· 1.2. Notion préliminaire à la lecture du
Livre de la Sagesse
Une première approche adoptera la perspective
diachronique de la critique historique. Autrement dit, le livre sera soumis au
crible d'une critique succincte des sources, des formes et de la
rédaction. Il s'agira de traiter de l'originalité du titre du
livre, de sa date de rédaction, de l'auteur, du milieu culturel dans
lequel le livre a été écrit, de son unité
littéraire et de sa canonicité. Ces différentes
informations nécessaires pour introduire la démarche
épistémologique que nous nous proposons ici. Une
herméneutique qui tient compte des fondamentaux existentiels du pouvoir
à l'heure actuelle ne peut se passer de
« l'enveloppement » historique de cette tradition.
Autrement dit, l'herméneute actuel a besoin de s'enraciner dans la
tradition, afin d'en rendre compte d'une manière plausible et dynamique.
Ainsi, comme un serpent se rajeunissant par sa mue, l'interprète actuel
apprend à revivifier sa tradition dans ses éléments
positifs. Un effort d'actualisation créatrice de ce qui est actualisable
est nécessaire, tout en restant fidèle aux fondamentaux de la
révélation.
Rappelons d'abord que le titre Le livre de la sagesse
vient de la Vulgate (Liber Sapientiae)6(*). Le titre original est sophia salomonos. L'on
a cru Longtemps que l'original avait été écrit en grec,
jusqu'à ce que l'on ait retrouvé quelques fragments en
hébreu7(*). Mais il
est commode de continuer à dire que le livre nous a été
« transmis » en grec. Le texte complet de l'original
hébreu ne nous est pas accessible8(*). Toutefois, les caractéristiques et la
structure littéraire du livre donnent à penser que l'original
était bien en grec. La Sagesse de Salomon a été
écrite peu avant ou pendant le premier siècle avant notre
ère9(*). Cette
hypothèse se base sur le fait que le livre manifeste une connaissance de
la traduction grecque des prophètes dans la Septante. En
outre, on a constaté que le livre a les mêmes visées que
l'oeuvre de Philon d'Alexandrie (-20 +54): elle se présente comme une
apologie de la tradition juive dans le milieu égyptien. Cette
communauté de points de vue fait dire à certains que ces ouvrages
auraient été écrits pendant la même période,
vers 30 Av JC. Concrètement, le livre veut défendre la
tradition juive contre la séduction de la culture
étrangère, en l'occurrence, de la culture grecque10(*). En raison de son
évocation répétée de la Sagesse, le fait penser
à Salomon. L'auteur s'adresse à un auditoire juif : il
connaît l'histoire et la tradition d'Israël. (2, 1-10). Pour
lui, on peut accéder à la sagesse du monde à partir de la
culture juive, sans passer par la culture grecque (7, 17-20). Toutefois,
à la lecture du livre, un constat s'impose : l'auteur
témoigne d'une grande maîtrise de la philosophie et de la
rhétorique grecques. Ce constant a conduit à mettre en doute que
Salomon serait réellement l'auteur d'un tel livre qui évoque si
étrangement certains thèmes de la pensée grecque et ses
procédés d'argumentation. Les chercheurs font alors une
distinction entre l'auteur fictif et l'auteur réel du livre. En ce sens
Salomon ne serait qu'un auteur fictif. Au sujet de l'auteur réel :
M. Gilbert admet qu'il est inconnu11(*), C. Larcher donne expose hypothèses, qui
renvoient toutes à la littérature du judaïsme
hellénisé12(*). M. Gilbert soutient que le milieu culturel du
Livre de la sagesse est celui de la diaspora juive d'Alexandrie. En
effet, même s'il n'est cité et transmis que par les
chrétiens, précise-t-il, ce livre est certainement issu du
judaïsme. Ses nombreuses allusions à l'Egypte, en particulier dans
l'évocation de l'Exode (Sg 10, 15 - 19,21), incitent à penser
qu'il fut rédigé dans la métropole portuaire du delta du
Nil.13(*) Le
livre de la sagesse n'est pas une collection de maximes sur tous les
sujets, assemblées sans souci de continuité logique. Il s'agit
d'une composition ordonnée autour d'un thème essentiel : les
justes rétributions de la providence divine selon les mérites des
hommes14(*).
L'unité est établie par la réflexion
théologique15(*),
contrairement au livre de Job, où la discussion aborde plusieurs points
de vue, qui sont exposés tour à tour, et sont tous
partiels ; aucun ne semble satisfaire pleinement. C. Larcher va plus loin.
Il démontre cette unité littéraire à travers
différentes particularités linguistiques et
procédés stylistiques qui caractérisent la manière
de composer de l'auteur16(*). Certains chercheurs mettent l'accent sur
quelques différences littéraires présentes dans le livre
et le considèrent comme un livre composite. Ils estiment la
première (1-5) et la deuxième partie (11-19) n'ont pas le
même style. De toute évidence, l'oeuvre a été
rédigée en grec et n'est en rein la traduction d'un original
sémitique : la fréquence des mots composés, ainsi que
des procédés littéraires tels que la paronomase (14, 11
bcd) l'allitération ou l'assonance (6, 10a) renforcent cette
affirmation17(*). Le genre
littéraire du livre est celui de l'éloge ou du discours
protreptique, exhortatif. Le Livre de la sagesse n'est pas reconnu par
les Juifs et les Protestants. Il appartient plutôt au canon
deutérocanonique, reconnu au Concile de Trente (en 1546). Trois
manuscrits différents, à savoir le codex A : Alexandrie
(cinquième siècle)18(*) ; le codex B : Vaticanus
(quatrième siècle) et le codex C : Sinaïticus
(quatrième siècle) sont les plus anciens témoins de son
ancienneté.
* 6 _Cf. l'introduction au
Livre de la Sagesse dans la Bible de Jérusalem, Paris, Cerf,
1995. Maurice Gilbert dit encore que ce livre, que la tradition latine appelle
aussi « Livre de la Sagesse », a été
écrit directement en grec et nous parvient dans la Septante. Cf. M.
Gilbert, Les cinq Livres des Sages, Paris, Cerf, 2003, p.227.
* 7 _ Le livre n'a pas
été découvert parmi les manuscrits de la Mer Morte et,
à ce jour, il ne subsiste aucun exemplaire ni même aucun fragment
de la Sagesse de Salomon en langue hébraïque ou araméenne.
Plusieurs études ont cependant cherché à démontrer
l'existence d'un original sémitique (hébreu ou araméen
(cf. Margoliaouth et Zimmermann) derrière tout ou partie du livre. Les
résultats de ces recherches ne se sont pas révélés
convaincants. Cf. Thomas Römer, Introduction à l'Ancien
Testament, Labor et Fides, Genève, 2004, p. 656 (Contribution de
Thierry Legrand).
* 8 _ A ce propos, C.
Larcher offre une étude minutieuse des différentes
hypothèses formulées à propos de la langue originale du
livre de la Sag, depuis le 18èmes. à nos jours. Le
problème est posé d'abord à partir des chap. 1-5, puis des
sections entières des chap. 6 et 8, enfin par les chap. 9 et 10. Il
conclut que l'auteur a pu connaître certains écrits
hébraïques et s'en inspirer pour rédiger telle ou telle
partie du livre. Mais, pense Larcher, le livre donne l'impression d'une
composition suivie où se mêlent d'une façon indissociable
les composantes d'une même personnalité littéraire. Il est
contre-indiqué de prendre l'une ou l'autre partie du livre et de la
ramener telle quelle à un prototype hébreux. De nombreux versets
ou développements n'ont pu être pensés et écrits
qu'en grec. Cf. C. Larcher, Le Livre de la Sagesse ou La Sagesse de
Salomon. Tome I, Paris, Librairie Lecoffre, 1983, pp.91-95.
* 9 _ A. M. Dubarle, Les
Sages d'Israël, Paris, Cerf, 1946, p.188. Pour C. Larcher, le
problème de la date du livre, souvent confondu avec celui de sa
composition, a reçu dans l'histoire de l'exégèse des
solutions diverses. Pour lui, les hypothèses s'échelonnent depuis
la fin du 3e s av. J.-C. jusqu'au milieu de 2e s de notre
ère. Lui-même estime que l'ensemble du livre a été
rédigé au cours des trente dernières années avant
notre ère. L'ordre actuel correspondrait à la succession
chronologique de sa composition. Un même auteur en serait le responsable.
Cf. Op., cit., pp. 142-161. Pour M. Gilbert ce dernier livre de notre
AT, a probablement été écrit au début de la
domination romaine sur l'Egypte. Il faut dater la rédaction au lendemain
de la victoire navale d'Octave, le futur empereur Auguste, à Actium en
31 avant notre ère. Cf. Cf. M. Gilbert, Les cinq Livres des Sages,
Paris, Cerf, 2003, p.228.
* 10 _ A ce propos, la
Bible de Jérusalem note que l'oeuvre du philosophe et la
Sagesse de Salomon sortent du même milieu et elles ne peuvent
pas être très éloignées dans le temps bien que
n'ayant pas d'interaction directe. Cf. Introduction au Livre de la Sagesse dans
la Bible De Jérusalem, Paris, Cerf, 1995.
* 11 _ M. Gilbert, Op.,
cit., p.227.
* 12 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome I. Paris, Librerie
Lecoffre, 1983, pp.125-139.
* 13 _ Cf. M. Gilbert,
Les cinq Livres des Sages, Paris, Cerf, 2003, p.227-228.
* 14 _ A. M. Dubarle, Les
Sages d'Israël, Paris, Cerf, 1946, p.187.
* 15 _ M. Gilbert, Les
cinq Livres des Sages, Paris, Cerf, 2003, p.228.
* 16 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome I, Paris, Librerie
Lecoffre, 1983, pp. 100-101.
* 17 _ . Cf. Th. Römer,
Op., cit., pp. 656 (Contribution de Thierry Legrand).
* 18 _ Selon M. Gilbert et
C. Larcher, en 1962, J. Ziegler a donné la meilleure édition
critique actuelle de Sg. Les manuscrits B (Vaticanus), C (Sinaiticus), du IV e
s. et A (Alexandrinus), du Ve s. représentent à son avis,
l'état ancien du texte. Cf. M. Gilbert, « Sagesse de Salomon
(ou Livre de la Sagesse) » in Dictionnaire de la Bible.
Supplément. Tome XI, Paris-VI, 1991, pp. 58-61. C. Larcher,
Etudes sur le Livre de la Sagesse, Paris, Librairie Lecoffre, 1969,
pp. 30-84.
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