Le christ comme médiateur du salut, essai d'herméneutique africaine du message chrétien à la lumière de la christologie de karl Rahner( Télécharger le fichier original )par Thomas RAINCHOU Grand séminaire notre dame de l'espérance de Bertoua - Attestation de fin d'étude de théologie 2006 |
2.1.2. L'être chrétienPour Karl Rahner, être chrétien c'est entrer en relation avec Dieu en Jésus-Christ par une disposition libre, gratuite et historique et par sa Parole Révélée. L'être chrétien est une conséquence de la volonté salvifique universelle de Dieu réellement efficace dans le monde et absolument médiatisée par le Christ. Il embrasse tout l'homme et tout homme dans sa réalité entière et avec tout son univers101(*). Cette manière de concevoir l'être chrétien, qui révèle davantage le caractère universel du peuple de Dieu et donc la vocation universelle du christianisme, conduit Karl Rahner à distinguer, au niveau de l'expression, deux manière d'être chrétien : une manière explicite et consciente exprimée extérieurement dans la profession de foi, et une manière implicite, inavouée ou même ignorée qu'il qualifie d'anonyme102(*). L'être chrétien explicite répond fondamentalement à l'exigence communautaire de l'appel de Jésus et de sa signification salvifique. Il s'applique à tous ceux qui ont bénéficié d'une annonce explicite de la médiation du Christ et qui s'engagent par le baptême et par la vie sacramentelle à faire parti d'un groupe bien déterminé d'où ils reçoivent des normes et s'adaptent à un style de vie particulier. Est donc chrétien dans ce sens celui qui, se sachant sauvé par le Christ vit concrètement une relation « unique, toute personnelle, qui ne s'engendre pas d'une norme abstraite, (...) à Jésus-Christ, dans sa foi, son espérance et son amour unique »103(*) et l'exprime « dans la confession des chrétiens, dans le culte des chrétiens, bref dans l'Eglise »104(*). La vie chrétienne est donc ainsi caractérisée par un esprit de liberté qui s'ouvre à la vérité et à l'amour absolu dans la relation à Dieu par le Christ ; un réalisme qui « reconnaît comme signe de victoire, Celui qui fut cloué au bois pour y mourir de mort violente, et qui de cela a fait son signe propre »105(*) ; et une espérance qui confesse comme sienne l'avenir absolu et infini. Le chrétien explicite est aussi marqué dans son existence par une éthique qui surgit de la prise de conscience qu'il y a une différence entre ce qu'il doit être et ce qu'il est réellement et du besoin permanent de surmonter cette différence pour réaliser l'unité entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain106(*). En ce qui concerne l'être chrétien implicite ou anonyme, Karl Rahner soutient qu'il s'applique non seulement à ceux qui n'ont jamais reçu une annonce explicite du Christ, mais aussi aux incroyants et aux croyants des religions non chrétiennes. Pour lui en effet, il y a une présence effective du mystère du Christ en tout homme107(*) et dans toutes les religions108(*). Dès qu'on accepte, dit-il, même loin de toute révélation formulée en termes explicites, sa propre existence, donc sa condition humaine, avec une patience silencieuse ou plutôt avec foi, espérance et charité (pour divers que soient les noms qu'on leur donne), en tant que mystère qui est caché dans l'incompréhensible amour divin et qui porte la vie dans le sein de la mort, on se rallie à Jésus-Christ, bien qu'on ne le sache pas109(*). Le présupposé de cette thèse de Karl Rahner c'est qu'en tout homme et partout dans l'histoire de l'humanité, il y a et il doit exister une possibilité surnaturelle de croire étant donné que la volonté salvifique surnaturelle et universelle de Dieu est réellement efficace dans le monde. Au delà de tout ceci et dans la concrétude, l'expérience de l'amour du prochain permet une rencontre réelle avec le Christ même en dehors de la foi chrétienne et l'Esprit Saint agit en toute circonstance aussi bien en dehors de la révélation explicite que dans les religions non chrétiennes par sa grâce surnaturelle pour rendre réelle et efficace l'oeuvre du salut réalisée dans l'incarnation et la mort du Christ. Le Pape Jean Paul II dira : Il est évident, aujourd'hui comme dans le passé, que de nombreux hommes n'ont pas la possibilité de connaître ou d'accueillir la révélation de l'Evangile (...). Pour eux, le salut du Christ est accessible en vertu d'une grâce, qui tout en ayant une relation mystérieuse avec l'Eglise, ne les y introduit pas formellement mais les éclaire d'une manière adaptée à leur état d'esprit et à leur cadre de vie110(*). De ces deux manières d'être chrétien, il ressort que « l'homme est toujours en un sens véritable, un chrétien »111(*), puisque inscrit dans le dessein de Dieu et sa volonté salvifique universelle « et déjà, au centre le plus intime de lui-même, la grâce est là qui vit et qui l'incline, au moins comme une possibilité qui lui est offerte, d'agir surnaturellement »112(*). C'est pourquoi, chez Karl Rahner, on peut bien être chrétien au sens explicite du terme et demeurer encore fortement païen tout comme « la foi inconditionnelle jaillit souvent plus facilement du coeur de l'incroyant »113(*). Dans ce sens, l'appartenance à l'Eglise n'est pas encore en soi un christianisme vrai. « Le livre de vie, dit-il, ne concorde pas purement et simplement avec les statistiques religieuses »114(*). Ce qu'il y a d'ultime et de caractéristique dans l'existence chrétienne c'est le fait de se laisser abîmer dans le mystère nommé Dieu et d'être convaincu dans la foi et l'espérance que cette existence peut s'accomplir là où un homme n'est pas explicitement chrétien. Le christianisme dans sa figure explicite se comprend alors non comme une théorie abstraite, mais comme un processus existentiel dans son essence la plus propre. * 101 Cf. PDTC, p. 68. * 102 Cf. TFF, p.348. * 103 Ibidem, p. 344. * 104 Ibidem, p. 432. * 105 Ibidem, p. 449. * 106 Cf. Ibidem, p. 346. * 107 Cf. MGI, p. 156. * 108 Cf. TFF, p. 353. * 109 UFAM, p. 38. * 110 RM 10. * 111 MGI, p. 156. * 112 Ibidem., p. 156. * 113 UFAM, p. 121. * 114 Ibidem., p. 122. |
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