CHAPITRE III
POUR UN HUMANISME
INTEGRAL
III.1
Apports et limites de l'existentialisme
III.1.1. Apports de l'existentialisme
Cette critique que nous pouvons faire de prime abord sur le
courant existentialiste est qu'elle s'est fondée suite à la
déviance de certains courants philosophiques tels que le rationalisme
qui généralise et impersonnalise l'existant ; par là
même, fait de l'existant et de son existence une préoccupation
renvoyée aux calendes grecs voire même jamais pris en compte.
KIERKEGAARD s'oppose à la pensée pure qui est
totalement détachée du réel. Il ne suffit pas de penser de
façon rationnelle, de construire dans les concepts un univers pour qu'il
soit concret. L'existant ne se donne pas dans une pensée abstraite sans
relation avec le réel. Les philosophes existentialistes en
général et le philosophe danois en particulier posent le
problème du lien de la pensée et du vécu ; car
pensent-ils « à quoi sert une pensée, une
réflexion philosophique si elle ne peut m'aider à être,
à entrer et à vivre pleinement l'existence à laquelle je
suis appelé »100(*).
Il est inutile de construire un système par
l'agencement des concepts tel que le font les rationalistes. L'humanisme ne
peut être atteint ou compris de cette manière là.
L'existence n'a pas de système. Si un existant prétend en
construire un, il ne peut que ressembler à un homme qui construit une
belle tour dans laquelle il ne peut habiter lui-même. Or cette attitude
est contraire à celle du sage tel que SOCRATE. Ce dernier est le
prototype même de l'homme sage parce qu'il vit ce qu'il enseigne et c'est
dans le quotidien qu'il puise son enseignement. Il interroge les faits et les
personnes pour comprendre et non les concepts pour entrer en possession de la
connaissance. Et pour réaliser une telle vie je dois me tourner vers
l'éthique pour une sagesse de vie en vue du bonheur parce que
« l'éthique est ce par quoi il est ce qu'il
devient »101(*). Cela parce que chaque individu est original,
irremplaçable, ayant pour devoir de réaliser pleinement son
existence.
On peut dire que KIERKEGAARD a vu dans la
généralisation le monde du on : un monde où
l'individu n'a pas la place ; un monde où on ne parle que de masse.
Pour lui une telle attitude ne peut être justifiée que par le
sentiment de lâcheté car « c'est par
lâcheté devant l'existence que les hommes d'aujourd'hui veulent se
fondre dans la masse. Incapables d'être quelqu'un, par eux-mêmes,
ils espèrent être tout de même quelque chose par le
nombre »102(*). L'Etat est pour tous, c'est l'homme en
général, en masse qui prend le dessus, au point où les
individus singuliers sont sacrifiés, au mieux livrés à un
paradis chimérique ou sont réduit carrément à rien.
Paradis artificiel qui fait voir à l'homme que « le
malheur de l'homme vient de son absence de
connaissance »103(*). Mais toutes ces promesses ou ces images que nous
propose le rationalisme n'est cependant qu'illusion, car « dans
la pensée rationaliste, toute objectivité est perdue puisque
toute subjectivité est justifiable »104(*).
Pour l'auteur des Miettes philosophiques, l'accent
doit être mis en particulier sur le sujet existant. L'existant doit
lui-même trouver une vérité pour lui et non se laisser
dicter une méthode par le rationalisme car comme le pense FEYERABEND,
« toutes les méthodologies ont leurs limites et la seule
règle qui survit c'est : « tout est
bon« »105(*). Il doit trouver une vérité qui lui
est propre et qui puisse lui permettre d'affronter la réalité
quotidienne. Pour cela KIERKEGAARD réclame une pensée subjective,
ayant une valeur existentielle pour le sujet pensant. De là il s'agit de
trouver une vérité pour chacun, pour moi et pour toi. Et cette
pensée poussera KIERKEGAARD à affirmer que la subjectivité
est la vérité. Cette déclaration certes
exagérée fera voir à quel point ce philosophe cherche
à sauvegarder l'existant singulier. L'existence demande de la
passion ; car il faut avoir de l'intérêt pour l'existence
dans une envie toujours plus grande de réaliser pleinement cet individu
différent des autres dans le quotidien par des actes concrets.
Cette lutte acharnée contre le rationalisme va pousser
le philosophe danois à faire de vives reproches à l'église
protestante danoise qui pour lui se lance dans la spéculation
hégélienne. KIERKEGAARD pense comme nous l'avons dit lors de nos
précédents propos que le christianisme n'est pas une doctrine et
ne saurait se comporter comme telle car « le christianisme ne
peut être une doctrine au sens d'une spéculation philosophique ou
d'une idéologie tel que le système
hégélien »106(*). Mais il est un message existentiel. Pour cela, il
est pour un retour au radicalisme évangélique ou du moins
à un christianisme qui reflète l'enseignement du Christ qui est
un homme ayant vécu dans notre histoire.
De l'expérience de sa vie, KIERKEGAARD nous a
établit ou mieux a regroupé en trois tableaux les sphères
d'existence. Il nous a présenté comme premier tableau le lieu de
l'esthétique qui est un peu une tendance instinctive. Les instincts non
contrôlés prennent place et font de l'individu l'esclave des
jouissances. Sa fin son but c'est jouir. Ce type de comportement amène
KIERKEGAARD à dire que « l'esthétique est ce par
quoi l'homme est immédiatement ce qu'il est ; il est toujours
excentrique, il a toujours son centre à la
périphérie »107(*). La sphère éthique quant à
elle, décrit et montre ce que peut être une vie selon les normes
de l'éthique. Trouvant sa joie dans l'accomplissement des devoirs,
l'éthique pour l'éthicien ne saurait être une contrainte.
L'éthicien s'étant choisi lui-même, il est désormais
le centre de sa propre existence108(*). C'est pourquoi cette attitude est qualifiée
de cogito existentiel où connais-toi toi-même est
remplacé par le choisis-toi toi-même. Enfin et au plus haut point,
s'ouvre la sphère religieuse où le péché introduit
et met l'individu devant Dieu. L'existant se dépouille de manière
progressive et totale pour aller vers Dieu avec qui il effectue un voyage
mystérieux dans la foi ; d'où plus rien ne compte pour lui
et il se laisse conduire par celui qu'il cherche.
En somme, KIERKEGAARD réfute et avec raison valable le
rationalisme. Car pour lui, la spéculation pour la spéculation
n'a aucun lien avec une existence concrète. Il réclame une
vérité qui soit existentielle ; et pour cela veut que le
christianisme soit une religion de témoignage de vie. Il demande qu'il
soit un message existentiel, une communication vivante et non une
spéculation. En regroupant les trois sphères de l'existence, il
essaye de montrer les limites liées à une fin qui ne permet pas
un développement de tout l'homme. Cela en ce sens que
l'esthétique est trop proche ou mieux est dans la même
sphère que la spéculation point essentiel de la philosophie. Or
l'éthique donne un exemple de vie et le religieux au sommet de tout unit
l'homme à son créateur.
Cependant, la pensée de KIERKEGAARD renferme des
limites généralement liées à la réfutation
excessive de la théorie.
III.1.2. Limites de
l'existentialisme
Comme toutes les autres doctrines, loin d'être une
exception, l'existentialisme renferme quelques points ambigus qui demandent des
précisions. Notons d'abord la méfiance accentuée de ce
courant envers l'utilisation de la raison, et le rejet de la spéculation
philosophique. Enfin sa conception de la foi qui fait naître en nous un
certain nombres de réserves.
* 100 _ G. MARCEL,
Être et Avoir, Paris, Aubier, 1935, p. 315.
* 101 _ E. MOUNIER,
Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p.
117.
* 102 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
cit ., p. 28.
* 103 _ Cf.
http://sites.rapidus.net/neturcot/textes/2000/critique.html.
* 104 _ Idem.
* 105 _ P. FEYERABEND,
Contre la méthode, Esquisse d'une théorie anarchiste de la
connaissance, Paris, seuil, 1979, p. 333.
* 106 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
cit., p. 26.
* 107 _ S. KIERKEGAARD,
Ou bien...Ou bien, op. cit., p. 474.
* 108 _ E. MOUNIER,
Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p.
117.
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