même type de sentiment dans de
nombreux témoignages :
« L'Italie n'a pas gagné beaucoup de guerres.
Là je me sens français, à bloc, comme maman.
Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Guynemer388 et tout
»389.
« On était contents parce que les Français
avaient battu les Italiens. On était fiers ! »390.
Albert Uderzo, qui s'est plus tard illustré dans la
représentation humoristique des Gaulois, se rappelle lui aussi de
l'étrangeté de sa position par rapport à l'Histoire
française après sa naturalisation :
386 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p.
43).
387 Témoignage de Jeanne VECCHIO le 3 mai 1994,
Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000, (p. 425).
388 Georges Guynemer était un pilote Français de
l'armée de l'air durant la Première Guerre mondiale.
389 F. CAVANNA, Ibid. (p. 34).
390 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
« D'émigrés italiens nous devenons
français. J'apprends alors à l'école ma première
leçon d'Histoire de France sur « nos ancêtres les Gaulois
» ; je ne comprends pas tout de suite que jusqu'à présent,
mes ancétres étaient Romains, et que, par la magie de
l'Administration, ils sont devenus Gaulois »391.
Ces exemples montrent l'importance que revêt le chapitre
sur la guerre des Gaules et sur l'Empire Romain traité en classe pour
les jeunes d'origine italienne. L'enseignement de l'Histoire de France a
souvent un impact considérable sur les jeunes écoliers dans leur
volonté de faire partie de la nation française. Le «
dénigrement » de la nation italienne dont parle François
Cavanna est retrouvé dans différents témoignages.
D'ailleurs, Pierre Milza explique que « de ces Italiens
transplantés dans ce qui n'était pas encore l'Hexagone,
l'histoire n'a souvent retenu que ceux qui ont été
mêlés à des épisodes douloureux ou pervers
»392. Ainsi, les manuels scolaires évoquent, par
exemple, les banquiers lombards qui pratiquaient l'usure en des termes
très critiques. Cependant, l'exemple qui semble le plus évident
est celui de Mazarin dont les manuels dénoncent la duplicité, la
mauvaise foi, la malhonnêteté ou encore l'absence de scrupule.
Nous retrouvons évidemment le poids des sentiments
patriotiques diffusés en grande partie par les enseignants dans les
discours tenus par la seconde génération dans les
témoignages :
« On nous disait à l'école qu'il fallait aimer
son pays. Or, on n'arrêtait pas de me dire que j'étais un sale
italien. J'aimais l'Italie ! »393.
Les ressentis, concernant l'identité, sont presque
aussi nombreux que les témoignages. La construction identitaire et
mentale des jeunes italiens est un parcours semé d'embüches.
Parfois, l'élève d'origine italienne choisit le camp de sa patrie
d'origine, il se fait, nous le verrons, le partisan de l'Italie puisqu'il ne
peut être reconnu comme celui de la France. Cependant, pour Marianne Amar
et Pierre Milza, qui s'appuient sur les thèses de Ralph Schor, il semble
bien que l'école française ait joué son rôle
d'absorption des jeunes d'origine italienne. Pour eux, « l'école
est, en théorie, le lieu de l'intégration [...] l'apprentissage
culturel est une première porte ouverte sur la société
française, la création d'une mémoire partagée et
les prémisses d'un dialogue futur. Ces fonctions, l'école les
assure normalement pendant l'Entre-Deux-guerres [...] Le corps enseignant, dans
son ensemble, manifeste un évident esprit d'ouverture Aux chantres de la
discrimination, la République, l'école laïque ne
céderont pas »394.
391 A. UDERZO, Uderzo se raconte, Paris, 2008 (p.40).
392 P. MILZA, Op. Cit. (p. 59).
393 Témoignage d'Enzo BRUN dans M-C BLANC-CHALÉARD,
Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration
(années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 482).
394 M. AMAR et P. MILZA, L'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1990 (p. 108-109).
Il est vrai que la lecture des témoignages, biographies
et autobiographies soulignerait plutôt que ces enseignants permettent en
effet globalement à leurs élèves d'évoluer dans un
climat scolaire d'égalité. Cependant, la construction de
l'identité n'est-elle pas multiple et progressive ? Dès lors
comment concilier l'égalité sur les bancs de l'école et
l'affirmation nécessaire aux élèves d'une identité
? Effectivement, la vie de la famille connaît plusieurs grandes
étapes qui constitueront, chacune, différents parcours
d'identité. Ainsi, l'identité de soi comme les identités
sociales ou culturelles se construiront par des gradations individuelles ou
familiales telles que la location de l'appartement, l'obtention d'un travail
pour les parents ou encore la scolarisation des enfants. Ces phases
fondamentales de l'intégration sont, finalement, des données bien
plus aisées à calculer que le sentiment d'appartenance à
la nation, notion plus subjective et plus variable selon le contexte. En effet,
le sentiment d'appartenance est une donnée fluctuante. Marie-Laetitia
Des Robert-Helluy observe d'ailleurs que l'on peut séparer le sentiment
d'appartenance des natifs de 1913 à 1935 et celui de ceux nés
entre 1940 et 1955. Elle met ainsi en avant la forte consistance
mémorielle et historique explicite des premiers et la logique
d'affiliation nationale, surtout culturelle et implicite des
seconds395. En somme, les explications historiques au sentiment
d'appartenance à la France des populations d'origine
étrangère installées dans l'Hexagone ne valent vraiment
qu'avant la Seconde Guerre mondiale. Les ressorts culturels, en revanche, sont
plus facilement mis en avant durant la guerre et la décennie qui la
suit.
Il est aisé de constater que le sentiment national se
construit aussi par rapport à l'extérieur constitutif que
représente « l'Autre », autrement dit «
l'élément étranger », considéré comme
un individu fondamentalement différent, qui ne fait pas partie de la
même communauté ni ne partage de valeurs semblables avec la
population implantée de longue date sur le territoire hexagonal. Lorsque
ce sentiment d'appartenance à la nation est exacerbé, on est
parfois proche du phénomène qui consiste à affirmer un
certain universalisme totalitaire et destructeur, qui a pour objectif de
supprimer la diversité, et qui postule la supériorité
d'une civilisation sur une autre. Le modèle d'assimilation «
à la française » voudrait que la bonne intégration
dans la
133 nation tricolore aboutisse à la disparition des
éléments étrangers396. Du point de vue de
l'élément allogène exclu, si se « fondre dans la
masse " semble impossible ou trop difficile, il n'est pas rare que l'on observe
une tendance à développer ce que l'on peut appeler un «
sentiment de ritalité ".
II). Le sentiment de « ritalité ».
En effet, la réaction au patriotisme ambiant va souvent
constituer en une sorte de rejet de la France, ou, du moins, une revendication
des origines italiennes. A cet égard, le témoignage de G. C. B,
d'origine transalpine mais scolarisé dans le Sud-Ouest de la France est
particulièrement significatif :
« On s'est tellement battu pour l'Italie, dont on se
fichait en définitive, mais rien que le fait qu'on était
attaqué... c'était une agressivité que les autres enfants
avaient envers nous, que peut-être n'importe quels enfants avaient les
uns avec les autres. Bon, eh bien, on trouvait parce qu'on était
italien, que c'était une insulte. On s'invectivait, on s'insultait...
"397.
C'est ainsi que commence souvent le sentiment de «
ritalité " : par la relation avec l'autre écolier plus que par
une conviction intérieure et individuelle.
Avant d'entrer dans le vif du sujet de la sensation de «
ritalité ", il nous faut justifier l'utilisation du terme de «
ritalité ". Pourquoi, plutôt que de parler d'un éventuel
sentiment d'appartenance à l'Italie, avons-nous recourt à ce mot,
pourtant parfois assez polémique. Journaliste italien au « Corriere
della Sera ", Gian Antonio Stella s'essaye, dans son essai sur
l'émigration italienne, à une définition de ce terme de
« rital " :
396 Le colloque tenu à Phoenix est
particulièrement intéressant sur ces thèmes puisqu'il
livre l'opinion d'historiens américains sur les pratiques assimilatrices
françaises. Ainsi, par exemple, leur manifeste étonnement sur
l'assimilation juridique qui fait disparaître toute trace des origines
dans les documents officiels montre que la France se distingue dans cette
politique par rapport à un grand nombre de pays d'immigration.
« France for the French ? National and International
contradictions ", colloque réunissant les historiens américains
spécialistes de la France le 1er avril) 2000 à Phoenix
(Arizona).
397 Témoignage de G. C. B.
Dans M. ROUCHE, « un village du sud-ouest dans
l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens
à Monclar d'Agenais " CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris
15-17 octobre 1987.
« Spregiativo ma non troppo, era la contrazione di
franco-italien e veniva usato per sottolineare come l'immigrato italiano
oltralpe non riusciva neppure molti anni a pronunciare correttamente la «
r » francese »398. Mais c'est Pierre Milza qui explique
que « le mot « rital », expression même du mépris
dans lequel une partie de la population française a longtemps tenu les
Transalpins, a pris, adopté par les descendants de migrants, une
connotation positive »399.
A). Les moqueries des enseignants
Le sentiment de « ritalité », s'il est
souvent la conséquence de la culture et de l'éducation
inculquées à l'enfant d'origine italienne par sa famille et son
entourage transalpin, est aussi expliqué par les témoins comme le
résultat d'un sentiment de frustration provoqué par les moqueries
des enseignants de France. Effectivement, la reconnaissance du sentiment
régional, des particularismes locaux, ainsi que l'intégration
laborieuse des immigrés, sont souvent identifiées comme
étant des difficultés internes pour asseoir l'enseignement
républicain d'esprit fondamentalement « jacobin » et
basé sur un modèle centraliste.
Sur les témoignages recueillis directement dans le
cadre des recherches menées ici, il est très rare cependant que
l'on fasse le récit de moqueries des instituteurs concernant le
caractère italien des élèves. En fait, seul un cas parmi
la quinzaine de témoignages directs recueillis pour ce travail analyse
la critique de son professeur comme étant directement liée
à son origine transalpine. Marie-Claude Blanc-Chaléard explique
quant à elle que c'est à Montreuil, ville ouvrière et
particulièrement cosmopolite, qu'elle a pu entendre le plus de
témoignages négatifs concernant l'attitude des instituteurs
envers les enfants d'immigrés italiens400. Elle fait ainsi le
récit de Pellicia, écolier entré à 12 ans dans une
petite classe de Nogent. Le jeune garçon n'a pas encore appris le
français, il explique a posteriori que sa maîtresse riait
ostensiblement lorsque son accent transformait le texte d'une
célèbre fable de La Fontaine : « l'arbre perché
» du corbeau devenait ainsi « l'arbre perqué ». Pour
éviter les sarcasmes, la réaction majoritaire semble avoir
été de se doter le plus rapidement de nouveaux réflexes de
langue et d'attitudes, ceux-ci résolument « gallo ».
398 « Péjoratif mais pas trop, c'est la
contraction de franco-italien. Le terme était utilisé pour
souligner le fait que l'immigré italien ne réussissait pas,
même après de nombreuses années, à prononcer
correctement le son « r » présent dans la langue
française » TDLA.
Dans G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo
noi, Milan, 2003 (p.287).
399 P. MILZA, Op. Cit. (p. 490).
400 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000, (p. 425).
Les migrants évoquent souvent les moqueries concernant
la religion dont ils furent victimes en classe. Nous l'avons vu dans la partie
que nous avons consacrée à l'éducation traditionnelle
offerte à leurs enfants par la plupart des immigrés transalpins,
le catholicisme est presque une caractéristique des migrants italiens de
1935 à 1955. En effet, deux populations se trouvent face à face
à l'école : les hussards Républicains et les enfants
d'immigrés souvent très croyants. Si l'Entre-Deux-guerres voit
arriver un flot massif de migrants fuyant le fascisme, donc en
général, ayant des idées s'inscrivant nettement à
gauche et souvent anti-cléricales, l'immigration de travail, en
revanche, est constituée par des classes populaires catholiques. Il est
nécessaire ici de faire un bref rappel des relations complexes et
passionnées de l'Ecole française avec la laïcité.
L'Entre-Deux-guerres n'est pas le temps de l'élaboration de la
laïcité scolaire mais celui de son application concrète. En
effet, les lois qui ont laïcisé l'école sont anciennes
(1881, 1882, et 1886). L'école française est-elle laïque
pour autant ? Pas totalement puisque, lors du retour de l'Alsace et de la
Moselle dans le giron de la France après la Première Guerre
mondiale, le choix est fait de ne pas y imposer la législation
laïque. En 1924, le Cartel des Gauches tente de l'appliquer mais se heurte
de nouveau à l'opposition de l'épiscopat. La population
enseignante française est souvent anti-cléricale, cette position
se ressent dans les témoignages des enfants de migrants catholiques.
« Les profs, à l'école, ils peuvent pas
s'empêcher de nous faire sentir qu'on est des culsbénits, de la
graine de fascistes. Eux, laïques, républicains et Jules Ferry
comme des fous »401.
« C'est nous qu'on éponge tout. La crise, c'est de
notre faute. Le chômage, c'est nous. Mussolini qui fait le con, c'est
pour nos pieds »402.
Ce sentiment de rejet dont parle François Cavanna
semble assez courant. En outre, parfois, en plus des moqueries, il arrive que
certains enseignants usent, nous l'avons vu précédemment, de
violence sur leurs élèves. Nous retrouvons assez
régulièrement ce souvenir chez les élèves, mais les
enfants d'immigrés vont quelquefois avoir tendance à analyser,
parfois à tort, cette violence comme une attaque contre leur condition
d'immigré. Prenons ainsi l'exemple d'une des grandes figures du syndicat
régional de la CGT chez les mineurs de fer de Lorraine, Albert Balducci.
Interviewé par Pierre Milza en mars 1992, cet anarchiste, fils d'un
ouvrier italien, émigre en France alors qu'il n'a que sept ans. Il ne
connaît alors ni l'italien, ni le français
401 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38).
402 Ibid. (p. 37)
136 et s'exprime exclusivement en dialecte romagnol. Il
explique la réaction violente de son instituteur face à son
incompréhension manifeste du français :
« Non, j'ai pas été heureux à
l'école. Vous savez, les gosses c'est les gosses... Je me rappelle
toujours, l'instituteur, je me rappelle aujourd'hui. C'était un
gazé de 1914, un Corse ; il s'appelait Ortoli. Le premier jour, il me
dit d'aller au tableau. Alors j'y vais, je vais au tableau. Mais je ne
comprends rien aux questions qu'il me pose. Alors il me balance deux paires de
claques. Qu'est-ce que je fais... quand je retourne à la maison, je
gueule. Mais ma mère, qui a déjà tellement souffert, avec
mon père qui ne sait ni lire ni écrire, alors elle me dit qu'il
faut que j'aille à l'école. Elle m'a ramené à
l'école... »403.
On remarque régulièrement, dans les
témoignages, l'approbation des parents pour une discipline scolaire qui,
jusqu'au milieu des années 1960 selon François Grezes-Rueff et
Jean Leduc, pratiquera encore régulièrement les châtiments
corporels404. Il est indéniable qu'il y ait eu des
professeurs violents face à l'incompréhension des jeunes
arrivants. Nous l'avons vu, les parents se révoltent rarement contre ce
genre de pratiques. La mère de François Cavanna, cependant, alla
s'en plaindre auprès du directeur405. Il nous faut donc
souligner que, des deux parents de ce dernier, seul son père est
Italien. Peut-être est-il alors plus facile pour une Française de
réprouver cette attitude et de la condamner « publiquement »
que pour des immigrés dont le statut est précaire et, pour qui,
l'hypercorrection sociale est une condition sine qua non à
l'intégration tant des enfants que de la cellule familiale dans son
ensemble.
B). La violence à l'école : un facteur de
repli sur l'univers familial italien ?
Si nous pouvons souligner que l'origine
étrangère des élèves n'est jamais rapportée,
dans les témoignages recueillis pour ce travail, comme la cause directe
de la violence physique dont ont parfois fait usage certains enseignants, en
revanche, l'agressivité xénophobe verbale est assez souvent
présente dans les souvenirs des témoins. L'atmosphère
n'est pas toujours baignée de tendresse réciproque entre les
différentes communautés, loin s'en faut. François Cavanna
se rappelle de la violence physique exercée par son maître
d'école mais ne la met pas en corrélation avec sa situation
d'enfant issu d'un parent étranger :
403 Albert BALDUCCI, interviewé par P. MILZA, Op. Cit.
(p. 329).
404 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des
élèves en France, de l'Ancien Régime à nos
jours, Paris, 2007. (Introduction).
405 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37).
« Le père Cluzot faisait venir
Chendérovitch au tableau et il lui cinglait les mollets avec sa
règle, c'était son vice [...] il tapait jusqu'à ce que les
mollets soient tout noirs, et après il mettait Chendérovitch au
piquet. A moi aussi, il me l'a fait le coup des mollets, et maman m'a
demandé où que tu as eu ça, et moi j'osais pas lui dire,
parce que j'avais bavardé en classe, et à la fin je lui ai dit,
et elle a foncé chez le dirlo, le père Garnier, et Cluzot a
dû se faire salement engueuler, en tout cas il a plus recommencé
» 406.
La brutalité de son professeur ne semble ici n'avoir
aucun rapport avec les problématiques liées à la migration
italienne. En revanche, nombreux sont les propos véhéments qui
auraient été tenus par les instituteurs à l'encontre des
jeunes écoliers d'origine étrangère. Il arrive aussi que
la « technique » utilisée pour pousser l'élève
à plus de travail soit assez violente pour marquer nos témoins
pas moins de soixante années après les évènements,
ainsi WM nous raconte cet épisode qui s'est produit dans son
école élémentaire d'Agen :
« J'ai encore changé d'école, pour la
quatrième fois. Là je ne suis pas bien tombé,
l'instituteur [...] était dur ! Si on ne savait pas répondre, il
vous prenait par là et il vous décollait du sol. Il ne tapait pas
mais il prenait par les joues, je n'étais pas trop à l'aise,
j'étais froussard un peu... Je l'ai eu deux ans et demi. Il ne
m'agressait pas, il me tirait les oreilles, les favoris, à moi mais aux
autres aussi. »407.
Autre effet de l'incompréhension linguistique, les
échecs scolaires sont légions au sein de la population d'origine
italienne, du moins dans les premières années de la scolarisation
en France de nos témoins. Dès lors, pour ceux, relativement
nombreux, dont l'école a été synonyme d'angoisses
portées par leurs déboires scolaires ou par l'appréhension
liée à la récurrence de la violence qui a pu exister entre
les murs des établissements, le foyer familial peut sembler un refuge.
Il n'y a, dès lors, qu'un pas à « choisir » d'investir
dans l'univers italien du foyer plutôt que dans le monde français
de l'institution républicaine, pas toujours chaleureux.
Par ailleurs, la récurrence de la brutalité est
aussi parfois provoquée par l'élève étranger
lui-méme, cette réaction est souvent le reflet de grandes
difficultés à s'exprimer par la parole. Il n'est donc pas rare
que la réponse à l'humiliation soit incarnée par la
violence, y compris contre l'enseignant. Ainsi, Madame Biasin, évoque la
scolarité de ses beaux-frères :
406 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37)
407 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
138 « Beppi était dur. Il se battait avec le
maître. On l'a renvoyé. Quand son petit frère Marcel lui a
succédé, il a commencé à répondre. Alors le
maître a dit : « t'es une tête de lard comme ton frère
». Il l'a tapé, il est rentré tout bleu à la maison
»408.
Malgré le blanc-seing donné, presque
systématiquement, par les parents aux professeurs de leurs rejetons, la
maison est souvent vue comme le lieu du refuge rassurant comparée
à l'école, parfois chargée d'angoisses et de jugements
négatifs : en quoi ce cocon de l'univers familial italien est-il
différent du refuge que représente le foyer français ?
Quelques traits distinguent les peuples des deux soeurs latines : globalement,
les Transalpins conçoivent d'une manière différente de
celle des autochtones, l'autorité du patriarche, la place de la femme,
de la mère. En somme, les dissemblances culturelles qui se
détachent sont beaucoup d'ordre familial, même si c'est souvent
les différences culinaires qui sont d'abord mises en avant par les
camarades d'école de nos témoins. Si il est indéniable
qu'il existe, dans les foyers italiens comme dans les familles
françaises, une certaine subordination féminine dans la
sphère familiale, on note une différence entre les deux milieux.
En effet ce caractère de « soumission » de la mère est
renforcé chez les migrants par le fait que la femme est rarement
à l'origine du choix d'émigrer. Par ailleurs, cette subordination
est accentuée par l'hégémonie catholique encore
ancrée dans la mentalité italienne. Cependant, en ce qui concerne
le rôle de la femme italienne, et, pour ce qui intéresse notre
étude, celui de la mère, on sait que leur dimension culturelle et
sociale est majeure, particulièrement en ce qui concerne la transmission
intergénérationnelle. En outre, l'organisation quotidienne lui
revient (la tenue des enfants, la gestion financière et la
préparation des repas)409.
Violence de l'enfant, violence de l'adulte, ces
témoignages ne sont pas rares. Certains migrants expliquent ainsi que,
si à l'école, ils se conformaient strictement aux règles
en vigueur, la rue était le lieu où se réglaient les
contentieux commencés dans la cour de récréation avec
leurs camarades. Nous avons ainsi pu retrouver chez différents
témoins la sensation de connaître deux mondes bien distants, sans
liens apparents et au sein desquels leurs comportements sont souvent
discordants.
408 Témoignage de Madame BIASIN, le 27/05/1993,
Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000 (p. 420).
409 - I. TABOADA-LEONETTI, « Le rôle des femmes
migrantes dans le maintien ou la déstructuration des cultures nationales
du groupe migrant », n° 70, juin 1983 (p. 214 à 220).
- A. SOLDANO, « Les femmes immigrées italiennes
installées dans le Nord de la France après 1945 », n°
14, décembre 2001 (p. 35 à 43).
C). L'école et la rue : deux espaces de jeu
clairement séparés ?
Tout particulièrement en France, la nation demeure le
lien des solidarités sociales, le sentiment d'appartenance à
celle-ci ne saurait donc tout à fait s'estomper. Cependant, en dehors
des institutions étatiques, n'y a-t-il pas de places disponibles pour
l'affirmation d'une identité italienne, ou plutôt « ritale
» en tant qu'elle s'inscrit dans un contexte français ? A
l'extérieur des murs des établissements scolaires, qu'en est-il
du ressenti de l'enfant d'origine italienne ? Il existe souvent, dans l'esprit
des témoins, entre le monde extrascolaire et l'univers commun des
écoliers une frontière presque imperméable : « Je ne
parlais pas de l'Italie à l'école, ni aux amis ni aux
instituteurs : lá-bas, j'étais entièrement français
»410.
Souvent, l'enfant oppose l'univers français «
sérieux » à l'univers italien de la rue, rassurant, familial
et ludique411. Nous l'avons vu dans les témoignages, la
réponse aux insultes de la cour de récréation est
fréquemment violente et les provocations ont souvent lieu en dehors de
l'enceinte de l'école et de ses règles strictes. Citons encore
l'exemple, décidemment fort éclairant, de François
Cavanna, qui vit dans la rue Sainte-Anne de Nogent-sur-Marne, essentiellement
habitée par des Italiens, mais, qui est scolarisé dans une
école où les immigrés sont peu nombreux. Pourtant issu
d'un couple mixte, il explique :
« Quand je suis à l'école [...] j'oublie
tout ce qui n'est pas l'école. [...] J'ai des copains d'école,
avec qui je me marre bien, avec qui je me tabasse à l'occasion, mais qui
disparaissent de ma vie dès que je suis sorti de là. On dirait
que ces mecs de l'école n'existent pas en dehors de l'école.
Jamais j'en rencontre un quand je fais le con avec les autres
traîne-patins dans les rues de Nogent. »
Dans son entretien avec Marie-Claude Blanc Chaléard,
Zina Mutti évoque, elle aussi, son sentiment d'avoir connu deux vies
bien séparées durant son enfance. Une fois franchies les bornes
de son territoire scolaire, l'environnement devient exclusivement
italien412. Les enfants de migrants se fréquentent entre eux
et parlent souvent italien ou même le dialecte local. Marie-
410 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
411 « La situation d'émigré vient
rendre ce repli sur [...] la privauté et le foyer plus nécessaire
encore, puisque le foyer devient le recourt essentiel dans une situation
où tout, au dehors, semble étrange et étranger
».
Dans D. SCHNAPPER, « Centralisme et
fédéralisme culturels : les émigrés italiens en
France et au EtatsUnis », Annales ESC, n°5, septembre et octobre 1974
(p. 1154).
412 « Ma vie a été partagée entre mes
parents, qui avaient leurs coutumes et l'école où nous vivions
à la française ».
Entretien entre Laurent Gervereau et Albert Uderzo.
L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France.
Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 55).
140 Claude Blanc-Chaléard précise que ce
sentiment de séparation est « différent de ce que nous avons
signalé pour Paris, où les jeunes étaient entre eux sans
avoir l'impression d'être coupés des autres »413.
La violence est donc à la fois verbale et physique. Nous l'avons dit,
elle est souvent le déclencheur des progrès en français de
nos témoins à la recherche de réponses cinglantes à
ces situations violentes. La vie quotidienne de l'écolier et son
activité sur les terrains de jeux et dans la rue sont donc parfois
ressenties comme deux univers sans lien l'un avec l'autre. En
général, cette attitude s'explique par le fait que les camarades
de jeu de la rue ne sont pas les mêmes que les écoliers avec
lesquels jouent les enfants d'immigrés. Dès lors, certains
témoins font remarquer que leur identité même change selon
le contexte. Maria me livre d'ailleurs cette phrase lourde de signification :
« à l'école j'étais Française, en dehors,
j'étais Italienne »414. Dès lors, on peut
s'interroger sur la signification de cette remarque : l'institution scolaire
serait-elle le lieu de la France alors que la rue appartiendrait à
l'Italie ? En tout cas, beaucoup de témoins fréquentent les
Français à l'école, alors que le monde extérieur
est italien. Cette ambivalence communautaire se révèle
fréquemment dans la pratique du sport, activité plus souvent
pratiquée par les garçons. En conséquence de quoi il
apparaît que, si les filles n'en sont pas exemptées, les espaces
de jeu différenciés sont souvent masculins, d'autant que les
garçons ont plus souvent et plus tôt l'autorisation de sortir
jouer à l'extérieur415. Souvent, le milieu familial
supportant les équipes transalpines, les enfants du foyer vont investir
cette identité italienne, caractéristique valorisante au vue des
succès sportifs de la péninsule. Parlant des « ritals »
de la communauté saumuroise, Laurent Garino explique ainsi :
« Quelquefois, ils exposaient même leur
nationalité, heureux de parler de ce qui se faisait en Italie, surtout
si c'était mieux qu'en France. Le sport leur offrait, à cette
époque, de belles occasions de le faire. La Squadra Azzura rafle
à deux reprises, en 1934 et en 1938, la coupe du monde de football, et,
dans l'après-guerre, le Tour de France et les autres classiques
cyclistes se déclinent en vert, blanc, rouge, avec les Bartali, Coppi...
»416.
Jean Burini nous révèle un autre
élément qui pourrait nous laisser penser que la thèse de
deux espaces communautaires différenciés entre rue et
école n'est pas à éliminer. Au cours de l'année
1954, avec son instituteur Monsieur Romac, Jean et ses camarades
rédigent un mensuel,
413 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 371).
414 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
415 « On faisait des concours de course, donc, si tu
arrivais le premier, on te disait « ouais mais lui c'est un macaroni !
» ».
Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
416 L. GARINO, La charrette à bras, Histoire des
Italiens de Saumur, Laval, 2006 (p. 148, 149).
141 « Joyeux Ecoliers », qu'ils vendent pour vingt
francs. Dans ce journal, les enfants racontent des histoires inventées
ou des anecdotes qu'ils ont vécues (sorties scolaires, jeux avec leurs
amis...), ils font des relevés
météorologiques417 ou des articles sur le baguage des
oiseaux... Tous ces récits sont accompagnés de dessins ou de
linos. Citons ici une des rédactions qui a particulièrement
retenu notre attention. En effet, Robert Licitar, alors âgé de
treize ans, fait ici un récit écrit en français pour la
narration et en italien pour les dialogues :
« Les flammes montaient vers le ciel, puis le feu
s'éteignit. Mon camarade Dignasio qui voulait se reposer s'assit sur une
pierre du foyer qui était encore chaude. Tout à coup, je
l'entendis hurler comme un fou. Je lui demandais ce qu'il avait, il me
répondit : « mi sono bruciato una cocia » (je me suis
brûlé une cuisse) »418.
Outre l'élément révélateur de
l'utilisation du français à l'école, et de l'usage de la
langue italienne au dehors des institutions républicaines, on remarque
que, même au sein de la classe, il apparaît parfois admis que la
double culture des enfants existe et qu'elle a sa place dans un devoir
scolaire. Cependant, s'il n'en est pas moins intéressant, nos autres
témoignages révèlent que ce « bilinguisme »
franco-italien dans les rédactions d'école fait figure
d'exception.
D). L'apprentissage de l'italien comme besoin d'une
reconnaissance identitaire.
La réussite de ces enfants est, parfois,
particulièrement visible en cours d'italien dans l'enseignement
supérieur, à condition, bien sür, qu'ils aient l'occasion et
les capacités de continuer leurs études jusque là. Chez
ceux qui n'ont jamais appris la langue maternelle de leurs parents, le
désir d'étudier l'italien est fréquent. Effectivement, la
« fidélité linguistique » ne va pas de soi chez les
migrants qui nous intéressent ici : la faiblesse de la prégnance
de la langue italienne est maintes fois soulignée a posteriori par leurs
rejetons. Nombreux sont les enfants d'immigrés transalpins à
éprouver cette nécessité de revenir aux racines par
l'intermédiaire de l'apprentissage de la langue de Dante. S'ils ne la
pratiquent pas dans les écoles et collèges de
417 Document annexe n° 11 (« Joyeux écoliers
», journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de
garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954).
418 Robert LICITAR dans « Joyeux écoliers »,
Ibid.
(Voir en document annexe n°10 le texte complet).
France, ils l'apprendront plus tard : à Nantes, par
exemple, de nombreux témoins iront aux cours du soir du Consulat de la
rue Contrescarpe, à Saint-Nazaire, des leçons sont données
à l'IUT419.
La langue d'origine a été remplacée dans
les familles endogènes transalpines par un parler mixte bricolé
avec de l'italien, du « dialetto » et du français, ajoutons
que vient parfois s'ajouter à ce mélange des
éléments de patois local français. Cet idiome particulier
est étudié par Jean-Charles Vegliante qui emploie le terme de
« lingua spacà », ce qui signifie à la fois double,
brisée, et traduit, selon lui, « la dualité et le
déchirement d'un parler mixte, en même temps que la
fidélité à l'origine régionale de la langue
maternelle »420. Même parmi les Italiens porteurs des
différentes langues de la Péninsule, le français a fait
fonction de parler véhiculaire commun puisque la langue italienne, peu
parlée dans les milieux populaires, ne peut que rarement remplir cette
fonction. L'historien spécialiste de l'Italie Pierre Milza évoque
sa propre expérience lorsque, à la recherche de ses racines, il
choisit d'étudier l'italien au lycée. Dans son quartier du
Temple, à Paris, les immigrés sont bien présents mais
viennent surtout de Roumanie, de Pologne ou encore de Russie421. Il
exprime ainsi ce choix lui permettant un premier pas vers ses racines
transalpines :
« Bon élève en anglais sans me donner
beaucoup de mal, je décidai de présenter l'italien en
première langue au bac, ce qui eut des effets catastrophiques sur ma
prestation de juin et me contraignit à [...] préparer la session
de septembre »422.
Scolairement, le choix de l'apprentissage de l'italien, pour
qui n'a pas étudié au préalable la langue, est donc
parfois une erreur, mais, cette décision permet la reconstruction, voire
parfois même la construction, d'une identité italienne souvent
dissimulée jusque là pour faciliter l'intégration dans la
première partie de l'enfance. Plus rarement, certains parents semblent
être à l'origine de la décision de transmettre à
leur enfant l'usage correct de l'italien. Ainsi, Daniel Fantin, issu d'un
couple mixte, prend des cours de langue jusqu'à ses douze ou treize ans
les
419 « J'ai suivi deux ans des cours d'italien à
l'IUT pour ne pas perdre ma langue natale ». Questionnaire de
Giovanna, 2010.
420 J-C. VEGLIANTE « le problème de la langue : la
« Lingua Spacà » », acte du colloque franco-italien sur
« L'immigration italienne en France dans les années 20 »,
Paris, 1987, 385 p.
Voir aussi à ce sujet la thèse de psychologie
clinique et pathologie de F. STORTONI, Clinique contemporaine des
Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis
Français... mais mon père était italien... »
sous la direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et
Bologne, 2007.
421 « Ma famille habitait dans un quartier de Paris
où les Italiens étaient peu nombreux et, à la maison, tout
le monde parlait français. J'ai appris l'italien dans la méthode
Assimil, à la fin des années 1940. » Dans Ouest France,
« Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France »,
entretien de A. GUYOT avec P. MILZA, mai 2008.
422 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 20).
jeudi après-midi au Consulat de Nantes, me
précisant « qu'à l'oral, c'était une catastrophe
»423. François Cavanna connaît sensiblement le
même besoin de reconnaissance identitaire que celui narré plus
haut par Pierre Milza : issu lui aussi d'une famille mixte, il parle uniquement
français à la maison et dit l'avoir regretté dès
son enfance424. A dix ans, il décide d'apprendre l'italien
:
« Je me suis acheté un « Assimil » [...]
mais c'est le vrai beau académique, quand je dis une phrase à
papa, en mettant bien l'accent comme c'est dit dans le bouquin, il me regarde
comme si je lui faisais peur »425.
Nous sommes là en plein coeur d'une
problématique majeure en ce qui concerne les relations familiales et la
recherche d'identité de la « seconde génération
». Le conflit intergénérationnel est, en effet, encore plus
prégnant dans les familles d'immigrés que chez les
Français. Le migrant italien se heurte à son enfant
déjà très « francisé » et
l'incompréhension apparaît, d'un côté comme de
l'autre. Au décalage de génération s'ajoute de lourdes
différences de culture entre les enfants et leurs géniteurs. Ces
différences sont particulièrement bien analysées par
Pierre Milza qui explique que « aussi complète qu'ait
été la fusion, les fils d'immigrés portent en eux non
seulement les traces d'une première socialisation effectuée au
sein d'un milieu familial encore très fortement imprégné
d'italianité, mais aussi les stigmates des conflits qui ont pu opposer
les normes sociales en vigueur dans cette micro communauté et celles du
pays d'accueil, imposés par les enfants français du même
âge et par les représentants des institutions auxquelles ils ont
été soumis, en premier lieu, l'institution scolaire
»426. Si, bien souvent, l'adulte souhaite une bonne
intégration de son enfant à la société
française, il se trouve, en effet, démuni face à
l'attitude de celui, qui, malgré leurs liens de sang, lui semble
désormais un étranger427. Par ailleurs, cet exemple de
l'enfant qui, ayant appris l'italien, se retrouve déçu de ne pas
comprendre le patois de ses géniteurs est fréquent. De
même, certains témoins regrettent qu'on leur ait parlé en
patois à la maison mais jamais en italien. Citons ainsi, WM qui
évoque les amis de ses parents :
423 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).
424 « A la maison, on parle français. Enfin,
maman et moi. Papa fait ce qu'il peut. Dommage. J'aurai tant voulu parler le
dialetto ! ».
Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p.
52).
425 Ibid. (p. 53).
426 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p.
486).
427 La même observation est faite, en 1951, par les
enquêteurs de l'INED :
« Le développement et l'intégration de
ses enfants accroissent encore le sentiment qui domine dans sa conscience.
Sentiment de différences par rapport au milieu récepteur, par
rapport enfin, à ses enfants, qu'il pousse avec loyauté dans la
voie qui les sépare de lui ».
Dans A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et
immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des
Polonais, Paris, 1953 (p. 114).
« A Moissac, ils étaient entre trente-cinq et
quarante-cinq, toujours d'Emilie-Romagne. Quand il y en a qui venaient à
la maison, ils parlaient toujours en patois. Du coup les enfants en italien :
zéro ! J'en ai voulu à ma mère qu'elle ne m'ait pas
parlé en italien mais bon ... »428.
L'idiome d'origine des pères est en effet, souvent
d'ailleurs à la demande des instituteurs, utilisé uniquement lors
des contacts extérieurs, festifs ou professionnels. Simone Iemmi a, elle
aussi, été « contrainte » à parler
français à l'école comme à la maison, mais il est
intéressant de rapporter ici son témoignage puisqu'elle
développe un discours critique quant à ce choix
pédagogique. Elle déplore l'utilisation systématique de la
langue de son pays d'accueil au sein du foyer familial, pourtant italien des
deux côtés de ses géniteurs :
« Anche perché i genitori parlavano francese per
volontà d'integrazione. Io mi ricordo che i miei genitori parlavano
sempre in francese, soltanto la nonna parlava italiano, ma avevano questa
voglia di essere come gli altri dunque facevano lo sforzo di parlare in
francese. [...] è stato un sbaglio. Il francese uno lo impara sempre, lo
vediamo adesso con gli altri immigrati, era meglio parlare in italiano, a casa,
perché noi, l'italiano lo abbiamo perso ma i portoghesi non hanno perso
il portoghese, gli arabi non hanno perso l'arabo, perché in casa parlano
la lingua madre, e poi a scuola parlano il francese, dunque sono veramente
bilingue. Noi no. »429.
Soulignons que, globalement, c'est à l'adolescence que
naît la volonté d'apprendre la langue maternelle qui serait
d'ailleurs bien souvent plus juste, pour nos témoins, de nommer «
la langue paternelle ». Processus classique que celui de l'adolescent
d'origine italienne qui, après avoir parfois renié ses origines
étrangères, affirme et même improvise une «
italianité » a posteriori.
Les associations d'Italiens pullulent en France aujourd'hui,
créées par volonté culturelle ou communautaire, elles sont
souvent le fruit des initiatives d'immigrés italiens de la «
seconde
428 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
429 « Mes parents parlaient français dans un
objectif d'intégration. Je me souviens que mes parents parlaient
toujours en français, seule ma grand-mère parlait italien mais
ils avaient cette volonté d'être comme tout le monde, donc ils
faisaient l'effort de parler français. [...] ce fut une erreur. Le
français, on peut toujours l'apprendre, on le voit de nos jours avec les
autres immigrés, il aurait été préférable de
parler en italien, à la maison, parce que nous, l'italien, nous l'avons
perdu mais les Portugais n'ont pas perdu le portugais, les Arabes n'ont pas
perdu l'arabe, parce que à la maison ils parlent la langue maternelle,
et ensuite à l'école, ils parlent le français. Ainsi, ils
sont vraiment bilingues. Nous, non ». TDLA.
Témoignage de Simone IEMMI, dans A. CANOVI, Cavriago
ad Argenteuil, Migrazioni CommunitàMemorie, Cavriago,
1999.
génération », Walter Buffoni par exemple, est
le fondateur de l'association « France -- Italia " qui regroupe les
Italiens implantés à Saint-Nazaire.
Pour ce qui concerne l'apprentissage de l'idiome originaire de
la famille, deux étapes se dégagent : la première, nous
l'avons vu, se situe à la période du passage à la vie
d'adulte ; la deuxième, au moment de la retraite. Effectivement,
nombreux sont les témoins à s'être inscrits à ce
moment là dans des associations italiennes et à avoir appris la
langue de leurs aïeux une fois leur quotidien libéré des
contraintes impondérables à la vie de tout travailleur. C'est
aussi souvent à cette période que va se transmettre le relais
historique intergénérationnel par le récit aux enfants ou
aux petits enfants du « sang italien qui leur coule, à eux aussi,
dans les veines "430.
E). Le récit aux descendants
Le rejet de « l'italianité " est parfois
expliqué comme un besoin fondamental pour réussir à
l'école, pas seulement scolairement mais aussi pour aboutir à une
bonne intégration. En effet, cette première épreuve de
sociabilité si importante à l'équilibre de l'enfant se
joue dans les cours des établissements scolaires. La quête des
racines italiennes, de l'assise du pays d'origine est souvent un
phénomène tardif, l'age aidant, le refoulement se fait moins vif.
Nombre de témoins confieront en effet, hors enregistrement, que
l'intérêt pour leur part d'italianité s'est fait à
la retraite431, à l'issue d'une vie de labeur au sein du
territoire français, d'une existence faite de contacts, voire d'une
union maritale, avec des Français. Pierre Milza parle ainsi avec
beaucoup de justesse de ce « besoin qu'ont les hommes de se sentir
arrimés à quelque chose qui dépasse leur propre
durée ". Maria confie qu'après avoir « prouvé " toute
sa vie qu'elle était Française, elle pouvait, enfin être un
peu Italienne432. Avec le développement, dès la fin
des années cinquante, du tourisme de masse, beaucoup de migrants
renouent avec leurs attaches italiennes par le biais de voyages sur la terre de
leurs ancêtres.
430 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
431 Un bon nombre des témoins nantais ont
adhéré à la retraite au
CO.AS.IT ou à l'association
France-Italia. Carina Travostino appartient à l'association « La
Dante Aglieri » ou elle apprend l'italien, les chants anciens italiens en
chorale.
432 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
Les récits évoqués tout au long de cette
étude sont souvent des histoires familiales maintes fois
répétées aux enfants et petits enfants433. Ce
n'est cependant pas toujours le cas. Un des témoins rencontrés
explique ainsi qu'il souhaite que ses petits enfants soient présents
lors de notre entretien car c'est une part de son histoire que, jusqu'ici, il
n'avait pas transmise à ses descendants. Il ne sera d'ailleurs pas le
seul à me rencontrer en présence de membres de sa famille. Par
ailleurs, au cours des entretiens, nombreux sont les témoins à
demander une copie des enregistrements pour leurs descendants. Dès lors,
il m'a semblé intéressant pour clore ce Mémoire, de faire
une dernière étape consacrée à cette transmission
de « l'identité ritale ». En effet, la mythification des
origines italiennes est un phénomène particulièrement fort
chez la troisième génération. WM m'explique que sa
petite-fille est partie en Italie, dans le cadre du programme Erasmus, et
étudie actuellement l'italien à
l'université434. Il en est de même pour Laetitia,
petite nièce de Carina Travostino-Corbeau435. Une des filles
de Georges Leclair est aujourd'hui professeur d'italien. L'identité
« ritale » semble donc aujourd'hui revendiquée par nombre de
descendants italiens : ni Italiens ni tout à fait Français, ils
sont une partie de cette France métisse et se disent souvent fiers de
leurs origines transalpines :
« Je suis fier de mes racines italiennes. Le récit
de réussite de nos aïeux, leurs souffrances nous ont permis
à nous descendants d'immigrés italiens, de développer une
fierté: la fiertéd'être Rital et d'avoir
réussi en France envers et contre tout. Car moi je me considère
comme Rital. Je dis bien Rital, ni Français ni Italien....Rital.
»436.
Pour leurs petits enfants, l'appartenance italienne est, bien
entendu, plus lointaine, mais elle n'est pourtant pas pour autant totalement
absente de leur construction identitaire :
433 Laetitia TRAVOSTINO raconte ainsi en parlant de son grand
père :
« Il me racontait des anecdotes sur la famille et,
par conséquent, il en venait à parler de son père, des ses
oncles et tantes ou de ses cousins italiens, que j'avais l'impression de
commencer à connaître, bien que je ne les ai jamais
rencontrés. Et ma curiosité grandissait. De la même
façon, [...] la soeur de mon arrièregrand-père [...] m'a
racontée des tonnes de choses depuis que je suis toute petite. [...]
Pour mon plus grand bonheur, car elle m'a vraiment transmis le goût de
l'Italie et l'envie de découvrir un peu mieux mes origines
».
Courrier de Laetitia TRAVOSTINO, descendante d'Italiens, mai
2010, Trieste.
434 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
435 « L'Erasmus à Trieste a aussi
été une belle opportunité de pouvoir vivre en Italie sur
une période assez longue et donc de m'immerger complètement dans
l'atmosphère du pays ». Courrier de Laetitia TRAVOSTINO,
Op. Cit.
436 L. GARINO, interview pour Ouest France, Jeudi 2 Mars 2006.
« Dire que j'ai une origine italienne, c'est une
fierté ! Des fois, on me parle de mon nom italien mais ça n'est
pas négatif »437.
« Pour être franche, je me sens à 99%
française (étant née et ayant vécu toute ma vie en
France), mais ce petit pourcent d'italianité qui est en moi compte
énormément! Je suis fière d'avoir des origines italiennes
car l'Italie est un pays magnifique et très riche culturellement.
»438.
Finalement, s'il est intéressant de s'interroger sur le
sentiment d'appartenance des enfants d'immigrés italiens à leur
pays d'accueil, on ne peut pas nécessairement apporter de
véritables réponses à cette problématique complexe.
Ils sont les produits hybrides de cette société de mélange
qu'est la France. Laissons ici la parole à Mario Merlo qui a
particulièrement clairement exprimé ce sentiment d'avoir un pied
de chaque côté des Alpes :
« Je ne me suis jamais senti Français ni Italien.
Je suis les deux ! Mon pays, il va de Lille à Palerme. [...] Je prends
ce que je trouve meilleur [...] Je suis des deux cultures [...] Je ne me sens
pas installé quelque part. Quand je suis là-bas, on me traite de
Français, quand je suis ici, on me traite d'Italien : c'est le
métissage, quoi ! »439.
Le « combat d'identité » apparaît,
à l'issue de cette étude, un important souci de l'enfance pour de
nombreux témoins, leur vie d'adulte étant, idéalement, une
mosaïque constituée d'une multitude d'identités
assumées. Pierre Milza exprime ainsi avec acuité, mêlant
son talent d'écrivain, sa justesse d'historien et la profondeur de
l'expression de ses sentiments d'Homme, sa découverte de lui-même
:
437 Le petit fils du témoin lors de l'entretien avec WM
(27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
438 Courrier de Laetitia TRAVOSTINO, descendante d'Italiens, mai
2010, Trieste.
439- Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre
2009 -- Basse Goulaine).
- Laurent Garino fait aussi état de cette volonté
de redécouverte de ses racines italiennes, cependant, pour lui ces
recherches sont révélatrices d'un certain malaise qu'il explique
ainsi :
« Moitié Français, moitié Italien,
on a le cul entre deux chaises et on ne sait plus sur quel pied danser [...]
Nous renouons avec nos racines italiennes en réponse à un
sentiment de spoliation ».
L. GARINO, La charrette à bras, Histoire des Italiens
de Saumur, Laval, 2006 (p. 208).
« Pour ma part, après avoir été
tricolorisé jusqu'au bout des ongles par ma famille maternelle, puis par
l'école de la République et les scouts de France, je suis parti
en quête d'une autre identité [...] celle d'un pays dont
l'exotisme (tout relatif) satisfait ma soif adolescente de distinction. J'ai
ainsi nourri une différence fabriquée, faite d'emprunts à
ce qu'il pouvait y avoir de valorisant dans l'histoire et dans la culture de
mes deux patries, de mes deux familles et gommant le reste, sans être
tout à fait dupe de l'entreprise. [...] J'ai au moins appris une chose
au cours de ce long voyage : c'est que je n'avais pas, je ne pouvais pas avoir
d'enracinement unique, définitif. Des fidélités, sans
doute, des racines, si l'on veut, mais que je porte avec moi quand je change
d'horizon, comme ces peuples de nomades qui se déplacent avec les images
de leurs dieux dans leurs bagages »440.
440 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p.
500).
A la lumière des éléments
expliqués au cours de ces recherches, on a vu de quelle façon
l'expérience migratoire des parents italiens, et les raisons de ce
départ, marquent la scolarité de leurs enfants. Le milieu
familial, comme d'ailleurs pour les écoliers français, influence,
lui aussi, le temps passé à l'école, nous avons pu voir en
quelle mesure. Cependant, il va de soi que le milieu d'accueil - l'école
pour ce qui concerne notre sujet - prodigue également des environnements
plus ou moins propices à l'intégration. Cette phase de notre
étude a été l'occasion d'éclairer un aspect
intéressant de notre sujet : les heurts xénophobes qui, nous
l'avons vu, ne sont pas présents dans tous les établissements,
ont parfois existé au sein des écoles, chocs
éprouvés de façons diverses et qui entraîneront
autant de chemins de vie. Premier révélateur de la
différence du « petit rital " et de ses congénères
français, le milieu scolaire a pu être le lieu
privilégié de l'intégration mais aussi celui où
naît une réaction à la volonté manifeste de «
franciser ". Se développe alors un sentiment «de «
ritalité » qui, la plupart du temps, n'est pas en contradiction
avec une bonne intégration dans le creuset français.
Finalement la réponse aux questions sur
l'identité de nos témoins réside souvent dans le
développement d'un sentiment de « francitalité "
exprimé par les Français d'origine italienne. Cependant, outre
leur caractère subjectif, il nous faut rappeler l'aspect sélectif
des évènements racontés, en effet, « la
mémoire est aussi menteuse que l'imagination, et bien plus dangereuse,
avec ses petits airs studieux ". Ce qu'exprime ici Françoise Sagan nous
pourrions l'appliquer à chaque témoignage livré a
posteriori. Nous nous trouvons là, face à des témoins dont
la mémoire modifie le souvenir exact, parfois même efface les
faits les plus douloureux ou les moins valorisants. La xénophobie est
présente parfois dans les écoles françaises, cependant,
elle est peut-être exagérée ou, au contraire,
minorée par l'adulte narrant son enfance. De méme, les
difficultés de l'élève comme ses réussites sont
parfois modifiées par la mémoire « sélective " des
témoins. Dresser un bilan de ces recherches est donc une tâche
pour le moins délicate. On l'a vu, le sentiment d'intégration
provoqué ou non par l'école, subit également les
influences liées à l'implication familiale, à
l'établissement d'accueil, aux rencontres de nos témoins avec
leurs professeurs, etc. Il en va d'ailleurs de même pour les enfants
issus d'un mariage endogène français.
En revanche, on peut désormais établir quelques
traits qui distinguent la scolarisation des enfants d'origine transalpine et
celles de leurs homologues français. Ces caractéristiques sont
à verser essentiellement « au détriment " des Italiens dont
les handicaps de départ, en ce qui concerne le domaine scolaire, sont
parfois lourds : difficultés à s'exprimer en français mais
aussi pour trouver l'adéquation nécessaire à
l'équilibre de tout un chacun, ce mixte rassurant entre la culture
familiale et l'intégration à la société.
Aujourd'hui, la question de l'intégration des migrants
fait quotidiennement les grands titres de la presse française et se
situe au coeur de l'actualité, au centre des débats politiques,
citoyens, et philosophiques. Or, le pourcentage d'écoliers issus de
l'immigration à l'Ecole primaire n'est pas supérieur aujourd'hui
à ce qu'il était dans les années 1930-1940 (il se situe
toujours entre 8 et 10% de l'ensemble des élèves de
l'Hexagone)441. L'immigration italienne est à ce jour la plus
longue qu'ait connue la France, elle est définie, par les historiens qui
l'étudient, comme un objet d'histoire fermé. Pierre Milza
souligne la récurrence des discours sur l'idée qu'une «
mauvaise immigration " trop éloignée du modèle
français se serait substituée à la « bonne
immigration " constituée par les Italiens, les Espagnols et les
Portugais. En cela, il est particulièrement important de rappeler que
l'insertion des Transalpins ne s'est pas faite, nous l'avons vu, sans
douleur442.
Nous retrouvons, dans les informations récoltées
au cours de ces derniers mois de labeur, des questionnements
précédemment émis dans le Dossier d'Initiation à la
Recherche : l'Ecole at-elle pour fonction d'assimiler les élèves
ou bien de les intégrer en leur permettant de garder leurs
différences culturelles ? A plusieurs reprises, nous avons
évoqué l'idéologie républicaine de
l'homogénéité nationale de l'Institution scolaire, la
question se pose donc de déterminer si ce concept fait de l'Ecole une
institution liberticide ou bien s'il offre un repère clair
d'intégration, facile à identifier et donc à adopter ? Ces
problématiques sont récurrentes, il me paraît indispensable
de les évoquer sans pour autant entrer dans une analyse qui, aussi digne
d'intérêt soit-elle, relève davantage du journalisme, de
l'essai ou de l'exercice politique que de l'Histoire.
441 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004
(p. 251).
442 Pierre Milza analyse, en 1993, son observation de la panne
du creuset français de la façon suivante : « Crise de
l'institution scolaire qui remplissait moins bien sa fonction assimilatrice.
Crise du modèle culturel produit par l'école et dont s'est
nourrie, pendant plus d'un siècle, une identité nationale
aisément adoptée par les enfants d'immigrés. Crise des
réseaux associatifs classiques, particulièrement des
organisations de jeunesse qui avaient fortement concouru à la diffusion
de ce modèle. Crise d'une culture ouvrière ayant fourni aux
migrants et à leur descendance directe, majoritairement employés
aux mêmes tâches, un système de valeurs aujourd'hui
fortement érodé. Dépérissement enfin du travail
industriel, lequel avait continûment permis aux hôtes nouveaux de
s'intégrer au corps social et de franchir les premières
étapes d'un parcours plus ou moins long, plus ou moins difficile, mais
non complètement fermé ».
P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 466
à 469).
DOCUMENTS ANNEXES
> Chronologie :
Annexe n° 1
Chronologie générale de l'immigration italienne,
de la situation juridique des candidats italiens à l'
émigration.et des
réformes sur l'école en France :
1799 : République napolitaine et premiers exilés
politiques.
1816 : Création d'un brevet de capacité à
trois degrés, premier diplôme officiel exigé des
instituteurs.
1833 : Loi Guizot : naissance d'un véritable
enseignement primaire public. Une école normale par département,
une école primaire supérieure dans chaque commune de plus de 6
000 habitants, une école primaire publique par commune.
1848 : première fuite en masse de la Lombardie
après l'insurrection milanaise.
1850 : Loi Falloux sur l'instruction primaire, visant à
renforcer le contrôle de l'Eglise catholique sur l'Ecole. Les communes de
plus de 800 habitants doivent ouvrir une école de filles.
1867 : Loi Duruy : les communes sont autorisées
à percevoir un impôt pour instaurer la gratuité de leurs
écoles primaires publiques ; l'obligation d'ouvrir une école de
filles est étendue à toutes les communes de plus de 500
habitants.
1878 : Création de la Caisse des écoles facilitant
le financement des constructions scolaires. 1879 : Jules Ferry ministre de
l'Instruction publique.
Loi Paul Bert sur la création des écoles normales
d'institutrices.
1881 : Loi Ferry instaurant la gratuité de l'école
primaire publique.
1882 : Loi Ferry instaurant l'obligation de l'enseignement
élémentaire et la laïcisation des programmes des
écoles publiques. Création de la Commission d'hygiène des
écoles chargée « d'étudier les questions relatives
soit au mobilier scolaire, soit au matériel d'enseignement, soit aux
méthodes et aux procédés d'instruction dans leurs rapports
avec l'hygiène ».
1886 : Loi Goblet fixant l'organisation générale de
l'école primaire. Laïcisation du personnel des écoles
publiques.
1887 : Monseigneur Scalabrini fonde la Congrégation des
missionnaires de San Carlo pour les émigrants.
Une première loi en 1888 établit les rapports entre
émigrants et entrepreneurs de transports. Elle déclare libre
l'émigration des personnes.
1889 : Les maîtres des écoles publiques deviennent
fonctionnaires de l'Etat.
1893 : massacre d'Aigues Mortes.
1901 : loi Luzzati sur l'émigration.
Institution du Commissariat Général de
l'immigration (CGE) (article 7 de la Loi de 1901) En 1901 un Conseil de
l'Emigration et un Commissariat Général sont créés
en Italie.
1904 : La loi Combes interdit à tous les
congréganistes d'enseigner (c'est-à-dire aux hommes et femmes
faisant partie d'une congrégation religieuse).
1905 : Loi de séparation des Eglises et de l'Etat.
1908 : premier congrès des Italiens de
l'étranger
1910 : le commissariat général de
l'émigration devient une partie du Ministère des affaires
étrangères.
En 1911, le gouvernement italien crée à Milan un
Office d'émigration.
1915 : avec la guerre, on oblige les émigrants italiens
à avoir un passeport.
2 avril 1917 : Un décret institue pour la première
fois une carte de séjour pour les étrangers de plus de 15 ans
résidant en France.
1919 : Le « test unique » met des restrictions
à la liberté d'émigrer, l'Italie commence à filtrer
le départ de ses ouvriers qualifiés et le fascisme entend bien
que ceux qui partent pour la France ne soient pas perdus pour la patrie.
Le traité franco-italien de 1919 reprend certaines
dispositions de la loi de 1904. Il établit l'égalité dans
les domaines des traitements entre Italiens et Français et évoque
les salaires, les assurances sociales, l'hygiène et la
sécurité des travailleurs.
En 1922, la ligue pour la défense des
intéréts nationaux, émue par le chômage, ne voit
qu'une solution à ce problème : favoriser l'émigration
afin de combattre la crise de la main-d'oeuvre. L'Italie considère
l'émigration comme un exutoire nécessaire, une contribution
à l'enrichissement du pays par l'épargne de ses
émigrants.
1923 : Le ministre Paul Lapie met en place une réforme des
programmes : la morale est réduite et jumelée à
l'instruction civique.
1924 : Première conférence nationale et
internationale sur l'émigration.
1924 : Organisation du recrutement à travers la
Société générale d'immigration (organismes
patronaux).
En 1924 toujours, la conférence Internationale de
l'Emigration, tenue à Rome, a essayé d'élaborer une
formule qui soit admise par tous les pays.
Des mesures sont prises en 1924 par le « Quota Act »
aux Etats Unis pour tenter de freiner l'immigration. Ceci prive l'Italie du
plus important marché de travail. De plus, la crise économique
dans les années vingt en Amérique du Sud réduit
considérablement la migration italienne.
Globalement, entre 1920 et 1924, 900 000 Italiens
émigrent. Bien que les motivations aient des origines différentes
mais concomitantes, le pays connaît un accroissement notable de la
population. Un accroissement de 13 millions d'habitants en 55 ans pose un
problème alimentaire dans la Péninsule.
1927 : Vote d'une loi permettant l'extradition
(procédure selon laquelle l'Etat livre une personne
appréhendée sur son territoire à l'Etat requérant
qui la réclame pour exercer contre elle des poursuites pénales ou
lui faire exécuter une peine).
Loi visant à rendre plus aisées et plus
efficaces les mesures de 1889 : l'enfant, s'il est né en France n'a plus
de possibilité de choix s'il est de mère française ou de
parents étrangers nés en France, il est nécessairement
français.
« Il peut, si ses parents sont étrangers
nés hors du territoire, choisir à la majorité de garder la
nationalité de ces parents. Pour les étrangers immigrés,
le grand changement est la réduction de 10 à 3 ans du temps de
résidence obligatoire avant la demande de naturalisation ».
En 1927, on assiste à un changement complet en Italie,
dans la façon d'envisager le problème de l'émigration. Au
mois de mai, Mussolini la condamne. Il prend des mesures restrictives pour
freiner le départ des candidats. Il ne peut, cependant, geler de
façon totale les départs vers la France. L'intention du
gouvernement est d'accroître les forces productives de l'Italie, de
restreindre l'émigration au minimum, et d'utiliser au maximum à
l'intérieur les travailleurs qui veulent partir à
l'étranger.
Le Commissariat Général de l'Emigration est donc
supprimé en 1927.
Par ailleurs, la méme année, en France la loi
d'aoüt 1927 pousse l'immigré à associer installation et
francisation. Il va sans dire que les habitudes traditionnelles de migrations
pendulaires, de vaet-vient constant entre l'Italie et la France depuis plus
d'un siècle sont ainsi remises en cause. Pour obtenir un passeport ou
une autorisation de sortie d'Italie, l'aspirant à l'émigration
doit solliciter un certificat, appelé « Nulla Osta »
précisant sa situation civile, pénale et militaire. Souvent, les
autorités locales se servent de cette obligation pour retarder sinon
empêcher toute initiative de départ, ou comme d'un moyen de
pression.
Au travers des autorités consulaires, les faisceaux
veillent à la protection des travailleurs italiens, pour que ceux-ci
restent attachés à leur patrie.
En plus du travail des fonctionnaires gouvernementaux,
l'oeuvre « Bonomelli », à tendance catholique, compte un grand
nombre de missionnaires qui proposent une assistance religieuse,
matérielle et morale aux émigrants. Des prêtres suivent des
cours spéciaux pour apprendre leurs devoirs vis à vis des
émigrés ; leur but est d'entretenir chez eux l'amour de la terre
natale. Ainsi, la religion elle-même lutte contre l'assimilation et la
dénationalisation des Italiens à l'étranger.
A Nice, cette organisation possède un secrétariat
qui organise des rencontres entre Italiens, mais il est dissout en 1928.
La frontière entre l'Italie et la France est
provisoirement ré ouverte ce qui permet à un dernier contingent
de migrants de traverser les Alpes vers la voisine française.
1927 : le CGE est transformé par Mussolini en «
Direction Générale des Italiens à l'étranger
». 1929 : nouvelle loi sur les quotas approuvée par les
Etats-Unis.
1930 : la gratuité, jusqu'alors réservée
à l'enseignement primaire, est étendue aux sixièmes.
Après 1930, le régime fasciste fait obstacle à
l'émigration. Au méme moment, la France, plongée dans la
guerre, a besoin du concours d'une main d'oeuvre complémentaire pour sa
reconstruction. 1931 : la crise économique internationale frappe la
France, des dispositions sont prises pour ralentir l'entrée des
travailleurs étrangers.
10 août 1932 : Une nouvelle loi accorde priorité du
travail à l'ouvrier français dans l'industrie en instaurant des
quotas d'ouvriers étrangers dans les entreprises.
1933 : La gratuité, jusqu'alors réservée
à l'enseignement primaire et aux sixièmes est étendue
à tout le secondaire.
Avril 1933 : La loi Armbruster limite l'exercice de la
médecine aux titulaires français de doctorats de
médecine.
1934 : Une aide au rapatriement des ouvriers volontaires est
décidée
Juin 1934 : Le Parlement français fait voter une loi
interdisant aux français naturalisés l'inscription au barreau
pendant une durée de 10 ans.
1935 : Des retours forcés sont organisés (ils
concerneront surtout les ressortissants polonais). 1936 : Le Front Populaire
représente un intermède libéral, plus par
l'interprétation de textes précédemment votés, et
par la façon de les mettre en oeuvre que par l'adoption d'une
législation nouvelle.
L'obligation scolaire est portée de 13 à 14 ans,
à l'initiative de Jean Zay, ministre du Front Populaire, cette mesure
conduit ainsi à aménager des classes de fin d'études et
permet l'ouverture des centres d'apprentissage. Ainsi l'école garde plus
longtemps aussi les élèves destinés au travail manuel.
Les circulaires Jean Zay de 1936 et 1937 interdisent toute forme
de propagande (politique, confessionnelle) et tout prosélytisme à
l'école.
En 1937, Jean Zay uniformise les programmes du premier cycle des
lycées et ceux des E.P.S (c'est le premier pas sur la voie d'une
école moyenne).
De nouvelles Instructions sur les constructions et le mobilier
scolaires sont publiées : la classe type est désormais
prévue pour quarante élèves et le pupitre individuel est
recommandé. novembre 1938 : l'Italie revendique la Savoie, Nice, la
Corse et Djibouti.
1937-1939 : Mesures restrictives et libérales se
conjuguent : ainsi un simple arrété ou l'accord de l'inspecteur
du travail suffisent pour qu'une entreprise obtienne une dérogation aux
quotas d'emploi d'étrangers, les naturalisations sont favorisées
à l'approche de la guerre.
1940 : Après la loi mettant tous les Juifs au ban de la
société, la loi du 4 octobre 1940 sur "les ressortissants
étrangers de race juive" permet d'interner ceux-ci dans des camps
spéciaux par décision du préfet du département de
leur résidence". La loi du 27 septembre 1940 concernant les autres
étrangers non juifs, règle le sort des "étrangers en
surnombre dans l'économie nationale" : l'étranger est soumis
à une surveillance étroite et n'a plus le droit de libre
circulation sur le territoire et ne bénéficie pas de la
législation du travail.
3 septembre 1940 : Abrogation de la loi interdisant aux
congréganistes d'enseigner.
18 septembre 1940 : Le gouvernement supprime les écoles
normales d'instituteurs, trop républicaines. Les instituteurs doivent
désormais obtenir le baccalauréat.
15 octobre 1940 : Les syndicats enseignants sont
supprimés
6 décembre 1940 : Les devoirs envers Dieu sont
explicitement rétablis dans les programmes primaires.
1940-1946 : avec l'entrée de l'Italie dans la
deuxième guerre mondiale, les émigrants qui partent vers les pays
alliés sont déclarés étrangers ennemis et parfois
enfermés dans des camps d'internement en Italie.
1941 : Le ministre Carcopino transforme les Écoles
primaires supérieures en collèges modernes et les Écoles
pratiques de commerce et d'industrie en collèges techniques.
2 novembre 1941 : A la demande de l'épiscopat, une
subvention de quatre cent millions de francs au profit des écoles
privées est inscrite au budget du ministère de
l'Intérieur.
17 avril 1945 : Une ordonnance du général De Gaulle
abroge la législation scolaire de Vichy. 2 novembre 1945 : Vote de
l'ordonnance sur l'entrée et le séjour des étrangers en
France.
Création de l'ONI (Office National d'Immigration) qui
donne à l'Etat le monopole de l'introduction de la main d'oeuvre
étrangère dans le pays.
Trois cartes de séjour sont instaurées (1, 3 et 10
ans).
L'immigration des familles est favorisée dans une optique
démographique.
Suppression des classes élémentaires payantes dans
les lycées et les collèges. La disparition effective de cette
filière destinée aux milieux aisés n'interviendra pas
avant les années 1960.
22 février 1946 : Un accord prévoit le recrutement
de 20 000 ouvriers italiens en directions des mines françaises.
21 mars 1947 : Un accord de main d'oeuvre est signé
à Rome, il inaugure un dispositif dérogatoire au regard du
traitement réservé aux autres étrangers.
1947 : Création du brevet d'études du premier cycle
du second degré (BEPC) qui se substitue au brevet
élémentaire qui permettait d'accéder aux postes de bases
dans l'administration.
5 mai 1948 : Les décrets Poinsot-Chapuis permettent
l'attribution de fonds publics aux écoles privées.
Novembre 1948 : suppression du visa consulaire pour les Italiens
séjournant en France moins de trois mois.
28 septembre 1951 : La loi Barrangé accorde des bourses
et des subventions à l'enseignement privé (le 9 novembre, une
grève réunira 80% des instituteurs du pays à manifester
contre cette réforme).
1er janvier 1958 : Entrée en vigueur du traité de
Rome qui instaure le principe de libre circulation.
L'immigration s'accélère avec la
décolonisation et la modernisation de l'appareil productif conduit
à remplacer la main-d'oeuvre qualifiée par des ouvriers
effectuant un travail parcellisé avec une productivité accrue.
? Tableaux :
(Annexes 2, 3 et 4 : réalisées d'après les
données du site de l'ISTAT (Sommario di statistiche storiche
italiane)).
Annexe n° 2 Immigration italienne
dans le monde
monde entier en milliers
|
1876
|
- 1879
|
1 163 000
|
1880
|
- 1889
|
1 783 000
|
1890
|
- 1899
|
2 698 000
|
1900
|
- 1909
|
5 728 000
|
1910
|
- 1919
|
3 836 000
|
1920
|
- 1929
|
301 000
|
1930
|
- 1939
|
931 000
|
1940
|
- 1949
|
996 000
|
Annexe n° 3 Immigration italienne
vers les pays européens
|
Vers les pays européens en milliers
|
|
1876
|
- 1879
|
25
|
000
|
1880
|
- 1889
|
97
|
000
|
1890
|
- 1899
|
135
|
000
|
1900
|
- 1909
|
328
|
000
|
1910
|
- 1919
|
213
|
000
|
1920
|
- 1929
|
148
|
000
|
1930
|
- 1939
|
28
|
000
|
Annexe n° 4 Immigration italienne
en France
Années :
|
Italiens de France
|
1916
|
- 1925
|
998
|
642
|
1926
|
- 1935
|
532
|
383
|
1936
|
- 1945
|
47
|
045
|
1946
|
- 1950
|
192
|
039
|
1951
|
- 1960
|
592
|
492
|
1961
|
- 1970
|
206
|
687
|
1971
|
- 1980
|
61
|
355
|
1981
|
- 1990
|
43
|
685
|
Annexe n° 5 Les ministres
français en charge des questions scolaires du 8 novembre 1934 au
1er février 1956
(D'après Les écoliers d'hier et leurs
instituteurs, Marie-Odile MERGNAC, Caroline GOROSCIO-BRANCQ et Delphine
VILRET, 2008, Paris - p. 44 et p. 48).
Nom du ministre et titre
|
Début
|
Fin
|
MALLARME André Victor Ministre de l'Education
Nationale
|
8 novembre 1934
|
31 mai 1935
|
ROUSTAN Marius, François, Pierre
(dit Mario) Ministre de l'Education Nationale
|
1er juin 1935
|
6 juin 1935
|
MARCCOMBES Marie Jean Philippe Ministre de l'Education
Nationale
|
7 juin 1935
|
16 juin 1935.
|
ROUSTAN Marius, François, Pierre
(dit Mario) Ministre de l'Education Nationale
|
17 juin 1935
|
23 janvier 1936.
|
GUERNUT Henri Ministre de l'Education Nationale
|
24 janvier 1936
|
4 juin 1936
|
ZAY Jean Elie Paul Ministre de l'Education Nationale
|
4 juin 1936
|
10 septembre 1939
|
DELBOS Yvon Ministre de l'Education Nationale
|
13 septembre 1939
|
20 mars 1940
|
SARRAUT Albert Pierre Ministre de l'Education Nationale
|
21 mars 1940
|
5 juin 1940
|
DELBOS Yvon Ministre de l'Education Nationale
|
5 juin 1940
|
16 juin 1940
|
RIVAUD Georges Ministre de l'Education Nationale
|
16 juin 1940
|
12 juillet 1940.
|
MIREAUX Emile Bernard Secrétaire d'Etat de
l'Instruction publique et des Beaux-Arts
|
12 juillet 1940
|
6 septembre 1940
|
RIPERT Georges Secrétaire d'Etat Instruction publique
et Jeunesse
|
6 septembre
|
13 décembre 1940
|
CHEVALIER Jacques Ministre de l'Education nationale
|
13 décembre 1940
|
23 février 1941
|
Jérôme Carcopino Secrétaire
d'État à l'Education Nationale
|
25 février 1941
|
18 avril 1942
|
BONNARD Abel Ministre et secrétaire d'État de
l'Education nationale et de la Jeunesse
|
18 avril 1942
|
20 août 1944
|
CAPITANT René Ministre de l'Education nationale
|
20 août 1944
|
21 novembre 1945
|
GIACOBBI Paul Joseph Marie Ministre de l'Education
nationale
|
21 novembre 1945
|
26 janvier 1946
|
NAEGELEN Marcel-Edmond Naegelen Ministre de l'Education
nationale
|
26 janvier 1946
|
13 octobre 1946
|
NAEGELEN Marcel-Edmond Ministre de l'Education nationale
|
13 octobre 1946
|
12 février 1948
|
DEPREUX Édouard Ministre de l'Education nationale
|
12 février 1948
|
26 juillet 1948
|
DELBOS Yvon Ministre de l'Education nationale
|
26 juillet 1948
|
5 septembre 1948
|
REVILLON Tony Ministre de l'Education nationale
|
5 septembre 1948
|
11 septembre 1948
|
DELBOS Yvon Ministre de l'Education nationale
|
11 septembre 1948
|
2 juillet 1950
|
MORICE André Ministre de l'Education nationale
|
2 juillet 1950
|
12 juillet 1950
|
LAPIE Pierre-Olivier Ministre de l'Education nationale
|
12 juillet 1950
|
11 août 1952
|
MARIE André Ministre de l'Education nationale
|
11 août 1952
|
19 juin 1954
|
BERTHOUIN Jean Ministre de l'Education nationale
|
19 juin 1954
|
1er février 1956
|
? Carte :
Annexe no 6 Les régions
italiennes (Fond de carte de l'Italie complété à
l'aide Grand Atlas du Monde, Paris, 1999, 370 p.)
> Documents « scolaires » :
- Extraits de rédactions de la revue scolaire «
Joyeux écoliers »
(Journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC,
instituteur de l'école Poincaré de Villerupt, n° 36, mois de
janvier et février 1954).
(On remarque le grand nombre de patronymes italiens dans
les petits récits des enfants de Villerupt. Par ailleurs, ces sources
illustrent bien l'organisation de « classes promenades » de la part
des instituteurs).
Annexe n° 7
Une bataille
Jeudi, nous sommes allés au plateau de la gare dans une
vieille caisse à mine abandonnée qu'on appelle « la maison
mystérieuse ». Nous y avons organisé une bataille.
Munie de perches, mon équipe occupait la maison et
l'équipe adversaire était à l'extérieur. La
bataille commença. Nous sortîmes de notre forteresse et
fîmes reculer l'ennemi. Avec énergie, nos assiégeants
avancèrent, prirent d'assaut le château et nous nous
rendîmes, car nous étions encerclés.
BURINI Jean 12 ans 1/2 Equipe des Cerfs.
Annexe n° 8
Aux pissenlits
Le jeudi 25 mars, avec notre maître et quelques
camarades, nous sommes allés aux pissenlits à Rédange.
Nous passons devant l'agglomération, le concasseur en construction, le
crassier de Micheville, et enfin, nous arrivons dans un immense pré. On
se disperse.
Sibilia me donne ceux qu'il cueille. Marinelli part seul en
nous disant : « ce sont des vieux, moi, je vais en chercher des blancs
». Il s'en va en fouillant dans les taupinières. La cueillette
finie nous nous coupons des bâtons et nous retournons. En passant devant
le crassier, nous regardons déverser des poches de crasse. Nous
descendons heureux de pouvoir manger gratuitement une bonne salade de
pissenlits.
COLOMBO Gérard 10 ans 1/2 Equipe des
Panthères.
|
Annexe n° 9
Une promenade
Un jeudi qu'il faisait beau, je suis monté avec Burini me
promener au bois de Cantebonne. A ce moment, Rizzo sortait du cimetière.
Il nous dit :
- Où allez-vous ?
- Nous promener près du terrain de foot ball.
- Attendez, je viens avec vous. Je vais avertir maman qui est sur
la tombe de mon grand père. Nous montons tout doucement en attendant
notre camarade. Enfin, il nous rejoint. Nous rentrons dans le bois et nous nous
coupons des baguettes, puis nous allons au stade. Piérini y était
avec son père/ ensuite, nous aurions voulu aller chez Margaroli, mais il
était trop tard. Nous sommes redescendus par la rue du Loque, contents
de cette promenade ensoleillée.
MONACELLI Jean-Claude 12 ans Et RIZZO Robert 14 ans
1/2 Equipe des Cerfs.
|
Annexe n° 10
Un feu
Un jour, deux camarades et moi nous sommes partis au moulin de
Tiercelet, faire un feu. Nos avons commencé à faire un foyer en
pierres et nous sommes allés chercher des brindilles et du bois. Nous
avons allumé le feu.
Les flammes montaient vers le ciel, puis le feu
s'éteignit. Mon camarade Dignasio qui voulait se reposer s'assit sur une
pierre du foyer qui était encore chaude. Tout à coup je
l'entendis hurler comme un fou. Je lui demandai ce qu'il avait, il me
répondit : « Mi sono bruciato una cocia » (Je me suis
brûlé une cuisse). Et nous repartîmes à la maison.
LICITAR Robert 13 ans 1/2 Equipe des
Renards.
- Bulletin météo de la revue scolaire «
Joyeux écoliers »
(Journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC,
instituteur de l'école Poincaré de Villerupt, n° 36, mois
de janvier et février 1954).
Annexe no 11
METEO
Février 1954 : Mars 1954 :
Minimum : - 14° Minimum : - 3°
Maximum : 11° Maximum : 19°
Moyenne mensuelle : 2, 3° Moyenne mensuelle : 8, 7°
Pluie 37, 8 mm en 13 jours. Pluie 48, 3 mm en 15 jours.
13 jours de gelée. 2 jours de gelée.
5 chutes de neige. 1 chute de neige.
|
- Linos de couvertures des revues scolaires « Joyeux
écoliers »
(Journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC,
instituteur de l'école Poincaré de Villerupt, n° 36, mois
de janvier et février 1954).
Annexe n° 12
Annexe n° 13
> Entretien libre de recherche mené par
Federica STORTONI avec un Français
d'origine italienne (deuxième
génération) de mère et père italiens des Abruzzes.
Annexe n° 14
(Dans STORTONI (Federica), Clinique contemporaine des
Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis
Français... mais mon père était italien... ».
Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie)
sous la direction du professeur NATHAN (Tobie) et du professeur CHATTAH
(Rabih), Université de Paris 8 Vincennes - Saint Denis,
(UFR7/Psychologie, pratiques cliniques et sociales) et université de
Bologne (département de Psychologie clinique), soutenance le 16 juillet
2007).
(Lieu de l'entretien : sur la terrasse de la maison du
témoin en banlieue parisienne.)
« F. S. : je fais une thèse en psychologie sur les
descendants d'Italiens et je m'intéresse à ce qu'est être
un Français d'origine italienne. Je m'intéresse aux choses qui
restent, qui disparaissent, qui se transmettent, qui se mélangent, qui
ne se mélangent pas sur plusieurs générations.
Voilà le point de départ de notre dialogue mais tu peux à
partir de cette piste, me
raconter ce que tu veux...
Bruno : Oui, je commence par mes parents... Je parle
français ou en italien ?
F. S. : comme tu préfères.
B : oui, alors, mes parents venaient avec leurs parents, mes
grands parents en France dans les années 20-30. Ma mère est venue
en France, elle avait huit ans. Du côté de mon père qui
vient d'un petit village à la frontière avec le Molise, c'est un
petit village de 900 mètres d'altitude.
Son père a commencé à migrer aux
Etats-Unis au début du siècle, pour des raisons
économiques, et il avait amené ses deux fils aînés,
il y est resté cinq ans. Un a fait souche là-bas, et c'est comme
ça que j'ai des cousins à Boston ; et par contre le
deuxième fils s'est engagé à 17 ans dans l'armée
américaine, il est venu en Europe, il a pris les gaz en 14-18 et il est
mort jeune, de ça. Il n'a pas eu d'enfants. L'aîné est
resté en Amérique et le grand-père est rentré en
Italie. Et ensuite il vient en France et là, il amené mon
père la première fois. La grand-mère était
restée au village pendant tout ce temps. Il est mort en France, mon
grand-père.
F. S. : Il est enterré où ?
B : Il est enterré ici, en France. Pour l'anecdote, mon
grand-père aux Etats-Unis envoyait des dollars, et disait à sa
femme : « nourris bien les enfants, envoie-les à l'école
» et elle ne faisait rien de tout ça, elle mettait de
côté l'argent à la Caisse d'épargne, « cassa di
Risparmio ». Après ça s'est révélé,
comme on le sait, aller dans les poches des industriels du Nord, c'est
l'analyse de Gramsci... mais bon ! Lorsque mon père est rentré
d'Amérique, lui et la grand-mère se sont disputés pour
cela. Mon grand-père ici en France a construit une « palazzina
», un petit immeuble, à Drancy (avec cet argent qui restait) et ils
étaient à un étage et les enfants dans les autres
étages.
F. S. : la grand-mère, elle, voulait construire la maison
avec l'argent et le grand--père aurait voulu envoyer les enfants
à l'école.
B : Oui, ce qui était rare à l'époque
pour un homme du Sud, c'est que mon grand-père était un
socialiste (maçon), un pur et dur et donc, il avait de la
présence, un esprit indépendant, il avait des idées
progressistes.
F. S. : Et ils avaient une maison au village ?
B : oui.
F. S. : Ils repartaient au village l'été ?
B : Non, à l'époque on ne partait pas en
vacances, ça n'existait pas. Du côté de ma mère, le
grand-père était très petit, (il faisait un mètre
quarante-neuf), il est allé avec son frère, mon oncle, en
Angleterre. Ils tenaient un petit café en banlieue, et il y a eu une
bagarre un soir, et ils ont été expulsés. Après ils
faisaient des allers et retours entre la France et l'Italie, ils travaillaient,
ils achetaient du terrain là-bas, ils se rendettaient et ils partaient
en France pour faire un peu d'argent (comme maçons). Et, à ce
moment là, ma mère est venue (en 1925), mais ils ne
s'installaient pas, jusqu'en 1939. Ils venaient à l'origine de la
Ciociaria, d'ailleurs ce nom de famille vient de cette partie de la
région. Alors les deux familles étaient de deux régions
différentes : l'Etat pontifical, et le règne de Naples. Mon
grand-père a fait 5 enfants (une seule fille) et mon père
était le dernier. Ma grand- mère a fait 6 enfants (3 filles, 3
garçons). Tout le monde est ici, sauf la famille de Boston. Mon
grand-père maternel et la grand-mère sont retournés au
pays et après sont décédés là-bas. Mes
parents se sont connus en France, en 36, à la Villette. Ils
étaient voisins, se sont mariés en 36 et en 39, à
l'approche de la guerre, ils sont retournés en Italie. Mon père
était philo-faciste. Mussolini disait aux Italiens de rentrer, il leur
promettait des choses, et mon père a suivi. Ça lui a
coûté 15 jours de prison parce que le régime disait bien :
retournez en Italie, mais là d'où vous êtes originaire.
Comme il n'y avait pas de travail au village, mon père a essayé
de partir à Rome, mais il s'est fait arrêter, après en
Grèce, en Albanie. Les oncles et les tantes, une partie est
restée en France pendant la guerre, mais mon père lui, voulait
retourner en Italie. Il est resté le seul de la famille très
italien, il n'a pas cherché à se naturaliser. Jamais.
Après ils sont revenus en France mais, ma tante, par exemple, est venue
en France en 1920, elle est morte en 1980 ici. Elle n'a jamais remis les pieds
au village. Pour elle, dans sa tête, c'était un pays de la faim,
de la misère. Elle a transmis ça à ses enfants qui sont
restés ici, mariés à de non italiens. Les autres de la
famille ont gardé quelques liens avec le village. Tout le monde
était de gauche, sauf mon père qui a un certain moment a
été séduit par le régime fasciste parce que comme
il m'a expliqué : « nous Italiens à la fin des années
30, on relevait la tête... On était maltraités par les
Français ». A la Villette à l'époque il y avait les
réfugiés politiques qui venaient d'Italie et mon père se
battait un peu, il y avait une vraie guerre dans la même
communauté italienne. Tu avais les immigrés
réfugiés politiques et les autres philofascistes qui
espéraient quelque chose. Il faut voir aussi dans quelles conditions ils
vivaient à la ville, ils étaient dans des baraques en planches,
on appelait ça « la zone ». Pendant la guerre, il y avait les
petits fascistes italiens en uniforme et les autres, mais cela ne se passait
que dans la communauté italienne, ils allaient embêter les autres
Italiens. Jamais ils se seraient permis d'aller embêter les
Français. D'ailleurs il y a eu des règlements de comptes entre
Italiens dans les années 45. La guerre a été dure pour
tout le monde, mon père était prisonnier en Grèce. Et ma
mère, en Italie, était sur le front, la ligne Gustave, à
Montecassino. Les allemands déplaçaient les populations civiles
qui allaient au Nord, ma mère avait deux filles et un fils qui est mort
avant moi, elles ont été amenées en camion dans le Nord.
Le voyage a duré deux mois, c'était très dur, il y avait
les bombardements. Et ma mère, quand elle est arrivée, elle ne
tenait plus. Ils ont été très bien accueillis chez les
paysans du nord, riches. Ma mère s'est refaite une santé et ma
deuxième soeur est restée, jusqu'en 47 là-bas, et on
voulait la garder, elle. Elle est toujours restée très
liée à cette famille. Elle a vu mon père en 47, elle ne le
connaissait pas. Elle parlait l'italien très bien, elle était la
seule, elle appelait mon père : Monsieur. Elle est née en 39, mon
père est parti en 40 à la guerre. Ma soeur qui était
très courtisée par les gens du village, s'est mariée avec
un Padovano, du nord qui l'a connue en France. Donc mes parents et les enfants
sont venus à Paris, et moi je suis né ici, en France. Bruno,
c'est mon prénom, était le chef de famille de cette famille du
Nord, d'ailleurs. Avant moi, il y avait un frère qui est mort petit, et
ça c'était un drame. Il, Bruno, a fait une crise énorme,
il a changé depuis, il n'a plus remis les pieds dans un café avec
les amis. Le petit était gardé par une nourrice. Ma mère
devait travailler, il n'y avait pas de frigidaire et donc elle a laissé
le lait, qui a dû tourner avec la chaleur, et il s'est choppé
une
entérite. La mère de mon père a
accusé un peu ma mère qui, si elle était restée
à la maison, cela ne serait pas arrivé, elle aurait fait
attention.
F. S. : Donc toi tu es arrivé...
B : Moi j'étais surprotégé dans
l'angoisse de ma mère. Je ramenais pour mon père cet enfant mort
à la vie... et cela a été beaucoup travaillé dans
ma psychanalyse. A la Courneuve en 40, on ne connaissait pas bien la
psychanalyse. C'était quelqu'un qui était un peu autodidacte.
J'ai pensé que je voulais être géologue, j'aimais beaucoup
les montagnes (de mon village), je voulais aller étudier les glaciers,
ou être archéologue. Et j'ai fait l'Université,
c'était en mai 68. ça a duré 11 ans, ma psychanalyse.
F. S. : tu as été baptisé ?
B : oui, à la Courneuve et c'était des gens du
pays, ma marraine, mon parrain. Ce n'est pas comme en France qu'on choisit les
gens de la famille, nous là-bas, c'est vraiment quelqu'un d'une vie
particulièrement bien et c'est pour élargir le cercle, ils ont
des liens presque sacrés. Mon parcours par rapport à
l'Italianité... Je suis allé à la maternelle et la
première fois qu'il y a eu quelque chose qui a fait sens, c'est à
la dernière année, j'avais fait des objets qui avaient
émerveillé les maîtresses. Et j'ai surpris ma
maîtresse qui disait à la directrice de l'école : Non, on
ne lui donne pas quelque chose c'est un Italien ! Cela a été mon
premier choc. C'était en 1955, et c'était la première fois
que j'étais confronté, moi, à une hostilité. J'ai
raconté ça à ma mère et mes parents le soir, ils
n'étaient pas contents. Je sentais une différence entre
l'éducation à la maison, j'étais le petit Roi, et à
l'extérieur où je devais être poli, serviable, baisser la
tête. Et j'ai commencé à intégrer qu'on
n'était pas chez nous : « Mon père me disait, on n'est pas
chez nous, il faut être respectueux, ils nous accueillent... En gros, tu
n'as pas droit à la parole toi, tu fais ce qu'on te dit de faire et
voilà... C'est ça qu'il m'a transmis. Il me disait toujours, soit
toujours loin de la loi, être loin de la loi : ne pas faire de
bêtises pour ne pas avoir à faire à la loi ». Pour
commencer, quand en 49 mon père est allé me déclarer
à la Mairie, 49 c'était trois ans après la guerre, les
Italiens étaient mal vus. Mon père a dit : « Carlo-Bruno
» et le monsieur lui a dit : « je ne connais pas, c'est quoi ?
» Et mon père a dit : « je suis italien, c'est un
prénom italien ».
Le monsieur a dit : « Si on est en France, il faut mettre un
prénom français et mon père a regardé les noms
et a dit « Charles-Bruno ». Par la suite par rapport aux
Français, c'était très rare qu'on me dise quelque chose.
Mais dans la famille de mon père, j'ai entendu beaucoup de choses
anti-italiennes de leur part.
Quand j'ai eu le bac, il y avait les bacheliers pour faire une
fête à Paris, en 67, et moi de banlieue, j'allais à Paris
(c'était rare !) et on se fait arrêter dans la manifestation et je
n'avais aucun papier. Et j'étais mineur, j'avais 18 ans (21 ans, la
majorité à l'époque) et la police est allée voir
mon père sur le chantier, ils m'ont gardé tout une nuit : «
comment ça vous n'avez pas de papiers ! » et c'est lui qui m'a dit
que j'étais Italien. Ils m'ont établi une carte de séjour,
jusqu'à l'age de 21 ans. Jusque-là c'était pas pour moi
une vraie question, j'étais sur le passeport de ma mère et point.
Et après, j'avais d'office la nationalité française
à 21 ans, étant né en France. Et j'ai gardé les
deux, j'ai fait militaire ici. Et la police a dit à mon père :
« si on le revoit à une manif, on le renvoie en Italie », et
mon père m'a menacé là. Donc, on était en 1968 et
toutes les manifs (j'étais en plein dedans !), j'ai dü faire
attention de ne pas être pris. Là, j'avais déjà la
double nationalité comme mes filles ont maintenant. Ceux qui se sont
naturalisés à 16 ans pour le travail, ou mes cousines, ils n'ont
pas la double nationalité.
F. S. : Et la nourriture...
B : Ma mère cuisinait à l'italienne, les soupes
« pasta1 et cice, pasta et fagiole », des pâtes avec les
légumes, et non pas les pâtes avec la sauce.
1 Traduction de la langue au français: pâtes et pois
chiches, pâtes et haricots.
Chez nous, il y a une tradition culinaire pauvre, ce n'est pas
l'Emilie Romagne, la Toscane. Mais ici on l'appelait pour les mariages pour
cuisiner les lasagnes, les pâtes à la main. Et le
dimanche midi, les pâtes étaient pantagruéliques, ils
associaient le repas italien et le français : les entrées
françaises et les légumes italiens, les
pâtes (lasagnes), la viande rouge (le rôti, on ne mange pas la
viande rouge en Italie) avec les légumes, ensuite le fromage (à
la française, en Italie, on ne le mange pas dans nos coins pendant le
repas), le dessert. On sortait tout l'après midi, et toute la famille
venait. Il y avait ma soeur avec son mari qui était un descendant
d'italien bien francisé, etc. Ma mère se voulait pratiquante,
mais elle devait aller au marché le dimanche matin et moi j'ai fait le
baptême, la communion, tout.
B : Dans ma région, ils ont émigré
très très tôt, et ils ont perdu certaines traditions par
rapport à certains villages très vite et les américains,
les anglais italiens apportaient de nouvelles mesures. Il y avait quelque
chose, une tisane, un médicament que ma mère faisait mais
très peu. Ma mère faisait une tisane avec le pavot, ou la
camomille, ou le tilleul pour calmer et pour dormir. Ou elle faisait de l'ail
pour les intestins et le marsale avec l'oeuf pour les vitamines.
L'Italianité, c'est complexe, très complexe, je
vais chercher à t'expliquer... A mes filles, les choses abruzzes se
transmettent involontairement. Ma femme a tenu à ce qu'elles aient des
prénoms italiens facilement prononçables en français. Moi
aussi j'y tenais. Pour la langue, ma femme a tenu que les filles apprennent
l'italien à l'école. Ma fille veut faire l'Erasmus à
Naples. Et je suis content, pour moi symboliquement, Naples, c'est ma capitale,
ce n'est pas Rome, encore moins Milan. Moi, à la maison, petit je
parlais le dialecte, et maintenant, je le parle mais pas très
très bien, des termes précis de l'agriculture par exemple,
On parlait le dialecte et le français. Ensuite j'ai eu
une période où à l'adolescence, j'ai eu honte d'être
italien, et aussi pour ce que je sentais dans la famille de mon père. Si
tu veux, il y a un truc à comprendre, ce qui passe dans le langage de
tous les jours, c'est que tout ce qui était français était
mieux, même avec des gens qui s'intéressent aux Italiens,
même ma mère un peu... mon père non, mais il n'affichait
pas son italianité, il avait été fasciste et puis en
Grèce, il a déchanté (il a été
dégoüté... les Grecs étaient des paysans comme chez
nous, on ne voit pas ce qu'on faisait chez eux alors qu'ils sont comme nous,
aussi pauvres que nous...). On a du mal à se sortir de ce moule qui nous
a imprégnés depuis petit que tout ce qui est français,
c'est mieux. Chez les Italiens même... on est venu en France parce qu'on
ne pouvait pas être en Italie.
En été je vais au village, ils arrivent, les
Italo-belges, les Italo-Ecossais, eux ils ont vécu davantage en
communautés et nous en France, on s'est facilement, pas assimilé,
mais adapté. Assimilés il y a aussi, mais ça n'a pas
réussi spécialement. Bon, moi je n'ai aucun accent, je suis bien
adapté. Comme ils disent les historiens, s'il n'y avait pas eu Jules
César, la Gaule (la Gallia) aurait été germanisée.
On est plus proche, les Italiens et les Français, que d'autres.
Dans l'histoire, en effet, c'est que la France est toujours
mieux, et la place de l'Italie, qui du point de vue international, est
zéro. Jusqu'en juin 40, la France était une puissance
internationale énorme. Donc en France c'est mieux ! L'Italie est belle,
mais le message qu'on nous faisait passer, c'était que, en France
c'était mieux, les écoles, la Santé, le système,
les trains. Mon père restait discret sur son italianité, il
était content quand on gagnait au sport. La fierté nationale,
c'était à travers le sport, ou à partir des années
60, avec le boom économique. Tout ça dans les milieux modestes,
dans les milieux bourgeois, c'est autre chose. »
> Questionnaire destiné aux témoins :
Annexe n° 15
(Ce questionnaire est livré à titre
indicatif, en fait, la méthode d'entretien a plutôt
été de poser les questions les plus ouvertes possibles afin de
laisser le témoin libre d'en dire plus. Cependant, ayant
interrogé uniquement des personnes n'ayant jamais été
questionnées auparavant sur leur scolarité, il m'est parfois
arrivé de me retrouver face à des personnes ayant du mal à
s'exprimer, auquel cas, l'entretien était guidé grace à
ces questions).
1). Prénom et nom du témoin.
2). Date et lieu de naissance.
3). Etes-vous issu(e) d'un couple mixte ou de deux parents
italiens ?
4). De quelle région d'Italie êtes-vous originaire
?
- Faisiez-vous une différence entre le Nord et le Sud de
l'Italie ?
- Sentiez-vous que vos instituteurs ou vos camarades faisaient
une différence entre le Nord et le Sud de l'Italie ?
5). Date et lieu d'arrivée en France (de vos parents ou
de toute la famille)
- Par quels moyens votre famille a-t-elle émigré ?
(Légaux ou non, train, bateaux ...) - Pourquoi vos parents
ont-ils immigré ? (Raisons politiques, économiques...)
- Avaient-ils déjà un contrat de travail ?
- Rejoignaient-ils un réseau déjà en place
(amis, familles, personnes originaires du même village) ?
6). Quel métier exerçait votre père ? Votre
mère ?
7). Nombre de frères et/ou soeurs.
8). Scolarisation.
(Si possible, répondre aussi à ces questions
pour vos frères et soeurs)
- où ? (Ville(s) et noms des écoles)
- de quand à quand ?
- scolarisation dans l'enseignement privé ou dans
l'enseignement publique ? (Précisez si vous connaissez les raisons de ce
choix de vos parents)
- avez-vous redoublé au cours de votre scolarité
?
(Au moment de votre arrivée en France ou plus tard
?)
9). Naturalisation ou non ? (Précisez comment vous avez
obtenu la nationalité française)
- de vous-même ?
- de vos frères et/ou soeurs ?
- de vos parents ?
10). Perceviez-vous que vous étiez un(e)
immigré(e) ou vous sentiez vous Français(e) à
l'école ? Pourquoi ?
11). Y avait il d'autres enfants d'origine
étrangère dans votre classe ? Dans votre école, dans votre
entourage ?
- Y avait il d'autres enfants d'origine italienne dans votre
classe ? Dans votre école, dans votre entourage ?
- Aviez-vous des amis d'origine italienne ?
- Quelles relations entreteniez-vous avec ces camarades ?
- Fréquentez-vous toujours des Italiens ?
12). Parliez-vous de l'Italie avec vos camarades ?
- Avec vos instituteurs ?
- Avec vos parents ?
- Vos parents vous en parlaient-ils ? (De façon positive ?
négative ?)
13). - Vos parents étaient-ils en mesure de vous aider
pour vos devoirs ?
- Parlaient-ils bien le français ? En quelle langue vous
parlaient-ils ?
- Savez vous parlez un dialecte italien ? Savez-vous parler
l'italien ?
14). Avez-vous reçu de la part de vos parents une
éducation politique ?
- Une éducation religieuse ?
15). Comment-vous sentiez vous en classe ?
- Etiez-vous un bon élève ?
- Comment-vous sentiez vous dans la cour de
récréation ?
- Aviez-vous des amis à l'école ?
16). Aviez-vous l'impression que le rôle de la France
était particulièrement valorisé dans les leçons de
vos instituteurs ?
- Si oui, comment viviez-vous ce patriotisme scolaire ?
17). Vous rappelez-vous de maîtres d'école vous
ayant particulièrement marqué ? (De facon positive ou
négative)
18). Etes-vous retourné(e) en Italie ?
- Avec votre conjoint/épouse ?
- Etes-vous en contact avec des Italien(ne)s ?
- Votre conjoint est-il/elle d'origine italienne ?
- Etes-vous toujours en contact avec des Italiens ?
19). Avez-vous eu des enseignants d'origine italienne ?
20). Vous souvenez vous d'épisodes violents à
l'école ?
- Avec vos camarades ?
- Avec les instituteurs ?
- Avez-vous déjà reçu des insultes en
rapport avec vos origines ? Si oui, quelle a alors été votre
réaction ?
21). Jusqu'à quel age êtes-vous allé(e)
à l'école ?
- Quels diplômes avez-vous obtenus ?
- Quelle profession avez-vous exercée ?
22). Si vous l'avez vécue, vous souvenez-vous de l'impact
de la seconde guerre mondiale sur votre enfance, sur votre scolarité
?
- Comment avez-vous vécue la position « d'ennemie
» de l'Italie vis-à-vis de la France ? 24). Si vous avez des
enfants, avez-vous souhaité qu'ils apprennent l'italien ?
- Sont-ils intéressés par leurs racines italiennes
?
TABLEAU DES SOURCES
. Sources d'archives publiques :
Archives départementales de Loire-Atlantique :
Série J :
ADLA, 51 J 2
|
Correspondance avec le Ministre des
Affaires Etrangères -- Lettres de Français au Duce.
|
1929 à 1936
|
ADLA, 51 J 13
|
Papiers du consulat italien
|
1928 à 1944
|
ADLA, 51 J 15
|
Affaires de justice : condamnations, poursuites.
|
1931 à 1942
|
ADLA, 51 J 16
|
Appels en France de membres de familles
italiennes restés en Italie.
|
1930 à 1947
|
ADLA, 51 J 17
|
Servizio « Gestanti » (secours aux italiennes
enceintes).
|
1928 à 1940
|
ADLA, 51 J 18 à 51 J 21
|
Correspondances sur les mariages des sujets italiens.
|
1928 à 1940
|
ADLA, 51 J 26
|
Expulsions.
|
1935 à 1942
|
ADLA, 51 J 47
|
Culture : écoles, musées, voyages,
expositions.
|
1932 à 1943
|
ADLA, 51 J 48
|
Ecole et diffusion de la langue.
|
1937 à 1943
|
ADLA, 51 J 52
|
Langue italienne.
|
1930 à 1938
|
ADLA, 51 J 53
|
Ecole : personnel enseignant.
|
1939 à 1942
|
ADLA, 51 J 54
|
Affaires scolaires : enseignement de l'italien.
|
1922 à 1942
|
Série M :
ADLA, 1M 794
|
Surveillance des étrangers suspects (rapports de
police qui évoquent les fascistes nantais).
|
1929
|
Série T :
ADLA, 204 T 1.2
|
(Fond de l'Inspection Académique) Affaires
disciplinaires devant le Conseil départemental : dossiers individuels
et décisions.
|
1894 à 1940
|
Série W :
ADLA, 374 W et 1286 W
|
Fond des demandes de titres de séjour.
|
1880 à 1980
|
Archives municipales de Nantes :
Série BG :
AMN, BG br 122
|
« Emigrer c'était fuir la misère "
|
13 janvier 1997
|
AMN, BG br 143
|
« Les conditions institutionnelles de la scolarisation
des garçons de 1920 à 1940 "
|
Juillet - septembre 1979
|
AMN, BG br 1663
|
« Les Italiens à Nantes et dans le pays nantais
"
|
1963
|
Enquêtes et sondages :
Publication dans GIRARD (Alain) et STOETZEL (Jean),
Français et immigrés. L'attitude française.
L'adaptation des Italiens et des Polonais, 1953, Paris. (Travaux et
documents - cahier n°19) :
- Institut National des Etudes Démographiques,
épaulé par l'UNESCO, décembre 1950. Enquête sur
l'assimilation des étrangers.
- Sondage effectué en janvier 1951 sur 2463 personnes de
nationalité française sur « les attitudes et comportement
des Français à l'égard des émigrants ».
Statistiques :
- Sommario di statistiche storiche, Rome, 1958.
- Bulletin de la Statistique générale de la
France
« L'enseignement primaire en France depuis la guerre »,
janvier 1936, t. 25, p. 300-336.
. Sources d'archives privées :
Nom du témoin
|
Année de naissance
|
Provenance
|
Lieu de la scolarisation
|
Informations sur le témoignage
|
Maggiorina BOZZUFFI -- CATTIROLO
|
1923
|
Piémont (Mariage endogène).
|
Rennes
|
Questionnaire
|
WM (Ce témoin a demandé à ce
que seules ses initiales soient divulguées)
|
1924
|
Emilie-Romagne (Mariage endogène)
|
Biarritz Moissac (Tarn et Garonne) Agen
|
Entretien le 27 octobre 2009
à Sainte Marguerite
|
Walter BUFFONI
|
1925
|
La Spézia, Ligurie
|
Saint-Nazaire
|
Questionnaire
|
|
|
(Mariage endogène)
|
Penhoët
|
et entrevue le vendredi 30 avril 2010, maison de quartier
de
|
|
|
|
|
Méan Penhoët
|
Lucien ZANDOTTI
|
1928
|
Piémont
|
Saumur
|
Questionnaire
|
|
|
(Mariage endogène).
|
|
|
Carina
|
1930
|
Père du Piémont
|
Autour du
|
Questionnaire
|
TRAVOSTINO- CORBEAU
|
|
(Mariage mixte : mère française)
|
Mans
|
|
Maria CERA-
|
1934
|
Abruzzes
|
Nantes
|
Entretien le 4
|
BRANGER
|
|
(Mariage mixte : mère nantaise)
|
|
février 2010 à Vertou
|
Georges LECLAIR
|
1934
|
Sardaigne (Mariage mixte)
|
Nantes
|
Entrevue le vendredi 30 avril 2010, maison de quartier de
|
|
|
|
|
Méan Penhoët
et entretien d'O. OSSAN
le 24 avril
|
|
|
|
|
2008 en vue de l'exposition au restaurant
|
|
|
|
|
« Interlude »
|
Mario MERLO
|
1934
|
Lombardie (Mariage endogène)
|
Nantes
|
Entretien le 1er décembre 2009 à
Basse Goulaine
|
Odette GARINO - POIRIER
|
1935
|
Piémont (Mariage endogène)
|
Saumur
|
Questionnaire
|
Maria (Maria ne souhaite pas que son nom entier
soit divulgué)
|
1939
|
Messine, Sicile. (Mariage endogène).
|
Près de Clisson
|
Entretien le 24 novembre 2009 à Nantes
|
Jean BURINI
|
1941
|
Père issu des Marches,
mère Vénitienne (Mariage endogène)
|
Villerupt (Lorraine)
|
Entretien le 14 janvier 2010 à Vigneux Et prise
de documents 4 mars 2010 à Nantes
|
Jacqueline FANTIN - CRAMPON
|
1941
|
Coltura-Polcenigo, Nord de Venise. (Mariage mixte :
mère française)
|
Nantes
|
Questionnaire
|
Giovanna.
|
1942
|
Sondrio, Nord de
|
Couëron
|
Questionnaire
|
(Giovanna a
|
|
l'Italie.
|
Pornichet
|
et entrevue le
|
demandé à ce que
|
|
(Giovanna n'a connu
|
|
vendredi 30
|
seul son prénom soit divulgué).
|
|
que sa mère)
|
|
avril 2010, maison de quartier de
|
|
|
|
|
Méan Penhoët
|
Daniel FANTIN
|
1943
|
Coltura-Polcenigo, Nord de Venise.
|
Nantes
|
Entretien le 29 janvier 2010 à
|
|
|
(Mariage mixte : mère française)
|
|
Vertou et témoignage recueilli par O.
|
|
|
|
|
OSSAN pour l'exposition
|
|
|
|
|
« Ciao Italia ! l'Italie en fête »
(26 octobre au 1er novembre
|
|
|
|
|
2009).
|
Correspondance :
- Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26
avril 2002, Vigneux. - Courrier de Laetitia TRAVOSTINO, descendante d'Italiens,
mai 2010, Trieste.
Documents officiels issus des établissements scolaires
:
177 - Liste du personnel enseignant de 1946 à 1953 de
l'école primaire élémentaire de garçons Raymond
Poincaré à Villerupt, en Lorraine.
- Registre matricule de la classe de Monsieur DELON, école
primaire élémentaire de garçons Raymond Poincaré,
cour élémentaire année 1949-1950, Villerupt, Lorraine.
Travail scolaire :
- Revue scolaire « Joyeux écoliers », journal
mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC, instituteur de
l'école Poincaré de Villerupt.
Numéros des mois de janvier et février 1954.
- Travaux de lino réalisés dans la classe de Jean
ROMAC, instituteur de l'école Poincaré de Villerupt.
Année 1954.
. Sources imprimées :
Autobiographies :
CAVANNA (François), Les Ritals, Paris, 1978, 284
pages.
CAVANNA (François), L'Oeil du lapin, Paris, 1987,
282 pages.
Dans ces deux autobiographies, la période
évoquée est l'enfance de Cavanna (de six à seize ans).
L'auteur a cherché à décrire les situations, les
personnages tels qu'il les voyait lorsqu'il était enfant.
QUARONI (Pietro), Il mondo di un
ambasciatore443, Milan, 1965 ? 302 pages.
C'est l'auteur lui-même qui témoigne de son
expérience d'ambassadeur italien à Paris.
UDERZO (Albert), Albert Uderzo se raconte, Paris, 2008,
220 pages.
443 « Le monde d'un ambassadeur » TDLA.
Biographies :
Ces biographies n'évoquent les enfances et la
scolarisation des deux artistes que sur quelques pages, se concentrant
davantage sur la suite de leur carrière.
BOGGIO (Philippe), Coluche, Paris, 1991, 424 pages.
BRIERRE (Jean-Dominique), Serge Reggiani, C'est moi, c'est
l'Italien, Paris, juin 2005, 156 pages.
HAMON (Hervé) et ROTMAN (Patrick), Tu vois, je n'ai
rien oublié, Paris, septembre 1990, 742 pages.
(Biographie de Yves Montand).
Littérature :
BLANC (Anne-Marie), Pays-Haut, Metz, 1988, 374 pages.
Dans ce roman, Anne-Marie Blanc évoque l'arrivée
des immigrés en Lorraine.
FILIPPETTI (Aurélie), Les derniers jours de la classe
ouvrière, Paris, 2003, 189 pages.
GARINO (Laurent), La charrette à bras, Histoire des
Italiens de Saumur, Laval, 2006, 220 pages.
Essai journalistique :
STELLA (Gian Antonio), L'Orda. Quando gli albanesi eravamo
noi444, Milan, 2003, 306 pages.
Journaux et périodiques non savants :
(Classement chronologique).
- « Evening Standard » :
Caricature de LOW (David), « The dream and the
nightmare445 », 11 mai 1940.
- « Sud-ouest dimanche » :
Article de CAGNATI (Inès), « Je suis restée
une étrangère », 16 et 25 mars 1985.
- « Les Inrockuptibles » :
Interview de REGGIANI (Serge), mai juin 1991.
- « Le Monde » :
Article de MORIN (Edgar), « La Francisation à
l'épreuve », vendredi 5 juillet 1991.
444 « La horde. Quand nous étions les Albanais
» TDLA.
445 « Le rêve et le cauchemar » TDLA.
- « Ouest France " :
- Article de GUYOT (Antoine) avec MILZA (Pierre), « Ces
immigrés Italiens qui ont bâti la France ", mai 2008.
- Interview de GARINO (Laurent) pour la sortie de « La
charrette à bras ", jeudi 2 mars
2006.
- « L'Actualité de l'Histoire " :
Dossier « Vive l'école ! ", n°102, septembre
2009 (pages 61 à 79).
. Autres sources :
Reportages :
- Reportage du 17 octobre 1997 pour France 3, (7 minutes et 32
secondes).
A Mondar d'Agenais (Lot et Garonne), Damira et Nuncio
TITONEL, dont les parents ont fuit le fascisme, affirment qu'ils n'ont jamais
été rejetés par les habitants. C'est la nationalité
française des enfants qui a en fait décidé les
immigrés à s'installer véritablement. Dans ce film, la
scolarisation des enfants est évoquée.
- Documentaire diffusé le 13 avril 2010 à minuit 15
sur France 3.
« La vie rêvée des Italiens du Gers ", produit
en 2009. (Durée : 52 minutes)
Réalisateur : VEDEL (Jean-Pierre)
(Intervention de l'historienne Laura TEUILLERES)
(D'après le livre, « Une Histoire De Promesses " de
MAGNI (Yolande), Bordeaux, 2009)
Conférences et expositions :
. Exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête
" 26 octobre au 1er novembre 2009, Espace Cosmopolis, Nantes.
- Conférence de GARINO (Laurent) et présentation de
son livre « La charrette à bras " sur les Italiens de
Saumur (samedi 31 octobre 2009).
- Présentation des « Raccontami »,
témoignages d'immigrés italiens de la région nantaise
recueillis par OSSAN (Odette), (samedi 31 octobre 2009). Cette exposition a
été sollicitée par l'Association «
CO.AS.IT. » (Comité
d'Assistance aux Italiens) créée en 1959 dont le siège est
à Nantes.
-Entretien avec LECLAIR (Georges), le 24 avril 2008 (en vue de
l'exposition au restaurant Interlude).
. « Italiens de Bretagne »
Conférence de EMERY (Céline), 21 novembre 2009,
« Les Champs Libres " Rennes.
· Exposition et conférence sur « les Italiens
de Saint-Nazaire », association France-Italia.
Vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan
Penhoët.
Emissions de radio :
· « France Inter » :
- 30 mars 2010
Journée spéciale sur France Inter, en direct et en
public de la Cité de l'Histoire de l'Immigration446.
- 26 mai 2010 (de 15 à 16 heures).
Emission de Daniel MERMET « Là bas si j'y suis
», François CAVANNA interviewé par François
RUFFIN.
446 Programme :
7h15 - Reportage de Philippe Reltien avec de jeunes afghans
Le 6H/9H00 de Nicolas Demorand
à 7h20 - Claire Rodier, juriste au GISTI (groupe
d'information et de soutien aux immigrés), présidente de
Migreurope, un réseau regroupant une trentaine d'associations en
Europe.
à 7h45 - Pierre Henry, directeur général de
France Terre d'Asile, Cecilia Malmström, Commissaire Européenne
suédoise en charge des questions d'immigration (en duplex)
à 8h20 - Patrick Weil, historien et politologue, auteur
de « La France et ses étrangers ». Avec sept autres
universitaires, il a démissionné des instances de la CNHI le 18
mai 2007, pour protester contre l'instauration par Nicolas Sarkozy d'un
ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale
à 8h40 - Eric Fassin, sociologue, professeur à
l'Ecole Normale Supérieure, Jacques Toubon, président de la CNHI,
secrétaire général de "la mission chargée
d'organiser l'initiative «2010 - Année de l'Afrique»". Esprit
Critique de Vincent Josse à 9h10
Dans le cadre de l'exposition «
Générations, un siècle d'histoire culturelle des
Maghrébins en France » à La Cité de l'immigration :
Visite du cimetière de Thiais avec Amadi, chanteur kabyle à
succès dans les années 50 (un reportage de Caroline Gillet)
Comme on nous parle de Pascale Clark à 9h35, le film "Les
Arrivants" avec les réalisateurs Claudine Bories et Patrice Chagnard.
Et Pourtant elle tourne de Jean-Marc Four à 18h15, les
flux Sud-Sud, avec Catherine de Wenden, politologue, directrice de recherche au
CNRS-CERI, spécialiste des migrations internationales
Et des reportages en Afrique du Sud et au Brésil
Le Téléphone Sonne d'Alain Bedouet, à
19h20, quelle politique d'immigration pour la France ?Catherine Wihtol de
Wenden, directrice de recherche au CNRS-CERI, auteur de « L'Atlas mondial
des migrations » (Autrement) et "La globalisation humaine" (PUF),
Michèle Tribalat, Directrice de recherche à l'INED (Institut
national d'études démographiques), qui publie "Les yeux grand
fermés - l'immigration en France" (Denoël), Stéphane
Maugendre, Président du GISTI, Groupe d'information et de soutien des
immigrés.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages généraux :
Sont, dans cette catégorie, mentionnés les
ouvrages généraux donnant les bases chronologiques et des notions
générales sur l'immigration et sur l'éducation. Ils nous
permettent d'avoir une vue d'ensemble sur la période et le sujet avant
de nous tourner vers des ouvrages beaucoup plus spécifiques. Ils nous
ont aussi donné la possibilité, par l'intermédiaire de
leurs bibliographies, de rencontrer des études intéressant
davantage notre sujet de recherche.
Atlas
Grand Atlas du Monde, Paris, 1999, 370 pages. (Collectif
d'auteurs)
Ouvrages généraux sur l'émigration :
AUDENINO (Patrizia) et TIRABASSI (Maddalena), Migrazioni
italiane, storia e storie dall'Ancien Regime a oggi447, Milan,
2008, 213 pages.
Ce manuel présente, pour nous, un intérêt
certain : bien que très général, il expose le point de vue
italien quant au départ de ces citoyens.
PERONA (Gianni), Gli italiani di Francia 1938 À
1946448, Milano, 1994, 476 pages.
- Chapitre de BECHELLONI (Antonio), « il riferimento agli
Italiani nell'elaborazione di una politica francese dell'immigrazione
»449 (1944 -- 1946), (p. 45 à 57).
Ouvrages généraux sur l'immigration :
AMAR (Marianne) et MILZA (Pierre), L'immigration en France au
XXéme siècle, Paris, 1990, 331 pages.
BLANC-CHALEARD (Marie-Claude) dir, Les Italiens en France
depuis 1945, Paris, 2003, 272 pages.
GERVEREAU (Laurent), MILZA (Pierre) et TEMIME (Emile), Toute
la France. Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998, 285 pages.
DUMOULIN (Michel) (dir.), Mouvements et politiques
migratoires en Europe depuis 1945. Le cas italien, Bruxelles, 1989, 418
pages.
447 « Migrations italiennes, Histoire et histoires de
l'Ancien Régime à aujourd'hui » TDLA.
448 « Les Italiens de France, 1938 À 1946 »
TDLA.
449 « La référence aux Italiens dans
l'élaboration d'une politique française d'immigration »
TDLA.
HUBSCHER (Ronald), L'immigration dans les campagnes
françaises (XIXème À XXème siècle),
Paris, 2005, 478 pages.
LEQUIN (Yves) (dir.), La Mosaïque France. Histoire des
étrangers et de l'immigration en France, Paris, 2006, 544 pages.
Le travail d'Yves Lequin porte sur l'histoire des
migrations en longue durée. Consulté à la
bibliothèque du CEDEI à Paris, il a été utile pour
le contexte général mais n'est malheureusement accompagné
d'aucun témoignage.
MILZA (Pierre), Voyage en Ritalie, Paris, 1993, 530
pages.
Pierre Milza y évoque son expérience
personnelle mais c'est aussi une étude historique précise, riche
en témoignages et remarquablement documentée sur l'histoire de
l'immigration italienne en France. Ses entretiens avec des migrants
présentent un intérêt certain concernant notre
sujet.
MILZA (Pierre) et PESCHANSKI (Denis), Exils et migration,
Italiens et Espagnols en France (1938-1946), Paris, 1994, 665 pages.
Cet ouvrage se penche surtout sur les causes politiques de la
migration.
Les Italiens en France de 1914 à 1940,
École Française de Rome, Palais Farnèse, 1986 (collectif),
787 pages.
- MILZA (Pierre) : << L'immigration italienne en France
d'une guerre à l'autre : interrogations, directions de recherche et
premier bilan ».
- NOIRIEL (Gérard) : << Les immigrés italiens
en Lorraine pendant l'Entre-Deux-guerres : du rejet xénophobe aux
stratégies d'intégration ».
- SCHOR (Ralph): << L'image de l'Italien dans la France de
l'Entre-Deux-guerres ».
NOIRIEL (Gérard), Le Creuset français. Histoire
de l'immigration, XIXème-XXème
siècle, Paris, 1988, 437 pages.
Cet ouvrage général permet au lecteur de se
faire une idée claire des politiques d'intégration des
immigrés en France durant la période qui nous intéresse.
Par ailleurs, les observations de l'auteur sur les blocages et les
polémiques de l'Histoire de l'immigration m'ont bien aidée
à comprendre le tableau historiographique de notre sujet.
PONTY (Janine), L'immigration dans les textes,
1789-2002, Paris, 2004, 416 pages.
Dans ce recueil de 200 textes commentés par
l'auteur, divers documents éclairent nos recherches. Ainsi, Janine Ponty
évoque les lois, les décrets relatifs à l'immigration mais
aussi des témoignages (un seul est directement en rapport avec notre
sujet), des extraits de débats sur l'assimilation à la Chambre
des députés.
SCHOR (Ralph), Histoire de l'immigration en France de la fin
du XIXème siècle à nos jours, Paris, 1997,
347 pages.
STORA (Benjamin) et TEMIME (Emile), Immigrances
(l'immigration en France au XXème siècle), Paris,
2007, 374 pages.
C'est un des ouvrages de référence en
matière d'immigration qui a le mérite de poser les
problèmes de l'intégration, de mettre en parallèle les
vagues d'arrivées en France et de confronter les différentes
provenances des migrants.
TEMIME (Emile), France Terre d'immigration, Paris, 2000,
160 pages.
Ouvrages généraux sur l'Education :
AMALVI (Christian) (dir.), Les lieux de l'histoire,
Paris, 2005, 411 pages.
C'est la troisième partie de cet ouvrage qui nous
intéresse (l`auteur y évoque la période qui s'étend
de 1914 à nos jours). Christian Amalvi se penche tout
particulièrement sur l'enseignement de l'Histoire et les rapports
entretenus par l'Etat avec l'École.
DURU-BELLAT (Marie) et HENRIOT-VAN ZANTEN (Agnès),
Sociologie de l'école, Paris, 1999, 267 pages.
GARCIA (Patrick) et LEDUC (Jean), L'enseignement de
l'histoire en France, de l'Ancien Régime à nos jours, 2003,
Paris, 310 pages.
GAULUPEAU (Yves), La France à l'école,
1992, Paris, 176 pages.
Ce manuel permet de clarifier les enjeux engendrés par
les projets sur « l'école unique ».
GREZES-RUEFF (François) et LEDUC (Jean), Histoire des
élèves en France, de l'Ancien Régime à nos
jours, Paris, 2007, 450 pages.
François Grezes-Rueff et Jean Leduc font là une
étude très détaillée (ils consacrent, par exemple,
un chapitre aux châtiments corporels dans l'espace scolaire, sujet
rarement traité).
LELIEVRE (Claude) et NIQUE (Christian), Bâtisseurs
d'école, histoire biographique de l'enseignement en France, Paris,
1994, 491 pages.
MERGNAC (Marie-Odile), GAROSCIO-BRANCQ (Caroline) et VILRET
(Delphine), Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris,
2008, 220 pages.
PROST (Antoine), L'enseignement en France (1800-1967),
Paris, 1968, 511 pages.
PROST (Antoine), Autour du Front Populaire. Aspects du
mouvement social au XXème siècle, Paris, 2006, 350 pages.
Concernant ces deux dernières publications
d'Antoine Prost, elles sont utiles à notre analyse de l'enjeu politique
que représente l'École Républicaine et à
l'étude du travail d'enseignant. Le deuxième manuel nous permet
d'expliquer les changements occasionnés par la politique scolaire du
Front Populaire dans le séjour au sein des classes françaises des
enfants d'immigrés.
SUTEAU (Marc), Nantes, une ville et ses écoles
(1830-1940), Rennes, 1999, 253 pages.
Etudes particulières :
Etudes sur l'intégration et l'exclusion des
immigrés :
BERTHELIER (Robert), Enfants de migrants à
l'école française, Paris, 2006, 202 pages.
Très important pour la notion de bilinguisme
à l'école. Ce livre a le mérite de se poser la question
des parents et de leurs rapports avec le corps scolaire. L'auteur consacre
aussi une partie très intéressante sur l'échec scolaire
des enfants d'immigrés. Cependant, il est essentiellement basé
sur les années 1990-2000.
BLANC-CHALÉARD (Marie-Claude) et MILZA (Pierre), Le
Nogent des Italiens, Paris, 1995, 149 pages.
Cette étude est géographiquement étroite
mais explore de larges perspectives concernant l'intégration des
Italiens, elle est riche en témoignages.
BLANC-CHALÉARD (Marie-Claude), Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000, 803 pages.
Ce travail est remarquable, le chapitre 7, « La
grande stabilisation ", particulièrement, a été
très utile à nos recherches. L'intégration des Italiens
est ici analysée à la fois dans sa propre
spécificité et dans sa contribution au peuplement de Paris (intra
muros puis extra muros), comme révélatrice des différentes
périodes migratoires et des dynamiques durbanisation des espaces «
francitaliens ". Marie-Claude Blanc-Chaléard soutient la thèse
d'une intégration des jeunes Italiens « achevée et
réussie " même si elle précise que cette observation ne
s'applique qu'à l'est parisien.
CANOVI (Antonio), Cavriago ad Argenteuil, Migrazioni
Comunità Memorie450, Cavriago, mars 1999, 351 pages.
CHIBRAC (Lucienne), Les pionnières du travail social
auprès des étrangers, (le service social d'aide aux
émigrants des origines à la Libération), Rennes,
2005, 302 pages.
(C'est ici le chapitre 3, « Des années grises aux
années noires " qui nous a été utile).
CROIX (Alain) (dir), Nantais venus d'ailleurs. Histoire des
étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes,
2007, 417 pages.
DEWITTE (Philippe) (dir.), Immigration et
intégration, Paris, 1999, 443 pages.
GIRARD (Alain) et STOETZEL (Jean), Français et
immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des
Polonais, Paris, 1953 (Travaux et documents - cahier de l'INED
n°19).
Cette enquête de l'INED étudie
concrètement les notions d'intégration et d'assimilation
appliquées aux populations immigrées. Elle évalue le
niveau d'insertion dans la société française auxquels les
Italiens sont parvenus au milieu du siècle dans deux zones d'accueil
aussi dissemblables que le sont la région parisienne et le Sud-ouest
aquitain. Pierre Milza émet une critique sur cet ouvrage qu'il m'a
semblé intéressant de livrer ici : « ce qui n'est pas dit
[...] c'est la relation entre intégration et assimilation qui ressort de
ce type de migrations par réseaux et parentèles ".
450 « De Cavriago à Argenteuil, migrations,
communautés, mémoires " TDLA.
MAUCO (Georges), Les étrangers en France, Paris,
1932, 238 pages.
(ch. XII. Les problèmes de l'immigration)
La thèse de Georges Mauco est la suivante : les
Italiens ne seraient pas les mieux situés pour être « bien
assimilés » en raison des résistances de l'Etat italien. Sa
vision date de 1932, son témoignage pourrait donc apporter beaucoup
à notre étude quant à l'impression d'un expert en
immigration qui développe les idées de l'époque en
matière « d'assimilabilité ». Elle est un reflet
intéressant des préjugés dont ont pu souffrir les
Transalpins de l'Entre-Deux-guerres.
NOIRIEL (Gérard), La tyrannie du national, le droit
d'asile en Europe (1793-1993), Paris, 1991, 335 pages.
Gérard Noiriel cherche à démontrer de
quelle façon l'Etat agit sur le comportement quotidien des
citoyens.
NOIRIEL (Gérard), Atlas historique de l'immigration en
France. Exclusion, intégration ..., Paris, 2002, 63 pages.
L'auteur aborde la question de l'étranger et de
l'immigration, ses causes, ses particularités et les
phénomènes contemporains qui y sont liés, en trois parties
: l'histoire du phénomène migratoire en France, les formes
d'exclusion subies par les populations immigrées depuis deux
siècles et l'immigration vue comme une chance pour la France, par les
richesses et les échanges culturels qu'elle apporte.
RICHARD (Jean-Luc), Les immigrés dans la
société française, Rennes, septembre 2005, 115
pages.
Ont été utilisés les articles :
- « Une grande migration du passé : les Italiens "
(MC. BLANC-CHALEARD) (page 31).
Et les chapitres :
- « Assimilation, intégration ou insertion ? "
(Articles de J. COSTA-LACOUX, D. SCHNAPPER et documents du Haut Conseil
à l'intégration) (page 47).
- « De nombreux indicateurs d'intégration "
(articles de R. SCHOR, J-L.
RICHARD, M. LARONCHE, C. ATTIAS-DONFUT, P. TESSIER et F-C
WOLFF).
SCHNAPPER (Dominique), La France de
l'intégration, Paris, 1991, 374 pages.
SCHOR (Ralph), Français et immigrés en temps de
crise (1930 À 1980), Paris, 2004, 230 pages.
Etudes particulières sur le contenu des programmes
d'enseignement :
BUKIET (Suzanne) et MEROU (Henri), Les cahiers de la
République (promenade dans les cahiers d'école primaire de 1870
à 2000 à la découverte des exemples d'écriture et
de la morale civique), Paris, 2000, 143 pages.
Ces exemples concrets de leçons dans les écoles
sont des documents importants pour notre étude de la vie quotidienne des
élèves immigrés à l'école.
OZOUF (Mona et Jacques), La République des
instituteurs, Paris, 2000, 480 pages.
Cet ouvrage de référence en matière
d'études sur l'École m'est particulièrement utile pour
faire des questionnaires destinés aux migrants car les conseils des
auteurs pour recueillir des témoignages sont précis. Par
ailleurs, Jacques et Mona Ozouf y exposent le point de vue des instituteurs et
le contenu des programmes enseignés.
Étude particulière sur la cantine :
NOURRISSON Didier, « Des cantines pour l'Ecole », dans
À votre santé ! Éducation et santé sous la
IVème République, Université de Saint-Étienne,
2002, 210 pages.
Étude particulière sur le rapport entre
enseignement et immigration :
VERHOVEN (Marie), École et diversité
culturelle, regards croisés sur l'expérience scolaire des jeunes
issus de l'immigration, Bruxelles, 2002, 109 pages.
Etude très actuelle mais néanmoins
intéressante au niveau de la définition des termes, l'ouvrage
permet en outre de prendre conscience des ressemblances des parcours et des
difficultés rencontrées par les enfants de migrants actuels et
les Transalpins de la période 1935-1955.
Études sur le rapport entre l'enseignement et l'Etat :
COUTEL (Charles), La République et l'Ecole : une
anthologie, Paris, 1991, 279 pages. Textes choisis et expliqués
par l'auteur.
LOUBES (Olivier), L'École et la Patrie, Histoire d'un
désenchantement (1914-1940), Nantes, 2001, 172 pages.
La relation entre les leçons et le patriotisme y est
ici étudiée dans toute la complexité de ses
applications.
Étude particulière sur le contexte nantais :
PATILLON (Christophe), Batignolles. Mémoires d'usine,
mémoires des cités..., Nantes, 1991, 127 pages.
Actes de colloques :
? CEDEI, acte du colloque franco-italien sur « L'immigration
italienne en France dans
les années 20 », Paris 15 au 17 octobre 1987, 385
pages :
- L'intervention de RAMELLA (Franco) intitulée «
L'émigration dans la mémoire des migrants : les récits
oraux » est d'une aide certaine pour comprendre comment
interpréter les témoignages des enfants d'immigrés
italiens.
- ROUCHE (Monique), « un village du sud-ouest dans
l'Entre-Deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens
à Monclar d'Agenais ».
- VEGLIANTE (Jean-Charles), « le problème de la
langue : la « Lingua Spacà » ».
. « Instituteurs syndiqués et enseignement de
l'Histoire entre les deux guerres », colloque
tenu à Paris les 13 et 14 novembre 1981, 155 pages.
(Publié dans le numéro spécial de la
Revue d'histoire moderne et contemporaine en 1984).
. « France for the French ? National and International
contradictions 451 », colloque
réunissant les historiens américains
spécialistes de la France le 1er avril) 2000 à Phoenix
(Arizona).
Publications de séminaire :
. Educazione interculturale : dalla teoria alla prassi,
I quaderni di Eurydice n°11 -
Ministero della pubblica Istruzione452, mars
1997,
- AUGENTI (Antonio). « Scuola e società
multiculturale453 », pages 13 à
16.
- FALTERI (Paula). « Interculturalismo e immagine del mondo
occidentale nei libri di testo della scuola dell'obbligo »454,
pages 61 à 66.
- GUALDARONI (Raphaël). « Scolarisation des
élèves étrangers en France », dans Educazione
interculturale : dalla teoria alla prassi, mars 1997, pages 103 à
110.
- WITTEK (Fritz). « Education interculturelle : la
politique de l'Union Européenne », dans Educazione
interculturale : dalla teoria alla prassi, pages 17 à 26.
- GAZTELIS (Vasso). « Présence d'enfants
étrangers: problèmes et expérience », dans
Educazione interculturale : dalla teoria alla prassi, pages 111
à 116.
Cette publication du séminaire de mars 1997 avait
pour but de réfléchir à l'action que devrait mener l'Union
Européenne au niveau de l'éducation interculturelle dans les pays
d'accueil d'immigrés. Au niveau de la période concernée,
nous sommes donc assez loin de notre sujet d'étude. Cependant, il me
semblait indispensable de citer ces interventions de séminaires car
elles m'ont beaucoup aidé à comprendre les problèmes
liés à l'intégration des jeunes immigrés et les
réponses politiques développées face à cette
question de l'accueil des élèves d'origine
étrangère.
451 « La France pour les Français ?
Contradictions nationales et internationales » TDLA.
452 « Education interculturelle : de la théorie
à la pratique, Les carnets d'Eurydice n°11 À
Ministère de l'Instruction publique » TDLA.
453 « Ecole et société multiculturelle
» TDLA.
454 « Inter culturalisme et images du monde occidental
dans les livres de textes de l'école de l'obligation »
TDLA.
Mémoires et Thèses :
BECHELLONI (Antonio), La dernière vague migratoire
italienne en direction de la France (1945-1960) : le poids des structures, la
politique des Etats, les représentations de l'autre.
Thèse de doctorat sous la direction du professeur BRUNET
(Jacqueline), Université de FrancheComté, soutenance le 28
novembre 1996.
BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), Les Italiens dans l'est
parisien des années 1880 aux années 1960. Une histoire
d'intégration.
Thèse de doctorat sous la direction du professeur MILZA
(Pierre), IEP de Paris, soutenance le 05 décembre 1995.
CHAFFRAIX (Nathalie), L'intégration scolaire des
enfants de migrants : une exigence éthique pour les enseignants
?
Mémoire de Maîtrise (Sciences de l'éducation)
sous la direction du professeur MOREAU (Didier), Université de Nantes,
2008.
STORTONI (Federica), Clinique contemporaine des
Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis
Français... mais mon père était italien... ».
Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie)
sous la direction du professeur NATHAN (Tobie) et du professeur CHATTAH
(Rabih), Université de Paris 8 Vincennes - Saint Denis,
(UFR7/Psychologie, pratiques cliniques et sociales) et université de
Bologne (département de Psychologie clinique), soutenance le 16 juillet
2007.
TEULIERES (Laure), Français et Italiens dans la France
méridionale de la fin de la Grande guerre au sortir de l'occupation :
opinion et représentations réciproques.
Thèse de doctorat sous la direction du professeur LABORIE
(Pierre), Université de Toulouse II Le mirail, soutenance le 12 juin
1997.
VENDRAMINI-WILLEMS (Ivana), L'immigration italienne à
Noisy-le-Grand (1886-1968). Une intégration réussie,
Mémoire de Maîtrise (UER d'italien) sous la
direction du professeur GUIMBARD (Catherine), Université Paris IV,
1992.
Revues historiques :
- Revue « La Trace " (Cahier du CEDEI) :
- BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), « Les Italiens à
l'école primaire française : l'exemple parisien ", n° 5,
octobre 1991.
Pages 5 à 12.
Cette étude de 4 écoles
élémentaires de l'Est Parisien (une école de fille et une
école de garçons dans chaque quartier) est remarquablement
précise puisqu'elle s'appuie, bien sûr, sur les recherches
historiques précédentes, mais aussi sur les registres scolaires,
documents particulièrement rares. Il est important de préciser
que le tableau dressé par Marie-Claude Blanc-Chaléard survalorise
ceux qui ont poursuivi le plus complètement leur scolarité
(puisque c'est pour eux que l'on a le plus d'informations). Par ailleurs, il ne
traite que de 4 écoles, uniquement dans la capitale, et sur des
quartiers qui battent des records de population italienne dans les
années vingt.
- BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), « Les Italiens dans l'est
parisien, les dessous d'une assimilation exemplaire ", n° 13,
décembre 2000.
Pages 15 à 24.
- DELMAS (Luc), de l'ARESSLI, « Les immigrés italiens
pendant les guerres ", n° 11, mai 1999.
Pages 6 à 10.
(Communication présentée au festival de Villerupt,
le 28 octobre 1995).
- SOLDANO (Anna), « Les femmes immigrées italiennes
installées dans le Nord de la France après 1945 ", n° 14,
décembre 2001.
Pages 35 à 43.
- TEMIME (Emile), « La dernière vague de migration
italienne vers le Sud-est de la France : une recherche sur le regroupement
familial ", n° 5, octobre 1991.
Pages 13 à 19.
- WILLEMS (Ivana), « Plusieurs générations
d'Italiens à Noisy-le-Grand ", n° 10, juin 1997. Pages 21 à
39.
- Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine (« RHMC ") :
- BLANC-CHALEARD (Marie-Claude), « Français et
Italiens à l'école de la République ", tome XXXVIII,
octobre - décembre 1991.
Pages 658 à 676.
- GIRAULT (Jacques), « Instituteurs syndiqués et
enseignement de l'Histoire entre les deux guerres ", Cent ans
d'enseignement de l'histoire (1880-1981).
Colloque tenu à Paris les 13 et 14 novembre 1981, n°
spécial de la Revue d'histoire moderne et contemporaine,
1984.
Pages 139 à 155.
- Revue Européenne des Migrations Internationales
(« REMI ») :
- COSTA-LASCOUX (Jacqueline), « L'intégration «
à la française » : une philosophie à l'épreuve
des réalités », volume 22, n° 2, 2006.
- FRIGOLI (Gilles) et RINAUDO (Christian), « Les usages
sociaux de l'histoire de l'immigration : enquête auprès d'un
cercle de militant », volume 25, n° 1, 2009.
- DELCROIX (Catherine) et MISSAOUI (Lamia), « Familles,
destins personnels et appartenances collectives en migration », volume 21,
n° 3, 2005.
- DES ROBERT-HELLUY (Marie-Laetitia), « Des Français
parmi d'autres, de l'appartenance nationale des Français d'ascendance
étrangère », volume 23, n° 3, 2007.
- « Historiens et géographes » :
- LOUBES (Olivier), « L'étrange défaite de la
patrie à l'école primaire en France entre 1918 et 1940 »,
n° 390, avril 2005.
Pages 193 à 202.
La relation entre les leçons et le patriotisme est
ici vue comme un échec. La thèse de l'auteur est la suivante :
le nationalisme ne parvient pas à s'insérer dans les
écoles de l'Entre-Deux-guerres.
- « Studi Emigrazione » :
- TABOADA-LEONETTI (Isabel), « Le rôle des femmes
migrantes dans le maintien ou la déstructuration des cultures nationales
du groupe migrant », n° 70, juin 1983.
Pages 214 à 220.
- TEULIERES (Laura), « Mémoires et
représentations croisées du temps de guerre --
Français/Italiens immigrés », n° 146, 2002.
Pages 400 à 414.
- WITHOL DE WENDEN (Catherine), « L'immigration italienne en
France, la formation et la mobilité », n° 22, juin 1985.
Pages 213 à 225.
- « La Revue des Annales » :
- SCHNAPPER (Dominique), « Centralisme et
fédéralisme culturels : les émigrés italiens en
France et au Etats-Unis », Annales ESC n° 5, septembre et octobre
1974.
Page 1141 à 1159.
- « Les Cahiers de la Méditerranée » :
Publiés par le Centre de la
Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC), laboratoire de
recherche de l'Université de Nice-Sophia Antipolis, cette revue à
comité de lecture international publie des dossiers thématiques
et des articles de fond.
- PIETRI (Valérie), « Famille et migration de
Piémont en Provence : un exemple buscese », Cahiers de la
Méditerranée n° 52, juin 1996.
Pages 183 à 210.
Le Mouvement Social :
- SUTEAU (Marc), « Le rôle des villes, du patronat
et des chefs d'établissement dans le développement des
écoles techniques : l'exemple des écoles municipales de Nantes de
1890 à 1940 », n°189, 1999.
Pages 67 à 82.
Sites Internet consultés :
- Site de l'INA (Institut National de l'Audiovisuel) :
http://www.insee.fr/
- Site de l'INED (Institut National des Etudes
Démographiques) :
http://www.ined.fr/
- Site de l'INSEE (Institut National de la Statistique et des
Etudes Economiques) : http://www.insee.fr/
- Site de l'ISTAT (Sommario di statistiche storiche italiane)
:
http://www.istat.it/
- Site de l'ODRIS (Observation Diffusion Recherche Intervention
en Sociologie) : http://www.odris.fr/
TABLES
Table des illustrations
> Figures :
- Page de couverture : Souvenir scolaire d'une fille
d'émigré politique italien (région lyonnaise, année
scolaire 1939-1940)455.
- Figure n° 1 : Photographie d'une sortie scolaire au
Luxembourg (école Poincaré, Villerupt, début des
années cinquante).
- Figure n° 2 : Photographie d'un spectacle de
l'école, les activités artistiques (école Poincaré,
Villerupt, début des années cinquante).
- Figure n° 3 : « Le rêve et le cauchemar
", caricature de David LOW (« Evening Standard ", 11 mai 1940).
- Figure n° 4 : « Les Italiens dans « le
Tour "", caricature (« Le canard enchaîné ", 1932).
- Figure n° 5 : Photographie de la vie en classe
(école Poincaré, Villerupt, début des années
cinquante).
- Figure n° 6 : Photographie Daniel FANTIN
(début des années cinquante).
- Figure n° 7 : Photographie Jacqueline
FANTIN-CRAMPON (fin des années quarante). - Figure n° 8 :
Photographie de la « petite Italie " de Malakoff (1937).
- Figure n° 9 : Distribution des prix de Luciano
(école des Batignolles, Nantes, 1933). - Figure n° 10 :
Travail de lino réalisé en classe (école Poincaré,
Villerupt, 1951).
> Cartes :
Carte n°1 : Répartition de la population
italienne dans les départements français en 1931.
455 Photographie de couverture du n° 10 de « La Trace
", juin 1997.
> Graphiques :
- Graphique n° 1 : Les étrangers à
Nantes en 1936.
- Graphique n° 2 : Le degré
d'assimilabilité des étrangers à la société
française selon Georges Mauco, 1932.
> Schéma :
- Schéma n° 1 : L'évolution des
structures scolaires françaises de 1918 à 1960. >
Tableaux :
- Tableau n° 1 : L'émigration italienne et le
solde migratoire entre la France et l'Italie pendant les prémices de la
Seconde Guerre Mondiale.
- Tableau n° 2 : La pratique religieuse, dans les
années cinquante, des Italiens arrivés en France avant la Seconde
Guerre mondiale.
- Tableau n° 3 : Le recensement des Italiens de
Bretagne en 1936
- Tableau n° 4 : Vade-mecum pour l'enseignement
français en classe unique (Matinées)
- Tableau n° 5 : Vade-mecum pour l'enseignement
français en classe unique (Après-midi)
Table des matières
Table des sigles et des abréviations p. 1
Introduction p. 3
Chapitre I : l'élève dans sa famille p. 18
I). Les raisons de l'arrivée en France : quelle
retentissement de p. 19
l'expérience migratoire sur la scolarité des
enfants d'origine
italienne ?
A. Le Front Populaire. p. 19
B. Les prémices de la guerre p. 24
C. Le contexte français de la guerre : un regain de p.
28 xénophobie de la part des autochtones.
D. L'après-guerre : une décennie de laborieuse
amélioration p. 32 de l'image de l'immigré italien.
E. Le rôle joué par l'école dans
l'installation définitive en p. 35 France.
F. La difficulté de connaître les sentiments des
migrants sur p. 38 leurs expériences migratoires
II). Un mode de vie traditionnel p. 41
A. Une population fortement imprégnée par la
religion, une p. 41 éducation traditionnelle.
B. L'espoir d'une immigration temporaire : une
intégration p. 46 moins forte dans l'Ecole française ?
C. Des classes sociales populaires. p. 49
D. Les parents d'élèves : des travailleurs
acharnés ? p. 54
E. La relation entre l'équipe pédagogique et les
parents. p. 58
Chapitre 2 : Le quotidien de l'enfant d'origine italienne
à l'école p. 62
I). L'élève dans son école p. 64
A. L'arrivée dans l'école. p. 64
B. Écoles de garçons/écoles de filles,
mixité : quelles p. 67
différences ?
C. Les questionnements liés à l'habitat, quelles
différences p. 68 entre l'intégration en ville, en banlieue ou
en milieu
rural pour les enfants des primo arrivants ?
D. La cour de récréation, espace de
détente. p. 75
E. Les conflits de cour de récréation : une loupe
sur les p. 77 tensions ?
II). L'élève dans sa classe p. 85
A. Les enseignants. p. 85
B. Cancres et bons élèves. p. 91
C. L'organisation de la classe. p. 98
D. Les programmes scolaires. p. 103
E. La carrière des témoins : une fréquente
reproduction p. 106 sociale ?
Chapitre 3 : L'Ecole a-t-elle une influence sur le sentiment
d'être Français ? p. 112
I). La volonté d'être Français p. 113
A. Le patriotisme à l'école : une volonté
de « convertir » p. 113 l'enfant de migrant à la
société française ?
B. Le contact avec les autres étrangers de l'école
: une p. 118 volonté d'être « plus Français que les
Français » ?
C. L'égalité sur les bancs de l'école ? p.
121
D. La mise en lumière d'une proximité de culture
entre p. 123 l'Italie et la France.
E. La peur d'une identité nationale en péril. p.
127
II). Le sentiment de « ritalité » p. 131
A. Les moqueries des enseignants. p. 132
B. La violence à l'école : un facteur de repli sur
l'univers familial italien ?
C. L'école et la rue : deux espaces de jeu clairement
séparés ?
D. L'apprentissage de l'italien comme besoin d'une
reconnaissance identitaire.
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p. 134 p. 137 p. 139
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E. Le récit aux descendants. p. 143
Conclusion
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p. 147
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Documents annexes
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p. 149
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Tableau des sources
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p. 169
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Bibliographie
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p. 179
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Conclusion
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p. 147
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Tables
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p. 190
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Table des illustrations
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p. 190
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Table des matières
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p. 192
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