I-5 Cadre théorique de la recherche
Le déterminisme social selon Emile
Durkheim
Emile Durkheim fut l'un des premiers sociologues à
s'attacher à la notion de socialisation, notion centrale dans sa
conception holiste de l'univers social. C'est à son ouvrage paru en
1922, intitulé Education et Sociologie, qu'Emile Durkheim fait
référence. (DURKHEIM Emile ; 1922.). Selon lui, la
socialisation correspond à l'élément fondateur de
l'être social. C'est en d'autres termes, par la socialisation que
l'être humain se construit. Cette construction s'effectue progressivement
par l'acquisition d'un système d'idées, d'habitudes, de
sentiments, propres aux groupes d'appartenance de la personne. La socialisation
traduirait de ce fait, la transmission d'un certain nombre de normes, de
croyances collectives, d'opinions, de manière de penser et d'agir,
constituant les fondements de cette entité transcendante qu'est la
société. Elle prépare et éduque à la vie
collective. Elle permet et perpétue la vie en société. La
socialisation est ce par quoi se transmettent de génération en
génération les fondements de l'existence sociale, les bases
inhérentes à la vie en collectivité, et par la même
occasion, à la survivance de la cohésion sociale. Ce sont des
règles, des normes, une certaine manière de vivre ensemble, des
habitudes de pensée et d'action qui sont transmises, puis
intériorisées par la personne au point de devenir partie
constituante de son être personnel. En ce sens, la socialisation consiste
en la construction de l'être social, par l'intériorisation du
social comme constitutif de l'être singulier, du psychisme de chacun de
nous. C'est sans doute pourquoi, selon Emile Durkheim, l'action individuelle
est subordonnée au social, cette subordination étant inconsciente
la plupart du temps. La société, définie comme
transcendante, s'affirme comme puissance coercitive et déterminante de
l'action et de la pensée humaine.
Durkheim E. donne à l'éducation ce
rôle essentiel de socialisation. L'éducation, l'école, a
pour principe de transmettre l'expérience et les biens culturels
accumulés par les générations passées à la
jeune génération. L'éducation prend donc ce rôle
important de structure socialisatrice en transmettant à la nouvelle
génération les bases culturelles et sociales qui assure la vie en
société et ainsi font perdurer l'existence de la
société. « Bien que l'éducation ait
pour objet unique et principal l'individu et ses intérêts, elle
est avant tout le moyen par lequel la société renouvelle
perpétuellement les conditions de sa propre existence »
(DURKHEIM E. ; 1967). Durkheim conçoit donc l'éducation
comme la transmission, puis l'intériorisation du modèle culturel
des générations précédentes.
La socialisation chez Emile Durkheim peut être
définie par rapport aux concepts de conscience collective et de
contrainte collective. Cette conscience collective, qui prédomine
à la conscience individuelle, se veut être la matrice essentielle
de la cohésion sociale dans nos sociétés organisées
par la division sociale du travail. La socialisation induit
l'intériorisation de la contrainte sociale et des modèles
culturels. Dans le cadre de cette étude, la réflexion de Durkheim
sur le déterminisme social et la socialisation est intéressante.
Dans cette recherche, la transmission de pensées et d'actions, de
certaines manières de penser, d'agir, de voir et de sentir sont autant
d'aspects à prendre en considération dans le processus de
décision des choix d'orientation scolaire et professionnelle. En cela
l'influence du social sur les singularités est évidente.
Cependant, le déterminisme quasi univoque du social, me
semble contestable. L'étudiant qui se trouve face à ces questions
de l'orientation scolaire et professionnelle ne se voit pas pour autant
totalement déterminé par le social. On ne peut parler que
d'influences du social sur l'action et la perception individuelle. Mais il
existe une réelle marge de manoeuvre où la singularité de
l'acteur s'exprime.
La socialisation et le concept d'habitus de Pierre
Bourdieu
Dans la continuité du courant holiste, Pierre Bourdieu
parle de la socialisation par l'intermédiaire du concept de
l'habitus. Selon Bourdieu, les attitudes, les jugements personnels, les
motivations, et les actions des individus sont très largement
déterminés par la structure, à savoir la place qu'occupe
la personne dans le système des hiérarchies. La structure sociale
est au principe des comportements et des perceptions. Dans sa conception de
l'univers social, Bourdieu se montre à la fois proche d'une conception
holiste et d'une conception marxiste. Le déterminisme social est bien
présent, seulement l'accent est davantage porté sur un
déterminisme de classe (confère BOURDIEU P., 1970). Dès
lors, la socialisation se ramène à l'intériorisation de
l'extériorité, c'est-à-dire à
l'intériorisation par l'individu des normes de la société,
et surtout des normes de comportements et de perceptions appartenant à
sa position au sein de la structure sociale hiérarchisée.
L'individu socialisé se voit donc déterminé dans ses
pensées et ses actions par l'habitus de sa classe sociale. Dans
l'habitus, la socialisation prend forme par l'intériorisation des
structures dans la conscience individuelle. Ainsi, l'habitus désignera
un ensemble de dispositions acquises des chaînes de perception,
d'appréciation, d'action, inculqué par le contexte social
à un moment donné et à une place particulière.
L'habitus est un système de dispositions acquises. Il est producteur des
pratiques à l'origine des perceptions et des actions. L'habitus est le
fruit d'une socialisation spécifique à chaque classe,
socialisation dont les tenants principaux sont, selon Bourdieu : la
famille, le contexte social et l'école. A travers cette analyse, il est
aisément facile de percevoir l'un des principes centraux de la
pensée de Bourdieu qu'est la reproduction sociale. Cette dernière
correspond à la reproduction du système de classe et affirme
l'invariance des positions sociales et des structures.
Encore une fois, le concept d'habitus est en relation direct
avec notre sujet. De part l'origine socioprofessionnelle des parents, la
position de l'étudiant est à même d'intervenir comme
dimension socialisatrice. Sur ce point il est important de mesurer l'influence
du pouvoir socialisateur de la famille sur les choix des étudiants, sur
leur rapport aux études et au monde du travail. L'origine
socioprofessionnelle de l'étudiant infléchit les
représentations des études, du monde de travail, les choix et le
rapport au monde.
Le courant holiste a su donner à ce
sujet sa légitimité et surtout l'acheminer dans une
réflexion fructueuse de l'univers social. Cependant, les comportements
et les perceptions des individus ne peuvent s'expliquer par la seule
référence à une force sociale déterminante et
déterminée. Dans la continuité de Max WEBER, (1968), les
partisans de l'individualisme méthodologique semble avoir sonné
le glas du renouveau de l'acteur. Le déterminisme holiste laisserait la
place à la rationalité de l'action, à la liberté
d'action, à l'individu rationnel. Le phénomène social
serait ainsi le résultat de l'agrégation des comportements
individuels, par le biais des effets de combinaison, des effets
émergeants, des effets pervers ou des effets d'agrégation.
L'individualisme méthodologique de Raymond
Boudon
L'individualisme méthodologique est une approche qui
recherche, au niveau des comportements individuels et de leur
agrégation, le principe des explications de l'action sociale. La
pensée de Raymond BOUDON s'est affirmée en opposition avec ce
qu'il appelle « le paradigme déterministe ».
Contrairement aux théories déterministes qui mettent l'accent sur
les contraintes sociales, l'influence des structures et systèmes sociaux
sur le comportement individuel, la démarche de l'individualisme
méthodologique consiste tout d'abord à interroger les individus
et leurs comportements sans présupposer leurs déterminations. A
la suite de Max Weber, Boudon affirme qu'on ne peut expliquer les
phénomènes sociaux qu'à la condition de partir des
individus, de leurs motivations, et de leurs actions. Les individus sont
rationnels. Boudon accorde au concept de rationalité un sens beaucoup
plus large que celui que lui conférait Weber. Il estime qu'une action
est rationnelle pour peu qu'elle soit orientée par un
intérêt, une valeur, ou même la tradition. L'action d'un
individu est rationnelle, si celui-ci « a de bonnes raisons
d'agir ». Dès lors, tout phénomène social se
constitue par agrégation (par sommation) des comportements individuels.
Boudon parle « d'effet émergent » pour
désigner le phénomène social résultant de
l'agrégation des comportements individuels. Bien souvent ces effets
émergents sont des effets pervers, ce qui signifie qu'ils ne
correspondent pas aux intentions originelles des individus. L'exemple
donné par Raymond Boudon concerne la dévalorisation des
diplômes. Alors qu'il est rationnel pour chaque étudiant de
rechercher à obtenir le diplôme le plus élevé, afin
d'accéder à un emploi qualifié et bien
rémunéré, l'adoption de cette stratégie par des
dizaines de milliers d'étudiants aboutit à une
dévalorisation de diplômes quand l'offre d'emploi n'augmente pas
suffisamment.
Toutefois, s'il est vrai que le comportement de l'individu est
rationnel, cette rationalité est limitée par
l'impossibilité d'opérer des choix optimaux due à
l'impossibilité de réunir toutes les informations relatives
à une situation. Cela dit, l'individualisme méthodologique
reconnaît que l'action individuelle n'échappe intégralement
pas aux contraintes sociales. « Car il est rare d'agir à
sa fantaisie ». Mais comme Boudon le souligne,
« ces contraintes délimitent le champ du possible, et non
le champ du réel ».
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