La critique existentialiste du rationalisme chez Sàśren Kierkegaard( Télécharger le fichier original )par Eric MBOCK ABOUBAKAR Grand Séminaire Saint Augustin de Maroua - Mémoire fin de cycle de philosophie 2008 |
II.2. Angoisse et désespoirDans l'existentialisme KIERKEGAARDIEN, l'angoisse et le désespoir jouent un rôle très important dans les stades de la vie. L'angoisse et désespoir ne comportent pas des aspects négatifs, mais sont ou doivent être considérés comme des moyens déclenchant une remise en question de notre manière d'être ou de vivre afin de prendre conscience de nos limites et celui du stade de vie dans lequel nous sommes pour aspirer à un stade meilleur. Et cela de manière progressive jusqu' au stade religieux. II.2.1. AngoisseLa réflexion sur l'angoisse faite par les philosophes en général et chez KIERKEGAARD en particulier porte les estampilles d'un vertige qui saisit la conscience quand elle est confrontée au néant ou à sa liberté absolue. Et chez KIERKEGAARD, « l'angoisse est celle de la liberté, de la possibilité de choisir entre le bien et le mal sachant que le péché originel met l'homme en situation de permanente culpabilité »77(*). On ne trouvera donc pas d'angoisse chez l'animal qui, par nature, n'est pas déterminé comme l'esprit. L'existence kierkegaardienne est envisagée comme vécu concret et subjectif, comme jaillissement irréductible aux concepts. L'homme est la synthèse d'un corps et d'une âme. Mais il existe un troisième élément qui est l'esprit. L'esprit est en un sens une puissance ennemie car il trouble constamment le rapport de l'âme et du corps. D'un autre côté, l'esprit est une puissance amie soucieuse d'établir le rapport. L'esprit découvre le conflit des puissances contraires, prend conscience de son existence, mais cette existence n'est jamais claire, car elle est entravée par le corporel. Dans l'homme, la conscience de soi n'est jamais achevée et c'est pourquoi le sujet est dans un devenir incessant. L'homme est tension des contraires incompatibles. Il doit s'occuper de son développement sans se soucier de savoir s'il est utile aux autres. Etre individu pour KIERKEGAARD, c'est avoir l'honnêteté et le devoir de penser par soi-même le devoir de son existence et celle du monde ; c'est rester maître du cours des choses sans se laisser enchaîner par lui. Quel est le rapport de l'homme à cette puissance ambiguë ? Comment l'esprit se rapporte-t- il à lui-même et à sa condition ? L'esprit ne peut se débarrasser de lui-même ni d'avantage s'emparer de lui-même, aussi longtemps qu'il est extérieur à lui-même. L'homme ne peut non plus sombrer dans le végétatif puisqu'il est par nature esprit ; il ne peut fuir l'angoisse car il l'aime ; et ne peut à vrai dire l'aimer car il la fuit78(*). L'angoisse n'est nullement une faute, un fardeau, ou une souffrance. Si l'on observe les enfants, on trouvera cette angoisse plus nettement caractérisée comme une recherche du fantastique, monstrueux. Cette angoisse est essentielle à l'enfant qu'il ne veut pas la fuir ; elle a beau l'inquiéter, elle le captive pourtant de ses doux tourments79(*). L'angoisse est angoisse devant le mal où l'homme découvre la possibilité du péché et c'est l'angoisse devant le bien que le pécheur ressent quand il prend conscience qu'il pourrait se libérer du péché. « Quand on admet que l'interdiction suscite le désir, on a un savoir au lieu de l'ignorance, car Adam a dû avoir une connaissance de la liberté, puisque son désir était de s'en servir. L'interdiction angoisse Adam parce qu'elle éveille en lui la possibilité de la liberté »80(*). Puisque la liberté est ancrée dans l'être de l'homme, chaque fois qu'un existant voit sa liberté se restreindre, un certain sentiment d'angoisse naît en lui, car comme le dit HEIDEGGER, « l'angoisse est le signe du sentiment de notre condition humaine ». Si face au péché on éprouve regret et remords, l'angoisse n'apparaît que devant un possible indéterminé, c'est-à-dire devant un futur. Etant liée à l'existence, l'angoisse est donc un état affectif où s'affrontent deux possibilités. Cet état produit par le vertige de la liberté est lié au péché. C'est l'état fondamental d'un être qui se voit condamné à choisir mais qui ne sait quoi choisir. Nous pouvons observer cet état chez l'esthéticien qui est constamment en face d'un choix : agir ou ne pas agir. Le fond même de sa nature est l'angoisse qui ne se dissipe jamais, pas même dans l'instant de la jouissance ; et cet état d'esprit met l'existant dans un état d'anxiété. Cet état d'anxiété fait en sorte que « généralement, l'angoisse retombe à la peur, c'est-à-dire à la crainte d'objets précis, qui en même temps la détourne et nous rassure : car mieux vaut pour l'homme commun un ennemi nommé, et visible que l'insaisissable horreur qui se cache au fond de nous-même »81(*). Pour KIERKEGAARD, l'angoisse permet de connaître comment l'homme est arrivé au péché dans sa liberté tout en brandissant le déterminisme. L'angoisse étant liée à la liberté, l'homme est appelé à jouir de cette liberté tout en sachant que celle-ci consiste tout d'abord à s'accepter comme image de l'infini dans sa finitude. De cette synthèse, l'homme s'ouvre à l'autre tout en étant soi-même en vue de faire de la rencontre avec l'absolu. Toutefois, ce passage requiert un devenir. Le devenir revêt un cachet particulier dans lequel la faillite fausse l'essentiel qui veut conduire à l'existence non d'une manière vide mais plein d'espoir. Pour Martin BUBER, « le souci et l'angoisse de l'homme sont devenus de nature essentielle, chez Kierkegaard, en tant que souci du rapport avec Dieu et l'angoisse se fait craindre de manquer ce rapport ».82(*) Ce qu'il faudrait noter toutefois c'est que l'angoisse contribue à ce que ce dernier se trouve en face de Dieu. * 77 _ D. HUISMAN et M.- A. MALFRAY, Les pages les plus célèbres de la philosophie occidentale, Paris, Perrin, 1989, p. 389. * 78 _ Cf. P.-H. TISSEAU et JEAN BRUN, op. cit., p. 200. * 79 _ Ibidem. pp. 200-201. * 80 _S. KIERKEGAARD, Le concept de l'angoisse, Paris, Gallimard, 1844, p. 83. * 81 _ E. MOUNIER, Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., pp. 96-97. * 82 _ M. BUBER, Le problème de l'homme, Paris, Montaigne, 1962, p. 76. |
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