CHAPITRE III : LE DIAGNOSTIC DES CONTRAINTES
L'île à Morphil est un terroir
essentiellement rural caractérisé par une économie de
vallée, axée sur l'exploitation des ressources naturelles
dont : une culture traditionnelle pluviale et de décrue,
l'élevage et la pêche fluviale. Pendant des siècles, les
habitants ont vécu en équilibre avec la nature, mais depuis
quelques décennies, une crise environnementale dont la
dégradation de l'environnement est le symbole vivant, a durement
secoué cette zone.
Ces contraintes se manifestent par une disparition du
couvert végétal, un appauvrissement des sols, une diminution des
ressources en eau et l'extension de la déforestation. Ainsi des facteurs
physiques et humains sont indexés.
I. LES CONTRAINTES HYDRIQUES
La pluviométrie et l'écoulement fluvial sont les
deux sources essentielles d'approvisionnement en eau dans l'île à
Morphil. Ils constituent un important potentiel hydraulique, mais sujet
à la fois aux contraintes naturelles liées à la
variabilité des précipitations et aux contraintes
anthropiques.
I.1 La péjoration climatique
Depuis de longues années, la moyenne vallée,
à l'image du Sénégal a connu plusieurs grandes crises
pluviométriques dont les plus significatives sont celles de : 1913
- 1915, 1941 - 1945, 1968 et la dernière sécheresse qui a
débuté à la fin des années 1970 dont les effets se
font encore sentir. Le niveau pluviométrique présente dans la
zone un profil erratique. La courbe de la pluviométrie des années
1999 à 2008 montre que, l'arrondissement enregistre des déficits
pluviométriques fréquents d'autant plus que, les
précipitations irrégulières et insuffisantes se
concentrent sur 2 à 3 mois.
L'agriculture étant plus vulnérable à
cette contrainte climatique à travers les températures et
l'humidité relative de l'air. Trop basses en Décembre et Janvier,
elles peuvent entraîner une stérilité importante dans les
cultures du riz et de l'arachide. Respectivement trop élevées et
trop basses en période Harmattan, de Mars à Mai, elles
s'accompagnent de très fortes demande évaporatives. Trop
élevées au cours de l'hivernage, elles sont défavorables
à la mise à fruit de la tomate.
Par ailleurs, l'élevage étant le secteur le
plus affecté de cette baisse des eaux pluviales. Les fortes variations
saisonnières et interannuelles de la pluviométrie affectent la
recharge des nappes souterraines qui diminuent leurs potentialités,
alors que l'écoulement des cours d'eau qui dépend des
précipitations reçues, s'affaiblit.
I.2 Les impacts des aménagements hydro
agricoles
Pour palier aux contraintes hydriques, un vaste programme
d'aménagement hydro-agricole a été réalisé
afin de soutenir un débit d'écoulement intéressant. Ces
ouvrages hydrauliques (barrages de Diama et de Manantali) ont par de là
même bouleversé l'écologie de la vallée, de
l'île à Morphil, avec un développement des maladies
hydriques, la prolifération des plantes aquatiques nocives et une
importante invasion acridienne et aviaire.
· Dans cet environnement marqué par la
sécheresse, toute la population se tourne à un moment ou un autre
de l'année, vers le fleuve. Avec l'avènement des grands barrages,
il est patent que le risque sanitaire majeur soit lié aux maladies
à transmission hydrique. La présence de l'eau dans les
périmètres irrigués pendant toute l'année a
entraîné une endémicité du paludisme dans la zone,
qui est devenu la première cause de mortalité chez les enfants de
moins de 5 ans. Sur les 157 personnes enquêtées, 150
désignent le paludisme comme le premier facteur de la mortalité.
La bilharziose est la seconde maladie endémique parasitaire qui touche
particulièrement les enfants. Des foyers de bilharziose urinaires sont
localisés dans certains villages (Boki, Saré-Souki...), selon
l'avis des infirmiers de la zone.
· Ces aménagements ont développé
dans leur sillage des végétaux aquatiques envahissantes :
« kélélé - dubirubi -
jaljalbé ». Cet enherbement a stagné le
développement de la pêche et le pourrissement des tiges de
végétaux, ainsi que l'envasement altèrent aussi la
qualité de l'eau. Les zones de développement des
végétaux aquatiques constituent des lieux
privilégiés pour la prolifération des oiseaux
granivores.
· Depuis le développement des PIV, l'île
à Morphil est exposée à de fréquents
prédateurs et parasites. Les attaques d'oiseaux sur épis sont
fréquemment observées : la perruche, le tisserin et
l'ignicolore présentent un certain danger pour le riz. Les insectes
foreurs de tiges comme Scarabacidae et Malvidae (les
coléoptères) sont les principales familles attaquant les organes
reproducteurs du Maïs, sorgho et mil. L'action des acridiens est encore
plus sensible sur ce, le péril acridien de 2004 est toujours
d'actualité.
II. LES CONTRAINTES
PEDOLOGIQUES
Les ressources édaphiques supports des activités
agricoles présentent une grande variété dans
l'arrondissement. Mais, elles sont confrontées à une baisse
temporaire ou permanente de la productivité relative à des
facteurs physiques et anthropiques.
2.1 Les facteurs physiques
Les facteurs physiques jouent un grand rôle dans la
dégradation des sols et trois phénomènes sont
particulièrement constatés :
· L'érosion éolienne
Les vents de l'harmattan qui soufflent dans la zone
durant toute la saison sèche avec des vitesses comprises entre 2,5 et
4,29 m/s, exercent une forte dynamique sur les transformations morphologiques
des unités du paysage et accélèrent la dessiccation des
sols et le déchaussement des racines.
Les sols à texture sableuses (zone Diéri,
Fondé et Pallé) y sont plus sensibles, ainsi que les zones
dépourvues de végétation. La poussière et les
« vents de sables» sont les phénomènes climatiques
les plus fréquents de l'île à Morphil rendant la
visibilité délicate. En gros, ces vents augmentent
l'évaporation et l'évapotranspiration qui contribuent à
accentuer le déficit hydrique et l'assèchement des sols.
· L'érosion hydrique
L'érosion hydrique sévit de manière
importante dans l'île à Morphil et les berges des cours d'eau sont
les plus exposées. En raison de la faiblesse de la couverture
végétale et de la violence des précipitations, un
ravinement se déclenche escarpant les bordures de la vallée
(Photo 5).
L'extraction du sable pour la construction a
accéléré l'action du fleuve dont la variation est
très sensible dans le terroir. L'inondation est courante, d'ailleurs la
quasi-totalité des sites originels des villages de l'île à
Morphil se trouve actuellement sous les eaux. Le plus spectaculaire est
l'ancienne école primaire de Dounguel complètement
déchiquetée par les eaux, par suite du creusement des côtes
et l'élargissement du lit mineur, une partie témoin subsiste
encore. (Photo 6)
PHOTO 6 : Les effets du ravinement
PHOTO 7 : L'école primaire de
à Fondé Elimane
Dounguel emportée par l'érosion fluviale
![](Exploitation-et-gestion-des-ressources-naturelles-dans-lile--Morphil-Etude-de-cas-larrondi10.png)
· La dégradation chimique :
La salinisation et l'acidification constituent les
principaux processus qui animent la dégradation chimique. L'irrigation
dans l'île à Morphil place le sol dans une situation
différente du régime pluvial. La modification du régime
hydrique a changé les conditions de pédogenèse.
Une remontée des sels par percolation est
observée sur les PIV du constat des exploitants (tableau 19), dont les
aménagements mal planés, mal entretenus et sujets à de
fréquents débordements, ne disposent en général pas
de drains. Le manque de drainage entraîne une alcalisation des sols dont
l'acidification compromet le développement de la
végétation.
Tableau 19 : Nature et importance de la
dégradation des sols par biotope
Biotope
|
Erosion hydrique
|
Erosion éolienne
|
Dégradation chimique
|
Observations
|
Berges des cours d'eau
|
TE
|
M
|
F
|
Ravinement des sols
|
Bourrelets de berges
|
F
|
E
|
F
|
Harmattan et tempêtes de sable
|
Périmètres irrigués
|
E
|
F
|
E
|
Salinisation des sols mal drainés
|
Légende : F : faible, M :
modéré, E : élevé, TE : très
élevé
Source : enquête de terrain, 2009
2.2 Les facteurs anthropiques
L'utilisation des sols par l'homme est la
première origine de leur usure. Elle est accentuée par
l'épuisement conséquence de la répétition des
cultures. A Dioudé, l'érosion des terres est ostensible,
après 7 ans de monoculture du riz la récolte a
considérablement chuté la huitième année. A
Fondé Elimane sur les 20 hectares irrigués, les 5 hectares sont
abandonnés à cause de l'infertilité. En effet, cette
dégradation se manifeste par une baisse des capacités physiques
du sol (baisse de la teneur en argile sur les hollaldé).
Une forte pression foncière s'exerce sur les sols
des zones inondables : la quasi-totalité des interrogés
affirment que, le manque de terre est leurs soucis majeurs, la jachère a
complètement disparu de la zone. En outre, la transhumance a
aggravé l'érosion des berges. Le piétinement des troupeaux
a eu des effets néfastes sur les sols.
2.3 Les contraintes économiques
Des contraintes liées aux systèmes de
production sont manifestes. En effet, chaque famille dispose d'un PIV de 22
ares regroupant 5 à 12 personnes ou plus, la première
priorité du paysan est de produire du riz pour la nourriture de la
famille. La deuxième, liée à la précédente
est de financer la mise en place de ses cultures du riz : intrants parmi
lesquels : les engrais, les semences, l'eau, le gasoil ...et de
régler les dettes du ménage. Le reste, il le consacre à la
culture du Walo et du Diéri. Pour couvrir leurs besoins pendant toute
l'année, ils vendent le riz, le petit bétail ou
bénéficiers des revenus extérieurs.
Les contraintes macro-économiques sont beaucoup
plus importantes, l'économie rurale repose sur l'agriculture en
déclin et les revenus par tête sont faibles. (Figure 5). A
l'unanimité, jaloux des énormes possibilités qu'offre
l'île à Morphil les populations indexent les problèmes
d'intrants et de financement comme l'unique contrainte de l'exploitation des
ressources pédologiques.
FIGURE 5 : Pyramide des problèmes
agricoles
Source : enquête de terrain, 2009
III. LA DEGRADATION DES RESSOURCES
VEGETALES
Les ressources végétales conditionnent un
maintien des processus écologiques et constituent une source
substantielle de ressources alimentaires, énergétiques et
pharmaceutiques pour les populations de l'arrondissement. Mais sous l'emprise
de la pression anthropique et la péjoration climatique, ces formations
végétales ont beaucoup évolué.
3.1 L'impact des facteurs physiques sur la
végétation
L'île à Morphil est une partie du Sahel, qui
a sévèrement subi les effets des aléas climatiques. Ainsi,
se sont installées des conditions de semi aridité avec une longue
sécheresse annuelle, qui a abouti à la sélection du
peuplement végétal qui, du mésophile à l'origine,
est devenu de plus en plus xérophile. Plusieurs espèces ligneuses
ont disparu parmi lesquelles : Fovia biolor - Euphorbia convolouloides
- Acacia senegal - Mitragina inermis - Tamarindus indica ...
L'action de l'érosion éolienne participe
à la dégradation de la végétation par le
déchaussement des racines, alors que certaines espèces
reboisées (Eucalyptus - Prosopis et Azdirachta indica)
ont un système racinaire très développé qui
étouffe les plantes. Certaines espèces végétales
typiques de bas-fond, étroitement liées aux drainages et à
la durée de l'inondation, sont en voie de disparition suite au manque
d'eau. Beaucoup d'arbres morts sont rencontrés dans les forêts
classées.
3.2 Les actions anthropiques
Les effets néfastes de la crise climatique ont
été cependant exacerbés par l'action anthropique qui a
imprimé sa marque sur la physionomie du paysage actuel.
· La déforestation est l'effet le plus visible
dans le terroir avec deux causes majeures : d'une part, l'expansion
agricole responsable du quasi disparition des peuplements du Gonakier
(Acacia nilotica) par suite des aménagements hydro agricoles.
D'autre part, la pression foncière fait du défrichement de
nouvelles terres un mode d'utilisation des terres hautement prioritaire par
rapport à leur défense. Les forêts constituent dés
lors de véritable zone à risque. la coupe abusive des arbres (la
section des parties sensibles comme : le tronc et les racines) demeure une
pratique plus redoutable (Photo 6), d'autant plus que le bois est l'unique
combustible domestique des populations du milieu dont le niveau de
pauvreté et l'enclavement ne permettent pas d'accéder aux autres
formes d'énergies (seules les 3 CR et l'arrondissement disposent
l'électricité)
PHOTO 8 : La coupe abusive des arbres
PHOTO 9 : L'impact des caprins sur la
végétation
![](Exploitation-et-gestion-des-ressources-naturelles-dans-lile--Morphil-Etude-de-cas-larrondi12.png)
· Les pratiques pastorales sont marquées par la
réduction de l'espace de parcours qui restreint la mobilité du
bétail aboutissant à une surexploitation des ressources
forestières avec l'augmentation des charges animales. Le constat est
l'émondage sauvage des espèces ligneuses appétées
et le broutage des jeunes ligneux, qui provoquent la mortalité de
nombreux sujets et réduisent, voire annihilent la
régénération (Photo 7). L'action des caprins en
particulier y est plus sensible.
Par ailleurs, les feux de brousses constituent un autre
fléau de cet écosystème, la strate herbacée
étant la plus exposée avec le défrichement par le feu
très répandu.
*
* *
Au demeurant, les facteurs naturels de dégradation
des ressources naturelles les plus importants dans l'arrondissement sont
constitués par la sécheresse et la baisse de la
pluviométrie. Cependant, les facteurs anthropiques aggravés par
la situation de pauvreté dans le milieu risquent à long terme, de
provoquer une dégradation irréversible. Les activités
primaires étant plus exposées.
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