CHAPITRE DEUXIEME
LES SIGNES AVANT-COUREURS DE LA FIN DU MONDE
Abordant ce chapitre deuxième, il y va sans dire que
dans presque la quasi totalité des drames, des signes avant-coureurs
sont observables.
On entend par signes avant-coureurs, des signes
précurseurs, annonciateurs d'un évènement à
venir.
Pour ce qui concerne notre récit-objet, Grainville, au
début de son roman, le personnage narrateur annonce ce qui va arriver
à travers la première phrase.
« C'était avant la fin du monde. »20
Cette expression "fin du monde" qui nous fait froid dans le
dos met déjà le lecteur comme d'aucuns le diraient dans le bain.
Nous sommes dans une situation où le narrateur-auteur de notre
récit-objet prédit un évènement funeste, tragique.
Le lecteur a une idée de ce qui pourrait arriver : une catastrophe, un
cataclysme etc..
Cela nous conduit à dire qu'il y a eu effectivement
la fin du monde et que l'auteur-narrateur l'affirme. Cette
manière d'énonciation nous le relate à l'imparfait. C'est
pour dire qu'au moment de la narration, la fin du monde s'était
déjà produite.
20 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 7.
I. 2.1. Les données temporelles
Dans un texte, le temps du déroulement des actions est
une donnée majeure en cela qu'il participe de la dynamique et de la
structuration de l'intrigue. Le jour de la fin du monde, une femme me cache
de Grainville dont la thématique est constituée par la fin
du monde manifeste cela par le fait que la plupart des actions se
déroulent à des moments précis.
En effet, Jérôme dans la description de la
chronologie des événements rompt d'avec Dolorès un mois
avant la catastrophe.
« Un moi avant la catastrophe, j'avais rompu avec ma
femme. C'avait été déjà la fin du monde. Je me suis
retrouvé vide et nu. Sans doute m'étais-je secrètement
initié à l'extinction des choses.»21
Nous voyons ici comment Grainville, à travers
Jérôme annonce qu'il s'était déjà
préparé à la fin du monde quelque temps avant. Comment une
séparation pourrait-elle constituée une fin du monde en soit.
Pour l'auteur, une rupture pourrait être considérée Comme
une fin du monde en ce sens qu'elle affection le coeur.
C'est comme dirait d'aucun ; elle ou il m'a brisé
le coeur. Ce n'est peut-être pas quelque chose de physique d'abord,
mais plutôt sentimental.
L'encrage temporel s'avère aussi digne
d'intérêt dans la manifestation de la fin du monde dans le texte
par la récurrence des unités phrastiques telles que :
21 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 8.
24
« Plus tard, à la télé, j'ai vu
des familles, des survivants, pleurer devant les
décombres.22»
Là encore, le lecteur n'est pas surpris par ce qui
arrive; c'est-à-dire cette catastrophe qui selon certaines personnes
dans l'oeuvre, la voit comme une fin du monde. Jérôme reste
stoïque imperturbable face à ce tapage médiatique sur le
crash de l'avion de air France.
Ou
« Tout était déjà accompli,
irrévocable dans cette soirée de mars, et presque apaisé.
L'Orque s'accolait contre l'énorme tour. »23
Une fois de Grainville libre ici le mois du crash et la
période de la journée ; cette soirée de mars ; le
crash s'est précisément passé au mois de mars et en
soirée.
Nous pouvons dire que Grainville essaie de représenter
fidèlement les faits dans les moindres détailles.
Ou encore
« Sorte de reste, de relique, d'obélisque
graffité de ténèbres mais rosi, irisé, par les
tendres rayons de mars et du soir. »24
22 Idem.
23 Idem. Page 11.
24 Ibidem. Page 11.
Le mois de mars revient à nouveau. A bien observer,
nous remarquons qu'au mois de mars il y a des tendres rayons au coucher du
soleil, le soir.
Puis
« Vers quinze heures, elle me quitte. »25
Ici, il serait aléatoire de vouloir dissocier dans une
sorte d'opération théorique la personne de l'auteur de celle du
narrateur. Les deux instances se confondent désormais dans l'acte unique
et ultime de la narration.
C'est parce que la mémoire de l'auteur physique et
concret est encombrée d'une foule de détails diffusés au
cours de son existence que le narrateur peut nous décrire ses
scènes. Le narrateur ne devient alors qu'une sorte de mémoire
seconde chargée de restituer, non pas les réflexions, mais le
vécu existentiel de l'écrivain. L'opération de retour en
arrière qu'illustre le récit ne saurait ainsi déborder le
cadre existentiel de l'auteur lui-même.
Nous assistons à un tassement progressif de la
donnée temporelle. Cela est dû à la nature
particulière de la mémoire humaine, à son
incapacité à restituer fidèlement et entièrement
les évènements trop éloignés dans le temps. L'enjeu
du récit étant de monnayer un temps dans un autre
temps26, la restitution sera désormais fonction de
l'éloignement ou du rapprochement de l'évènement
narré par rapport au moment de la narration. En d'autres termes, la
précision du récit sera
25 Ibidem. Page 61.
26 Christian Metz, Essai sur la signification au
cinéma, Paris, Klincksiek, 1968, p. 27, cité par Nicolas MBA ZUE
dans sa thèse de docorat.
proportionnelle à la durée qui sépare les
évènements de l'acte narratif qui les réactualise.
L'analyse des données temporelles nous a permis ainsi
de cerner la fin du monde et ses différents corolaires, à quelle
période le crash a eu lieu dans la mesure où elle contribue
à l'élucidation de celle-ci dans l'oeuvre. Du moment que les
actions se déroulent majoritairement le soir, on voit alors une
volonté chez l'auteur-narrateur de captiver le narratairelecteur.
Mais les indications temporelles qui jalonnent notre
récit-objet n'ont pas pour seul but de nous indiquer la chronologie
évènementielle. Elles se chargent aussi d'une intention
rhétorique certaine. Comme tel, leur fonction est de marteler le texte
narratif, mais surtout la conscience du narrataire-lecteur pour qui ces jalons
mnémotechniques27 servent à la fois de repères
taxinomiques et de points de référence.
Toutes ces indications temporelles concourent à donner une
base de vérité au message narratif.
Le romancier est ainsi davantage soucieux de la
réalité existentielle qu'il doit décrire le plus
fidèlement possible. Les indications dans Le jour de la fin du
monde, une femme me cache répondent à ce souci de
description exacte.
« Le lendemain, au petit déjeuner, elle s'est
détournée de n'avoir revu le chat. Je lui ai avoué que je
l'avais donné à Hervé. »
27 Mémorisation.
26
28
« Le lendemain, au petit déjeuner »
Grainville nous spécifie avec exactitude le déroulement de la
scène. Mais, est-il obligé de le faire ?
L'ambition est finalement claire : transcrire la
réalité telle qu'elle a été vécue. Les
indications temporelles de notre texte-objet tendent à nous exprimer ce
réel historique vécu et fidèlement conservé par la
mémoire de notre narrateur-auteur.
I. 2.2 : La pertinence du phénomène
affabulatoire
Le phénomène affabulatoire faisant partie des
sept péchés capitaux est très récurrent dans notre
récit-objet. Patrick Grainville peut être considéré
comme un avant-gardiste en ce sens qu'il restitue exactement les faits de la
société. Le mensonge, la calomnie, font partie intégrante
des signes avant-coureurs de la fin du monde dans la Bible.
La quasi-totalité de ses personnages a, de près
ou de loin flirté le mensonge. Partant de Jérôme, Lenny
Croft, Aiwala, Bani, ou Romane, le constat demeure le même. Des petits
mensonges par ici, des gros mensonges par là, etc.
Grainville peint une société en déclin
progressif. De part sa description des faits on a l'impression que cette
société est vouée à une destruction totale. Et
donc, lui faisant partie de cette société, voudrait qu'un
évènement libérateur surgisse afin de mettre fin à
toutes les imperfections de l'Homme.
Jérôme, auteur-narrateur de notre roman, est de
prime abord celui- là qui utilise le mensonge pour se libérer de
son complice et ami Hervé ;
car celui-ci en volant un véhicule a par inadvertance
enfreint une des règles très capitale : Ne jamais tuer.
Jérôme ne désire plus rencontrer
Hervé son co-équipier voleur et se sert d'un précepte
capital, qui consistait à ne jamais tuer lors de leurs opérations
le plus souvent nocturnes. Il ne cesse de le lui jeter à la face
à chaque fois que ce dernier désire le rencontrer.
« Je ne sais pas. Laisse-moi réfléchir.
De toute façon, c'est fini. Le boulot, c'est fini ; Hervé, je te
l'ai déjà dit, il y a un mois, après ta faute...On pouvait
plus continuer. Il se tait. Sa faute. Il remâche son regret. Il a fichu
tout par terre ».28
Nous observons un autre cas de figure plus flagrant, celui de
Lenny Croft un affabulateur de haut vol. Il se fait passer pour le frère
d'une des passagères de l'avion. Or cette dernière n'était
autre qu'une fille de joie, qui lui vendait ses services, à qui il
était tombé passionnément amoureux. On a affaire à
un véritable mythomane de grande envergure. Il n'hésite pas
à passer dans les médias, et est désormais l'avocat des
parents des victimes du crash de l'avion.
I.2.3. Le crash de l'avion une
tragédie
« Il y avait pour tous les goûts... Deux cent
quarante cas différents qu'on pouvait regrouper par catégorie,
ventilé sur des listings, selon l'âge, le sexe, l'origine. Des
Japonais, des Italiens, des Allemands, des Hollandais, des Chinois,
28 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 38.
des Américains, des Français, des Anglais,
des Zaïrois, des Sénégalais... Tous les pays étaient
là dedans, des échantillons du monde entier... »29
Comme sus-indiqué tout au début de notre
travail, nous avons là une fois de plus des indices qui nous montrent le
caractère globalisant de ce crash. Faisant appel à l'histoire, il
y a que le 11 septembre 2000 reste une date historique avec la destruction des
deux tours jumelles aux Etats-Unis.
Aussi, pouvons -nous établir un parallélisme entre
le crash décrit dans notre récit-objet.
Contemporain, Grainville, se fait à coeur joie le
transcripteur des évènements de son siècle.
Pour donner plus de force à sa description, Grainville,
nous livre le répertoire des victimes du crash.
A bien scruter ce répertoire, nous remarquons une
multiplicité de nationalités ; des français, des anglais,
des asiatiques, des africains etc.
L'indentification des cadavres se fait désormais
à travers des fragments d'os, de peaux, de vêtements, des
rapprochements s'opèrent avec les photos des victimes.
29 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 25
30
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