Conclusion
Le management japonais ne partageant pas les mêmes
origines et les mêmes valeurs que le management français,
l'adaptation de l'un à l'autre demande des compromis pour être en
accord avec la loi et répondre aux attentes des employés.
Or, BOOKOFF ne s'adapte pas à la population locale. Son
style de management est celui d'une entreprise internationale, avec un centre
de décision éloigné de la réalité du terrain
qui laisse très peu d'autonomie aux filiales, et force à
appliquer des règles ethnocentriques, étrangères à
la culture de la population locale (employés et clientèle).
BOOKOFF aurait peut-être intérêt à adopter le
modèle entreprise multinationale pour donner plus d'autonomie à
ses filiales à l'étranger.
Les employés de BOOKOFF Quatre Septembre sont
réticents aux techniques de management qui les amènent à
s'autogérer, à se former entre eux (oyakoseido) et
à être polyvalents. D'abord parce que ces techniques sont en tous
points opposées au Taylorisme qui a servi de base au management
occidental, mais également car elles défendent une culture
d'entreprise incompatible avec la culture française.
Les responsables ne sont pas en phase avec les employés
car ils manquent de légitimité. Ce manque vient principalement de
la méconnaissance de la culture et du droit du travail français,
mais aussi parce que les employés ne jugent pas que leurs leaders ont
les compétences et le charisme requis pour occuper leur poste. Les
responsables sont de plus coincés entre un marteau qui demande des
conditions de travail réglementaires et une enclume, la toute puissante
maison mère au Japon, qui ne veut rien entendre. Le manque de
compétence des responsables devrait être remplacé par un
lien affectif qui existe entre la société mère et
eux-mêmes mais qui ne se transmet pas aux employés
français. Ils n'ont pas en effet pour habitude de mélanger leur
vie privée et leur vie professionnelle, où d'associer des
sentiments à leurs activités de subsistance. Pourtant, sans une
adhésion à la culture d'entreprise de BOOKOFF couplée
à une bonne une maîtrise du japonais, aucun d'entre eux ne peut
aspirer à atteindre un poste à hautes responsabilités.
BOOKOFF semble toujours favoriser les employés qui soutiennent ses
points de vue aux autres, ce qui contraint à une situation de
blocage.
La solidarité qui unit les employés de BOOKOFF
en France a pourtant permis l'amélioration des conditions de travail.
Cependant, le fait qu'elle n'applique pas les innovations
systématiquement à ses autres boutiques, même quand elles
sont situées dans le même environnement, fait craindre que ces
améliorations de conditions de travail restent uniques (abandon du
BOOKOFF shôwa, octroi des congés payés et salaire
dominical augmenté dans une seule boutique). L'utilisation
récente de CDD renouvelables ne laisse pas aspirer à une
évolution positive pour les conditions de travail. De plus, le fait que
de nouveaux employés ont récemment été
recrutés est le signe que l'entreprise ne devrait pas faire face
prochainement à un manque de main d'oeuvre qui pourrait lui faire
réviser ses perspectives.
Le constat est décevant et amène à penser
que les progressions dues au management interculturel effectuées en
France n'aideront pas à améliorer les conditions de travail au
Japon et la précarité dont il souffre. L'interculturel qui
pourrait se transformer en un avantage compétitif pour l'entreprise et
une source d'innovation, n'est en fait qu'une source interminable de
conflits.
Cependant, nous nous refusons à croire que les
techniques managériales de BOOKOFF sont inadaptables. D'autres
sociétés japonaises (Toyota, Nissan ...) ont réussi
à s'adapter aux lois et à la culture française, ce qui
nous porte à croire qu'un système hybride ou adapté n'est
pas inenvisageable.
Un autre facteur, encore plus porteur d'espoir, est
également à relever. Comme nous avons pu le constater pendant nos
interviews, les conflits qui ont opposé les patrons et leurs
travailleurs depuis la création ont généralement
donné raison à ces derniers. Les employés ont depuis le
début gagné de plus en plus de terrain, tout au moins dans la
libraire BOOKOFF Quatre Septembre et ont eu une influence considérable
sur le personnel de l'autre boutique. Les différents stages offerts aux
employés et les avantages qu'on leur a octroyé nous donnent de
bonnes raisons de croire que les prochaines générations de
responsables ne seront plus issues de la maison mère du Japon mais
auront été choisies parmi ceux qu'elle aura jugés dignes
de confiance. Ces derniers auront été baignés dans tous
ces conflits et, contrairement aux responsables actuels, auront une
connaissance du management interculturel bien plus développée. En
effet, les quelques employés qui nous a été donné
d'interroger ont tous semblé extrêmement ouverts d'esprit,
conscients et soucieux des différents problèmes de
l'entreprise.
Nous pensons (et espérons) donc qu'une convergence vers
un système hybride est en cours, et qu'il prendra place lorsque les
employés actuels de BOOKOFF France auront gagné en pouvoir car
ils ont les capacités de synthétiser un type de management qui
sera enfin un atout compétitif.
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