Analyse des relations entre les femmes et les autres acteurs dans la chaine de valeur du poulpe à Pointe Sarène, Nianing et Mbour( Télécharger le fichier original )par Daba NDIONE Université Gabriel Berger de St Louis - DEA 2009 |
Chapitre VII : Analyse des relations entre les acteurs dans la chaine de valeur du poulpeAu Sénégal, de par son histoire, ses pratiques et ses mutations, la pêche véhicule tout un mode de vie, de penser et d'être qui évolue en fonction du temps. En effet, la pêche dépasse les rapports de travail entre les différents actifs et pose des enjeux primordiaux qui donnent à l'activité une nouvelle vocation. Ainsi, à l'instar des autres sites de pêche artisanale du Sénégal, les acteurs de la pêche à Pointe Sarène, Nianing et Mbour entretiennent diverses relations entre eux. Ces relations concernent la parenté, l'amitié, la concurrence, la confiance, la dominance, la méfiance et le financement. Au niveau des pêcheurs par exemple, le recrutement des membres de l'équipage se fait à travers la parenté, l'amitié, le voisinage ou dans le tas. Généralement, la relation entre pêcheur est des plus fluides. Par contre avec les mareyeurs, les pêcheurs gardent une certaine méfiance à leur égard. Ils estiment que les mareyeurs les exploitent en leur proposant des prix faibles alors qu'ils sont détenteurs de la production et ne peuvent pas accéder à l'usine. C'est ainsi que ces propos revenaient souvent au cours des entretiens : « les mareyeurs ne disent jamais le prix auquel ils vendent à l'usine, ils essaient toujours de nous leurrer ». Cet avis est toujours rejeté par les mareyeurs qui disent n'avoir pas de marge bénéficiaire considérable sur le poulpe compte tenu des charges supportées. Les mareyeurs déplorent également le pouvoir des usines qui fixent le prix auquel ils achètent le poulpe de même que le monopole de la commercialisation par certaines usines notamment Ikagel. Concernant les femmes micro-mareyeuses, elles sont le plus souvent concurrencées par les mareyeurs qui refusent de les financer ainsi que par les micro-mareyeurs. Certains pêcheurs refusent également de leur vendre le poulpe. Leur activité dans la chaîne de valeur reste réduite dans les sites de Pointe Sarène et Nianing contrairement à Mbour où elles ont du pouvoir et de l'influence et déterminent même les règles du jeu comme nous le verrons plus loin. Les mareyeurs assurent le financement des micro-mareyeurs et des pêcheurs pour l'obtention du produit. Certains mareyeurs recevaient aussi des prêts de la part des usines surtout en période d'abondance des captures. En effet, au début de chaque campagne de pêche, l'usine finançait les mareyeurs disposant de quota pour l'achat des produits jusqu'à hauteur de 2 millions de FCFA : le paiement était échelonné sur toute la campagne de pêche. Cependant, cette pratique a été arrêtée suite aux importants impayés. En plus du financement, l'usine aide les mareyeurs à épargner en gardant ce qui est communément appelé la retenue de campagne. L'usine retire 35 à 50 FCFA par kg toute la saison et le montant cumulé est remis au mareyeur à la fin de la campagne. Ceci lui permet d'assurer ses dépenses même si l'activité de mareyage ne marche pas comme par exemple quand les captures des pêcheurs ne sont pas importantes. VII.1 Les spécificités de Pointe Sarène A Pointe Sarène, la parenté est la base des relations entre les acteurs. En effet, tous les acteurs entretiennent des relations familiales ou de voisinage. Ce qui explique l'absence d'un quelconque conflit, tous les problèmes se réglant à l'amiable. Le financement est aussi présent dans la relation entre les différents acteurs de la chaîne de valeur pour faciliter la production et la commercialisation du poulpe. En effet, les mareyeurs assurent souvent le financement des campagnes de pêche à travers l'achat ou l'octroi de l'engin de pêche (la turlutte) et d'avance pour acheter le carburant pour la sortie en mer. En retour, le pêcheur est tenu de vendre la production au mareyeur qui a assuré le financement. Au cours de la campagne de pêche, si le pêcheur a besoin d'argent ou de matériels, il peut revenir auprès de « son mareyeur » pour faire un autre prêt. Ainsi, la relation continue. D'après les mareyeurs, certains pêcheurs n'arrivent pas à éponger cette dette et sont ainsi condamnés à vendre leurs produits au même mareyeur après chaque sortie. Ce phénomène est à l'origine du renforcement du pouvoir des mareyeurs sur les pêcheurs. Cependant, il arrive des fois où le pêcheur vend son produit à un autre mareyeur s'ils ne s'entendent pas sur le prix proposé ; ceci peut être source de conflit entre eux mais cela se règle toujours à l'amiable. Parfois aussi le pêcheur débarque dans une autre zone comme Joal pour pouvoir vendre à un autre mareyeur et à un meilleur prix. Le remboursement du prêt est échelonné dans le temps. Pour l'engin de pêche, le mareyeur prend 100 FCFA par kg. Par exemple, si le kg est vendu à 1.000 FCFA le mareyeur qui a assuré le financement de l'engin de pêche l'achète à 900 FCFA. En ce qui concerne le financement du carburant, le pêcheur le rembourse petit à petit selon sa recette journalière. A ce niveau aussi il est important de souligner qu'à Pointe Sarène, les pêcheurs ne vendent pas aux lag-lagal mais seulement aux mareyeurs. Comme on l'a dit plus haut donc ces femmes n'achètent que les terral ou peuvent en bénéficier auprès de leurs époux ou parents pêcheurs au même titre que les autres. Ces lag-lagal peuvent aussi être femmes de mareyeurs ou parentes et travailler avec eux. C'est pourquoi le climat de travail est considéré comme bon. Ainsi, comme le soulignent plusieurs interviewés : « A Pointe Sarène tous les acteurs sont parents c'est pour cela que malgré certaines ambiguïtés il n'y a pas de conflit entre les acteurs de la pêche ». C'est ainsi qu'il n'y a pas de concurrence entre mareyeurs pour l'achat du poulpe et même pour les autres produits car chaque mareyeur a « ses » pirogues (ceux à qui il assure le financement). VII.2 Les spécificités de Nianing Nianing présente des spécificités en ce qui concerne la relation entre les acteurs de la chaine par rapport à Pointe Sarène. En effet, de nombreux acteurs, surtout les mareyeurs, ne sont pas du village. Ils sont pour la plupart des « Saloum-Saloum »11(*) venus s'activer dans le domaine de la pêche suite à la crise du secteur agricole. Ainsi, même si les acteurs n'ont pas tous des liens de parenté, ils sont souvent des voisins. D'après les acteurs de la chaîne à Nianing, c'est la vente par estimation appelée « keudd » par les acteurs locaux qui peut parfois causer des conflits soit entre mareyeurs et pêcheurs ou entre mareyeurs. Cette méthode consiste après débarquement à vendre le poulpe au plus offrant. L'achat par les micro-mareyeurs se fait à vue d'oeil. En effet, deux mareyeurs peuvent se disputer à cause d'un débarquement mais très souvent cela ne dégénère pas car disent-ils tout se règle à l'amiable. En outre, on retrouve le même système de financement entre mareyeurs et pêcheurs et entre mareyeurs et usines. Cependant, la différence se situe peut être au niveau du mode de remboursement du prêt. En effet, après avoir enlevé 100 FCFA par kg pour le remboursement du prêt, le mareyeur prélève 50 FCFA par kg vendu comme commission de la dette jusqu'à l'épuisement de cette dernière. VII.3 Les spécificités de Mbour Les types de relations observés varient selon les acteurs. Des relations existent ainsi entre pêcheurs et mareyeurs, entre mareyeurs et micro-mareyeurs, et entre mareyeurs et les industriels (usines). Les relations entre les pêcheurs et les mareyeurs sont des relations à deux sens. Dans le premier, les mareyeurs fournissent à certains pêcheurs disposant d'une unité de pêche (pirogue et moteur), des financements pour acheter du carburant et renouveler les engins de pêche. Dans certains cas, les mareyeurs assurent la réparation des moteurs qui du fait de leur vétusté tombent souvent en panne. Les montants des financements peuvent aller jusqu'à hauteur de 200 000 FCFA. Les pêcheurs profitent de cette collaboration pour s'assurer de débouchés surtout en période d'abondance du poulpe d'une part et de réduire les risques de perte d'autre part. En ce qui concerne le deuxième sens, les pêcheurs ont l'obligation de vendre leur capture aux mareyeurs ayant participé au financement de leurs activités jusqu'à l'épuisement de la somme empruntée. Le pêcheur rembourse 100 FCFA sur chaque kilo vendu. Il faut cependant signaler que très souvent les pêcheurs ne parviennent pas à éponger leurs dettes vis-à-vis des mareyeurs. Ce qui confère à ces derniers la latitude de fixer les prix d'achat aux pêcheurs. Mais lorsque les pêcheurs se sentent trop lésés par les prix fixés par les mareyeurs, ils n'hésitent pas à céder en cachette leur production aux plus offrant. Quant aux jeunes micro-mareyeurs qui proviennent majoritairement de l'ancien bassin arachidier, ils sont dans la plupart des cas autonomes financièrement. Ils achètent le poulpe comme les femmes, aux pêcheurs libres de tout engagement vis-à-vis du mareyeur le revendent ensuite soit aux mareyeurs soit aux usines par le canal des convoyeurs dépêchés sur la plage par ces dernières. Les relations entre les industriels et les mareyeurs sont essentiellement commerciales. Après avoir collecté le poulpe toute la journée auprès des micro-mareyeuses et des micro-mareyeurs, les mareyeurs livrent le produit à l'usine. Le règlement de la vente se fait le lendemain. Mais au lieu de verser la totalité de la somme, les industriels retiennent une partie pour assurer à leurs mareyeurs une certaine liquidité financière afin de les mettre à l'abri de rupture de capital. C'est aussi une stratégie pour garantir l'approvisionnement de l'usine en produits. Mais les mareyeurs déplorent le fait que les usines n'acceptent plus de les financer et fixent de manière unilatérale les prix de vente du poulpe. Ce qui peut remettre en cause les engagements pris notamment auprès des pêcheurs ou des micro-mareyeurs. Les échanges entre ces différents acteurs sont facilités par un ensemble de services fournis par les porteurs qui aident les femmes micro-mareyeuses à transporter le produit de la plage au quai pour la pesée avec leurs mareyeurs respectifs. * 11On désigne par ce terme les originaires du Saloum (région arachidière du Sénégal) |
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