DEDICACE
A mes parents,
KOUM TOUNGA Pierre Damien et KOUM
Augustine
A M. TUWA Jérôme,
qui le premier initia mon esprit à l'exercice
de la pensée
REMERCIEMENTS
Que parents, Xavériens, enseignants et amis
dont les efforts conjugués ont permis la réalisation de cette
oeuvre de l'esprit, trouvent ici l'expression de ma profonde et sincère
gratitude. Et qu'en tout et pour tout, le Nom du Seigneur en qui nous avons
« la vie, le mouvement et l'être », soit sans fin
béni !
INTRODUCTION GENERALE
« L'arbre de la philosophie croît du sol
nourricier de la métaphysique »1(*) disait Martin Heidegger. En
effet, comme l'avait perçu Leibniz, toute philosophie s'origine dans la
question métaphysique du pourquoi : pourquoi y a-t-il quelque chose
et non pas rien ? La métaphysique est donc la science des
fondements qui s'efforce d'appréhender l'« Etre en tant
qu'Etre. »2(*) Dans sa quête de l'Être, la
métaphysique se heurte à son devenir.
D'après l'Encyclopédie philosophique
universelle, « on entend par le terme «devenir»
soit l'ensemble des changements présents si l'on ne veut attirer
spécialement l'attention sur aucun d'entre eux, soit la série des
changements susceptibles d'affecter, spécialement dans l'avenir, une
chose, une personne, une institution etc. »3(*) André Lalande
s'inscrit dans cette même logique et attribue à son tour au terme
devenir, « le changement considéré en tant que
changement, c'est-à-dire en tant que passage d'un état à
un autre. »4(*)
En effet, avant d'être une donnée
métaphysique, le devenir ou tout simplement le changement,
« est un fait d'expérience
courante. »5(*) N'importe qui peut faire l'expérience du
caractère éphémère de sa propre vie, des saisons
qui se succèdent les unes aux autres, des choses qui changent au fil du
temps. Cependant, plus qu'une simple caractéristique qu'on collerait
facilement aux choses, le devenir pose de véritables difficultés
métaphysiques. En effet, le devenir s'attaque particulièrement au
principe d'identité. Car, « le changement consiste en ceci
que ce qui était n'est plus et que ce qui n'était pas est
maintenant. »6(*) Dans cette perspective, le devenir est donc
« une destruction de l'identité de l'être avec
lui-même. »7(*)
Le premier à faire sienne cette approche est
incontestablement Héraclite d'Ephèse. Portant à
l'extrême l'expérience du changement, celui-ci a ruiné le
principe d'identité et par là l'Etre lui-même. Dès
lors, rien n'existe en dehors du mouvement. Toutefois, il sera vite remis en
question par Parménide et son école. Ceux-ci, voulant sauvegarder
la certitude intellectuelle du principe d'identité, ont suivi le chemin
inverse de Héraclite en figeant l'Etre dans l'éternelle
stabilité.
L'opposition Héraclite-Parménide au sujet du
devenir marque l'affrontement de deux systèmes philosophiques qui ont
chacun perçu un aspect de la vérité de l'Etre et sont par
la suite tombés dans l'erreur en se radicalisant. En effet, s'il est
vrai que le devenir est un fait d'expérience courante, il est
également vrai que du néant, rien ne peut surgir. Le
problème du devenir se rapporte finalement à la question :
comment concilier changement et principe d'identité ? Autrement
dit, comment adéquationner au sein d'un même être mouvement
et stabilité ?
L'examen d'un tel problème exige que nous organisions
notre réflexion en cinq mouvements. Dans le premier, il sera question
pour nous de remonter aux sources du problème. A cet effet, nous nous
appesantirons sur les différentes approches héraclitéennes
et parménidiennes du devenir pour aboutir à la première
tentative de leur conciliation par Platon. Viendra ensuite le second mouvement
qui sera consacré à la présentation de quelques critiques
apportées par Aristote sur les précédentes conceptions du
devenir. Le troisième mouvement ainsi que le quatrième,
étayeront l'analyse aristotélicienne du devenir. Celle-ci
abordera le problème du devenir à partir des catégories de
l'Etre. Ces catégories seront résumées en trois couples de
notions qui constituent selon François Châtelet
« les trois distinctions cardinales de
l'aristotélisme. »8(*) Ce sont : les couples substance et
accident, acte et puissance, matière et forme. « Tous
trois ont pour fonction de servir de schèmes d'intelligibilité
à la représentation d'un monde ordonné à des
réalités autonomes en devenir. »9(*) Toutefois, il est important
d'avoir présent à l'esprit au moment où nous abordons
cette étude, qu'Aristote emploie indifféremment le terme
×éíçóéò (mouvement)
pour désigner aussi la
ãåíåóéò (devenir) ou la
ìåôáâïëç
(changement).10(*)
Par ailleurs, si l'analyse aristotélicienne du devenir
résout le conflit Héraclite-Parménide, elle ne laisse pas
cependant de susciter quelques interrogations. D'où le cinquième
mouvement de notre réflexion qui sera en même temps une lecture
critique de la contribution aristotélicienne à propos de
l'étude du devenir et une mise en évidence de quelques
perspectives que cette contribution ouvre dans le champ de la philosophie en
général et du vécu quotidien de l'homme en particulier.
CHAPITRE I :
DIFFERENTES APPROCHES ANTE ARISTOTELICIENNES DU DEVENIR
Introduction
La réflexion d'Aristote sur la notion du devenir marque
un tournant décisif dans l'étude de l'Etre et de ses
déterminations. En effet, bien avant lui, le problème du devenir
de l'Etre avait déjà été l'une des
préoccupations majeures de tant de présocratiques. C'est qu'en
effet, ce problème cachait un autre plus complexe : celui de l'Un
et du Multiple. Comment une chose peut-elle être à la fois une et
multiple sans qu'il y ait pour autant contradiction ? Telle fut la grande
question dont les enjeux à la fois métaphysiques et dialectiques
allaient faire émerger des grands courants présocratiques,
soucieux d'apporter une réponse satisfaisante au problème du
devenir. Parmi eux, deux allaient se distinguer par la pertinence de leurs
arguments dialectiquement opposés : A Ephèse
l'héraclitéisme qui doit son nom à Héraclite et
à Elée l'éléatisme dont Parménide est le
fondateur. Si pour Héraclite toutes choses sont dans un flux continu
sans repos, Parménide pose l'Etre comme négation du non-Etre. Par
conséquent, il est immuable, infini, et éternel. Comme nous
pouvons le remarquer, la solution que propose chacune de ces philosophies au
problème du devenir est assez radicale : pour l'une, le devenir
perpétuel des choses est leur caractère spécifique. Pour
l'autre, il n'est que pure illusion. Il faudra attendre Platon, le disciple
fidèle de Socrate, qui le premier a tenté une conciliation de
Héraclite et de Parménide, pour que le problème du devenir
trouve dans la théorie des Idées une explication plus
convaincante.
I. Position de
Héraclite d'Ephèse.
Les spéculations milésiennes sur la nature,
inaugurent la rupture de la pensée philosophique avec les cosmogonies
d'Homère et d'Hésiode. Pour les principaux représentants
de l'Ecole de Milet à savoir Thalès, Anaximène et
Anaximandre, ce sont respectivement l'eau, l'air et l'infini qui sont retenus
comme principes de ce qui est et de ce qui devient. Avec Héraclite,
c'est une nouvelle approche du devenir de l'univers qui voit le jour. En effet,
Héraclite à qui on attribue la paternité de tous les
philosophes du devenir,11(*) a démontré dans son oeuvre De
l'univers que le conflit entre les contraires est principe de l'harmonie
et du devenir de l'univers. Ainsi, notre réflexion sur l'approche
héraclitéenne du devenir portera essentiellement sur sa
philosophie des contraires et partant, sur le mobilisme qu'il suppose.
1. La philosophie des contraires
Le conflit des contraires
A la base de l'héraclitéisme, il y a cette
conviction selon laquelle l'origine et le devenir des choses sont tributaires
du principe d'opposition. Il assure la naissance et la conservation des
êtres par le conflit des contraires. Une telle vision du devenir heurte
les aspirations de paix d'un Homère. Cependant, Héraclite fait
remarquer qu'« Homère avait tort de dire :
«Puisse la discorde disparaître entre les dieux et les
hommes !» Il ne voyait pas qu'il priait pour la destruction de
l'univers, car si sa prière était entendue, toutes choses
périraient. »12(*) Ainsi, l'absence du conflit provoquerait une
destruction de l'univers. Il s'ensuit que « la discorde est seule
créatrice. »13(*)
En effet, le conflit des contraires permet le maintien de la
pluralité. Et on pourrait même dire que la loi de la nature est ce
conflit perpétuel entre les opposés qui la composent : jour
et nuit, guerre et paix, jeune et vieux, abondance et manque, froid et chaud,
droit et courbe etc. On le voit, Héraclite entre ici en opposition avec
la conception pythagoricienne de l'univers comme lieu de paisibles et immobiles
harmonies. Pour lui, les harmonies apparemment paisibles du cosmos, cachent
« une lutte temporairement indécise entre les forces
contraires ; la belle immobilité de la détermination visible
recouvre un mouvement qui échappe à notre vue. Ainsi, l'arc et la
lyre (emblèmes d'Apollon si chers aux pythagoriciens) ne doivent chacun
leur réalité, leur capacité fonctionnelle, qu'au jeu des
forces divergentes du bois et des cordes. »14(*)
Ainsi, il apparaît que toutes choses de l'univers sont
soumises au devenir par le conflit des contraires et Héraclite peut dire
à ce sujet que « polemos (guerre ou conflit), est
le père de toutes les choses et le roi de tout ; et quelques-unes
il les a faites dieux, quelques-unes hommes, quelques-unes esclaves et
quelques-unes libres. »15(*) Notons ici un parallélisme entre la
philosophie des contraires et le taoïsme qui impute la
responsabilité du devenir de l'univers à deux principes sans
cesse opposés et pourtant complémentaires : le ying
et le yang. Cependant, on pourrait être porté à
penser avec Anaximandre que « toutes choses se paient
mutuellement compensation pour empiétements. »16(*) Autrement dit, le conflit des
contraires serait ipso facto cause de la ruine des contraires et
partant du devenir même de l'univers. Héraclite répond que
ce conflit n'est ni aveugle ni anarchique : il est harmonie entre les
forces opposées.
L'harmonie des contraires
Pour Héraclite, le cosmos n'est pas le siège
d'un amas de conflits susceptibles de le faire craquer. En effet, le conflit
qui oppose les contraires est mesuré et réglé par une
instance supérieure qu'il a personnifiée sous les traits de la
Justice. La Justice assure donc l'équilibre entre les forces
antagonistes et de cet équilibre surgit le devenir harmonieux de
l'univers. « Par exemple, le fleuve garde son identité
dans et par le mouvement continu de ses eaux...On penserait ici volontiers aux
conceptions modernes de l'organisme vivant sur les équilibres
interspécifiques. »17(*) Ainsi pouvons-nous affirmer que du devenir harmonieux
de l'univers, surgit aussi son unité, laquelle est cachée dans sa
diversité. C'est dans ce sens qu'imitant les milésiens,
Héraclite en est arrivé à poser l'existence d'une
substance première : le feu. Mais ce feu, il faut le
préciser, « n'est plus un de ces grands milieux physiques,
comme l'étendue marine, ou l'atmosphère génératrice
des tempêtes, qui obsédaient l'imagination des
milésiens : c'est plutôt une force qui est incessamment
active, un feu «toujours vivant»»18(*) qui « s'allume
et s'éteint avec mesure. »19(*) D'où le
perpétuel devenir de l'univers qu'Héraclite a exprimé dans
sa célèbre formule « tout coule » et
qu'on a appelé le mobilisme héraclitéen.
2. Le mobilisme
Héraclitéen
Le perpétuel
écoulement
Dans le système héraclitéen, l'Etre est
en perpétuel écoulement, en perpétuel devenir. Cette
considération procède d'un constat opéré dans la
nature. En effet, le jour cède à la nuit et vice-versa. La vie
quant à elle cède à la mort. L'enfant devient vieux.
L'herbe verte aujourd'hui, quelque temps après sèche. Une saison
succède à une autre. Et Héraclite d'écrire :
« Le froid devient chaud, le chaud devient froid, le
mouillé devient sec, l'aride devient humide. »20(*) On pourrait multiplier les
exemples. Cependant, il y a lieu de remarquer que dans ce perpétuel
écoulement dont parle Héraclite, certains contraires admettent la
réciprocité et d'autres pas. Prenons un exemple : le jour
cède à la nuit et la nuit au jour. Par contre, l'enfant qui
devient vieux ne pourra plus retourner à sa jeunesse physique. Tout ceci
fait dire à Héraclite : « Tu ne peux pas
descendre deux fois dans le même fleuve ; car, de nouvelles eaux
coulent toujours sur toi. »21(*) Tout en faisant état du flux continu de
l'univers, cette célèbre formule qui a traversé tant de
siècles, met en évidence un couple de contraires selon le style
héraclitéen : le Même et l'Autre. En effet,
« pour les hommes qui entrent dedans, ces fleuves sont toujours
les mêmes, d'autres et d'autres eaux toujours
surviennent. »22(*) En arrière fond de cette philosophie, il y a
l'idée maîtresse de la préséance du mouvement sur
l'Etre.
Préséance du
mouvement sur l'être
Nous abordons ici l'une des idées les plus originales
de la philosophie du devenir chez Héraclite : la
préséance du mouvement sur l'Etre. En effet, pour
Héraclite, « ce qui existe, ce n'est pas l'être mais
le devenir : Il n'y a de réel que le
changement. »23(*) Cette affirmation qui se situe au sommet de toute la
réflexion de Héraclite sur le devenir, nous livre la clé
d'interprétation de sa pensée. Pour celui-ci, l'Etre n'est pas,
c'est le mouvement qui est. Ceci ne signifie pas pour autant que
Héraclite nie l'Etre. En effet, l'impossibilité à se
baigner deux fois dans le même fleuve est déjà une preuve
que le fleuve existe. Cependant, la nouveauté chez Héraclite,
c'est qu'il a perçu que l'Etre n'est que l'instrument par lequel la
véritable substance qu'est le mouvement se manifeste. En effet, si tout
coule et rien ne demeure, après extinction complète de l'Etre,
quelque chose pourtant demeure : le mouvement. D'où le primat du
mouvement sur l'Etre. On le voit, Héraclite se situe ici aux antipodes
de ce que sera plus tard l'approche aristotélicienne du devenir. En
effet, alors que pour Aristote « sans le lieu, le vide et le
temps, il n'est pas de mouvement possible »,24(*) c'est tout le contraire pour
Héraclite : c'est le mouvement qui donne sens au lieu, au vide, au
temps, à l'Etre. A ce propos, A. Jeannière écrit :
« Dire que l'être est en mouvement, c'est dire que le
mouvement précède les êtres qu'il crée. Fond dont se
tirent tous les êtres, le mouvement explique tout, est l'unité de
tout. »25(*)
Eu égard à ce qui précède, il
apparaît que Héraclite d'Ephèse
l'« obscur », comme aimaient à le désigner
les Anciens, a développé une pensée qui s'écarte de
la méthode analytique propre à son temps, trop faible pour rendre
compte de la complexité du langage. Sa préoccupation ne fut
nullement d'expulser de la pensée et de la réalité les
contradictions. On ne peut non plus dire qu'il n'accorde aucun
intérêt à la vertu de la cohérence. Il nous semble
juste de reconnaître avec François Châtelet au sujet de
Héraclite qu'il « a plutôt lutté avec le
langage pour lui faire rendre, par la fulguration des chocs verbaux, le
sentiment, élémentaire peut-être, en tout cas puissant qui
s'enveloppe dans la formule cardinale selon laquelle «le combat est le
père et roi de tout». »26(*) Toutefois, l'approche
héraclitéenne du devenir sera remise en question par
Parménide pour qui l'Etre n'est pas devenir mais stabilité.
II. Position de
Parménide
L'Ecole d'Elée dont se réclame Parménide,
a eu pour précurseur un émigré ionien originaire de
Colophon : Xénophane. Né vers 570 avant Jésus Christ,
poète errant et rhapsode, il mourut centenaire à Elée.
C'est sous son impulsion que la physique milésienne cède le pas
à de véritables problématiques philosophiques dont la plus
poignante est une espèce d'introduction au problème
ontologique : le problème de l'Un. Ce problème il convient
de le rappeler, se situe dans la perspective de démontrer qu'un
quelconque devenir de l'Etre n'est pas possible. C'est Parménide en qui
l'histoire reconnaît le fondateur de l'Ecole d'Elée, qui
systématisera cette philosophie et aboutira à la thèse
selon laquelle l'Etre est et le non-Etre n'est pas. Dans cette logique, le
devenir n'est alors que pure illusion.
1. L'être est, le
non-être n'est pas
La voie de la
vérité et la voie de l'opinion
Formé à la sagesse par Diochertès et
Aminias tous deux pythagoriciens, Parménide exprime sa réflexion
sur l'Un dans un poème philosophique auquel l'histoire a donné le
nom resté fort célèbre de poème de
Parménide. D'un style politico-mystique, à l'allure initiatique
et orphique emprunté au pythagorisme qui dominait à cette
époque, le poème de Parménide s'ouvre par une image
métaphorique faisant état du poète conduit par les filles
du Soleil chez la déesse :
« Le char qui m'emporte m'a conduit aussi loin
que mon coeur pouvait le désirer, puisqu'il m'a amené et
déposé sur la voie fameuse de la déesse qui dirige l'homme
qui sait à travers toutes les villes...Et l'axe brillant dans le moyeu
(car il était ceinturé à chaque extrémité
par les roues tourbillonnantes) faisait entendre un son strident comme celui
d'un pipeau, quand les filles du Soleil, se hâtant de me conduire
à la lumière , écartèrent leurs voiles de leurs
faces et quittèrent la demeure de la nuit...la déesse me salua
amicalement, prit ma main droite dans les siennes et s'adressa à moi en
ces termes : «Sois le bienvenu, ô jeune homme...Il faut que tu
apprennes toutes choses, aussi bien le coeur inébranlable de la
vérité bien arrondie, que les opinions illusoires des mortels
dans lesquelles il n y a pas de vrai
certitude.»»27(*)
Fasciné par la beauté de cette
poésie, nous sommes davantage impressionnés par sa teneur
philosophique. En effet, l'accueil chaleureux réservé au
poète par la déesse, est dû au fait qu'il s'est
engagé sur cette voie qui est « loin du sentier des hommes
battus. » Ce sentier dont Parménide se
félicite de s'en être éloigné, est en effet celui
qui affirme le devenir de l'Etre. Pour lui, le devenir des choses serait
lié à leur appréhension par les sens et non par l'esprit.
C'est pourquoi, c'est par une voie tout à fait nouvelle,
précisément celle qui consiste à saisir les choses avec
l'esprit et non par les sens que Parménide va quêter la
vérité : « Considère fermement les
choses avec ton esprit, bien qu'elles soient éloignées, comme si
elles étaient à la portée de ta
main... »28(*)
L'esprit ne peut appréhender que ce qui est
intelligible. Or la contradiction qui relève du devenir comme l'a
montré Héraclite, semble être le lot du monde
phénoménal. Naissance, mort, transformation, mouvement, sont
autant de termes qui qualifient la chose sensible. On peut donc conclure que le
monde sensible qui est celui du changement ne peut s'appréhender
logiquement par l'esprit. Car, « changer suppose se nier pour
devenir autre chose. »29(*) Ainsi, l'Etre reste la seule réalité
qui puisse être pensée puisqu'il est impossible qu'il ne soit pas
ou qu'il soit autrement qu'il est. Et toute pensée qui affirmerait qu'il
n'est pas serait tout simplement vide de sens. Telles sont donc les deux voies
que la déesse a décrites en ces termes :
« ...Je vais te dire ...les deux seules voies de
recherche que l'on peut concevoir. La première, à savoir qu'il
est et qu'il est impossible pour lui de ne pas être, est la voie de la
persuasion, car la vérité est son compagnon. La seconde, à
savoir qu'il n'est pas, et qu'il n'est pas nécessaire qu'il soit
celle-là je te le dis, est un sentier dans lequel nul ne peut rien
apprendre. Car tu ne peux pas connaître ce qui n'est pas (c'est
impossible) ni l'exprimer ; car c'est la même chose qui peut
être pensée et qui peut être. »30(*)
Il s'avère donc que la voie de l'opinion qui affirme
l'existence du non-Etre et partant le devenir est à proscrire. Quant
à celle de l'Etre qui est aussi celle de la vérité, elle
nous achemine vers une véritable ontologie parménidienne.
Caractéristiques de
l'ontologie parménidienne
De ce qui précède, nous pouvons dégager
quelques traits fondamentaux de l'ontologie parménidienne.
D'emblée, la quête de l'Etre se présente comme étant
la finalité de la recherche philosophique. L'Etre est pourvu de
nécessité logique : il ne peut ne pas être et ce
caractère nécessaire lui confère son
intelligibilité. Quant au non-Etre inintelligible qui évoque la
possibilité du devenir, il répugne à l'esprit qui ne peut
qu'appréhender l'Etre c'est-à-dire le nécessaire. Il se
dégage donc un rapport d'identité entre l'Etre et la
pensée. On retrouvera l'écho de cette position philosophique bien
plus tard chez René Descartes qui, dans son cogito, assimilera l'Etre
à la pensée : « Je pense donc je
suis. »31(*) Kant suggérera plutôt que ce qui ne peut
être appréhendé par la raison, n'est pas de l'ordre du
connaissable. Il s'ensuit alors que toute science du monde sensible voué
au devenir est impossible. C'est la raison pour laquelle l'Etre
parménidien se veut incréé, indestructible, continu,
immobile et fini comme l'atteste ces propos de la déesse :
« Il est immobile dans les liens de chaînes puissantes,
sans commencement ni fin...ne peut être infini, car il ne lui manque
rien ; alors que s'il était infini, il manquerait de
tout. »32(*) Ainsi, l'ontologie parménidienne se veut une
négation du devenir de l'Etre
Cependant, il faut remarquer que dans la seconde partie de son
poème, Parménide fait allusion aux opinions des mortels qu'il a
condamné plus haut comme étant la voie de l'erreur. Ceci
s'explique peut-être par le fait qu'après avoir décrit
l'Etre comme étant un et immobile, il a voulu lui opposer le monde du
devenir. Néanmoins, Parménide reste le philosophe de la voie de
la vérité qui le premier s'est attaqué à
l'ontologie rationnelle de l'Etre nécessaire. On pourrait même
dire que l'ontologie est née avec l'éléatisme. Toutefois,
l'éléatisme devra faire face au pythagorisme florissant de cette
époque qui apparaît comme l'exaltation du multiple, gage du
devenir. Ce sera l'oeuvre des deux principaux successeurs du poète
d'Elée : Zénon d'Elée et Melissos de Samos.
2. Postérité
de Parménide
L'argument des apories et
la grandeur infinie de l'être
Né à Elée vers 490 et 485 avant
Jésus Christ, Zénon se consacra à la défense
systématique des idées de son maître.
« L'essentiel des divers arguments de Zénon revient
à mettre en évidence, dans tout effort pour penser
pluralité ou mouvement, une composition de l'indivisible, qui fait la
contradiction. »33(*) Pour arriver à cette fin, le puissant
génie de Zénon mit sur pied une méthode tout à fait
nouvelle à laquelle l'histoire donna le nom de dialectique. Elle
consiste en trois étapes : premièrement, recueillir les
affirmations de l'adversaire. Deuxièmement, mettre en évidence
par le raisonnement les conclusions contradictoires qu'elles impliquent.
Troisièmement, aboutir à la conclusion logique selon laquelle les
affirmations de l'adversaire doivent être soit corrigées, soit
purement et simplement rejetées. On retrouvera un tel raisonnement dans
le domaine de la mathématique sous le nom de raisonnement par
l'absurde.
Au livre VI de La physique, Aristote nous rapporte
trois apories34(*) de
Zénon restées fort célèbres qui témoignent
de l'impossibilité du mouvement et partant du devenir de l'Etre. Au
regard de ces apories, nous pouvons conclure avec Zénon que penser le
multiple et partant le devenir, c'est tout simplement être dans l'erreur.
Par conséquent, la pensée vraie est celle qui a pour objet l'Un
immobile, immuable et continu comme le voulait Parménide. Mais pour que
la thèse de l'éléatisme parvienne à sa pleine
maturité, outre l'apport dialectique de Zénon d'Elée, il
fallut aussi la contribution d'un Melissos de Samos qui assigna à l'Etre
une grandeur infinie.
D'une dizaine d'année plus jeune que Zénon,
Melissos de Samos peut être considéré comme le dernier
grand éléate de l'histoire de la pensée. D'abord
formé à la physique ionienne, il se convertit à
l'éléatisme tout en conservant l'idée de l'infini propre
à Anaximandre. L'apport de Melissos dans l'éléatisme
trouve son originalité dans la notion de grandeur infinie qu'il attribue
à l'Etre. Si Melissos épouse l'essentiel de la pensée
parménidienne qui assigne à l'Etre une infinité dans le
temps, il soutient pour sa part qu'à cette infinité doit
s'ajouter celle en grandeur. En effet, si l'Etre n'est pas infini en
grandeur, il serait borné dans l'espace par quelque chose qui ne peut
être que le non-Etre et son devenir serait par conséquent
possible. Pour que l'Etre garde à la fois son unité et sa
continuité, il est donc nécessaire qu'il soit infini en grandeur.
Par ailleurs, l'argument de l'impossibilité du
mouvement sera davantage corroboré par les Mégariques.
Le point de vue des
Mégariques
Les Mégariques portent à l'extrême le
principe de non-contradiction et l'appliquent sans restriction à toutes
les propositions même à celles futures. Pour eux, ce qui est vrai
est éternellement vrai et ce qui est faux sera toujours faux. Par
conséquent, tout est déterminé par
l'éternité. Le nécessaire sera toujours nécessaire
et l'impossible toujours impossible. Dès lors, tout passage du non-Etre
à l'Etre est impossible. Par cet argument, les Mégariques
anéantissent la notion du possible et du coup, le devenir n'est plus
qu'une simple chimère. En langage aristotélicien, nous dirons que
les Mégariques professent l'identité de l'acte et de la
puissance. Dans cette perspective, l'architecte ne le sera qu'au moment
où il exerce son art. Aristote a bien résumé l'argument
des mégariques en ces termes : « Il y a des
philosophes, les Mégariques par exemples, qui prétendent qu'il
n'y a puissance que lorsqu'il y a acte, et que lorsqu'il n'y a pas d'acte, il
n'y a pas puissance : ainsi, celui qui ne construit pas n'a pas la
puissance de construire, mais seulement celui qui construit, au moment
où il construit. Et ainsi de suite. »35(*)
De tout ce qui précède, il y a lieu de remarquer
que l'intuition parménidienne de l'Être et de sa
nécessité d'être marque un tournant important dans
l'analyse du problème de l'Un et du Multiple. L'apport de Zénon
d'Elée dans ce sillage, a laissé en héritage à la
pensée une technique nouvelle de la démonstration : la
dialectique. En effet, c'est avec lui qu'apparaît pour la première
fois « une doctrine soucieuse de passer, pour assurer ses
convictions, par l'examen consciencieux et rigoureux des positions
adverses. »36(*) L'hégélianisme fera écho
à ce procédé. En effet, quand Hegel découvrira
à son tour la dialectique, celle-ci sera toujours un mouvement de la
pensée qui prend en compte les opinions adverses. D'où le
mouvement : thèse, antithèse et synthèse. Par
ailleurs, il y a lieu de reconnaître la difficulté pour l'esprit
humain qui, chaque fois qu'il veut penser le mouvement, se heurte à des
paradoxes susceptibles de le conduire à des fausses théories.
Chez les successeurs et rivaux des éléates, le problème de
l'Un et du Multiple qui est aussi celui du devenir de l'Etre, restera au coeur
du débat philosophique. Il sera davantage éclaircit par Platon.
III. Position de Platon
Philosophe idéaliste et dialecticien, Platon est le
premier qui a tenté une solution au problème métaphysique
du devenir en opérant à la fois un dépassement de
Héraclite et de Parménide. Pour lui, le devenir de l'Etre est
rendu possible, aussi bien par les Idées qui sont causes du mouvement
des choses sensibles que par l'existence d'un non-Etre relatif qu'il a
nommé l'altérité. C'est pourquoi, notre analyse de
l'approche platonicienne du devenir, s'intéressera à la
théorie des Idées et au problème de l'Un et du Multiple
relatif à celui de la prédication.
1. La théorie
platonicienne des Idées
Exposé de la
théorie
Pour Platon, c'est l'Idée qui réalise tout ce
qu'il y a d'intelligible dans le monde. Celle-ci existe absolument par soi, et
en dehors de toute pensée. Non générée et
incorruptible, l'Idée subsiste toujours. Elle est douée
d'intelligibilité, et n'est connue que par l'intellect. Platon affirme
à propos dans le Timée :
« Dans de telles conditions, il faut convenir
qu'il est : premièrement l'ordre des êtres qui se conservent
identiques, qui ne sont sujets ni à naître ni à
périr, dont nul n'accueille en soi un autre distinct de lui ni ne se
rend lui-même en un autre, qui sont invisibles et à tout autre
sens inaccessibles ; ce sont précisément ces êtres que
l'intellection à pour lot d'examiner. »37(*)
Par ces termes, le disciple de Socrate établit
clairement la distinction entre ce qu'il nomme Idée et la chose sensible
vouée au changement, au mouvement et donc au devenir. En plus, il faut
dire que chez Platon, la pluralité sensible existe par participation aux
Idées qui ont le même nom qu'elle. Il affirme à ce
sujet : « Ces Idées dont nous parlons, sont à
titre de modèles, des « paradigmes», dans
l'éternité de la Nature ; quant aux objets, ils leur
ressemblent et en sont des reproductions ; et cette participation que les
autres objets ont aux Idées ne consiste en rien d'autre qu'à
être faits à leur image. »38(*)
Par ailleurs, dans le Phédon, Platon soutient
que les Idées sont causes des êtres et du devenir des choses.
Ainsi, le mouvement et le changement observés dans le monde sensible qui
traduisent son être en devenir, ont pour principe les Idées
immuables et éternelles auxquelles Platon assigne une nature mixte.
Les Idées
considérées comme mixtes
En dépit de leur individualité et du fait
qu'elles ne sont pas immanentes aux choses sensibles, les Idées sont
pourtant formées comme les choses sensibles : elles ont une
matière à savoir la Dyade indéfinie du Grand et du Petit,
qui porte soit chez Platon lui-même, soit chez ses disciples
différents noms : l'inégal, l'infini, la
multiplicité, le non-Etre. En plus d'une matière, les
Idées sont investies d'une forme que Platon appelle l'Un. L'Idée
platonicienne est donc mixte. Ce caractère mixte ne doit en aucun cas
suggérer à notre esprit un quelconque devenir des Idées
comme c'est le cas pour les êtres sensibles. Car en plus d'être
immobiles, les Idées sont aussi causes d'immobilité comme le
souligne Aristote. Ainsi exposée, la théorie des Idées
éclairera la contribution platonicienne dans la résolution du
conflit de l'Un et du Multiple lié au problème de la
prédication.
2. L'un et le
multiple : le problème de la prédication
Définition du
problème
Ce problème qui surgit de l'Ecole d'Elée et qui
trouve son apogée chez les Mégariques, consiste en la coexistence
de l'Un et du Multiple au sein d'une même réalité. En
effet, comment l'unité de la chose peut-elle être compatible avec
la multiplicité de ses déterminations ? Problème aux
allures complexes dont l'enjeu est la réduction de toute
prédication à une pure tautologie et qui selon Aristote obligeait
les Anciens à se donner « beaucoup de mal pour
éviter de faire coïncider en une même chose l'un et le
multiple. »39(*) En effet, le problème de l'Un et du Multiple
reprend celui du devenir mais l'envisage sous un autre angle : celui du
discours prédicatif. Mais qu'en est-il vraiment du problème de la
prédication ? Laissons parler Platon par la bouche de
l'étranger du Sophiste :
« Explique donc comment il peut se faire que
nous désignons une seule et même chose par une pluralité de
noms...Nous énonçons « l'homme » tu le sais,
en lui appliquant de multiples dénominations, en lui rapportant
couleurs, formes, grandeurs, vices et vertus toutes ces façons de
parler, comme en des milliers d'autres, ce n'est point seulement homme que nous
affirmons être, mais encore bon, et d'autres qualifications en nombre
illimité. C'est ainsi que pour tous les autres objets ; nous ne
posons, également chacun d'eux comme unique pour le dire aussitôt
multiple et le désigner par une multiplicité de noms...A quoi il
sera facile au premier venu d'objecter qu'il est impossible que le multiple
soit un et que l'Un soit multiple. »40(*)
Ceci étant, il apparaît que le problème de
l'Un et du Multiple peut se réduire à celui du sens du verbe
être. En effet, la difficulté porte sur le comment une chose peut
être autre qu'elle-même en restant néanmoins égale
à elle-même, ou tout simplement sur le comment l'Un peut
être Multiple. Platon répond aux partisans de l'Un qui
déclarent impossible le Multiple par l'existence du non-Etre relatif.
Le non-être
relatif : l'altérité
Pour les l'Eléates et les Mégariques, il est
clair que chaque chose est ce qu'elle est et n'est pas ce qui est autre
qu'elle. Ce qui implique qu'il est impossible que « quoi que ce
soit reçoive une dénomination autre que la
sienne. »41(*) Cependant, cette position des Eléates repose
sur une analyse insuffisante de la notion du non-Etre. Alors que ceux-ci
l'entrevoient uniquement d'un point de vue absolu, Platon pose un non-Etre
relatif qui est l'altérité. Cet argument est fondé sur le
fait que tout ce qui est, est par rapport aux autres choses qui l'environnent,
et par le même fait, est autre que le reste des choses. Ainsi
pouvons-nous affirmer avec Pierre Aubenque qu'« admettre la
possibilité de la dénomination multiple d'une même essence,
revient donc à admettre la participation des genres, et cette
dernière thèse entraîne (ou plutôt présuppose)
l'existence de ce non-être relatif qui est
l'Autre. »42(*) Dès lors, en posant l'existence d'un non-Etre
relatif, Platon s'est efforcé non seulement de sauvegarder
l'unité de l'Etre mais aussi son devenir qui implique
nécessairement le multiple. La prédication est ainsi
restaurée sans que celle-ci ne soit une simple tautologie comme le
pensaient les Mégariques.
Conclusion
En somme, que l'on se situe du côté de
Héraclite ou de Parménide, on voit émerger un discours
philosophique qui rompt avec les spéculations purement physiologistes
des milésiens pour jeter les bases de ce qu'on convient d'appeler
aujourd'hui ontologie. Notre préoccupation dans ce chapitre, loin de
remonter la pensée de tous les philosophes qui ont
précédé celle d'Aristote sur le devenir, a consisté
à mettre en évidence celles de Héraclite, de
Parménide et de Platon.
Avec Héraclite, il nous est apparu que le devenir est
ce mouvement continu qui entraîne dans son flux toutes les
réalités de l'univers. Toute chose de l'univers est donc
continuellement en devenir sous l'impulsion de polemos le conflit.
D'où la philosophie des contraires et le perpétuel
écoulement qui en découlent. Toute la pensée de
Héraclite est portée par l'idée centrale de la
préséance du mouvement sur l'Etre. Cependant, peut-on vraiment
parler de flux universel quand on sait que tout mouvement se déploie
entre un état initial et un état final ? En outre, affirmer
du mouvement qu'il est continu comme le fait Héraclite, n'est-ce pas
ignorer que le repos participe de certains éléments du
cosmos ?
Parménide quant à lui restaure le principe
d'identité en niant toute possibilité pour l'Etre de devenir.
L'argument des apories et celui de la grandeur infinie de l'Etre
corroborés par les Mégariques, auront contribué à
démontrer l'impossibilité du mouvement. Cependant, ne peut-on pas
dire que la position trop tranchée des éléates et de leurs
disciples mégariques en faveur de l'Etre contraint au repos,
procède d'une faible analyse de ses significations ? En effet, que
dire de l'Etre en puissance et de l'Etre en acte qui rendent compte du devenir
sans toutefois induire à la contradiction ?
La théorie platonicienne de la participation et du
paradigmatisme des Idées a tenté à sa manière de
résoudre le problème de l'Un et du Multiple. Le faisant, Platon
s'est efforcé de justifier contre les éléates l'existence
d'un non-Etre qu'il a qualifié de relatif par opposition au non-Etre
absolu. Il y a là une audace qui passe outre l'interdiction formelle de
Parménide : « Non jamais, tu ne plieras de force le
non-Être à l'Être ; de cette route, de recherche,
écarte plutôt ta pensée »,43(*) pour affirmer l'existence du
non-Etre : « Il est donc inévitable que le
non-Être soit, non seulement dans le mouvement, mais aussi dans toute la
suite des genres. »44(*) Cependant, si les Idées sont responsables du
devenir des choses sensibles comme le prétend Platon dans le
Phédon,45(*) et s'il y a Idée de tout, laquelle des
Idées sera t-elle responsable du devenir de l'homme puisqu'il est
à la fois animal, bipède, homme ? Et puis, étant
donné que les Idées sont par nature immuables et cause
d'immobilité, comment peuvent-elles rendre compte du mouvement des
choses sensibles dont elles sont les modèles ?
Au reste, les positions intangibles de
l'héraclitéisme et de l'éléatisme, ont
laissé en héritage à la pensée deux conceptions de
l'Etre diamétralement opposées : en perpétuel
écoulement pour Héraclite et toujours au repos pour
Parménide. Au jugement d'Aristote, il est évident que
« ni ceux qui prétendent que tout est au repos, ni ceux
qui prétendent que tout est en mouvement ne disent
vrai.»46(*)
Ainsi, la réduction de l'Etre à ses accidents ou à sa
substance, ou encore l'essai de leur conciliation par Platon n'étaient
pas susceptibles de rendre compte de son devenir. D'où leur
réfutation par Aristote.
CHAPITRE II :
REFUTATIONS ARISTOTELICIENNES DES CONCEPTIONS HERACLITEENNES, PARMENIDIENNES ET
PLATONICIENNES DU DEVENIR
Introduction
Ce chapitre est entièrement consacré aux
différentes critiques formulées par Aristote à l'endroit
de ses principaux devanciers sur l'analyse du devenir de l'Etre. En
dépit de la solidité de leurs argumentations, le père du
péripatétisme se propose de mettre en lumière les failles
de leurs réflexions. Ainsi va t-il critiquer entre autre chez
Héraclite sa théorie de flux universel et de la continuité
du mouvement, chez Parménide et son école leur
impossibilité à concevoir le mouvement de l'Etre tant du point de
vue physique que prédicatif et enfin chez Platon, sa théorie de
la participation et du paradigmatisme des Idées ainsi que leur
causalité.
I. Critique de
Héraclite
1. Impossibilité de
flux universel
Par flux universel, il faut entendre un mouvement
illimité qui affecte la totalité du cosmos. Le premier à
s'ahurir devant une telle appréhension du devenir fut sans doute Platon.
Préoccupé de fonder une science des phénomènes, il
comprit très vite qu'il n'y a pas de science là où les
choses sont dépourvues de toute stabilité. En effet, le monde de
Héraclite voué à un perpétuel écoulement, se
prêtait mal comme support à cette science et la solution
platonicienne consista à s'évader de ce monde tel qu'il l'affirme
lui-même dans le Théétète,47(*) pour conquérir un monde
intelligible séparé de celui-ci, où les Idées
auraient pour principal attribut l'immuabilité.
Pour Aristote, comme le remarque si bien Bréhier, la
conquête d'un monde intelligible n'est pas nécessaire car,
« il n'y a point de flux universel : il n'y a qu'une
collection de mouvements, dont chacun est limité d'une manière
précise par un état initial et un état
final. »48(*) Précisément, c'est dire que
« tout changement va de quelque chose vers quelque
chose. »49(*) Aristote circonscrit ainsi le mouvement
entre un état initial et un état final. Par là, il ruine
l'idée de flux universel qu'avait formulée Héraclite et
énonce en même temps la possibilité d'une science du
mouvement. Il observe en outre que le mouvement ne peut être
continu : il est plutôt discontinu.
2. Discontinuité du
mouvement
Pour Aristote, le mouvement est le propre des êtres
naturels à des degrés divers. Cependant, il ne faut pas entendre
par là que toute chose de la nature est continuellement en mouvement. Ce
serait en effet donner raison aux propos de Héraclite contre lesquels
s'insurge justement Aristote. Il écrit à ce sujet :
« Il est assurément nécessaire, ou bien que tout
soit toujours en repos, ou bien que tout soit toujours en mouvement, ou bien
que certaines choses soient en mouvement, les autres en
repos. »50(*) C'est dans cette logique que s'inscrit Aubenque
lorsque partageant le point de vue d'Aristote, il déclare : «
Les réalités de notre monde ne sont ni toujours immobiles ni
toujours en mouvement, mais elles sont tantôt en repos, tantôt en
mouvement. »51(*) Il s'avère ainsi que mouvement et repos
participent d'un même genre : celui de la mobilité. Par
conséquent, la nature qui est principe de mouvement est aussi principe
de repos.52(*)
Comme nous pouvons le constater, à la continuité
des mouvements naturels qu'avait affirmée Héraclite, Aristote
oppose la discontinuité de ceux-ci par le fait qu'ils s'acheminent vers
leurs lieux de repos. Toutefois, ce repos n'est pas suppression totale du
mouvement, mais « arrêt provisoire du mouvement
précédent, attente du mouvement
suivant. »53(*) Par ailleurs, Aristote reconnaît que pris dans
sa globalité, le mouvement du monde est à tout égard
continu. En effet, il y a toujours un aspect du monde qui est en mouvement
lorsque d'autres sont au repos. Nous pouvons alors conclure que ce que
Héraclite n'avait pas compris et que Aristote met ici en
évidence, c'est que la continuité du mouvement global du cosmos
masque en fait celui discontinu de ses parties.54(*) A ce propos, les éléates n'avaient donc
pas raison de considérer l'Etre uniquement au repos, de lui soustraire
toute possibilité de devenir.
II. Critique de
Parménide
1. Du non-être
à l'être : possibilité du multiple
Si Aristote s'intéresse à l'ontologie
parménidienne, c'est parce que derrière la polémique de
l'Un, c'est en fait le mouvement qui est mis en question. Pour lui, l'erreur
des éléates procède de la réduction de l'Etre
à l'une de ses catégories : la substance. Or selon Aristote,
la substance demeure stable mais offre à ses attributs la
possibilité de changer. C'est pourquoi il affirme contre le monophysisme
des éléates, la pluralité des expressions de l'Etre :
l'Etre se dit de plusieurs manières, il se dit comme substance mais
aussi comme accident. Dès lors, il n'est pas qu'Un comme le pensait
Parménide et son école, mais aussi Multiple. En effet, il est Un
en substance et Multiple dans ses accidents. Et Aristote de dire :
« Être et l'Être signifient tantôt l'Être
en puissance, tantôt l'Être en
entéléchie. »55(*)
En abordant l'Etre sous l'angle de la pluralité,
Aristote restaure à celui-ci sa capacité à devenir autre.
Du non-Etre quelque chose peut donc surgir, à condition d'entendre par
non-Etre l'Etre en puissance. Cette scission de l'Etre qui aboutit à la
distinction de l'Etre en acte de l'Etre en puissance, c'est encore le mouvement
lui-même qui l'opère. C'est ce qui justifie le fait que Aristote
assigne au mouvement un caractère extatique c'est-à-dire «
qu'il fait sortir l'Être de soi-même en l'empêchant de
n'être qu'essence, en le contraignant à être aussi ses
accidents. »56(*) Le mouvement de l'Etre est donc possible et
les apories de Zénon d'Elée ainsi que la théorie de la
grandeur infinie de Mélissos de Samos, se trouvent
réfutées par la diversité des sens de l'Etre. L'Etre
pouvant devenir autre que ce qu'il est, le devenir du Même s'avère
également possible, chose pourtant absurde pour les mégariques.
2. Réfutation des
mégariques
Disciples des éléates, les mégariques
posent le problème du devenir dans le cadre de la prédication.
Pour eux, le devenir est impossible car il est suppression de l'Etre. C'est ce
que révèlent ces mots du sophiste de
l'Euthydème à propos de l'ignorant Clinias:
« Vous voulez qu'il devienne savant et non ignorant...Vous voulez
donc qu'il devienne ce qu'il n'est pas et qu'il ne soit plus ce qu'il est
à présent, c'est que vous désirez sa
mort. »57(*) Pareille doctrine a une triple
conséquence : premièrement, elle
anéantit « mouvement et devenir.
»58(*)
Deuxièmement, elle identifie la puissance à l'acte.59(*) Troisièmement, elle
distingue Socrate assis de Socrate debout, réduisant par là le
monde à « une juxtaposition d'existences monadiques entre
lesquelles tout passage et, par conséquent, toute unité son
introuvables. »60(*) Aristote s'inscrit en faux contre la thèse
mégarique en faisant observer que l'erreur de ceux-ci est une
conséquence de leur ignorance « du rôle dissociateur
du mouvement et sa force unifiante ; ils ne voient pas qu'il
supplée lui-même par sa continuité, qui rend possible le
progrès, à la scission qu'il introduit dans
l'être. »61(*)
Ainsi, à la question des mégariques :
comment le Même peut-il devenir autre sans cesser d'être
lui-même, Aristote répond que c'est par ce qu'il devient qu'il
n'est pas toujours ce qu'il est. Toutefois, c'est pour être ce qu'il est
que l'Etre devient. C'est donc parce que les mégariques n'arrivaient pas
à saisir l'unité et la continuité de l'Etre dans sa double
dimension de puissance et d'acte qu'ils ont fini par le fragmenter et à
soutenir que « l'être debout sera toujours debout et
l'être assis toujours assis »,62(*) faisant ainsi à tort du
devenir une succession de mort et de renaissance. Platon, mieux averti que les
éléates et les mégariques, n'arrivera malheureusement pas
à rendre compte du devenir avec clarté. D'où les reproches
à lui adressés par Aristote.
III. Critique de Platon
1. Critique de la
théorie de la participation et du paradigmatisme des Idées
Aristote est très sévère à
l'égard de la théorie platonicienne de la participation qu'il
considère vide de sens. Il affirme à cet effet :
« Dire que les Idées sont des paradigmes et que les autres
participent d'elles, c'est se payer de mot vide de sens et faire des
métaphores poétiques. »63(*) Il reproche en effet à
son ancien maître son ambiguïté entre participation entendue
comme mélange ou comme rapport de modèle à copie entre
participé et participant. Tout compte fait, il est clair pour Aristote
que si les Idées sont mélangées, elles perdent leur
individualité et s'avèrent confuses. Cette confusion
entraîne finalement l'impossibilité à saisir laquelle de
celles-ci serait l'essence propre de l'homme, mieux encore cause de son
devenir.64(*) Dès
lors, la thèse soutenue par Platon dans le Phédon qui
confère aux Idées la causalité du devenir des choses
sensible n'est plus recevable.
2. Critique de la
causalité des Idées
D'emblée, Aristote rejette l'argument du non-Etre
relatif de Platon. Pour lui, la relation n'est pas à proprement parler
« le contraire ou la négation de
l'Être »65(*) mais « elle est en
réalité un genre de l'Être, au même titre que
l'essence ou la qualité. »66(*) Ce que Platon n'avait donc pas
compris, c'est que ce qui est autre n'est pas forcement non-Etre. En effet, ce
qui n'est pas substance peut être accident. Ainsi, « le
fondement de la multiplicité n'est pas à chercher hors de
l'être, dans un non-être qu'on réintroduirait ensuite
contradictoirement dans l'être pour en faire un principe efficace, donc
existant. Mais il est à chercher au sein même de l'être dans
la pluralité de ses significations. »67(*)
Par ailleurs, Aristote pense qu'il est absurde de poser les
Idées comme principes de mouvement. Et il y a là une simple
question de bon sens. En effet, comment les Idées qui par nature sont
par excellence immuables et cause de repos peuvent-elles causer le mouvement
des choses sensibles ? Aristote est très clair à ce
sujet : les Idées ne sont « causes d'aucun mouvement,
ni d'aucun changement. »68(*) Elles ne peuvent non seulement se mouvoir mais aussi
mouvoir. Voilà pourquoi dans son Traité du Ciel,
Aristote en vient à déclarer que les choses corruptibles doivent
avoir les mêmes principes qu'elles. Il affirme à ce propos :
« En effet, il faut sans doute que les principes des choses
sensibles, ceux des choses périssables, et de manière
générale les principes soient du même genre que ce qui leur
est subordonné. »69(*) C'est donc dire en dernière analyse que les
Idées n'étant pas elles-mêmes en mouvement, elles ne
sauraient être tenues pour responsable du devenir des choses en mouvement
dont elles sont les modèles. Précisons toutefois qu'Aristote ne
restera pas fidèle à cette pensée jusqu'au bout. En effet,
il assignera l'éternité aux principes des choses corruptibles.
Conclusion
En somme, notre préoccupation tout au long de cette
réflexion a consisté à mettre en lumière quelques
unes des critiques formulées par Aristote à l'endroit de ces
principaux devanciers sur l'examen du problème du devenir. Si le devenir
apparaît à tout égard comme le propre des êtres
naturels, il n'est ni un flux universel, ni continu comme l'avait pensé
le philosophe d'Ephèse Héraclite. Et si pour les
éléates l'Un est immobile et l'attribution impossible pour les
mégariques, « c'est parce qu'ils n'ont pas
distingué les significations (de l'Etre) qu'ils se sont
égarés. »70(*) Ceux-ci en effet, n'avaient pas compris que si l'Etre
ne peut provenir du non-Etre en soi, il peut tout de même provenir de
cette sorte de non-Etre qu'est l'accident. Nous sommes donc de l'avis de
François Châtelet qui résumant les approches
héraclitéennes et parménidiennes du devenir affirme :
« Dans le premier cas, ce qui manque, c'est un
point fixe, un sujet premier, c'est-à-dire, l'essence ou la substance,
l'être qui est chaque être en lui-même, l'ousia exclusive de
toute autre en sa consistance propre, mais susceptible de recevoir des
attributs distincts d'elle. Dans le second cas, l'ousia tient toute la place et
ce qui manque c'est la reconnaissance des attributs comme d'une certaine sorte
de réalité distincte de celle des essences. On avait
successivement, dans la confusion de l'essence avec ses attributs, fait
s'évanouir l'essence, dans la réduction des attributs à
des essences, supprimé tout attribut. La racine commune de cette double
erreur est une extension illégitime de la notion de contradiction, elle
-même permise par des conceptions trop simples de
l'être. »71(*)
Quant aux Idées, leur immuabilité suffit
à réfuter leur causalité. En plus de cela, la faiblesse de
l'approche platonicienne du devenir tient en ce qu'il ne rend pas suffisamment
explicite le comment du passage de l'Etre au non-Etre, de l'Un au Multiple, du
sensible à l'Idée, en dépit de la pertinence du mythe de
la caverne. Finalement, c'est dans l'analyse profonde du mouvement et des
différentes scissions qu'il introduit dans l'Etre, qu'Aristote abordera
la question du devenir.
CHAPITRE III : LE
MOUVEMENT ET SES INCIDENCES
SUR LE DEVENIR
Introduction
« L'Être se prend en de multiple
sens. »72(*) Du point de vue du mouvement, il se laisse
appréhender avant tout comme matière et forme. Dès lors,
le mouvement apparaît comme le processus au bout duquel la forme advient
à la matière. Ce processus presque toujours imparfait, requiert
un certain nombre de causes qui sont nécessaires pour sa mise en marche.
Le mouvement est donc provoqué et suppose de ce fait un moteur. Au terme
de la série des moteurs intermédiaires, se trouve le Premier
Moteur qui meut sans être mû. L'analyse du mouvement met par
ailleurs en évidence des principes qui pourraient s'appliquer à
tout être en devenir : la matière, la forme et la privation.
Mais avant d'y arriver, commençons par quelques considérations
d'ordre général.
I.
Généralités sur le mouvement
1. Définition et
propriété
Par mouvement, il faut entendre dans le contexte du devenir,
le changement d'état des êtres déterminés. Vu sous
l'angle du discours, le mouvement est « la coupure qui
sépare le monde de l'accident du monde de la
nécessité. »73(*) En effet, seul le mouvement permet de distinguer le
sujet du prédicat et partant de comprendre que « tout ce
qui change est nécessairement divisible. »74(*) Le mouvement suppose donc la
divisibilité. Mieux encore, il introduit dans l'Etre une dissociation
que nous pouvons appréhender à deux niveaux : au premier
niveau, le mouvement permet de différencier ce qui devient de ce dont il
est devenu. Au second, il enseigne que ce qui devient se dit en un double
sens : « Il y a ce qui disparaît dans le devenir et
s'efface devant ce qui advient ; il y a d'autre part ce qui se maintient
dans le devenir et fait que c'est bien le même être qui devient ce
qu'il n'était pas. »75(*) Par ailleurs, le mouvement apparaît chez
Aristote comme la caractéristique essentielle des êtres naturels.
Il ne leur est pas accidentel mais consubstantiel. Il peut obéir aux
simples lois de la nature ou être provoqué par un agent
extérieur à l'Etre. Dans le premier cas il est dit naturel et
dans le second artificiel.
2. Mouvement naturel et
mouvement artificiel
Aristote appelle êtres naturels ceux qui ont en
eux-mêmes le principe de leur mouvement à savoir la nature. Il
écrit précisément à cet effet :
« Ce qui est mû soi-même sous sa propre action est
mû par nature (...) et toutes les choses qui ont en elles le principe de
mouvement, nous disons qu'elles sont mues par nature. »76(*) Cependant, si tout ce qui est
naturel est par le fait même en mouvement, tout mouvement par contre
n'est pas naturel. En effet, Aristote évoque dans sa
Métaphysique d'autres sortes de mouvements qui n'ont pas la
nature pour principe. Il affirme à ce sujet : « Nous
voyons chaque chose se mouvoir (...) par contrainte ou par intelligence ou par
quelque autre cause. »77(*) Ainsi, à l'opposé du mouvement naturel,
il y a le mouvement artificiel ou intelligent dont le principe se trouve dans
un agent extérieur au mobile. Aristote écrit à ce
propos : « L'art est un principe de mouvement
résidant dans une autre chose. »78(*) Toutefois, le
mouvement artificiel reste corrélatif à la nature qu'il imite et
supplée aux défaillances. Ainsi pouvons-nous affirmer avec
Aristote que « l'art achève pour une part ce que la nature
est incapable d'effectuer, et pour une part l'imite. »79(*) Si l'art achève et
imite la nature, celle-ci quant à elle rend possible les effets de l'art
dont les productions n'existent pourtant pas par nature. En effet,
leur « forme est dans l'esprit de
l'artiste. »80(*) Il y a donc chez Aristote contrairement à
Platon, une vision positive de la mimésis (imitation).
En outre, en dehors de la nature et de l'art, il est possible
que quelque chose advienne par hasard : « Parmi les choses
qui deviennent, certaines sont des productions de la nature, d'autres de l'art,
d'autres, enfin du hasard. »81(*) Cependant, le hasard n'est pas une cause
première : il n'est cause que par accident. Au reste, l'art nous
suggère que tout devenir consiste dans l'union d'une forme avec un
être capable de la recevoir. Cet être d'abord en puissance et
ensuite en acte après avoir revêtu la forme, Aristote l'appelle
matière. Matière, forme et privation sont donc principes du
mouvement.
II. Mouvement et
principes
1. Matière, forme et
privation
L'analyse du devenir révèle une
triplicité des principes : la matière, la forme et la
privation. En effet, dans le devenir, il y a la chose qui devient qu'on nomme
matière. Ensuite, il y a ce qui advient à cette matière
à savoir la forme. Enfin, il y a à l'opposé de la forme,
ce à partir de quoi la forme est advenue c'est-à-dire la
privation. Ces termes peuvent s'illustrer analogiquement par ce que la pierre
est à la statue, le bois au lit, avant que sculpteur et menuisier aient
façonné leurs ouvrages. C'est par cet argument qu'Aristote a
réfuté la thèse des éléates qui, dans leur
ignorance de la privation, n'avaient de considération que pour un seul
principe : la matière pour Mélissos, la forme pour
Parménide. Dès lors, « si la
triplicité des principes de l'être est imposée à
l'être par le fait qu'il est en mouvement, on comprend inversement
maintenant pourquoi la doctrine de l'unicité du principe était
liée à celle de l'impossibilité du
mouvement. »82(*)
Cependant, il faut signaler qu'il n'y a pas de devenir de la
forme car « l'essence ou la forme est un
acte. »83(*) Par conséquent, dans le devenir de
l'airain par exemple, ce qui naît, ce n'est point la forme de la
sphère d'airain mais plutôt l'union de la forme sphérique
et de l'airain. Aristote affirme à ce
sujet : « Ce qu'on appelle forme ou substance n'est pas
engendrée, mais ce qui est engendré, c'est le composé de
matière et de forme, lequel reçoit son nom de la forme ; et
tout être engendré renferme de la matière, une partie de la
chose étant matière, et une autre partie,
forme. »84(*) Toutefois, ceci ne veut pas dire que toute forme est
éternelle. Les formes éternelles en effet sont uniquement celles
qui ne sont pas engagées dans le sensible (Dieu par exemple) et celles
qui pour produire une nouvelle substance doivent préexister dans un
autre individu de la même espèce. Par contre, lorsqu'une nouvelle
qualité surgit d'une substance, celle-ci n'est pas éternelle bien
qu'elle ne soit pas soumise au devenir.
Par ailleurs, lorsque nous disons que l'Etre en devenir
comprend la matière, la forme et la privation, il faut préciser
que matière et forme sont des éléments de l'Etre ou mieux
ses composantes immanentes et premières85(*) tandis que la privation est de l'ordre du non-Etre.
Elle est absence mais absence de telle présence particulière. Au
reste, tout devenir peut-être appréhendé par l'analogie
universelle de « la forme, la privation et la
matière ; mais chacun d'eux est autre en chaque genre : par
exemple, pour la couleur, c'est respectivement le blanc, le noir, la surface,
et, pour le jour et la nuit, la lumière, l'obscurité,
l'air. »86(*) Toutefois le mouvement reste un acte imparfait et par
conséquent infini.
2. Imperfection du
mouvement
Aristote appréhende le mouvement comme un acte
imparfait. Il écrit à ce propos dans sa Physique :
« Le mouvement semble être un certain acte, mais
inachevé, à cause du fait que le possible dont il est acte est
inachevé. »87(*) C'est dire que pour Aristote, l'acte même du
mouvement consiste paradoxalement à n'être jamais en acte, car la
puissance dont il est acte est de l'ordre de l'indéterminé.
Dès lors, le mouvement qui se veut passage de la puissance à
l'acte se rapproche de l'infini par son imperfection. La notion d'infini
rejoint ici celle de la puissance qui n'a jamais fini d'être puissance.
Dans ce sens, « l'infini se caractérise par le fait qu'il
n'en a jamais fini de devenir »88(*) et Aristote peut écrire :
« Il ne faut pas considérer l'infini comme une chose
déterminée, par exemple un homme ou une maison, mais comme on
parle du jour et de la compétition, dont l'être n'est pas advenu
comme une certaine étance, mais est toujours en génération
et en périssement, et certes limité, mais toujours
différent. »89(*) Il y a donc un lien entre infini et mouvement en tant
que renouvellement perpétuel. Et Pierre Aubenque observe qu'il serait
injuste de réduire le mouvement à une simple transition, à
un simple passage. En effet, le mouvement « ne renvoie
qu'à lui-même, achèvement toujours inachevé,
commencement toujours commençant, qui s'épuise, mais en
même temps se réalise dans la recherche d'une impossible
immobilité. »90(*)
L'expérience du mouvement est donc, à tout
égard, l'expérience toujours inachevée du passage de la
puissance à l'acte, car son achèvement signifierait sa
suppression. Par conséquent, de l'irréductible imperfection du
couple puissance-acte ou encore matière-forme, jaillit
l'éternité du mouvement. Cependant, le mouvement est
« incapable de se soutenir de lui-même en cette
éternité imparfaite. »91(*) C'est pourquoi, tout ce qui
est mû est mû par quelque chose. D'où l'élaboration
par Aristote de la théorie des quatre causes et plus tard du Premier
Moteur.
III. Théorie des
quatre causes
et du Premier Moteur
1. Théorie des
quatre causes
L'étude du mouvement ou du devenir prend en compte la
théorie des quatre causes. « On appelle cause, ce à
partir de quoi quelque chose advient et qui lui appartient de manière
immanente, par exemple le bronze est cause de la statue, l'argent de la coupe.
»92(*)
Cependant, le bronze ne produit pas par lui-même la statue : il faut
pour cela l'intervention d'un sculpteur qui usant de son savoir-faire, donne au
bronze la forme de la statue. Par ailleurs, remarquons que l'oeuvre de
l'artiste ou du sculpteur n'est pas toujours
désintéressée. Celui-ci agit souvent en vue d'une fin,
selon une intention préalable. D'où la formule
aristotélicienne : « Tout ce qui devient, devient,
par quelque chose, et à partir de quelque chose, quelque
chose. »93(*)
Telles sont donc les quatre causes qui interviennent dans le
devenir de l'Etre : d'abord la cause matérielle qui se rapporte
à la matière de la chose, ensuite la cause formelle qui est la
forme que revêt la matière, puis la cause efficiente entendue
aussi comme cause motrice et enfin la cause finale, c'est-à-dire ce pour
quoi la chose est faite. Dans l'exemple ci-dessus, la cause matérielle
est l'airain, la cause formelle la statue, la cause efficiente le sculpteur et
la cause finale la représentation d'une divinité, l'exaltation
d'une beauté contemplée dans la nature ou tout simplement une
destinée commerciale.
En outre force est de constater que c'est toujours la nature
qui offre à l'artiste la matière première. Celle-ci,
toujours inséparable de la forme, est donc la condition de
possibilité du devenir. Aristote dit en effet : « Le
devenir est impossible, si rien ne préexiste. Qu'une partie de
l'être produit doive donc nécessairement préexister, c'est
manifeste ; car la matière est une partie, puisqu'elle est le sujet
immanent du devenir. »94(*) Kierkegaard renchérit en ces termes :
« Tout changement a toujours présupposé un quelque
chose. »95(*) L'art suppose donc la nature. Mais leur distinction
découle du rapport de la forme à la matière,
intérieur dans la nature, extérieur dans l'art. En somme,
« la liaison entre forme et matière commande l'idée
qu'Aristote se fait du mouvement. »96(*) Tout mouvement est
causé par un moteur. Incapable de remonter à l'infini la
série des moteurs, nous devons nous arrêter et poser avec Aristote
un Moteur Premier.
2. Le Premier Moteur et ses
caractéristiques
Puisque tout ce qui est mû est mû par quelque
chose, « il y a par suite aussi quelque chose qui le meut ;
et puisque ce qui est à la fois mobile et moteur n'est qu'un terme
intermédiaire, on doit donc supposer un extrême qui soit moteur
sans être mobile, être éternel, substance et acte
pur. »97(*)
Et cet être, c'est Dieu. Ainsi, tout ce qui existe, participe à
quelque degré selon sa propre perfection, à l'existence de
l'être divin. Cet être, comme vient de le souligner Aristote, est
par nature Acte pur parce qu'absolument dégagé de toute
matière et donc de toute potentialité. Il est cause formelle et
suprême intelligible qui contient tous les intelligibles :
« Il est l'intelligence qui se pense elle-même en
saisissant l'intelligible. »98(*) Il ne peut pas être mû car
« si une chose est mue, elle est susceptible d'être
autrement qu'elle n'est. »99(*) Or Dieu ne peut pas être autre que ce qu'il
est. Le Premier Moteur est aussi cause finale par excellence, attraction et
aimantation universelle, moteur éternel et immobile qui
« meut comme objet de l'amour, et toutes les autres choses
meuvent du fait qu'elles sont elles-mêmes mues »100(*) par lui. En effet, toute
chose du monde sensible aspire au mouvement éternel du Premier Moteur.
Mais à cause de son éloignement de celui-ci et du nombre des
moteurs intermédiaires qui la sépare de lui, le mouvement qu'elle
reçoit de lui, lui arrive dans un état
dégradé : d'où sa finitude. C'est pour palier
à cette finitude, cette impossibilité d'atteindre le mouvement
éternel du Premier Moteur que la nature a attribué à
l'espèce et non à l'individu, l'éternité au moyen
de la perpétuité par la génération.
En outre, le Premier Moteur n'est pas une idée, un
idéal qu'on dirait projeté dans le futur : il est
« un être nécessaire, et en tant que
nécessaire, son être est le Bien. » 101(*) Mieux encore, il est le
Souverain Bien. Par ailleurs, Aristote appréhende le Premier Moteur non
pas comme possédant la vie mais comme étant la vie
elle-même. Il dit précisément : « Ce
principe est une vie, comparable à la plus parfaite qu'il nous soit
donnée à nous de vivre par un bref
moment. »102(*) Pour Aristote donc, Dieu se confond avec la vie. Et
cette vie éternelle et parfaite qui n'appartient qu'à Dieu seul
en tant que Pensée pure, nous n'en faisons l'expérience que
pendant les rares moments de notre vie où nous philosophons. Philosopher
c'est donc apprendre à vivre. Mais pour y arriver il faut, comme le
pensait Platon, apprendre à mourir. Ainsi, mourir pour vivre, c'est
s'affranchir des pesanteurs de la matière pour permettre à
l'esprit de vivre de la vie même de Dieu qu'est la pensée.
Conclusion
En dernière analyse, il était question pour nous
dans ce chapitre d'examiner les incidences du mouvement sur le devenir. Ce
faisant, il nous est apparu que l'Etre en devenir est aussi l'Etre en
mouvement. Le mouvement introduit dans l'Etre une scission permettant de
distinguer le sujet de l'attribut, la forme de la matière.
Matière, forme et privation sont les principes universels qui
s'appliquent au devenir de tout être. Mais cette triplicité des
principes nous rappelle Pierre Aubenque,
« n'est pas une quelconque tripartition physique
ou logique d'un tout qui serait dès lors physiquement ou logiquement
«composé,» mais la triplicité, ou plutôt la
double dualité, qui jaillit de l'être lui-même, dès
lors qu'il comporte la possibilité du mouvement. Ce n'est pas nous qui
comptons trois principes dans l'être, pour en tirer un schéma
«général» d'explication, mais c'est l'être qui,
à chaque fois, en chacun de ses instants, se dédouble et se
redouble, «éclate» si l'on peut dire, selon une
pluralité de sens, de direction, qui définit l'unité
pourrait-on dire «extatique» de sa
structure. »103(*)
On peut ajouter à ceci que la forme est comme l'avenir
du mobile, la privation son passé et la matière ce qui demeure
toujours présent. D'où le lien entre devenir et temps. En outre,
le mouvement ne pouvant s'effectuer par lui-même est provoqué par
une série de moteurs intermédiaires qui ont la source de leur
mouvement dans le Premier Moteur. Par ailleurs, puisque l'Etre se dit de
plusieurs manières, il se dit aussi comme substance et accident, acte et
puissance.
CHAPITRE IV :
SUBSTANCE ET ACCIDENT, ACTE ET PUISSANCE, ET LEURS IMPLICATIONS DANS LE
DEVENIR
Introduction
Devenir se dit passage du non-Etre à l'Etre,
« passage de la possibilité à la
réalité. »104(*) Ce mouvement que les présocratiques à
cause d'une mauvaise interprétation du principe de non-contradiction
jugeaient absurde, trouve son fondement chez Aristote dans l'analyse des
couples substance et accident, acte et puissance. Il sera donc question dans ce
chapitre, de s'interroger sur les différents rapports que ces notions
entretiennent entre elles pour ainsi dégager leurs différentes
implications dans le devenir de l'Etre. Pour ce faire, il convient que nous
commencions notre réflexion par préciser les différents
sens que nous allouons à ces concepts.
I. Terminologie
1. Substance et
accident : prédication essentielle et prédication
accidentelle
En dehors de la forme et de la matière, une autre
scission que le devenir introduit dans l'Etre est celle de la substance et de
l'accident. Aristote écrit à cet effet :
« L'Être se dit de l'être par accident ou de
l'Être par essence. »105(*) Considérons la proposition suivante :
« Socrate est musicien. » Celle-ci est dite
attributive parce qu'elle attribut au sujet Socrate, le prédicat
musicien. Le fait pour Socrate d'être musicien n'est pas une
propriété permanente de son être : nous disons alors
en terme aristotélicien que musicien est un accident de Socrate et la
proposition « Socrate est musicien » est donc une
proposition accidentelle. L'accident se rapporte au prédicat ou mieux
encore à l'ensemble « des déterminations qui
peuvent appartenir à une même chose, mais aussi ne pas lui
appartenir, et sont donc en nombre
indéterminé. »106(*)
Nous pouvons dès lors noter quelques traits de
l'Être par accident : d'abord il est instable :
« Accident se dit de ce qui appartient à un être et
peut en être affirmé avec vérité, mais n'est
pourtant ni nécessaire ni constant. »107(*) Ensuite, il n'a pas de cause
déterminée mais seulement « une cause fortuite,
autrement dite indéterminée. »108(*) Enfin,
« l'accident se produit et existe non pas en tant que
lui-même, mais en tant qu'une autre chose. »109(*) C'est dire que l'être
musicien en soi n'existe pas : il n'a de sens qu'en rapport avec le sujet
dont il est le prédicat. Le sujet est donc la condition de
possibilité de l'attribut et partant la substance celle de l'accident.
De même qu'il n'existe pas de prédication sans sujet, de
même il n'existe pas d'accident qui ne soit en relation avec la
substance. On pourrait peut-être objecter qu'un prédicat peut
s'attribuer à un autre. Par exemple : « Le blanc est
musicien. » Aristote riposte qu'« un
accident n'est accident d'un autre, que si l'un et l'autre sont accidents d'un
même sujet : je dis, par exemple, que le blanc est un musicien et
que le musicien est blanc, seulement parce que tous les deux sont des accidents
de l'homme. »110(*)
Qu'est-ce donc la substance ? C'est ce qui n'est pas
prédicat d'un sujet mais dont les autres choses en sont
prédicats.111(*)
Aristote accorde au terme substance un triple sens : « La
substance c'est en premier sens, la matière, c'est-à-dire ce qui
par soi, n'est pas une chose déterminée ; en un second sens,
c'est la figure et la forme suivant laquelle, dès lors, la
matière est appelée un être déterminé, et, en
troisième sens, c'est le composé de la matière et de la
forme. »112(*)
On le voit, substance se dit aussi en un certain sens comme
quiddité de l'Etre c'est-à-dire « ce qu'il est dit
être par soi. »113(*) La substance est donc le support indispensable qui
donne sens et corps à l'accident. Celui-ci à la limite serait un
pur non-Etre s'il n'était lié à quelque chose de concret.
C'est pourquoi Aristote définit l'accident comme « un
quasi non-Être. »114(*)
Si nous considérons maintenant la proposition
« Socrate est un homme », nous dirons que
«homme» est une caractéristique essentielle de Socrate :
la prédication est alors dite essentielle. Comme nous pouvons le
constater, la distinction entre substance et accident assure la permanence du
sujet dans le devenir. C'est le même Socrate en effet qui est assis, qui
marche, qui dort, qui discoure etc. Et on pourrait ajouter que Socrate a la
puissance de marcher, de parler etc. D'où l'intérêt des
notions d'acte et de puissance dans l'analyse du devenir.
2. L'être en acte et
l'être en puissance
Voici la dernière scission que le devenir opère
dans l'Etre après celles de la matière et de la forme, de la
substance et de l'accident : l'acte et la puissance. Mais
qu'entendons-nous précisément par puissance ?
« On appelle puissance le principe du changement ou du mouvement
dans un autre être en tant qu'autre ou par le fait d'un autre être
dans un autre. C'est aussi la faculté d'être changé ou
mû par un autre être, ou par soi-même en tant
qu'autre. »115(*)
Puissance s'entend donc de deux façons :
primo, au sens de transitivité de l'action qui est la puissance
pour un être de produire un changement dans un autre. Secundo,
au sens de possibilité c'est-à-dire la faculté pour un
être de passer à un nouvel état par lui-même. Ces
deux sens nous permettent de résumer la notion aristotélicienne
de puissance en deux catégories : la puissance active et la
puissance passive.
La puissance passive d'un être se dit du
« principe du changement qu'il est susceptible de subir par
l'action d'un autre être. »116(*) Quant à la puissance
active, elle correspond à la capacité d'un être d'agir sur
un autre. Ces deux puissances sont corrélatives car, à la
puissance active de l'agent répond celle passive du patient. Cependant,
bien qu'elles soient distinctes, puissance passive et puissance active
participent d'une seule et même puissance. En
effet, « un être est puissant, soit parce qu'il a
lui-même la puissance d'être modifié, soit parce qu'un autre
à la puissance d'être modifié par
lui. »117(*) En outre, étant donné que la puissance
appartient aussi bien aux êtres animés qu'inanimés,
Aristote appelle puissance rationnelle celle qui réside dans les
êtres animés et puissance irrationnelle celle qui habite les
êtres inanimés. La dissemblance entre les deux procède de
ce que la première est en même temps puissance de contraires
tandis que la seconde ne produit qu'un seul effet. « Par exemple,
la chaleur n'est puissance que de l'échauffement, tandis que la
Médecine est puissance à la fois de maladie et de
santé. »118(*)
Par ailleurs, de même que la matière ne trouve
pleinement son sens que lorsqu'elle a revêtu la forme, de même la
puissance ne s'exprime le mieux qu'une fois parvenue à l'acte. L'acte
« est le fait pour une chose d'exister en réalité
et non de la façon dont nous disions qu'elle existe en
puissance. »119(*) En effet, la statue qui est en puissance dans le
bois ne sera en acte que lorsqu'elle aura surgit du bois. L'acte est alors par
analogie ce que « l'être qui bâtit est à
l'être qui a la faculté de bâtir, l'être
éveillé à celui qui dort, l'être qui voit à
celui qui a les yeux fermés mais possède la
vue. »120(*)
De ce qui précède, il apparaît que
substance et accident, acte et puissance, sont autant de manières de
dire l'Etre. Dans le devenir en effet, il y a un sujet (substance) qui perdure
et des contraires (accidents) qui s'alternent.
II. Devenir de l'être
par la mutation
Des contraires
1. La mutation des
contraires
Dans le devenir, on distingue généralement deux
états : un état initial qui est le contraire de
l'état final. C'est dans ce sens qu'Aristote écrit :
« Tout changement se fait de contraire à contraire, par
exemple du chaud au froid. »121(*) Les contraires peuvent être assimilés
à des accidents puisqu'étant voués au devenir, ils ne font
pas partie des propriétés permanentes de l'Etre. Toutefois, si le
devenir s'explique par la mutation des contraires, il serait faux de le
réduire à une succession de contraires car, « il
est impossible que les contraires pâtissent l'un pour
l'autre. »122(*) Comme le remarque si bien Aubenque, la
négation à laquelle Aristote fait ici allusion porte
« non sur la passion elle-même (car les contraires
pâtissent l'un par l'autre et c'est dans cette «passion» que
consiste le mouvement), mais sur la réciprocité de la
passion. »123(*)
Considérons en effet un couple de contraires : le
froid et le chaud. Le passage de l'un à l'autre provoque
incontestablement la mort de l'un. Dans ce sens, la réciprocité
n'est pas possible. Ainsi, « s'il n'y avait que les contraires en
présence, le mouvement serait une succession de mort et de naissance
sans continuité. Mais l'expérience nous apprend que le mouvement
selon les contraires est réversible, sans qu'il faille voir dans cette
réversibilité une renaissance, mais seulement un retour, non pas
la négation d'une négation, mais la restauration d'une
privation. »124(*)
C'est donc dire que la réversibilité des
contraires exige dans l'analyse du devenir la prise en compte d'un
troisième terme. En effet, il serait absurde de penser que le contraire
advenu au terme du devenir aurait été engendré par son
contraire qu'il a chassé en lui succédant ou qu'il serait
lui-même la cause de son devenir. Il faut donc poser un sujet, une
substance qui supporte le devenir des contraires car ceux-ci « n'ont
pas leur essence dans le rapport qu'ils soutiennent l'un avec l'autre, mais ils
sont dits seulement contraires les uns des autres. »125(*) Considérons la
proposition : « L'homme devient musicien.»
Celle-ci évoque de toute évidence une seconde qui traduit
cette fois-ci le mouvement par lequel le sujet est devenu ce qu'il est
maintenant : « Le non musicien est devenu
musicien. » Cette formule met en exergue le couple de contraire
présent dans le devenir : le non-musicien, le
musicien. Cependant, si on s'arrêtait là, le musicien
n'adviendrait qu'en détruisant le non-musicien de façon
irréversible. D'où l'importance du sujet :
« L'homme non-musicien devient musicien. »
La substance est ainsi la condition de possibilité du
devenir pour les contraires entre lesquels il n'existe aucun
intermédiaire. Quant à ceux qui admettent un
intermédiaire, « il n'est nullement nécessaire que
l'un d'eux appartienne au sujet ; il n'est pas nécessaire, en
effet, que tout sujet qui les reçoit soit par exemple forcement blanc ou
noir, chaud ou froid, puisque rien n'empêche qu'entre les contraires on
insère un moyen. »126(*) En effet, le blanc provient ou du noir ou du gris
qui est leur intermédiaire. Par ailleurs, l'analyse du devenir par la
mutation des contraires nous conduit à reconnaître que ce qui
devient peut être soit simple, soit composé.127(*)
Au regard de ce qui précède, le devenir exige
donc un sujet qui assure le passage d'un contraire à un autre dans le
cas où l'un d'eux réside dans le sujet. Dans le cas contraire, il
faut tenir compte d'un intermédiaire. Et puisque les contraires
appartiennent au même genre, le devenir prend alors une orientation bien
précise que nous avons convenu d'appeler la logique du devenir.
2. La logique du
devenir
Le devenir suppose le mouvement d'un contraire à un
autre. Et par contraires, il faut entendre « ceux des attributs
différents par le genre, qui ne peuvent coexister dans le même
sujet, ceux qui diffèrent le plus dans le même genre, ceux qui
diffèrent le plus dans le même sujet qui les
reçoit. »128(*) Cette définition qu'Aristote donne aux
contraires est très significative dans l'étude du devenir :
elle permet de préciser de quels contraires il est exactement question.
En effet, les contraires qui participent du devenir de l'Etre
sont ceux qui appartiennent nécessairement à un même genre.
Aristote affirme à ce sujet : « Il est
nécessaire que les couples de contraires soient dans tous les cas, ou
bien dans le même genre, ou bien dans des genres contraires, ou bien
enfin soient eux-mêmes des genres. »129(*) Ainsi, le devenir ne se
réalise pas entre haut et blanc mais entre blanc et noir, haut et bas.
Car haut et bas, blanc et noir, participent d'un même genre : le
genre de la grandeur et celui de la couleur. Dès lors, il s'ensuit que
« le devenir n'est pas désordonné au point de
ressembler à un chaos et que tout ne naît pas de n'importe
quoi. »130(*) Il y a donc une logique dans le devenir, laquelle
est imposée par le genre auquel appartiennent les contraires.
Puisque le devenir exige des contraires une communauté
de genre, « il y aura donc autant de genres suprêmes de
mouvement qu'il y a de genre de l'être qui admettent les
contraires ; or parmi les catégories, seules celles de la
qualité, de la quantité et du lieu sont dans ce
cas. »131(*) En effet, « ce qui change, change
toujours selon l'étance, la qualité, la quantité ou le
lieu. »132(*) Ainsi, les trois seuls genres de changements que
nous pouvons envisager sont les suivants: l'altération (changement selon
la qualité), l'accroissement ou le décroissement (changement
selon la quantité) et la translation (changement selon le lieu).
Quant à la génération et à la
corruption, elles ne sont pas classées parmi les changements pour deux
raisons : La première est que tout changement s'effectue entre
contraires. Or « relativement à la substance, il n'y a pas
de mouvement, parce que la substance n'a aucun
contraire. »133(*) La deuxième raison c'est qu'elles
relèvent des attributs contradictoires et signifient de ce fait la
naissance ou la mort d'une substance. En effet, le changement selon les
contraires ne modifie pas la substance des choses, « alors qu'une
chose qui reçoit un attribut contradictoire cesse par là
même d'être ce qu'elle était ; elle est détruite
en tant que telle ou, inversement, est produite. »134(*) En dernière analyse,
il n y a donc de changement que selon la qualité, la quantité et
le lieu. Mais puisque « l'Être a un double sens, tout
changement s'effectue de l'Être en puissance à l'Être en
acte. »135(*)
III. Devenir de
l'être sous la modalité de
l'acte et de la
puissance
1. De la puissance à
l'acte
Devenir se dit passage de la puissance à l'acte.
Toutefois, « quelque chose peut avoir la puissance d'être,
et cependant n'être pas. »136(*) Dès lors, pour que le
mouvement soit possible, il faut une opération d'actualisation de la
puissance. C'est la raison pour laquelle Aubenque appréhende le
mouvement comme étant « l'actualisation de la
puissance. »137(*) Cette opération se situe au niveau de la
puissance rationnelle qui, à la différence de celle
irrationnelle, est productrice des contraires. Cependant, « comme
il n'est pas possible que deux états contraires appartiennent ensemble
au même sujet »138(*) car la présence de l'un exclue celle de
l'autre, un seul des contraires pourra être actualisé. Le
problème qui se pose alors est celui de savoir sur quelle base doit se
fait cette actualisation.
Pour Aristote, les critères d'actualisation d'une
puissance sont au nombre de deux : le désir et le choix rationnel
d'une part, le rapprochement avec le patient d'autre part. Il écrit
à ce propos au sujet de la puissance rationnelle :
« Il est nécessaire qu'il y ait pour elle quelque autre
élément déterminant, je veux dire le désir ou le
choix rationnel : quelle que soit celle des deux choses que l'agent
désire d'une manière décisive, il l'accomplira dès
qu'il y aura présence et rapprochement avec le patient, d'une
façon appropriée à la puissance dont il
s'agit. »139(*)
Le désir préside donc au choix de la puissance
à actualiser. Mais seul il ne suffit pas. En effet, si tel était
le cas, le choix serait de l'ordre de l'arbitraire, de la passion ou tout
simplement du sentiment. C'est pourquoi Aristote associe au désir la
raison, faculté de juger selon Kant, lumière naturelle pour
Descartes qui nous permet de « distinguer le vrai d'avec le faux.
»140(*) Le
choix rationnel s'écarte donc de toute subjectivité pour
quêter l'objectivité et partant l'universel. Toutefois
désir et choix rationnel ne suffisent pas : il faut encore
qu'« aucun obstacle extérieur n'empêche l'action de
la puissance. »141(*) D'où la nécessité du
rapprochement entre l'agent et le patient. En effet, ce n'est pas par un simple
désir et un choix rationnel de fabriquer une statue que le sculpteur
forgera la statue. Il faut bien que ses mains et ses instruments se rapprochent
du bronze.
Connaissant ces critères, on pourrait se demander
comment se fait-il que l'homme actualise le mal par exemple plutôt que le
bien dans certaines circonstances. Aristote répond dans son Ethique
à Nicomaque que état de chose est dû à la
faiblesse de la volonté.
Eu égard à ce qui précède, il
apparaît que « tout changement, provenant de ce qui
peut-être pour l'amener à être actuellement, est le passage
de l'être en puissance à l'être en acte, c'est-à-dire
de la possibilité d'être à l'existence
actuelle. »142(*) C'est l'acte qui révèle la puissance
puisqu'il est son accomplissement. On peut donc dire que la puissance
désire l'acte qui pourtant lui est antérieur.
2.
L'antériorité de l'acte
Nous touchons ici à l'un des aspects les plus
fondamentaux de la réflexion d'Aristote sur le devenir. Mais avant
d'aborder cette étude, il convient de rappeler que l'acte et la
puissance sont deux notions inséparables. Par conséquent,
« la distinction de l'être en acte et de l'être en
puissance ne serait jamais née sans les apories classiques sur le
mouvement. »143(*)
D'emblée, il semble, que la puissance
précède l'acte. En effet, c'est de l'architecte en puissance que
surgit l'architecte en acte. Seulement, du point de vue métaphysique,
c'est en fait l'acte qui est antérieur à la puissance. Cette
antériorité, Aristote la situe à trois niveaux :
Primo : selon la logique,
l'antériorité s'explique par le fait que la puissance n'existe
qu'en vue de l'acte. Elle est faite pour l'acte et n'est connue que par lui.
L'acte est donc la ratio conoscendi de la puissance. Aristote
s'explique en ces termes : « Que selon la notion l'acte soit
antérieur, cela est évident : c'est parce qu'il peut
s'actualiser que ce qui est puissant, au sens premier est puissant. Par
exemple, j'appelle capable de construire, celui qui peut
construire. »144(*)
Secundo : selon le temps,
l'antériorité prend source dans le fait qu'il y a toujours un
moteur premier et ce moteur existe déjà en acte :
« Dans l'ordre du temps, un acte est toujours préexistant
à un autre acte, jusqu'à ce qu'on arrive à l'acte du
Premier Moteur éternel. »145(*) Aristote fait remarquer
davantage qu'il semble impossible d'être architecte si on n'a rien
construit auparavant.
Tertio : selon la substance,
« d'abord parce que ce qui est postérieur dans l'ordre de
la génération est antérieur dans l'ordre de la forme et de
la substance. »146(*) L'exemple typique est celui de l'enfant et de
l'homme adulte. Selon la génération, l'homme adulte est
postérieur à l'enfant. D'où le dicton : l'enfant
est le père de l'homme. Mais selon la forme et la substance,
l'homme adulte est antérieur à l'enfant car c'est de lui que
celui-ci reçoit forme. Ensuite « parce que tout
ce qui devient s'achemine vers un principe, c'est-à-dire une
fin. »147(*)
Tout devenir est ordonné à une fin et l'acte est
la fin vers laquelle tend la puissance. A cet effet, Aristote
écrit : « Ce n'est pas pour posséder la
faculté de voir que les animaux voient, mais c'est pour voir qu'ils
possèdent la faculté de voir. »148(*) De même,
« la matière n'est en puissance que parce qu'elle peut
aller vers sa forme. »149(*)
Par ailleurs, l'acte peut se confondre avec l'exercice tout
comme il peut être la fin d'un processus. On dit alors que l'acte est
soit immanent à l'agent lui-même, soit transitif
c'est-à-dire qu'il débouche sur la production d'une oeuvre
extérieure à l'agent. Ainsi, « la vue a pour terme
la vision, sans qu'il résulte de la vision aucune autre oeuvre que la
vue tandis que de l'art de bâtir dérive non
seulement l'action de bâtir mais aussi la
maison. »150(*) Il ne faut donc pas restreindre la notion d'acte
uniquement au mouvement, car elle est aussi présente dans le repos, et
« il y a plus de plaisir dans le repos que dans le
mouvement. »151(*)
En outre, remarquons avec Aristote que les êtres
éternels sont antérieurs aux êtres corruptibles. En effet,
s'ils ne l'étaient pas, ceux-ci ne seraient pas non plus puisqu'ils
dépendent d'eux d'une part et d'autre part parce que tout être
corruptible qui a la puissance d'être peut aussi bien ne pas être.
Ainsi, « tout ce qui est incorruptible existe en
acte »152(*) et par conséquent, l'acte est
antérieur à la puissance.
En appliquant cette réflexion au Mal et au Bien, il
apparaît que le Mal ne saurait exister comme principe parce que les
principes sont des formes éternelles, immobiles. Or le passage du Mal au
Bien suppose un changement qualitatif qui ruine la loi d'immobilité des
principes et Aristote de conclure : « Il n'y a donc plus
dans les réalités primordiales et éternelles, ni mal, ni
péché, ni corruption, car la corruption compte elle aussi, au
nombre des maux. »153(*) Par conséquent, le mal est un accident
Conclusion
En somme, il était question pour nous dans la
précédente réflexion, d'analyser les notions de substance
et d'accident, d'acte et de puissance, pour déceler leurs
différentes implications dans le devenir. Il apparaît donc au
terme de cette analyse, que chacune de ces notions participent au devenir de
l'Etre à des degrés divers. Pour ce qui est de la substance et de
l'accident, le devenir s'effectue entre les contraires appartenant au
même genre. Notons que sans la substance, les accidents n'auraient aucun
sens et ne pourraient se muter dans le cadre du devenir. L'acte et la puissance
pour leur part présupposent toujours le mouvement qui s'opère par
l'actualisation de la puissance rationnelle avec pour critère le
désir et le choix rationnel d'une part, le rapprochement entre l'agent
et le patient d'autre part. Le devenir est donc la caractéristique
essentielle des êtres sensibles. Et l'analyse qu'Aristote en fait offre
plus de précisons que celle de ses devanciers. Cependant, en
dépit de son impressionnante clarté et de sa grande
cohérence, la contribution aristotélicienne à propos de
l'étude du devenir de l'Etre ne manque pas de susciter quelques
réserves critiques. En même temps, les différentes
perspectives qu'elle ouvre dans l'univers de la pensée sont si
pertinentes qu'il s'avère nécessaire de les regarder de
près.
CHAPITRE V :
OBSERVATIONS CRITIQUES
ET PERSPECTIVES
Introduction
Dans ses Considérations actuelles sur
l'Afrique, Ebénezer Njoh-Mouelle déclare :
« Ce qui de tout temps caractérise la véritable
philosophie, c'est son caractère essentiellement réflexif et
critique. »154(*) En effet, la philosophie est essentiellement prise
de recul, remise en question. Dans sa quête de la vérité,
elle privilégie les questions plutôt que les réponses et
« chaque réponse devient une nouvelle
question. »155(*) C'est en raison de ce statut même de
la philosophie, que nous voulons dans le présent chapitre, relever d'une
part quelques insuffisances dans l'analyse fort brillante qu'Aristote
réalise au sujet du devenir. D'autre part, toute philosophie
étant toujours en rapport avec le cours général de la
pensée, nous nous attèlerons à signifier quelques
perspectives que le discours aristotélicien sur le devenir ouvre sur
d'autres domaines de la réflexion philosophique. Enfin, la philosophie
étant depuis son étymologie quête d'une sagesse
destinée à ennoblir le cours de l'existence humaine, nous
indiquerons en guise de portée existentielle, en quoi la
réflexion sur le devenir interpelle l'homme quant à
l'amélioration de son vécu quotidien.
I. Observations critiques
Le puissant génie d'Aristote qui se déploie dans
l'analyse du devenir nous surprend aussi bien par sa pertinence que par son
souci de clarté. La précision avec laquelle les termes sont
employés et la finesse de leur développement nous offrent
l'assurance d'une pensée qui a mûri sa réflexion.
Cependant, la philosophie étant d'essence critique et réflexive,
elle se dénaturerait dans un dogmatisme si ces qualités venaient
à lui manquer. C'est pourquoi, en dépit de sa prestigieuse
argumentation, nous voulons tout de même reconnaître que l'analyse
aristotélicienne du devenir nous laisse insatisfait sur un certain
nombre de points. Ceux-ci portent entre autre sur son analyse circulaire, sur
l'étude du changement substantiel et sur la nécessité du
devenir.
1. Sur la circularité du
devenir
La formule l'Etre se dit de plusieurs
manières, est à tout égard l'apport original
d'Aristote dans l'analyse du devenir ainsi que le repère
herméneutique à l'intérieur duquel le devenir prend sens.
Les multiples manières d'être de l'Etre ne sont en fait que les
différentes scissions que le devenir opère au sein de l'Etre.
Cependant, l'explication qu'Aristote apporte au sujet du devenir,
s'élabore sur fond de circularité.
Une réflexion est dite circulaire dans la mesure
où elle se déploie suivant un mouvement circulaire. Pour
étayer notre propos, prenons l'exemple du cercle herméneutique.
Au niveau grammatical, le cercle herméneutique se dévoile dans le
fait que le mot ne se comprend qu'à l'intérieur de la proposition
et inversement. La proposition à son tour ne se comprend qu'à
l'intérieur du texte et inversement. Le texte pour sa part ne se
comprend qu'à l'intérieur de l'oeuvre et inversement. Bref, la
partie ne se comprend qu'à partir du tout et le tout à partir de
la partie.
Ceci étant, comment comprendre cette circularité
au niveau de la pensée d'Aristote sur le devenir? Selon Aristote, le
devenir opère le passage de la puissance à l'acte. Parvenu en
acte, l'être en acte devient une nouvelle puissance à
l'égard d'un autre acte. De même, la cause efficiente est
ordonnée à la cause finale et celle-ci à son tour suppose
celle-là. Nous ne nions pas le fait que le devenir est investi d'une
logique dont le terme est le Premier Moteur. En effet, comme nous l'avons
relevé dans l'étude du mouvement et de ses incidences sur le
devenir, le Premier Moteur exerce une attraction sur l'Etre.
Cependant, notre inquiétude porte sur cette
circularité qui donne à la pensée l'impression de se
répéter voir de tourner en rond. Dès lors, ne pouvons-nous
pas reprocher à Aristote ce recours au cercle qui loin d'enrichir la
pensée l'enferme plutôt sur elle-même ? Ne fallait-il
pas comme l'a fait saint Thomas d'Aquin ouvrir une brèche pour
s'évader du cercle vicieux en orientant le devenir vers le Premier
Moteur qui n'est plus seulement une machine à produire le mouvement mais
l'Absolu véritable ?
En dehors de son aspect circulaire, la réflexion
d'Aristote semble peu précise quant à l'explication du changement
substantiel.
2. Sur l'insuffisance de l'analyse du
changement substantiel
Pour certains présocratiques au nombre desquels
Parménide, le devenir n'est qu'une illusion. Ce point de vue trouve son
fondement dans l'idée selon laquelle l'Etre est totalité. En
effet, si l'Etre est totalité, le devenir n'est qu'un simple
dévoilement des différentes faces cachées de l'Etre sans
qu'il y ait pour autant un changement véritable dans l'Etre. La
conséquence de cette approche est qu'on ne peut pas devenir ce qu'on
n'est pas d'où les mots de Pindare : « Puisses-tu
devenir ce que tu es en apprenant. »156(*) Dans la même logique,
Platon à travers la théorie de la réminiscence estime que
notre vie actuelle est tributaire d'une vie antérieure.157(*) Elle est juste la remarque
de Pierre Aubenque :
« Ce que les grecs ont pressentis, c'est que par
un paradoxe dont les prétendues arguties de Zénon et des
sophistes ne sont que la forme la plus radicale, on ne part jamais que parce
qu'on est déjà parti, on n'apprend que ce que l'on sait
déjà, on ne devient que ce que l'on est. Devenir ce que l'on
est, conquérir ce que l'on possède, apprendre ce que l'on sait,
rechercher ce qu'on a déjà trouvé, s'approprier ce qui
nous est le plus propre, nous approcher de ce qui nous est toujours
déjà le plus proche : la pensée grecque n'enseignera
jamais d'autre sagesse que celle qui appelle l'homme à partir à
la conquête de ses propres limites, à s'accroître aux
dimensions de ce qui est déjà. »158(*)
Il convient dès lors d'admettre que si le devenir se
contente de dévoiler ou mieux d'actualiser ce qui était
déjà, il n'est pas à proprement parler devenir. En effet,
tout devenir suppose un changement substantiel. Raison pour laquelle il faut se
garder de voir dans le devenir une simple « actualisation d'une
réalité ; ce serait tomber sous la coupe de Parménide
et considérer le devenir comme un moindre d'être ; on
risquerait ainsi de le transformer en un mirage ou une
apparence. »159(*) La pertinence de cette réflexion de Vancourt
nous interpelle quant au contenu que nous donnons au terme actualisation.
En effet, si nous entendons par actualisation une simple
manifestation plénière ou un dévoilement du
déjà-là, il serait un peu déplacé de parler
de changement en matière de devenir. Toutefois, si du néant rien
ne peut surgir, le devenir ne peut se passer d'un présupposé,
d'un quelque chose qui est donné par avance. Et l'actualisation devient
alors non pas un simple dévoilement de l'Etre, mais le passage de la
possibilité d'être à la réalité effective.
C'est donc dire que l'actualisation fait advenir quelque chose de nouveau,
quelque chose qui n'était pas et qui maintenant est.
Cependant, si les catégories d'acte et de puissance
lèvent l'ambiguïté sur le devenir en distinguant clairement
ce qui devient de ce qui est advenu, n'est-il pas juste d'observer que
l'analyse d'Aristote semble peu claire et peu précise quant à
l'explication du changement substantiel qui implique l'avènement de
quelque chose de radicalement nouveau dans le devenir ?
Par ailleurs, que penser du caractère nécessaire
qu'Aristote prête au devenir ?
3. Sur la nécessité du
devenir
Aristote appréhende le devenir comme étant le
propre des êtres naturels. Cette appréhension le rapproche de
Héraclite qui, le premier, avait observé que toute chose est
soumise au devenir sous l'impulsion du conflit. Cependant, à la
différence de celui-ci, Aristote concilie devenir et principe
d'identité si chère aux éléates. Ainsi, c'est le
même être qui devient : c'est le même Socrate assis qui
cette fois-ci marche.
L'observation d'Aristote selon laquelle le devenir est une
qualité nécessaire liée aux êtres naturels est
tributaire du fait que produire le mouvement est un acte nécessaire du
Premier Moteur. La cause étant nécessaire, l'effet ne peut que
l'être aussi. Il écrit à ce propos :
« Parmi les choses nécessaires, les unes ont en dehors
d'elles la cause de leur nécessité, les autres l'ont en
elles-mêmes, et sont elles-mêmes sources de nécessité
dans d'autres choses. »160(*)
Cependant, Søren Kierkegaard nous fait remarquer que
« la nécessité est tout à fait
autonome. »161(*) Ainsi, si le nécessaire est autonome, ce qui
est causé n'est plus nécessaire. Car, il dépend de la
cause qui l'a produit et s'inscrit de ce fait dans la catégorie du
contingent. Dès lors, ne pouvons-nous pas admettre avec Kierkegaard que
« tout devenir s'opère par liberté, non par
nécessité »162(*) surtout quand on sait que
« même la conséquence d'une loi naturelle n'explique
la nécessité d'aucun devenir, dès qu'on
réfléchit définitivement sur le
devenir ? »163(*)
Au demeurant, ces différentes critiques, loin de ternir
la pensée combien profonde d'Aristote, nous ont permis de retrouver la
philosophie dans son essence critique. Normative par excellence, la
finalité de tout discours philosophique, est l'ennoblissement du
vécu de l'homme dans sa double dimension de « roseau
pensant » et d' « animal politique. »
D'où l'importance d'une étude des différentes perspectives
métaphysiques et existentielles du discours sur le devenir
II. Perspectives
Dans son brillant livre intitulé Introduction
à la philosophie, Karl Jaspers affirme : « Faire
de la philosophie, c'est être en route. »164(*) En effet, la
philosophie est toujours en route parce qu'elle est recherche de la
vérité et non sa possession. Elle n'est jamais un discours clos,
définitif, mais ouverture sur des horizons toujours plus nouveaux et
plus vastes. C'est pourquoi, après avoir examiné la contribution
d'Aristote sur la question du devenir ainsi que quelques unes de ses
faiblesses, il convient maintenant de préciser quelques perspectives que
celle-ci ouvre dans le champ de la pensée et du vécu. Au niveau
spéculatif, nous nous pencherons sur la question du sens de la vie et
sur le lien entre devenir et éthique. Au niveau existentiel, nous
analyserons le devenir de l'homme en relation avec le bien et nous ferons un
rapprochement de cette notion avec le cas précis de l'Afrique. Nous
sommes conscients de ce que compte tenu de leur pertinence, ces perspectives
requièrent un plus grand développement. Cependant, dans le cadre
de ce travail, nous nous limiterons à une analyse succincte.
1. Perspectives métaphysiques et
éthiques
La question du sens de
l'existence
Si la théorie de l'évolution et la loi de
l'entropie permettent d'attester scientifiquement que le cours de l'univers
à un sens, les avis restent cependant très partagés quant
au sens de l'existence humaine. Le problème ne porte pas tant sur le
sens de l'existence en lui-même mais sur la question de savoir si un sens
est d'emblée donné à notre existence.
Pour Sartre, « l'homme n'est rien d'autre que ce
qu'il se fait. »165(*) Condamné à être libre, il est
maître de son destin et du sens de sa vie. L'existentialisme sartrien
affirme donc l'entière responsabilité de l'homme sur le cours de
sa vie. N'ayant de compte à rendre à personne, il est
lui-même la mesure de sa propre existence.
Par ailleurs, bien avant Sartre, Nietzsche avait
déjà jeté en terre la semence de cette conviction lorsque
philosophant à coup de marteau, il proclama la mort de Dieu et
l'avènement du surhomme. Le surhomme nietzschéen est un vrai dur
qui a sous son entière responsabilité le sens de son existence.
Nous avons pour nous en convaincre ces mots de Zarathoustra :
« (...) Dieu est mort ! Hommes supérieurs, ce Dieu
était votre pire danger. C'est depuis qu'il gît au sépulcre
que vous êtes ressuscités. C'est maintenant enfin que va luire le
grand Midi, que l'Homme supérieur va être - le
maître. »166(*)
Pour Marcel que Sartre qualifie d'existentialiste
chrétien, il y a bel et bien un sens d'emblée donné
à notre existence. Ce sens est progressivement assumé par l'homme
dans la quête de l'Être parfait, quête qu'anime
l'espérance.
On le voit, la controverse au sujet d'un sens d'emblée
donné à notre existence n'est pas sans rapport avec
l'épineux problème de l'existence de Dieu, problème
abordé par la théodicée mais dont l'échec d'une
analyse purement rationnelle ouvrira les portes à la philosophie de la
religion. Cependant, l'approche aristotélicienne du devenir peut
éclairer davantage notre réflexion sur cette question.
En admettant avec Aristote que la puissance est
ordonnée à l'acte et que la fin attire en unifiant et en
perfectionnant l'Être en devenir, nous pouvons concéder qu'il
existe un ordre inhérent à ce qui est, de sorte que ce qui est,
est en vue de quelque chose. Par conséquent, il y aurait un sens
d'emblée donné à notre existence. Peu importe par qui ce
sens est donné, il est là tout de même. Les
dérapages des technosciences de ces dernières années
viennent à point nommé illustrer le fait que chaque fois que
l'ordre inhérent aux choses est bafoué, le fruit vendangé
s'appelle désastre, sinistre ou catastrophe et souvent à
l'échelle mondiale. Par ailleurs, s'il y a un sens d'emblée
donné à notre existence, il y aurait aussi une
vérité absolue: une vérité qui
précède l'histoire, qui éclaire l'histoire, qui donne sens
à l'histoire et qui transcende l'histoire. Dans ce contexte, l'homme
reste certes la mesure de toute chose mais cette mesure est désormais
définie par la cause finale vers laquelle le devenir nous achemine.
Cette cause finale étant le Souverain Bien, le devenir fera alors appel
à l'éthique.
Devenir et éthique
Le discours sur l'Être en devenir appelle de toute
évidence le discours éthique. En effet, dans l'analyse qu'il
réalise au sujet du devenir, Aristote élabore sa réflexion
autour d'une notion fondamentale : l'antériorité de l'acte.
Nous avons déjà suffisamment expliqué cette notion. Qu'il
nous soit permis d'observer tout simplement que l'Acte pur vers lequel le
devenir est ordonné correspond au Souverain Bien. Dès lors, nous
pouvons appréhender le devenir comme mouvement de l'Être vers le
Bien. Et si l'éthique est la réflexion sur les attitudes à
tenir en vue de faire le bien et éviter le mal, elle s'avère
être le complément premier de la réflexion sur le devenir.
Il y a donc un rapport de complémentarité entre devenir et
éthique.
Par ailleurs, remarquons que le devenir intègre les
trois dimensions de la temporalité à savoir le passé, le
présent et le futur. En effet, dans le devenir, il y a ce qui
était et qui n'est plus, ce qui est maintenant et qui après ne
sera plus, ce qui sera et qui maintenant n'est pas encore. A cet effet, plus
qu'une éthique des circonstances présentes, le devenir fait appel
à une éthique du futur qui devient sa condition de
possibilité. Car, si le futur n'est pas possible, le devenir non plus ne
le sera. D'où l'importance d'une éthique futuriste à
l'exemple de celle de Hans Jonas, éthique fondée entre autre sur
l'heuristique de la peur et le principe de responsabilité
asymétrique qui plaide en faveur de l'avenir de l'humanité,
avenir ou devenir pourtant menacé par les multiples conquêtes des
technosciences sur l'homme et son environnement. Cependant, loin de condamner
les technosciences, condamnation qui serait injuste quant à leur
portée positive, il faudrait plutôt y voir un mal
nécessaire et conclure avec Rabelais que la conscience scientifique doit
se dédoubler de la conscience éthique.
Il est donc établit, le lien entre devenir et
éthique. Toutefois, le discours sur l'Etre en devenir relevant de la
métaphysique, celle-ci apparaît finalement comme le fondement
même de l'éthique. Dès lors, l'éthique n'est plus un
simple complément de la métaphysique, mais le fruit même de
son développement. D'où la structure de l'arbre philosophique de
René Descartes dont les racines sont la métaphysique, le tronc la
physique et les branches qui sortes de ce tronc la mécanique, la
médecine et l'éthique. Et à ce propos, on comprend
pourquoi Levinas n'a pas pardonné à Heidegger d'avoir
développé une métaphysique qui ignora l'éthique.
Pour Levinas, le lien entre métaphysique et éthique est si fort
que finalement, les deux semblent se confondre.
En effet, une éthique qui ne repose pas sur un
fondement métaphysique n'est rien d'autre qu'une éthique de la
contingence. Cette éthique s'applique aux conventions sociales. Elle est
plastique, malléable selon les circonstances. Une telle éthique
ne partage pas la préoccupation de la philosophie dans sa quête de
l'objectivité. Si l'éthique kantienne du devoir reste la
référence en matière de morale, c'est justement parce
qu'elle a su se fonder non pas sur des supports contingents mais sur des
principes a priori qui relèvent purement de la
métaphysique. D'où le titre même de son oeuvre :
Fondements de la métaphysique des moeurs dans laquelle il
écrit : « Une métaphysique des moeurs est
rigoureusement nécessaire, non seulement parce qu'elle répond
à un besoin de la spéculation, en recherchant la source des
principes pratiques, qui résident à priori dans notre raison,
mais parce que la moralité même est exposée à toute
sorte de corruption, si nous n'avons, pour l'apprécier exactement, ce
fil conducteur et cette norme suprême. »167(*)
Ceci étant, il ne serait pas exagéré de
s'interroger sur la nature de cette métaphysique qui fonde
l'éthique. Est-ce une métaphysique de l'immanence ou une
métaphysique ouverte sur l'absolu ? Pour Pierre Gire,
« il n'est pas d'éthique fondamentale sans une
métaphysique de la transcendance. »168(*) C'est dire que la
métaphysique qui fonde l'éthique est une métaphysique
ouverte sur la transcendance, mieux sur l'absolu. Et Pierre Gire justifie les
raisons de cette ouverture sur l'absolu en ces termes : « La
position de l'Absolu est nécessaire au fondement de l'éthique
parce que la réciprocité humaine ne suffit pas à
établir l'obligation, à moins que l'on s'arrête à
une morale contractuelle imposée par les nécessités de
l'existence, mais défaite au premier retournement du
destin. »169(*)
Ainsi, l'absolu permet d'affranchir l'éthique de la
contingence des situations humaines. Gire a donné un nom à cet
absolu : Dieu.170(*) C'est aussi à Dieu que renvoie l'absolu du
visage car selon Levinas, « dans l'accès au visage,
il y a certainement aussi un accès à l'idée de
Dieu. »171(*) Comme nous pouvons le remarquer, cette approche de
l'absolu selon Pierre Gire et Emmanuel Levinas porte la marque de leur
conviction religieuse respectivement fondée sur le christianisme et sur
le judaïsme. Certes, notre préoccupation dans cette
réflexion n'est nullement d'établir la nature de l'absolu vers
lequel nous ouvre la métaphysique. Qu'il nous suffise seulement
d'observer qu'au fondement de l'éthique, il y a la métaphysique
voir une métaphysique ouverte sur l'absolu.
Au demeurant, il apparaît que l'existence de l'homme a
un sens qui lui est d'emblé donné et que l'éthique est le
complément nécessaire pour sa réalisation effective. Du
point de vue existentiel, le discours aristotélicien sur le devenir nous
offre une nouvelle approche de l'homme comme être pour le bien.
2. Perspectives existentielles
L'être pour le bien
L'approche aristotélicienne du devenir partant de la
notion de l'antériorité de l'acte, nous ouvre à une
nouvelle dimension de l'homme. Il n'est plus seulement un être pour la
mort comme le pensait Heidegger mais aussi un être pour le bien :
l'homme est un être pour le bien. Pareille déclaration peut
paraître scandaleuse voire naïve quand on sait que chaque jour,
l'humanité traverse des graves crises provoquées par la
méchanceté de l'homme. Il convient de préciser que
l'être pour le bien n'est pas toujours en acte mais souvent en puissance.
Il n'est jamais totalement réalisé mais toujours en cours de
réalisation. Même si « l'être n'est pas amour
du matin au soir »172(*) comme l'observe Mounier, il est un être pour
le bien en tant que la fin vers laquelle l'achemine le devenir est le Souverain
Bien.
Evidement, l'homme porte en lui des penchants mauvais qu'il
doit réprimer non sans peine pour que son être pour le bien
devienne progressivement effectif. C'est à cet égard que
Kierkegaard nous rappelle que « tout devenir est
souffrance. »173(*) Il est, dirions-nous pour emprunter les mots
à Ricoeur, distanciation et appropriation. Distanciation parce que le
devenir nous fait prendre distance avec ce que nous étions hier.
Appropriation parce que la logique même du devenir consiste à nous
approprier ce que nous n'étions pas encore. Par ailleurs, l'être
pour le bien est nécessairement ouvert à l'altérité
entre autre par l'épiphanie du visage. Et
« l'épiphanie du visage ouvre sur
l'humanité »174(*) par le principe de responsabilité à
l'égard de soi et des autres, dans la promotion du bien commun et des
valeurs utiles à tous. Tout peuple et spécialement le peuple
africain, aspire à des lendemains meilleurs. Toutefois, demain ne sera
meilleur que si dès aujourd'hui, l'Afrique prend au sérieux la
question de son devenir.
Devenir et Afrique
La réflexion que nous entendons mener ici consiste
à examiner dans quelle mesure le discours aristotélicien sur le
devenir interpelle t-il l'Afrique et particulièrement l'Afrique
actuelle. Précisément, il s'agira pour nous de tenter quelques
esquisses de solutions à la question : comment concilier en tant
qu'africain identité et changement ? L'analyse de cette
problématique est d'autant plus urgente que nous nous situons dans un
contexte dit de mondialisation que Senghor qualifie de rendez-vous du donner et
du recevoir. Dès lors, comment donner et recevoir tout en restant le
même ? Ou encore, comment vivre soi-même comme un autre en
tant qu'africain ? S'interroger sur le comment concilier identité
et changement suppose au préalable qu'on ait pris conscience que chacune
de ces tendances portées à l'absolu, comme ce fut le cas pour
Héraclite et Parménide, fragilise l'équilibre tant
nécessaire pour le développement intégral du continent.
Il nous semble que nous pouvons appeler « Afrique
parménidienne » cette Afrique qui a fait du repli identitaire
sur soi son étendard. A ce propos, force est de constater que nombre
d'africains semblent opposés au changement des structures, des
mentalités, bref à l'ouverture. Ce sont les africains de la
stabilité dont le fondamentalisme traditionaliste est un bouclier, un
rempart infranchissable devant tout appel au progrès et à la
nouveauté. Toutefois, observons que c'est surtout au niveau culturel que
cette fermeture sur soi se fait sentir avec acuité. En effet, la
mentalité traditionaliste jalouse de ses valeurs culturelles a fini par
les ériger en absolu. Pour le traditionaliste, aucune culture en dehors
de celle de ses ancêtres n'est recevable. La règle de vie, la
façon de penser et d'agir sont celles qui ont toujours été
pratiquées par les ancêtres fondateurs de la tribu ou du clan.
C'est cet état de chose qui est à l'origine du conflit de
génération. Car, le dynamisme des jeunes
générations montantes se heurte au statu quo des
vieilles générations. En outre, la mentalité
traditionaliste diabolise tout ce qui est apport extérieur et voit dans
l'ouverture à la nouveauté une menace de mort. C'est ce qui
explique l'adoption d'une attitude rétrograde au nom de
l'inflexibilité et de l'éternité des valeurs
traditionnelles, des pratiques coutumières, des visions culturelles de
l'homme, de la société et du monde. Et il n'est pas exclut que
l'ethnophilosophie, en se constituant comme chantre des valeurs traditionnelles
africaines, en soit finalement prisonnière.
A l'opposé de cette Afrique fermée sur
elle-même, il y a une autre que nous pouvons qualifier
d'héraclitéenne. L'« Afrique
héraclitéenne » est celle qui se situe aux antipodes de
la fermeture sur soi, du fondamentalisme traditionaliste. C'est l'Afrique de
l'ouverture, mais alors une ouverture sans borne. Les africains
héraclitéens sont continuellement habités par un
désir de fuite en avant. Ils sont motivés par la conscience selon
laquelle tout ce qui est digne d'être recherché se trouve
au-delà de leurs frontières. C'est de ceux-ci dont parle Paul
Fokam quand il écrit : « Pendant des siècles,
(...) on a réussi, par le développement de la communication
audiovisuelle, à faire admettre à l'Africain qu'il est incapable
d'activités scientifiques, que sa culture n'apporte rien de significatif
à la culture universelle. Pour son développement, le seul choix
intelligent serait de sortir de la «barbarie» pour rejoindre le monde
«civilisé.» »175(*)
De cette observation de Paul Fokam, il en découle les
raisons qui justifient l'extraversion dans laquelle sombrent nombre d'africains
en quête des valeurs du monde occidental sans aucun discernement et
parfois au détriment de leur originalité. On comprend aussi
pourquoi l'africain qui a opté pour l'extraversion, a en horreur tout ce
qui l'attache à ses origines notamment son histoire et sa culture.
Face à ces deux tendances dont l'une prône le
repli identitaire sur soi c'est-à-dire la stabilité et l'autre
l'ouverture ou le changement irréfléchi, il faut tenter une
position d'équilibre. Trouver l'équilibre signifie concilier
identité et changement. Ainsi, le devenir de l'Afrique exige à la
fois la sauvegarde de son originalité c'est-à-dire de son
identité, et l'ouverture à la nouveauté ou encore la
capacité de changer. L'Afrique doit prendre conscience du potentiel
culturel, économique et humain dont elle dispose et en être
fière. Toutefois, cette prise de conscience ne doit en aucun cas
conduire à la fermeture sur soi : ce serait en effet se mettre en
marge du progrès. L'être parménidien n'évolue pas
parce qu'il est totalité. Pour évoluer ou changer, il faut bien
se dire que nous avons encore quelque chose à apprendre, quelque chose
à recevoir des autres. D'autre part, l'ouverture ou le changement si
nécessaire au progrès, doit s'effectuer sur la base du
discernement et de la prudence. De même que le mouvement ne saurait
être continu et illimité comme l'a démontré
Aristote, de même l'Afrique ne saurait être le jouet des grandes
puissances.
Le changement qui passe par la signature des accords et des
partenariats, doit être défini par des motifs précis et
orientés vers un développement intégral. En examinant le
passage de la puissance à l'acte, Aristote faisait remarquer que les
puissances qui sont porteuses de contraires (puissances rationnelles) exigent
entre autre pour leur actualisation le désir et le choix rationnel.
Appliquée au contexte de sous-développement que traverse
l'Afrique, cette remarque nous enseigne qu'il n'y aura pas de
développement sans désir réel de celui-ci de la part des
africains. Mais le désir ne suffira pas : il faudra encore prendre
des initiatives. C'est ici que la raison devra alors intervenir pour purifier
les mentalités cupides et égoïstes des uns et des autres et
canaliser les énergies vers la recherche du progrès de chaque
pays en particulier et du continent en général. Par ailleurs, si
l'avenir est au métissage, la nécessité de concilier
identité et changement est d'une urgence sans précédente.
L'aventure ambiguë de Cheick Amidou Kane, en est une parfaite
illustration. Le contexte actuel de mondialisation exige plus que jamais, la
capacité de rester soi-même pour enrichir le patrimoine culturel
de l'humanité tout en étant prudemment ouvert à
l'altérité.
Conclusion
En somme, notre préoccupation au cours de cette analyse
a consisté à mettre en lumière quelques insuffisances de
l'explication qu'Aristote apporte sur la question du devenir. Celles-ci ont
porté entre autre sur le caractère circulaire de son analyse,
l'analyse du changement substantiel et la nécessité du devenir.
D'autre part, nous avons évoqué quelques perspectives que la
réflexion d'Aristote sur le devenir ouvre dans le reste du champ de la
pensée. S'agissant de la métaphysique, il s'est
avéré que la notion de l'antériorité de l'acte qui
est au coeur de l'étude du devenir, pose le problème du sens de
l'existence. En outre, cette notion établit un lien entre devenir et
éthique, lien qui se justifie par le fait que la cause finale vers
laquelle le devenir est orienté correspond au Souverain Bien. Par
ailleurs, en syntonie avec Karl Marx qui pense que la philosophie ne doit pas
se contenter d'interpréter le monde mais aussi le transformer, il nous a
semblé nécessaire d'élargir le champ de notre
réflexion au niveau existentiel. Ceci nous a permis d'une part de saisir
l'homme dans sa nouvelle dimension d'être pour le bien et d'autre part de
souligner l'urgence qu'il y a aujourd'hui en Afrique à concilier
identité et changement. Le choix de l'Afrique est subjectif et
relève beaucoup plus de notre appartenance au dit continent. Toutefois,
on peut très bien partir d'un contexte précis pour mener une
réflexion qui engage l'universel. Ici encore, la dialectique de l'un et
du multiple a beaucoup à nous enseigner.
CONCLUSION GENERALE
En dernière analyse, la notion du devenir est complexe.
C'est cette complexité que nous avons voulu expliciter en nous proposant
de réfléchir sur le thème : L'Etre en
devenir. Pour ce faire, il nous fallait un repère à partir
duquel structurer toute notre pensée. C'est ce qui justifie le second
membre de notre thème : Considérations
aristotéliciennes sur le devenir. Essayer une élucidation de
la notion du devenir en nous appuyant sur la métaphysique
aristotélicienne, telle fut la préoccupation essentielle de cette
investigation philosophique. Au coeur de cette préoccupation, il y avait
la question : comment concilier principe d'identité et
changement ? Pour répondre à celle-ci, il nous a
semblé judicieux de commencer notre analyse par remonter aux sources
mêmes du problème marqué par l'opposition entre ceux qui
prônent d'une part la mobilité et d'autre part la stabilité
de l'Etre.
A l'aurore de la métaphysique ionienne, l'une des
figures particulières qui retient l'attention est celle de
Héraclite d'Ephèse. Partant du constat empirique selon lequel
toute chose sensible change au fil du temps, il en déduit que l'Etre est
continuellement voué au devenir. C'est cette philosophie du mouvement
que nous avons résumé par la formule, elle-même
inspirée de Héraclite : « Tout coule et rien
ne demeure. » Et le moteur de ce mouvement perpétuel est
le conflit des contraires régulé par dikè la
justice.
A Elée, Parménide et son école prennent
le parti opposé à Héraclite et soutiennent la
stabilité de l'Etre au nom de l'inviolabilité du principe de
l'identité : « L'Être est, le non-Être
n'est pas. » Par conséquent, le devenir s'avère
une pure chimère puisque l'Etre est totalité.
Platon est le premier qui, à travers la théorie
des Idées et des genres d'être, a tenté une conciliation
des deux antagonistes en proposant d'adjoindre à l'Etre, un non-Etre
extérieur et relatif : l'altérité.
Telles ont été les différentes
conceptions anté aristotéliciennes du devenir que nous avons
évoquées. Après avoir mis en évidence quelques
limites de celles-ci, la contribution d'Aristote au sujet du devenir se livre
toute entière dans cette pensée : « Tout ce
qui devient, devient par quelque chose et à partir de quelque chose,
quelque chose ; et ce quelque chose, je l'entends selon chaque
catégorie : substance, quantité, qualité ou
lieu. »176(*) On y retrouve les trois grands couples de notions
autour desquels toute sa réflexion s'articule : matière et
forme, substance et accident, puissance et acte. En ce qui concerne la
matière et la forme, le mouvement consiste en ce que la forme advient
à la matière par le travail de l'artiste ou par une simple loi de
la nature. Quant à la substance et à l'accident, le mouvement se
laisse saisir dans le caractère nécessaire de la substance qui
soutient la contingence des accidents. Enfin, le passage de la puissance
à l'acte nécessite une opération d'actualisation de la
puissance avec pour critères le désir et le choix rationnel d'une
part, le rapprochement de l'agent et du patient d'autre part. Ainsi, l'Etre en
devenir est donc un être composé de matière et de forme, de
substance et d'accident, de puissance et d'acte.
Si convaincante fut-elle, l'analyse aristotélicienne du
devenir, n'a pas manqué de soulever quelques critiques notamment sur
l'idée du cercle qui s'en dégage, sur l'analyse du changement
substantiel et sur le caractère nécessaire du devenir. En
dépit de celles-ci, outre l'éclairage qu'elle apporte sur la
question du devenir, elle ouvre la réflexion sur d'autres domaines de la
connaissance tout en soulignant quelques implications existentielles.
Au niveau de la spéculation philosophique, l'analyse du
devenir nous a conduit premièrement à poser l'épineux
problème du sens de l'existence. Si le devenir a un sens, il va de soi
que notre existence vouée au devenir a elle aussi un sens. Seulement ce
sens n'est pas arbitraire comme le pensent certains existentialistes
athées. Il est donné d'emblée et atteste donc aussi
l'existence d'une vérité absolue qui serait la
vérité vers laquelle devrait converger toute recherche. Ensuite,
l'analyse du devenir nous mène à des considérations
d'ordre éthique. Car si le devenir est mouvement vers l'Acte pur
correspondant au Souverain Bien, l'éthique en tant que réflexion
théorique sur le mal à éviter et le bien à faire,
s'avère de prime abord son complément obligé. Par suite,
le discours sur le devenir relevant de la métaphysique, il
apparaît finalement que la métaphysique est le fondement
même de l'éthique. Celle-ci n'est donc plus son complément,
mais son fruit.
Quant aux implications existentielles, il faut souligner en
premier lieu cette nouvelle appréhension de l'homme comme être
pour le bien : l'homme est fait pour le bien au nom du principe de
l'antériorité de l'acte. Cependant, cet être est à
construire au jour le jour. Puis, appliquée au cas précis de
l'Afrique, la réflexion aristotélicienne sur le devenir permet de
mettre à l'ordre du jour le comment concilier en tant qu'africain,
identité et changement. Une telle préoccupation s'avère
urgente compte tenu du contexte de mondialisation dans lequel nous nous
trouvons, et des enjeux à la fois épistémologiques,
culturels et économiques qui en découlent.
Au demeurant, le devenir suppose à la fois quelque
chose qui perdure et quelque chose qui change au fil du temps. Cet alliage
entre « identité-idem » (qui ne change pas)
et « identité-ipse » (qui change) selon les
termes de Ricoeur177(*),
n'est possible que dans la mesure où l'Etre se dit de plusieurs
manières. Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer le fait que si
brillante soit-elle, l'analyse aristotélicienne du devenir reste
tributaire du degré de savoir de son temps. Notre temps actuel est
largement dominé par la science, une science raffinée par l'usage
des techniques et des instruments d'une grande performance. Il serait donc
intéressant pour l'évolution de la pensée, de confronter
l'approche aristotélicienne du devenir avec les nouvelles
considérations que nous livre la physique contemporaine sur la question
du devenir.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages d'Aristote :
ARISTOTE, Catégorie Paris, Librairie
philosophique J.Vrin, 2004, (trad. Jean Tricot).
De l'âme, Paris, Les belles lettres, 1995,
(trad. E. Barbotin).
Ethique à Nicomaque, Paris, Librairie
philosophique J.Vrin, 1997, (trad. Jean Tricot).
Métaphysique, Paris, Librairie philosophique
J.Vrin, 1997, (trad. Jean Tricot).
La physique, Paris, Librairie philosophique J.Vrin,
1999, (trad. A. Stevens).
Traité du Ciel, France, GF Flammarion, 2004,
(trad. Cathérine Dalimier et Pierre Pellegrin).
Ouvrages de Platon dans la collection OEuvres
complètes, France, Gallimard, 1950, (tomes 1 et
2):
PLATON, Euthydème
Menon
Parménide
Phédon
Sophiste
Théétète
Timée
Ouvrages généraux
· AUBENQUE P., Le problème de l'être
chez Aristote, Paris, P.U.F, 1962.
· BREHIER E., Histoire de la philosophie, tome
1, Paris, P.U.F, 1997.
· CARATINI R., La philosophie, France, Seghers,
1984.
· CHATELET F., La philosophie païenne du
VIe siècle au IIIe siècle ap. J.C.,
Paris, Hachette, 1999.
· DAUJAT J., Y a-t-il une
vérité ?, Paris, Tequi, 1974.
· DESCARTES R., Discours de la méthode suivi
des méditations, Paris, Unions Générale d'Editions,
1951.
Discours de la méthode, France, Fernand
Nathan, 1986.
· FOKAM P.-K., Et si l'Afrique se
réveillait ?, France, Jaguar, 2000.
· GIRE P., Les fondements de la morale, Paris,
Tequi, 1989.
· HEIDEGGER M., Questions I et II, Paris,
Gallimard, 1968, (trad. Kostas Axelos).
· JASPERS K., Introduction à la
philosophie, Paris, Plon, 1981.
· JEANNIERE A., Héraclite, Paris, Aubier,
1977.
· KANT E., Fondements de la métaphysique des
moeurs, Paris, Bordas, 1988.
· KIERKEGAARD S., Les miettes philosophiques,
Paris, Seuil, 1967, (trad. Paul Petit).
· LEVINAS E., Totalité et Infini, Paris,
Livre de poche, 1971.
· MOUNIER E., Le personnalisme, Paris, P.U.F,
1949.
· NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra,
paris, Flammarion, 1996, (trad. Géneviève Bianquin).
· NJOH-MOUELLE E., Considérations actuelles
sur l'Afrique, Yaoundé, Clé, 1983.
· PARRAIN B., (dir.), Encyclopédie de
la Pléiade, Histoire de la philosophie, Paris, tome 1, Gallimard,
1969.
· RICOEUR P., Soi-même comme un autre,
Paris, Seuil, 1996.
· SARTRE J.-P., L'existentialisme est un
humanisme, Paris, Nagel, 1970.
· THONNARD F.-J., Précis d'histoire de la
philosophie, Paris, Desclée, 1955.
· TREMBLAY J., Finitude et devenir,
Québec, Fides, 1992.
Dictionnaire et encyclopédie
· JACOB A., (dir.), Encyclopédie
philosophique, Les notions philosophiques, Paris, P.U.F, 1990.
· LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la
philosophie, Paris, Quadrige/P.U.F, 1997, (volume 1).
TABLE DES MATIERES
DEDICACE
i
REMERCIEMENTS
ii
INTRODUCTION GENERALE
1
CHAPITRE I : DIFFERENTES APPROCHES
ANTE ARISTOTELICIENNES DU DEVENIR
4
Introduction
4
I. Position de
Héraclite d'Ephèse.
5
1. La philosophie des contraires
5
Le conflit des contraires
5
L'harmonie des contraires
7
2. Le mobilisme
Héraclitéen
7
Le perpétuel écoulement
7
Préséance du mouvement sur
l'être
8
II. Position de
Parménide
10
1. L'être est, le non-être n'est
pas
10
La voie de la vérité et la voie
de l'opinion
10
Caractéristiques de l'ontologie
parménidienne
12
2. Postérité de
Parménide
13
L'argument des apories et la grandeur infinie de
l'être
13
Le point de vue des Mégariques
15
III. Position de
Platon
16
1. La théorie platonicienne des
Idées
16
Exposé de la théorie
16
Les Idées considérées
comme mixtes
17
2. L'un et le multiple : le
problème de la prédication
18
Définition du problème
18
Le non-être relatif :
l'altérité
19
Conclusion
20
CHAPITRE II : REFUTATIONS
ARISTOTELICIENNES DES CONCEPTIONS HERACLITEENNES, PARMENIDIENNES ET
PLATONICIENNES DU DEVENIR
22
Introduction
22
I. Critique de
Héraclite
22
1. Impossibilité de flux
universel
22
2. Discontinuité du mouvement
23
II. Critique de
Parménide
24
1. Du non-être à
l'être : possibilité du multiple
24
2. Réfutation des
mégariques
25
III. Critique de
Platon
26
1. Critique de la théorie de la
participation et du paradigmatisme des Idées
26
2. Critique de la causalité des
Idées
27
Conclusion
28
CHAPITRE III : LE MOUVEMENT ET SES
INCIDENCES
SUR LE DEVENIR
30
Introduction
30
I.
Généralités sur le mouvement
30
1. Définition et
propriété
30
2. Mouvement naturel et mouvement
artificiel
31
II. Mouvement et
principes
32
1. Matière, forme et privation
32
2. Imperfection du mouvement
34
III. Théorie
des quatre causes et du Premier Moteur
35
1. Théorie des quatre causes
35
2. Le Premier Moteur et ses
caractéristiques
36
Conclusion
38
CHAPITRE IV : SUBSTANCE ET ACCIDENT,
ACTE ET PUISSANCE, ET LEURS IMPLICATIONS DANS LE DEVENIR
39
Introduction
39
I.
Terminologie
39
1. Substance et accident : prédication
essentielle et prédication accidentelle
39
2. L'être en acte et l'être en
puissance
41
II. Devenir de
l'être par la mutation des contraires
43
1. La mutation des contraires
43
2. La logique du devenir
45
III. Devenir de
l'être sous la modalité de l'acte et de la puissance
46
1. De la puissance à l'acte
46
2. L'antériorité de l'acte
48
Conclusion
50
CHAPITRE V : OBSERVATIONS CRITIQUES ET
PERSPECTIVES
52
Introduction
52
I. Observations
critiques
53
1. Sur
la circularité du devenir
53
2. Sur l'insuffisance de l'analyse du
changement substantiel
54
3. Sur la nécessité du
devenir
56
II.
Perspectives
57
1. Perspectives métaphysiques et
éthiques
58
La question du sens de l'existence
58
Devenir et éthique
59
2. Perspectives existentielles
62
L'être pour le bien
62
Devenir et Afrique
63
Conclusion
67
CONCLUSION GENERALE
68
BIBLIOGRAPHIE
71
TABLE DES MATIERES
73
* 1 HEIDEGGER M., Questions
I et II, Paris, Gallimard, 1968, p. 25.
* 2 ARISTOTE,
Métaphysique, , 1, 1003 a, 20.
* 3 JACOB A., (dir.),
Encyclopédie philosophique universelle, Les notions
philosophiques, Paris, P.U.F, 1990, p.628.
* 4 LALANDE A., Vocabulaire
technique et critique de la philosophie, Paris, Quadrige / P.U.F, 1997, p.
224.
* 5 DAUJAT J., Y a-t-il une
vérité ?, Paris, TEQUI, 1974, p. 59.
* 6 Idem.
* 7 Idem.
* 8 CHÂTELET F., La
philosophie païenne du VI e siècle av. J.-C. au III
e siècle ap. J.-C., Paris, Hachette, 1999, p. 162.
* 9 Idem.
* 10 AUBENQUE P., Le
problème de l'être chez Aristote, Paris, P.U.F, 1962, p. 420.
* 11 THONNARD F.-J.,
Précis d'histoire de la philosophie, Paris, Tournai, Rome,
Desclée, 1955, p. 12.
* 12 HERACLITE, De
l'univers, fragment 43, cité par CARATINI R., La
philosophie, France, Seghers, 1984, p. 51.
* 13 CHÂTELET F., op.
cit., p. 40.
* 14 Ibid., p. 41.
* 15 HERACLITE, De
l'univers, fragment 44, cité par CARATINI R., op. cit., p.
51.
* 16 PARRAIN B.,
(dir.), Encyclopédie de la Pléiade,
Histoire de la Philosophie, Paris, Gallimard, 1969, p. 419.
* 17 CHATELET F., op.
cit., p. 41.
* 18 BREHIER E., Histoire
de la philosophie, Paris, P.U.F, 1997, p. 51.
* 19 CARATINI R., op.
cit., p. 52.
* 20 JEANNIERE A.,
Héraclite, Paris, Aubier, 1977, p. 114.
* 21 BREHIER E., op.
cit., p. 51.
* 22 PARRAIN B., op.
cit., p. 420.
* 23 HERACLITE cité par
THONNARD F.-J., op. cit., p. 12.
* 24 ARISTOTE, La
physique, III, 200 b, 20.
* 25 JEANNIERE A., op.
cit., p. 18.
* 26 CHATELET F., op.
cit., p. 39.
* 27 Le poème de
Parménide, fragment 1, cité par CARATINI R., op.
cit., p. 57.
* 28 Le poème de
Parménide, fragment 2, cité par CARATINI R., op.
cit., p. 58.
* 29 Idem.
* 30 Le poème de
Parménide, fragments 4-5, cité par CARATINI R., op.
cit., p. 58.
* 31 DESCARTES R., Discours
de la méthode suivi des méditations, Paris, Union
Générales d'Editions, 1951, p.278.
* 32 Le poème de
Parménide, fragment 8, cité par CARATINI R., op.
cit., p. 59.
* 33 CHATELET F., op.
cit., p. 48.
* 34Il s'agit des apories sur
la flèche, Achille et la dichotomie.
* 35 ARISTOTE.,
Métaphysique, È, 3, 1046 b, 30.
* 36 CHATELET F., op.
cit., p. 49.
* 37 PLATON,
Timée, 52 a.
* 38 PLATON,
Parménide, 132 d.
* 39 ARISTOTE, La
physique, I, 2, 185 b, 25.
* 40 PLATON, Le
Sophiste, 251 a-c.
* 41 Ibid., 252 b.
* 42 AUBENQUE P., op.
cit., p.147.
* 43 Le poème de
Parménide, fragment 7, cité par AUBENQUE P., op.
cit., p. 151
* 44 PLATON, Le
Sophiste, 256 d.
* 45 PLATON,
Phédon, 100 d.
* 46 ARISTOTE,
Métaphysique, , 8, 1012 b, 23.
* 47 PLATON,
Théétète, 176 a.
* 48 BREHIER E., op.
cit., p. 184.
* 49 ARISTOTE, La
physique, V, 244 b, 1.
* 50 Ibid., VIII,
3.
* 51 AUBENQUE P., op.
cit., p. 425.
* 52 ARISTOTE, La
physique, II, 1, 192 b, 21.
* 53 AUBENQUE P., op.
cit., p. 426.
* 54 ARISTOTE,
Métaphysique, ë, 6, 1071 b, 8.
* 55 ARISTOTE,
Métaphysique, Ä, 7, 1017 b, 1.
* 56 PARRAIN B., op.
cit., p. 658.
* 57 PLATON,
Euthydème, 283 d.
* 58 ARISTOTE,
Métaphysique, È, 3, 1047 a, 14.
* 59 Ibid., È,
3, 1046 b, 29.
* 60 AUBENQUE P., op.
cit., p. 450.
* 61 Ibid., p. 452.
* 62 ARISTOTE,
Métaphysique, È, 3, 1047 a, 14.
* 63 Ibid., A, 9, 981
a, 21.
* 64 Ibid., A , 9, 991
a, 27.
* 65 Ibid., N, 2, 1089
b, 7.
* 66 Ibid., N, 2, 1089
b, 19.
* 67 AUBENQUE P., op.
cit., p. 154.
* 68 ARISTOTE,
Métaphysique, A, 9, 991 a , 11.
* 69 ARISTOTE,
Traité du Ciel, III, 7, 306 a, 10-11.
* 70 ARISTOTE, La
physique, I, 8, 191 b, 10.
* 71 CHÂTELET F., op.
cit., p. 156-157.
* 72 ARISTOTE,
Métaphysique, Z, 1026 a , 10.
* 73 AUBENQUE P., op.
cit., p. 419.
* 74 ARISTOTE, La
physique, VI, 4, 234 b, 10.
* 75 AUBENQUE P., op.
cit., p. 431.
* 76 ARISTOTE, La
physique, VIII, 3, 254 b, 14-16.
* 77 ARISTOTE,
Métaphysique, ë, 6, 1071 b, 35.
* 78 Ibid., ë ,
3, 1070 a, 7.
* 79 ARISTOTE, La
physique, II, 8, 199 a , 15.
* 80 ARISTOTE,
Métaphysique, Z, 7, 1032 b, 1.
* 81 Ibid., Z, 7, 1032
a , 10.
* 82 AUBENQUE P., op.
cit., p. 431.
* 83 ARISTOTE,
Métaphysique, È, 8, 1050 b, 12.
* 84 Ibid., Z, 8, 1033
b, 15-19.
* 85 Ibid., Ä ,
3, 1014 a, 26.
* 86 Ibid., ë, 4,
1070 b, 18-20.
* 87 ARISTOTE, La
physique, III, 2, 201 b, 32.
* 88 AUBENQUE P., op.
cit., p. 454.
* 89 ARISTOTE, La
physique, III, 6, 206 a, 30.
* 90 AUBENQUE P., op.
cit., p. 455.
* 91 CHÂTELET F., op.
cit., p. 169.
* 92 ARISTOTE, La
physique, II, 3, 194 b. 24.
* 93 ARISTOTE,
Métaphysique, Z, 7, 1032 a, 13.
* 94 Ibid., Z, 7, 1032
b, 30.
* 95 KIERKEGAARD S., Les
miettes philosophiques, Paris, Seuil, 1967, p. 125.
* 96 AUBENQUE P., op.
cit., p. 181.
* 97 ARISTOTE,
Métaphysique, ë, 7, 1072 b, 24.
* 98 Ibid., ë, 7,
1072 b, 20.
* 99 Ibid., ë, 7,
1072 b, 4.
* 100 Ibid., ë,
7, 1072 b, 3.
* 101 Ibid., ë,
7, 1072 b, 10.
* 102 Ibid., ë,
7, 1072 b, 15.
* 103 AUBENQUE P., op.
cit., p. 432-433.
* 104 KIERKEGAARD K., op
.cit., p. 125.
* 105 ARISTOTE,
Métaphysique, Ä, 7, 1017 a, 6.
* 106 AUBENQUE P., op.
cit., p. 135.
* 107 ARISTOTE,
Métaphysique, Ä, 30, 1025 a, 14.
* 108 Ibid., Ä,
30, 1025 a, 24.
* 109 Ibid., Ä,
30, 1025 a, 28.
* 110 Ibid., , 4,
1007 b. 1.
* 111 Ibid., Ä,
8, 1017 b, 13.
* 112 ARISTOTE, De
l'âme, II, 1.
* 113 ARISTOTE,
Métaphysique, Z, 4, 1029 b, 12.
* 114 Ibid., E, 2,
1026 b, 21.
* 115 Ibid., Ä,
12, 1019 a, 19-20.
* 116 Ibid.,
Métaphysique, È, 1, 1046 a, 11.
* 117 Ibid.,
È, 1, 1046 a, 20.
* 118 Ibid.,
È, 2, 1046 b, 6.
* 119 Ibid.,
È, 6, 1048 a, 31.
* 120 Ibid.,
È, 1048 b, 1.
* 121 Ibid., K, 10,
1067 a, 5.
* 122 ARISTOTE, La
physique, I, 190 b, 33.
* 123 AUBENQUE P., op.
cit., p. 434.
* 124 Ibid., p.
434.
* 125 ARISTOTE,
Catégorie, 10, 34-35.
* 126 Ibid., 10,
31.
* 127 ARISTOTE, La
physique, I, 7, 190 a, 1-10.
* 128 ARISTOTE,
Métaphysique, Ä, 10, 1018 a, 25.
* 129 ARISTOTE,
Catégorie, 11, 14 a, 20.
* 130 CHÂTELET F.,
op. cit., p. 163.
* 131 BREHIER E., op.
cit., p. 183.
* 132 ARISTOTE, La
physique, III, 2001 b, 34.
* 133 ARISTOTE,
Métaphysique, K, 12, 1068 a, 10.
* 134 AUBENQUE P., op.
cit.,p. 433-434.
* 135 ARISTOTE,
Métaphysique, ë, 2, 1069 b, 15.
* 136 Ibid.,
È, 3, 1047 a, 20.
* 137 AUBENQUE P., op.
cit., p. 453.
* 138 ARISTOTE
Catégorie, 11, 14 a, 10.
* 139 ARISTOTE,
Métaphysique, È, 5, 1048 a, 10.
* 140 DESCARTES R.,
Discours de la méthode, France, Fernand Nathan, 1986, p. 34.
* 141 ARISTOTE,
Métaphysique, È, 5, 1048 a, 16.
* 142 DAUJAT J., op.
cit., p. 63.
* 143 AUBENQUE P., op.
cit., p. 443.
* 144 ARISTOTE,
Métaphysique, È, 1049 b, 14.
* 145 Ibid.,
È, 8, 1050 b, 5.
* 146 Ibid.,
È, 8, 1050 a, 4.
* 147 Ibid.,
È, 8, 1050 a, 7.
* 148 Ibid.,
È, 8, 1050 a, 24.
* 149 Ibid.,
È, 8, 1050 a, 15.
* 150 Ibid.,
È, 8, 1050 a, 7.
* 151 ARISTOTE, Ethique
à Nicomaque, VII, 15, 1154 b, 17.
* 152 ARISTOTE,
Métaphysique, È, 8, 1050 b, 18.
* 153 Ibid.,
È, 9, 1051 a, 20.
* 154 NJOH-MOUELLE E.,
Considérations actuelles sur l'Afrique, Yaoundé,
Clé, 1983, p. 26.
* 155 JASPERS K.,
Introduction à la philosophie, Paris, Plon, 1981. p. 10.
* 156 PINDARE, cité par
AUBENQUE P., op. cit., p. 446.
* 157 PLATON, Menon,
80 e.
* 158 AUBENQUE P., op.
cit., p. 446.
* 159 VANCOURT R.,
Pensée moderne et philosophie chrétienne, p. 34,
cité par TREMBLAY J., Finitude et Devenir, Québec,
Fides, 1992, p. 17.
* 160 ARISTOTE,
Métaphysique, Ä, 5, 1015 b, 10.
* 161 KIERKEGAARD S., op.
cit., p. 126.
* 162 Idem.
* 163 Ibid., p.
127.
* 164 JASPERS K., op.
cit., p. 10.
* 165 SARTRE J.-P.,
L'existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1970, p. 22.
* 166 NIETZSCHE F., Ainsi
parlait Zarathoustra, Paris, Flammarion, 1996, p. 345.
* 167 KANT E., Fondements
de la métaphysique des moeurs, Paris, Bordas, 1988, p. 10.
* 168 GIRE P., Les
fondements de la morale, Paris, Tequi, 1989, p. 90.
* 169 Idem.
* 170 Ibid., p.
91.
* 171 LEVINAS E., Ethique
et Infini, Paris, Fayard, 1982, p. 86, cité par GIRE P.,
Idem.
* 172 MOUNIER E., Le
personnalisme, Paris, P.U.F, 1949, p. 37.
* 173 KIERKEGAARD S., op.
cit., p. 125.
* 174 LEVINAS E.,
Totalité et Infini, Paris, Livre de poche, 1971, p. 234.
* 175 FOKAM P.-K., Et si
l'Afrique se réveillait ?, France, Jaguar, 2000, p. 20.
* 176 Aristote,
Métaphysique, Z, 1032 a, 7, 13.
* 177 RICOEUR P.,
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1996, p. 13.