SECTION II : ASPECTS THEORIQUES ET EMPIRIQUES DES REGLES
DE CIBLAGE
Deux scénarios sont à distinguer dans la
théorie des politiques de ciblage : la règle assise sur le taux
d'inflation d'une part et la règle ciblant le niveau des prix d'autre
part. Dans l'approche des règles de ciblage, Svensson et Woodford (1999)
définissent les règles spécifiques et les règles
générales. Une règle de ciblage spécifique
fournit une formule mettant en relation les variables cibles et les
niveaux cibles alors qu'une règle de ciblage générale
fait appel à la fonction objectif de la Banque Centrale, à
des contraintes et à un processus d'optimisation pour mettre en relation
les variables cibles et les niveaux cibles. Cette qualification conceptuelle
décline assez bien le cadre théorique des développements
traditionnels et contemporains des règles de ciblage à explorer
dans cette revue de littérature. Successivement, il sera abordé,
les dimensions théoriques et empiriques des règles de ciblage.
Les deux régimes ont des modes de fonctionnement et des
implications différents en matière de politique monétaire.
Sous une cible de niveau de prix, les conséquences sur le niveau des
prix des écarts d'inflation passés sont corrigées.
Lorsqu'un choc élève le niveau des prix et l'inflation au dessus
des niveaux cibles, l'inflation devra à la période suivante se
situer en dessous de sa cible pour permettre au niveau des prix de retourner
à la sienne. A l'opposé, sous une cible d'inflation, une
inflation supérieure à la moyenne (cible) n'est pas
corrigée ; la Banque Centrale assure simplement que l'inflation retourne
à la période suivante à sa cible sans essayer de restaurer
le niveau de prix initial, l'accroissement du niveau de prix étant alors
permanent.
Les règles de ciblage spécifiques mettant en
relation les variables cibles et les niveaux cibles dérivent des
règles générales ; selon que la formule est
exprimée en fonction du niveau des prix ou du taux d'inflation, deux
types de règles spécifiques sont à distinguer. De
même que formulée dans la théorie des règles
monétaires approfondie, la fonction
« objectif » s'exprime généralement
sous la forme de fonctions de perte quadratique définie par rapport aux
écarts de production et d'inflation : théoriquement, l'arbitrage
traditionnel entre la variabilité de la production et celle de
l'inflation permet de minimiser les pertes. La fonction de perte sociale la
plus courante est de la forme,
Vt = E;to /3t-to 21 [(irt -- ir*)2
+ .1.bit -- Y*)2] (1.1)
où 0 < /3 < 1 représente le facteur
d'actualisation5. Cette fonction donne la valeur attendue de la
somme des pertes futures actualisées à partir de la
période to. Il est fait l'hypothèse que la
société cherche à stabiliser à la fois l'inflation
et l'écart de production, de sorte que le
coefficient de pondération .1. satisfait à la
condition 0 < .1. < 8. Les cibles sont des paramètres
exogènes.
Nombre d'études distinguent essentiellement la fonction
de perte sociale de la fonction de perte de la Banque Centrale,
l'autorité qui formule et met en oeuvre la politique monétaire.
Dans un grand nombre de cas, la Banque s'efforce de minimiser une fonction de
perte sociale, dans laquelle l'inflation est la variable cible :
Vtb = Et E7-to /3t-to 12 [(irt --
irb*)2 + .1.b (Yt -- Yb*)2]
(1.2)
L'indice supérieur b dénote les valeurs
des paramètres qui peuvent différer de celles
de la fonction de perte sociale. Suivant Svensson (1997), si
irb* < ir* , la Banque Centrale se préoccupe
davantage de l'inflation que la société, tandis que, si
.1.b< .1., elle se soucie moins
de l'écart de production que celle-ci. Toutefois, quand
la société se préoccupe de l'écart de production
(.1.>0), la nomination d'une Banque Centrale qui se soucie également
de cet écart (.1.b>0), réduit la perte sociale du
fait de cet arbitrage (Barnett et Engineer, 2000).
La Banque Centrale a un objectif d'inflation si, comme
précédemment, le terme
irt -- irb* est un argument de sa fonction «
objectif » ; elle a par contre, un objectif de niveau
5
La Banque Centrale se préoccupe non seulement des
résultats de la période courante, mais aussi du comportement
futur de la production et de l'inflation ; en conséquence, elle applique
aux périodes futures le facteur d'actualisation /3.
des prix si le terme pt - pb* en est l'argument.
Svensson (1999), Dittmar et al (1999), Vestin (2000), recourent
alternativement à une fonction de perte comportant un objectif de niveau
de prix.
Vtb = Et E7-to eto 21 f(pt -
pb*)2 + ,1b (Yt - Yb*)2]
(1.3)
Pour Cecchetti et Krause (2006), cette fonction prend la
forme,
Vt = Et r ef,1(pt - p)2 + (1 -
,1)(Yt - Y*)21 (1.4)
Selon l'objectif visé, Barnett et Engineer (2000)
dressent un tableau récapitulatif des régimes - Ciblage de
l'Inflation (CI) ou Ciblage du Niveau des Prix (CNP) - qui sont mis en oeuvre
par la règle générale.
Tableau I.1 Politique optimale suivant
l'objectif visé
Fonction de perte de Solution
la Banque Centrale Engagement
Discrétion
Objectif d'inflation CI ou CNP CI
Objectif de Niveau des Prix CNP CNP
Source : Extrait de Barnett et Engineer (2000), p
130.
Quel que soit le cadre, réglementaire ou
discrétionnaire, l'adoption d'un objectif de niveau des prix permet
toujours de réaliser le ciblage du niveau des prix. Par contre, la
fixation d'un objectif d'inflation permet toujours d'obtenir une inflation
stationnaire, mais elle peut aussi conduire à la stationnarité du
niveau des prix, plus restrictive, et ainsi déboucher sur un ciblage du
niveau des prix.
Le premier à étudier les avantages
comparés du ciblage du niveau des prix et du taux d'inflation, Lars
Svensson (1999) a mis au point un modèle macroéconomique
simpliste qui illustre assez bien le fonctionnement d'un régime visant
la réalisation des deux cibles dans la perspective de la politique de
stabilité des prix conduite par la Banque Centrale. S'appuyant sur
l'extension des politiques de règles et de discrétion dans
l'analyse contemporaine des
théories monétaires, il dérive le
modèle sous-jacent d'une courbe de Phillips de court terme avec
persistance.
Yt = PYt-i + a(nt -- Et-int) + Et (1.5)
yt représente le log de l'écart de
production à la période t, p mesure le degré de
persistance
de l'écart de production (0 < p < 1).
nt = pt -- pt-i mesure le taux d'inflation à la
période
t, avec pt étant le log du niveau des prix ; Et-int
traduit l'anticipation rationnelle du taux
d'inflation6, compte tenu de l'information
disponible à la période précédente. Le
paramètre a exprime la vigueur de la réaction de la production
à une variation inattendue de l'inflation (a>0). L'économie
subit au cours de chaque période un choc d'offre Et : il s'agit de chocs
indépendants, à probabilité identique de moyenne
zéro et de variance a2.
L'objectif de stabilité de la Banque Centrale se
traduit par l'optimisation d'une fonction de perte à deux arguments : la
variabilité de la production et celle du taux d'inflation.
L'autorité monétaire stabilise l'inflation autour du taux cible
n* (de long terme) puis l'output gap autour d'un écart
cible7 y*. Svensson adopte la règle générale de
ciblage, représentée par une fonction intertemporelle de perte de
la forme,
Vt = Et E7.tr-t 2i [(nt n*)2 +
À(Yt Y*)2] (1.6)
Usant du pouvoir discrétionnaire « encadré
» (Svensson, 1999), la Banque cherche à minimiser la fonction de
perte (1.6) sous la contrainte imposée par l'équation d'offre
(1.5) à chaque période. La solution du problème de la
Banque Centrale dérive d'une règle de décision qui
répartit le choc d'offre de la période courante entre le taux
d'inflation et l'écart de production ; elle représente la
règle spécifique de ciblage de l'inflation8.
6 L'instrument intermédiaire de politique
monétaire constitue la prévision d'inflation sur laquelle est
basée la règle de ciblage contrairement à
l'hypothèse des règles d'intervention sur le taux
d'intérêt ou l'agrégat monétaire pour obtenir
l'évolution souhaitée des variables cibles alors supposées
contrôlables.
7 Fondamentalement, pour Svensson et d'autres auteurs
encore, l'hypothèse de rationalité à long terme de la
Banque implique une cible d'écart de production nulle étant
donné qu'à cet horizon, seules les capacités productives
l'emportent (y*=0).
8 La règle de décision dépend
bien du traitement de l'anticipation rationnelle du taux d'inflation. Si pour
Svensson, elle dépend de l'écart de production, Dittmar &
Gavin (2000) puis Dittmar, Gavin & Kydland (1999) la considèrent
comme exogène. Il s'en suit, selon l'approche adoptée, deux
règles de ciblage distinctes, partant du même modèle ; les
deux scénarios seront explorés dans la partie empirique.
De manière à faire apparaître le plus
clairement possible la source de l'avantage gratuit lié à la
règle spécifique de ciblage du niveau des prix, Svensson (1999)
adopte le modèle précédent ajusté au niveau des
prix : le taux d'inflation observé et le taux d'inflation attendu sont
remplacés par les identités suivantes, expressions du niveau des
prix et du niveau des prix attendu.
pt E pt--i + nt (1.7)
Et--ipt E pt--i + Et--int (1.8)
Comme précédemment, le terme p est ici
le logarithme du niveau des prix ; le taux d'inflation est défini par
l'équation (1.7) et le taux d'inflation attendu par l'équation
(1.8). En adoptant ces définitions, l'équation d'offre globale
(1.5) devient :
Yt = PYt--i + a(pt -- Et--ipt) + Et (1.9)
A la seule différence qu'elle est exprimée en
fonction du niveau des prix, cette équation est identique à
l'équation (1.5). Le niveau des prix visé par la Banque Centrale
est
pt" = pt"--i + n". Elle s'intéresse
dans ce scénario aux écarts du niveau effectif des prix par
rapport à cette cible ; la fonction de perte
associée devient :
Vt = Et E7.tr--t 2i [(pt - pt")2 +
,1(Yt - Y")21 (1.10)
Littéralement, pt remplace nt, et pt" remplace
n*. Cependant, les deux fonctions de
perte représentées par les équations
(1.6) et (1.10) ne sont pas aussi identiques. Dans l'équation (1.6), la
Banque se soucie uniquement de ne pas rater sa cible d'inflation ; dans
l'équation (1.10), elle s'inquiète lorsqu'elle manque sa cible de
niveau des prix, ce qui implique un comportement de « ratages »
cumulatifs en matière de taux d'inflation (Svensson, 1999). A
noter que n joue dans le premier problème exactement le même
rôle que p dans le second ; il en est de même du rôle du
terme y dans les deux cas. En conséquence, la résolution
du second problème (la cible est basée sur le niveau des
prix),
indique pour P la même solution que pour n- dans
le premier (la cible est fondée sur le taux d'inflation) ; dans les deux
cas, la même solution est obtenue pour y.
La résolution est analogue au cas où le taux
d'inflation est visé : la Banque cherche à minimiser la fonction
de perte de l'équation (1.10) sous la contrainte imposée par
l'équation d'offre (1.9). La solution du problème de la Banque
Centrale dérive d'une règle de décision qui
répartit le choc d'offre de la période courante entre le taux
d'inflation et l'écart de production ; elle représente la
règle spécifique de ciblage du niveau des prix.
L'étude comparée des deux règles
centrée sur les variances optimales du taux d'inflation - à
variance constante de l'output gap - permet de mettre en évidence
l'existence de l'avantage gratuit lié au ciblage du niveau des prix pour
réaliser la stabilité des prix dans l'économie. Les
principaux résultats dans un cadre discrétionnaire sont
consignés dans le tableau I.2.
Tableau I.2 : Variances théoriques des
variables selon le régime de ciblage
Inflation Targeting Price-Level Targeting
(1) Yt PYt-i + (1 - ab#)et pyt_i + (1 -
ab#)et
)2 2 (1 - ab)2
1 - p2 o-
1 - p2
#
b
1 - ab - (Yt - Yt-i)
(4) E(irt) - n* .ay* - fia' ( 0
(2) Var (Yt) (1 - ab
2
a
#
#
b
-
-
1 - abYt
b
(6) Pt â + Pt-i -
-Yt a
1 - ab
&
#
b#2
(5) Var (itt)
2
2h
1 - p2 s'n 1+
2
2
o-
P
b#2
(7) Var (Pt)
8 62
1 - p2
(3) itt â b
1 - ab-Yt i*
Source : Résultats extraits de Svensson
(1999), p 6.
|