INTRODUCTION GENERALE
1- Contexte et constats de recherche
Située dans la région du Sud-Bandama, la commune
rurale de HIRE-Watta se trouve sur l'axe Divo-Oumé,
précisément à 45 km de Divo (Chef lieu de région)
et à 29 km d'OUME. A l'instar de toutes les localités de cette
région, l'activité économique de Hiré est
dominée par l'agriculture de plantation principalement la culture de
café et de cacao. C'est cette pratique économique qui d'ailleurs
a occasionné le peuplement de cette commune. Dès 1920, se font
les premiers mouvements migratoires vers le petit village Hiré-Watta. La
raison de cette première vague migratoire était d'abord la
recherche et l'exploitation de l'or. Les migrants étaient originaires du
Centre et du Nord du pays (Baoulé et Dioula). Ils se sont donc
livrés à l'exploitation artisanale de l'or. Mais les colons
s'étant aperçus de la richesse de cette localité en or s'y
sont installés pour mener une exploitation de type semi-industriel
mettant ainsi fin à l'orpaillage. Les populations, surtout les migrants
baoulé se reconvertissent dès lors, en planteurs de café
et cacao, vu que les terres de Hiré sont propices à la culture de
ces produits. Les premiers champs de café et de cacao sont ainsi
créés. L'embellie économique que connaît les
pionniers de cette économie de plantation a provoqué
l'intensification des flux migratoires suivant le modèle ivoirien de
l'agriculture cacaoyère (RUF : 1994). Hiré, devient
dès lors, avec toute la région de Divo le troisième front
pionniers de la cacao culture en côte d'Ivoire à partir des
années 1930 (Eric et Patrice : 2005). Le développement du
petit village Dida est ainsi amorcé. Il devient une circonscription
sous-préfectorale en 1977 puis une commune rurale en 1985, suivi de la
création d'infrastructures éducatives et hospitalières.
Cependant, depuis quelques années, cette
économie de plantation cacaoyère à Hiré est en
crise à l'image de tout le pays. Plusieurs facteurs sont avancés
pour expliquer cette situation de récession cacaoyère. On peut
citer entre autres le désengagement de l'Etat (Ahanda : 2000), le
démantèlement en Janvier 1999 de la caisse locale de
stabilisation et la libéralisation totale et effective du marché
du cacao le 12 Août de la même année (Kouamé 2007).
On a aussi la baisse constante des prix aux producteurs à partir de 1988
(Eric : 1997) et la dissolution des rentes différentielles
associées au milieu forestier (Ruf : 1987) ; sans oublier le
vieillissement des vergers (Eric : 2005). Cette dégradation de
l'environnement économique et écologique a conduit à
remettre en question les bases techniques et sociales du modèle pionnier
d'exploitation agricole. Face à la baisse constante du revenu aux
producteurs, des stratégies de diversification des ressources
financières sont mises en place par ces derniers. Ainsi, concernant le
cas de la crise agricole au Nord du pays LABAZERE (1997) constate la naissance
de petites et moyennes activités de production et d'échange qui
occupent les 2/3 des activités avec en prime la croissance du commerce
(46%). Dans les zones forestières du Sud avec l'économie de
plantation, on assiste plutôt à une réorientation des
planteurs vers la diversification des cultures pérennes
(hévéa, palmier à huile,..), l'accroissement de la
production vivrière à des fins de commercialisation, et le repli
sur la main-d'oeuvre familiale (Eric et Patrice, opcit). La population de
Hiré s'est inscrite dans cette dernière option stratégique
d'adaptation dès les premières heures de la crise dans la
filière cacao.
Cependant, depuis l'an 2006, avec le début des travaux
d'exploitation industrielle de l'or à Hiré ; il se
développe parallèlement, une nouvelle activité
aurifère artisanale. Cette activité est une aubaine pour la
population en quête d'une économie de subsistance. Elle est
devenue depuis ce temps, la nouvelle stratégie pour amortir la crise
économique qui sévit à Hiré. Ce sont en effet, des
femmes, des jeunes, des adolescents et à une certaine mesure des hommes
chefs de familles qui se ruent chaque jour sur les sites d'exploitation. Cette
ruée ne se fait sans avoir des incidences sur l'ordre économique
et social existant. La nouvelle orientation de la population vers l'orpaillage
a induit un changement notable dans sa structure socioéconomique, dans
la mesure où l'on passe d'une économie essentiellement agricole
à une économie tournée vers l'exploitation minière.
Dans ce nouveau contexte, deux constats majeurs fondent l'entreprise de cette
recherche sur une analyse du changement social basé sur le passage d'une
économie agricole de plantation à une économie
tournée vers l'exploitation minière et les activités.
Constat 1 : la capacité
d'adaptation de la population.
Traditionnellement, on assistait à une
spécialisation économique par groupes d'acteurs sociaux à
Hiré. Bien que l'économie de plantation cacaoyère
fût la plus pratiquée, il existait à côté,
d'autres activités telles que le commerce et les petits métiers.
Toutes ces activités sont guidées par les variations de la
dynamique de l'économie cacaoyère. Depuis la crise de
l'économie de plantation, on assiste à la tendance à une
pluriactivité. De plus en plus, les acteurs sociaux développent
à côté de l'activité principale une autre de
soudure. Ainsi, il se développait pendant les périodes creuses de
l'économie cacaoyère, la culture de vivriers à but
d'autoconsommation et commerciale (maïs, riz, igname, manioc...).
Cependant, depuis un certain temps, l'exploitation artisanale de l'or se
substitue de façon significative aux stratégies de subsistance
existantes. Cette situation engendre des nouvelles recompositions dans les
habitudes économiques de la population. Cela se traduit par :
- L'abandon des champs
- La diminution des surfaces cultivées surtout celles
réservées aux cultures vivrières ;
- La fermeture périodique des ateliers de couture, de
mécanique (moto et vélo)
- L'arrêt momentané de certaines activités
commerciales ;
- La baisse constante de l'offre de la main d'oeuvre agricole
au détriment de l'orpaillage.
Face à cette réalité, les questions que
nous nous posons sont de savoir : qu'est ce qui explique l'orientation de
la population vers l'orpaillage ? Quelles incidences l'orpaillage a - t
-il eu sur les recompositions à l'oeuvre ?
La stratégie de subsistance étant tournée
vers la culture de produits vivriers, quel est l'impact de cette nouvelle
activité sur la sécurité alimentaire à
Hiré ? Comment les populations s'organisent-elles pour s'adapter
à cette nouvelle situation ?
Constat 2 :
contestations récurrentes de l'autorité des
responsables de groupes
domestiques.
L'exploitation artisanale de l'or suscite des bouleversements
profonds dans l'organisation sociale chez les acteurs. Ces bouleversements se
traduisent par la désorganisation de la hiérarchie sociale
existante. En effet, dans les conditions normales de la vie sociale, la
production de l'économie de plantation se fait sous la direction du chef
de ménage (Eric et Vimard, opcit). Il mobilise donc son groupe
domestique et se fait aider aussi par des main- d'oeuvres salariées.
C'est lui qui est l'autorité de l'unité de
production. Il fixe les objectifs et les méthodes ou voies pour les
atteindre. C'est lui également qui assure la redistribution des biens
obtenus par l'ensemble, à chaque membre de la famille. Dans un contexte
de crise de l'économie de plantation, les stratégies des
planteurs (chefs de groupes domestiques) est la réduction sensible des
niveaux de la main-d'oeuvre extérieure. Le métayage au tiers, qui
permet au planteur de transférer sur sa main-d'oeuvre une part
proportionnelle du risque économique, est devenu le rapport de
production dominant. Mais du fait de l'accentuation de la crise, cette pratique
tend elle aussi à son tour à disparaître. Car ceux-ci ne
supportent plus de travailler à perte vue l'état de
vieillissement des plantations et la baisse graduelle de la production. Face
à cette situation, les planteurs se tournent vers la main-d'oeuvre
domestique, c'est-à-dire leurs femmes et leurs enfants (Eric et Vimard:
opcit). Or c'est cette main-d'oeuvre qui est aujourd'hui attirée par
l'orpaillage. Cela crée des conflits au sein de la cellule familiale.
Ainsi, il est rapporté de façon
récurrente des cas d'insoumission d'épouses ou d'enfants. Ceux-ci
se livrent à l'exploitation artisanale de l'or pour leur propre compte
et cela au détriment des activités économiques de la
famille. Cette situation inhabituelle a conduit même des chefs de
ménages à entreprendre des démarches auprès de
l'autorité municipale en vue de la fermeture des sites d'exploitation.
Ce constat nous pousse aux questions suivantes :
Quel est l'impact de ces conflits d'autorité sur
l'organisation et l'unité de la cellule familiale ? En terme plus
clair, comment se manifestent ces conflits et quel est le lien avec
l'extraction artisanale de l'or ?
2- Définition des mots clés du sujet
2-1- Exploitation traditionnelle ou artisanale ou encore
orpaillage.
Selon le code Minier ivoirien, en son article premier,
l'exploitation traditionnelle ou artisanale est toute exploitation dont les
activités consistent à extraire et concentrer les substances
minérales et à en récupérer les produits marchands
par les méthodes et procédés manuels et traditionnels. Un
article du département des affaires économiques et sociales des
Nation Unies ajoute que, l'exploitation artisanale c'est l'utilisation directe
de l'énergie humaine dans l'extraction des minerais. Le terme orpaillage
est souvent utilisé pour désigner l'exploitation traditionnelle
ou artisanale de l'or. Pour certains le terme orpaillage tire son origine
étymologique du mot « harpailler » qui signifie en
anciens français, saisir, attraper (ORRU : opcit). Pour d'autre, il
vient du mot paille, en référence à la paille que les
chercheurs d'or d'antan plaçaient sous les riffles pour piéger
l'or (POLIDORI : 2001) Cette image autrefois assez représentative
du caractère artisanale de cette branche de l'activité est
aujourd'hui quelque peu désuète, du reste dans certains pays
européens. Car les moins fortunés des orpailleurs de ces
régions disposent des moyens techniques modernes (pompe à gravier
détecteur de métaux etc.) pour déceler et extrait l'or.
Cependant en Afrique les orpailleurs continuent d'utiliser les moyens et les
méthodes anciens. Le terme d'orpaillage trouve donc ici tous son sens.
On retient que l'exploitation artisanale de l'or est une activité qui se
fait sans l'utilisation de moyens techniques (machines) ou du moins à un
degré moindre. Dans le dernier cas on parle d'exploitation
semi-industrielle ou semi-traditionnelle. Dans le cas des sites d'orpaillage de
Hiré, la grande partie des orpailleurs n'utilisent pas de machines,
seule une unité de production possède une moto- pompe.
2-2- Mutation socio-économique
La mutation est le passage d'un mode de vie, d'une
façon de faire à une autre. C'est un changement inattendu ou
rapide, par opposition à une évolution plus lente (GRAWITZ :
1991). L'implantation de l'usine d'exploitation industrielle de l'or à
Hiré en 2006 a modifié les pratiques socio-économiques de
la population. Le fonctionnement de cette usine a occasionné l'essor de
l'exploitation de type artisanal. La population exerce cette activité au
détriment des autres. Les rapports de production économique au
sein de la famille sont aussi mis à mal. Le terme ``changement'' est
aussi utilisé comme synonyme de ``mutation''. Le changement social vise
toute transformation observable dans le temps. Il affecte de façon
durable la structure ou le fonctionnement de l'organisation sociale. Il permet
de tenir compte de la nature de la réalité toujours mouvante de
la société. Dans le cadre de cette étude, le changement
observé est le passage d'une économie agricole à une
économie basée sur l'exploitation des minerais. Cette nouvelle
orientation de l'économie, entraine des mutations dans l'organisation
socio-économique de la population.
3- Problématique
3-1- Questions et objectifs de recherche.
La question centrale qui guide de cette recherche est la
suivante :
Comment l'extraction artisanale de l'or a- t- elle
contribué à modifier ou à amplifier les recompositions
sociales induites localement par la crise de l'économie de plantation
villageoise ?
Cette étude a pour objectif général de
montrer comment l'exploitation artisanale de l'or a provoqué des
changements dans la recomposition sociale et économique en vigueur
à Hiré.
Pour atteindre cet objectif général, nous nous
attacherons de façon spécifique à :
- Identifier les raisons de l'orientation de la population
vers l'orpaillage.
- Déterminer les incidences de l'exploitation
artisanale de l'or sur les
pratiques économiques en vigueur.
- Montrer le rôle de l'orpaillage dans la naissance des
conflits d'autorité et
son impact sur l'organisation et
l'équilibre de la cellule familiale.
- Accessoirement, indiquer les
risques sanitaires et environnementaux
occasionnés par l'orpaillage.
3-2- Thèse et Hypothèse provisoires.
3-2-1- Thèse provisoire.
La thèse provisoire de la recherche est la
suivante :
La pratique de l'exploitation artisanale de l'or a
occasionné des changements dans la structure sociale et
économique par son adoption au sein de la population de Hiré.
3-2-2- Hypothèses
Hypothèse 1 : La
ruée de la population vers l'orpaillage s'explique par la
capacité de cette activité à fournir un revenu rapide.
Hypothèse 2 :
L'orientation de la population vers l'exploitation artisanale de l'or a conduit
à l'abandon ou à la négligence de la production
vivrière, ce qui provoque la cherté de la vie à
Hiré.
· Nous entendons par ``cherté de la vie'' la
hausse des prix des denrées alimentaires qui passent parfois du simple
au double.
Hypothèse 3 :
L'indépendance économique des personnes à charge des chefs
de groupes domestiques occasionnée par l'orpaillage engendre des
conflits d'autorité et un déséquilibre familial.
· Nous entendons par indépendance
économique des personnes à charge, la capacité de ceux-ci
à entreprendre une activité économique sans l'intervention
du chef de famille. En effet l'essor de l'exploitation artisanale de l'or a
permis à des jeunes et des femmes d'entreprendre à leur propre
compte une activité économique.
· Les personnes à charge sont celles qui
dépendent de l'unité de production familiale, qui y participent
et qui sont placées sous l'autorité directe du chef de groupe
domestique. Elles sont essentiellement composées de femmes, des enfants
et quelques membres de la famille élargie.
· Les conflits d'autorité sont des
désaccords entre les aînés sociaux et les cadets. Ces
conflits se manifestent souvent par l'insoumission des cadets, le refus pour
certains chefs de famille d'exercer leurs responsabilités
(scolarisation, dépenses familiales..). Ces conflits d'autorité
conduisent aussi au déséquilibre de l'ordre familial (divorces,
menaces verbales et quelque fois corporelle, expulsion ou répudiation
des enfants ou des femmes...).
|